:
J'ouvre maintenant la séance.
[Français]
Je vous souhaite la bienvenue à la cinquième réunion du Comité permanent de l'accès à l'information, de la protection des renseignements personnels et de l'éthique de la Chambre des communes.
Conformément à l'article 108(3)h) du Règlement et à la motion adoptée par le Comité le jeudi 13 janvier 2022, le Comité reprend son étude de la collecte et de l'utilisation des données sur la mobilité par le gouvernement du Canada.
[Traduction]
La réunion d'aujourd'hui se déroule sous forme hybride, conformément à l'ordre de la Chambre adopté le 25 novembre 2021. Les membres peuvent participer en personne ou avec l'application Zoom. Les délibérations sont diffusées sur le site Web de la Chambre des communes. À titre d'information, la diffusion Web montre toujours la personne qui parle, plutôt que l'ensemble du Comité.
Je tiens à rappeler à tous les participants de la réunion qu'il est interdit de prendre des captures d'écran ou des photos de votre écran.
Compte tenu de la situation actuelle de pandémie et à la lumière des recommandations des autorités sanitaires ainsi que de la directive du Bureau de régie interne du 19 octobre 2021, pour rester en bonne santé et en sécurité, tous ceux qui participent à la réunion en personne doivent maintenir une distance physique de deux mètres et doivent porter un masque non médical lorsqu'ils circulent dans la salle. Il est fortement recommandé de porter le masque à tout moment, y compris lorsque vous êtes assis à votre place, mais c'est parfois plus facile si vous l'enlevez quand vous avez la parole. Je vais enlever mon masque quand je parle. Les participants doivent aussi avoir une bonne hygiène des mains et utiliser le désinfectant pour les mains fourni à l'entrée de la salle.
En tant que président, j'appliquerai ces mesures pendant toute la durée de la réunion, et je remercie d'avance les députés pour leur coopération.
Pour garantir le bon déroulement de la réunion, j'aimerais vous faire part de certaines règles.
Les députés et les témoins peuvent s'exprimer dans la langue officielle de leur choix. Des services d'interprétation sont disponibles pour la réunion. Vous avez le choix, au bas de votre écran, entre le parquet, l'anglais ou le français. Si l'interprétation est perdue, veuillez m'en informer immédiatement et nous veillerons à ce que l'interprétation soit correctement rétablie avant de reprendre les travaux. Veuillez utiliser la fonction « Lever la main » de la plateforme, accessible sur la barre d'outils principale, si vous souhaitez prendre la parole ou alerter le président.
Les députés qui participent en personne doivent faire comme ils le feraient habituellement si le Comité se réunissait dans une salle de comité. Gardez à l'esprit les directives du Bureau de régie interne concernant le port du masque ainsi que les protocoles en matière de santé.
Avant de prendre la parole, attendez que je vous nomme. Si vous participez par vidéoconférence, cliquez sur le micro pour désactiver le mode sourdine. Les micros des participants qui se trouvent dans la salle seront comme d'habitude contrôlés par l'agent des délibérations et de la vérification. Lorsque vous avez la parole, veuillez parler lentement et clairement. Lorsque vous ne parlez pas, mettez votre micro en mode sourdine.
Je vous rappelle que toutes les observations des députés et des témoins doivent être adressées à la présidence.
En ce qui concerne la liste des personnes qui prendront la parole, la greffière du Comité et moi-même ferons de notre mieux pour maintenir l'ordre de parole établi pour tous les députés, qu'ils participent à la réunion en personne ou à distance.
J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à nos témoins. Nous accueillons les représentants du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, M. Daniel Therrien et M. Martyn Turcotte, directeur de la Direction de l'analyse des technologies.
Avant de céder la parole au commissaire pour sa déclaration préliminaire, je tiens à souligner qu'un certain temps sera consacré aux travaux du Comité lors de la deuxième partie de la séance. C'est un membre du Comité qui l'a demandé, et je crois qu'il est temps que nous discutions des travaux du Comité. Mon but, si nous réussissons à respecter notre horaire... Nous devrions avec un peu de chance pouvoir consacrer jusqu'à une demi-heure aux travaux du Comité, mais cela va dépendre en partie du respect de notre horaire.
Je vais maintenant vous céder la parole, monsieur le commissaire. Merci beaucoup d'être avec nous. Vous avez cinq minutes pour votre déclaration.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je vous remercie de m'avoir invité à participer à votre importante étude.
Dès le début de la pandémie, le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada a reconnu que les données peuvent servir l'intérêt public, par exemple, pour protéger la santé publique. À cette fin, nous avons publié un cadre qui précise comment y parvenir tout en respectant la vie privée. L'un des éléments clés de ce cadre est l'utilisation de données dépersonnalisées ou cumulatives dans la mesure du possible.
Notre cadre met en garde les institutions contre le risque toujours présent de repersonnalisation. Compte tenu de ce risque, notre cadre précise qu'il est nécessaire d'adopter des moyens techniques, entre autres, pour protéger les renseignements. En principe, l'utilisation de données dépersonnalisées ou cumulatives à des fins de santé publique peut donc se faire conformément à notre cadre si des normes techniques adéquates sont adoptées.
Depuis le début de la pandémie, nous avons régulièrement des réunions avec l'Agence de la santé publique sur des initiatives liées à la COVID‑19. Ces interactions sont une bonne chose.
En ce qui concerne l'utilisation de données mobiles par le gouvernement, nous avons été informés de l'intention d'utiliser des données dépersonnalisées et cumulatives. Nous avons proposé d'examiner les moyens techniques utilisés pour dépersonnaliser les données et fournir des conseils, mais le gouvernement a fait appel à d'autres experts, ce qui est sa prérogative.
Comme nous avons maintenant reçu des plaintes formelles, nous allons enquêter et nous pencher sur les moyens choisis pour la dépersonnalisation afin de voir s'ils permettent de protéger adéquatement les données contre la repersonnalisation. Puisque cette question fait l'objet d'une enquête, nous ne serons malheureusement pas en mesure de vous fournir notre avis sur cet aspect de votre étude.
[Traduction]
J'aimerais maintenant faire quelques observations sur la façon dont cette affaire renvoie à des questions plus vastes, comme l'utilisation des données dans les secteurs public et privé et, à mon avis [difficultés techniques] le besoin urgent d'une réforme législative. Je souhaite également vous suggérer des questions que vous pourriez examiner au cours de votre étude.
Les organisations des secteurs public et privé réutilisent constamment des données à de nouvelles fins. Cette pratique suscite des préoccupations légitimes chez les consommateurs, en particulier lorsque leurs données personnelles sont utilisées à leur insu, à des fins autres que celles auxquelles ils s'attendaient. Est‑ce que cela veut dire que ces pratiques ne devraient être autorisées qu'avec le consentement des consommateurs? Je crois que cela ne serait ni réaliste ni raisonnable, comme cette affaire l'a démontré.
La solution, à mon avis, est plutôt d'autoriser l'utilisation des données personnelles pour le bien commun ou les fins commerciales légitimes, à l'intérieur d'une loi fondée sur les droits, qui reconnaîtrait que le droit à la vie privée a la même valeur et est de la même nature que tout autre droit de la personne. Ainsi, le poids des renseignements personnels serait pris en compte dans tout exercice d'équilibre.
Le gouvernement fait valoir que son utilisation des données sur la mobilité ne tombe pas sous l'application de la Loi sur la protection des renseignements personnels, autrement dit, que cette loi ne s'applique pas. Étrangement, cette conclusion est probablement conforme à la loi actuelle, dans la mesure où les renseignements ont été correctement dépersonnalisés et agrégés, ce qui fait présentement l'objet d'une étude de votre part et, indépendamment, du Commissariat. Donc, la première question à se poser est de savoir si les données ont effectivement été correctement dépersonnalisées et agrégées.
Mais, même si elles l'ont été, une deuxième question que vous devriez examiner serait celle de savoir si c'est une bonne politique législative que de ne pas appliquer les lois sur la protection des renseignements personnels aux données dépersonnalisées. Nous sommes d'avis que l'exclusion des données dépersonnalisées du champ d'application des lois sur la protection des renseignements personnels n'est pas une bonne approche, puisqu'elle comporte des risques très sérieux.
Ensuite se pose la question de la transparence et du consentement. Le gouvernement ou ses partenaires commerciaux du secteur privé ont-ils adéquatement informé les usagers des services de téléphonie cellulaire que leurs données de mobilité seraient utilisées à des fins de santé publique? Les politiques de confidentialité de Telus font bien mention, quelque part, du programme Données au service du bien commun, et, même si le gouvernement fait des efforts pour informer les Canadiens de son utilisation de ces données, sur le site Tendances COVID, personne ne peut prétendre sérieusement que la majorité des usagers des services de téléphonie savaient comment leurs données de mobilité seraient utilisées.
Est‑ce que cela a de l'importance? C'est à mon avis une autre question que vous devriez examiner. Il va sans dire que la transparence contribue à la confiance, et le gouvernement aurait certainement pu être plus proactif dans ses stratégies de communication pour informer les Canadiens de son programme, mais est‑ce qu'un programme comme celui‑ci exige un consentement valable?
Comme je l'ai dit plus tôt, je pense que, en raison des limites du consentement comme moyen de protéger la vie privée, il serait préférable de permettre l'utilisation des données personnelles à des fins commerciales légitimes ou pour le bien commun, à l'intérieur d'un cadre fondé sur le respect des droits. Cette loi devrait être appliquée par le Commissariat, organisme indépendant, qui serait doté des ressources et des pouvoirs nécessaires à la protection des Canadiens.
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Merci, monsieur le président.
J'aurais préféré que M. Therrien puisse continuer, parce qu'il est clairement un expert dans son domaine et qu'il a beaucoup de choses à dire.
Monsieur Therrien, merci d'être avec nous aujourd'hui. Je crois qu'il s'agit d'une étude importante, parce que les Canadiens sont préoccupés par la question de la protection des renseignements personnels. Je crois, monsieur Therrien, que cette étude va aussi permettre au Comité d'examiner en profondeur les questions que vous avez soulevées dans votre déclaration et au sujet desquelles vous avez écrit aux autres commissaires à la protection de la vie privée. Vous avez écrit au gouvernement au sujet de la protection des renseignements personnels dans le contexte de la pandémie.
Le point que je tiens vraiment à clarifier concerne la consultation avec le Commissariat. Je crois — et j'imagine que beaucoup de Canadiens le croient également — que le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada est la première organisation qui doit être consultée, avant toutes les autres. Pour dire les choses autrement, vous représentez les normes à respecter à l'égard de la vie privée au Canada. Cependant, nous entendons différents sons de cloche: certains disent que vous avez été consultés, et d'autres, non.
L'ASPC a fait savoir qu'elle allait consulter d'autres experts en sécurité et en protection des renseignements personnels. Qu'est‑ce que ces autres experts en sécurité et en protection des renseignements personnels peuvent offrir de plus que le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada?
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Pour répondre à la question de savoir si nous avons été consultés ou informés, et quelle était la teneur de ces discussions, je dirais que l'ASPC et un groupe du ministère de l'Innovation nous ont informés du fait que le gouvernement voulait utiliser des données dépersonnalisées à des fins que j'ai mentionnées plus tôt, c'est‑à‑dire utiliser les données de mobilité pour comprendre les tendances des déplacements, à des fins de santé publique.
Nous avons appris cela dans le cadre des réunions régulières que nous avons avec les organismes gouvernementaux pour discuter de toutes sortes de questions liées à Alerte COVID. À ce moment‑là, nous avions une présence très forte, en ce qui concerne l'application Alerte COVID, entre autres, alors on nous a informés de ce projet en particulier.
Nous avons offert de fournir des conseils sur les mesures de précaution pour nous assurer qu'elles étaient adéquates et que les données étaient correctement dépersonnalisées, mais le gouvernement a décidé de se fier à d'autres, comme c'est sa prérogative.
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Nous avons offert de fournir des conseils. Est‑ce normal que le Commissariat n'intervienne pas dans toutes les affaires? Je crois que, en réalité, le Commissariat ne peut pas préautoriser ou examiner tous les cas de collecte ou de divulgation de données au Canada. Nous formulons des conseils généraux, et nous espérons qu'ils seront suivis. Nous enquêtons sur les plaintes.
Je crois que, dans le cadre de la nouvelle loi, notre commissariat devrait avoir plus de pouvoirs afin de réaliser proactivement des audits sur les pratiques du gouvernement et du secteur privé, mais ce n'est malheureusement pas réaliste de s'attendre à ce que le Commissariat approuve toutes les utilisations ou divulgations de données au pays. Au bout du compte, l'accès aux données est une bonne chose pour le Canada, évidemment, tant que c'est à des fins acceptables, comme des intérêts commerciaux légitimes ou pour le bien public et non pour une surveillance illégitime, comme cela s'est vu dans certains cas.
Mais ce genre de choses se fait tout le temps, alors nous ne pouvons pas être là dans tous les cas.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
J'aimerais aussi remercier M. Therrien de son témoignage aujourd'hui et de sa disponibilité pour offrir ses commentaires et son expertise.
Nous vous sommes très reconnaissants de votre travail, monsieur Therrien.
Le Comité a décidé de faire une étude « concernant la collecte, l’utilisation ou la possession par l’Agence de la santé publique du Canada des données privées des téléphones cellulaires des Canadiens ». Un porte-parole de l'Agence de la santé publique du Canada a précisé que seules des données dépersonnalisées ou anonymes sont utilisées.
Monsieur Therrien, selon votre évaluation des communications que votre bureau a eues avec l'ASPC, pouvez-vous nous dire si, de prime abord, le gouvernement a bel et bien reçu des données anonymes ou dépersonnalisées?
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Dans ce cas-ci, je pars du principe qu'il y a une place pour le consentement dans la protection de la vie privée, mais qu'il n'est pas réaliste, dans le monde moderne d'aujourd'hui, de s'attendre à ce que tous les usages commerciaux ou gouvernementaux des données d'un client fassent l'objet d'un consentement. Voilà qui nous amène au concept de consentement souvent implicite.
Dans ce cas, le principe juridique qui s'applique est celui selon lequel des données correctement dépersonnalisées, ce qui est tout à fait possible, ne sont tout simplement pas des renseignements personnels au sens de la loi actuelle dans le secteur public. Le gouvernement peut donc les colliger et les utiliser comme bon lui semble, sans avoir à protéger la vie privée. Cela est tout à fait possible, même si nous n'avons pas encore de conclusion.
Ainsi, la règle qui semble applicable dans ce cas est celle selon laquelle les données, si elles ont été correctement dépersonnalisées, ne sont pas des renseignements personnels et que le consentement n'est pas nécessaire.
C'est l'une des raisons pour lesquelles nous recommandons que, même si les données sont dépersonnalisées, la loi soit modifiée afin de rester assujettie à la Loi sur la protection des renseignements personnels, afin qu'il y ait certains principes applicables, même si les données sont dépersonnalisées.
Comme je le disais dans mes observations, je ne pense pas que la solution ultime consiste uniquement en une plus grande transparence et en l'obtention d'un consentement, étant donné le nombre extrêmement important d'utilisations qui est fait, parfois pour de bonnes raisons, parfois pour de mauvaises raisons.
Il faut donc des critères objectifs, comme l'usage commercial légitime et le bien public, qui seraient appliqués par une agence de réglementation. Le consentement est important, mais il faut aussi qu'une agence de réglementation joue son rôle pour bien protéger les Canadiens, étant donné la complexité de l'usage qui est fait de leurs données.
Par votre entremise, monsieur le président, j'aimerais d'abord me présenter à M. Therrien; je suis député d'Hamilton—Centre. Puisque j'ai seulement six minutes, je vais vous poser très rapidement quelques questions. Je m'excuse d'avance si j'ai l'air de mettre la pression lorsque vous répondez à une question pour passer à la suivante.
Tout comme les autres membres ici présents, un point qui me préoccupe est que nous avons obtenu des renseignements contradictoires lors de notre réunion du 3 février, la semaine dernière, quand les représentants de l'Agence de la santé publique du Canada sont venus témoigner — avec le ministre — au sujet de la participation du Commissariat. Vous dites maintenant que vous aviez été avisé. Je tiens à vous dire que, au cours des dernières réunions, on nous a laissé entendre qu'il y avait eu une collaboration ou une consultation.
J'aimerais qu'on distingue clairement ce qui se passe quand le Commissariat est tenu informé de façon continue de quelque chose et ce qui pourrait se passer si le Commissariat offrait activement des conseils au ministère au sujet de la protection des renseignements personnels. Pouvez-vous décrire brièvement les différences entre ces deux scénarios?
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Je commencerais par le fait que les données, y compris les données personnelles, sont nécessaires au développement et à la croissance économiques et au bien social. Nous ne disons pas que les données ne devraient pas être utilisées. C'est la réalité du XXI
e siècle, c'est la réalité de l'avenir.
Malgré tout, le fait que les données peuvent être utilisées pour de bonnes raisons ne veut évidemment pas dire que cela est toujours le cas. Nous avons été témoins de nombreux cas, au fil des ans, où les données étaient utilisées de façon contraire aux intérêts individuels. Prenez le cas de Cambridge Analytica, par exemple, et à son lien avec la démocratie.
Le cadre doit laisser une marge de manœuvre et permettre d'innover au chapitre de l'utilisation des données à des fins commerciales légitimes et pour le bien public, mais le cadre doit protéger la vie privée en tant que droit de la personne. Il doit être appliqué par un organisme de réglementation qui est habilité à réaliser des audits ou des enquêtes pour s'assurer que, dans des circonstances particulières, les données sont effectivement utilisées correctement, et lorsqu'elles ne le sont pas, il devrait y avoir des pénalités conséquentes pour les acteurs, les entreprises, qui ont enfreint la loi.
C'est essentiellement le cadre que nous avons.
Je veux remercier M. Therrien d'être avec nous aujourd'hui et de répondre à toutes ces questions très importantes. Je suis d'accord avec mes collègues.
J'aimerais revenir à la partie de votre déclaration préliminaire où vous avez parlé de transparence et du consentement. Vous demandiez si les Canadiens savaient clairement que leurs données étaient utilisées de cette façon.
Je crois que c'est dès le début de 2020 que le Cabinet du premier ministre a publié un communiqué de presse pour dire que la Santé publique allait commencer à utiliser les données de mobilité dépersonnalisées pour aider dans la lutte contre la COVID‑19. Je n'étais pas députée à ce moment‑là, mais je me rappelle en avoir entendu parler. Je me rappelle que l'administratrice en chef de la santé publique du Canada, la Dre Theresa Tam, envoyait régulièrement des gazouillis à propos de ces données et de ce que cela voulait dire. Nous savions, par exemple, que les mesures de santé publique étaient respectées parce que les données de mobilité montraient que les gens se déplaçaient moins, et ensuite, des tendances ont pu être cernées grâce aux données de mobilité. J'ai vu que le gouvernement publiait régulièrement de l'information sur la façon dont ces données étaient utilisées, et cela n'a pas semblé créer de préoccupations jusqu'à ce que l'opposition soulève la question il y a deux ou trois mois.
Quand vous dites que le gouvernement aurait pu être plus proactif dans ses communications sur l'utilisation des données de mobilité, qu'aurait‑il pu faire de mieux, exactement, selon vous?
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Ce n'est pas facile d'être transparent. Comme je l'ai dit dans ma déclaration, le gouvernement a une page Web, TendancesCOVID, qui fait un assez bon travail pour expliquer aux Canadiens que leurs données de mobilité sont utilisées. Vous n'avez pas besoin de lire une politique de confidentialité de 60 pages pour le savoir, mais, pour accéder à cette page, vous devez d'abord savoir que ce programme existe et qu'il y a quelque chose qui s'appelle TendancesCOVID. Une fois que vous êtes rendu là, le gouvernement fait un travail correct en matière de transparence.
Au‑delà de cette page Web, je crois que vous avez demandé — avec raison — comment le gouvernement pouvait être proactif. Il peut le faire au moyen de stratégies de communication et de conférences de presse de l'ASPC et d'autres organisations, par exemple. Ça, ce serait être proactif.
Selon moi, l'essentiel c'est que je doute énormément, que la majorité des utilisateurs de services mobiles savait que leurs données étaient recueillies, malgré les efforts que le gouvernement a faits.
La transparence, c'est important, mais ce n'est pas suffisant pour assurer une réglementation convenable des données. C'est pour cela que j'ai dit que, en plus de la transparence, en plus du consentement, il faut que l'organisme de réglementation ait le pouvoir de mener des enquêtes, comme nous le faisons présentement, sur ce genre de situations afin de garantir la protection des renseignements personnels.
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Merci, monsieur le président.
Monsieur le commissaire, je vous remercie de votre franchise et de votre précision.
J'imagine que le commissariat à la protection de la vie privée existe pour maintenir la confiance du public en matière de vie privée. Vous avez parlé de la confiance lors de votre allocution, et nous savons tous que, quand la confiance n'est pas au rendez-vous, c'est la méfiance qui prend le relais, puis, éventuellement, la défiance.
Croyez-vous que ces incidents — je ne veux pas utiliser le mot « scandales » — autour de la vie privée effritent la confiance du public, en général, envers les autorités?
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Merci, monsieur le président.
Monsieur Green, il était juste d'invoquer le Règlement, soit dit en passant.
Monsieur Therrien, tout d'abord, vous nous avez donné amplement de quoi réfléchir aujourd'hui. Je veux vous remercier de votre franchise.
Je veux parler des données qui sont adéquatement dépersonnalisées. Vous dites que le jumelage de données entraîne toujours un risque. Nous savons que, par ce processus, ou nous avons appris que, par ce processus... Telus a recueilli les données. Elles ont été transmises à une source secondaire appelée BlueDot, dont le travail consisterait à recueillir ces données, à les évaluer et à fournir des conseils à l'ASPC, qui a fini par devenir le client.
Quels sont les risques liés à la dépersonnalisation des données par une entreprise dont le travail a justement trait à ce genre de situation? Contentez-vous simplement de parler des risques, si vous le voulez bien.
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Merci, monsieur le président.
Merci à nos témoins de s'être joints à nous aujourd'hui.
Je sais que beaucoup de questions ont été posées. Vous avez dit que vous doutez fortement que les gens savent si leurs données sont protégées ou non. La semaine dernière, j'ai parlé de quelque chose de semblable.
Je pense à toutes sortes d'applications que les gens utilisent, partout au pays, qui vont de Google Maps aux autres applications que les gens ont sur leur téléphone. Il y en a probablement des centaines. En général, l'application vous demandera d'avoir accès à vos renseignements et à votre caméra. Vous avez dit que quelque chose doit être fait pour renforcer cette protection. Est‑ce quelque chose qui selon vous devrait être inclus dans cette fonctionnalité?
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Je vais faire la distinction entre deux choses. Je vous ai entendu dire — ou peut-être ai‑je mal compris — qu'il y a la question de la connaissance ou de la conscience des Canadiens et la question de la protection. Quant à savoir si les données des Canadiens ont été correctement protégées, c'est l'objet de notre enquête, donc, je ne dis pas qu'elles étaient protégées ou qu'elles ne l'étaient pas. C'est ce sur quoi nous allons faire enquête.
Pour ce qui est de la connaissance, oui, je continue à dire que la plupart des utilisateurs des services de Telus ne savaient probablement pas que leurs données étaient utilisées de cette manière. Nous avons jeté un coup d'œil aux politiques en matière de vie privée de Telus, et il y a quelque chose dans ces politiques, comme c'est souvent le cas dans les politiques de confidentialité des entreprises, qui informe les Canadiens que leurs données de mobilité pourraient, de manière dépersonnalisée, être utilisées pour ce qu'on appelle « le bien public ». Le terme « bien public » n'était pas utilisé dans le sens de « utilisées par le gouvernement et l'ASPC». Quoi qu'il en soit, nous savons que personne ne lit ces politiques de confidentialité. Elles sont longues, elles sont compliquées, et même les avocats ont de la difficulté à les comprendre. Ce n'est pas une très bonne façon d'informer les Canadiens de la manière dont leurs données seront utilisées. Je crois que, dans ce cas‑ci, le gouvernement a probablement mieux réussi à informer les Canadiens avec la page Web TendancesCOVID. Quoi qu'il en soit, je crois qu'il est juste de dire que, en général, les Canadiens n'étaient pas au courant et qu'il faudrait en faire plus.
En toute franchise, il ne sera jamais possible d'informer les gens de toutes les utilisations qui seront faites de leurs renseignements, parce que ces utilisations sont trop nombreuses et que bon nombre d'entre elles sont légitimes ou faites pour le bien public. Si des données doivent être utilisées pour le bien public, le consentement ne peut être une condition préalable pour toutes ces utilisations pour le bien public. Le consentement a sa place, et la transparence a sa place. L'amélioration des politiques de confidentialité a sa place, mais la vraie solution est d'avoir une garantie qui s'appliquerait en l'absence de consentement lorsque des critères objectifs ont été définis, comme les intérêts commerciaux légitimes — qui j'en conviens devraient être mieux définis — ou le bien de la société, et la mise en application devrait être confiée à quelqu'un qui peut protéger les intérêts des Canadiens.
C'est un domaine compliqué. Ne perdons pas de vue le fait que les données peuvent être utilisées à bon escient, mais cela doit être mieux réglementé.
Sur ce, nous mettons fin à nos travaux pour le premier groupe de témoins de la réunion d'aujourd'hui. Je suis sûr que tous les membres se joindront à moi pour remercier le commissaire Therrien et M. Turcotte.
J'aimerais passer immédiatement au deuxième groupe de témoins. Je vais vous faire grâce des déclarations de procédure, car je pense que tout le monde était là, y compris notre témoin qui était observateur.
Je vais suspendre la séance pendant un bref instant pour une vérification du son, puis nous commencerons avec le deuxième groupe de témoins.
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Merci, monsieur le président et membres du Comité.
Le but de mes commentaires est d'offrir une vue d'ensemble de la dépersonnalisation. Comme j'ai travaillé dans ce domaine pendant près de 20 ans, tant dans le milieu universitaire que dans l'industrie, c'est peut-être à cet égard que je peux être utile à l'étude du Comité. Je ne peux pas commenter les détails de l'approche adoptée par Telus et l'ASPC, car je ne dispose pas de cette information. Je me concentre sur l'état du domaine et la pratique.
Il est important de clarifier la technologie. Des termes comme anonymisation, dépersonnalisation et agrégation sont utilisés de façon interchangeable, mais ils ne signifient pas la même chose. Il est plus précis de parler du risque de réidentification. Lorsque l'on partage des ensembles de données à des fins secondaires, comme c'est le cas ici, l'objectif est de s'assurer que le risque de réidentification est très faible.
Il existe de solides précédents concernant la définition d'un risque très faible, qui proviennent de la publication de données par, par exemple, Santé Canada, des conseils de la commissaire à la protection de la vie privée de l'Ontario et des applications des organismes de réglementation européens et des ministères de la Santé aux États-Unis. Par conséquent, l'acceptation d'un risque très faible n'est généralement pas controversée, car nous nous appuyons sur ces précédents qui ont très bien fonctionné dans la pratique.
Si nous disions que la norme est le risque zéro, alors toutes les données seraient considérées comme identifiables ou comme des renseignements personnels. Cela aurait de nombreuses conséquences négatives pour la recherche en santé, la santé publique, le développement de médicaments et l'économie des données en général au Canada. En pratique, un seuil de risque très faible est fixé, et l'objectif est de transformer les données pour atteindre ce seuil.
Il existe de nombreux types de transformations permettant de réduire le risque de réidentification. Par exemple, les dates peuvent être généralisées, la granularité des lieux géographiques peut être réduite, et du bruit peut être ajouté aux valeurs des données. Nous pouvons créer des données synthétiques, c'est‑à‑dire des données factices qui conservent les modèles et les propriétés statistiques des données réelles, mais pour lesquelles il n'existe pas de correspondance directe avec les données originales. D'autres approches faisant appel à des schémas cryptographiques peuvent également être utilisées pour permettre une analyse sécurisée des données. Tout cela pour dire qu'il existe une panoplie de technologies permettant de renforcer la protection des renseignements personnels en vue d'un partage responsable des données individuelles, et que chacune d'entre elles présente des avantages et des inconvénients.
Au lieu de partager des données individuelles, il est également possible de ne partager que des statistiques sommaires. Si cela est bien fait, le risque de réidentification est très faible. Étant donné que la quantité d'information dans les statistiques sommaires est considérablement réduite, elle ne répond pas toujours aux besoins d'une organisation. Si c'est le cas, cela peut être une bonne option, et c'est ainsi que nous avons tendance à définir les « données agrégées ».
En pratique, pour les ensembles de données qui ne sont pas diffusés au public, des contrôles supplémentaires en matière de sécurité, de confidentialité et de contrats doivent être mis en place. Le risque est géré grâce à une combinaison de transformations de données et de ces mesures de contrôle. Il existe des modèles permettant de garantir que la combinaison des transformations de données et des contrôles présente globalement un très faible de risque de réidentification.
Il existe d'autres pratiques exemplaires pour une réutilisation et un partage responsables des données, comme la transparence et la surveillance de l'éthique. La transparence consiste à informer les personnes des fins auxquelles leurs données sont utilisées et peut comprendre une option de refus. L'éthique suppose une forme d'examen indépendant des finalités du traitement des données afin que l'on s'assure qu'elles ne sont pas nuisibles, surprenantes, discriminatoires ou simplement effrayantes. En particulier pour les données sensibles, une autre approche consiste à lancer une attaque au chapeau blanc à l'égard des données: une personne est chargée de lancer une attaque de réidentification afin de tester de façon empirique le risque de réidentification. Cela peut s'ajouter aux autres méthodes et fournir une garantie supplémentaire.
Tout cela signifie que nous disposons de bons modèles techniques et de gouvernance pour permettre la réutilisation responsable des ensembles de données et que de multiples technologies de renforcement de la confidentialité, mentionnées plus tôt, permettent de soutenir la réutilisation des données.
Tout le monde adopte‑t‑il ces pratiques? Non. L'un des problèmes tient à l'absence de directives réglementaires ou de codes de pratique clairs et pancanadiens pour la création de renseignements non identifiables qui tiennent compte des avantages énormes de l'utilisation et du partage des données et des risques de ne pas le faire. Cela, ainsi qu'une plus grande clarté dans la loi, réduirait l'incertitude, fournirait une orientation claire sur ce que sont des approches raisonnables et acceptables, et permettrait aux organisations d'être évaluées ou vérifiées pour qu'elles puissent démontrer leur conformité. Bien que des efforts aient été déployés, par exemple par le Canadian Anonymization Network, il faudra sans doute attendre un certain temps avant qu'ils ne donnent des résultats.
Pour dépersonnaliser les renseignements, il existe des transformations réelles comme réduire la granularité de la géographie, pour avoir des zones géographiques de plus en plus grandes, par exemple, ou réduire la granularité des dates pour avoir des intervalles de plus en plus grands; au lieu de jours, vous pouvez avoir des semaines ou une période plus longue. Vous pouvez utiliser des données synthétiques, c'est‑à‑dire créer des données factices qui ressemblent aux vraies données, mais qui ne concernent pas les individus. Vous pouvez utiliser des techniques cryptographiques, c'est‑à‑dire crypter les données et effectuer l'analyse sur les données cryptées.
Un certain nombre de technologies différentes ont été mises au point et peuvent être utilisées à cette fin. Le choix, bien sûr, dépendra des objectifs de l'Agence de la santé publique et du type d'analyse qu'elle effectue, mais il y a des options.
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Merci, monsieur le président.
Merci, monsieur El Emam, de vous joindre à nous aujourd'hui. D'emblée, j'aimerais dire que je suis sûre que le Comité et mes collègues ici présents seraient plus qu'heureux de voir les recommandations du livre blanc auxquelles vous avez fait allusion dans votre déclaration liminaire, afin de nous guider et de nous aider à être mieux informés à mesure que nos travaux progressent.
Vous avez mentionné ici dans les points clés de la collecte de données que la transparence est essentielle. Vous avez dit que les ensembles agrégés et la façon dont ils sont recueillis et présentés sont également essentiels, et que les entrepreneurs privés visent le bien de la société, qu'ils utilisent les garde-fous appropriés en travaillant sur ces données et qu'ils les fournissent à des fins d'utilisation.
Nous avons déjà établi que le gouvernement a été transparent tout au long du processus, à partir de mars 2020, avec ses indications concernant l'utilisation des données. Le commissaire nous a parlé d'un cadre publié disponible — pour répondre à la demande de M. Green — sur la meilleure façon d'utiliser les données anonymisées et agrégées. Merci d'avoir précisé la différence; c'est très utile.
En ce qui concerne l'importance pour les entrepreneurs avec lesquels nous travaillons pour recueillir ces données de viser le bien de la société, diriez-vous que Telus et BlueDot — et nous avons vu le rapport de BlueDot, qui a été soumis au Comité — sont généralement parmi ceux qui visent le bien commun dans la fourniture de données?
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Merci, monsieur le président. Comme toujours, j'apprécie qu'il soit possible de présenter des résultats et des réponses écrites plus étoffés.
Par votre entreprise, je tiens à souhaiter la bienvenue au Comité à l'expert en la matière que nous recevons ici aujourd'hui, M. El Emam. Je tiens à reconnaître que ce sujet est en grande partie nouveau pour moi et, j'en suis sûr, pour nombre de nos collègues, notamment la nature très technique de la technologie et là où nous nous situons en ce moment avec les mégadonnées.
Je vais m'en remettre à vous pour nous aider à y voir plus clair et me l'expliquer comme si j'avais cinq ans. Si vous avez déjà répondu à cette question, je vous demande d'essayer de la simplifier encore plus. Dans les exposés la semaine dernière, je suis sûr que vous vous rappellerez qu'on a utilisé un langage très spécifique au sujet des données anonymisées et dépersonnalisées... et bien sûr, de mon point de vue, la capacité d'obtenir des recommandations vraiment fermes de la part du Comité pour créer des normes de référence à l'échelle internationale en adoptant certaines des approches les plus rigoureuses fondées sur les droits à l'égard des données.
D'abord, je m'adresse à vous par l'entremise du président: compte tenu de votre rôle auprès de Replica Analytics, travaillez-vous avec des pays à l'échelle internationale, dans le monde entier, sur la technologie émergente que vous avez créée?
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Je vous en remercie. J'apprends aussi au fur et à mesure. Je vois que le RGPD comporte sept principes qui parlent de licéité, d'équité et de transparence; de limitation de la finalité; de minimisation des données; d'exactitude; de limitation du stockage; d'intégrité et de confidentialité; et de responsabilité.
Je sais que, dans le cadre de certains de mes travaux antérieurs sur les libertés civiles, en particulier sur la manière dont les forces de l'ordre utilisent les renseignements, nous avons entendu des histoires du secteur privé qui collecte des données en masse à des fins commerciales et permet ensuite une collecte subreptice de renseignements par le gouvernement.
Par conséquent, en ce qui concerne des choses comme la limitation du stockage, ou la limitation de la finalité ou de l'utilisation, y a‑t‑il des commentaires que vous voudriez fournir au Comité à partir de l'étude que nous avons devant nous aujourd'hui concernant les données sur la mobilité?
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Je m'excuse de cette interruption.
Je pose la question parce que je pense que l'une des fausses définitions de la portée de cette question au cours des deux dernières réunions était cette idée que nous devrions limiter la conversation à la façon dont le gouvernement fédéral gère cette information.
Monsieur El Emam, je vous dirais que, à un moment donné, du côté commercial, avant de les acheter à Telus, il y aurait eu des processus pour la collecte de ces données. J'aimerais vous demander, dans vos commentaires, de réfléchir à la manière dont la collecte de données à la source pourrait être soumise aux mêmes normes que celles que nous aurions à l'interne au sein de mon propre gouvernement.
Je vais simplement vous faire part très clairement de mon inquiétude, à savoir que nous avons peut-être confié les atteintes à la vie privée à un secteur commercial qui n'a peut-être pas la même rigueur et, très franchement, les mêmes principes en matière de limitation de la finalité.
Pourriez-vous faire un commentaire rapide à ce sujet ou le mettre par écrit pour le bénéfice du Comité et pour les recommandations futures que nous pourrions formuler?
Je crois que j'ai passé tout droit et que je vous ai donné un peu plus de temps, monsieur Green.
J'aimerais maintenant remercier notre témoin de sa présence aujourd'hui.
Des voix: Bravo!
Le président: Nous allons maintenant passer aux travaux du Comité.
Plutôt que de passer directement à huis clos, je vais peut-être donner la parole aux députés s'ils souhaitent parler de notre plan de travail. Si nous voulons discuter de certains témoins, il serait peut-être préférable de le faire à huis clos, si tout le monde est d'accord. De cette façon, nous aurons la possibilité de discuter de choses qui ne devraient pas être publiques en ce qui concerne les témoins.
Allez‑y, monsieur Brassard.