Conformément à l'ordre de renvoi du lundi 29 janvier 2018, le Comité reprend son examen du projet de loi , Loi modifiant le Code canadien du travail (harcèlement et violence), la Loi sur les relations de travail au Parlement et la Loi no 1 d'exécution du budget 2017.
Aujourd'hui, le Comité entendra deux témoins par téléconférence. Nous accueillons Hilary Beaumont, reporter attachée au journal, à Vice News, qui se trouve à Los Angeles, en Californie. J'ai appris qu'elle est en vacances, et je suis donc très reconnaissant de sa participation. Nous accueillons également Beisan Zubi, qui est à Waterloo, en Ontario.
Je crois que nous allons accorder sept minutes à chacun de vous pour faire une déclaration liminaire. Nous allons commencer par Hilary. Les sept prochaines minutes sont à votre entière disposition.
:
Bonjour. Je remercie les députés de m'avoir invitée à témoigner au sujet de cette question urgente.
Je m'appelle Hilary Beaumont et je suis reporter attachée au journal, à Vice News, un média en ligne. J'ai un diplôme en journalisme de l'Université de King's College et j'ai suivi récemment l'atelier sur le journalisme d'enquête du Banff Centre. L'un de mes domaines est celui des agressions et du harcèlement sexuels à l'ère numérique.
J'ai publié récemment une enquête sur le harcèlement au travail sur la Colline du Parlement, en espérant faire la lumière sur la question et influencer le débat sur le projet de loi . Au cours des trois derniers mois, j'ai interviewé plus de 40 femmes qui travaillent sur la Colline, d'actuelles et d'anciennes députées, des lobbyistes, des journalistes, des membres du personnel ainsi que des stagiaires.
Il est rapidement devenu évident que les femmes sont plus vulnérables au harcèlement. Beaucoup d'entre elles m'ont fait part d'expériences négatives, allant des commentaires sexistes et des attouchements aux agressions sexuelles. Certaines ont dit avoir été renvoyées, ou avoir vu leur candidature à un poste rejetée, parce qu'elles ont essayé de dénoncer des abus. À l'heure actuelle, les employées disent qu'elles n'auraient pas la moindre idée de la façon de signaler un cas de harcèlement si elles en étaient victimes. Mon enquête a révélé que des politiques peu efficaces de lutte contre le harcèlement de pair avec une culture hyperpartisane à prédominance masculine font en sorte que les survivants sont laissés à eux-mêmes, plus particulièrement les femmes.
Le projet de loi accomplira un certain nombre de choses importantes. Les employés de la Colline seront dorénavant protégés par le Code canadien du travail, ce qui leur donnera un autre moyen de signalement. Les cas connus de harcèlement devront faire l'objet d'une enquête, et il y aura désormais une tierce partie pour recevoir les plaintes. Le projet de loi ne remplacera toutefois pas les piètres politiques actuellement en vigueur sur la Colline, et il ne fera pas disparaître les raisons culturelles qui empêchent les femmes de dénoncer les abus, y compris la loyauté envers un parti, les petits milieux de travail et le déséquilibre des pouvoirs entre les employés et leurs supérieurs. Je pense néanmoins que le projet de loi C-65 constitue un important pas en avant.
Je vais vous présenter brièvement mes recommandations dans le cadre de votre étude du projet de loi. Veuillez noter qu'elles visent précisément le milieu de travail parlementaire.
Premièrement, les plaintes de harcèlement doivent être écartées le plus possible du monde politique. La politique de décembre 2014 de la Chambre des communes est la principale politique à laquelle les employés ont accès pour signaler les cas de harcèlement. Il faut l'améliorer maintenant que les employés de tous les partis, y compris le NPD, pourront s'en prévaloir.
Les employés doivent d'abord signaler les cas de harcèlement au député qui les engage, ce qui pose grandement problème. J'ai parlé à une ancienne employée qui dit avoir été victime de harcèlement psychologique de la part d'un collègue du même échelon. Elle s'est adressée aux ressources humaines, mais on lui a dit qu'elle devait signaler la situation au député pour lequel elle travaillait. Elle était trop intimidée pour lui en faire part puisqu'elle était encore en période d'essai et qu'elle aurait facilement été identifiée dans son petit milieu de travail. Son prétendu harceleur qualifiait leur bureau de « club de garçons », et elle aurait dénoncé le comportement de son collègue à un député. Elle a été renvoyée peu de temps après avoir communiqué avec les ressources humaines. Elle croit que le député a été informé de ses échanges avec les ressources humaines, selon un collègue à qui elle se confiait, mais on ne lui a donné aucune raison pour son renvoi.
Le projet de loi ne remplacera pas cette politique, mais il peut la renforcer. Il obligera chaque milieu de travail à avoir une tierce personne pour recevoir les plaintes. Selon les survivants à qui j'ai parlé, cette personne ne doit avoir aucune allégeance politique si l'on veut qu'ils se sentent en sécurité au moment de dénoncer un cas. La première personne ressource ne doit donc pas être le député.
Deuxièmement, à ce sujet, grâce au projet de loi, les employés pourraient s'adresser directement au ministère du Travail sans devoir préalablement déposer une plainte conformément à la politique applicable dans leur milieu de travail. Comme je l'ai dit, cette mesure contribuera à écarter la politique de l'équation.
Troisièmement, des employés qui travaillent actuellement sur la Colline ne connaissent pas leurs droits ni les politiques qui les protègent. Il faut rendre obligatoire pour l'ensemble des employés et des employeurs la formation sur les politiques de lutte contre le harcèlement qui découleront du projet de loi. Les participants à ces séances devraient avoir à parcourir en détail les politiques pour comprendre leur fonctionnement et pour connaître les conséquences réservées aux contrevenants.
Quatrièmement, les politiques en vigueur sur la Colline ont toutes une définition différente du harcèlement. Le projet de loi devrait adopter une définition unique et exiger que cette définition figure dans toutes les politiques applicables au milieu de travail. Cette définition devrait être vaste et inclure toutes les formes de harcèlement, plutôt que de se limiter au harcèlement sexuel.
Mon reportage a également révélé qu'en 2014, un groupe d'employés du NPD s'est réuni à huis clos pour écrire une lettre visant à empêcher un prétendu harceleur de retourner sur la Colline du Parlement. Si c'est possible, les politiques de lutte contre le harcèlement devraient aussi donner aux survivants la possibilité de dénoncer dans des groupes de pairs ce qu'ils ont vécu, afin qu'ils aient l'impression d'être entendus et qu'ils ne se sentent pas isolés.
Les politiques de lutte contre le harcèlement sur la Colline devraient rendre obligatoire la publication du nombre de plaintes reçues et de la façon dont on y a donné suite. À l'heure actuelle, seul le mécanisme de décembre 2014 de la Chambre des communes prévoit une exigence de ce genre.
Enfin, les règlements qui accompagnent le projet de loi doivent avoir du mordant. Les personnes qui omettent de prévenir le harcèlement ou d'y mettre fin doivent subir des conséquences juridiques concrètes.
Comme il est très difficile de dénoncer les mauvais traitements, le milieu de travail parlementaire est un exemple d'impasse. À défaut d'avoir des politiques qui tiennent compte des aspects culturelles, les femmes savent qu'il est imprudent de parler, et comme elles ne le font pas, la culture de harcèlement persiste.
J'espère qu'une fois adoptée, cette mesure législative commencera à briser le cycle.
Merci.
:
Je m'appelle Beisan Zubi. Je suis une ancienne employée de la Colline du Parlement, où j'ai travaillé à deux reprises, de janvier 2011 à septembre 2012, en tant que politicologue dans l'équipe des médias du NPD, et en 2014 à titre d'adjointe aux communications et à la logistique au bureau du leader du NPD.
Ma période sur la Colline a été tumultueuse. Quelques mois après mon embauche, nous nous sommes lancés dans une campagne électorale fédérale qui nous a menés au statut d'opposition officielle. Nous avons embauché des centaines de nouveaux employés en très peu de temps. Jack Layton est décédé cet été-là, ce qui nous a entraînés dans une course à la direction pour nommer un nouveau chef. J'ai ensuite quitté la Colline pour faire une maîtrise à Toronto.
Quelques mois après avoir terminé mes études, j'étais de retour sur la Colline. Il y a eu une attaque terroriste ainsi qu'un scandale de harcèlement sexuel. Je me suis retrouvée à bout très rapidement et je suis partie. La deuxième fois, j'ai été là environ quatre mois.
Je vous dis cela pour vous donner une idée de l'intensité du travail sur la Colline du Parlement à l'époque ainsi que pour, je crois, de manière générale, vous expliquer pourquoi tout le harcèlement sexuel que je voyais et les terribles comportements que je subissais semblaient presque être devenus normaux. J'avais l'impression que tout le monde agissait ainsi à défaut d'avoir le choix. Nous étions tous entraînés dans cette odyssée politique intense et anormale. Je ne dis pas cela pour justifier le comportement de qui que ce soit, à l'exception, peut-être, du mien, lorsque j'explique pourquoi il était si difficile pour moi de comprendre à quel point le milieu était décalé et pourquoi je l'ai accepté aussi longtemps.
Il y a un an, j'ai écrit à propos de mon expérience sur la Colline du Parlement pour le compte de Vice, où Hilary travaille, dans un article intitulé « Here’s why I never reported sexual harassment while working in Parliament », c'est-à-dire « Voici pourquoi je n'ai jamais dénoncé le harcèlement sexuel lorsque je travaillais au Parlement ».
Parmi les raisons que j'ai données dans cet article, j'ai dit que cela se produit lorsque de l'alcool est consommé; parce que personne n'en est témoin; parce que tout le monde est au courant; parce que la personne responsable travaille pour le parti de la victime; parce qu'elle travaille pour un parti rival; parce que cela se produit très rapidement; et parce que je ne travaillais plus là.
Je sais que le projet de loi n'est pas une panacée, mais je suis portée à croire qu'il ne fait pas grand-chose pour protéger les gens dans beaucoup de ces situations. En fait, il incombe aux victimes de signaler le harcèlement. Elles doivent manoeuvrer au sein de l'infrastructure de leur propre parti et s'adresser aux whips. Les relations sexuelles entre gestionnaires et subordonnés ne sont pas interdites ou même divulguées. De plus, l'aspect culturel, qui est selon moi l'élément le plus pernicieux et malsain dans tout cela, n'est pas abordé.
Je comprends qu'on ne peut pas légiférer sur la culture des bureaux, mais la normalisation et la glorification de l'alcool et de sa consommation ainsi que des comportements agressifs et des propos à caractère sexuel font, d'après mon expérience, partie intégrante de la culture de la Colline, et je ne sais pas si cela changera.
Les secrets de Polichinelle que nous avons tous dissimulés me talonnent encore et me culpabilisent. Je me sens presque complice en acceptant les mauvais traitements que j'ai moi-même subis, notamment à cause de la façon dont cela aurait pu mener au mauvais traitement d'autres femmes qui m'ont suivie et qui sont toujours sur la Colline. La partisanerie politique, qui donne l'impression de mener une campagne interminable, fait en sorte que l'idée de porter plainte contre une personne d'un parti rival semble automatiquement partisane, alors qu'une plainte contre son propre parti semble être un acte de trahison. De plus, peu de mesures sont prises pour entendre et protéger les anciens employés, qui pourraient se sentir plus libres de parler sans craindre de perdre le poste qu'ils occupent actuellement.
Je dois dire que je suis déçue d'être la seule ancienne employée de la Colline du Parlement à prendre la parole au sujet de ce projet de loi. Votre comité a communiqué avec moi jeudi dernier. J'ai pu modifier mon horaire pour être en mesure de témoigner à titre personnel, mais je tiens à tous nous rappeler que les plaintes de harcèlement sont reçues et traitées différemment. Les points de vue intersectionnels des jeunes hommes et jeunes femmes queers, des femmes noires, des femmes autochtones, des personnes handicapées et des employés racialisés qui ne bénéficient pas des mêmes privilèges systémiques que moi auraient apporté une contribution percutante et instructive à une discussion d'ordre générale sur le harcèlement.
Je tiens à dire deux ou trois choses pour le compte rendu.
Je crois que la première est la plus importante. Même si j'ai occupé un poste partisan, je me suis fait un réseau d'amis et de connaissances issus de tous les partis. Ce n'est pas un problème propre à un seul parti ou à un seul groupe. À l'âge de 25, 26 et 27 ans, j'ai été victime de harcèlement sexuel — d'insinuations, de demandes et de toutes sortes de comportements malaisants — attribuable à des hommes, en général presque exclusivement des hommes, de 10 à 40 ans mes aînés. C'étaient des conservateurs, des libéraux, des bloquistes et des néo-démocrates, des membres du personnel de ces partis, des bureaucrates, des lobbyistes et des journalistes.
Vous devez me croire quand je dis que le problème était culturel. J'ai subi toutes sortes de harcèlement sexuel: des attouchements, des commentaires, des incitations. On a parlé devant moi de mon corps. Des hommes racontaient à des employés plus jeunes qu'ils avaient couché avec de jeunes employées. Certains propos et des potins dits sous l'influence de l'alcool étaient très abusifs et très destructifs pour un milieu de travail — une personne de 32 ans les ignore, mais je peux dire que je n'en ferais pas autant, avec le recul, après avoir travaillé dans un milieu autre que celui de la politique.
Je dois encore composer avec toute la colère ressentie dans ce contexte, mais je vais vous dire une dernière chose, car je ne veux pas terminer sur une note aussi négative.
J'étais totalement épuisée lorsque j'ai quitté la politique. Comme je l'indiquais dans mon article publié dans Vice, j'ai jonglé avec l'idée d'effectuer un retour, peut-être dans un rôle différent, mais je n'avais pas l'impression que la Colline parlementaire était un lieu de travail sûr pour une jeune femme. J'aimerais toutefois conclure sur un rayon d'espoir en soulignant que j'ai eu la chance d'avoir d'excellents gestionnaires au NPD, y compris Kathleen Monk qui n'a pas manqué de me défendre, de me protéger et de me mettre en garde toutes les fois que cela était possible. C'était un environnement négatif et toxique, exception faite de brefs moments de réussite et de soutien. De brefs moments que je dois tous à des collègues féminines qui tenaient à s'assurer que toutes les femmes étaient appréciées à leur juste valeur et que les jeunes femmes n'étaient pas dévaluées ou simplement considérées comme des ornements.
Pas plus tard qu'hier, j'ai accédé au conseil d'administration de ma section locale de l'organisme À voix égales, et j'espère bien pouvoir un jour apporter ma contribution avec tout autant d'empathie et de vigueur de telle sorte que les femmes soient plus nombreuses à la Chambre des communes. Je ne suis pas nécessairement toujours d'accord avec notre premier ministre, mais je conviens avec lui que l'on pourra changer la politique en faisant une plus grande place aux femmes.
Je voudrais donc terminer avec cette recommandation en faveur d'une évolution de la culture.
:
Merci, monsieur le président.
Merci à vous deux pour vos témoignages. Nous vous sommes reconnaissants pour vos commentaires très directs, voire percutants, qui vont éclairer le travail de notre comité dans l'étude de ce projet de loi. Je vous dirais très humblement, comme vous avez déjà pu l'entendre sur différentes tribunes politiques, que nous visons la tolérance zéro.
Madame Zubi, j'ai fait campagne en 2011 au Québec, et je peux vous assurer que j'ai bel et bien ressenti les effets de cette vague orange. Vous avez indiqué dans vos observations être revenue sur la Colline pour une période de quatre mois et avoir constaté à quel point cette culture du harcèlement était bien ancrée.
Pour que les choses soient bien claires, est-ce pour cette même raison que vous avez quitté la seconde fois, madame Zubi?