:
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie infiniment tous les membres du Comité, le personnel, et particulièrement le mien, de tout le travail abattu à ce sujet. Je l'apprécie beaucoup.
[Français]
Bonjour, cela me fait plaisir d'être ici aujourd'hui.
[Traduction]
Habituellement, comme le président l'a mentionné, je vous présenterais ma motion, mais je me trouve à comparaître après plusieurs excellents témoins. Je pense que vous avez probablement tous déjà une très bonne compréhension de ce que j'essaie d'accomplir avec la M-194.
Pourquoi est-ce que je voulais que le Comité étudie l'emploi précaire au Canada? Je pense que le Canada doit pouvoir définir la notion d'emploi précaire d'une façon structurée et cohérente, de manière à ce que nous puissions reconnaître les vulnérabilités et les indicateurs éventuels qu’il est possible de cerner uniformément à l’échelle du pays. L'objectif est d'élaborer une politique qui ciblera les personnes qui en ont le plus besoin. Le coeur de cette motion, le résultat escompté le plus important est de jeter les meilleures assises possible pour concevoir une politique appropriée et pertinente.
Ma circonscription de Sault Ste. Marie a connu sa part de difficultés en matière d'emploi. Quand on entend parler des collectivités qui y sont confrontées, c'est souvent en termes généraux, et l'on parle de faible revenu, de chômage et de ralentissement économique. Cependant, quand je suis allé frapper aux portes de mes électeurs pour qu'ils me parlent de leur journée, j'ai entendu des histoires personnelles bien plus complexes qu'une simple histoire de « chômage ». Il y avait des personnes qui avaient un emploi, mais qui avaient peur que leur contrat ne soit pas renouvelé. Il y avait des personnes qui travaillaient à temps plein, mais n'avaient pas de congés de maladie, ni de congés payés du tout. Il y avait des personnes qui cumulaient deux ou trois emplois à temps partiel pour réussir à toucher un salaire à temps plein.
J'ai trouvé tout cela extrêmement intéressant. Je me suis mis à me demander à quel point ce genre de scénarios d'emploi était courant au Canada et qui ces réalités touchaient le plus. Comme je l'ai mentionné brièvement pendant l'un des témoignages, j'ai moi aussi eu à occuper ce qu'on pourrait considérer comme un emploi précaire, je travaillais à contrat pour le secteur public à titre de propriétaire d'entreprise. J'étais aussi travailleur autonome.
En étudiant cette mosaïque de l'emploi incertain, j'ai constaté qu'il y avait énormément de recherches sur les diverses formes d'emplois précaires. J'ai été surpris de constater qu'il n'existait toutefois aucun consensus tangible sur ce qui définit l'emploi précaire et ceux qui en souffrent. Mais surtout, j'ai constaté qu'il n'y avait pas d'idée structurée de ce que nous pouvons faire pour contrer cela, parce qu'il y a trop de définitions différentes de l'emploi précaire au Canada.
Par exemple, selon l'Organisation internationale du Travail, on entend généralement par emploi précaire un emploi où les droits et les protections sont inadéquats ou insuffisants. Cette définition peut s'appliquer à l'emploi informel, mais aussi à plusieurs formes d'emploi officiel, comme la sous-traitance, les contrats temporaires, le travail temporaire, certains types d'emploi autonome et le travail à temps partiel involontaire. Ces types d'emplois officiels sont considérés les plus précaires parce qu'ils sont associés à une sécurité et une stabilité financières moindres, en raison d'un salaire généralement bas, d'un faible accès à des avantages comme un régime de pension privé ou à une assurance santé complémentaire, ainsi que d'une plus grande incertitude quant au revenu d'emploi futur. Je pense que l'un des fondements clés de la définition doit clairement être la sécurité d'emploi par rapport à la sécurité du revenu. L'employeur détermine la sécurité d'emploi, mais nous pouvons prendre des mesures pour accroître la sécurité du revenu aussi, comme de légiférer pour imposer un revenu de base, une égalité de base et des normes sur les congés protégés.
Comme les caractéristiques de l'emploi précaire varient énormément, il est difficile de l'étudier au moyen des statistiques actuelles sur la main-d'oeuvre. Les études actuelles mettent l'accent sur les types d'emplois les plus susceptibles d'exposer la personne à des conditions précaires. La semaine dernière, le Comité a entendu Colin Busby, coauteur d'un rapport avec l'Institut C.D. Howe intitulé Precarious Positions: Policy Options to Mitigate Risks in Non-standard Employment, auquel je renvoie dans mes recherches. M. Busby est une figure de proue de la recherche sur la politique en matière d'emploi. Il a ajouté des éléments très pertinents pendant son témoignage. Il a souligné que si Statistique Canada suit actuellement l'emploi non standard et que ses données sont utilisées dans les recherches sur l'emploi précaire, ce ne sont pas vraiment des données appropriées. Il précise que les données actuelles ne permettent pas d'établir statistiquement comment les différents groupes sociaux sont touchés par le phénomène. La définition de l'emploi précaire permettra de colliger des données plus appropriées.
De même, nous avons besoin de données pour évaluer les effets à long terme de la précarité sur les groupes les plus vulnérables à la précarité d'emploi. Qui est le plus susceptible de vivre de la précarité à long terme? Si les statistiques actuelles sont une mesure imparfaite de l'emploi précaire, les tendances et les effets de composition de ces statistiques nous procurent des indices importants sur l'état de la précarité d'emploi et son incidence sur la société canadienne.
Certains groupes sont plus susceptibles que d'autres d'être confrontés à l'emploi précaire. Ce que les données actuelles de Statistique Canada nous montrent, c'est que si personne n'est à l'abri des effets de l'emploi précaire, les membres de certains groupes sont plus susceptibles d'occuper des emplois précaires que d'autres. Un rapport récent du Centre canadien de politiques alternatives intitulé No Safe Harbour permet de conclure que plus du cinquième des professionnels du Canada (22 %) occupent une forme d'emploi précaire au Canada, qu'il s'agisse de travail à temps partiel, de contrats ou de pige. Selon ce rapport, que je vous cite, le travail précaire « touche tous les secteurs professionnels, toutes les professions, tous les niveaux de rémunération, ainsi que tous les âges et toutes les étapes de la carrière ».
Cependant, en ce qui concerne les femmes, comme on l'a dit, plusieurs études montrent clairement que le marché du travail joue contre elles. Autrement dit, les femmes sont démesurément touchées par l'emploi précaire. Les professionnelles sont plus susceptibles que leurs homologues masculins d'occuper un emploi précaire, puisque les femmes représentent 60 % de tous les professionnels qui occupent un emploi précaire. En 2017, 62 % des travailleurs occupant un emploi à temps partiel involontaire et 52 % des travailleurs temporaires étaient des femmes. Les nouveaux arrivants sont également extrêmement à risque d'y être confrontés.
Malheureusement, on ne peut pas compter sur l'âge ni sur l'expérience pour l'éviter non plus. Les données indiquent une hausse de l'emploi précaire chez les 55 ans et plus, de même que chez ceux qui cumulent au moins 10 ans d'expérience dans leur profession. On parle là de personnes qui ne sont qu'à 10 ou 15 ans de la retraite. Si elles ne peuvent pas mettre d'argent de côté pour assurer leur retraite, comment s'en tireront-elles plus tard?
Les jeunes travailleurs sont les plus susceptibles d'occuper un emploi précaire. Selon Statistique Canada, en 2017, 32 % des travailleurs de 15 à 24 ans occupaient un emploi temporaire, comparativement à 10 % des 24 à 55 ans et à 11 % des 55 ans et plus.
Pour ce qui est de l'éducation, il est intéressant de souligner que le niveau de scolarité ne suffit pas à lui seul pour se prémunir contre ce problème. Selon ce sondage, les professionnels en situation d'emploi précaire sont plus susceptibles d'avoir un diplôme postsecondaire — dans une proportion de 30 % — que ceux qui n'occupent pas d'emploi précaire, dans une proportion de 23 %.
De même, le fait d'occuper un emploi à temps plein ne suffit pas toujours à éviter la précarité, puisque 26 % des travailleurs en situation précaire auraient un emploi à temps plein. Le plus souvent, l'insécurité associée à ces emplois vient de l'absence de congés de maladie ou d'un régime de retraite.
De même, une étude de la Commission de l'Ontario conclut qu'il n'y a pas que les jeunes et les femmes qui sont surreprésentés parmi les personnes à occuper un emploi précaire, c'est la même chose des personnes racialisées, des immigrants, des Autochtones des personnes handicapées et des travailleurs les plus âgés. C'est ce que nous ont confirmé les témoins qui ont comparu devant le Comité. Ils ont aussi mis en relief le lien de cause à effet entre l'emploi précaire et la pauvreté chez les enfants et les personnes âgées.
Les données montrent aussi que l'emploi précaire est plus courant dans les conditions de travail de certains secteurs. Ainsi, la proportion d'employés temporaires est plus marquée en éducation, en information, en culture et loisirs ainsi qu'en agriculture. Les témoins ont aussi mentionné l'industrie du camionnage sous réglementation fédérale, les contrats gouvernementaux précaires et la sous-traitance, qui sont problématiques.
Dans certains secteurs, il y a un grand nombre de travailleurs temporaires et de travailleurs autonomes. Il s'agit notamment de la culture et des loisirs, de la construction, de la santé et l'aide sociale. D'autres secteurs, comme ceux de l'éducation, de l'hôtellerie, de l'alimentation, du commerce de gros et de détail affichent un plus grand nombre de travailleurs temporaires que de travailleurs autonomes. D'autres encore, comme ceux des services professionnels, scientifiques et techniques et de l'agriculture, affichent un plus grand nombre de travailleurs autonomes que de travailleurs temporaires. Le travail autonome n'est généralement pas synonyme de précarité, puisque c'est un choix, d'où l'importance d'établir des indicateurs.
Il ne fait aucun doute qu'il y a beaucoup de préoccupations socioéconomiques légitimes concernant les employés vulnérables occupant un emploi précaire. La combinaison du faible revenu, du manque de contrôle sur l'horaire, de l'absence d'avantages sociaux comme d'un fonds de pension et de prestations de santé, de congés personnels d'urgence ou de congés de maladie ou d'une partie de ces facteurs crée beaucoup d'incertitude, d'anxiété et de stress, ce qui mine la qualité de vie et le bien-être physique d'un vaste éventail de travailleurs et de familles dans notre société.
Je suis reconnaissant d'avoir pu entendre les questions réfléchies et inspirantes des membres du Comité pendant les témoignages et d'avoir pu entendre autant de témoins chevronnés sur cette question jusqu'à maintenant. Ils nous ont donné des pistes de solutions et nous ont présenté leurs points de vue sur les éléments problématiques. Surtout, leur expérience dans ce domaine et inestimable.
Les problèmes et les droits varient d'une province à l'autre. Y a-t-il des caractéristiques régionales associables à l'emploi précaire? Ce sera à définir. Les travailleurs n'ont plus de voix lorsqu'ils occupent un emploi temporaire. Nous l'avons entendu aussi. De même, la relation entre les agences de placement temporaire, les clients et les travailleurs crée de la confusion ou le non-respect de la réglementation. Les troubles de la santé mentale augmentent. La dépression, l'anxiété et la faible estime de soi, conjuguées à l'absence de définition sont telles que nous n'avons pas de politique efficace à ce sujet.
L'économie à la demande ou de partage peut offrir de la souplesse aux travailleurs. Certaines personnes choisissent des formes d'emploi différentes par désir de souplesse ou de satisfaction personnelle. Elles peuvent trouver que cela correspond à leur mode de vie. Le paysage change dans le marché du travail, avec l'innovation et l'évolution technologique, ce qui provoque une transformation profonde de la main-d'oeuvre au Canada. Les travailleurs qui ne sont pas considérés comme des employés ne se font pas émettre de T4 et par conséquent, ils ne bénéficient pas de cotisations d'employeur au RPC, entre autres choses. Nous avons entendu parler d'employés et d'employeurs qui ont eu des problèmes avec l'ARC parce que les accords qu'ils voulaient conclure ne correspondaient pas à la définition des exigences de l'ARC.
En juillet 2018, la BMO a publié un rapport sur l'économie à la demande, selon lequel 85 % des entreprises sondées prévoyaient adopter de plus en plus les principes du milieu de travail agile. Les employeurs estiment que d'ici quelques années, près du quart de l'effectif travaillera en ligne ou à distance. Il ne fait aucun doute que l'innovation est un aspect positif de l'évolution du travail, mais si l'innovation change la façon dont nous vivons et travaillons, si elle nous ouvre des portes, elle vient aussi avec de nouveaux défis pour les Canadiens.
La nature du travail change, et nous devons comprendre comment cela se répercute sur nos travailleurs pour que nous puissions mieux protéger les Canadiens. Quel rôle les syndicats jouent-ils dans ce nouveau monde du travail? Le modèle des groupes de travailleurs syndiqués tels qu'on les connaît est-il toujours efficace pour défendre les travailleurs? Est-il pertinent dans l'économie à la demande ou informatique?
Nous avons entendu d'excellents témoignages de personnes comme Francis Fong, qui a nommé beaucoup de choses. Nous avons aussi entendu d'excellentes questions. Je pense aux questions de Mme Falk à la chambre de commerce, à l'issue desquelles les témoins ont convenu qu'il fallait offrir plus de formation et faire preuve de plus de sensibilité culturelle.
Merci beaucoup. Je vous remercie infiniment de m'avoir fourni cette occasion de vous présenter mon exposé pour alimenter vos discussions.
Merci, monsieur le président.
:
Bonjour, monsieur le président, monsieur le vice-président, madame la vice-présidente et distingués membres du Comité.
Je suis ici pour vous parler de la précarité de l'emploi au Canada. Je suis accompagné, comme vous l'avez mentionné, de M. Andrew Brown, directeur général, Politiques de l'assurance-emploi, et de Mme Barbara Moran, directrice générale, Programme du travail.
Comme vous l'avez entendu à plusieurs reprises au cours des deux dernières semaines, la notion d'emploi précaire est large, et il n'y a toujours pas de consensus concernant une définition claire de cette notion au Canada et dans le monde. Par exemple, certaines organisations internationales ont tenté de définir la notion de qualité des emplois et ce que sont les conditions de travail précaires.
L'Organisation de coopération et de développement économiques, ou OCDE, a élaboré un cadre conceptuel destiné à mesurer et à évaluer la qualité des emplois en analysant trois dimensions: la qualité des revenus, la sécurité du marché du travail et la qualité du milieu de travail. Dans le même ordre d'idées, l'Organisation internationale du travail, ou OIT, a proposé quatre conditions qui définissent les emplois précaires: un salaire peu élevé, une mauvaise protection en cas de perte d'emploi, un manque d'accès à des mesures de protection sociale et à des avantages sociaux, et des possibilités limitées d'exercer ses droits.
[Traduction]
Dans l'ensemble, la précarité de l'emploi englobe tout un éventail de facteurs qui contribuent à déterminer si une certaine catégorie d'emploi expose les travailleurs à une instabilité de l'emploi, à un manque de protection juridique ou à une vulnérabilité sur les plans social et économique.
En plus de l'absence d'une définition claire de la précarité de l'emploi, les données pour mesurer ces aspects du travail sont encore très limitées. Par exemple, nous manquons de données chronologiques. On a donc souvent recours à des données indirectes pour parler de la précarité de l'emploi. Les indicateurs comprennent les emplois atypiques (c.-à-d. les emplois à temps partiel, les emplois temporaires et le travail autonome), les emplois faiblement rémunérés, le taux de protection syndicale et l'accès à un régime de retraite et à des avantages sociaux.
Bien que la prévalence de l'emploi atypique fasse partie des indicateurs les plus couramment utilisés, il s'agit souvent d'une mesure inadéquate pour évaluer la précarité de l'emploi. En outre, cet indicateur peut être trompeur. La proportion des emplois atypiques par rapport au nombre total d'emplois est restée relativement stable au Canada depuis les années 1990. Ces emplois comptent pour environ 38 % du total des emplois depuis cette décennie. Des tendances semblables ont été observées en ce qui concerne les emplois faiblement rémunérés.
Cependant, ce ne sont pas tous les travailleurs occupant un emploi atypique qui ont un emploi de piètre qualité ou qui se trouvent dans une situation précaire. Il y a de nombreux exemples à cet égard: les professionnels bien rémunérés travaillant à leur compte comme les médecins, les dentistes, les avocats et les comptables; les gens d'affaires qui ont du succès; de même que les travailleurs contractuels à salaire élevé dans le secteur de la technologie de l'information.
De plus, certains peuvent également choisir d'occuper un emploi atypique pour des raisons personnelles, pour prendre soin de leurs enfants ou pour retourner aux études. Environ les trois quarts des travailleurs à temps partiel choisissent volontairement ce type d'emploi.
Par ailleurs, même les travailleurs qui occupent un emploi traditionnel peuvent se trouver dans une situation précaire. C'est le cas par exemple s'ils ont des incertitudes quant à la durée de leur emploi ou s'ils touchent un salaire peu élevé et n'ont pas accès à des avantages sociaux. C'est pourquoi l'emploi atypique est un mauvais indicateur de la précarité de l'emploi.
[Français]
Étant donné que la précarité existe tant chez les travailleurs occupant un emploi traditionnel que chez ceux occupant un emploi atypique, il est aussi nécessaire de mieux comprendre la précarité de l'emploi chez divers groupes au sein de la population. En général, les femmes sont plus susceptibles que les hommes d'occuper un emploi atypique, et elles doivent souvent composer avec des conditions de travail plus précaires que celles des hommes. Un écart persiste entre les deux sexes en ce qui concerne le salaire horaire et les revenus annuels.
De même, les travailleurs âgés sont plus susceptibles d'occuper un emploi atypique, surtout un emploi à temps partiel, ou d'être des travailleurs autonomes. Les jeunes sont également plus susceptibles que les autres travailleurs d'occuper un emploi atypique, surtout en raison de la flexibilité qu'offre ce type d'emploi pour les étudiants.
À l'heure actuelle, nous disposons de peu de renseignements pour déterminer si d'autres groupes vulnérables, comme les membres des minorités visibles, les Autochtones, les personnes handicapées et les immigrants récents, sont plus susceptibles que les autres groupes d'occuper un emploi atypique.
Pendant que nous réfléchissons à l'avenir du travail, les changements technologiques continuent d'avoir une incidence et pourraient éventuellement changer la nature même du travail. Ces changements mènent à de nouvelles formes de travail et peuvent créer une plus grande insécurité d'emploi chez certaines personnes. Ainsi, il sera important d'obtenir de meilleurs renseignements sur l'emploi précaire et les changements technologiques.
Il demeure très difficile d'évaluer les répercussions qui seront liées à l'automatisation, et il est évident que certains groupes de Canadiens pourraient être plus touchés. Il s'agit, par exemple, de personnes faisant partie de groupes surreprésentés dans les emplois peu spécialisés offrant des salaires peu élevés, ou des personnes qui occupent des emplois routiniers.
Nous craignons également qu'en raison de l'émergence d'emplois sur les plateformes numériques, par exemple Uber, plus de travailleurs risquent de se retrouver dans une situation précaire si ces emplois entraînent un affaiblissement du lien employeur-employé.
[Traduction]
Bien qu'un grand nombre de politiques et de programmes relatifs au marché du travail aient été conçus en grande partie pour contribuer à mitiger les risques encourus par les travailleurs et les chercheurs d'emploi, elles exigent souvent l'établissement d'un lien employeur-employé et l'accumulation d'un nombre d'heures de travail suffisant pour établir son admissibilité, comme c'est le cas pour le régime d'assurance-emploi.
L'étude sur la précarité de l'emploi que vous menez pourrait également contribuer à alimenter le débat sur l'adaptabilité des règles d'admissibilité pour les travailleurs occupant un emploi précaire et favoriser l'amélioration des programmes de notre ministère à leur intention. En outre, votre étude pourrait faire le lien avec la modernisation des normes fédérales du travail en vertu du Code canadien du travail.
En 2017 et en 2018, le gouvernement a apporté, par l'entremise de la Loi d'exécution du budget, plusieurs modifications au Code canadien du travail qui garantissent, entre autres, un traitement et une rémunération équitables aux travailleurs qui occupent un emploi précaire. Le fait de mieux comprendre la précarité de l'emploi pourrait nous aider à surveiller les résultats de ces modifications législatives et à orienter l'élaboration des futures politiques.
Votre étude pourrait être menée en parallèle avec le travail qui est effectué actuellement par le Comité indépendant d'experts sur les normes du travail fédéral modernes qui a été créé récemment par la . Ce comité se penche sur plusieurs questions liées au travail précaire, comme la protection des normes du travail s'appliquant aux travailleurs qui occupent un emploi atypique et le salaire minimum.
En résumé, bien qu'il y ait des similarités entre les définitions utilisées ailleurs dans le monde, il n'existe pas une définition universelle de la précarité de l'emploi. En outre, le manque de données constitue un autre défi important que doivent affronter le gouvernement et les personnes à l'extérieur du gouvernement. Je vais laisser mes collègues de Statistique Canada vous donner des détails sur le travail qui est effectué dans le but de surmonter ces défis.
Je tiens à remercier le Comité de nous donner la chance d'exprimer nos points de vue dans le cadre de son étude de la précarité de l'emploi au Canada. Mes collègues et moi-même serons ravis de répondre à vos questions.
:
Monsieur le président et honorables membres du Comité, je vous remercie de me donner l'occasion de prendre la parole aujourd'hui pour vous parler de la précarité de l'emploi au Canada.
Statistique Canada mesure des aspects clés du marché du travail depuis au moins les années 1980 et, dans plusieurs cas, depuis 1976. J'aimerais utiliser mon temps de parole pour vous donner un aperçu de nos sources de données et de certaines des principales observations liées à la précarité de l'emploi. J'aimerais aussi vous donner une idée de nos priorités au cours des années à venir, surtout pour ce qui est de combler les lacunes en matière de statistiques et de répondre aux réalités d'une économie de plus en plus numérique.
Je tiens à souligner qu'en plus de nos sources de données courantes, nous avons une grande capacité de recherche, et nous serions heureux de travailler avec le Comité pour examiner toute question ou tout sujet de recherche spécifique que vous pourriez avoir.
Comme mon collègue d'EDSC l'a mentionné, il n'existe pas encore de définition unique de la précarité de l'emploi, que ce soit au Canada ou à l'étranger. À Statistique Canada, nous préférons penser à la précarité de l'emploi comme un ensemble d'éléments multidimensionnels à considérer. Pour les besoins de la présentation d'aujourd'hui, on entend par précarité l'insécurité de l'emploi ou du revenu.
Cette insécurité peut être considérée comme une série de risques, certains directement liés à la relation travailleur-employeur, d'autres à la famille et d'autres qui concernent l'économie en général et les protections sociales.
Un emploi peut être précaire s'il comporte une ou plusieurs des caractéristiques suivantes: les salaires, les heures de travail ou les avantages sociaux sont insuffisants pour subvenir aux besoins d'une personne ou d'une famille; la relation travailleur-employeur est temporaire ou offre des perspectives de carrière limitées; ou encore les conditions de travail sont stressantes ou dangereuses.
Les risques ou le degré de précarité auxquels doit faire faire une personne ou une famille peuvent augmenter si les grandes tendances économiques, comme la concurrence internationale ou le changement technologique, mettent certaines industries ou professions en danger, et les risques peuvent augmenter ou diminuer en raison des protections sociales auxquelles ont accès les travailleurs et leurs familles.
Compte tenu de ces définitions, j'aimerais me pencher sur trois séries de questions liées à la précarité de l'emploi.
La première série de questions porte sur les tendances relatives aux formes d'emploi au cours des dernières décennies. Si nous considérons un emploi typique comme un emploi permanent à temps plein qui comprend des avantages sociaux comme un régime de pension, les données montrent clairement que l'emploi typique est devenu moins courant depuis les années 1980, en particulier chez les jeunes travailleurs.
[Traduction]
Il est important de noter les différences entre les hommes et les femmes pour la période en question. À titre d'exemple, on observe que les taux de syndicalisation et d'accès à un régime de pensions sont relativement stables pour les femmes depuis 1981 alors qu'ils ont diminué pour les hommes. C'est le résultat de différentes tendances sous-jacentes, y compris une participation accrue des femmes dans des secteurs ayant des taux élevés de syndicalisation comme l'administration publique, les services sociaux et de santé et l'éducation.
Pendant que les tendances relatives à l'emploi traditionnel et atypique ressortent assez clairement, nous avons droit à certains signaux contradictoires concernant la précarité de l'emploi lorsque nous examinons de façon plus large nos données sur le marché du travail. À titre d'exemple, nous constatons depuis la fin des années 1990 une diminution de la proportion des employés qui gagnent moins de 15 $ l'heure. De la même façon, l'analyse des données nous indique que les taux de mise en disponibilité ont diminué depuis 1981, ce qui va à l'encontre de la perception voulant que le marché du travail offre de moins en moins de stabilité et de sécurité.
Nous nous sommes intéressés dans un deuxième temps à la contribution de l'emploi atypique à l'économie canadienne. En plus de l'évolution des pratiques en usage au sein même des différentes industries, nos données indiquent que la hausse de l'emploi atypique — comme l'emploi temporaire, le travail autonome sans employés et le travail à temps partiel — témoigne d'une baisse continue de l'importance relative des secteurs produisant des biens à la faveur des secteurs des services. La contribution de l'emploi atypique à l'emploi total est par exemple quatre fois plus élevée pour les services professionnels, scientifiques et techniques, qui comprennent les services juridiques, de comptabilité, de conception et de recherche, que pour la fabrication. Ces chiffres n'ont pas beaucoup bougé depuis 1997, la contribution de chaque type d'emploi dans ces deux secteurs étant remarquablement stable.
Le nombre total d'emplois dans le secteur de la fabrication a toutefois chuté considérablement au cours de la même période, alors qu'il n'a pas cessé d'augmenter dans les services professionnels, scientifiques et techniques, ce qui a contribué à une hausse globale de l'emploi atypique.
L'établissement de comparaisons à l'échelle internationale est une autre façon d'évaluer la contribution de l'emploi atypique à l'économie canadienne. Si l'on considère une des mesures utilisées, on constate que le Canada se situe légèrement au-dessus de la moyenne des pays de l'OCDE pour ce qui est de la contribution de l'emploi temporaire à l'emploi total.
Cette moyenne nationale cache toutefois d'importantes variations entre les provinces canadiennes, tant pour ce qui est du nombre global d'emplois temporaires que relativement aux différents types de travail non permanent.
Nous fournissons en outre un exemple plus précis illustrant les variations régionales en matière d'emploi précaire ou atypique. Si l'on considère la croissance des salaires depuis 2000, on voit clairement qu'ils ont augmenté bien davantage dans les provinces productrices de pétrole. En poussant plus loin l'analyse de la situation dans les provinces en question entre 2004 et 2015, on observe que la croissance a été plus forte chez les travailleurs peu scolarisés. C'est en soi une bonne nouvelle, car cela témoigne de la contribution que les gens de métier et les autres travailleurs spécialisés peuvent apporter à l'économie canadienne.
La situation est toutefois moins rose depuis la chute du prix du pétrole en 2015. Ainsi, les travailleurs ne possédant pas un diplôme universitaire ont vu leur salaire horaire diminuer. Voilà qui illustre simplement une forme particulière de précarité se manifestant par une vulnérabilité à l'égard des cycles économiques et du prix des produits de base.
La troisième série d'enjeux auxquels s'intéresse Statistique Canada relativement à la précarité de l'emploi concernent l'impact de la mondialisation et de la numérisation de l'économie sur la qualité des emplois. L'un des impacts possibles pourrait découler de l'émergence du travail effectué par l'intermédiaire de plateformes numériques, que ce soit via un site Web ou une application, en personne ou en ligne.
C'est le genre d'emploi susceptible d'augmenter la précarité du fait qu'il prend la forme d'une série de mandats à court terme et qu'il est rarement assorti de la gamme habituelle d'avantages sociaux.
Autant pour nous à Statistique Canada que pour nos homologues étrangers, il peut être difficile de mesurer l'ampleur de ce phénomène. Premièrement, certains travailleurs dans cette situation peuvent indiquer en répondant à notre Enquête sur la population active qu'ils sont travailleurs autonomes alors que d'autres vont déclarer être des employés. Il devient alors ardu de juger de l'évolution de la prévalence de cette forme d'emploi. Deuxièmement, certains de ces travailleurs doivent occuper un deuxième et même un troisième emploi pour accumuler un revenu suffisant. Enfin, une grande partie de ce travail s'effectue dans une perspective internationale qui ne permet pas de compter sur l'exhaustivité des dossiers fiscaux et des autres sources de données administratives.
Nous sommes déterminés à adapter nos outils de mesure de manière à pouvoir obtenir toutes les données qui nous manquent pour suivre les transformations d'un monde en pleine évolution.
Avant de conclure, j'aimerais vous présenter un aperçu de nos orientations futures pour l'évaluation de la qualité de l'emploi d'une manière générale en nous attardant notamment à sa précarité.
Statistique Canada s'est engagé à prendre différentes mesures pour combler les lacunes existantes en matière de données sur la numérisation et la mondialisation. Nous allons ainsi ajouter des questions à nos enquêtes et élaborer de nouvelles méthodes pour la collecte et l'intégration des données. Une grande partie de ce travail s'effectuera en partenariat avec d'autres organisations de statistiques nationales devant composer avec des difficultés très semblables.
Nous sommes également conscients de la nécessité de pouvoir compter sur des données plus abondantes et de meilleure qualité relativement aux répercussions de l'automatisation, de l'intelligence artificielle et d'autres sources de changements technologiques. Nous cherchons tout particulièrement dans ce contexte à améliorer notre collecte de données sur les compétences que les Canadiens possèdent et sur celles que les employeurs recherchent. Nous faisons enfin le nécessaire afin de rendre davantage disponible de l'information sur une panoplie de sujets liés au marché du travail local. Les employeurs, les chercheurs d'emploi, les professionnels de l'enseignement et les parents pourront ainsi prendre des décisions mieux éclairées.
J'aimerais conclure, monsieur le président, en vous rappelant que Statistique Canada a accumulé une multitude de données sur la situation et la qualité de l'emploi. J'espère vous avoir permis de vous faire une meilleure idée des analyses pouvant être effectuées à partir de ces données, et je me ferai bien sûr un plaisir de fournir au Comité les données plus détaillées dont il pourrait avoir besoin sur les expériences de populations, de groupes ou de régions en particulier.
Je serai ravie de répondre à toutes les questions des membres du comité.