Bienvenue à la 70e réunion du Comité permanent des pêches et des océans de la Chambre des communes, qui se déroule dans un format hybride, conformément à l'ordre de la Chambre du 23 juin 2022.
Avant de poursuivre, j'aimerais rappeler à tout le monde que tous les commentaires doivent être adressés à la présidence.
Conformément à la motion de régie interne du Comité concernant les tests de connexion pour les témoins et pour les membres qui participent virtuellement, j'informe le Comité que tous les tests ont été effectués et que tout le monde est prêt à commencer.
Conformément à l'article 108(2) du Règlement et à la motion adoptée le 20 janvier 2022, le Comité reprend son étude sur l'investissement étranger et la concentration des entreprises en matière de permis et de quotas de pêche.
J'aimerais souhaiter la bienvenue à notre premier groupe de témoins.
De l'Institut de recherche en économie contemporaine, nous recevons Gabriel Bourgault‑Faucher, chercheur, qui témoigne par vidéoconférence. Représentant West Coast Wild Scallops, nous avons Melissa Collier, pêcheuse commerciale, qui témoigne par vidéoconférence. Représentant l'Institut de lutte contre la corruption de Vancouver, nous accueillons M. Peter German, président du comité consultatif.
Merci d'avoir pris le temps de comparaître aujourd'hui. Vous disposerez chacun de cinq minutes pour faire une déclaration préliminaire.
Nous allons commencer par M. Bourgault‑Faucher.
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Bonjour, monsieur le président et membres du Comité.
En tant que chercheur à l'Institut de recherche en économie contemporaine, l'IREC, je m'intéresse depuis plus de trois ans au secteur des pêches et de l'aquaculture commerciales au Québec maritime, dans une perspective de développement régional.
Les défis rencontrés par ce secteur d'activité sont multiples, et je vous remercie de m'avoir invité à comparaître ce matin en tant qu'expert pour me prononcer sur les questions des investissements étrangers et de la concentration des entreprises en matière de permis et de quotas de pêche.
Au Québec, la présence de firmes et de fonds étrangers dans la transformation des produits aquatiques est bien réelle, mais elle demeure peu documentée. C'est un sujet que nous aimerions d'ailleurs étudier beaucoup plus en profondeur à l'IREC. C'est par contre une question qui relève de la compétence des provinces, et je ne pense pas que le ministère des Pêches et des Océans, ou MPO, doive intervenir dans ce segment de la filière.
Cela dit, il faut saluer les efforts déployés ces dernières années par le MPO pour enchâsser les politiques sur le propriétaire-exploitant et sur la séparation de la flottille de pêche dans des règlements, même si, selon les témoignages reçus lors des dernières réunions, il semble y avoir encore beaucoup de travail à accomplir pour parvenir à faire appliquer pleinement ces règlements.
En fait, c'est surtout sur la concentration des entreprises de pêche, un phénomène observable depuis quelques années au Québec, que j'aimerais me prononcer tout spécialement aujourd'hui.
J'ai regardé les données officielles du MPO et, depuis une dizaine d'années, c'est-à-dire entre 2012 et 2021, il y a eu 465 permis de pêche de moins au Québec, ce qui représente une diminution de 8 %, tandis qu'il y a 34 pêcheurs de plus, ce qui représente une augmentation de 3 %. En d'autres mots, il y a aujourd'hui de plus en plus de pêcheurs qui se partagent moins de permis, ce qui signifie qu'on assiste à une concentration non négligeable des permis de pêche.
En parallèle, la valeur des débarquements a fortement augmenté au cours des dernières années, principalement en raison de la hausse des prix des principaux crustacés sur les marchés mondiaux. Le résultat est que chaque pêcheur gagne aujourd'hui en moyenne près de deux fois et demie ce que gagnait un pêcheur il y a 10 ans. Je parle ici de dollars constants, ce qui signifie que l'inflation est prise en considération dans le calcul. Ces données sont très générales et masquent une réalité infiniment plus complexe.
Récemment, j'ai eu la chance de réaliser un portrait des pêches pour les municipalités régionales de comté de la Gaspésie. Au cours de cette recherche, nous avons effectué une tournée de la Gaspésie pour récolter des données qualitatives, notamment en effectuant des entretiens auprès d'intervenants du secteur des pêches. Ces entretiens viennent compléter les données statistiques et permettent de mieux comprendre les dynamiques à l'œuvre en Gaspésie, et possiblement ailleurs au Québec maritime ou même au Canada atlantique.
La concentration des permis de pêche, bien enclenchée depuis quelques années, engendre deux grands défis pour les communautés côtières, soit la redistribution des richesses et l'établissement de la relève. Pour le dire autrement, la concentration des permis de pêche et des quotas au cours des dernières années s'est manifestée par une concentration de la richesse et une augmentation des inégalités socioéconomiques entre les pêcheurs de différentes flottilles, surtout entre, d'un côté, les pêcheurs de crabe des neiges et de homard d'Amérique, et, de l'autre, le reste des pêcheurs.
Cette concentration des permis de pêche et des quotas a aussi eu pour effet d'accentuer les barrières à l'établissement de la relève, dans la mesure où l'acquisition d'une première entreprise de pêche est plus difficile qu'auparavant, ce qui renforce à son tour les inégalités socioéconomiques.
Pour conclure, je tiens à rappeler que le but des règlements et des politiques du MPO, en plus de protéger et de conserver les écosystèmes marins, est de favoriser la prospérité économique des pêcheurs et de leurs communautés. Il apparaît pourtant que le ministère ne parvient pas à remplir adéquatement ce rôle. Pour cette raison, il est nécessaire d'envisager d'autres mécanismes réglementaires pour prévenir, dans un premier temps, une trop grande concentration des permis de pêche, surtout pour les principales espèces, et, dans un second temps, pour faciliter l'accès de la relève à ces permis.
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Bonjour à tous et merci beaucoup de m'accueillir ici aujourd'hui.
Je m'appelle Melissa Collier et je suis une pêcheuse commerciale établie à Courtenay, en Colombie-Britannique. Je témoigne aujourd'hui pour représenter ma famille de pêcheurs et, plus précisément, mon mari, Joel Collier, qui est un pêcheur de quatrième génération. Mon mari pêche activement les crevettes en ce moment même, comme je le faisais jusqu'à il y a quelques jours.
La saison de la crevette est la période de l'année la plus occupée pour ma famille, notamment parce que nous tirons la majorité de nos revenus annuels de cette pêche. Le fait que je prenne la parole ici aujourd'hui témoigne de l'importance que j'accorde à cette question. J'ai passé les derniers jours à essayer de me préparer à cette réunion, écoutant les séances précédentes autant que j'ai pu, tout en tenant compte des exigences de notre entreprise et, surtout, de mes enfants, qui s'ennuient de leur mère quand elle est absente. D'après ce que j'ai vu, vous avez entendu et continuerez d'entendre des personnes qui connaissent beaucoup mieux le sujet que moi, mais j'aimerais profiter de l'occasion pour vous raconter une partie de notre histoire et parler de ce que nous voyons et entendons sur l'eau.
Mon mari et moi pêchons la crevette tachetée, le saumon par lignes traînantes et le pétoncle nageant sur notre bateau de 42 pieds, le Lisa Jess. Nous sommes des propriétaires-exploitants. Même si nous possédons notre permis et notre quota, comme l'a indiqué Mme Strobel lors d'une séance précédente, nous louons également des quotas ou des permis supplémentaires au besoin pour assurer la viabilité économique de certaines pêches.
Le fait d'être propriétaires-exploitants nous permet de déterminer ce que nous pêchons, de décider à qui nous vendons et de négocier un prix équitable. Grâce à de nombreuses années d'efforts et à l'établissement de relations, la plupart de nos prises restent au Canada. Nous avons travaillé très fort pour maintenir notre pleine autonomie, même lorsque cela rendait notre parcours considérablement plus difficile. Il est difficile et, dans bien des cas, impossible pour notre petite entreprise familiale de faire concurrence à de plus grandes entreprises. Nos dépenses d'exploitation sont plus élevées. Le travail est énorme pour seulement deux personnes, et nous ne pouvons tout simplement pas égaler les prix.
Nous pêchons parce que c'est très important pour nous, sachant que chaque personne ou entreprise de notre collectivité qui nous soutient obtient une valeur directe de nos fruits de mer, qu'il s'agisse de toutes les entreprises qui nous ont aidés à sortir en mer en premier lieu, des deux jeunes hommes que nous employons, ou de tous ceux qui nous aident à acheminer nos fruits de mer vers leur destination finale, qu'il s'agisse de la compagnie de transport locale, du poissonnier ou du chef.
Nous sommes également très fiers de proposer des fruits de mer de la meilleure qualité possible. Nous adorons pouvoir en offrir à nos amis, à notre famille, à nos communautés et à nos concitoyens canadiens. Il s'agit de nourrir les gens avec des produits de la mer incroyables pêchés de façon durable dans les eaux pures de la Colombie-Britannique.
Chaque année, il devient de plus en plus difficile d'être pêcheur, particulièrement depuis quatre ou cinq ans. On dirait qu'un grand changement s'est opéré dans l'industrie de la pêche, et des obstacles se dressent continuellement sur notre chemin comme jamais auparavant. Chaque année, nous devons travailler plus fort que l'année précédente pour réussir à nous en sortir. Compte tenu des tendances actuelles dans nos communautés côtières, la situation ne fera probablement qu'empirer.
J'ai dressé une liste d'observations dans l'espoir qu'elles expliquent le problème, et je pourrai vous en dire plus à ce sujet pendant la période de questions, si cela vous intéresse.
Il y a de moins en moins de propriétaires-exploitants dans l'industrie. Nous voyons moins de bateaux amarrés au quai. Des familles de pêcheurs multigénérationnelles sont incapables de léguer leur entreprise à leurs enfants. Nous avons vu la flotte vieillir, ce qui devrait permettre à de nouveaux pêcheurs de se lancer dans l'industrie et aux pêcheurs existants de faire croître leurs entreprises de pêche. Pourtant, en raison des prix gonflés à outrance, du fait qu'ils sont mariés ou de la surenchère des grandes entités et sociétés, il est presque impossible pour les pêcheurs indépendants d'acheter ces permis.
Nous avons personnellement vu des bateaux et des permis utilisés comme biens matériels et investissements, être achetés par des personnes qui, elles-mêmes, n'ont pas l'intention de pêcher. Nous voyons des pêcheurs de notre âge quitter l'industrie à un rythme alarmant, dont beaucoup sont des pêcheurs multigénérationnels. Nous avons vu le prix des baux augmenter à un point tel que les propriétaires sont incités financièrement à louer plutôt que de pêcher. Nous constatons que la sécurité alimentaire de notre pays est menacée et que les pêcheurs locaux n'ont plus accès à nos ressources halieutiques. Nous avons assisté à des changements radicaux dans nos communautés côtières et à une réduction des services offerts aux pêcheurs.
Si vous nous aviez demandé il y a cinq ans ce que nous pensions de l'avenir de l'industrie de la pêche, nous aurions été optimistes. La pêche est une vie très difficile, mais elle en vaut la peine, et nous y voyions un avenir. Notre avenir est maintenant incertain. Honnêtement, nous ne savons pas si nous pourrons rester dans cette industrie assez longtemps pour transmettre notre entreprise à nos enfants comme elle nous a été transmise. Si les pêcheurs comme nous, qui ont tellement investi dans l'industrie de la pêche, ont déjà tant de difficulté, comment les nouveaux arrivants sont-ils censés réussir? Qu'est‑ce qu'une industrie sans une relève pour reprendre le flambeau?
L'industrie de la pêche est en difficulté pour de nombreuses raisons. Je ne dirai pas que toutes ces observations sont le résultat direct du système actuel de délivrance de permis, mais un système qui permet à n'importe qui de posséder des permis et des quotas exacerbe le problème. L'accès à la pêche et les revenus tirés de cette activité continuent d'être concentrés entre les mains de quelques acteurs, au lieu de profiter aux hommes et aux femmes qui font le travail, ainsi qu'aux communautés côtières dans lesquelles ils vivent et travaillent. Ceux d'entre nous qui sont propriétaires-exploitants ne peuvent pas suivre le rythme. Nous serons lentement évincés au fur et à mesure que la pêche deviendra moins viable sur le plan économique.
Merci beaucoup.
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Bonjour, honorables membres du Comité. Je vous remercie de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui.
En guise d'introduction, je dirai que l'Institut anticorruption de Vancouver a été créé en 2021 à la suite de révélations sur le blanchiment d'argent et d'autres activités en Colombie-Britannique. Il fait partie intégrante du Centre international pour la réforme du droit pénal et est situé à l'Université de la Colombie-Britannique. Le conseil d'administration est composé de conseillers distingués, dont vous connaissez un bon nombre. L'Institut, qui est un organisme sans but lucratif, réalise des projets à l'échelle internationale. Nous faisons en outre de la recherche et de l'écriture, et organisons des conférences et des ateliers.
Sur une note personnelle, je suis un ancien sous-commissaire de la GRC et du Service correctionnel du Canada. J'ai également rédigé deux rapports pour le procureur général de la Colombie-Britannique, qui en est maintenant le premier ministre, intitulés Dirty Money et Dirty Money—Part 2.
Je ne prétends pas avoir une quelconque expérience en ce qui concerne la pêche ou les pêches. Mon expérience concerne le blanchiment d'argent, le crime organisé et la corruption.
Le travail de votre comité est d'une importance cruciale pour les pêches du Canada, les communautés côtières et les pêcheurs individuels. En guise d'addenda au mandat que j'ai reçu du procureur général de la Colombie-Britannique en 2017, on m'a demandé d'examiner la question du blanchiment d'argent dans le contexte de l'achat et de la vente de permis et de quotas de pêche. Nous avons parlé à plusieurs personnes, examiné des documents et présenté nos conclusions dans le rapport Dirty Money—Part 2 au chapitre 5‑1.
Il convient de souligner que le lien entre les pêches, le crime organisé et le blanchiment d'argent est un sujet étudié à l'échelle internationale, y compris par l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime. En l'absence de système de propriété transparent permettant au public de connaître l'identité des propriétaires qui sont les bénéficiaires finaux des permis et des quotas de pêche, on est vulnérable à l'implication d'acteurs étatiques, du crime organisé et de blanchisseurs d'argent.
Dans le cadre de nos recherches, nous avons constaté que le degré élevé de concentration de la propriété des permis et des quotas de pêche sur la côte Ouest était alarmant. Le degré élevé de propriété par des entités étrangères et des non-citoyens était tout aussi alarmant. On nous a indiqué que les quatre principaux propriétaires visibles des quotas de chalutage au poisson de fond, au flétan et à la morue charbonnière étaient des entités ou des particuliers étrangers, qui détiennent ainsi 50 % des quotas de la Colombie-Britannique pour ces espèces.
L'instauration d'un registre de la propriété effective en Colombie-Britannique pour la propriété foncière et l'engagement récent du gouvernement fédéral à créer un registre de la propriété effective pour les sociétés témoignent de l'importance de la transparence. La même mesure devrait s'appliquer dans le secteur des pêches. Nous ne pouvons pas simplement permettre que notre pêche soit vendue à des personnes inconnues qui utilisent des fonds de source inconnue.
Cela m'amène à la question de l'argent. Le blanchiment d’argent est l’arrière-guichet du crime organisé et va de pair avec lui: combien, d’où et pourquoi sont des questions cruciales. Nous disons qu'un cycle de blanchiment d'argent compte trois étapes: le placement, la superposition et l'intégration. Le but est de brouiller la trace écrite. Presque tous les pays ont des lois contre le blanchiment d'argent, mais rares sont ceux qui les appliquent activement. Au Canada, notre bilan est mitigé, bien que le budget de 2023 et les initiatives en Colombie-Britannique offrent de l'espoir, tout comme la confiscation civile dans les provinces.
Il est extrêmement important de déterminer la source des fonds ou de la richesse utilisés pour acheter des permis et des quotas. La source des fonds est-elle légitime ou les pêches sont-elles utilisées dans le cadre d'une tentative plus vaste d'investir le produit de la criminalité, de l'argent échappant au contrôle des capitaux à l'étranger ou le fruit de l'évasion fiscale? La vérification inadéquate de la source des fonds qui entrent dans nos casinos a mené à la débâcle des casinos en Colombie-Britannique. Avec des règles et des seuils beaucoup plus stricts, le problème a été considérablement réduit dans nos casinos. Cependant, l'argent sale doit être blanchi, et il se déplacera inévitablement là où il y a moins de résistance.
Nous devons également être conscients du fait que les quotas de pêche et les ventes de bateaux ne sont pas déclarés au CANAFE, l'unité du renseignement financier du Canada. C'est regrettable, car cela élimine une importante source de renseignements pour les enquêteurs qui cherchent à s'assurer que les pêches ne sont pas utilisées par le crime organisé.
Je terminerai en soulignant que les solutions nécessitent une législation solide et de la collaboration entre les organismes. Cependant, il ne sert à rien d'adopter des règlements s'ils ne sont pas appliqués ou si ceux qui sont chargés de les appliquer ne disposent pas des compétences et des ressources nécessaires.
Honorables membres du Comité, votre tâche est particulièrement importante. Je vous remercie de votre travail et je serai heureux de répondre à vos questions.
C'est une bonne question qui commande une réponse très longue. C'est vraiment un problème qui concerne tous les partis et que nous observons depuis des années, malgré les gouvernements... Le blanchiment d'argent ne fait pas partie des sujets qui tendent à se retrouver en tête de liste. Il fait surface de temps à autre, lorsque surgit un problème quelconque, mais il suscite de plus en plus d'attention, certainement en Colombie-Britannique à cause des casinos, mais aussi à l'échelle nationale. Nous n'avons pas beaucoup de systèmes semblables à ceux des autres pays.
Par exemple — et je m'attarderai à une lacune en particulier —, nous n'avons pas ce qu'on appelle la déclaration universelle des opérations en espèces faisant en sorte que toutes les opérations douteuses dans toutes les industries sont déclarées. Les pêches en sont un exemple. Les ventes de bateaux, d'automobiles et de maisons de vente aux enchères ne sont pas déclarées au CANAFE. Le CANAFE, notre unité du renseignement financier au Canada, reçoit beaucoup de renseignements, mais pas de certains segments de l'économie dont il devrait en recevoir, dont celui de la pêche. C'est un exemple.
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Il y a un certain nombre de mesures dans le budget de 2023 concernant le blanchiment d'argent, le CANAFE et d'éventuelles lois. Encore une fois, il reste à voir l'incidence de ces mesures.
Le blanchiment d'argent est un énorme problème. Il faut que les organismes d'application de la loi disposent des ressources nécessaires et qu'ils accordent la priorité à ce problème. De nombreux facteurs différents entrent en ligne de compte. Le budget contient un certain nombre d'initiatives. J'ai également mentionné qu'il y a un certain nombre d'initiatives en Colombie-Britannique.
Au bout du compte, nous avons besoin, au Canada, d'un registre de la propriété effective, tant pour les terres que pour les sociétés. À l'heure actuelle, la Colombie-Britannique est la seule province à avoir un registre de la propriété effective des terres. Le gouvernement fédéral parle de créer un registre des sociétés et il s'est engagé à le faire. Pour ce qui est des pêches, par exemple, c'est l'un des secteurs où il serait vraiment utile d'avoir cette information concernant la propriété effective.
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Je vous remercie de la question.
Il y a deux principaux facteurs, qui émanent essentiellement de politiques mises en œuvre par le ministère des Pêches et des Océans. Le premier facteur est les plans de rationalisation qui, pour la plupart, ont été mis en vigueur entre la fin des années 1990 et les années 2010 dans différentes pêcheries. Cette rationalisation a consisté essentiellement à racheter des permis existants afin de les supprimer. Cela a permis dans certains cas d'augmenter les quotas associés à chaque permis et d'améliorer la rentabilité des entreprises de pêche. Par contre, cela a aussi eu comme effet indésirable de concentrer la propriété des permis de pêche.
L'autre facteur est le fait d'être passé, dans plusieurs pêcheries, d'une pêche compétitive à des quotas individuels transférables. Avec ces derniers, on a rattaché aux permis de pêche une quantité déterminée de la ressource à prélever. Cela a fait fortement augmenter la valeur des permis et provoqué un mouvement de rachat de permis entre les pêcheurs, contribuant ainsi à la concentration de la propriété des permis que l'on observe aujourd'hui.
Je tiens à préciser que les plans de rationalisation et le passage aux quotas individuels transférables ne sont pas forcément inadéquats. Par contre, ils ont engendré des conséquences indésirables en ce qui a trait à la concentration de la propriété des permis, laquelle entraîne à son tour des problèmes de redistribution des richesses et d'établissement de la relève.
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En me basant ici sur les entretiens que nous avons tenus lorsque nous sommes allés à la rencontre des pêcheurs gaspésiens, notamment, il faut prendre en considération la conjoncture économique mondiale pour ce qui est de la concentration de la richesse. En effet, il y a eu au cours des 10 dernières années une hausse très impressionnante du prix des principaux crustacés sur les marchés mondiaux. On peut penser ici au homard d'Amérique et au crabe des neiges. Ce sont des facteurs associés à la conjoncture socioéconomique mondiale qui échappent au contrôle des pêcheurs. Il en est résulté que les revenus des pêcheurs de homard d'Amérique et de crabe des neiges ont fortement augmenté, alors même que la propriété des permis devenait plus concentrée. Les pêcheurs des autres flottilles n'ont pas eu la même chance quant aux prix des espèces qu'ils pêchent.
Il est clairement ressorti des entretiens que nous avons réalisés que la concentration de la richesse était de plus en plus visible parmi les pêcheurs. Cela se voit sur les quais, alors que les disparités matérielles s'accroissent entre les pêcheurs des diverses flottilles en parallèle avec le renforcement de la capacité des uns à racheter les autres. Seuls les pêcheurs les plus fortunés sont donc désormais en mesure d'acheter des permis, ce qui a là encore pour effet de concentrer la propriété et d'accentuer les inégalités.
En ce qui concerne les obstacles à l'établissement de la relève, c'est principalement la hausse de la valeur des permis qui pose problème. C'est dû, encore une fois, à la hausse des prix des principaux crustacés, à la concentration des permis, aux plans de rationalisation et aux quotas individuels transférables. La relève a donc de moins en moins accès à ces permis et ces derniers font à l'heure actuelle l'objet d'une surenchère. Pour la relève, accéder aux permis et, de façon plus générale, acquérir une première entreprise de pêche est devenu quasiment impossible, à moins d'être issu d'une famille de pêcheurs, et donc d'« hériter » d'un permis de pêche, ou d'être issu d'une famille fortunée. Cette situation a également comme effet de renforcer les inégalités.
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Je dirais qu'il y a plusieurs pistes de solution. Je pourrais revenir sur les permis communautaires, effectivement. Je tiens quand même à rappeler que les règlements relatifs au propriétaire exploitant et à la séparation des flottilles de pêche jouent un rôle important dans les provinces atlantiques pour préserver l'indépendance des pêcheurs et favoriser les retombées économiques dans les communautés.
En revanche, compte tenu de ce que j'ai aussi entendu dire par les autres personnes qui ont comparu avant moi, il apparaît très clairement que l'application de ces règlements doit être renforcée, car cela ne fonctionne pas actuellement. Pour éviter une trop grande concentration des permis de pêche, il serait aussi approprié d'ajouter certains critères, par exemple en surveillant davantage les transactions et en bloquant celles qui sont jugées abusives. Il y a certainement d'autres mécanismes réglementaires qui sont étudiés pour garantir une meilleure répartition des permis et favoriser l'établissement de la relève, par exemple en lui donnant un accès préférentiel à certains permis.
Je pense aussi que le ministère des Pêches et des Océans devrait sérieusement étudier la possibilité de délivrer des permis de pêche communautaires, non seulement aux communautés autochtones, mais également aux communautés allochtones. Cela pourrait faire l'objet d'un projet pilote dans différentes communautés, ce qui pourrait vraiment être intéressant. Nous reste-t-il suffisamment de temps pour parler de ces permis?
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Je pense que la pêche à la crevette tachetée en Colombie-Britannique en est un excellent exemple. Le prix de location d'un permis pour cette pêche s'est établi, au cours des dernières années, entre 40 000 $ et 60 000 $. Parallèlement, en 2022, les prises de crevettes tachetées de l'ensemble de la flottille de la côte ont diminué de moitié. Il n'est pas très logique que le prix de location demeure élevé, alors que le taux de prises est à la baisse.
À l'heure actuelle, plutôt que d'aller pêcher moi-même, de prendre le risque d'aller pêcher et de ne pas capturer suffisamment de crevettes et aussi d'assumer tout le fardeau financier de sortir en mer — les coûts associés à mon bateau, à mon carburant, à la nourriture touchée par l'inflation, à l'augmentation généralisée des prix, à l'emballage, à la rémunération de mon équipage, etc. — si je pouvais simplement rester à la maison, louer mon permis et gagner autant d'argent, ce serait incroyable. Il est extrêmement tentant pour les propriétaires de faire cela, surtout pour certains des pêcheurs plus âgés qui sont en fin de carrière. Plutôt que de prendre ce risque, ils peuvent rester chez eux. Il est insensé d'avoir un système qui encourage cela.
Je crois fermement que si les pêcheurs louaient des permis aux pêcheurs, le prix de location correspondrait davantage à ce qu'ils pourraient tirer de la pêche.
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Oui, c'est moi qui en ai parlé. Je faisais référence à une fois où mon mari s'est rendu à Prince Rupert. C'était pendant la saison morte, en ce sens que ce n'était pas durant une période de pointe des montaisons de saumon ou quoi que ce soit d'autre. Toutefois, les pêcheurs pêchent maintenant toute l'année, alors il était allé là‑bas pour pêcher le flétan avec son cousin. Sur la côte, ils ont eu de la difficulté à trouver des services de base. Les usines locales étaient fermées, alors ils ne pouvaient pas avoir accès à leurs salles de bains et leurs buanderies. En outre, les installations du quai du gouvernement étaient également fermées pour diverses raisons énumérées sur des affiches, notamment le vandalisme, l'absence de possibilités de prise de saumons et le coût d'exploitation de ces installations. Des bateaux comme le nôtre, par exemple, n'ont pas de douches… Nous devons donc chercher ce genre de services. Des pêcheurs indiquaient en ligne d'autres endroits dans la collectivité où on pouvait essayer d'avoir accès à ces services, qui étaient habituellement fournis aux pêcheurs aux quais.
Le problème s'étend également à certains magasins de fournitures marines. Le principal magasin d'électroniques maritimes n'existe plus, alors ils n'ont pas pu se procurer une antenne marine. Même le magasin d'équipement de pêche local vend maintenant surtout de l'équipement de pêche sportive. Il vend très peu d'équipement de pêche commerciale. Cela montre bien que, lorsque les ressources des pêcheurs et les revenus de la pêche s'en vont ailleurs, cela ne contribue clairement pas à amener des fonds et des ressources dans la collectivité, à un point tel que l'ensemble de la collectivité a changé et ne soutient plus les pêcheurs grâce à ses infrastructures comme elle le faisait auparavant.
J'ai aussi un peu de contexte à vous donner. Mon mari a pêché dans ce port pendant de nombreuses années, et il connaissait le nom des propriétaires et pouvait les appeler pour que les pièces dont il avait besoin se trouvent au quai à son arrivée. Cela n'est tout simplement plus possible. Maintenant, vous devez faire expédier presque tout ce dont vous avez besoin, car vous ne pouvez pas vous le procurer localement.
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Ces propriétaires de permis y seraient possiblement réfractaires.
Je vais ajouter quelques précisions sur ce que j'entends par cela. En fait, je propose qu'on fasse un projet pilote. Ce serait exploratoire et on devrait étudier la question plus en profondeur. Je ne prétends pas être un expert sur cette question. De toute façon, c'est un projet qui ne s'est jamais vu en dehors des communautés autochtones. Par contre, ce qu'on sait des permis de pêche communautaires, c'est qu'ils mettent les ressources aquatiques entre les mains des communautés, qui ont alors pour responsabilité de gérer les activités de pêche et de prendre les décisions d'affaires dans l'intérêt général.
Les permis de pêche ne peuvent pas être vendus ou être acquis par des individus. Ces permis de pêche sont la propriété de la communauté. Dans ce cas-ci, les pêcheurs seraient embauchés par contrat par la communauté. Les profits seraient partagés équitablement selon les modalités du contrat entre les deux parties, c'est-à-dire la communauté et les pêcheurs. La communauté déciderait ensuite où investir sa part des profits. Cela pourrait être dans le développement de ses activités de pêche ou dans un autre domaine, par exemple en santé, en éducation, dans des services publics ou des infrastructures de transport ou encore dans le logement.
Donc, ce projet pilote...
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C'est exactement le problème que nous avons vécu avec les casinos de Colombie-Britannique. À force de remplir de la paperasse, c'est devenu routinier, personne ne voyait plus loin que le formulaire et ne voulait faire de vérifications. D'où, exactement, venait l'argent? De quels comptes bancaires? Était‑ce traçable? Qui était le véritable propriétaire? Quand nous avons commencé à le faire, les opérations douteuses, tout d'un coup, ont diminué.
Ici, j'appliquerais le même remède. Voilà pourquoi, à l'époque, le procureur général a proposé l'examen d'autres secteurs de l'économie, parce que nous savons également que, après le nettoyage d'un premier secteur, les suspects vont dans un autre, particulièrement s'il s'agit d'investisseurs. Ce n'est pas nécessairement les principaux acteurs du crime organisé eux‑mêmes; ce peut être n'importe qui dans la chaîne.
Ce n'est pas seulement l'argent du crime organisé. C'est également, comme je l'ai dit, des sorties de capitaux. Beaucoup de pays contrôlent leur devise. On ne peut en faire sortir d'argent. Les gens essaient de le faire par divers investissements. Il y a également l'argent des évasions fiscales.
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Merci, monsieur le président.
Qu'il est agréable d'être de retour à ce comité.
Monsieur German, je vous ai vu, il n'y a pas si longtemps, au comité des affaires de la Chambre. Ça m'étonne un peu de vous voir ici tenir le même langage sur l'ingérence étrangère, même si ce comité‑là l'examine du point de vue des élections.
Vous avez parlé de vente de bateaux et du CANAFE. Pourriez-vous en dire un peu plus, exemples à l'appui, sur le blanchiment grâce à l'achat ou à la vente de bateaux? De gros bateaux de pêche, qui valent cher. Un tel coup serait un exploit. Comment est‑ce que ça se peut?
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Oui, je témoignais devant le comité qui étudiait l'ingérence étrangère dans les élections. Je réponds aux avis que je reçois. J'ai d'ailleurs été agréablement surpris d'en recevoir un de votre comité.
Le procureur général et moi nous qualifions notre façon de faire de perpétuel recommencement. Nous combattons le blanchiment dans un secteur, et le problème se déplace ailleurs. Voilà pourquoi un système universel, comme celui qui existe aux États-Unis, présente de l'intérêt: toutes les opérations réglées comptant au‑dessus d'une certaine somme doivent être signalées à l'organisme du renseignement financier. Nous n'avons rien de tel au Canada. Nous devons toujours recommencer, dans une situation où le crime organisé, si les choses se gâtent dans les produits de luxe, choisira les casinos ou la vente de cannabis. Il est remuant.
En ce qui concerne les ventes de bateaux, certains se sont bien bidonnés quand nous avons parlé de blanchiment grâce aux voitures de luxe, mais, dans la deuxième partie de notre rapport sur l'argent sale, nous avons examiné le phénomène. Nous avons prouvé que le crime organisé blanchissait son argent par la vente de ces voitures. Pendant cette enquête nous avons constaté qu'un secteur très semblable de l'économie, d'où ne provenait aucun signalement, était celui des ventes de bateaux. Beaucoup d'argent est immobilisé dans l'achat de bateaux.
Je ne peux parler précisément des bateaux de pêche par rapport aux embarcations de plaisance. Nous sommes simplement dans le noir. Nous ignorons à qui appartient l'argent servant à l'achat de bateaux, parce que ça ne peut pas faire l'objet d'un signalement. Voilà pourquoi j'ai également mentionné plus tôt les maisons de vente aux enchères et ainsi de suite.
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Merci, monsieur Hardie.
Voilà qui met fin à la première heure de témoignages.
Je tiens à remercier les témoins. S'ils souhaitent rester en ligne pour répondre à d'autres questions, si quelqu'un voulait leur en poser, ils sont absolument les bienvenus.
Un témoin arrive en personne pour la deuxième partie de la réunion. Nous n'avons pas réussi à rejoindre l'autre, malgré nos tentatives depuis le début de la matinée. Nous devrons le recevoir un autre jour.
Je suspends les travaux quelques moments, le temps de mettre les choses en ordre pour la prochaine partie.
Merci.
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Je remercie le président. Je suis ravi d'avoir l'occasion de comparaître devant vous.
Je suis le directeur de recherche du Conseil canadien des pêcheurs professionnels, un conseil sectoriel national des ressources humaines qui représente l'industrie de la pêche. Cependant, le point de vue que j'exprimerai aujourd'hui sera le mien.
Je travaille au conseil depuis sa création au milieu des années 1990. Depuis, nous surveillons la situation économique, le marché du travail et les tendances relatives à l'offre de main-d'œuvre au sein de l'industrie. Je m'intéresse de près aux pêches de l’Atlantique et du Pacifique et à ce qui s'y passe. Je vous ai remis un document qui donne des chiffres pour comparer les perspectives socioéconomiques des industries sur les deux côtes. Je n'entrerai pas dans les détails; nous aurons peut-être le temps d'en discuter.
Essentiellement, les revenus de la pêche en Colombie-Britannique ont augmenté depuis la Grande Récession. Nous utilisons les données des déclarants jusqu'en 2019, avant la pandémie. Après l'inflation, les revenus de la pêche en Colombie-Britannique se sont améliorés, mais à un taux représentant seulement le tiers de la croissance de la pêche sur la côte Est.
Les pêcheurs en Colombie-Britannique occupent le deuxième rang parmi les plus âgés, après ceux de Terre-Neuve‑et‑Labrador, mais ils sont nettement plus vieux que ceux des Maritimes. Notre main-d'œuvre est vieillissante, et peu de jeunes arrivent dans l'industrie. Ce qui se passe... Lorsque nous examinons les enjeux liés à la valeur au débarquement, entre autres, une chose me frappe particulièrement dans les chiffres. Dans la région de l'Atlantique, le revenu total des pêcheurs — qui provient de l'emploi dans le secteur de la pêche et qui contribue aux économies locales de la région de l'Atlantique — représente 37 % de la valeur totale au débarquement. Cette part de la valeur totale du poisson au débarquement reste entre les mains des pêcheurs de leurs milieux. En Colombie-Britannique, cette proportion se chiffre à 29 %, ce qui est beaucoup moins. Si la même proportion de la valeur totale au débarquement revenait aux pêcheurs à titre de revenu d'emploi, le revenu moyen des pêcheurs en Colombie-Britannique serait haussé de 6 000 $. Ce n'est qu'une façon de mesurer la structure des pêches. Les différents systèmes de délivrance de permis et structures de l'industrie produisent des revenus et des réalités socioéconomiques très différents.
M. Hardie a employé la fameuse analogie de l'omelette. Je dirais que ce n'est pas ce genre de situation ici. Nous avons plutôt un système de politique défaillant qui doit être corrigé. Je sais que des questions ont été soulevées lors des témoignages précédents pour savoir si c'est possible ou sur la façon deprocéder. Il n'y a pas de solution facile et peu coûteuse. Nous sommes engagés plutôt loin sur ce que je considère être la mauvaise voie, de sorte qu'il ne sera pas simple de revenir en arrière.
Pour régler le problème, d'autres régions et pays ont opté pour deux modèles simples et directs. L'option visant à préserver l'indépendance de la flottille de pêche côtière dans l'Atlantique canadien, ou PIFPCAC, est le plus évident. Dans ce cas, la ministre des Pêches et des Océans octroie des permis chaque année. La ministre a le pouvoir de simplement dire que tous ces permis doivent être entre les mains de pêcheurs actifs sur une période donnée — sept ans dans le cas du PIFPCAC. Cette mesure crée un marché dans lequel les permis et les quotas changent de mains. Les gens qui ne travaillent pas comme pêcheurs devront trouver des acheteurs à des prix que ceux‑ci peuvent se permettre, et ainsi de suite.
La deuxième option est une structure de propriété ou de permis complètement différente. Elle est en place dans le Maine, où l'industrie du homard est florissante. Nous la voyons aussi dans la pêche côtière à bord de petits bateaux qui connait beaucoup de succès dans des pays comme la France, en Europe, où les permis ne sont pas des marchandises échangeables. Les pêcheurs ne possèdent pas les permis. Ils peuvent les utiliser à long terme grâce, notamment, à des modalités de délivrance ou des ententes de location.
En nous inspirant de la période prévue au PIFPCAC pour la Colombie-Britannique, nous pourrions mettre en place un processus où tous les permis redeviennent la propriété de la Couronne, puis sont ensuite mis à la disposition des pêcheurs suivant une modalité de location-achat ou de location à des tarifs abordables. Je peux vous expliquer en détail à quoi ce mécanisme pourrait ressembler sur le plan financier.
Il y a toutefois deux mises en garde concernant le recours à l'une ou l'autre de ces approches pour résoudre le problème. Ces options ne fonctionneront que si les pêcheurs peuvent acheter des permis et des quotas à une juste valeur marchande pour une entreprise de pêche. À l'heure actuelle, la plupart des permis et des quotas, certainement en Colombie-Britannique, ne se vendent pas à la juste valeur marchande du point de vue d'une entreprise de pêche qui doit les payer et les financer. Par conséquent...
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J'observe la situation depuis plus de 40 ans. Je vois les choses un peu différemment que certains de mes confrères de l'industrie de la pêche et d'ailleurs. Je crois que le principal moteur de l'augmentation du prix des permis et des quotas est la valeur du poisson dans l'eau. La demande mondiale est en croissance, et l'ouverture des marchés de même que les accords de libre-échange que nous avons vus au cours des 20 ou 30 dernières années ont créé une toute nouvelle économie de la pêche, dans laquelle nous avons maintenant des programmes de conservation assez efficaces dans la plupart de nos grandes pêches commerciales.
Par conséquent, l'offre de poisson sur le marché n'augmentera pas de façon spectaculaire puisque nous ne voulons pas menacer la durabilité des stocks. De façon générale, la quantité de produits est fixe. Il y a des hausses et des baisses pour différentes espèces, mais nous acheminons une quantité fixe de fruits de mer sur un marché où la demande est à la hausse. Il y a une hausse marquée du nombre de consommateurs et de leur volonté à payer pour ces denrées qui deviennent des produits alimentaires de grande qualité et un luxe, dans de nombreux environnements. Nous avons tous entendu parler de la croissance de la classe moyenne en Chine ainsi que de tous ces facteurs.
L'essentiel, c'est que la valeur des poissons dans l'eau est à la hausse. Ce phénomène a suscité l'intérêt de spéculateurs, qui tentent de mettre la main sur un actif qui va continuer à prendre de la valeur. À long terme... Nous traversons une année difficile, et les gens peuvent dire que nous avons de gros ennuis. Mais si nous regardons le portrait sur une période de 20 ou 30 ans, détenir un quota ou un permis de pêche est vraiment un bon investissement. Tout petit investisseur voudrait le faire.
La volonté de garder les permis et les quotas entre les mains des pêcheurs actifs est beaucoup plus contestée qu'il y a 20 ans, alors que les gens ne voyaient pas la pêche comme un secteur en croissance. C'est une période au cours de laquelle je pense que nous...
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Merci, monsieur le président.
Avant de poser mes questions, je tiens à saluer les gens de la Nouvelle-Écosse. Les circonscriptions du député et de la députée sont durement touchées par des incendies. Je tiens à féliciter tout particulièrement les pompiers volontaires, d'ailleurs des pêcheurs qui exercent un double emploi.
Monsieur Williams, vous avez dit qu'il n'y a pas de solution facile ou peu coûteuse au problème. Vous avez mentionné l'initiative PIFPCAC et les principaux exemples de méthodes et de systèmes. Je me demande si vous pourriez prendre le temps d'expliquer à quoi le tout pourrait ressembler, selon vous. Vous avez parlé des commissions de prêts, comme d'autres l'avaient fait ici. Pouvons-nous avoir une idée approximative du montant et de la façon d'utiliser l'argent si le gouvernement fédéral collaborait avec les provinces pour resserrer la vis, clarifier la situation pour les pêcheurs et améliorer la souplesse et la capacité d'adaptation? Il pourrait ainsi régler le problème, tout en favorisant la prospérité des pêcheurs de l'Ouest et de l'Est.
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Eh bien, je peux vous donner un exemple. Des questions ont été soulevées entourant l'idée d'un processus de transition ou d'une transition équitable. J'ai examiné la pêche au flétan en Colombie-Britannique. En ce moment, avec les tarifs gonflés par les investisseurs spéculatifs, il faut débourser 100 à 125 $ la livre pour acheter un quota de flétan. Ce serait moins cher sans pression spéculative.
Il y a eu sept millions de livres de flétan débarqué en 2021, dont la valeur totale des quotas représente 700 à 870 millions de dollars. C'est ce qu'il en coûterait pour acheter et faire l'acquisition de tous ces quotas. Une recherche récente révèle qu'environ 85 % de ce quota appartient à des personnes qui ne pêchent pas et qui ne sont pas des pêcheurs actifs — des pêcheurs à la retraite, des entreprises ou des investisseurs spéculatifs. Essentiellement, il faudrait entre 600 et 700 millions de dollars pour acheter ce quota et le retirer des mains de ceux qui ne pêchent pas.
Qui va payer la note? Si nous devions respecter le processus de PIFPCAC, les pêcheurs devraient en financer l'achat d'une façon ou d'une autre. C'est pourquoi j'ai tendance à me dire que le gouvernement aurait la capacité de faire cet achat. S'il crée ensuite des banques communautaires ou provinciales de délivrance de permis, ou un autre système similaire, les pêcheurs pourraient alors, selon mon analyse financière, avoir accès à un quota pour environ 30 % de la valeur au débarquement, plutôt que les 70 à 75 % qu'ils paient actuellement à ceux qui détiennent 85 % du quota.
Je pense que c'est bel et bien un investissement légitime. C'est un investissement raisonnable pour le gouvernement. Je n'ai parlé que du flétan, qui est la pêche la plus lucrative en Colombie-Britannique, mais il y en a d'autres aussi.
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Merci de votre question.
Je suis content qu'on s'intéresse à la souveraineté alimentaire ou, comme on l'appelle plus récemment au Québec, à l'autonomie alimentaire. En fait, c'est une orientation que souhaite prendre le gouvernement du Québec en matière d'alimentation de manière très générale. L'autonomie alimentaire inclut la sécurité alimentaire.
Je pense que Mme Collier, la pêcheuse de crevettes, a aussi souligné l'importance de considérer les ressources aquatiques du Québec et du Canada comme des aliments, et non simplement comme des marchandises. Cela pourrait avoir un effet, entre autres, pour limiter la voracité des spéculateurs, notamment à l'étranger, à l'égard de ces marchandises. Le fait de considérer les ressources aquatiques du Québec et du Canada comme des aliments pour nourrir les populations locales est une orientation phare qui devrait être prise par nos gouvernements.
Cela nécessite un modèle de développement complètement différent de celui qu'on voit se déployer au Canada depuis des siècles et que nous qualifions, à l'Institut, de modèle « extractiviste ». Cela correspond à l'économie de matières premières dont parlait M. Harold Innis, qui est décédé aujourd'hui, mais qui était très actif au XXe siècle. C'est une théorie qui a fait école en matière d'économie canadienne. Ce modèle se déploie depuis des siècles au Canada, comme on l'a vu dans le cas de la morue et, aujourd'hui, dans le cas des crustacés, du moins au Canada atlantique. Il s'agit de l'exploitation massive d'une, deux ou trois espèces qui sont ensuite transformées minimalement avant d'être exportées.
Aller vers la souveraineté ou l'autonomie alimentaire exige donc de revoir ce modèle de développement de fond en comble.
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Oui. Au titre de la nouvelle Loi sur les pêches, la ministre est à présent responsable des répercussions socioéconomiques ou, du moins, elle a l'autorité de les prendre en considération.
Dans le cas des pêches sur la côte Ouest, je le décris comme un modèle défaillant sur le plan des avantages socioéconomiques. Le déclin en matière d'emploi est constant et les salaires sont faibles et précaires dans le secteur. Les perspectives de carrière sont mauvaises, et nous avons un grave problème de succession intergénérationnelle et de disponibilité de main-d'œuvre pour l'avenir. Nos collectivités côtières et nos Premières Nations connaissent un déclin de population et de viabilité économique.
À mon avis, le secteur des pêches est en croissance partout, à l'échelle mondiale. S'il ne l'est pas en Colombie-Britannique, ce n'est pas un problème inhérent au secteur ou à l'économie des pêches, mais un problème de politique publique. Selon moi, le type d'interventions qui ont cours actuellement pour développer des revenus de classe moyenne dans les communautés de pêcheurs de la région de l'Atlantique devrait constituer en soi un modèle de politique publique.
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Je me rallie à l'observation selon laquelle la question ne génère pas la réponse qu'on a tenté d'obtenir quant au contrôle effectif des permis et des quotas en Colombie-Britannique.
Comme je l'ai mentionné, nous venons de terminer une étude assez intensive à l'échelle des entreprises sur la propriété et le contrôle des permis et des quotas. C'est le chaos en Colombie-Britannique, qui a un système déréglementé où les gens qui tentent de rester dans le secteur et de continuer à pêcher prennent des arrangements de toutes sortes, malgré des revenus plus faibles. Toutes sortes d'influences externes et d'investisseurs sont en mesure d'entrer dans le secteur et d'avoir des effets délétères.
Comparativement à la région de l'Atlantique, où tous les pêcheurs détenant un permis principal sont assurés d'une carrière, en Colombie-Britannique, tous les pêcheurs détenant un bateau et possiblement une portion de permis ne savent pas s'ils auront un emploi cette année.
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Merci, monsieur le président.
Monsieur Williams, je suis content que vous ayez dit tantôt que les permis de pêche au crabe en Atlantique, et surtout dans ma région, la péninsule acadienne, valent maintenant 10, 15 ou 20 millions de dollars. Les permis de pêche au homard valent un million de dollars et plus. Pour la jeune génération de pêcheurs, il devient très difficile d'acheter de tels permis.
J'aimerais que vous me donniez une petite précision sur ce point. Vous avez dit que l'industrie du homard dans le Maine utilisait des contrats à long terme pour les permis et que ces derniers n'appartiennent pas aux pêcheurs. Comment cela fonctionne-t-il? Que fait-on du permis d'un pêcheur qui prend sa retraite, par exemple? Le permis retourne-t-il au gouvernement pour être attribué à quelqu'un d'autre?
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Combien de temps me reste‑t‑il, monsieur le président?
Le président: Il vous reste 50 secondes.
M. Ken Hardie: C'est excellent.
Examinons la situation de nos jours. Si quelqu'un veut louer des quotas, il ira voir un transformateur, et ce dernier lui indiquera quelle quantité il peut transformer et à quel tarif, peu importe ce que le pêcheur peut ramener à quai. Cela fait penser à la chanson Sixteen Tons du vieux Tennessee Ernie Ford, qui dit qu'on se réveille tous les jours un peu plus vieux et un peu plus endetté. Vous et moi sommes assez vieux pour nous rappeler cette chanson. Quelques autres personnes ici le sont peut-être aussi.
Comment briser le cycle? Nous avons parlé de la transition vers le statut de propriétaire-exploitant, mais cela reste assez difficile d'y arriver. On proposait dans le rapport de 2019 que tous les permis et tous les quotas disponibles à la location se retrouvent quelque part sur un tableau. Le processus serait alors plus concurrentiel et ferait intervenir tous les acheteurs et les vendeurs intéressés. Ce genre de système pourrait‑il fonctionner même si le financement se faisait par l'entremise d'un transformateur?
Je voulais simplement souligner qu'il a reconnu que le sondage a connu des ratés et qu'il faut que la ministre indique quelles mesures elle compte prendre maintenant, étant donné que tout le monde en convient.
Je pose le même genre de question que M. Hardie. Je veux présenter des recommandations au gouvernement sur les prochaines mesures à prendre. Je veux donc entendre réaffirmer les informations qu'il faut absolument y inclure.
Monsieur Williams, pouvez-vous nous dire quelle serait la principale mesure à inclure à ces recommandations au gouvernement, pour qu'il apporte le genre de changements que nous espérons?