Je suis ici au nom de l'Association canadienne des libertés civiles. À ma gauche se trouve notre directrice du programme de sécurité, Alexi Wood.
J'ai trois arguments à présenter. Le premier, c'est que les peines minimales obligatoires risquent d'engendrer des injustices très graves. L'un des cas qui le représentent le mieux, c'est celui de l'agriculteur saskatchewanais Robert Latimer. Pour avoir mis fin aux jours de sa fille de 12 ans sérieusement handicapée, M. Latimer a été accusé, et déclaré coupable de meurtre au deuxième degré. En conséquence, il a reçu la peine minimale obligatoire, soit l'emprisonnement à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant 10 ans. Ce qui est particulièrement troublant dans cette affaire, ce sont les faits. Comme l'a constaté le juge, M. Latimer a commis cet acte pour mettre fin aux souffrances de sa fille qu'il jugeait persistantes et terribles. Le juge a déclaré que M. Latimer avait été motivé uniquement par son amour et sa compassion pour sa fillette. Il a donc accordé à M. Latimer une exemption constitutionnelle à l'application de la peine minimale obligatoire et lui a infligé une peine bien plus clémente. Les autres juges des faits, soient les membres du jury, ont recommandé qu'il soit admissible à la libération conditionnelle après un an. Donc ceux qui jugeaient sur les faits, qui ont entendu tous les témoins et l'ensemble de la preuve ont recommandé la clémence.
Il n'est pas nécessaire d'excuser les meurtres par compassion en général, ou celui de Robert Latimer en particulier, pour être outré de la peine qu'il subit actuellement. La majorité des gens qui commettent des meurtres au deuxième degré sont poussés par la haine, a cupidité ou l'égoïsme, tout au moins. Il est scandaleux qu'un père compatissant qui contrevient à la loi par amour pour sa fille reçoive la même sentence qu'un voleur malveillant qui contrevient à la loi par cupidité. Selon l'ACLC, cette situation n'est rien de moins qu'une honte nationale. La source du problème réside dans la peine minimale obligatoire qui n'a aucune souplesse et qui inflige une peine quelles que soient les circonstances. C'est le premier cas dont je voulais vous parler.
J'ai un autre cas qui montre les injustices qui peuvent résulter de ces dispositions. En 1994, la cour d'appel de l'Ontario a allégé une peine d'emprisonnement de 12 mois à 6 mois pour un contrevenant déclaré coupable d'avoir déchargé une arme à feu dans le but de cause intentionnellement des lésions corporelles. La cour fondait son opinion sur le fait que l'accusé avait fourni un excellent service à la collectivité et qu'il avait agi dans une situation de stress intense et qu'il avait dû prendre une décision en une fraction de seconde. Il se trouve que le contrevenant est un policier. La personne sur laquelle il a tiré était un cambrioleur qu'il pourchassait. Il n'a eu qu'un éraflure.
Si cette situation se présentait aujourd'hui, en vertu de la loi actuelle, le policier serait condamné à une peine d'emprisonnement d'une durée minimale de quatre ans. Avec le , ce serait au moins cinq ans. Il est difficile de croire que même les défenseurs les plus ardents des peines minimales obligatoires puissent vouloir vouer ce policier à un tel sort.
Comment cela s'est-il produit? C'est parce que la réalité est trop complexe pour être régie par des solutions si simplistes. Voilà d'où vient une telle abomination.
Voilà pour le premier argument. Pour les deux autres, ce sera un peu plus rapide.
Le deuxième argument, c'est que les peines obligatoires peuvent avoir des conséquences négatives mais en plus, elles semblent avoir des effets minimes pour la sécurité publique. L'une des raisons à cela est évidente: comme des études l'ont prouvé, la population en général ne sait pas vraiment quels délits sont punissables par des peines minimales obligatoires. Elle ne le sait tout simplement pas. Ajoutons à cela toutes les grilles complexes portant sur le nombre de condamnations et de récidives... Qui peut croire que M. Tout le monde sera au courant?
Comment une peine peut-elle dissuader quelqu'un de commettre un crime si l'on en ignore l'existence? On ne s'étonne pas qu'il y ait tant d'études qui concluent que les peines minimales obligatoires n'ont pas d'effet sur la sécurité publique.
Le troisième argument est le suivant: il y a d'autres solutions, outre les peines minimales obligatoires. Si un juge inflige une peine trop clémente, on peut toujours faire appel. C'est ce que font les procureurs et les cours d'appel ont alourdi des peines dans les circonstances où c'était justifié. C'est arrivé à maintes reprises et ce n'est un secret pour personne.
Voyez la différence : si une peine est trop indulgente, elle peut faire l'objet d'un appel mais si une peine minimale obligatoire est trop lourde dans les circonstances, il n'y a pas de recours possible, à part la prière. Il existe donc deux poids deux mesures, ce qui est inacceptable dans notre système judiciaire.
Enfin, au sujet des solutions de rechange pour les crimes si graves qu'il est inconcevable qu'ils ne fassent pas l'objet de peines minimales obligatoires, comme le meurtre, il y a toujours la possibilité de créer des peines minimales présomptives. On prévoit donc la prison à perpétuité pour le meurtre, par exemple, mais de manière présomptive, « à moins que le tribunal soit d'avis qu'il existe des circonstances exceptionnelles ». Les tribunaux sauraient ainsi qu'il faut appliquer la peine minimale, à moins de circonstances vraiment particulières.
Il n'y a pas lieu d'en faire une peine minimale obligatoire qui ne tienne pas compte des circonstances particulières. Rien ne le justifie.
Pour résumer, monsieur le président, nous disons qu'il ne faut pas augmenter le nombre de peines minimales obligatoires. Il faudrait même le réduire, d'abord parce qu'elles risquent de donner lieu à de très graves injustices, et l'ont fait, et ensuite, parce qu'elles ne contribuent pratiquement pas à la sécurité publique et enfin, parce qu'il y a d'autres solutions utiles.
Comme toujours, ces recommandations vous sont présentées respectueusement.
Merci.
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Merci, monsieur le président. Je suis heureux de comparaître de nouveau devant vous pour vous parler de ce projet de loi.
La Société John Howard est un organisme national de charité composé de personnes croyant que la composante essentielle de la sécurité de la communauté repose sur des mesures sociales servant à réintégrer les délinquants à la communauté comme citoyens honnêtes. Nous sommes présents dans 60 communautés au Canada. Notre mission est de faire des interventions efficaces, justes et humaines en réponse aux causes et aux conséquences du crime.
Les crimes commis avec des armes à feu sont très graves. Même si des blessures ne surviennent pas, le potentiel de blessures ou de décès est élevé.
La Société John Howard témoigne aujourd'hui sur qui devrait établir la nature et la durée des peines et les principes sur lesquels les peines devraient se fonder. Plus particulièrement, la Société John Howard estime que les principes de détermination de la peine du Code criminel sont essentiellement adéquats et apportent suffisamment de directives appropriées au tribunal qui doit infliger la peine.
Les tribunaux qui doivent infliger la peine, qui ont logé un appel à la Cour suprême du Canada, sont compétents et représentent les seules entités aptes à établir des peines justes et appropriées selon les principes établis par le Parlement. Il n'y a pas d'avantages à tirer ou de raison d'imposer des peines particulièrement sévères pour chaque cas mettant en jeu des armes à feu, outre les peines déjà imposées. Les données n'appuient pas la notion que le taux de criminalité mettant en jeu des armes à feu croit à un taux alarmant, à l'exception de circonstances et de lieux vraiment particuliers. Des recherches sur plusieurs années démontrent irréfutablement que ni les éléments dissuasifs, ni les intentions limitatives des peines plus élevées n'ont vraisemblablement un impact économique ou important sur le taux des crimes commis à l'aide d'une arme à feu. Enfin, les nouvelles dépenses associées aux peines minimales obligatoires proposées devraient être engagées plus efficacement pour réduire les crimes en général, notamment les crimes commis à l'aide d'une arme à feu, si elles constituent davantage des initiatives préventives.
Les sentences minimales obligatoires sévères s'opposent aux principes les plus importants de détermination de la sentence. Les peines minimales obligatoires, particulièrement lorsqu'elles visent de longues périodes d'incarcération, sont incompatibles avec le principe fondamental de détermination de la peine prévu à l'article 718.1 du Code criminel qui stipule que « La peine est proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du délinquant ».
Aux termes du projet de loi , les peines pourraient devenir de plus en plus arbitraires et excessives. Le Parlement ne peut considérer les circonstances individuelles, et sans de telles circonstances, la peine devient arbitraire et potentiellement inconstitutionnelle — particulièrement lorsque la gravité de la peine obligatoire augmente. La juge en chef Beverley McLachlin a fait ressortir cet élément lorsque la Cour suprême du Canada a jugé que « Pour ne pas être arbitraire, la peine doit être ajustée aux actions et à la situation particulière du délinquant ».
La confiance accordée à la justice et aux systèmes politiques diminuera. Le gouvernement du Canada ne devrait pas encourager des actions qui pourraient inciter et consolider la méfiance sans fondement de notre magistrature. Si on ne peut compter sur la confiance accordée au système judiciaire des tribunaux et aux appels pour imposer les sentence appropriées dans le cadre des procédures et des principes actuels, alors il pourrait être difficile d'expliquer pourquoi on devrait avoir confiance en ceux-ci en d'autres circonstances.
Le respect accordé au système de justice pénale n'a jamais été atteint étant donné les mesures qui engendrent la méfiance de notre système judiciaire. Les mesures qui pourraient éliminer le pouvoir discrétionnaire des tribunaux et le remplacer par un pouvoir dont la nature est arbitraire et irrationnelle ne peuvent générer la confiance du public accordée à la justice et aux systèmes politiques.
Les peines sévères encouragent la récidive. Lorsque l'impact du projet de loi aura fait son chemin, autant de délinquants qui ont utilisé une arme à feu seront libérés chaque année qu'à l'heure actuelle. Ceux qui auront purger des peines plus longues, lorsqu'ils seront libérés de nos prisons, auront davantage de difficultés à réintégrer la société et nous aurons moins de ressources pour empêcher des crimes ou pour réinsérer dans la société les délinquants. Ils récidiveront vraisemblablement.
La mise en application de nouvelles peines obligatoires serait difficile à contrôler. Si les peines minimales obligatoires se révèlent efficaces pour une infraction, pourquoi pas pour toutes?
Dû à l'escalade de l'utilisation de la peine minimale aux États-Unis, en ce moment, ce pays connaît de cinq à huit fois le taux d'emprisonnement de tout autre pays industrialisé occidental. Le Canada a créé une société juste et pacifique dont le taux d'incarcération représente le septième de celui des États-Unis. Nous devrions être réticents à adopter la façon des États-Unis de déterminer la peine.
Le pouvoir discrétionnaire sera attribué à la couronne ou à la police, plutôt qu'au juge. Dans un rapport de recherche sur l'utilisation des sentences minimales obligatoires préparées par le ministère de la Justice du Canada, Thomas Gabor a conclu :
Il n'y a pas de preuve que le pouvoir discrétionnaire ou les écarts sont réduits par une peine minimale obligatoire. Bien que le pouvoir discrétionnaire judiciaire dans le processus de détermination de la peine soit réduit (non éliminé), les procureurs jouent un rôle central puisque leurs décisions relatives aux accusations deviennent plus critiques.
L'expérience canadienne ne démontre pas que les peines sévères réduisent le crime. Le principe fondamental de détermination de la peine permet au Canada de bénéficier d'un taux d'emprisonnement considérablement plus faible que celui des États-Unis où la peine minimale est devenue commune. Ceci n'a pas toujours été le cas.
Si on remonte à il y a 30 ans, le taux d'incarcération de 90 au Canada (par tranche de 100 000 habitants) était près de celui des États-Unis, qui était de 149. À l'heure actuelle, le taux d'incarcération du Canada est de 108, alors que le taux d'incarcération des États-Unis a monté en flèche pour atteindre 750.
On pouvait s'attendre, si l'incarcération empêche le crime par la dissuasion ou la neutralisation, à ce que ces différences complètes et marquantes des taux d'incarcération conduisent avec le temps à des habitudes criminelles vraiment différentes. En fait, ce n'est pas le cas. Les fluctuations des crimes au Canada et aux États-Unis sont demeurés étonnamment semblables. Le nombre de crimes perpétrés contre la propriété est à peu près le même. Les crimes violents, en particulier en ce qui concerne le taux des crimes commis à l'aide d'une arme à feu aux États-Unis, sont demeurés systématiquement plus élevés que le taux du Canada.
La variation des crimes commis à l'aide d'une arme à feu entre les villes canadiennes est substantielle. Qu'il y ait souvent une remarquable différence entre les taux des crimes commis à l'aide d'une arme à feu d'une ville à l'autre ou d'un quartier à l'autre n'a rien à voir avec les sentences plus sévères imposées dans les quartiers de faible criminalité.
La plupart des recherches n'appuient pas l'efficacité des sentences minimales obligatoires. Il y a abondance d'études universitaires défendant la théorie selon laquelle des peines sévères réduisent le crime. Un examen attentif de l'expérience des États-Unis où des sentences plus sévères contre les crimes commis à l'aide d'une arme à feu comprenant notamment des données de presque tous les États sur une période de 16 à 24 ans a démontré que plusieurs études à petite échelle suggèrent que les lois doivent réduire certains types de crimes commis à l'aide d'une arme à feu. Nous avons constaté que les lois n'ont produit un tel impact que dans quelques États et qu'il y avait peu de preuves que les lois réduisent généralement le crime ou augmentent la population des prisons.
Des études semblables ont été menées en Virginie, en Floride et en Californie, où l'expérience a été intéressante. On a constaté que les tendances à la criminalité ont pris des orientations opposées entre les jeunes délinquants et les délinquants adultes, même si les adultes sont assujettis à des dispositions de peines minimales obligatoires sévères et à des niveaux beaucoup plus élevés d'incarcération. Chez les jeunes en Californie, le contraire s'est produit. Le taux de criminalité juvénile et d'incarcération des jeunes délinquants en Californie est le plus bas qu'il a été en trente ans.
Au Canada, une importante méta-analyse portant sur toutes les recherches valables effectuées pendant 50 ans en Amérique du Nord a évalué l'impact de la durée des peines et de la récidive et a fait ressortir que le type de sanctions ne produit pas de diminution de la récidive, qu'il n'y a pas d'effets différentiels des types de sanctions imposés aux adolescents, aux femmes ou aux groupes minoritaires et, troisièmement, qu'il y a eu des tentatives provisoires d'augmentation de la durée de l'incarcération associées à de légères augmentations de la récidive.
Les criminologues canadiens Antony Doob et Cheryl Webster ont publié un examen détaillé de la documentation internationale de plusieurs décennies. Leur conclusion, c'est que des peines plus lourdes n'ont pas d'effet dissuasif sur les criminels.
La dissuasion fondée sur la détermination de la peine fait miroiter de fausses promesses à la communauté. Aussi longtemps que le public croit qu'on peut éliminer le crime par des législations ou par de lourdes sentences imposées par les juges, il n'est pas nécessaire de considérer d'autres approches concernant la réduction des crimes.
Les tendances concernant les crimes commis à l'aide d'une arme à feu au Canada ne prouvent pas la nécessité d'imposer des peines plus lourdes. Des données produites récemment, en janvier 2006, par le ministère de la Justice dégagent des tendances étonnantes et vraisemblablement sécurisantes, y compris le fait que le taux d'homicides au Canada a chuté de 25 p. 100 entre 1974 et 2004, et que le taux d'homicides commis avec une arme à feu a baissé de 54 p. 100 pendant la même période.
L'usage d'armes à feu pour la commission de vols qualifiés a baissé de 53 p. 100 entre 1974 et 2004, et des baisses radicales dans presque tous les crimes avec violence ont été enregistrées au cours des 15 dernières années, pour une baisse générale de 60 p. 100.
Bien que ces changements soient spectaculaires et positifs, des données très récentes de Statistique Canada démontrent qu'au cours des deux dernières années, il y a eu une augmentation des homicides liés aux armes à feu dans quelques grands centres. Aussi troublant que soit ce phénomène, ces changements ne peuvent être expliqués par des pratiques différentes de détermination de la peine dans ces centres et sont peu susceptibles d'être corrigés par des mesures relatives à la peine.
En conclusion, tout ce que nous vous avons présenté nous amène aux conclusions formulées dans notre mémoire selon lesquelles les principes de détermination de la peine ne peuvent être invoqués par des peines minimales obligatoires sévères et arbitraires comme le propose le projet de loi C-10. En outre, les preuves ne démontrent pas que de telles mesures permettront de réduire les activités criminelles liées aux armes à feu.
Merci.
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Bonjour. Je m'appelle Laurent Champagne et je suis président du Conseil des églises pour la justice et la criminologie. Je travaille aussi au Service correctionnel du Canada, comme aumônier à l'établissement Leclerc, et à l'Aumônerie communautaire de Montréal, en tant que coordonnateur. Je travaille avec une quinzaine de partenaires.
Si nous partageons la préoccupation du gouvernement quant à l'importance d'assurer la sécurité des Canadiens, nous tenons toutefois à souligner que le durcissement de la peine n'a aucun effet dissuasif sur les délinquants et n'a pas d'impact sur la récidive. L'expérience américaine est éloquente à ce sujet. L'instauration de peines minimales ne ferait que procurer un sentiment de fausse sécurité aux citoyens, car la longueur des sentences et la baisse de la criminalité sont deux facteurs indépendants. Il n'y a pas de lien de cause à effet entre eux. Nous vous rappelons que la criminalité est en baisse au pays, selon une étude réalisée par Statistique Canada.
Par ailleurs, le projet de loi a également comme effet de compliquer le processus de réinsertion sociale des contrevenants. Une incarcération trop longue peut compromettre les chances de réussite d'une réhabilitation, puisqu'il est crucial de permettre à un délinquant de retourner en société lorsqu'il est prêt à franchir cette autre étape du processus. S'il demeure en établissement malgré tout, ses chances de réinsertion peuvent être compromises.
En dernier lieu, nous sommes très préoccupés par les incidences que peut avoir le projet de loi C-10, notamment sur le système de justice canadien. Ce projet de loi vient ébranler un des fondements de notre système judiciaire, c'est-à-dire le principe d'individualisation de la peine. Ce principe permet une prise en considération de multiples facteurs et une évaluation approfondie qui servent à déterminer une sentence juste et appropriée, selon les besoins de chaque personne.
De plus, ce projet de loi assène un sérieux coup aux juges relativement à la confiance qui leur est accordée. En restreignant la latitude qu'ont les juges pour déterminer une sentence, le gouvernement leur retire une partie de leurs outils discrétionnaires. Pourtant, ne sont-ils pas les mieux placés pour décider d'une peine juste et appropriée et pour évaluer la capacité de réinsertion sociale des délinquants?
Le Conseil des églises pour la justice et la criminologie du Québec a pour mission de promouvoir une justice préventive et réparatrice d'inspiration chrétienne en intervenant auprès du législateur, du contrevenant, de la victime, de la communauté et de la société par l'entremise d'activités de recherche et d'appui auprès de groupes et d'individus qui font une démarche de croissance.
En ce qui a trait au législateur, les interventions dans le cadre de ce programme sont effectuées auprès des gouvernements provinciaux et fédéral.
Pour ce qui est du contrevenant, notre action englobe toute démarche faite auprès de lui, qu'il soit prévenu ou non, détenu ou ex-détenu.
La victime, pour sa part, a une grande importance. Ce groupe d'individus laissés pour compte mérite une attention toute spéciale, si nous voulons que la réinsertion du contrevenant soit pleine et entière.
La communauté est l'ensemble des habitants d'un territoire défini par la prise de connaissance de gestes conflictuels. Ces habitants sont conscientisés face à leur propre valeur et à leur responsabilité sociale consistant à reconnaître les faits.
Pour ce qui est de la société, il s'agit de l'utilisation des diverses forces politiques et du pouvoir que déploient ces dernières face au phénomène de la mondialisation afin de promouvoir l'esprit et la lettre de la justice préventive et réparatrice.
Cette année, au Service correctionnel du Canada, s'est tenue la Semaine de justice réparatrice. On parlait de partenariats novateurs et de collaboration solide. C'est dans cette optique que travaille le Conseil des églises pour la justice et la criminologie avec ses différents partenaires.
J'ai eu l'occasion de vivre pendant 15 ans en Amérique latine comme missionnaire et je peux dire que contrairement à bien d'autres pays, le Canada est un endroit paisible et sûr. Nous sommes fiers de cette paix et de cette sécurité. Par contre, l'indignation croissante du public contre les effets de la criminalité sur la société nous préoccupe tous. Nous sommes témoins de la souffrance que ressentent les nombreuses victimes d'actes criminels. Cette situation nous incite à envisager une justice qui traite le crime en toute honnêteté et en toute équité, une justice qui contribue à la guérison des personnes, des familles et de la société dans son ensemble. La peur et l'indignation qui nous rongent nuisent à notre bien-être collectif et à notre tissu social.
La croissance de la population carcérale indique que l'on recourt trop à l'incarcération pour résoudre les problèmes d'ordre criminel et social. S'il faut reconnaître le besoin réel de nous protéger de certains délinquants représentant un risque immédiat pour la société, il faut aussi admettre que l'emprisonnement en tant que châtiment est une forme de justice coûteuse et astreignante qui est manifestement inefficace comme moyen de dissuasion. Le taux de récidive traduit également un niveau insuffisant de guérison et de réadaptation chez les délinquants. Les besoins des victimes en matière de guérison et de sécurité ne sont pas comblés. Pour régler ces enjeux, les interventions trop simplistes, qui se fondent essentiellement sur le désir de paraître dur avec les criminels, ne donneront pas les résultats escomptés, puisque notre société, dans l'ensemble, ne peut guérir que lorsque les délinquants, leurs victimes et la société en général font l'expérience de la guérison.
La forme de justice actuellement appliquée ne fonctionne pas. La souffrance et la peur continuent d'augmenter. Nous croyons que la recherche d'une justice vraie et satisfaisante est liée pour toujours à la croissance spirituelle de toutes les personnes concernées. À l'inverse, la surincarcération typique d'un esprit vengeur et d'une mentalité répressive durcit l'âme de notre pays.
Selon les modifications que propose le projet de C-10, la situation suivante peut se produire. Une personne armée d'une arme à feu longue chargée, comme un fusil de chasse, commet un vol qualifié dans un dépanneur, par exemple. Son casier judiciaire chargé compte de nombreuses déclarations de culpabilité antérieures découlant d'autres infractions relatives à des armes à feu. Elle est passible d'une peine d'emprisonnement minimale obligatoire de quatre ans. On peut consulter à ce sujet le projet d'alinéa 344(1)a.1).
Une autre personne commet un vol qualifié dans des circonstances similaires, mais elle est armée d'une arme de poing non chargée. Il s'agit d'un contrevenant primaire sans casier judiciaire. Cette personne est passible d'une peine d'emprisonnement minimum obligatoire de cinq ans. On peut consulter à ce sujet le projet d'alinéa 344(1)a). La même disposition s'appliquerait si au lieu du vol qualifié, l'infraction prenait la forme d'une agression sexuelle, d'un enlèvement, d'une prise d'otage ou d'une extorsion.
Cela démontre que la durée de la peine minimale obligatoire stipulée dans les propositions législatives dépend du statut juridique de l'arme à feu en cause plutôt que de l'importance du danger réel que présente la situation pour le public. Une arme de poing non chargée est plus grave qu'une arme à feu longue, carabine ou fusil de chasse chargée, sans égard à la situation réelle du crime et du contrevenant, au préjudice réel causé et aux considérations reliées à la victime.
Les détails techniques particuliers de cette proposition redoublent d'insultes en maintenant les peines minimales obligatoires au Canada longtemps après que la Commission canadienne sur la détermination de la peine de 1987, comme toutes les autres commissions ayant étudié la question au cours des 50 dernières années, ait recommandé l'abolition de toutes les peines minimales obligatoires — amendes et périodes d'incarcération — pour toutes les infractions, sauf le meurtre et la haute trahison. Ses motifs sont tous bien documentés, comme vous le savez sans doute, et cette critique fondamentale n'a pas changé.
Lorsque les juges doivent traiter une peine minimale obligatoire, ils ne peuvent pas tenir compte du contexte de l'infraction, soit la gravité du geste et la situation dans laquelle se trouvait la personne qui l'a commis, pour atténuer en conséquence la peine imposée. Comme il est souligné dans le rapport de la commission, les peines minimales obligatoires peuvent engendrer des peines cruelles et inhabituelles, l'emprisonnement arbitraire ainsi que l'apparition de graves préoccupations au sujet de la responsabilité au cours des procédures. Lorsque des peines minimales obligatoires s'appliquent :
[...] l'exercice de la discrétion ne se fait pas aussi ouvertement, et le pouvoir discrétionnaire passe du juge au procureur de la Couronne et à la police... et la Couronne n'exerce pas son pouvoir discrétionnaire consistant à décider de l'accusation dont elle tient compte en audience publique, mais elle le fait unilatéralement par l'entremise de négociations de plaidoyers que seul le juge connaît et que le public ignore généralement.
C'était là des propos tenus par M. Renate Mohr, criminaliste et ancien président du CEJCQ.
Finalement, ces peines posent aussi un autre problème important du fait qu'elles vont à l'encontre du principe visant à restreindre le recours à l'emprisonnement, un principe à l'égard duquel le Conseil des églises maintient son engagement depuis longtemps.
J'ai participé la semaine dernière à une convention intitulée « What works -- Pratiques efficaces pour la réinsertion sociale des délinquants à risque élevé ». J'en ai vidé le contenu afin d'apporter aujourd'hui cette courtepointe, qui me semble plus intéressante. En effet, des victimes et des offenseurs ont travaillé ensemble à la fabriquer dans le but de collaborer à la réinsertion sociale.
Merci.
:
Vous avez tous les trois parlé des principes de détermination de la peine inscrits depuis 1995 dans le
Code criminel.
Ce que j'ai trouvé intéressant, et vous abonderez peut-être dans le même sens que moi, c'est qu'un peu plus tôt dans nos délibérations, le représentant de la GRC a fait une déclaration—probablement contraire à la perception qui prévaut en général à la GRC—selon laquelle il est important de tenir compte des faits de la cause et de la situation de chaque délinquant; ce témoin a aussi reconnu, en réponse à une question que je lui ai posée, qu'on peut difficilement faire cela quand on est tenu d'imposer une peine minimale. Par conséquent, je ne crois pas qu'on puisse dire que tous les organismes d'application de la loi appuient ce projet de loi, comme le laissent parfois entendre d'autre parties.
J'aimerais maintenant aborder quelques aspects particuliers de cette mesure législative, parce que, monsieur Champagne, vous avez fait allusion à une anomalie du projet de loi qui traite différemment les infractions commises avec une arme à feu chargée ou non. Aucun parti n'a pu me donner une explication rationnelle de cette particularité, et ce n'est pas la seule anomalie de ce projet de loi.
Madame Wood, je présume que vous avez lu le projet de loi. Quelqu'un nous a donné un exemple intéressant la semaine dernière : Si le procureur a plusieurs accusations à porter, selon l'ordre dans lequel les accusations sont déposées, aux termes de ces dispositions législatives, la peine minimale pourrait être de deux ans de plus dans certains cas. Pouvez-vous le confirmer?
J'imagine que mes collègues des deux côtés de la table seront d'accord pour dire qu'on est vraiment en présence d'un panel de qualité, qui nous présente de l'information à bien des égards inédite, une bonne combinaison de science et d'humanité.
Monsieur Petit, Saint-Thomas a dit que le milieu, c'est la vertu. Vous êtes issu des collèges classiques, je crois; vous vous en rappellerez sans doute.
Je vais d'abord m'adresser à M. Champagne. Vous avez raison de nous rappeler que la Commission Archambault a dit que, au nombre de tous les principes qui doivent prévaloir en matière de détermination de la peine, de dénonciation, de réhabilitation et de dissuasion — pour ne nommer que les plus importants — se trouve celui de la réhabilitation.
Je vais profiter de votre qualité d'aumônier et du fait que vous fréquentez, sinon sur une base quotidienne, certainement sur une base très fréquente, des gens qui ont commis des crimes, dont je présume qu'un certain nombre sont assez graves.
Comment un individu peut-il se réhabiliter? Quel lien existe-t-il entre la réhabilitation des individus et le fait qu'ils soient sous surveillance? En effet, le système correctionnel canadien ne permet pas de laisser les individus sans surveillance, même dans le cas d'une libération d'office.
Pourquoi est-il important d'avoir des programmes de réhabilitation? Votre expérience quotidienne vous amène-t-elle à avoir confiance en la capacité des gens de s'amender? De quelle façon les programmes peuvent-ils tendre vers cet objectif?
:
Ce n'était pas sur la violence, mais contre la violence. Je vous remercie de vos explications.
Il arrive parfois que l'on doive sévir et qu'on envoie les gens derrière les barreaux. Il arrive que la sanction appropriée soit l'emprisonnement. On n'est pas naïfs au point de penser que ces cas n'existent pas. Cependant, en matière de détermination de la peine, autant il faut souhaiter des peines maximales, autant le Bloc est convaincu que les vertus dissuasives des peines minimales n'ont aucun fondement scientifique. Je pense d'ailleurs qu'il y a à cet égard un assez bon consensus ici, autour de la table, du moins parmi les partis d'opposition. La greffière, qui est l'une des plus compétentes de la Chambre, nous envoie chaque jour des textes traduits qui viennent le confirmer.
La littérature scientifique n'est pas en faveur des peines. Vous rendez-vous compte de la situation dans laquelle on se retrouve, comme législateurs? Notre gouvernement nous demande d'adopter des lois qui vont à l'encontre de toutes les données probantes et concluantes.
Je vous ai trouvé très éloquent dans le plaidoyer que vous avez fait, et j'en redemande encore. Expliquez-nous pourquoi la littérature scientifique ne devrait pas nous amener, comme législateurs, à adopter un projet de loi qui est mal rédigé, mal conçu et qui, finalement, ne devrait pas survivre à l'étape de l'étude en comité.
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Je ne suis pas sûr d'avoir bien compris votre question, mais je vais quand même tenter d'y répondre.
Si j'ai bien compris, vous demandez pourquoi les études scientifiques n'appuient pas davantage ce genre de mesures législatives. C'est probablement parce qu'elles ne le peuvent pas, du moins, j'imagine.
De très nombreuses études ont été faites sur ce sujet et il est vrai qu'une poignée d'entre elles semblent donner des résultats contraires, mais la très grande majorité des études attribue ces faits à d'autres facteurs.
Par exemple, aux États-Unis, on a remarqué que, dans certains cas, les taux de criminalité baissaient après l'imposition de peines minimales obligatoires, mais après un examen attentif, on a constaté que cette diminution s'était amorcée avant que ne soient adoptées les peines minimales. Par conséquent, le taux de crimes avec violence était tout simplement déjà à la baisse à cette époque, pour diverses raisons. Il est pratiquement impossible d'attribuer ce déclin aux peines minimales obligatoires.
La meilleure réponse que je peux donc vous donner, c'est que ce n'est pas le cas.
:
Oui. Nous nous en excusons.
Une voix: C'est une des deux langues officielles.
[Traduction]
Mme Alexi Wood: Dans notre mémoire, nous citons plusieurs études: l'une d'entre elles, que mon collègue a déjà mentionnées, est celle de Doob et Webster; il y a aussi celle de Doob et Cesaroni, ainsi que plusieurs études qui ont été menées par Julian Roberts. Bon nombre d'entre elles sont citées dans notre mémoire.
En outre, quand on a commencé à discuter de ce projet de loi, le ministre de la Justice nous a signalé quatre États américains qui avaient connu du succès avec les peines minimales obligatoires. Or, en dépit de nos demandes écrites adressées à son bureau, nous ne savons toujours pas à quelles études le ministre faisait allusion, surtout dans le cas de l'État de New York.
Une étude a été menée en Virginie qui a permis de constater trois choses; il est donc difficile de conclure que les peines minimales obligatoires seules ont entraîné la baisse de la criminalité. Comme je l'ai dit, on a recensé trois facteurs.
En Floride, comme l'indique le résumé législatif qui a été distribué, rien ne prouve que la criminalité ait baissé par suite des efforts déployés par la Floride.
Par conséquent, même les déclarations qui ont été faites sur le succès qu'auraient connu quatre États américains avec les peines minimales obligatoires sont discutables.
Premièrement, merci d'être venus, monsieur Champagne, monsieur Stewart, madame Wood et monsieur Borovoy.
J'aimerais d'abord faire un bref exposé, car je voudrais bien comprendre. Monsieur Stewart, vous avez déposé un document en français que j'ai en ma possession et dans lequel il y a des graphiques. L'un de ces graphiques étaye votre position, à savoir que lorsqu'on est en chômage, on commet plus de crimes, c'est-à-dire des vols qualifiés.
Je suis originaire du Québec où, en moyenne, on compte 10 p. 100 de chômeurs, ce qui représente environ 388 000 personnes. On compte aussi 500 000 bénéficiaires de l'aide sociale parce qu'ils ne sont plus prestataires de l'assurance-emploi. On attend à peu près 17 à 18 p. 100 de la main-d'oeuvre. Or, Terre-Neuve-et-Labrador et le Nouveau-Brunswick en comptent respectivement encore plus que le Québec, et vous semblez dire que dans ma province, au Québec, les gens sont plus susceptibles de commettre des crimes, selon votre étude. En effet, c'est ce que vous affirmez dans votre document: vous faites une relation entre le chômage et les crimes violents.
Il y a 33 ans que je pratique au Québec, et j'ai consulté les statistiques parce qu'on doit plaider les sentences. Et Dieu sait qu'on doit souvent les plaider. Je peux vous affirmer, d'abord, que ce n'est pas vrai. Ce n'est pas vrai non plus qu'à Terre-Neuve-et-Labrador, il y a plus de criminels parce qu'il y a plus de chômeurs. Ce n'est pas vrai pas.
Cependant, je vais vous poser une question à laquelle j'aimerais que vous répondiez. En Alberta, les gens sont très riches; en Ontario aussi. Ils sont plus riches qu'au Québec, qu'à Terre-Neuve-et-Labrador et qu'au Nouveau-Brunswick, mais c'est pourtant en Alberta et en Ontario qu'il y a le plus de criminels.
Comment expliquez-vous que, dans une province riche, on commette des vols à main armée, alors que vous tentez de nous dire que les pauvres, dans une province pauvre, sont ceux qui commettent le plus de crimes? Cela ne tient pas debout. J'aimerais savoir pourquoi, dans les provinces riches, il y a plus de criminels qui commettent des crimes à l'aide d'armes à feu, alors que dans les provinces pauvres, il n'y en a pas?
Monsieur Stewart, j'aimerais vous entendre.
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Ce n'est pas le tableau qui est erroné, mais plutôt l'interprétation que vous en faites. Je voulais simplement montrer que d'autres facteurs peuvent expliquer les variations du taux de criminalité bien mieux que les peines. Ce que je voulais dire, au sujet de ce tableau et du tableau précédent, c'est qu'on ne peut expliquer les variations du taux de criminalité à l'échelle du pays en invoquant simplement la politique en matière de détermination de la peine. Le fait que la violence était très présente dans certaines régions et beaucoup moins dans d'autres régions ne peut être attribué aux différences en matière de police, de procédures judiciaires, de services correctionnels ou de détermination de la peine.
Au Canada, il n'y a qu'un seul Code criminel fédéral. Les structures et compétences sont très semblables d'une région à l'autre. Si, par exemple, dans une ville comme Regina, il y a eu une augmentation de 50 p. 100 des crimes avec violence sur dix ans alors qu'ailleurs, à St. John's, par exemple, il y a eu une diminution de 50 p. 100 pendant la même période, il est évident que ce n'est pas attribuable aux peines qui sont imposées.
De même, des différences dans les conditions économiques importantes, tel que le taux de chômage, peuvent entraîner des changements dans le taux de criminalité que vous ne pouvez attribuer... Vous ne pouvez trouver de données semblables ailleurs qui prouvent que les changements apportés à la politique relative aux peines auraient le même effet.
J'estime donc que si vous voulez lutter contre les crimes graves et violents, adoptez des mesures qui donneront des résultats. Remanier sans cesse le régime de peines ne donnera aucun résultat. Rien ne prouve qu'il vous permettra d'atteindre votre objectif.
Le député a demandé pourquoi il ne semble pas y avoir de données concluantes sur les effets dissuasifs des peines.
Je voulais seulement dire que voilà maintenant bien des années que je viens témoigner devant des comités parlementaires, et il semble que chaque fois, on pose les mêmes questions : Quel est le châtiment parfait? Quelle est la durée de l'incarcération qui fera toute la différence?
Moi, j'estime que la peine est très peu pertinente. La plupart des gens ont toutes sortes de bonnes raisons de ne pas commettre de crime. Moi, par exemple, je ne volerai pas de voiture en sortant d'ici, et ce, pas parce que je crains d'aller en prison, pas parce que j'ai peur du châtiment, mais plutôt en raison de mes valeurs, de mon milieu et des circonstances présentes.
Par conséquent, si nous voulons comprendre la criminalité et ce qui pourrait influer sur la criminalité, nous devons abandonner cette idée selon laquelle on commet des crimes simplement parce que le châtiment n'est pas assez sévère. C'est une équation très simple dont la pertinence est très limitée. Il y a bien d'autres facteurs, dont je viens de parler, qui sont beaucoup plus importants.
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Oui, moi, et Alexi aussi je pense.
Comme nous l'avons dit, il y a des études qui disent qu'il y a une relation. La plupart des articles qui avancent cette thèse sont en fait rédigés par des économistes, pas par des criminologues.
Par exemple, la principale étude, celle dont nous devrions parler, présentait des données pour tous les deux ans, plutôt que pour chaque année et concluait à une baisse marquée et immédiate de la criminalité en Californie tout de suite après l'adoption de peines sévères pour certains crimes.
Pour leur part, les chercheurs canadiens Tony Doob — qui comparaîtra la semaine prochaine et pourra mieux répondre à cette question que moi — et Cheryl Webster ont recréé ces données et ont constaté qu'en insérant les données pour les années manquantes, la baisse du taux de criminalité commençait bien avant l'adoption de la loi en question.
L'ennui est que, d'un point de vue statistique, il y a depuis longtemps une baisse soutenue du taux de criminalité dans l'ensemble de l'Amérique du Nord, et en fait dans le monde entier, depuis 20 ans et chacun prétend que c'est ce qu'il a fait pendant cette période qui est responsable de cette baisse. Il y a donc une pléthore d'études, habituellement de petite portée, par des États ou des pays et des politiciens ayant fait adopter un projet de loi qui affirme que c'est leur projet de loi qui est à l'origine de cette baisse.
Le seul moyen de vraiment comprendre ce phénomène est de le situer dans le contexte d'une baisse générale des taux de criminalité au cours des 10 dernières années. Lorsqu'on le fait , on constate presque inévitablement que les baisses que certains attribuent à leur projet de loi avaient déjà commencé à se manifester avant l'adoption de ces mesures.
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Merci, monsieur le président.
Les peines d'emprisonnement minimales obligatoires ont déjà fait l'objet d'une autre mesure, d'un projet de loi d'initiative parlementaire que j'avais présenté et qui visait les actes criminels graves. Je proposerais au comité de relire le compte rendu de cette audience, parce que des gens comme vous et les partisans du point de vue contraire ont fait valoir d'excellents arguments. Les amendements proposés m'ont semblé tout à fait équilibrés.
Je suis cependant consterné par ce qui s'est dit ici aujourd'hui, parce qu'on n'a présenté qu'un côté de la médaille. Personne aujourd'hui n'a prononcé le mot « victime ». Oui, vous avez bien mentionné, monsieur, que dans certains cas les victimes veulent rencontrer le délinquant, mais je vous assure que dans beaucoup de cas, les victimes ne veulent absolument pas rencontrer les délinquants, quand celui-ci leur a causé un tort immense. Nous avons aussi l'obligation... En tant que parlementaires, notre principal devoir est de veiller à la santé, à la sécurité et à la protection de la société canadienne. Et dans cette étude, il me semble que cet élément ait sa place.
Je suis d'accord avec les propos de M. Borovoy à plusieurs égards, lorsqu'il affirme que ce n'est pas la seule solution. Je reconnais pleinement que les peines minimales obligatoires ne sont pas la seule solution.
Je reconnais, monsieur Champagne, que les programmes de réadaptation offerts à nos délinquants incarcérés sont lamentables, que c'est une honte. Nous n'accordons pas à la réadaptation l'importance qu'elle doit avoir et nos méthodes sont déficientes. Tant de choses pourraient être accomplies si on faisait de la prévention, si on répondait aux besoins sociaux et si on s'attaquait au problème de la pauvreté, par exemple. Cependant, il faut aussi comprendre qu'un genre de sanction peut être efficace comme moyen de dissuasion.
Monsieur Borovoy, je vais m'attacher à l'argument qui d'après vous est capital. Les peines minimales obligatoires ont donné de bons résultats à maintes reprises et je peux présenter au comité des documents faisant état de tels succès dans beaucoup de pays qui n'ont pas été mentionnés aujourd'hui. Cependant, ces peines obligatoires n'ont eu un effet que lorsque la population en était informée, grâce à de vastes campagnes de relations publiques; ainsi, le criminel sait qu'il subira des conséquences. Autrement, comme l'a indiqué M. Stewart, tout le monde s'en moque et personne n'est au courant parce que personne ne se préoccupe de cette question.
Là où les sanctions comme les peines d'emprisonnement minimales obligatoires ont été accompagnées d'une vaste sensibilisation de l'opinion publique, elles ont eu un effet vérifiable. Et je peux vous remettre également une étude, que notre greffière a trouvée, au sujet de la ville de Détroit, où on a observé une réduction de 10 p. 100 par mois. On a mentionné le projet Exile en Virginie. J'y étais au moment où il a été instauré et mes enfants faisaient leurs études universitaires en Virginie. En deux ans, le nombre de meurtres a diminué de 40 p. 100. C'est un chiffre appréciable; il ne s'agit pas de 1, 2 ou 4 p. 100. Cela correspond à 500 ou 600 personnes par an et cet effet a été démontré. En Floride, on a adopté la loi des 10 ans-20 ans-perpétuité, ce qui a entraîné une baisse de 28 p. 100.
Vous avez évoqué des statistiques avant et après l'instauration de telles sanctions et lorsque vous les avez regroupées, il y avait déjà une baisse. Or, il y a toute une différence entre une diminution de 1, 2 ou 3 p. 100, tout de suite après l'application de peine « minimale obligatoire » et une chute de 23, 24 ou 25 p. 100. Très franchement, je crois que c'est un argument bidon. Regardez un peu ces chiffres, puis faites-moi un petit tableau. Moi, je présente au comité des preuves documentaires, des statistiques sur la criminalité. Voici de l'information du ministère des services correctionnels de la Floride, décrivant la situation avant l'application de ces sanctions et depuis leur application; ces statistiques sont très éloquentes.
Vous avez une obligation. Vous affirmez que les peines minimales obligatoires ne semblent avoir aucun effet. Et pourtant, il y a des données qui démontrent le contraire dans plusieurs régions où on a appliqué de telles mesures de façon efficace et correctement, comme la Virginie, la Floride, la ville de Détroit, ou la Pennsylvanie.
Notre comité a entendu précédemment les témoignages de porte-parole de l'Association canadienne des chefs de police et de l'Association professionnelle de la police canadienne, qui représentent 74 000 hommes et femmes dans l'ensemble du pays; or ils sont unanimement favorables à ce genre d'activité. Se pourrait-il qu'ils aient tous tort?
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Je vous remercie, monsieur le président.
Dans un sens, monsieur Kramp, vous invoquez l'argument d'autorité. Vous êtes en train de nous dire que « Big Brother, les flics nous disent telle et telle chose ». Nous nous fondons de part et d'autre sur les spécialistes en sciences sociales. Toutefois, à moins de confronter nos études respectives point par point, nous allons simplement nous lancer à chacun nos vérités à la figure, ce qui ne nous donnera pas grand' chose.
Oui, nous avons cité les études exhaustives des travaux de recherche en ce domaine pour affirmer que ces policiers ont tort de conclure comme ils l'ont fait, car leur examen des travaux est plutôt superficiel et partiel. Si vous me permettez toutefois, dans l'intérêt... C'est l'ancien conciliateur syndical en moi qui parle ici et qui aimerait tenter quelque chose avec vous.
Supposons que nous disions « si vous tenez à une punition quelconque, plutôt que de la rendre obligatoire, que diriez-vous d'une peine minimale présomptive? » Selon cette hypothèse, on n'imposerait pas toujours la peine en question. Les juges sauraient quand même qu'aux yeux du législateur, ce genre de crime doit être sanctionné par une peine aussi lourde, mais ils demeureraient libres de ne pas l'imposer en l'absence de preuve.
Telle est la solution que je vous propose. Nous pouvons toujours débattre de la valeur des chiffres, mais aussi, à mes yeux, vous en avez tiré des conclusions erronées. Mais existe-t-il la moindre raison de rejeter une peine minimale présomptive plutôt que de choisir une peine minimale obligatoire ou contraignante?
Je tiens à tracer mes arguments dans un sens. J'ignore si vous vous souvenez de mon témoignage la première fois que j'ai été entendu là-dessus, c'est comme si c'était il y a un siècle.
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Votre parti l'a fait, Sue. Vous êtes-vous présentée pour le Parti libéral? À mon avis, oui. Or tous les libéraux ont eu dans leur programme électoral l'augmentation des peines minimales obligatoires. Ils auront beau s'écarter de cette position aujourd'hui, tel était bien leur programme d'alors; je l'avais noté.
Nous avons entendu les propos du chef Blair de la police de Toronto. Selon lui, lorsque son corps policier s'est concentré sur un groupe précis, dont certains membres commettaient un nombre élevé de crimes au moyen d'armes à feu, et a réussi à arrêter un petit nombre de récidivistes — les gens qui utilisaient ces armes de poing pour perpétrer leurs crimes — le taux d'homicides a vraiment dégringolé et a presque été réduit à néant. On a ensuite observé un homicide par an commis par des membres du même groupe, par opposition aux 24 commis pendant la période précédant ces interventions. Enfin, c'est ce que je crois, car je ne connais pas les chiffres exacts. Je sais cependant que la diminution a été phénoménale.
Voilà ce que ce projet de loi fait en partie. Il comporte en effet des peines plus lourdes pour les récidivistes. Nous n'essayons pas d'écraser le premier délinquant, et vous avez d'ailleurs mentionné le cas d'un agent de police se trouvant dans cette situation lorsqu'il poursuivait un voleur.
C'est sur quoi ce projet de loi se concentre particulièrement: les infractions commises au moyen d'une arme à feu. Elles sont un véritable fléau dans nos rues. Selon ces dispositions, si quelqu'un commet ce genre de crime une fois, il fera l'objet d'une peine minimale obligatoire. Si, il ou elle récidive, la peine sera encore alourdie. Sa portée est donc ciblée.
J'aimerais aussi savoir ce que vous répondez au chef de police, d'après lequel mettre un petit nombre de délinquants derrière les barreaux les empêchent de nuire dans la rue? Ils ne sont plus dans les rues de Toronto ou ailleurs pour y commettre des crimes. Ce dont je parle, c'est de protéger la société. Que répondez-vous à cela?
Dire qu'un seul parti — pour des raisons partisanes, à mon avis — se préoccupe de la sécurité publique et des victimes est tout simplement faux. Ce que je veux dire, c'est que lorsque vous dites que la sécurité publique est fonction de l'imposition de peines, en réalité, vous réduisez la sécurité. En effet, ce n'est que l'incarcération, dans la détermination de la peine, qui permette une certaine sécurité, mais tout le reste, d'après toutes les études que j'ai lues — et j'ai passé des mois à travailler sur cette question —, vous vous trompez parce qu' en fin de compte le public sera moins en sécurité. Si je me trompe carrément à ce sujet, dites-le-moi, parce que, honnêtement, je serais moi-même favorable à ce que l'on ait beaucoup de peines minimales obligatoires, si je trouvais des données empiriques qui prouvent que cela favorise la sécurité publique. Or, l'inverse n'est pas vrai et c'est pourquoi mon parti et moi-même adoptons la position que vous connaissez.
Que ceux qui veulent me répondre le fassent , s'il vous plaît. Il ne me reste sans doute que cinq minutes, alors je vous demande de vous en tenir à cela.
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Puisque nous n'avons pas beaucoup de temps, je serai brève.
Tout comme vous, j'aimerais avoir des preuves que ces mesures sont efficaces. Il serait bon de savoir que tous les États qui ont adopté ces lois ont noté une diminution du taux de criminalité, par exemple. Mais les preuves n'existent tout simplement pas. Comme vous, j'ai passé pratiquement tout l'été à me pencher sur ce dossier, et il en va de même pour mon équipe, afin de passer en revue tous les renseignements fournis.
La première chose que nous avons faite a été d'étudier la situation dans les États mentionnés par le . Comme je l'ai dit auparavant, même si nous sommes entrés en contact avec son bureau... Nous lui avons écrit et nous avons dit « Pouvez-vous nous dire quelles études vous mentionniez, parce que nous n'arrivons pas à les trouver. Si vous avez des études qui démontrent l'impact positif de ces mesures, monsieur, nous aimerions les voir. »
J'ai passé des mois à essayer de trouver ces documents et j'ai écrit au ministre de la Justice, lui demandant de me montrer ces études. Les études que nous avons pu découvrir appuient ce que vous dites, soit que les peines minimales obligatoires à elles seules ne réduisent pas le taux de criminalité.
On pourrait croire que ce genre de mesures seraient utiles à cet égard. Cependant, elles ne diminuent pas du tout le taux de criminalité.
Les gens disent « Voici pourquoi nous voulons adopter des peines minimales obligatoires: pour empêcher la criminalité, pour protéger les victimes, pour mettre un frein à la violence associée à l'utilisation d'armes à feu ». C'est vrai, il s'agit d'objectifs fort louables, personne n'oserait dire le contraire.
Je me rends souvent dans des écoles secondaires pour parler aux jeunes, ça fait partie de mon emploi, et j'ai trois questions que je propose aux jeunes lorsqu'ils étudient un règlement, qu'il s'agisse d'un règlement scolaire ou d'une loi du pays. La première question qu'il faut se poser est pourquoi. Très bien, nous savons pourquoi. La deuxième question, est-ce que ce règlement est utile? Malheureusement, toutes les preuves que nous avons eues semblent indiquer que ce n'est pas le cas. La troisième question qu'il faut se poser est la suivante: quel autre impact a cette mesure? Et comme mon collègue l'a dit, il y a beaucoup d'autres impacts associés à ces mesures. Ce policier est derrière les barreaux depuis cinq ans, et je suis convaincue que personne n'est d'accord avec cela.
De plus, je pense qu'il s'agirait pratiquement d'une excuse facile : « nous avons infligé ces peines minimales obligatoires, nous avons donc fait ce que nous devions faire ». Non. Les peines minimales d'emprisonnement ne réduiront pas le taux de criminalité. Rien n'indique que c'est là un des impacts de ces mesures.
De plus, et c'est mon dernier commentaire, nous devons essayer de répondre à votre question, pourquoi; si nous étudions la raison pour laquelle vous voulez adopter ces projets de loi, à mon avis, il n'existe aucune raison pour laquelle notre proposition d'une peine minimale obligatoire présomptive ne vous permettrait pas d'atteindre votre objectif. Si votre objectif est vraiment de faire tout ce que vous avez dit, je ne vois pas pourquoi une peine minimale présomptive ne fonctionnerait pas, parce qu'elle permettrait d'atteindre les objectifs que vous avez cernés, en plus d'éviter certains des impacts négatifs que nous avons déjà recensés comme l'affaire Latimer, comme ce dossier que nous avons mentionné, celui de ce policier. Oui, ces cas ne sont pas nombreux, mais ils existent quand même.
J'aimerais simplement faire un petit commentaire parce que je ne voudrais pas que vous ayez une fausse impression de la police. Le policier de Toronto a fait preuve de beaucoup de compréhension. Il a parlé dans des articles qui ont été publiés à la première page des journaux de Toronto des origines du crime et il a également abordé les choses qu'il fallait faire pour lutter contre la criminalité.
Je serais fort heureux d'obtenir ces documents de M. Kramp, mais j'aimerais signaler aux fins du compte rendu que le comité n'a rien reçu qui prouve les avantages dont a fait état le ministre à l'exception du document Levitt, et vous avez réfuté les conclusions qu'on en avait tirées, car dans son document on nous a dit que c'était de bonnes mesures à prendre; vous avez dit qu'il n'y avait pas vraiment de pouvoir de dissuasion, qu'il n'existait aucune preuve scientifique à cet égard — et il s'agit là des seuls documents sur lesquels nous pouvons fonder...
Les témoins et l'opposition pensent beaucoup plus à la protection des victimes, de la société, s'inspirant des éléments de preuve dont ils disposent; nous avons hâte de lire votre opposition aux conclusions atteintes dans le rapport Levitt. Ce que nous voulons c'est une plus grande sécurité pour la société.
Monsieur Stewart, en terminant, vous avez dit que l'imposition de peines minimales obligatoires n'avait pas entraîné une réduction du taux de récidive, et qu'en fait ce taux pouvait augmenter. Ces contrevenants seront un jour libérés, et la société pourrait être encore plus en danger, pour les victimes comme pour le reste des Canadiens. C'est une conclusion que nous pouvons tirer de tous ces témoignages. J'aimerais seulement savoir ce que vous en pensez.
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Dans la mesure où il existe des preuves — elles ne sont pas très convaincantes, mais suffisamment — le taux de récidive pourrait être réduit...
M. Paul Gendreau de la St. Thomas University démontre dans quelle mesure il existe un lien. En fait il démontre que plus de temps le contrevenant passe derrière les barreaux, plus y a de chance qu'il récidive. Tout semble indiquer que le pénitencier est une école pour les criminels. Il tend à renforcer les valeurs anti-sociales et sépare le contrevenant des services de soutien et des responsabilités de sa communauté qui l'encouragent justement à essayer de réussir.
Je pourrais également signaler que nous avons passé la semaine dernière — et j'entends par-là ceux qui oeuvrent dans le secteur de la justice pénale — à une importante conférence qui a été organisée ici à Ottawa par Sécurité publique et Protection civile Canada sur la façon d'assurer une bonne réintégration des contrevenants qui présentent des risques élevés. Nous parlons ici de risques élevés; pas simplement du simple prisonnier qui a purgé une peine dans un pénitencier fédéral.
J'aimerais signaler que pendant les deux jours de cette conférence personne n'a dit que la détermination de la peine présentait une solution. Personne n'a même dit que l'emprisonnement était utile pour une raison ou pour une autre.
Cependant, toutes sortes de preuves ont été présentées, et à plusieurs reprises d'ailleurs, d'études et de programmes qui avaient su réduire de 50 p. 100 le taux de récidive des contrevenants reconnus coupables d'infractions très graves.
Nous pouvons prendre des mesures qui changeront vraiment la situation et qui auront un impact concret sur des gens. En fait, il faut tout simplement choisir. Je crois qu'il vaudrait mieux investir nos ressources dans des secteurs ou des programmes qui ont déjà fait leur preuve.