Le Comité se réunit aujourd'hui pour poursuivre son étude sur l'ingérence étrangère dans les élections.
Avant tout, je vous rappelle que vous devez toujours vous adresser à la présidence.
La greffière et moi-même tiendrons une liste consolidée d'intervenants qui souhaitent s'adresser au Comité.
Nous accueillons aujourd'hui les représentantes de l'Alliance Canada Hong Kong: la directrice exécutive Cherie Wong, et la conseillère Ai‑Men Lau, qui témoigne par vidéoconférence.
Je crois savoir que vous prononcerez une déclaration liminaire commune.
Nous allons commencer par Mme Lau, qui cédera automatiquement la parole à Mme Wong.
Je vous souhaite la bienvenue au Comité, madame Lau.
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Je suis la directrice exécutive de l'Alliance Canada Hong Kong.
L'appareil de l'État-parti chinois est l'une des entités d'ingérence étrangère les plus avancées. Pékin s'immisce activement dans les systèmes politiques démocratiques libéraux afin d'infléchir les environnements sociaux au moyen de politiques et de discours favorables à la capitale chinoise. L'ingérence du Département du travail du Front uni, ou DTFU, est fondée sur l'interrelation entre la politique, l'économie, la culture, la technologie, le milieu universitaire, le gouvernement et la collectivité, ce que la plupart des pays occidentaux ne saisissent pas.
L'influence étrangère s'étend à l'ensemble des paliers de gouvernement et des allégeances politiques. Elle cible de nombreux politiciens, fonctionnaires, membres du personnel politique, anciens fonctionnaires et diplomates.
Ceux qui ne font pas partie de la diaspora et qui n'ont pas de perspective culturelle ont du mal à déceler l'ingérence étrangère, surtout lorsque des moyens secrets et clandestins sont employés. Sans connaissances ni lignes directrices adéquates, bien des gens s'engagent sur un terrain glissant et se rendent vulnérables.
Au sein de la communauté, Pékin a recours à une combinaison de mesures incitatives, d'intimidation, de fausses informations et de pressions sociales. Le Front uni fait également passer ses activités pour des initiatives qui servent les intérêts de la communauté chinoise. Le Front uni mobilise les communautés chinoises pour qu'elles soutiennent les candidats qui correspondent aux intérêts de Pékin, mais en plus, il sabote les candidats par la publication de renseignements inexacts sur les médias sociaux.
Même si les contributions financières sont réglementées, la mobilisation des bénévoles, les investissements des entreprises et des communautés, de même que les activités de sensibilisation sont des contributions qui ne peuvent et ne doivent pas être encadrées.
Le Front uni présente également à tort les communautés de la diaspora chinoise comme un seul bloc pour discréditer les voix dissidentes. Après des années de désinformation populaire planifiée, la diaspora peut difficilement se mobiliser sans l’ingérence de Pékin. Même s'ils ont peur d'exprimer leurs craintes publiquement, de nombreux membres de la communauté se méfient des élus en raison des relations étroites qu'ils semblent entretenir avec les représentants de la République populaire de Chine, ou RPC, les organisations favorables à Pékin et leurs mandataires.
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Nous avons soumis un rapport à l'examen du Comité. Ce document récent donne un aperçu de l'influence de Pékin sur les processus électoraux et démocratiques du Canada.
Le Canada a besoin d'une solution holistique dans l'ensemble de la société pour contrer durablement l'influence étrangère tout en renforçant les institutions démocratiques canadiennes. Il est essentiel de créer du matériel et des campagnes de sensibilisation sur les enjeux d'ingérence étrangère et d'investir dans des activités de mobilisation citoyenne adaptées à la culture et à la langue des communautés vulnérables et potentiellement ciblées.
À plus grande échelle, nous devons fournir aux Canadiens les outils et les connaissances nécessaires pour qu'ils participent à ces activités de façon à déceler l'influence étrangère et les faussetés. Grâce à la résilience accrue de la communauté au moyen de l'éducation sur le monde numérique et les médias, les Canadiens pourront prendre des décisions éclairées, tant devant un bulletin de vote qu'en consommant de l'information en ligne.
La transparence et la clarté sont essentielles. L'Alliance Canada Hong Kong, ou ACHK, est favorable à un régime de transparence des influences étrangères faisant abstraction du pays d'origine. Il doit garantir que les commettants étrangers et leurs mandataires enregistrent leurs activités, y compris les agents politiques, les universitaires et ceux qui évoluent dans les secteurs de la société civile, des affaires, de l'investissement et des médias. Le régime de transparence doit être assorti de pouvoirs d'enquête et d'exécution, de sorte que les infractions soient punies. Le régime doit également être accompagné d'un mécanisme de recours équitable et transparent.
Même si nous n'avons pas encore pris connaissance de son mandat, le bureau national de lutte contre l'ingérence étrangère proposé par le gouvernement devrait coordonner la diffusion de l'information. Nous demandons instamment à la nouvelle entité de créer des documents sur les autorisations de sécurité entourant les questions d'ingérence étrangère afin de sensibiliser la population canadienne, et de formuler des conseils sectoriels pour les institutions canadiennes.
Je vous remercie de nous avoir accueillis. Nous répondrons à vos questions avec plaisir.
Lorsque j'ai fondé l'Alliance Canada Hong Kong il y a trois ans, j'ai passé une semaine à Vancouver. C'est un collègue qui a réservé ma chambre d'hôtel sous un nom différent du mien. Le lendemain du lancement de l'ACHK, j'ai tenu une conférence de presse. À 7 heures du matin, quelqu'un a appelé à ma chambre d'hôtel, m'a interpellée par mon nom, a révélé mon numéro de chambre, puis m'a dit: « Nous venons vous chercher. »
Je peux maintenant le raconter calmement aujourd'hui, mais ce jour‑là, ce matin‑là il y a quelques années, j'ai tremblé dans cette chambre d'hôtel. J'ai fait ce qu'il fallait. J'ai appelé la police de Vancouver. J'ai demandé de l'aide en disant: « Je pense que quelqu'un me menace. Ils savent où je suis et qui je suis, et je ne me sens pas en sécurité. »
À ce jour, je n'ai rencontré aucun représentant du service de police de Vancouver. Ils n'ont jamais envoyé d'agent pour me rencontrer ou m'en parler. J'ai un numéro de dossier, mais je n'ai rien eu su d'autre. Les autorités m'ont simplement avisée qu'il ne s'agit pas d'une urgence, et que je ne devrais pas les appeler pour une situation semblable. À leurs yeux, ce n'était pas une menace.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
J'aimerais tout d'abord remercier les témoins qui sont avec nous aujourd'hui.
Je vous remercie aussi, mesdames Wong et Lau, d'avoir répondu aux questions posées par mon collègue. Je salue votre courage. Vous êtes venues ici pour nous faire part non seulement de votre expertise, mais aussi de situations fâcheuses liées à l'intimidation dont vous avez fait l'objet.
[Traduction]
Madame Wong, vous avez abordé dans votre témoignage la façon de mieux informer les Canadiens en général. Je me demande si nous pourrions parler plus particulièrement de la diaspora sino-canadienne et des moyens de mieux l'informer sur la manière de déceler toute forme d'intimidation qu'elle pourrait subir de la part des autorités de Pékin, de la contrer et de la dénoncer en toute transparence.
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Permettez-moi d'abord de rappeler aux membres du Comité que la communauté sino-canadienne n'est pas monolithique. Elle est en réalité très diversifiée. Certains de nos membres ont une vie bien établie au Canada depuis fort longtemps, alors que d'autres membres de la communauté chinoise viennent de communautés de la diaspora à l'étranger. Bon nombre d'entre eux n'ont pas de liens avec la RPC.
Les investissements dans la diaspora pourraient aussi nous obliger à adopter une approche plus holistique. Il s'agirait de financer des écoles de langue, y compris des langues autres que le mandarin, ainsi que de renforcer nos échanges linguistiques en mandarin.
Les médias ethniques sont un volet important. Je pense que nous devons également avoir à l'œil les médias de langue chinoise au Canada. Il faut comprendre leur fonctionnement et leur mode de diffusion de l'information afin de voir s'il est possible pour le Canada et le gouvernement canadien d'encourager et de renforcer une présence médiatique ethnique beaucoup plus diversifiée.
Par ailleurs, nous devons déceler les lacunes dans les services sociaux, et aider les nouveaux arrivants, surtout les nouveaux Canadiens d'origine chinoise, à trouver des services de formation professionnelle, de réinstallation, d'aide aux aînés et de traduction. Nous pensons qu'il faut commencer à intégrer ces éléments à l'infrastructure sociale.
Il faut une solution holistique. Ces domaines sont souvent négligés. Étant donné que l'ingérence et l'influence étrangères ciblent l'ensemble de la société canadienne plutôt qu'un secteur donné, nous ne pouvons pas évaluer les éléments un à la fois. C'est une solution holistique.
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Je pense qu'il est essentiel de commencer par rétablir la confiance. De nombreux membres de la diaspora ne croient plus dans ces agences de renseignement ou de sécurité, car lorsque nous signalons des incidents, elles ne nous informent pas de l'évolution de la situation ou de quoi que ce soit.
La première étape serait donc de réparer cette relation. Ces agences doivent notamment faire preuve de transparence par rapport à la manière dont elles opèrent et à l'évolution des dossiers lorsque nous faisons l'objet de harcèlement ou d'intimidation. La diaspora mérite de savoir quels types de menaces pèsent sur elle.
J'hésite également à tout envisager sous l'angle du renseignement, car certaines de ces activités dépassent le cadre de la compétence juridique. Lorsque j'ai reçu des menaces, par exemple, ils ont simplement dit: « Nous allons t'attaquer », mais ils n'ont jamais dit pourquoi. On se retrouve donc dans une zone grise: Si je signale ces menaces aux services de renseignement ou à la GRC, il se peut qu'ils ne fassent rien parce qu'ils ne considèrent pas qu'il s'agisse d'une activité criminelle.
Je pense que nous devons être un peu plus créatifs et envisager d'autres solutions.
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Je pense que c'est précisément pour cette raison que nous sommes les experts et que nous possédons les connaissances nécessaires. Merci de nous accueillir à nouveau.
Je pense que le renforcement de la diaspora et des communautés dissidentes, afin que nous soyons plus libres de participer à la société civile et aux activités civiques, constitue une réponse proactive à l'ingérence étrangère. Si nous participons davantage à la prise de décisions, nous serons mieux en mesure de remarquer les incidents ou les choses qui se passent.
Je pense que nous devons trouver une solution à long terme, mais que nous devons aussi faire des efforts concrets pour que les diasporas participent au processus décisionnel, en particulier en ce qui a trait à l'ingérence étrangère, domaine dans lequel nous sommes les experts. Nous en sommes constamment témoins. Faites-nous participer. Nous vous informerons. Nous vous dirons ce qui doit être fait.
Tout d'abord, je répète que nous devons rétablir la confiance avec les communautés. Il y a eu une négligence continue et nous devons d'abord bâtir des ponts avec les diasporas et leur dire: « Nous vous écoutons et nous sommes prêts à changer certaines de nos façons de faire pour vous intégrer dans notre travail. »
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Merci, madame la présidente.
Comme toujours, par votre intermédiaire, je tiens tout d'abord à remercier nos témoins d'être présents. Je vous suis très reconnaissante d'être ici, surtout dans le contexte actuel. Merci.
Je vais adresser ma première question à Mme Wong. Si Mme Lau souhaite ajouter quelque chose, je l'invite à le faire.
Je pense réellement — et je l'ai entendu dans d'autres témoignages — que l'un des problèmes est qu'il semble que les services de police et la GRC ne sont pas préparés, et qu'ils ne comprennent pas comment réagir face à ce problème particulier. Nous savons que la diaspora ne se sent pas toujours connectée à ces groupes. Je me pose donc deux questions: Premièrement, avez-vous des recommandations ou des idées quant à ce que nous devrions faire pour que ces groupes soient mieux formés et comprennent ces plaintes lorsqu'elles sont déposées? Deuxièmement, comment pouvons-nous instaurer une confiance entre ces communautés pour que les personnes sachent que si elles se manifestent...? Vous avez raconté votre expérience et vous avez divulgué quelque chose, puis vous n'avez jamais eu de nouvelles. La confiance a donc été rompue.
Quel est votre avis sur la question?
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La réponse à cette question comporte plusieurs volets.
Tout d'abord, les agents de police et les organismes chargés de l'application de la loi doivent faire respecter les lois en cas d'activité criminelle évidente, par exemple le harcèlement, l'agression et la destruction de biens. Ces activités surviennent déjà et doivent être traitées avec sérieux.
Le deuxième volet est l'application d'une lentille de l'ingérence étrangère. Les organismes chargés de l'application de la loi doivent être formés à la détection des tendances et des signes d'ingérence étrangère le cas échéant. Sans une formation adéquate, ils ne seront pas en mesure de déterminer l'existence d'un problème.
Une autre facette de ce problème est... Il ne faut pas se voiler la face, les services de police exercent une violence institutionnalisée et systémique à l'encontre des personnes racisées. C'est un fait. Lorsqu'il s'agit d'interagir avec les forces de l'ordre, il faut comprendre que certains membres des communautés racisées et de la diaspora ne se sentent pas en sécurité. Nous devons donc trouver des solutions de rechange pour que tous les membres de la communauté disposent d'un moyen sûr de se manifester et de demander de l'aide. Cela ne signifie pas nécessairement qu'ils doivent s'adresser à des personnes en qui ils n'ont pas confiance, mais plutôt à celles avec lesquelles ils ont eu de bonnes interactions par le passé.
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En tant que chercheuse, j'aimerais demander aux membres du Comité quelle est selon eux la fréquence des incidents d'intimidation, d'influence, de surveillance ou d'ingérence étrangères au Canada. Pouvez-vous nous communiquer le nombre de cas?
Nous avons soumis au Comité spécial sur les relations sino-canadiennes un rapport intitulé In Plain Sight qui contient des recommandations. L'une d'entre elles était la création d'un comité public sur l'influence étrangère. Nous voulions recueillir des données sur l'influence étrangère et mettre en place un mécanisme de signalement public. On permettrait ainsi aux communautés de la diaspora, qui sont confrontées au poids de l'influence et de l'intimidation étrangères, de signaler ces incidents. Nous pourrions recueillir ces données et non seulement constater l'ampleur du problème au Canada, mais aussi établir les tendances, cerner les méthodes utilisées et déterminer comment ils procèdent afin de mieux informer nos dirigeants de la manière dont ces choses surviennent.
En outre, je tiens à souligner que l'intimidation et la surveillance étrangères ne sont pas une stratégie utilisée uniquement par la RPC. D'autres pays ont eu recours à ces mêmes tactiques. Le Citizen Lab a publié un rapport fantastique intitulé Digital Transnational Repression in Canada. Ils ont interrogé des dissidents canadiens victimes de harcèlement de la part de pays étrangers. Cet aspect doit faire l'objet d'une approche indépendante du pays. Nous devons examiner comment cette répression affecte également d'autres communautés.
Voilà les recommandations que je ferais au Comité.
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Merci, madame la présidente.
Ma première question s'adressera à Mme Wong.
Madame Wong, toute forme d'intimidation, qu'elle soit légère, agressive ou grave, constitue de l'ingérence, que ce soit pour limiter les actions d'une personne ou l'information qu'elle veut divulguer.
Pouvez-vous donner un exemple d'intimidation? Tout à l'heure, vous avez mentionné que vos ordinateurs semblaient être surveillés. Il existe des légendes urbaines à ce sujet. Par exemple, des gens disent avoir l'impression qu'on photographiait leur maison ou leur appartement et qu'ils étaient suivis dans la rue.
Est-ce le genre de choses que vous avez ressenties? Connaissez-vous des gens à qui c'est arrivé et qui ont voulu restreindre leur liberté d'expression pour cette raison?
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L'intimidation et le harcèlement sont les extrêmes de la manière dont le comportement de la diaspora est contrôlé au Canada, mais il existe des moyens plus subtils et que l'on pourrait juger plus inoffensifs d'influer sur la diaspora et de la gouverner.
Tout d'abord, de nombreux membres de la diaspora savent déjà qu'ils ne peuvent pas aborder certains sujets et certaines questions, sans provoquer la colère de Pékin ou attirer l'attention de la RPC. Je ne parle même pas de comportements dissidents ou de critiques formulées au sujet de l'État, mais simplement d'activités et de questions sociales considérées comme sensibles par l'État et qu'il convient d'éviter.
Il y a également le fait que les membres de la diaspora sont encouragés à se surveiller mutuellement et à se dénoncer. Si vous êtes associé à quelqu'un qui est considéré comme un fauteur de troubles, vous avez moins de chances d'obtenir une promotion. On pourrait vous refuser des services. Vous, votre travail, vos amis et votre famille pourraient en subir les conséquences, et c'est dans cette optique qu'intervient la surveillance latérale. Vos amis et votre famille pourraient ainsi vous dénoncer pour être considérés comme des citoyens loyaux envers le régime.
Ils pourraient prendre ces initiatives de leur propre gré, mais il s'agit parfois d'autocensure et d'autoprotection, car ils pensent que s'ils dénoncent quelqu'un, ils pourront échapper au radar de la RPC.
Je tiens à souligner à nouveau que la diaspora utilise tous les moyens possibles pour survivre à la violence de la RPC ici au Canada. Nous n'accusons pas la diaspora, mais nous devons nous attaquer à ce type de comportement, qu'il s'agisse de surveillance latérale ou de ce type de pression sociale et d'exclusion. Au bout du compte, c'est l'État étranger qui fait pression sur la communauté pour qu'elle adopte ce type de comportement violent et odieux.
Je tiens tout d'abord à remercier les deux témoins. Mme Wong et Mme Lau, vous faites preuve d'un courage exceptionnel. Merci d'être présentes.
Vous avez mentionné les tactiques flagrantes, mais aussi parfois subtiles utilisées, comme la convocation d'une étudiante étrangère au consulat.
D'après votre expérience, les tactiques étaient assez flagrantes. Vous avez ressenti l'intimidation de Pékin. Avez-vous constaté que d'autres personnes qui contredisent les intérêts du régime sont également confrontées à ce type de tactiques flagrantes de la part du régime? Pourriez-vous donner d'autres exemples au Comité?
J'ai interrogé un certain nombre de membres de la diaspora hongkongaise dans le monde entier, et pas seulement au Canada. Nous avons cerné un modèle de comportement en vertu duquel beaucoup de ces dissidents qui ont quitté Hong Kong après les manifestations de 2019 et la répression de 2020 ont été victimes de divulgation de données personnelles. Ils ont également eu l'impression d'être suivis physiquement ou ont été témoins d'incidents de ce type.
Un grand nombre des personnes que j'ai interrogées ont également signalé que sur des sites publics, comme les sites de protestation, elles se faisaient souvent prendre en photo. On les menaçait d'envoyer leur photo aux ambassades pour qu'elles aient de l'information sur elles. En outre, elles ont reçu beaucoup de menaces par messages texte, par courriel et en ligne. Ce genre de comportement est donc courant.
Un grand nombre des personnes interrogées ont souligné qu'elles vivent avec cette paranoïa rampante, qui imprègne également toute la communauté même. Il y a beaucoup de contrôles. Nous appliquons de nombreux protocoles de sécurité au sein de la communauté pour nous protéger, parce que nous avons l'impression que nous ne pouvons faire confiance à personne. Il n'y a aucun soutien adéquat.
En outre, de nombreux militants ont pris d'autres mesures proactives, comme le fait de rompre les liens avec leur famille leurs proches ou leurs amis qui vivent encore en RPC ou dans des territoires contrôlés par la RPC.
Je réitère les mots de mes collègues concernant votre courage, mesdames. Merci d'être avec nous aujourd'hui.
Cela a déjà été évoqué, mais j'aimerais que vous nous en disiez davantage sur l'importance d'avoir une lorgnette culturelle différente quand on analyse les tentatives d'ingérence et qu'on évalue les menaces visant la communauté.
Devrions-nous mettre davantage à contribution les membres de la communauté pour mieux cerner ce qu'ils jugent être des menaces et tenir un registre afin de les consigner, même si cela n'en constitue peut-être pas, vu de l'extérieur?
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Je vous remercie, madame la présidente.
Par votre entremise, je vais revenir à Mme Wong, puis demander à Mme Lau de commenter aussi.
Dans votre exposé, vous avez parlé de conseils adaptés à chaque secteur. En vous écoutant, je pensais à toutes les discussions que nous avons eues autour de cette table à propos des mesures que nous devons prendre pendant les périodes électorales, mais aussi entre les périodes électorales. Vous avez fait allusion à différents secteurs — et il n'y en a que trois qui me viennent à l'esprit — comme les universités, les médias, le milieu des affaires, etc. Pourriez-vous nous donner des exemples de ces types de conseils ou nous dire comment ils seraient fournis?
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Au sujet des médias ethniques, Pékin envoie, en fait, des journalistes qui travaillent dans ces médias au Canada suivre une formation à Pékin pour parler en bien de la Chine, en faveur du régime. Les Canadiens doivent savoir que, même s'il s'agit d'échanges tout à fait normaux, ces journalistes sont formés par des acteurs étatiques. Nous devrions donc avoir un plan ou une stratégie pour informer les Canadiens qui lisent ces nouvelles que l'organisme qui les publie à l'appui du Parti communiste chinois et de la République populaire de Chine, et que ces journalistes sont formés et financés par eux.
Dans le cas des médias, il faut avoir une stratégie précise: comprendre qui les finance et qui forme les journalistes.
Dans le cas des universités, des initiatives sont déjà en cours, mais il faut aller au‑delà des établissements. Il faut aussi sensibiliser les chercheurs et les étudiants pour les aider à comprendre que les recherches qu'ils mènent en collaboration avec des mandants étrangers et leurs mandataires peuvent servir à mettre au point plus tard des technologies à double usage qui s'appliquent au domaine civil ou militaire.
Il faut essentiellement consulter des experts dans chaque secteur afin de comprendre les influences étrangères auxquelles le secteur fait face et créer des solutions qui sont propres à ce secteur pour contrer les problèmes.
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Je pense qu'il est très important de comprendre les messages au sujet de la création d'un registre des agents étrangers. Il se peut qu'on ait un peu oublié ce qu'il est censé être. Les gens ont commencé, bien sûr, à se faire leurs propres idées à ce sujet. J'insiste encore sur le fait que ce registre ne vise pas un pays en particulier et vise la dissuasion.
De plus, je crois que les consultations entreprises auprès des communautés de la diaspora sont une bonne première étape. Encore une fois, il faut tenir des consultations avec un plus grand nombre de groupes. Il ne faut pas voir qu'une facette des préoccupations, mais aussi les autres facettes. Vous devez comprendre, en particulier pour ce qui est de la communauté chinoise canadienne, que nous faisons face à des problèmes multiples qui ne concernent pas uniquement la République populaire de Chine. Pendant la pandémie de la COVID, nous avons été témoins de la montée d'un sentiment anti-asiatique. C'est un fait. Ce discours maladroit a conduit à des actes de discrimination et de violence contre les communautés chinoises canadiennes et l'ensemble de la diaspora asiatique canadienne.
Je pense, de plus, qu'il faut comprendre que ce registre doit être une solution à long terme, et non pas à court terme, et se pencher également sur les possibles ingérences étrangères d'autres pays.
Sur ce, j'aimerais vous remercier toutes les deux, madame Lau et madame Wong, d'avoir été avec nous aujourd'hui et d'avoir témoigné.
Je mentionne encore une fois que vous nous avez présenté un mémoire ce matin. Une fois qu'il aura été traduit, il sera acheminé aux membres du Comité. Comme toujours, si vous voulez nous faire part d'autres renseignements, n'hésitez pas à les faire parvenir à la greffière qui nous les acheminera.
Je vais maintenant suspendre la séance brièvement pour procéder aux vérifications du son et accueillir nos prochains témoins.
Nous serons de retour dans quelques minutes. Je vous remercie.
Nous accueillons maintenant M. Duff Conacher, coordonnateur de Démocratie en surveillance, et M. Andrew Mitrovica, rédacteur, qui témoigne à titre personnel.
Nous allons écouter vos déclarations liminaires, et Mme Wong restera avec nous pour la période de questions.
Monsieur Conacher, je vous souhaite la bienvenue à notre comité et vous cède la parole.
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Je vous remercie beaucoup, madame la présidente.
Je remercie les membres du Comité de me donner l'occasion de témoigner aujourd'hui sur cet important sujet.
Comme il a été mentionné, je représente Démocratie en surveillance, mais je représente aussi pour plusieurs des changements que je vais proposer au Comité de recommander à l'égard de problèmes relevés, des groupes de citoyens de Démocratie en surveillance qui réunissent environ 1,5 million de Canadiens et qui unissent leur voix pour réclamer ces changements.
Je tiens à mentionner principalement que la création d'un registre des agents étrangers, en particulier s'il contient une foule d'échappatoires, ne permettra pas vraiment de mettre un frein à l'ingérence étrangère. Les échappatoires dans les dépenses et les contributions électorales et les règles d'éthique facilitent grandement à l'heure actuelle l'ingérence étrangère secrète, tout comme le fait que les chiens de garde nommés par le Cabinet disposent de très faibles pouvoirs coercitifs. En général, leurs positions et pratiques en la matière manquent aussi cruellement de mordant.
Premièrement, on doit exiger que toute personne ou entité qui est rémunérée ou compensée d'une quelconque façon, directement ou indirectement, par un gouvernement étranger, une entité étrangère ou un étranger, s'inscrive au registre. On doit également exiger que ces personnes s'inscrivent au registre si elles ont des ententes avec eux liées à des activités de relations publiques ou de communications ou des activités politiques visant à influencer un politicien, un parti politique ou un gouvernement. Si on exige uniquement que les personnes ou les entités rémunérées pour influencer directement les politiciens canadiens s'inscrivent au registre, elles pourront facilement contourner cette exigence en s'organisant pour être compensées pour d'autres services, ou d'une autre manière, et en exerçant leurs activités d'influence gratuitement.
Deuxièmement, plus de 40 avocats et professeurs, 26 groupes de citoyens et le Globe and Mail, dans deux éditoriaux, ont demandé à vos collègues du comité de l'éthique de la Chambre — et j'espère que vous le ferez aussi — de revenir sur leur position et de rejeter la proposition de la commissaire au lobbying fédérale Nancy Bélanger de vider de leur substance des règles importantes du lobbying éthique contenues dans le Code de déontologie des lobbyistes, faisant ainsi en sorte que les gouvernements étrangers pourront plus facilement mener secrètement des activités d'ingérence dans les élections et des activités secrètes pour influencer des députés et des chefs de parti fédéraux. La commissaire Bélanger et le comité proposent essentiellement de vider de leur substance les principales règles du lobbying éthique en permettant que des lobbyistes puissent soudoyer des députés.
Troisièmement, les échappatoires dans la Loi sur l'enregistrement des lobbyistes font en sorte de permettre le lobbying secret. Si une personne peut faire du lobbying sans s'enregistrer, elle peut donc faire du lobbying de manière non éthique, car le Code de déontologie des lobbyistes ne s'applique pas à elle. Cela n'a même pas d'importance, en fait, s'il est vidé de sa substance, car il ne s'applique pas aux lobbyistes qui ne sont pas tenus de s'inscrire. Cela facilite également le lobbying secret des agents et intérêts étrangers.
Quatrièmement, les échappatoires et les plafonds de contributions et de dépenses trop élevés permettent aux bien nantis, y compris aux groupes de pression parrainés par des intérêts étrangers, d'exercer une influence indue sur les élections et les processus d'élaboration des politiques.
Cinquièmement, les lobbyistes et les groupes de pression, y compris ceux parrainés par des intérêts étrangers, peuvent s'associer avec des candidats à l'investiture ou à la direction d'un parti en secret, et les non-citoyens peuvent voter tant lors des courses à l'investiture que des courses à la direction d'un parti. Ce sont des échappatoires qui facilitent l'ingérence étrangère.
Sixièmement, les règles d'éthique fédérales ont des échappatoires béantes qui permettent aux députés d'agir de manière non éthique, ainsi qu'aux ministres et aux cadres supérieurs du gouvernement d'avoir des investissements secrets et de participer à des décisions dont ils tirent profit. On ouvre ainsi la porte à des accords non éthiques, y compris avec des groupes de pression étrangers et des groupes parrainés par des intérêts étrangers. Le Comité n'a pas réussi à fermer ces échappatoires lorsqu'il a procédé à l'examen du code d'éthique des députés l'an dernier, en grande partie en secret, et a publié son rapport initial en juin dernier.
En fait, le Comité — qui dit s'inquiéter de l'ingérence étrangère — a proposé, et la Chambre a approuvé le 30 mars une nouvelle échappatoire dans le code d'éthique des députés qui permet maintenant aux groupes de pression, y compris ceux parrainés par des intérêts étrangers, de payer en secret des stagiaires dans vos bureaux. En somme, vous avez légalisé le fait pour des groupes parrainés par des intérêts étrangers d'introduire des espions dans les bureaux des députés et de les payer en secret, sans divulgation.
Septièmement, de nombreuses fausses affirmations peuvent être véhiculées concernant des candidats aux élections, des chefs de parti et des députés. Aucun organisme d'application de la loi n'a le pouvoir d'ordonner à une entreprise de médias sociaux de supprimer de fausses publicités ou publications en ligne.
Huitièmement, enfin, comme je l'ai mentionné au début, l'application des lois concernant les dépenses et les contributions électorales et politiques, et les lois sur l'éthique et le lobbying manquent cruellement de mordant. Tous les chiens de garde sont choisis par le Cabinet du parti au pouvoir dans le cadre de processus politiques partisans et secrets. Ils sont tous dépourvus de pouvoirs importants et ne sont même pas tenus de faire rapport sur les plaintes ou les situations qu'ils examinent ou font l'objet d'une enquête. Ils peuvent donc échouer totalement dans leurs fonctions.
Cela comprend le soi-disant Groupe d'experts indépendants du Protocole public en cas d'incident électoral majeur, qui n'a rien d'indépendant, car il est composé de fonctionnaires qui ont été choisis et sont nommés à titre amovible par le . La directive du Cabinet concernant le Protocole comporte plusieurs lacunes qui permettent essentiellement le camouflage de l'ingérence étrangère...
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Je vous remercie, madame la présidente, et bonjour à tous.
Je suis journaliste et écrivain depuis près de 40 ans. Pendant une grande partie de cette période, j'ai été journaliste d'enquête pour CTV, CBC, le Globe and Mail et le magazine The Walrus.
J'ai beaucoup écrit sur les services de renseignement. Ce travail a donné lieu à un livre intitulé Entrée clandestine: Crimes et mensonges dans les services secrets canadiens. Il s'agit de l'un des deux seuls livres d'importance écrits sur le SCRS. Ce fait montre à quel point les journalistes canadiens sont peu nombreux à savoir comment fonctionne réellement le service national d'espionnage de notre pays.
Bien que j'aie refusé de nombreuses demandes de comparution en tant que témoin expert devant un tribunal, pourquoi ai‑je accepté de venir témoigner ici? J'ai été troublé par une grande partie des reportages récents sur l'ingérence présumée de la Chine dans les élections canadiennes. J'ai été particulièrement troublé par le recours à des sources anonymes pour accuser des Canadiens d'origine chinoise d'être déloyaux à l'égard de l'unifolié. Cette allégation grave et aux séquelles permanentes devrait nécessiter plus que les dires d'espions confortablement tapis dans l'ombre pour accuser d'autres Canadiens d'être l'instrument d'une puissance étrangère.
Je connais l'ingérence de la Chine au Canada. J'ai écrit une série d'articles de première page sur l'ingérence de la Chine dans la société canadienne lorsque je travaillais au Globe à la fin des années 1990 et au début des années 2000. Ces reportages ont abouti à un article sur une enquête conjointe de la GRC et du SCRS appelée « projet Sidewinder ».
Le projet Sidewinder était intrigant pour plusieurs raisons. Sa principale conclusion — que la République populaire de Chine travaillait avec des triades pour infiltrer presque tous les aspects de la vie canadienne — était si controversée que le directeur du SCRS de l'époque, Ward Elcock, a fait quelque chose qu'aucun directeur n'avait fait, à ma connaissance, avant ou depuis: il a publiquement rejeté le travail de ses agents du renseignement en le qualifiant, en fait, de foutaise. Bien sûr, il a utilisé un langage beaucoup plus diplomatique. Il a parlé d'une théorie intéressante.
La curieuse histoire du projet Sidewinder ne s'arrête pas là. Un haut fonctionnaire du SCRS a ordonné la destruction de tous les exemplaires du rapport. C'était aussi, je crois, un fait sans précédent. Quoi qu'il en soit, un exemplaire du rapport a survécu et est parvenu jusqu'à moi et, par la suite, a fait la première page du Globe.
C'est ici que mon rapport et la plupart des rapports récents sur l'ingérence chinoise diffèrent. Le projet Sidewinder contenait les noms d'un grand nombre d'entreprises, d'organisations et de personnalités connues dont la GRC et le SCRS pensaient qu'elles avaient été compromises par la République populaire de Chine. À l'époque, mes éditeurs et moi avions convenu qu'il serait irresponsable de publier leur identité en s'appuyant uniquement sur un rapport de 23 pages, même s'il portait la mention « très secret ».
Voici l'autre raison principale pour laquelle j'ai accepté de témoigner. Une sorte d'hystérie est entretenue par des journalistes assoiffés de primeurs et par ce qui est probablement une poignée de membres de la vaste infrastructure du renseignement de sécurité du Canada, qui n'a guère de comptes à rendre. C'est dangereux, et la réputation et les moyens de subsistance de certaines personnes sont mis à mal. Je vous conseille de faire preuve de prudence et de scepticisme à l'égard des soi-disant renseignements, même s'ils sont présentés comme très secrets, ce qui, soit dit en passant, est une classification de sécurité standard.
Le fait est que le SCRS se trompe souvent. Dans le climat actuel, quelque peu hystérique, il est bon de rappeler ce qu'Eva Plunkett, ancienne inspectrice générale du SCRS, a écrit en 2010 et qui se traduirait ainsi:
Les examens [...] ont permis de recenser à nouveau ce que je considère comme un grand nombre [...] d'erreurs dans les fonds de renseignements du SCRS. Bien que mon bureau n'examine qu'un échantillon des activités du SCRS, ces [...] erreurs ne se limitent pas à un programme ou un ensemble de processus. Elles se retrouvent dans l'ensemble des activités de base du Service et dans toutes les régions.
Ces erreurs ont eu des conséquences humaines profondes et durables. Il suffit de demander à Maher Arar.
Enfin, je travaille sur un article concernant deux policiers dévoués dont la loyauté envers le Canada a été remise en question par des agents du SCRS, franchement incompétents et conspirateurs. Leurs vies et leurs moyens de subsistance ont également été mis à mal. Il s'agit d'une mise en garde et, après la publication de l'article, je vous demande instamment de les inviter devant le Comité pour qu'ils vous racontent directement l'horreur de ce qui peut se produire lorsque le SCRS se trompe à ce point.
Je vous remercie du temps que vous m'avez accordé.
Selon le et David Johnston, ils sont amis, et la Loi sur les conflits d'intérêts stipule très clairement que vous n'êtes pas autorisé à participer à un processus décisionnel qui vous donne l'occasion de favoriser vos intérêts, ceux de membres de votre famille ou de vos amis, ou de favoriser indûment les intérêts d'une autre personne, et j'estime donc qu'il s'agit d'une violation évidente de la loi.
Le fait de confier un contrat gouvernemental de 1 400 à 1 600 $ par jour à quelqu'un favorise ses intérêts financiers, et le premier ministre et David Johnston disent qu'ils sont amis. Même s'il ne s'agissait que d'amis de la famille, il serait toujours inapproprié d'accorder un contrat gouvernemental à un de ces amis si le commissaire à l'éthique — quand il y en a un — en décidait ainsi, et c'est une violation de la Loi sur les conflits d'intérêts que de favoriser de façon inappropriée les intérêts d'une autre personne. Il serait à nouveau inapproprié d'accorder un contrat gouvernemental à un ami de la famille.
Comme je l'ai mentionné, en ce qui concerne le commissaire à l'éthique, tous les soi-disant chiens de garde prévus par nos lois démocratiques clés sont triés sur le volet par le Cabinet au moyen de processus secrets, partisans, politiques et contrôlés par le Cabinet, comme nous l'avons vu dans le cas du commissaire à l'éthique intérimaire. Le Cabinet est actuellement en voie de choisir le commissaire à l'intégrité, le commissaire de la GRC et le commissaire à l'éthique, ainsi que le commissaire à l'éthique par intérim.
On ne peut pas choisir son propre juge et, en choisissant David Johnston, le a en fait choisi son propre juge, mais maintenant, le premier ministre Trudeau choisira aussi son propre commissaire à l'éthique, son commissaire à l'intégrité, son commissaire de la GRC et tous les autres commissaires à mesure qu'ils devront être remplacés. C'est un système très imparfait, et la Cour d'appel fédérale a statué à l'unanimité que le Cabinet était partial lorsqu'il procédait à ces nominations. Le système de nomination doit être modifié afin de le rendre indépendant, de faire participer tous les partis et une commission indépendante à une recherche fondée sur le mérite — une véritable recherche fondée sur le mérite —, et de permettre qu'une décision fondée sur le mérite soit prise en ce qui concerne le choix de la personne qui surveillera et appliquera ces lois clés qui protègent notre démocratie, y compris en nous protégeant contre l'ingérence étrangère.
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Merci, madame la présidente.
Je vais d'abord m'adresser à M. Mitrovica.
J'ai lu récemment un article d'Al Jazeera que vous avez écrit, monsieur, et qui a été publié en mars. Dans cet article, vous dites que ce n'est pas parce qu'une quelconque classification de sécurité est indiquée pour un document produit par un agent d'information du SCRS que c'est la vérité.
Je voulais vous poser une question. Cela signifie‑t‑il que nous devrions contester la véracité des fuites qui ont été publiées sur des plateformes comme celle du Globe and Mail, par exemple, au cours des dernières semaines, ou du moins remettre en question leur véracité jusqu'à ce que l'information soit corroborée? Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet?
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Oui, je pense qu'il s'agit d'un point essentiel. Les services de renseignement ne recueillent pas d'éléments de preuves. Ils recueillent des renseignements. Ces renseignements ne sont pas examinés de la même manière que les preuves recueillies par la police le sont devant les tribunaux. Ils ne sont pas examinés aussi rigoureusement que les éléments de preuve recueillis par la police. Il s'agit d'une distinction importante que le Comité devrait comprendre, que les Canadiens en général devraient comprendre et, pour être tout à fait franc, que les journalistes devraient comprendre, mais qu'ils ne semblent pas bien comprendre lorsqu'on voit leurs reportages sur ces questions.
L'autre élément qui est au cœur de votre question, c'est que lorsque le SCRS recueille des renseignements, il le fait souvent sans contexte et, comme vous l'avez souligné à juste titre, sans qu'il y ait eu corroboration. Souvent, les termes utilisés sont embellis pour appuyer un certain discours qui pourrait être établi parmi quelques agents du renseignement au sein du SCRS. Ensuite, bien sûr, on modifie l'information qui, une fois encore, peut être formulée de manière à appuyer un discours particulier qui n'inclut pas de renseignements disculpatoires.
Dans ma déclaration préliminaire, j'ai dit que les membres du Comité — et, plus généralement, les Canadiens et certains journalistes qui ne comprennent pas comment l'information est créée au sein du SCRS — doivent prendre du recul et comprendre qu'ils doivent être beaucoup plus prudents lorsqu'ils acceptent comme pure vérité des renseignements qui sont payés publiquement ou qui leur sont divulgués par le SCRS. Je pense que c'est un point très important.
D'après ce que j'ai lu, regardé et écouté, on accepte ces renseignements comme la pure vérité. Cela peut être dangereux et, comme je l'ai dit dans ma déclaration préliminaire, a certainement nui à la réputation de certaines personnes et a conduit à au moins deux poursuites en libelle diffamatoire très sérieuses contre des journalistes qui ont produit ces histoires. Je pense qu'il s'agit là aussi d'une mise en garde.
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Avant que je réponde à cette question, il est important que vous sachiez que, à mon avis, vous devriez également inviter Eva Plunkett à comparaître devant le Comité pour qu'elle mette les choses en contexte. Bien sûr, le bureau de l'inspecteur général a été fermé par une administration précédente, en grande partie parce que Mme Plunkett faisait trop bien son travail. Dans son dernier rapport, elle a souligné qu'il y avait des problèmes systémiques dans l'ensemble des activités principales du SCRS, qu'on se trompait, et ce, de manière répétée, et elle a lancé un avertissement à ce sujet.
En ce qui concerne Maher Arar, dans un très long article que j'ai écrit pour le magazine Walrus, j'ai décortiqué non seulement le rôle qu'a joué l'infrastructure du renseignement de sécurité dans le salissage de la réputation d'un Canadien innocent, mais aussi la manière dont ces renseignements ont été communiqués, littéralement communiqués, à certains journalistes — qui font aujourd'hui des reportages sur l'ingérence chinoise — sur le rôle présumé de M. Arar en tant que terroriste. Tout cela s'est révélé absolument faux.
On observe la même dynamique aujourd'hui. Quelques sources anonymes au sein de la superstructure du renseignement de sécurité transmettent de l'information à des journalistes sélectionnés, qui les répètent ensuite comme des paroles d'évangile.
Je vais poser ma première question à M. Conacher, mais je reviendrai ensuite à Mme Wong.
Monsieur Conacher, vous avez beaucoup parlé, lors de votre allocution, de l'importance de l'impartialité lorsque des gens étaient nommés pour faire enquête sur divers sujets.
J'aimerais que vous nous en disiez davantage sur une éventuelle commission d'enquête et sur la façon dont serait nommée la personne qui devrait présider une telle commission. Le Bloc québécois avait fait une suggestion, à savoir que cette personne devrait être nommée par l'ensemble des partis.
J'aimerais avoir vos commentaires sur cette proposition et peut-être aussi sur une enquête publique indépendante, de façon générale.
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Je vous remercie beaucoup de...
[Français]
Je devrais m'exercer à parler en français, mais je ne maîtrise pas la langue.
[Traduction]
Je vais répondre à votre question.
L'essentiel, c'est que ce soit un comité totalement indépendant qui procède à la recherche fondée sur le mérite pour établir une courte liste de candidats. Il s'agira d'un comité qui n'est contrôlé par aucun parti, d'un comité composé de personnes qui ne sont liées à aucun parti politique. Ses membres peuvent être choisis avec l'approbation de tous les partis afin que ce soit impartial, ou en ayant recours à des personnes qui occupent des postes déterminés. Ils effectueront ensuite une recherche publique de candidats basée sur le mérite et établiront une liste restreinte qui sera renvoyée à un comité multipartite.
Le Québec dispose de certains éléments de ce processus pour la nomination des juges provinciaux. Aucun des membres du comité consultatif qui effectue les recherches n'est nommé par le ministre.
La Colombie-Britannique dispose d'un autre élément pour tous les chiens de garde de la démocratie de la province. Je ne pense pas que des politiciens devraient se charger de la recherche, car ces chiens de garde surveillent les politiciens de tous les partis. En Colombie-Britannique, un comité multipartite fait le choix final.
C'est ainsi que les choses devraient se passer pour la nomination de tout commissaire d'enquête et de tout autre chien de garde, du commissaire de la GRC et de tous les agents du Parlement. Toute personne chargée de surveiller ou de juger un politicien doit être sélectionnée de cette manière. Sinon, nous n'aurons qu'un processus partial, partisan et contrôlé politiquement, dans le cadre duquel on finira par choisir des chiens de poche et non des chiens de garde.
J'aimerais quand même revenir un peu à la question des menaces.
Vous avez parlé des menaces dont vous avez vous-même fait l'objet et d'autres menaces que la communauté a reçues, par exemple par le truchement d'appels téléphoniques ou sous la forme d'animaux morts déposés sur le perron de résidences.
Avez-vous eu connaissance de menaces plus directes, voire d'atteintes à la sécurité physique visant des membres de la diaspora?
J'aimerais savoir si elles ont été signalées aux autorités. Le cas échéant, y a-t-il eu des suivis?
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Merci, madame la présidente.
Merci aux nouveaux témoins.
Je remercie Mme Wong de rester avec nous un peu plus longtemps. Je lui en suis très reconnaissante.
Tout d'abord, ma question s'adresse à vous, monsieur Mitrovica, et j'espère que j'ai bien prononcé votre nom.
Je pense que c'est là que réside le défi. J'ai également lu vos articles. Tout au long de ce processus, j'ai l'impression que nous cherchons le croquemitaine dans le placard. On se dit « voilà ce que cela veut dire », et je sais que ce n'est pas forcément ce que cela veut dire. Il s'agit d'essayer de rassembler des renseignements d'une manière plus globale, d'adopter une approche sensée et de s'attaquer réellement à la question clé, à savoir comment faire en sorte que les Canadiens aient confiance en leurs systèmes. Qu'est‑ce que notre pays doit faire mieux à cet égard?
J'ai lu votre article et je l'ai trouvé très intéressant. Vous avez beaucoup utilisé le mot « hystérie ». Ma question portera sur les lanceurs d'alerte. Je comprends ce que vous dites. Parce qu'il n'y a rien de rattaché à cette personne, nous acceptons cela comme des faits, et l'information devient préoccupante.
Pourriez-vous en parler? Avons-nous suffisamment de règles en place pour soutenir les lanceurs d'alerte? Lorsqu'il s'agit d'obtenir de l'information, le problème est‑il en partie que le soutien est insuffisant?
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Il y a de nombreuses années, j'ai écrit un article sur les mesures de protection qui devraient être accordées aux lanceurs d'alerte qui se manifestent pour révéler, dans l'intérêt du public, des renseignements qui sont dans l'intérêt du public. Or, l'idée selon laquelle la source du
Globe and Mail est un lanceur d'alerte me pose quelques problèmes.
En première page de mon ancien journal, on vante cet individu comme étant un lanceur d'alerte. Généralement, les lanceurs d'alerte sortent de l'ombre. Ils ne portent pas d'accusations dans l'ombre.
Cet individu fait des allégations très graves concernant des personnes, des organisations et des partis, et je pense qu'il doit se manifester, comme d'autres lanceurs d'alerte — des lanceurs d'alerte courageux — qui sont sortis de l'ombre et qui ont pointé un doigt accusateur vers les institutions au sein desquelles ils opéraient et qui étaient prêts à défendre publiquement leurs accusations, leurs motivations. Voilà ce qu'est un véritable lanceur d'alerte.
La source du Globe n'est pas un lanceur d'alerte. Cette personne demeure une source anonyme qui provoque un grand chaos, à mon avis, et qui n'a pas à défendre ce qu'elle fait et n'est pas interrogée sur ses motivations, les sources de ses renseignements, la véracité de ses renseignements, la manière dont ils ont été corroborés — s'ils l'ont été — et la question de savoir si elle a embelli ou modifié les renseignements pour les faire correspondre à un certain discours.
Je pense qu'il s'agit là d'un véritable point litigieux. Lorsqu'un journal offre ce type de protection à une source et qu'il la présente ensuite comme un lanceur d'alerte, c'est une situation qui me pose beaucoup de problèmes.
Je pense qu'il est difficile d'essayer de s'orienter dans tout cela de manière à protéger les Canadiens et de s'assurer qu'ils disposent de l'information dont ils ont besoin. C'est, bien sûr, la raison pour laquelle nous appuyons la tenue d'une enquête publique.
En ce qui concerne l'autre question dont je veux parler, vous avez dit — et nous l'avons souvent entendu — que bon nombre de nos lois relatives à ces questions sont en grande partie désuètes, ce qui constitue un grand problème pour nous, et que bon nombre des lois qui concernent le SCRS sont désuètes et ont besoin qu'on leur donne un nouveau souffle.
Vous avez dit précédemment que l'on recueille des renseignements et que ce ne sont pas des éléments de preuve. Lorsque vous examinez ce processus et la façon dont l'ingérence étrangère et la désinformation évoluent, comment voyez-vous ces éléments se combiner?
Il me semble que la désinformation est en grande partie au cœur du problème, comme dans bien d'autres pays. Il n'y a pas si longtemps, il y avait un convoi ici et des gens brandissaient des pancartes d'autres présidents. C'était comme s'ils n'étaient pas dans le bon pays.
Nous devons nous pencher très sérieusement sur la question, car il ne s'agit pas d'un seul pays, mais de plusieurs pays qui font des choses pendant les élections et entre deux élections, et cela a d'importantes répercussions sur nous.
Je me demande si vous pourriez nous parler de tout cela, du rôle du SCRS et de ce qui doit changer pour que le processus soit plus réfléchi.
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C'est une grande question.
Permettez-moi d'essayer d'y répondre de la façon suivante. Il y a beaucoup de désinformation au sujet du SCRS lui-même. J'ai écrit un livre qui dresse un portrait très peu élogieux du service d'espionnage canadien. L'une de mes principales conclusions devrait faire l'objet d'une enquête en quelque sorte, parce qu'elle montre que le SCRS lui-même — et je ne veux pas me lancer dans les hyperboles ici — peut être considéré comme une menace pour notre sécurité nationale.
Permettez-moi de préciser ce que je veux dire. J'ai fait état d'une atteinte à la sécurité nationale qui n'a jamais fait l'objet d'une enquête en bonne et due forme par quelque autorité que ce soit, y compris le SCRS. J'y ai consacré un chapitre de mon livre. L'affaire concernait un haut responsable du SCRS à Toronto qui était membre des services opérationnels spéciaux, l'un des aspects les plus sensibles des activités du SCRS.
J'ai rapporté qu'il échangeait des renseignements très confidentiels — qu'il les troquaient — avec des trafiquants de drogue liés à la mafia contre de l'héroïne. C'est à peu près au même moment que le joyau de l'organisme, le document de planification opérationnelle, a disparu. Il aurait été volé par trois toxicomanes selon le SCRS à l'époque. Il s'agissait d'un prétexte.
Nous devons comprendre que le SCRS lui-même est... La désinformation actuelle consiste à dire que le SCRS est rempli de scouts et de guides qui chantent le Ô Canada le matin et avant de s'endormir le soir. Le fait est qu'il y a de véritables problèmes au sein de cet organisme. Cependant, si vous écoutez, regardez et lisez une grande partie de la couverture médiatique ces derniers temps, l'hagiographie doit être remise en question.
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Je vais devoir vous remercier. Je sais que votre réponse pourrait probablement être un peu plus longue.
Monsieur Mitrovica, monsieur Conacher, madame Wong, merci de nous avoir consacré du temps aujourd'hui et de nous avoir donné votre point de vue.
Il est fort possible que les membres du Comité aient d'autres questions à vous poser, et nous vous demanderons de nous fournir des réponses par écrit. Cela vous convient‑il? Nous vous les enverrons.
Si vous souhaitez que le Comité examine d'autres renseignements, veuillez les envoyer par écrit à la greffière, qui les fera traduire et les distribuera à tous les membres du Comité.
Sur ce, au nom des membres du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, je vous remercie encore une fois, monsieur Mitrovica, monsieur Conacher, madame Wong, du temps que vous nous avez consacré aujourd'hui. Nous vous souhaitons une bonne fin de journée.
Nous nous reverrons ce soir, à 18 h 30. La séance est levée.