Je déclare la séance ouverte.
Je vous souhaite la bienvenue à la 65e réunion du Comité permanent de l'accès à l'information, de la protection des renseignements personnels et de l'éthique de la Chambre des communes.
La réunion d'aujourd'hui se déroule sous forme hybride, conformément à l'ordre de la Chambre adopté le jeudi 23 juin 2022. Par conséquent, les membres peuvent participer en personne ou à distance au moyen de l'application Zoom. En cas de difficulté technique, avertissez-moi immédiatement. Veuillez noter qu'il se peut que la réunion doive être suspendue quelques minutes afin que l'on puisse s'assurer que tous les députés peuvent participer pleinement aux délibérations.
Conformément à l'article 108(3)h) du Règlement et à la motion adoptée par le Comité le mercredi 7 décembre 2022, le Comité reprend son étude de l'ingérence étrangère et des menaces entourant l'intégrité des institutions démocratiques, de la propriété intellectuelle et de l'État canadien.
Madame la greffière, tous les tests de connexion ont été effectués.
J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue au témoin d'aujourd'hui, M, Raphaël Glucksmann.
[Traduction]
Il est président de la Commission spéciale sur l’ingérence étrangère dans l’ensemble des processus démocratiques de l’Union européenne, y compris la désinformation, et sur le renforcement de l’intégrité, de la transparence et de la responsabilité au Parlement européen.
[Français]
Monsieur Glucksmann, soyez le bienvenu au Comité.
La parole est à vous pour cinq minutes.
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Je vous remercie, monsieur le président.
Je remercie tous les honorables députés de leur invitation.
[Français]
Je vous remercie infiniment de votre invitation.
La commission spéciale que je préside a commencé ses travaux en 2020 et, depuis, nous avons méthodiquement analysé les ingérences étrangères dans tous les processus démocratiques européens.
Au terme de centaines d'heures d'auditions, d'interactions avec les services de sécurité européens, des lanceurs d'alertes, des journalistes d'investigation, des experts et des diplomates, mais aussi après avoir disséqué les différentes notes confidentielles ou ouvertes, les différents rapports publiés par les différentes institutions dans les pays de l'Union européenne, et après avoir fait des missions sur le terrain, notre verdict à l'endroit des dirigeants européens est assez terrible.
Pendant de trop longues années, nos dirigeants et nos gouvernements ont laissé libre cours à l'action de pays hostiles au sein même de nos nations. Ces actions peuvent être catégorisées en deux types d'objectifs d'ingérence.
D'un côté, il y a des pays, des gouvernements, des régimes qui s'ingèrent dans notre vie démocratique pour promouvoir leurs intérêts, obtenir des accords qui leur sont favorables, ou pour empêcher des critiques qui émergent contre leur attitude et leur comportement.
D'un autre côté, certains régimes peuvent aussi essayer de discréditer des adversaires géopolitiques. Dans cette catégorie d'acteurs, nous classons par exemple le Qatar, qui a utilisé la corruption au sein même du Parlement européen pour promouvoir ses intérêts, obtenir des accords favorables ou discréditer les Émirats arabes unis. C'est une ingérence de type classique.
Il y a aussi deux autres acteurs qui ont des objectifs différents. Leur but n'est pas tellement de promouvoir leurs intérêts, mais plutôt de déstabiliser et d'affaiblir nos démocraties en tant que telles. Leur but précis est d'entraver notre fonctionnement démocratique. Ces deux acteurs sont la Russie et la Chine.
Nous avons analysé minutieusement les actions de la Russie et de la Chine en Europe. Je commencerai par la Russie, sachant qu'il faut que je sois bref.
Le but de la Russie est de semer le chaos dans nos démocraties. C'est une véritable guerre hybride qui a été déclenchée contre l'Union européenne. Pendant très longtemps, il n'y a pas eu de réactions à cette guerre. Quand je parle de « guerre hybride », je parle de cyberattaques contre nos hôpitaux en pleine pandémie. Non loin de mon bureau se trouve le Centre hospitalier Sud Francilien, à Corbeil‑Essonnes, en région parisienne, a été attaqué par des pirates informatiques russes et n'a pas pu fonctionner pendant des semaines.
Il s'agit de cyberattaques contre nos institutions, mais aussi la pénétration dans les réseaux sociaux, avec les armées de trolls et de robots de M. Prigojine qui, dans toutes les langues de l'Union européenne, visent à favoriser les points de vue les plus extrêmes et la polarisation de nos sociétés.
Nous avons analysé comment, par exemple, en Espagne, des acteurs russes favorisent à la fois les indépendantistes catalans et les ultranationalistes du parti d'extrême droite Vox, c'est-à-dire les deux pôles les plus opposés du débat politique, avec comme but de polariser le débat et qu'il devienne chaotique.
L'ingérence prend aussi la forme de la corruption et de la capture des élites. Nous avons analysé comment le système énergétique allemand avait été réorienté en fonction des intérêts russes par M. Schröder, chancelier social-démocrate, et par des gens qui travaillaient avec lui et qui ont tous fini par travailler pour Gazprom.
C'est aussi le financement de mouvements politiques extrémistes.
Enfin, c'est aussi l'utilisation d'organisations non gouvernementales, ou ONG, ou de groupes de réflexion ultraréactionnaires, qui remettent en cause l'existence des institutions européennes.
Tout cela crée un écosystème dont le but est la déstabilisation des démocraties.
Outre la Russie, l'acteur qui a le plus occupé nos travaux est la Chine.
Pendant longtemps, la Chine a appartenu à la première catégorie, c'est-à-dire que son but était de promouvoir les intérêts chinois. Depuis quelques années, elle s'inspire du mode opératoire des autorités russes et des méthodes employées par les Russes.
Nous avons vu que, depuis la pandémie, le but de la Chine était aussi devenu la déstabilisation. Les méthodes chinoises sont assez analogues à celles des Russes. La grande différence est l'importance attachée aux acteurs économiques par rapport aux acteurs politiques. Nous nous sommes rendu compte aussi que, par exemple, au Parlement européen et dans les institutions européennes, les autorités chinoises n'avaient pas besoin d'engager des lobbyistes puisque les grandes compagnies européennes, dont les ventes ont besoin du marché chinois et dont les productions ont besoin de l'appareil productif chinois — elles sont donc complètement liées à la Chine —, faisaient le lobbying et la pénétration en lieu et place des autorités chinoises pour leur compte.
On nous a donc...
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Je vous remercie beaucoup de votre question.
Quelles devraient être nos réactions? Elles devraient déjà être beaucoup plus rapides et beaucoup plus dures. Ce qui a permis ces agressions répétées, c'est d'abord l'absence de sanctions, l'absence de conséquences. En fait, dès qu'il y a une attaque contre une infrastructure stratégique, dès qu'il y a une preuve de corruption, il doit y avoir une sanction. Dans l'Union européenne, il n'y a pas eu de sanctions.
Ensuite, la grande question qui se pose, à nous, en particulier, comme vous l'avez mentionné, monsieur Gourde, c'est notre dépendance à l'énergie. Jusqu'ici, nous étions totalement dépendants de l'énergie russe et on se rend compte à quel point nous sommes, aujourd'hui, dépendants des productions chinoises, y compris dans les secteurs les plus stratégiques.
Si vous voulez affirmer une souveraineté européenne, vous devez travailler à réduire vos dépendances. C'est ce que la Commission européenne appelle l'atténuation de risques. À mon avis, c'est la grande œuvre qui doit être la nôtre au cours des années qui viennent. D'ailleurs, nous avions des recommandations très précises à cet égard.
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Bonjour, monsieur Glucksmann. Je vous remercie beaucoup de votre présence aujourd'hui. Nous vous sommes énormément reconnaissants de nous faire part de vos observations et de votre expertise dans ce domaine.
Dans votre introduction, vous avez dit que certains pays, comme la Chine et, plus particulièrement, la Russie, tentaient de semer la zizanie dans les démocraties.
Plusieurs témoins qui ont comparu devant le Comité ont dit que la Russie et la Chine menaient des activités, surtout dans les médias sociaux, depuis un bon bout de temps.
Quelles sont vos observations à ce sujet, avec le recul et selon vos enquêtes? Quand pensez-vous que la Russie et la Chine ont commencé leurs activités de cyberpropagande ou de cyberterrorisme?
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Je vous remercie de la question, monsieur Fergus.
Selon nous, la date de bascule a été 2007, lorsque des cyberattaques massives ont été menées contre l'Estonie. L'Estonie a été un des premiers pays européens à basculer vers le tout-numérique pour son gouvernement. En 2007, des pirates informatiques russes se sont coordonnés et ont attaqué les institutions estoniennes, rendant le pays quasi ingouvernable pendant quelque temps. Selon nous, cette date a marqué le début de la guerre hybride et des attaques virtuelles massives.
Ensuite, dans les réseaux sociaux, il y a eu une évolution progressive de la propagande russe. En 2012 ou en 2013, avec la création de l'Internet Research Agency, à Saint‑Pétersbourg, c'est devenu massif et, surtout, structuré et pensé de manière systématique. Ce sont ces deux dates qui ont marqué le basculement de la Russie dans la guerre hybride contre nos démocraties.
J'insiste sur une chose: l'analyse de ces campagnes est fondamentale pour comprendre la situation. Quand on est un dirigeant démocrate européen, canadien ou américain, on a du mal à comprendre que des dirigeants politiques puissent avoir comme objectif non pas de défendre leurs intérêts au maximum, mais de semer le chaos chez l'autre. On le comprend en étudiant pragmatiquement différentes campagnes qui ont été menées.
En France, par exemple, il y a eu des campagnes sur la question des violences policières. Des agents russes expliquaient que la police commettait des violences et s'insurgeaient contre les violences policières, tandis que les mêmes fermes à trolls de Saint‑Pétersbourg encourageaient la police à tirer dans la foule. Les deux pôles sont toujours nourris simultanément.
La contradiction dans ce genre de campagne n'est pas un problème; c'est ce qui constitue la campagne elle-même.
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Pour nous, le mouvement de la Chine est passé par une radicalisation progressive et par la mise en place, en Chine, de structures que nous avons pu découvrir. C'est vraiment Xi Jinping qui développe cette stratégie et cette pensée. La bascule, en matière de campagne de désinformation, de manipulation de l'information et de déstabilisation des réseaux sociaux, s'est faite à l'occasion de la pandémie, un moment de radicalisation dont le but n'est plus tellement de promouvoir une ligne narrative, mais de rendre ingouvernables, en particulier sur la question sanitaire, les pays européens dans lesquels on a mené les études.
La question économique est, depuis le début, une stratégie du gouvernement chinois. En effet, ce gouvernement estime que la mondialisation permettra finalement aux grandes multinationales européennes de devenir des entreprises fondamentalement chinoises, parce que leurs intérêts seront d'abord en Chine, avant d'être en Allemagne.
Quand vous prenez une entreprise aussi importante que Volkswagen et que vous analysez leurs chiffres de vente et de production, vous comprenez que, finalement, Volkswagen a un chiffre d'affaires bien supérieur en Chine qu'en Allemagne et que Volkswagen est dépendante du gouvernement chinois. En outre, même quand on a des scandales, comme la présence d'usines de Volkswagen dans la région ouïghoure, où le régime communiste chinois exerce un esclavage systématisé, la compagnie y est toujours présente. Volkswagen aurait économiquement maintenant intérêt à se dégager de cette région. Cependant, ce groupe automobile est l'otage du gouvernement chinois, parce que Volkswagen est l'otage du marché chinois et de l'appareil productif chinois.
Le gouvernement chinois peut donc décider où Volkswagen va ouvrir ou fermer une usine. Ce n'est plus un choix d'acteur privé, c'est désormais un choix d'otage économique, si vous voulez, volontaire, évidemment, parce que le but est de gagner de l'argent. C'est récurrent et c'est ce qui permet la pénétration du débat européen.
Il y a aussi la question des infrastructures stratégiques. Il s'agit vraiment d'une stratégie qui passe d'abord par des investissements chinois. À notre avis, la date clé est 2008‑2009, au moment de la crise liée à la dette dans l'Union européenne et, en Grèce, la vente du port du Pirée aux investisseurs chinois.
Depuis, on constate à quel point c'est une stratégie qui vise à prendre progressivement le contrôle des infrastructures stratégiques.
Je suis très heureux de vous retrouver.
La stratégie est la même pour la Russie et la Chine sous cet aspect. Le premier élément problématique pour l'intégrité de l'État est la capture des élites, et donc des réseaux. Une des stratégies de ces deux pays consiste à se transformer, par exemple, en pourvoyeurs de retraites dorées pour nos hauts dirigeants et nos hauts fonctionnaires. Cela compromet l'intégrité du processus décisionnel. Quand vous êtes au sommet d'un État et que vous devez prendre une décision, si vous avez comme perspective de retraite d'être payé par Huawei, vous ne prendrez pas de décisions hostiles à Huawei ou aux intérêts chinois dans l'ensemble.
Nous avons vraiment exercé des pressions pour qu'on légifère contre le phénomène des portes tournantes ou de la collusion, autrement dit, avec des régimes autoritaires hostiles à nos principes et à nos intérêts. Cela suppose une chose très simple: une entreprise canadienne n'est pas l'équivalent d'une entreprise du système communiste chinois. Pourtant, sur papier, il s'agit de deux entreprises privées. Le seul problème, c'est que quand une entreprise privée chinoise atteint une certaine taille, elle n'est plus privée, en réalité. Elle dépend du Parti communiste, elle doit se soumettre à la Loi sur le renseignement national et avoir, dans son conseil d'administration, un représentant du Parti communiste. En fait, ce ne sont donc plus des acteurs privés; ce sont des acteurs d'un système étatique hostile.
Le deuxième élément qui concerne l'intégrité de l'État est la question des liens institutionnels. Nous avons réalisé à quel point les coopérations institutionnelles, y compris celles qui sont décentralisées, permettent l'espionnage. Il y a une foule d'autres situations du même type. Cela dit, le problème se pose encore davantage pour les Australiens, par exemple, que pour les Européens.
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Encore une fois, je vous remercie de la question.
Je suis loin d'être un expert de la question des ingérences étrangères au Canada. Cela dit, ce qui est certain, c'est qu'en Europe, c'est un danger extrême. C'est un danger existentiel. J'espère pour vous que votre démocratie est plus stable que la nôtre et qu'elle est mieux protégée. Toutefois, ce qui est certain, c'est que c'est un danger pour toutes les démocraties. Je peux vous l'affirmer même sans être un expert du Canada.
Nous devons comprendre une chose. Pendant très longtemps, on n'a pas voulu voir qu'il existe des régimes, non pas dont les intérêts sont contradictoires aux nôtres — c'est normal puisque, même entre démocraties, il peut y avoir des intérêts contradictoires —, mais qui sont philosophiquement, idéologiquement et viscéralement hostiles aux démocraties libérales et dont le but est de nous affaiblir pour établir ce que Xi Jinping et Vladimir Poutine ont nommé ensemble un nouvel ordre international.
Je ne vois donc pas pourquoi une démocratie aussi importante que celle du Canada serait exempte des menaces qui touchent les autres.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie notre témoin. J'accorde beaucoup d'importance à vos propos.
J'aimerais poursuivre sur le thème qu'a abordé M. Gourde au sujet de l'énergie, parce qu'il ne fait aucun doute que les dernières années ont été tumultueuses dans ce secteur. Comme je viens d'une région de notre pays qui produit de l'énergie, je suis la situation de près. J'ai trouvé très intéressants vos propos sur l'expérience européenne et sur l'ingérence liée précisément à l'énergie russe. Vous avez mentionné Gazprom et d'autres parties prenantes. L'expérience du Canada est bien entendu différente parce que nous n'importons d'énergie, à tout le moins pas d'énergie brute. Des produits raffinés sont importés au Canada.
Je me demande si vous pourriez approfondir ce sujet et, en particulier, l'incidence de ce type d'ingérence — d'influence malveillante — pour déstabiliser les régimes, surtout à un moment où la dynamique de la sphère géopolitique se mêle à un conflit en cours.
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Vous savez, on dit souvent qu'on peut mener des guerres pour des pipelines. En fait, Vladimir Poutine a mené une guerre en se servant de pipelines. Les tuyaux ont servi à une guerre hybride contre les démocraties européennes.
Je vais expliquer la stratégie entourant Nord Stream, notamment, qui est liée à la mainmise de l'élite. Gerhard Schröder était le chancelier de l'Allemagne démocratique. De cinq à dix jours avant sa défaite électorale en 2005, il a signé une entente pour le projet Nord Stream avec Vladimir Poutine. Quelques semaines après sa défaite planifiée — que tout le monde prévoyait —, il est allé travailler pour Gazprom. Par conséquent, la dépendance de l'Europe au gaz naturel russe n'a fait qu'augmenter jusqu'au 24 février 2022.
Au début de la guerre, nous avons découvert non seulement que l'Allemagne avait bâti Nord Stream 1 et 2, mais aussi qu'elle avait vendu ses provisions à Gazprom. Gazprom a écoulé ces provisions — ces réserves —, rendant ainsi impossible un embargo des importations de combustible fossile russe. Pendant les six premiers mois de la guerre, l'Union européenne a financé le régime russe à hauteur de 800 millions d'euros par jour en raison de ces politiques.
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Merci, monsieur le président.
Je vous remercie, monsieur, de vous joindre à nous aujourd'hui. Je suis ravi d'entendre vos perspectives.
J'aimerais savoir si vous pouvez nous décrire les événements qui ont mené à la création de la Commission spéciale. Je m'intéresse surtout aux mesures de protection pour les dénonciateurs qui faisaient partie du plan proposé.
J'aimerais aussi que vous nous parliez de la nature non partisane de l'approche adoptée. Si on se fie aux reportages médiatiques en anglais des événements de la fin de l'an dernier, dans le contexte politique canadien, un homologue canadien dans une situation similaire se serait retrouvé dans une position politique difficile pour proposer et promouvoir les types de réformes dont vous nous entretenez aujourd'hui. Si je comprends bien, des personnes partageant vos vues idéologiques étaient au cœur de certains de ces scandales. J'ai lu que ce contexte a mené à la création des réformes. Vous avez toutefois persisté et, à vrai dire, peut-être en dépit de ce fait ou en raison de ce fait... Je crois comprendre que vous avez insisté assez vivement pour ces réformes.
Pouvez-vous nous parler de ce contexte?
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Oui. Je vous remercie énormément de la question. Je trouve qu'elle est importante.
La Commission a été créée bien avant le Qatargate et le scandale. J'ai insisté pour la création de la Commission. C'est surtout après Brexit que j'ai vu la nécessité que nous créions ce type de commission. Nous y avons travaillé pendant trois ans et demi, et nous étions censés terminer notre travail lorsque le Qatargate a été dévoilé. J'ai grandement insisté, même si des personnalités — vous avez raison — liées aux sociaux-démocrates étaient impliquées.
Je crois que, dès le début, nous avons travaillé au sein de la Commission de façon tripartisane. La protection de la démocratie supplante les différences partisanes. C'est en fait la protection du cadre qui nous permet d'avoir des désaccords. Deuxièmement, je crois qu'il est de notre devoir de lutter contre la corruption et contre l'ingérence étrangère, y compris dans nos familles ou groupes politiques respectifs.
On m'a incité à diriger la Commission parce que tous mes collègues, y compris ceux d'autres groupes politiques, avaient confiance que je travaillerais à réaliser des réformes et à obtenir la vérité, peu importe le drapeau des personnes trahissant la démocratie.
:
Merci, monsieur le président.
Je voulais saluer et remercier notre témoin en français. Je vais améliorer mon français, mais, pour le moment, comme je suis toujours plus à l'aise en anglais je vais poursuivre dans cette langue.
[Traduction]
En tant qu'ancienne journaliste, je suis très frustrée de voir la quantité d'informations trompeuses qui circulent dans le monde. En même temps, nous assistons à une diminution du nombre de salles de rédaction.
Dernièrement, quelque chose m'a particulièrement frappée sur Twitter, la plateforme américaine de médias sociaux. Nous avons vu des médias d'information comme la NPR aux États-Unis, la BBC et, ici au Canada, CBC/Radio-Canada être qualifiés de médias financés par l'État ou par le gouvernement. Comme par hasard, cela se produit au moment même où des organes de presse et des comptes gouvernementaux russes sont autorisés à revenir sur cette plateforme.
J'ai ici un article publié ce matin dans le Kingston Whig Standard, qui explique comment la Russie utilise Twitter pour s'attaquer à la démocratie. On y cite un ancien ministre conservateur qui a été diplomate canadien et qui est un spécialiste de la Russie. Il qualifie de « scandaleuse » une telle désignation des radiodiffuseurs publics, car cela laisse entendre que ces organismes sont sous le contrôle éditorial du gouvernement, comme c'est le cas, par exemple, de la télévision russe.
Je me demande si vous êtes d'accord là‑dessus. Que pensez-vous d'une telle désignation des radiodiffuseurs publics et des médias?
:
Je vous remercie beaucoup de votre question, madame Hepfner.
Je dois dire que, ces derniers temps, Twitter nous inquiète de plus en plus. M. Musk est quelqu'un qui joue avec les règles et qui a des intentions cachées. Ce qui nous pose problème, ce n'est pas le fait que M. Musk a des intentions cachées, mais bien le fait que nous devons veiller à ce que ces intentions cachées n'entrent pas en conflit avec notre sécurité nationale et la décence de nos débats publics.
Pour répondre à votre question, il s'agit d'une erreur typique commise depuis très longtemps par les dirigeants européens. Il y a une énorme différence entre votre radio publique, notre radio publique et Russia Today. Ne pas reconnaître ce fait et qualifier toutes ces entités de médias parrainés par l'État ou peu importe, c'est en fait gommer la vérité à propos de Russia Today. Russia Today est un outil de propagande. Ce n'est pas un média. La NPR, par exemple, ou la BBC sont des médias. On peut être en désaccord avec leurs renseignements, mais elles ont un code déontologique. Elles ont un conseil d'administration. Elles sont indépendantes. Elles ne se situent pas au même niveau.
:
Je pense que la réglementation des plateformes est essentielle pour lutter contre la désinformation. Il faut simplement imposer une responsabilité. On ne peut pas vivre dans un monde d'irresponsabilité. Un journal, quand il diffuse une information qui pose problème, est responsable de cette information. Pourquoi les plateformes qui permettent à ces informations de devenir virales n'en seraient-elles pas responsables? C'est la première chose. On parle ici du contenant.
En outre, je pense qu'il est fondamental de comprendre l'importance de la presse et des ONG au sein de l'écosystème démocratique. Il faut aller au-delà de la simple logique du marché et permettre à ces organes de recevoir une aide constante.
Enfin, je pense qu'il est fondamental de comprendre que nous faisons face à des adversaires de la démocratie et que toute faiblesse sera perçue de leur part comme une invitation à l'agression. Nous devons donc avoir des régimes de sanctions. L'Union européenne s'est dotée d'une boîte à outils, mais ceux-ci ne sont pas toujours mis en application.
Dans le cas du « Qatargate », ce scandale que nous avons mentionné déjà, des sanctions seront imposées aux gens qui se sont fait corrompre, mais quelles sanctions va-t-on imposer au régime du Qatar, qui est lié à cette corruption? Il n'y en aura aucune.
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Ce n'est pas grave. Dans les 30 secondes qui me restent, permettez-moi de vous proposer quelques points à prendre en considération dans votre correspondance ultérieure avec notre comité.
Je reconnais que nos démocraties sont très fragiles. Je reconnais qu'elles sont menacées par des acteurs hostiles à l'échelle internationale, qu'il s'agisse d'acteurs explicites ou, bien franchement, de certains de nos alliés.
Je suis également d'accord pour dire que notre Parlement doit effectuer un examen approfondi, que ce soit par l'entremise de ce comité de l'éthique... Je pense qu'à l'heure actuelle, il serait justifié de créer un comité spécial à cette fin pour rester à l'affût des outils utilisés par des acteurs hostiles étrangers — outils qui évoluent à un rythme effréné — contre le Canada, contre nos démocraties et contre nos institutions démocratiques.
Lorsque vous examinerez tous ces éléments et que vous en ferez rapport à notre comité, n'hésitez pas à dire les choses crûment. Je vous demande d'examiner la question du point de vue d'un représentant élu qui défend le destin d'un pays et de nous présenter sans ambages toute recommandation que vous jugez appropriée.
Merci beaucoup, monsieur le président.
:
Nous reprenons la séance.
Je rappelle aux membres du Comité que nous traitons des travaux du Comité. Nous sommes en séance publique.
Je voulais informer le Comité de l'état d'avancement du calendrier. Tout d'abord, nous avons perdu deux jours — les 5 et 19 mai —, en raison de la motion qui a été adoptée.
Je vois votre main. Il y a d'abord M. Barrett, puis vous, monsieur Villemure.
Nous avons donc perdu deux jours, à la suite de la motion qui a été adoptée hier, par consentement unanime, à la Chambre des communes.
Mardi, nous recevrons les deux derniers témoins dans le cadre de notre étude sur l'accès à l'information, puis les représentants des ministères concernés pendant la deuxième heure. Nous allons laisser du temps, mardi, pour parler des instructions de rédaction. Nous aurons ainsi bouclé la boucle en ce qui concerne cette étude, et je pense qu'il y a suffisamment d'éléments — non seulement à la lumière du rapport provisoire que nous avons reçu, mais aussi à la suite de la comparution de la , etc. — pour que les analystes mettent la dernière main au rapport et fassent des recommandations au Parlement et au gouvernement.
Le deuxième point concerne la journée de vendredi. Comme vous vous en souvenez, le Comité a adopté mardi une motion sur la nomination du commissaire à l'éthique. J'ai l'intention d'inviter les témoins à comparaître vendredi prochain. Cela repoussera donc un peu l'étude sur l'ingérence étrangère.
Voilà ce que j'avais à vous dire.
Monsieur Barrett, j'ai vu votre main. Allez‑y, je vous prie, et nous entendrons ensuite M. Villemure.
:
Je vous remercie, monsieur le président.
J'ai bien apprécié moi aussi les commentaires de M. Green, et je suis d'accord aussi. Cette tendance à revenir sans cesse à ce genre de petits jeux politiques me préoccupe. Je pense que le Comité peut faire du très bon travail, et nous avons proposé des études que nous n'avons pas encore eu le temps de commencer.
L'étude sur la plateforme TikTok m'intéresse tout particulièrement, et je pense que nous devrions nous y mettre le plus tôt possible. Nous avons vu des États et des administrations prendre des mesures immédiates contre cette plateforme, alors que nous n'avons même pas encore commencé notre étude sur la question.
Je vais m'en tenir à cela. J'ajouterai simplement que j'aimerais vraiment que nous puissions revenir au travail très important que fait le Comité, comme cela a été le cas ce matin.
:
Je vais poser la question. Je ne vois pas...
Monsieur Green, juste pour que vous le sachiez, comme vous n'êtes pas dans la salle, mais sur Zoom, M. Barrett a quitté, sans doute pour participer à la période des questions.
La question s'adresse directement à un membre du Parti conservateur, alors si quelqu'un peut y répondre...
Pour rappel, la question de M. Green concerne Mme Fournier et M. Rosenberg.
Est‑ce exact, monsieur Green?
:
Je vous remercie, monsieur le président.
Je soulignerais que la motion comporte deux éléments très distincts. Dans la partie a), on « invite » M. Trudeau, mais dans la partie b), on « convoque » les personnes mentionnées, alors l'approche est très différente. Je pense que cela répondrait à un aspect des préoccupations de M. Green, car en b), la pression est plus directe et plus forte pour s'assurer que ceux qui sont concernés par cette affaire et qui n'ont pas encore répondu à l'invitation du Comité...
À ce stade‑ci, bien sûr, si M. Trudeau souhaitait venir témoigner, il pourrait répondre à l'invitation, mais il y a une grande différence entre les deux éléments, alors j'aimerais savoir si cela répond à un aspect des préoccupations de M. Green.
:
Nous sommes saisis d'un amendement. Il est recevable.
Quelqu'un souhaite-t‑il prendre la parole? Avons-nous le consentement unanime pour retirer la partie a)?
Non. Nous allons donc passer au vote.
(L'amendement est adopté par 6 voix contre 5.)
(La motion modifiée est adoptée par 6 voix contre 5.)
Le président: Je vous remercie.
Nous avons encore deux intervenants sur d'autres sujets.
[Français]
Monsieur Villemure, la parole est à vous.
:
Je vous remercie, monsieur le président.
Il est troublant de voir qu'on a cette attitude, assurément chez les députés libéraux, de vouloir rectifier le tir lorsque le gouvernement fait un faux pas, que ses méfaits sont dénoncés et qu'il est vertement critiqué. Si l'opposition croît à l'égard de ses actions, alors il annule une commande ou fait marche arrière dans un contrat. La liste devient trop longue à citer dans le peu de temps que nous avons, monsieur le président.
Je trouve cela préoccupant de voir que l'attitude que l'on adopte alors est de dire que c'est du passé, que ce n'est plus pertinent, et que cela ne vaut pas la peine d'en discuter.
Voici ce que je propose. Dans la motion originale, nous avions prévu d'y consacrer trois heures, dont nous disposons, si j'en crois le calendrier. Au lieu de supprimer l'étude dans sa totalité, nous pouvons reconnaître que des erreurs, des erreurs graves, ont été commises. Le fait que la belle-soeur d'un ministre soit nommée commissaire à l'éthique par intérim est un conflit d'intérêts flagrant qui... Je me demande même si Hollywood irait aussi loin.
Au lieu des trois heures prévues, il serait raisonnable donc de demander qu'on y consacre l'heure que nous avons mardi, afin qu'on tente d'aller au fond de cette affaire et que les membres du Comité puissent poser des questions au nom des nombreux Canadiens qui sont sidérés de voir jusqu'où le gouvernement peut aller, de même que les gestes qu'il pose et qui minent la confiance à l'égard de nos institutions.
Voilà ce que je propose, monsieur le président. Je suis bien entendu contre l'idée de mettre un terme à l'étude, mais je serais d'accord pour amender ou modifier la motion en raison des nouvelles circonstances. C'est ma position sur ce sujet.
:
Je vous remercie, monsieur Kurek.
Les suggestions et les propositions ne fonctionnent pas dans le Règlement. Il faut avoir des motions officielles. M. Fergus a présenté une motion pour mettre un terme à l'étude.
Selon ce que j'ai entendu de votre part, monsieur Kurek... et je vais rappeler aux membres du Comité que nous avions approuvé la tenue d'au plus trois réunions sur ce sujet. Si vous proposez un amendement à la motion de M. Fergus, je vous demanderais de le faire officiellement, afin que nous puissions discuter de votre amendement.
Quel amendement proposeriez-vous, monsieur Kurek?
Je m'excuse, monsieur Kurek. La greffière vient de m'apporter une précision.
La motion de M. Fergus est de mettre fin à l'étude. Il n'y a pas d'amendement possible. Sa motion est claire, alors nous l'adoptons ou nous la rejetons. Nous avons besoin du consentement unanime ou d'un vote.
Monsieur Fergus, vouliez-vous ajouter quelque chose?
M. Greg Fergus: Non.
Le président: Vous avez tout dit. D'accord.
Je vais maintenant demander s'il y a consentement unanime pour adopter la motion de M. Fergus. S'il n'y a pas de consentement unanime, je vais mettre la motion aux voix. Je vois des gens qui hochent la tête.
Selon le résultat, je reviendrai sans doute à vous, monsieur Kurek.
(La motion est adoptée par 7 voix contre 3.)
Le président: La motion de M. Fergus est adoptée. Cela met fin à l'étude sur ce sujet, ce qui nous libérera un peu de temps. Comme je l'ai mentionné plus tôt, il ne reste que 14 réunions, car nous en avons perdu deux.
Comme il n'y a pas d'autres travaux du Comité, j'en profite pour remercier nos analystes, la greffière et tous les techniciens pour la réunion d'aujourd'hui.
La séance est levée.