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Bonjour, chers collègues. C'est bon de vous voir tous ici.
[Français]
J'espère que vous avez passé un bon lundi.
[Traduction]
Nous sommes réunis pour la 120e réunion du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre.
Chers collègues, comme vous le savez, nous poursuivons notre étude de la question de privilège concernant des cyberattaques menées contre des députés.
La réunion d'aujourd'hui prendra la même forme que celle de la semaine dernière, à savoir que sa première heure se déroulera en public, alors que sa deuxième heure se déroulera à huis clos. Nous devrons prendre quelques minutes pour passer à huis clos à la fin de la première heure.
Les témoins du Service canadien du renseignement de sécurité qui se joignent à nous aujourd'hui sont David Vigneault, directeur, Peter Madou, directeur adjoint, Exigences, et Bo Basler, directeur général et coordinateur, Ingérence étrangère.
Monsieur Vigneault, vous et vos collègues disposerez d'un maximum de 10 minutes pour faire vos déclarations préliminaires, après quoi nous passerons à nos séries de questions.
Soyez les bienvenus à la séance du Comité.
Je vous remercie de votre présence, monsieur Vigneault. La parole est à vous.
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Merci, monsieur le président.
Les problèmes liés à la cybersécurité, leur lien avec la sécurité nationale et les tentatives des adversaires pour s'immiscer dans les affaires du Canada deviennent sans cesse plus complexes. Ces problèmes requièrent l'attention du gouvernement canadien et de tous les Canadiens.
De plus en plus, les menaces qui pèsent sur la sécurité du Canada revêtent la forme de cybermenaces. Les cyberactivités malveillantes visant le Canada prennent de l'ampleur et gagnent en complexité et en technicité, les cyberintervenants cherchant à servir leurs propres intérêts économiques, politiques, idéologiques et liés à la sécurité, au détriment du Canada et de ses alliés. Bref, l'écosystème numérique a transformé la nature et la conduite de la guerre, de l'espionnage, de la diplomatie et du commerce.
[Traduction]
Les auteurs de cybermenaces peuvent être des acteurs étatiques, qui obéissent aux ordres des forces armées et des services de renseignement d'États étrangers, ou des acteurs non étatiques.
Le SCRS fait activement enquête sur toute une gamme de cyberintervenants, notamment ceux qui proviennent de la Chine, de la Russie, de l'Iran et de l'Inde ou qui sont associés à ces États. Quelle que soit la personne qui dirige leurs activités, les auteurs de cybermenaces emploient un large éventail de technologies et de techniques pour exploiter les points faibles des systèmes d'information, pour prendre des personnes pour cible afin d'accéder sans autorisation à des systèmes ou des réseaux, ou pour tirer parti de l'infrastructure canadienne pour atteindre leurs grands objectifs stratégiques et géopolitiques au détriment du Canada.
Le mandat du SCRS consiste à recueillir des renseignements sur les menaces envers la sécurité du Canada, à conseiller le gouvernement à cet égard et, au besoin, à prendre des mesures en vue de les réduire. Cela comprend les cybermenaces.
Plus précisément, lorsque le SCRS détecte des cybermenaces pour la sécurité nationale du Canada, il emploie diverses méthodes d'enquête, dont la mise à contribution de sources humaines et la collecte de renseignements autorisée par mandat, afin de déterminer l'ampleur, les cibles et la source de la menace ainsi que les motivations de son auteur.
[Français]
Le vaste dialogue instauré par le Service canadien du renseignement de sécurité, le SCRS, avec le secteur privé, le milieu universitaire, les différents paliers gouvernementaux et les groupes autochtones aide à renforcer la vigilance et la résilience des Canadiens relativement à l'intensification des menaces. Par exemple, depuis 2021 seulement, plus de 70 séances d'information sur l'ingérence étrangère et l'espionnage ont été offertes aux parlementaires. Au cours de celles-ci, la sensibilisation à la sécurité, notamment les mesures de cybersécurité, était un des principaux éléments de discussion.
De plus, le SCRS fournit régulièrement des évaluations du renseignement à ses partenaires gouvernementaux, ce qui leur permet de prendre des décisions stratégiques et opérationnelles éclairées. Il diffuse aussi ces évaluations et des pistes d'enquête à ses partenaires étrangers de confiance, afin de les aider à garantir l'intégrité de l'infrastructure mondiale de l'information, qui est essentielle à la sécurité.
[Traduction]
Cependant, j'aimerais également signaler que le SCRS fait partie d'un groupe de ministères et d'organismes qui cherchent à protéger le Canada contre les cybermenaces. Même si le SCRS joue un rôle essentiel au sein de ce groupe, il collabore étroitement avec d'autres intervenants de premier plan, comme les spécialistes en cybersécurité du Centre de la sécurité des télécommunications, ou CST, du Centre canadien pour la cybersécurité, de Sécurité publique Canada et de la Gendarmerie royale du Canada, pour n'en nommer que quelques-uns. Ensemble, nous nous employons à protéger le Canada et ses actifs, ses informations et sa sécurité nationale contre une grande quantité de cybermenaces.
En ce qui concerne l'étude particulière que le Comité mène, nos collègues et les spécialistes en cybersécurité du CST ont établi conjointement la chronologie des événements qui détaille les interactions entre nos deux organisations et la Chambre des communes.
Je tiens à mentionner que le CST nous a indiqué en janvier 2021 que le système informatique de la Chambre des communes éprouvait des problèmes. Par la suite, le SCRS a donné une séance d'information directement au personnel des TI de la Chambre des communes en collaboration avec le CST. Nous avons ensuite travaillé de concert avec le CST et la Chambre des communes de janvier à avril 2021 dans le cadre de l'enquête qui a suivi.
Il a été déterminé que des membres de l'Alliance interparlementaire sur la Chine, ou IPAC, étaient visés. Mais, fait important, aucune compromission des systèmes ni aucune activité de suivi n'ont été recensées.
Le SCRS a largement diffusé à des clients de l'ensemble du gouvernement du Canada des produits de renseignement portant sur les tentatives de pistage de courriels que le groupe ATP31 a dirigées contre des membres de l'IPAC au Canada. Le SCRS a commencé à travailler avec la Chambre des communes avant que le FBI ne transmette des informations au SCRS et au CST ou que les États-Unis ne rendent des informations publiques en 2024.
Lorsque l'incident a été signalé au début de 2021, le SCRS a suivi le protocole en vigueur à cette époque. Il a travaillé directement avec le CST et la Chambre des communes afin de mieux comprendre l'incident et ses répercussions. Notre enquête, en parallèle avec le travail du CST, a permis de renseigner la Chambre des communes sur les mesures techniques précises qui pouvaient être prises pour atténuer les répercussions de l'incident.
[Français]
En 2023, le a transmis des directives ministérielles au SCRS qui précisent le rôle et les responsabilités de celui-ci pour ce qui est d'enquêter sur les menaces dirigées contre les parlementaires, de les informer et de trouver des façons d'atténuer ces menaces. Dans les directives, il est précisé que le SCRS doit, dans la mesure du possible tout en respectant la loi, veiller à ce que les parlementaires soient informés des menaces à la sécurité qui sont dirigées contre eux.
Le SCRS avance en territoire inconnu. C'est l'occasion de réfléchir, d'apprendre et de nous améliorer. Aujourd'hui, ce qui diffère, c'est que les directives que nous recevons nous obligent à nous entretenir avec nos partenaires quant à la meilleure façon de nous assurer que les parlementaires sont informés des menaces qui pèsent sur eux. Ce n'est pas nécessairement le SCRS qui les informe; il se peut que ce soit l'organisation responsable du dossier. Toutefois, comme c'est le SCRS qui a reçu les directives ministérielles, nous dirigeons les discussions sur le processus à suivre.
[Traduction]
Monsieur le président, je pense que je vais passer sous silence la récapitulation de la chronologie des événements pour gagner du temps. Je parlerai rapidement de certains pouvoirs législatifs.
Mesdames et messieurs les membres du Comité, je crois que vous comprenez tous que la loi qui régit le mandat du SCRS a été adoptée il y a près de 40 ans. Compte tenu de l'évolution rapide de la technologie et de la complexité croissante de l'écosystème de la cybersécurité, les lacunes relatives aux pouvoirs du SCRS pèsent toujours plus lourd. Elles limitent de plus en plus la capacité du SCRS à détecter les activités d'ingérence étrangère, à enquêter sur celles‑ci et à lutter contre elles, y compris en échangeant des renseignements.
Heureusement, le projet de loi , que la Chambre étudie à l'heure actuelle, propose une série de modifications bien précises qui amélioreront les mesures opérationnelles que le SCRS peut prendre pour lutter contre l'ingérence étrangère.
Les modifications proposées permettront notamment de communiquer des informations à des entités autres que le gouvernement fédéral dans le but de renforcer la résilience face aux menaces pour la sécurité nationale, dont l'ingérence étrangère. Il sera ainsi possible de renforcer la résilience avant même que les menaces ne se concrétisent. De plus, cela aidera les parlementaires à prendre des décisions plus éclairées.
De manière générale, le projet de loi vise à ce que les enquêtes du SCRS soient souples et adaptées, ce qui lui permettra d'améliorer la collecte de renseignements et de donner de meilleurs conseils, y compris aux parlementaires.
La dernière chose que je voudrais dire, monsieur le président, c'est qu'en réfléchissant à cette situation pour me préparer à cette comparution, j'estime que l'analyse à laquelle je me suis livré avec mes collègues a indiqué que tout le monde avait fait le travail qu'il était censé faire. Cependant, avec le recul, je pense que tout le monde sera maintenant d'accord pour dire que le résultat pour les parlementaires n'était pas ce qui aurait été souhaité.
Je salue le travail de votre comité et celui que le SCRS peut réaliser pour s'assurer qu'à l'avenir, nous tirions des enseignements de cette affaire et que le résultat pour les parlementaires et les Canadiens soit différent.
[Français]
Je vous remercie.
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Monsieur le président, comme je l'ai mentionné dans mon allocution d'ouverture, effectivement, la Chambre étudie actuellement un projet de loi visant à moderniser certains aspects de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, le projet de loi .
Il est intéressant de prendre un peu de recul. Cette loi a été promulguée en 1984, en pleine guerre froide, à la suite d'une commission d'enquête qui avait pour but de réviser certaines des activités de l'organisation qui était responsable de la sécurité nationale à l'époque. C'était donc un projet de loi plutôt défensif, à mon avis. Il visait à empêcher que certains écarts ne se reproduisent.
À mon humble avis, les circonstances qui existaient en 1984 n'ont plus cours, en 2024. Le monde a changé. Le visage du Canada a changé et les menaces auxquelles nous faisons face ont changé; elles ont changé pour ce qui est de la complexité, du nombre d'acteurs qui en sont responsables et des répercussions qu'elles ont au quotidien sur les Canadiens et les Québécois.
Les modifications liées au partage de l'information proposées par le projet de loi , qui est présentement étudié par le Parlement, sont absolument essentielles. Elles visent à simplifier une partie de notre régime relatif aux données, ainsi que la façon dont nous obtenons des mandats de la Cour fédérale, tout en conservant les autorisations judiciaires. Je suis certain que ces changements auront un effet très direct sur les Canadiens.
Je reprends les propos du , qui a mentionné que c'était un premier pas et que d'autres efforts allaient être nécessaires à l'avenir pour moderniser la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité. Encore une fois, quand vient le temps de protéger les Canadiens contre les menaces, il faut savoir que les moyens employés par ceux qui les trament évoluent très rapidement. Nous devons donc nous assurer de ne pas être à la remorque de ces changements.
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Merci aux témoins d'être présents aujourd'hui.
Nous voyons clairement — vous l'avez dit vous-même, monsieur Vigneault — qu'une évaluation a été faite à l'époque, que les renseignements ont été transmis et qu'il y a eu une communication de haut niveau. Cependant, nous apprenons constamment, dans cet environnement qui évolue très rapidement, que... Il s'agit clairement d'une question importante à soulever pour montrer que les processus doivent changer. Je salue le travail continu qui est accompli à cet égard.
À l'avenir, nous devons réfléchir à des questions plus larges. Je sais que c'est ce sur quoi je me concentre. J'ai une idée claire de l'orientation que doit prendre ce comité, mais les questions que je me pose s'inscrivent dans un cadre plus large.
J'aimerais parler du rapport du CPSNR.
Il confirmait le fait choquant que des mandataires du gouvernement de Modi s'étaient ingérés dans deux récentes élections conservatrices... Ces renseignements ne sont pas nouveaux. Il y a deux ans, The Bureau a publié un article sur une évaluation de 2022 réalisée par le SCRS.
On y lit ce qui suit:
Des agents du gouvernement indien semblent avoir interféré dans la course à la direction du Parti conservateur en 2022 en achetant des adhésions pour un candidat tout en en sapant un autre, et se sont également vantés de financer « un certain nombre de politiciens à tous les niveaux du gouvernement, »
La même semaine, Baaz a rapporté qu'un représentant du gouvernement indien avait communiqué avec un député conservateur pour retirer son soutien à l'un des candidats.
Pouvez-vous dire à ce comité si les renseignements recueillis par le SCRS ont été communiqués pour le rapport du CPSNR, ou le confirmer?
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Monsieur le président, dans ce cas précis, nous avons estimé qu'il s'agissait de journalisme d'enquête et non d'une fuite.
Je ne donnerai évidemment pas de détails sur nos techniques d'enquête ou les sujets de nos enquêtes. Nous avons toutefois dit publiquement dans nos rapports annuels, dans nos discours, lors de nos comparutions devant ce comité et d'autres comités de la Chambre et du Sénat, que le SCRS se préoccupe de l'ingérence étrangère depuis de très nombreuses années. Cette question fait partie de notre travail. Nous enquêtons sur ce problème, mais ces dernières années, nous avons constaté une agressivité accrue de la part d'un certain nombre de pays.
La rapidité et la complexité avec lesquelles la menace d'ingérence étrangère s'abat sur les Canadiens, oui, dans le cadre des processus démocratiques, des élections, mais aussi sur les Canadiens de différentes diasporas dont les droits démocratiques sont bafoués par des nations étrangères, est une question qui préoccupe vivement le SCRS. Voilà pourquoi nous en avons parlé publiquement et de façon confidentielle au gouvernement. Je pense que grâce au travail de ce comité et d'autres comités, du CPSNR, de l’OSSNR et de la commission d'enquête, les Canadiens ont maintenant une meilleure idée de ce qui est nécessaire.
J'aimerais conclure en disant que l'une des meilleures façons de lutter contre l'ingérence étrangère est de faire ce que nous faisons en ce moment, c'est-à-dire en parler en public. Je ne peux évidemment pas vous communiquer de renseignements classifiés, mais en discutant publiquement de ces questions dans différents endroits avec différentes personnes, nous augmenterons la résistance contre ces acteurs. Le SCRS, la GRC ou autres ne peuvent pas toujours attraper les responsables. Nous espérons obtenir de bons résultats, mais ce sont les Canadiens qui, dans leurs activités quotidiennes, vont signaler ces problèmes et vont se dire: « Il se passe quelque chose ici. Je devrais peut-être en parler ».
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Voilà où je voulais en venir. C'est intéressant. Vous avez fait ce commentaire devant un autre comité, et il en a été question au cours d'un échange à CTV le 9 juin, il y a quelques jours à peine.
En parlant du , l'animateur a dit: « ce n'est pas parce que votre chef reçoit de l'information à ce sujet qu'il ne peut pas agir. » C'est ce que vous venez de dire. Il a poursuivi en disant: « En fait, il pourrait agir sur la foi de cette information. Quand nous avons fait une entrevue la semaine dernière — l'entrevue était avec —, vous pensiez que ce n'était pas le cas. »
a répondu: « Je pense qu'il — en faisant ici référence à vous — était dans l'erreur en faisait cette affirmation. Voici pourquoi: le demande essentiellement à de se lier les mains derrière le dos. Voici pourquoi. Il demande à M. Poilievre de passer en revue la politique du Secrétariat du Conseil du Trésor sur la sécurité du gouvernement. C'est le même processus que d'autres personnes — comme les membres du CPSNR, par exemple — ont suivi. Ce processus obligerait M. Poilievre à signer un engagement et à prêter un serment du secret afin de ne pas divulguer cette information à qui que ce soit. Il ne pourrait donc pas dire à quiconque d'agir sur la foi de ces informations afin de demander des comptes à quelqu'un. »
L'animateur de l'émission a alors respectueusement demandé à son invité s'il était censé le croire, lui, plutôt que le directeur du SCRS.
Michael Chong a répondu par l'affirmative.
Je ne vais pas vous demander de faire des commentaires à ce sujet, parce que je sais que vous ne vous prononcerez pas sur la question, mais vous avez très distinctement affirmé aujourd'hui que si on reçoit de l'information, même si elle est classifiée, on peut l'utiliser pour prendre des décisions, même si on n'est pas autorisé à la divulguer.
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Monsieur le président, en réfléchissant à la question de la députée, j'ai en tête différents modèles.
Par exemple, nos partenaires de l'Australie ont notamment recours, à intervalles réguliers de quelques années, à un tiers de l'extérieur du gouvernement qui revoit toutes les ententes et les lois qui régissent la sécurité nationale. L'objectif est de s'assurer que, selon l'état de la menace, les fameux outils dans la boîte à outils sont les bons et qu'ils sont tenus à jour. Ce type d'exercice vise à faire état de la situation en dehors des périodes électorales.
J'ai dit à plusieurs reprises, au cours des dernières années, que le Canada a été chanceux et que les menaces auxquelles il a été confronté ont été différentes de celles d'autres pays. Grâce à notre géographie, aux trois océans qui bordent le pays et au fait que nous avons les États-Unis comme partenaire économique et militaire, nous avons échappé à l'intensité des menaces que certains autres pays ont vécues.
Ainsi, les Canadiens, avec raison — je m'en réjouis — , n'ont pas eu à réfléchir à ces questions de la même façon et avec la même intensité que d'autres. Par contre, le monde a changé, et toutes les tendances qui ont fait du Canada un pays prospère, sécuritaire et souverain vont dans la mauvaise direction depuis quelques années. Je crois fermement que de trouver une façon différente de discuter de ces menaces, y compris au Parlement, est une approche très raisonnée.