:
En effet, c'est pourquoi j'ai dit que nous en parlerons au comité directeur. Je vous remercie, monsieur van Koeverden.
Nous accueillons Peter Dietsch, professeur à l'Université de Victoria, qui témoigne à titre personnel. Nous accueillons également, de l'Institut climatique du Canada, Jonathan Arnold, directeur par intérim, Croissance propre. Enfin, nous accueillons Michael Coffin, chef, Secteurs pétrolier, gazier et minier, de la Carbon Tracker Initiative.
Nous commencerons par le professeur Dietsch. Vous disposez de cinq minutes. Je vous en prie.
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Je vous remercie de m'avoir invité à témoigner devant votre comité.
J'aimerais commencer par saluer le peuple Lekwungen et préciser que je communique avec vous par Zoom depuis son territoire.
[Français]
Je vais faire ma présentation en anglais, mais je pourrai ensuite répondre avec plaisir à des questions en français.
[Traduction]
Voici, en résumé, ce que je vais montrer au cours des cinq prochaines minutes. J'expliquerai que notre infrastructure financière actuelle compromet la transition verte. Je procéderai en quatre étapes. J'examinerai la principale approche stratégique aujourd'hui, j'expliquerai en quoi elle ne fonctionne pas et pourquoi, et je m'arrêterai à la situation ici, au Canada, en particulier. Enfin, je terminerai par une recommandation concrète en matière de politique.
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D'accord. Je viens de nommer les quatre étapes.
La première concerne la principale approche stratégique aujourd'hui.
Les idées ne manquent pas sur la manière de faciliter la transition verte. Cependant, les décideurs du monde entier semblent aujourd'hui s'accorder sur un point: les dépenses publiques ne suffiront pas à elles seules pour réussir cette transition et il faudra aussi des investissements privés.
C'est pourquoi différents cadres stratégiques essaient d'encourager le secteur privé à investir dans l'énergie verte. Pensez à l'Inflation Reduction Act de l'administration Biden ou, ici au Canada, au Fonds pour les combustibles propres. Toutes ces initiatives misent sur l'idée qu'il suffira d'investir dans l'énergie verte pour réduire les émissions et atteindre nos objectifs climatiques. C'est à mon avis une erreur parce que cela repose sur une méconnaissance du fonctionnement de notre système financier.
Pour comprendre pourquoi c'est le cas, examinons deux caractéristiques des économies contemporaines. La première est la création monétaire. Beaucoup de gens considèrent les banques commerciales comme des intermédiaires. Robin doit déposer de l'argent avant que Chris puisse emprunter. Il est vrai que les banques sont des intermédiaires, mais pas seulement. Leur accréditation bancaire leur permet de créer de la monnaie à partir de rien, et elles le feront si elles pensent que l'emprunteur les remboursera. Il existe des contraintes réglementaires à cet égard, mais elles ne sont pas très restrictives.
Autrement dit, si une banque pense qu'un projet d'exploitation de combustibles fossiles sera rentable, elle accordera un prêt. Il faut savoir, par ailleurs, qu'aucune banque agréée dans une économie comme celle du Canada ne peut accorder de prêt sans le soutien de la banque centrale, de la Banque du Canada dans notre cas. Ce soutien prend de nombreuses formes, notamment la compensation de l'argent prêté par la banque commerciale par l'intermédiaire du système de paiement national. Il est donc trompeur de parler de « financement privé » à propos de la monnaie créée par les banques commerciales. En fait, l'État sous-traite la création de monnaie à des institutions du secteur privé.
Passons à la deuxième caractéristique des économies contemporaines; à savoir: les effets externes négatifs des émissions de gaz à effet de serre.
Nous savons que les prix du marché ne tiennent pas compte des coûts sociaux et environnementaux des changements climatiques, qui sont énormes. Diverses formes de tarification du carbone, y compris les taxes sur le carbone, tentent de corriger cette inefficacité et de porter le prix des activités à forte intensité de carbone jusqu'à un niveau soutenable. Toutefois, les modèles économiques nous disent que la tarification actuelle du carbone est loin du compte. Ce qui veut dire, notez‑le bien, que nombre de projets d'exploitation de combustibles fossiles non viables et inefficaces seront encore rentables.
À présent, prenez du recul et demandez-vous ce qui se passe quand les deux caractéristiques des économies contemporaines que je viens de décrire se produisent en même temps. En bref, les banques commerciales continueront de consentir des prêts au secteur des combustibles fossiles. Elles le peuvent parce qu'il n'y a pas de limite ferme à leurs prêts. Elles continueront de prêter parce qu'elles estiment que ce secteur est rentable. Tant que la tarification du carbone restera inefficace par sa faiblesse, à cause de choix politiques, il en sera ainsi.
Autrement dit, tous les investissements verts que nos politiques actuelles encouragent n'empêcheront pas les banques commerciales de prêter à des projets d'exploitation de combustibles fossiles. Elles feront simplement les deux. Nous nous retrouverons avec plus d'énergie moins chère, mais nous ne réduirons pas les émissions.
Si vous avez vu les premières estimations des émissions en 2023 publiées par l'Institut climatique du Canada la semaine dernière, nous en sommes à 702 mégatonnes. Ce chiffre n'est que légèrement inférieur à celui de l'année précédente, et la sous-catégorie des émissions provenant des hydrocarbures est, en fait, en hausse.
Ce qui m'amène à mon troisième point, qui est la situation au Canada.
Depuis l'adoption de l'Accord de Paris en 2015, les 60 plus grandes banques du monde ont accordé 6,9 billions de dollars de financement à des projets d'exploitation de combustibles fossiles, dont 705 milliards de dollars américains rien qu'en 2023. Cinq banques canadiennes figurent parmi les 21 banques qui prêtent le plus dans ce domaine dans le monde, et elles ont fourni au total 911 milliards de dollars américains au secteur depuis 2015. Je tiens encore à souligner qu'il ne s'agit pas de prêts privés. Il s'agit de prêts accordés sous les auspices des banques centrales, y compris la Banque du Canada, et ces prêts relèvent donc d'un choix politique.
Il est probable, si vous parlez à des représentants de la Banque du Canada, qu'ils contesteront une partie de ce que j'ai dit. Ils diront que les considérations climatiques ne font pas partie de leur mandat, ce qui est vrai. Cependant, remarquez que c'est tout à fait compatible avec le fait que leurs politiques ont des effets secondaires importants sur le climat et sur la politique climatique.
Enfin, j'en viens au quatrième point, celui des recommandations en matière de politique.
À la lumière de cette analyse, que peut‑on faire? Comment empêcher notre architecture financière de freiner la transition verte et comment la mobiliser, au contraire, pour atténuer efficacement les changements climatiques?
Nous avons vu qu'il ne suffit pas de solliciter le financement...
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Je vous remercie de me donner l'occasion de rencontrer le Comité ce matin.
Mes observations portent sur quatre éclairages stratégiques découlant de la recherche de l'Institut climatique du Canada et de son travail avec le Conseil d'action en matière de finance durable sur la définition d'une taxonomie de la transition verte au Canada.
Premièrement, les changements climatiques et la réponse mondiale qui y est apportée transforment rapidement les facteurs fondamentaux de la compétitivité économique. Le coût des changements climatiques augmente rapidement et il s'élève déjà à des milliards de dollars pour les ménages canadiens. Il continuera d'augmenter avec les phénomènes météorologiques extrêmes qui deviennent plus fréquents et il pèsera sur le système financier et sur la croissance économique.
Parallèlement, une combinaison de marchés, de technologies et de politiques accélère davantage la transition énergétique que ce que la plupart des experts pensaient possible il y a seulement quelques années. Des énergies renouvelables telles que l'énergie éolienne et l'énergie solaire sont déployées plus rapidement et à moindre coût que toute autre source d'électricité dans l'histoire. Plus de 70 pays se sont maintenant engagés à atteindre la carboneutralité d'ici le milieu du siècle, et ils représentent plus de 90 % du PIB mondial, 80 % de la demande mondiale de pétrole et 75 % de la demande mondiale de gaz naturel. Toutes ces tendances redéfinissent la notion de compétitivité dans l'économie mondiale.
Deuxièmement, l'architecture du système financier mondial s'aligne sur ce nouvel avenir économique par des normes de divulgation de l'information relative aux changements climatiques, des taxonomies et des plans de transition. En ce qui concerne la divulgation de l'information relative aux changements climatiques, des pays qui représentent à eux tous plus de la moitié du PIB mondial ont adopté ou sont en train d'adopter les normes de l'International Sustainability Standards Board. Il s'agit de l'Union européenne, du Royaume-Uni, du Japon, de l'Australie et du Brésil. Trente pays ont adopté leur propre taxonomie durable ou sont en train de la définir. En font partie la plupart des pays du G7 et du G20, ainsi que de nombreuses économies en développement.
Les mesures destinées à normaliser les plans de transition des entreprises et des institutions financières sont également bien engagées. Le groupe de travail britannique sur les plans de transition a établi une norme de référence pour la teneur des plans de transition crédibles, tandis que l'IFRS — l'organisme chargé de fixer les normes comptables mondiales — adopte maintenant ce travail dans son intégralité. Ces évolutions normalisent et améliorent l'information sur les marchés financiers, ce qui garantit que les risques physiques et de transition liés aux changements climatiques sont tarifés dans l'allocation des capitaux. Elles aident à lutter contre l'écoblanchiment et à favoriser des investissements qui correspondent réellement aux objectifs climatiques mondiaux, le tout contribuant à réduire le risque systémique dans le système financier canadien.
Troisièmement, prendre du retard par rapport à ces nouvelles normes mondiales compromettra la capacité du Canada d'attirer des capitaux. Pour que l'économie canadienne soit compétitive dans la transition énergétique mondiale, il faudra investir de 80 à 115 milliards de dollars supplémentaires par an. Ces capitaux devront venir en majeure partie du secteur privé et d'investisseurs étrangers en particulier, étant donné la taille relativement petite de l'économie canadienne. Or, l'Inflation Reduction Act des États-Unis accentue la concurrence autour de ces investissements.
Ces faits montrent pourquoi il est impératif que le Canada s'adapte aux normes mondiales en matière de divulgation de l'information relative aux changements climatiques, de plans de transition et de taxonomie. D'une part, les investisseurs et les prêteurs à la recherche de possibilités au Canada s'attendront à des règles aussi cohérentes et de qualité que les règles internationales. En l'absence de données complètes et comparables, ils n'investiront pas suffisamment en raison de ce risque plus élevé. D'autre part, les multinationales canadiennes sont de plus en plus exposées à des normes plus strictes en matière de déclaration et de divulgation dans d'autres pays. Dans un rapport publié en 2024, l'Institute for Sustainable Finance constate que plus de 1 300 entreprises basées au Canada seront soumises aux nouvelles normes de l'Union européenne en matière d'information relative à la durabilité.
Quatrièmement, le renforcement de l'architecture financière du Canada, associé à une politique climatique forte, peut améliorer la compétitivité à long terme du pays. Pour l'instant, le Canada tarde à adopter des normes mondiales dans les trois domaines et il devrait accélérer le mouvement. En ce qui concerne la divulgation, le Conseil canadien des normes d'information sur la durabilité est en train d'adopter des normes de divulgation harmonisées à l'échelle mondiale, mais on cherche à l'inciter à les affaiblir. Le Canada tarde aussi à définir une taxonomie de la transition écologique. Le rapport de 2023 du Conseil d'action pour la finance durable intitulé « Rapport sur la feuille de route de la taxonomie » avait l'appui des 25 plus grandes institutions financières du pays. Toutefois, les travaux n'ont pas encore commencé pour établir une taxonomie nationale normalisée.
En somme, le Canada maintiendra et augmentera sa part de marché dans la transition énergétique en fonction de sa capacité à attirer des capitaux. Égaler ou dépasser les normes internationales l'aidera à y parvenir. En fait, le Canada est bien placé pour jouer un rôle de chef de file mondial à ces égards. La feuille de route de la taxonomie du CAFD fournit le premier cadre détaillé pour la qualification des investissements de transition, conçu pour aider le Canada à faire évoluer les moteurs de sa croissance actuels à forte intensité d'émissions. Si l'opération est bien gérée, le Canada pourrait jouer un rôle très important dans la promotion de l'adoption de ce cadre dans d'autres économies à forte intensité d'émissions. Le fait que l'un des bureaux de l'ISSB se trouve à Montréal confère également au Canada un rôle de premier plan et une responsabilité particulière.
En plus d'accélérer ces éléments fondamentaux de l'architecture financière, d'autres politiques clés sont des compléments importants pour améliorer la compétitivité à long terme du Canada. Ainsi, nous devons au système canadien de tarification du carbone pour le secteur industriel la majeure partie des réductions d'émissions dans l'économie canadienne. Ce système protège aussi la compétitivité des différents secteurs et contribue à attirer des investissements à faible intensité de carbone.
Je vous remercie de me donner l'occasion de parler de ces sujets importants et je répondrai avec plaisir à vos questions.
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Oui, elles les servent, mais nous pouvons mieux faire.
C'est une très bonne question pour reformuler ce que j'ai dit plus tôt. Aujourd'hui, dans la plupart des pays, les banques centrales ont pour principal mandat, limité, de veiller à la stabilité des prix. Pendant longtemps, je dirais même que pendant la majeure partie de la période d'après-guerre, c'était un bon mandat, car les mesures prises par les banques centrales pour promouvoir la stabilité des prix n'avaient pas trop de répercussions indésirables sur d'autres objectifs stratégiques.
À présent, avec la crise financière, la crise de la COVID et les nouveaux instruments qu'utilisent les banques centrales, ces mesures ont davantage de répercussions indésirables sur d'autres domaines de politique, comme les inégalités de richesse et le climat. C'est pourquoi nous nous trouvons dans une situation où nous devons repenser l'interaction entre ce que font les banques centrales et ce que font d'autres parties du gouvernement.
Ce que j'ai essayé de montrer tout à l'heure, c'est qu'une activité qui se passe sous la supervision de la Banque du Canada, à savoir les prêts bancaires, freine la transition verte. Je pense que nous devons en prendre conscience et réagir.
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Je vous remercie, monsieur le président.
Je remercie les témoins de leur présence. Nous sommes toujours très reconnaissants des compétences et nous remercions les personnes dont le métier est de faire ces recherches et qui viennent au Comité nous faire profiter de leur sagesse et leurs observations.
Ma première question sera pour le professeur Dietsch.
Professeur Dietsch, il y a quelques mois, le gouvernement a présenté le projet de loi qui contient un amendement contre la publicité mensongère qui impose aux entreprises de fournir des preuves à l'appui de leurs représentations environnementales. Par la suite, la Pathways Alliance, groupe d'entreprises qui exploitent les sables bitumineux, a retiré d'Internet tout le contenu de son site Web et de ses médias sociaux.
Le Bureau de la concurrence qualifie d'écoblanchiment les publicités et les représentations environnementales fausses ou trompeuses et les représentations environnementales qui semblent vagues ou exagérées ou qui ne sont pas accompagnées de déclarations à l'appui. Il est assez clair que nous avons vu ce type de comportement ou de conduite de la part du secteur pétrolier et gazier au Canada, mais à votre avis, est‑ce que des institutions financières canadiennes font également de l'écoblanchiment lorsqu'elles utilisent des termes généraux, comme « finance durable », sans les étayer avec des données ?
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Bonjour. Je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer.
Les changements climatiques, qui sont sans conteste le défi majeur de ce siècle, entraîneront des risques financiers de plus en plus graves si nous n'intensifions pas la lutte contre ces changements. Les risques comprennent non seulement le coût de l'adaptation aux conséquences physiques, comme l'augmentation de l'intensité des feux et des ouragans, mais aussi les risques liés à la transition des entreprises, tandis que les décideurs interviennent pour essayer d'éviter les pires aspects physiques. Les risques de transition comprennent à la fois les risques liés aux politiques et à la réglementation, principalement centrés sur les activités de décarbonation, et les risques liés à la technologie relatifs à l'évolution de la demande et des préférences des consommateurs.
Les risques financiers liés au climat touchent différemment les différents secteurs. Ils sont, cependant, tous liés entre eux. Les mesures politiques visant à réduire les conséquences physiques pour des secteurs tels que l'agriculture encouragent les mesures politiques visant à décarboner d'autres secteurs, comme les transports — par exemple, en imposant de passer à des véhicules électriques. À leur tour, ces mesures réduisent la demande de produits pétroliers en ce qui concerne les carburants de transport par un effet de substitution. Le charbon et le gaz subissent le même sort, car l'électricité est de plus en plus produite à partir d'énergies renouvelables.
Les risques climatiques sont ressentis par les entreprises de tous les secteurs et, par conséquent, par leurs investisseurs. C'est particulièrement vrai pour les investisseurs qui ont des engagements à long terme dans un large échantillon du marché — la propriété universelle —, y compris les régimes de retraite à prestations déterminées. Étant donné que nombre de ces régimes — dont quatre des cinq plus grands fonds canadiens en termes d'actifs gérés — sont soutenus par l'État, le risque climatique est, en fait, supporté par les gouvernements et les contribuables. Les changements climatiques doivent être considérés comme un risque financier systémique pour les marchés, et les responsables politiques qui nient le risque climatique qui, pour eux, relève du wokisme, le font à leurs propres risques et périls.
Du point de vue de l'économie canadienne, l'agriculture est un secteur important, très exposé aux conséquences physiques, tout en étant un important extracteur et exportateur de combustibles fossiles. Comme les banques européennes tournent de plus en plus le dos aux prêts aux combustibles fossiles, ces risques se concentrent dans le système financier canadien. La baisse de la demande d'exportations pétrolières et gazières à long terme aura également une incidence sur notre système.
Les investisseurs doivent tenir compte de l'impact de ces risques financiers liés au climat sur les portefeuilles et utiliser pour ce faire des modèles climatiques et des analyses de scénarios appropriés. Les fonds de pension devraient actualiser les méthodes qu'ils utilisent pour évaluer les risques et tenir les membres informés de leurs méthodes de gestion.
Les pratiques actuelles dans le secteur de l'investissement présentent toutefois des lacunes importantes. Une série d'acteurs clés, des consultants en investissement aux fonds de pension en passant par les banques, s'appuient sur les recherches erronées d'économistes pour établir une correspondance entre le réchauffement climatique et les répercussions futures sur le PIB, afin d'éclairer les décisions d'investissement ainsi que les tests de résistance demandés par les autorités de surveillance. Les travaux de ces économistes sont généralement autoréférentiels et font fi de commentaires essentiels tirés de données scientifiques sur le climat.
Un des modèles d'évaluation, le modèle dynamique intégré climat-économie, ou DICE, conçu par William Nordhaus, repose sur des hypothèses erronées. Premièrement, selon ce modèle, les industries non exposées aux intempéries ne seront pas affectées par le réchauffement climatique, ce qui ne tient pas compte des deux types de risques liés à la transition que j'ai décrits tout à l'heure. Deuxièmement, il part du principe qu'une fonction quadratique est appropriée pour extrapoler les dommages, même si d'autres fonctions, comme une fonction exponentielle, conviennent également à nos données historiques, mais prévoient des conséquences climatiques bien plus importantes.
Ces dommages sont probablement plus importants à une certaine température et ils se produisent plus tôt dans le temps. Ils auront probablement un coût plus élevé en valeur actualisée — autrement dit, les coûts financiers sont moins actualisés —, de sorte que les avantages de l'action climatique sont sous-estimés dans le système financier.
Dans son rapport intitulé « Loading the DICE », Carbon Tracker met en garde en disant que « sur les conseils de consultants en investissement, les fonds de pension ont informé leurs membres qu'un réchauffement climatique de 2 à 4,3 °C n'aura qu'une incidence minimale sur leurs portefeuilles ». Une autre étude portant sur les projections d'économistes laisse entendre qu'un réchauffement de 5 °C réduirait le PIB de 10 % et un réchauffement de 7 °C, de tout juste 20 %, ce qui ne correspond pas du tout aux avertissements des climatologues selon lesquels de telles hausses de température constitueront une « menace existentielle » pour la civilisation humaine.
En fait, les institutions financières, les banques centrales, les organismes de réglementation et les gouvernements ont tous été induits en erreur par ces modèles qui sous-estiment les dommages économiques dangereux que causeront probablement les changements climatiques.
Bien qu'il porte essentiellement sur les pensions britanniques, la presse canadienne s'est intéressée à ce rapport et ses conclusions selon lesquelles un « manque d'information laisse [au fond] les participants au régime dans l'ignorance des risques liés au changement climatique pour les pensions » ont été appliquées à plusieurs fonds de pension canadiens, dont AIMCo, PSP, IMCO.
En outre, l'examen en 2023 par le Groupe de travail sur l'information financière relative aux changements climatiques des rapports de grands fonds de pension a révélé que beaucoup d'autres présentaient des lacunes en matière d'information relative au climat, notamment en ce qui concerne le choix de scénarios par les clients et les risques climatiques qu'ils présentent.
Des interventions réglementaires sont envisageables dans plusieurs domaines. Elles concernent les investisseurs, les consultants en investissement, les économistes et la possibilité d'exiger des entreprises qu'elles publient des plans de transition — comme, par exemple, le groupe de travail britannique sur les plans de transition et les orientations de l'EFRAG dans l'Union européenne.
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Non, ça ira. J'ai eu le temps d'y réfléchir. Vous demandiez si l'écoblanchiment est plus répandu que dans le secteur des combustibles fossiles.
Je dirai deux choses. Premièrement, il y a aussi de l'écoblanchiment dans le secteur financier, mais il y a une explication à cela. Comme Mark Carney, que vous souhaitez inviter, avec raison, selon moi, ne cesse de le répéter, les institutions financières font de bien piètres évaluations du risque climatique. Il se pourrait même qu'elles croient que quelque chose est durable quand ça ne l'est pas.
Deuxièmement, nous devons changer de paradigme par rapport à ce qui se passe. Ne montrer du doigt que les banques commerciales serait faire preuve de peu de clairvoyance. C'est la Banque du Canada qui supervise ce qu'elles font. Elles prêtent aux exploitants de combustibles fossiles. Qui donne son mandat à la Banque du Canada? Le gouvernement. Qui élit le gouvernement? Nous. D'une certaine manière, nous sommes tous concernés. Nous devons comprendre que ce sont des choix politiques que nous faisons. Ce que fait le secteur financier, c'est en quelque sorte accorder une énorme subvention implicite au secteur des combustibles fossiles. Or, ce n'est pas discuté comme tel, alors que c'est ce sur quoi nous devons nous concentrer.
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Je vous remercie. Je suis tout à fait d'accord avec l'idée que nous sommes tous concernés. Les changements climatiques ne font pas de différences entre les pancartes électorales sur les pelouses. Ils nous touchent tous, mais pas de manière égale. Ils touchent certainement plus que d'autres les personnes qui sont déjà plus vulnérables.
Cette question s'adresse à vous trois, et peut-être que M. Dietsch peut répondre en premier. La plupart des gens conviennent que les émissions excessives de carbone sont dans une large mesure responsables des changements climatiques et des conditions météorologiques extrêmes, et ils comprennent que les pays producteurs de pétrole et de gaz comme le Canada doivent réduire leurs émissions. Tous les secteurs d'activité canadiens ont fait des progrès, à l'exception du secteur pétrolier et gazier. On doit l'augmentation des émissions principalement à l'exploitation des sables bitumineux et à la production de bitume en Alberta. Malgré cela, les conservateurs semblent penser que les émissions canadiennes sont en quelque sorte exceptionnelles, plus éthiques ou moins destructrices pour notre environnement.
Est‑ce que c'est compatible avec les données scientifiques? Selon vous, est‑ce que la tarification de la pollution offre un moyen de réduire nos émissions?
Monsieur Dietsch, je commencerai par vous.
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Je vous remercie de la question.
Pour commencer par la fin, oui, la tarification du carbone est fondamentale. Les recherches de l'Institut montrent qu'au Canada, on doit au système de tarification du carbone industriel la majeure partie des réductions d'émissions dans le pays. Cela inclut les réductions d'émissions dans des secteurs industriels tels que le secteur pétrolier et gazier, même si, comme vous le mentionniez, les émissions continuent d'augmenter. La tarification du carbone joue un rôle, certainement, mais il existe également d'autres politiques complémentaires que nous avons examinées, comme une réglementation plus stricte du méthane, le plafonnement des émissions pétrolières et gazières et encore d'autres politiques fondées sur le marché.
Ce qui nous ramène, selon moi, à l'idée d'une taxonomie. Nous avons défini un cadre relatif à la façon dont les investissements pétroliers et gaziers pourraient satisfaire au label de la transition en vertu d'exigences très strictes. Nous avons publié un article à ce sujet l'an dernier. Pour l'essentiel, il faudrait que les entreprises s'engagent à atteindre la carboneutralité, avec des plans de transition clairs et crédibles, et avec, en ce qui concerne les actifs, une courbe d'émissions qui tende vers la carboneutralité. C'est placer la barre haut, mais ce n'est pas impossible. Nous estimons que ce type de politique est nécessaire pour infléchir la courbe.
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J'imagine que vous allez remettre le compteur à zéro, monsieur le président.
Comme je le disais, on accole souvent les mots « croissance » et « propre », et ça m'énerve beaucoup. M. Coffin vient d'en parler. Il faut d'abord aller vers une réduction. La croissance d'une économie décarbonée, ça passe par la priorisation de sources d'énergie qui sont carboneutres et de celles qui s'avèrent le moins dommageables pour l'environnement et la santé humaine.
Quand le système financier, devant une absence de réglementation, ne s'ajuste pas, c'est toute la société qui devient le créancier des dégâts causés par la crise climatique. Pensons aux énormes dégâts qu'il y a eu à Montréal cet été, au mois d'août.
Monsieur Arnold, votre organisation a beaucoup de crédibilité, et je pense que le gouvernement fédéral vous prête une oreille attentive. Allez-vous soutenir sans ambiguïté le projet de loi pour une finance alignée sur le climat? J'imagine que vous connaissez très bien le projet de loi , qui est à l'étude au Sénat. J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet.
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Je vous remercie de la question.
Je suis d'avis que beaucoup d'éléments de ce projet de loi concordent avec nos recherches relatives à la taxonomie et à la divulgation. Je pense que, de manière générale, il reste beaucoup à faire à cet égard.
À propos de ce que vous avez dit plus tôt, nous avons publié il y a deux ans un rapport intitulé Ça passe ou ça casse où nous essayons de séparer les types d'activités et les types de changements qui doivent s'opérer dans l'économie. Nous avons soumis l'économie canadienne à un test de résistance qui reposait sur différents scénarios mondiaux à faibles émissions de carbone. À partir de là, nous avons pu observer différents impacts dans ce que nous appelons les secteurs à demande en baisse, c'est‑à‑dire les combustibles fossiles. Ces secteurs, ces entreprises, doivent se transformer en de nouveaux secteurs d'activité qui tendent vers la carboneutralité.
Il y a un deuxième groupe de secteurs que nous qualifions de secteurs à coût de carbone. Ce sont les secteurs à forte intensité d'émissions qui doivent réduire leurs émissions et qui connaîtront une demande pendant la transition.
:
Je vous arrête là-dessus, monsieur Arnold.
Ce que je comprends de votre réponse à ma question, c'est que vous appuyez le projet de loi . Vous pensez même qu'on pourrait aller plus loin. En effet, ce projet de loi traite aussi de taxonomie.
Monsieur Coffin, c'était de la musique à mes oreilles quand vous avez dit qu'il fallait aller vers une réduction. Nous avons accueilli les PDG des cinq plus grandes banques et ils nous ont expliqué comment celles-ci contribuaient à la lutte contre les changements climatiques. Vous avez abordé la question des fonds de pension, mais il y a aussi les assurances et tous les autres secteurs de la finance.
Pouvez-vous nous dire comment leurs actions influent sur les changements climatiques? C'est ma première question.
Deuxièmement, j'aimerais savoir quel succès pourrait avoir l'établissement d'un cadre réglementaire sérieux et prévisible pour les assurances, les fonds de pension et tous les autres secteurs de la finance.
:
Oh, il y a beaucoup à dire à ce sujet!
Pour moi, il est vraiment nécessaire, à partir de la question de la taxonomie, de réfléchir à des activités qui sont vraiment durables et de transition ou qui relèvent du financement de la transition. Il est très important, à mon sens, que les sociétés pétrolières et gazières ne reçoivent pas, pour finir, de financement de transition parce qu'elles n'ont pas à devenir quoi que ce soit. Il est essentiel qu'elles renoncent à leurs activités actuelles, mais elles n'ont pas à devenir autre chose. Il existe, selon moi, un risque réel que des entreprises obtiennent des financements par l'intermédiaire d'obligations vertes de transition pour prendre des mesures potentiellement vertes, mais cela leur permet en fait de continuer de financer ce qu'elles font.
Il est très important de renforcer la réglementation. C'est particulièrement le cas pour des choses comme le captage et le stockage du carbone, et le gaz naturel et le GNL. S'il y a une réglementation, les systèmes financiers et les fonds de pension sont, d'une certaine manière, dupés par l'industrie qui leur fait croire que le captage et le stockage du carbone représentent une solution et un élément positif pour le climat. C'est un exemple où le secteur de l'investissement et les investisseurs doivent vraiment remettre en question ce que leur dit l'industrie — et ce, de manière critique —, et ils ne doivent pas croire à ces fausses solutions proposées par des industries qui poursuivent leurs activités comme si de rien n'était.
Surtout, des cadres gouvernementaux et une réglementation... et je l'ai constaté dans mon travail sur un certain nombre de...
Mon intervention vise essentiellement à dire que cela ne suffit pas; or c'est sur cela que les politiques du Canada et d'autres pays se concentrent actuellement. Il ne suffit pas d'ouvrir le robinet des investissements de la finance verte, parce que nous avons un système financier qui est malléable et flexible. Quand nous faisons cela, nous obtenons seulement plus d'énergie à moindre coût.
Ce que nous devons faire, c'est fermer résolument le robinet du financement du secteur des combustibles fossiles. Quel que soit le paysage des intérêts — les participations croisées entre les entreprises, par exemple, entre le secteur financier et le secteur pétrolier et gazier —, une réglementation efficace empêcherait, à mon avis, certains de ces investissements de se produire.
Cela me permet peut-être de dire quelque chose que j'allais dire à la fin, c'est‑à‑dire à quoi pourrait ressembler une politique en matière de crédit. Par exemple, on pourrait faire payer les banques qui ont des engagements plus élevés dans le secteur des combustibles fossiles. La banque centrale pourrait lui imposer des taux d'intérêt plus élevés ou on pourrait exiger qu'elles disposent de plus de fonds propres. À la limite, on pourrait même leur dire que si elles rencontrent des problèmes financiers à cause de leurs avoirs dans le secteur des combustibles fossiles, on ne les renflouera pas. Toutes ces mesures auraient pour effet d'inciter ces banques à réduire leurs prêts à ce secteur.
D'une manière générale, tous ces aspects se ramènent à la grande question du manque d'uniformisation de l'information et du fait qu'elle ne peut pas vraiment être utile aux acteurs des marchés financiers qui souhaiteraient tenir compte du coût des risques dans leurs décisions.
Nous ne saisissons pas encore pleinement ou parfaitement en quoi consistent les risques et les coûts physiques des changements climatiques. Par conséquent, leur coût n'est pas pris en compte dans les décisions. Par exemple, on continue de voir des projets résidentiels dans des zones où le risque d'inondation, d'élévation du niveau de la mer ou de feux de forêt est très élevé. L'équipe d'adaptation de l'Institut mène des recherches approfondies dans ce domaine.
Cela vaut aussi pour les risques de transition. Il n'existe pas de définition normalisée de ce qu'on entend par « vert » ou par « transition ». Cette lacune laisse place à diverses interprétations et crée de l'ambiguïté. Ce manque d'informations uniformes et crédibles fait en sorte qu'on n'investit pas suffisamment dans la transition énergétique ou beaucoup trop dans des domaines comme le pétrole et le gaz, où le risque de transition est plus élevé.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie tous les témoins d'être venus participer à notre consultation aujourd'hui. Ils sont les bienvenus dans leur Chambre des communes et leur Parlement canadien.
Les changements climatiques sont réels, nous le savons tous, et il faut s'adapter à leurs effets. Comme l'a dit dans le discours qu'il a prononcé à Québec il y a déjà un an, lors d'un rassemblement de 2 500 militants conservateurs, il faut offrir des incitatifs fiscaux pour réduire les émissions à l'aide des nouvelles technologies. Ensuite, il faut accélérer le processus visant à donner le feu vert aux énergies vertes. Nous avons, au Canada, tous les avantages en matière de ressources naturelles et d'énergie, et nous devons développer ce potentiel pleinement. Le Canada sera très bien servi par lui-même, d'abord et avant tout. Il faut également travailler main dans la main avec les Premières Nations pour développer tout ce potentiel, si cela doit se faire sur les terres ancestrales d'une Première Nation. Ces quatre éléments ont toujours été répétés par notre parti, et ils ont été bien définis par notre chef, M. Poilievre, il y a un an.
Monsieur Arnold, tout à l'heure, vous vous êtes dit très heureux de voir les secteurs de l'énergie solaire et de l'énergie éolienne se développer. Selon vous, si on fait beaucoup d'efforts pour accélérer le processus vert, qu'il s'agisse de l'énergie solaire, de l'énergie éolienne, de l'énergie hydroélectrique, de l'énergie géothermique ou même de l'énergie nucléaire, est-ce que le Canada en ressortira gagnant?
Comme nous l'avons dit et nous le répétons, il faut accélérer le processus pour ce qui est de donner le feu vert aux énergies vertes.
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C'est un point important.
Les banques centrales envisagent le climat sous deux angles. À quel point le climat a‑t‑il un impact sur la finance, et à quel point la finance a‑t‑elle un impact sur le climat?
Les banques centrales du monde entier ont fait beaucoup de progrès dans leur manière d'envisager l'impact du climat sur la finance. Elles encouragent les banques commerciales à évaluer leur exposition aux risques. Si des considérations climatiques compromettent la stabilité des prix ou la stabilité financière, les banques centrales sont interpellées.
Autrement, elles sont moins intéressées. Comme je l'ai expliqué tout à l'heure, quand le secteur financier agit d'une façon qui interfère avec les mesures d'atténuation des changements climatiques, l'attitude des banques centrales à l'égard de cet élément de l'équation est moins proactive. C'est selon moi un élément important de l'équation.
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Bonjour, mesdames et messieurs. Merci.
En tant que fier Québécois et Canadien, c'est un honneur pour moi de m'adresser au Comité. Je vous suis très reconnaissant de me donner la possibilité de livrer mon témoignage.
Permettez-moi tout d'abord de vous dire quelques mots à mon sujet. J'ai un diplôme en finances et en économie de l'Université McGill. Je suis un analyste financier agréé et je possède 18 années d'expérience comme stratège macro mondiale. À ce titre, j'ai travaillé pour d'importants fonds de placement et gestionnaires d'actifs en milieu institutionnel à Londres, au Royaume-Uni. Depuis mon retour au Canada, je suis gestionnaire de portefeuille et j'aide des familles à préserver et à accroître leur richesse.
Je coanime le Loonie Hour, le balado le plus populaire au Canada dans les domaines de l'économie et des marchés financiers. Notre objectif est de démystifier les marchés financiers pour les Canadiens. J'adore mon travail et j'ai vraiment à cœur d'offrir des analyses impartiales des phénomènes macroéconomiques. Je suis réputé pour livrer des analyses pertinentes et essentielles sans crainte et sans complaisance.
En tant que stratège macro mondiale, j'ai mené des recherches sur la productivité, le logement, les politiques monétaires, l'énergie et tellement d'autres sujets que j'en oublie. J'ai aussi travaillé pour une grande institution financière où j'ai été exposé à des initiatives de finance verte, d'investissement intégrant les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance et d'autres formes d'investissement durable, ainsi qu'à l'émergence d'une armada d'entreprises qui veulent exploiter le filon des préoccupations environnementales de la société.
J'ai pris connaissance de certains témoignages pour me préparer à comparaître devant vous aujourd'hui, et je dois souligner que plusieurs intervenants travaillent pour des sociétés qui vont tirer des avantages financiers directs de la réglementation qui va probablement émerger de l'étude en cours. Ces loyaux employés n'ont pas le choix de déclarer devant votre comité que la finance verte, l'investissement durable et la réglementation proposée seront bénéfiques pour le Canada et l'environnement en général. N'empêche, les revenus de ces sociétés ne dépendent pas de la réduction des émissions mondiales ou de la mise en œuvre des engagements du Canada au titre de l'Accord de Paris, mais plutôt des heures facturables ou des frais supplémentaires qu'elles peuvent exiger pour aider leurs clients à s'y retrouver dans le dédale réglementaire qui résultera certainement de cet exercice.
Je soulève ce point afin de mettre en lumière l'obligation fiduciaire, un pilier essentiel du secteur de l'investissement. L'obligation fiduciaire exige d'agir dans l'intérêt des clients ou des employeurs. En termes simples, il s'agit de savoir pour qui on travaille exactement. Ainsi, les gestionnaires de fonds d'investissement ont le devoir solennel d'optimiser la rentabilité financière pour les investisseurs et les retraités. Ils ne peuvent pas tirer profit de leur extraordinaire position de pouvoir pour donner la préséance à un objectif social ou environnemental particulier, aussi noble soit‑il. Recourir à la réglementation pour forcer les institutions financières à subordonner les intérêts de leurs clients à des objectifs politiques serait clairement contraire à l'éthique. On pourrait en dire autant d'un directeur de banque qui usurperait le pouvoir considérable de l'institution en matière financière à des fins politiques au lieu de jouer son rôle de gardien objectif pour le compte de ses actionnaires.
De toute façon, rien ne garantit que cela fonctionnerait. En plus d'une entorse à l'éthique, il en résulterait une perte nette de rendement pour les clients et les profits des actionnaires. Les exemples ne manquent pas. La chose qui est sûre, c'est que les conseillers vont faire fortune.
En fait, c'est une législation qui use de moyens détournés. Parce que ce genre de processus de divulgation est onéreux et parce que les répercussions seraient néfastes pour un pays aux prises avec une crise de la productivité — je cite la Banque du Canada —, cette mesure est clairement déraisonnable.
Un autre angle à considérer à mon avis est celui de la loi des conséquences imprévues. Selon moi, la politique d'énergie verte, dans sa version actuelle, est ce qui est arrivé de mieux aux sociétés du secteur des combustibles fossiles depuis le premier vol transatlantique. Je vais le répéter: la politique d'énergie verte a été offerte en cadeau à l'industrie et vous tentez maintenant de la neutraliser.
Les humains consomment 101 millions de barils de pétrole par jour. Cette consommation est en hausse, pas en baisse. Même dans un monde où l'adoption des véhicules électriques explose, la consommation dépassera largement les 100 millions de barils pendant au moins une ou deux générations. Là où le bât blesse, c'est que la politique d'énergie verte adoptée récemment vise à priver les sociétés de capitaux afin de freiner ou de réduire l'offre de pétrole alors que cela n'a aucun effet sur la demande. Comme il fallait s'y attendre, le cours plancher du pétrole a augmenté, et les sociétés pétrolières normalement portées sur la dépense hésitent maintenant à investir du capital pour renouveler les réserves.
Les liquidités atteignent quant à elles des niveaux record en raison de la hausse de la demande et des prix élevés. Ces facteurs ont fait augmenter les liquidités et, parallèlement, les investissements ont reculé. Les rendements en liquidités disponibles ont explosé. Des profits record sont réalisés, des liquidités sont restituées aux actionnaires sous la forme de dividendes ou de rachats d'actions, et ces sociétés réduisent leurs dettes. La politique d'énergie verte a inculqué aux dirigeants des sociétés pétrolières une discipline financière que les actionnaires leur réclament depuis 40 ans. L'industrie est plus prospère que jamais.
De toute évidence…
Je m'appelle Julie Segal. Je vous remercie de m'avoir invitée à témoigner.
Je dirige un programme de financement de la lutte contre le changement climatique au sein de l'organisme Environmental Defence. Je gérais un portefeuille d'investissements avant de m'occuper des politiques. Actuellement, je siège au comité consultatif sur la feuille de route en finance durable du gouvernement québécois.
L'étude sur les impacts climatiques et environnementaux des institutions financières canadiennes est importante. Le Canada a besoin de politiques sur l'harmonisation de son système financier avec les mesures de lutte au changement climatique, et c'est ce que les Canadiens souhaitent. C'est un plaisir pour moi de vous parler en détail de certaines solutions.
À l'échelle mondiale, on continue de percevoir le Canada comme un pays où la finance durable est peu réglementée. L'absence de politiques financières alignées sur le climat est néfaste pour notre environnement et pour la population de notre pays. Ce vide nuit également à notre compétitivité au chapitre des affaires et des investissements. Puisque je m'adresse au comité de l'environnement, je vais me concentrer sur les impacts environnementaux.
Dans un premier temps, il convient de rappeler que les institutions financières canadiennes figurent aux premiers rangs pour ce qui est de l'importance des capitaux fournis aux secteurs du pétrole, du gaz et du charbon. Il est bien connu que le pétrole, le gaz et le charbon aggravent les changements climatiques puisque les combustibles fossiles sont les principaux responsables de ces changements et de bien d'autres dommages environnementaux comme la pollution de l'eau.
Les placements que nos banques et nos gestionnaires de régimes de pension font aujourd'hui jouent un rôle déterminant dans ces impacts très réels. Leurs ambitions en matière climatique sont trop modestes dans un contexte où il y a urgence d'agir pour freiner le réchauffement de la planète, et ils ne font pas suffisamment d'investissements durables. Au Canada, presque toutes les institutions financières se sont engagées à réduire leurs émissions nocives pour le climat, mais elles sont une poignée seulement à avoir établi un plan ou à avoir commencé à agir. Les données montrent que les objectifs et les plans des institutions financières s'améliorent quand une réglementation les oblige à les réaliser.
Partout au Canada, les gens le comprennent. Je tiens à souligner ce point d'une grande importance. Un sondage récent révèle qu'à l'échelle du pays, les gens ne font pas confiance à leur institution financière pour ce qui concerne la prise de mesures concrètes en matière climatique en l'absence de réglementation. Plus de 90 % des gens ne font pas confiance à leur institution financière pour ce qui est des mesures volontaires. La majorité des personnes sondées souhaitent que des règles obligent le système financier à investir de manière plus durable. Quand on les interroge directement sur la lutte à l'écoblanchiment, à peu près 80 % des gens indiquent que le gouvernement devrait instaurer des règles relatives à la durabilité pour le secteur financier.
Il existe des politiques que le Canada pourrait d'ores et déjà faire appliquer. Le projet de loi sur la finance alignée sur le climat déposé par la sénatrice Rosa Galvez est à l'étude au Sénat. J'ai eu le bonheur d'agir à titre de conseillère pour ce projet de loi. Il énonce une série de politiques visant à aligner notre système financier sur les engagements du Canada à limiter le réchauffement climatique mondial à 1,5 degré Celsius.
De façon plus générale, il est primordial d'obliger les institutions financières à établir ce qu'on appelle un plan de transition pour le climat. Presque tous les participants y ont fait allusion aujourd'hui. Nous aurons ainsi l'assurance que les banques, les régimes de pension, les assureurs et les grandes sociétés se dotent d'un plan détaillé de lutte aux changements climatiques, qui comprendra notamment des mesures à court terme.
La modernisation des mandats des organismes de réglementation financière s'avère tout aussi importante pour assurer la responsabilisation. Il faut également qu'il soit très clair que l'atténuation des dommages doit faire partie des objectifs des dirigeants des institutions financières. La population est d'accord avec ces politiques. Plus de 120 groupes ont expressément appuyé le projet de loi sur la finance alignée sur le climat. Des élus de quatre partis politiques, y compris des membres de ce comité, ont appuyé une motion visant à aligner notre système financier sur les mesures axées sur la sécurité climatique.
Les gens sont conscients du coût élevé des changements climatiques. Comme clients des banques et bénéficiaires des régimes de pension, ils comprennent que les institutions financières devraient agir dans leur intérêt. Actuellement, le secteur financier est sous-réglementé pour ce qui a trait aux impacts climatiques et environnementaux.
Les Canadiens attendent les résultats des politiques financières axées sur le climat. C'est la pièce manquante dans les politiques climatiques du Canada.
Dans votre rapport, je vous encourage fortement à exhorter le gouvernement fédéral à tirer profit en premier lieu de tous les outils dont il dispose pour aligner le système financier canadien sur l'Accord de Paris. Les Canadiens veulent des politiques obligatoires axées sur la durabilité et la résilience de la finance face aux changements climatiques.
Merci beaucoup de m'avoir invitée à témoigner aujourd'hui. Je serai heureuse de répondre à vos questions.
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Je voudrais tout d'abord vous dire un grand merci de m'accorder votre temps. C'est un honneur pour moi de m'adresser à vous aujourd'hui.
Je m'appelle Gareth Gransaull. Je suis chercheur à l'Institute for Integrated Energy Systems de l'Université de Victoria. Je suis également ici à titre de co‑directeur exécutif de re•generation, une coalition non partisane formée d'étudiants en commerce et en économie de 23 campus à l'échelle du pays.
Tout d'abord, je vous rappelle que dans le monde, les personnes les plus préoccupées par les changements climatiques ne sont pas les environnementalistes. Ce sont les experts militaires. Le Pentagone a décrété que les changements climatiques représentent une menace existentielle et il se prépare à un monde où les risques à la sécurité nationale seront exacerbés par les conflits, les déplacements de population et les catastrophes naturelles. Or, si on examine les tests de résistance au stress climatique des principales institutions financières du Canada, quelque chose d'assez étrange saute aux yeux dans les petits caractères. Dans beaucoup de cas, les changements climatiques ne sont pas considérés comme posant un risque majeur pour la valeur de leurs actifs.
Comment est‑ce possible? L'économiste Joseph Stiglitz, lauréat d'un prix Nobel, et Nicholas Stern ont dénoncé publiquement les graves défauts des modèles traditionnels que nous utilisons pour quantifier les risques climatiques et auxquels se fient les banques centrales et les superviseurs prudentiels pour élaborer les lignes directrices qu'ils donnent aux institutions financières. En conséquence, les données sur lesquelles s'appuient les soi-disant experts en matière de risques sont souvent faussées.
Je vais donner un exemple. Nous savons que la planète se réchauffe plus rapidement que prévu et que le nombre de journées de chaleur extrême va donc augmenter. Au‑delà de 35 degrés Celsius, le processus de photosynthèse commence à ralentir, et les scientifiques prédisent que d'ici à 2030, la fréquence des mauvaises récoltes pourrait augmenter de 450 % dans les grandes régions productrices de céréales dans le monde. Le modèle le plus connu parmi ceux qui sont censés rendre compte des impacts des changements climatiques sur l'économie est le modèle dynamique intégré climat-économie, ou DICE, et comme l'a mentionné M. Coffin, il tient littéralement pour acquis que l'échec systémique de la production alimentaire mondiale n'aurait pas une si grande importance puisque l'agriculture représente seulement 3 % du produit intérieur brut. Je vous invite à réfléchir à cela un moment.
Autrement dit, il y a un écart entre perception et réalité. Dans le monde réel, les catastrophes naturelles ont forcé le déplacement de 26 millions de personnes l'année dernière seulement. Dans la réalité parallèle où se réfugient les banques et les organismes de réglementation, une hausse de trois ou quatre degrés des températures n'est pas perçue comme une menace pour la valeur des actifs. C'est ce qu'on enseigne actuellement aux candidats à l'agrément du CFA Institute. À l'inverse, dans un rapport récent, l'Institute and Faculty of Actuaries du Royaume-Uni prévoit un recul possible du produit intérieur brut mondial pouvant aller jusqu'à 50 % d'ici à 2070.
Le monde est en bonne voie d'atteindre un réchauffement de 3 degrés Celsius. Une hausse de 1 degré Celsius a déclenché un incendie qui a détruit la ville de Jasper, en Alberta, en une nuit. Comme le système climatique ne se comporte pas de manière linéaire, une hausse de 3 degrés Celsius n'est pas trois fois plus dommageable qu'une hausse de 1 degré Celsius. L'aggravation des dommages est exponentielle.
À l'échelle mondiale, neuf points de bascule pourraient être déclenchés en chaîne et simultanément. L'Institute for Economics & Peace prévoit qu'au rythme actuel, le nombre de réfugiés climatiques pourrait atteindre 1,2 milliard d'ici à 2050. C'est pourquoi le seuil de température de 1,5 degré Celsius est si important. La bonne nouvelle est que l'Agence internationale de l'énergie a établi une trajectoire vers la carboneutralité qui vise à préserver un climat vivable sans avoir à dépendre de manière irréaliste de la combustion inverse. Ces prévisions viennent des meilleurs économistes en énergie dans le monde, qui sont toutefois très clairs quant à ce que cela suppose: il ne doit y avoir aucun nouveau projet lié aux combustibles fossiles après 2021.
Aucune des cinq grandes banques canadiennes ne s'est alignée sur cette trajectoire fondée sur les connaissances scientifiques. Elles ont injecté plus de 1 000 milliards de dollars dans le secteur des combustibles fossiles depuis la signature de l'Accord de Paris, y compris 26 milliards de dollars pour l'expansion de projets de combustibles fossiles en 2022 seulement. Les changements climatiques posent un risque systémique pour le système financier, mais il nourrit lui-même ce risque en financement l'expansion de ces projets. C'est un cercle vicieux dont on ne pourra jamais sortir sans politiques ambitieuses. Actuellement, le Canada laisse les institutions financières faire à leur guise. Elles sont libres de divulguer ou non les risques et elles n'ont aucune obligation de les atténuer.
Pour remédier à cela, il faut les obliger à établir un plan de transition aligné sur l'objectif de 1,5 degré Celsius et sur les pratiques exemplaires à l'échelle mondiale, ce qui inclut les lignes directrices des Nations unies concernant les engagements en matière de carboneutralité. Une des pistes de solution consiste à adopter le projet de loi sur la finance alignée sur le climat présenté par la sénatrice Galvez. Cette mesure contribuerait grandement à améliorer la gouvernance d'entreprise en la matière. Nous devons aussi éviter à tout prix qu'un nouveau projet de combustible fossile reçoive le label vert au titre d'un système volontaire ou réglementaire. Il faut aussi exclure le gaz naturel de la taxonomie de la transition du Canada.
Merci énormément de m'avoir consacré du temps. Je serai heureux de répondre aux questions.
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J'ai travaillé pour de grandes institutions financières et je pense qu'il est important de comprendre comment, pourquoi et quand ces gens font de l'argent. Je peux vous affirmer qu'ils ne sont jamais payés pour remplir des objectifs mondiaux ou nationaux en matière d'énergie verte.
Je ne sais pas si j'ai le droit de divulguer le nom de fonds négociés en bourse qui prétendent avoir comme objectif d'appuyer des mesures en matière climatique et ce genre de choses. Peu importe. Je peux vous garantir qu'ils existent pour exploiter les bonnes intentions des gens ou leur noble conception selon laquelle les émissions devraient être plus faibles, ou que sais‑je.
On pourrait en dire autant des conseillers que vous avez entendus. Si demain quelqu'un invente une machine qui permettrait d'éliminer instantanément les changements climatiques, ces conseillers se retrouveraient tous au chômage. Je ne crois pas qu'ils seraient très enclins à proposer cette solution à ce très grave problème.
Il ne faut jamais perdre de vue leurs motivations, et il faut aussi continuer de considérer l'obligation fiduciaire comme un totem sacré. D'abord et avant tout, ces investisseurs doivent agir dans l'intérêt financier des clients, et il faut soutenir l'adoption de lois. Si le but est d'interdire le pétrole et le gaz, il faut soumettre la question au Parlement afin qu'il y ait un vote. À mon avis, on essaie plutôt d'y parvenir de façon détournée en ignorant les obligations fiduciaires des investisseurs à l'égard de leurs clients.
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Volontiers. Soyons honnêtes. Pour certaines entreprises qui sont censées être des chefs de file sur ces questions de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance, c'est un exercice de pure forme, rien de plus. C'est très important parce que l'avènement des fonds négociés en bourse a ni plus ni moins éliminé les frais de courtage que ces grands gestionnaires d'actifs pouvaient facturer.
Auparavant, des choses comme le financement de la recherche ou les commissions en nature permettaient de facturer des frais de centaines de points de base aux clients pour les actifs gérés. Les fonds négociés en bourse ont essentiellement permis aux particuliers d'acheter des actions de l'indice S&P 500 à un coût insignifiant. Cela a anéanti cette partie du secteur.
Si les entreprises financières ont adhéré avec autant d'empressement au concept d'investissement durable, aux politiques d'énergie verte et à l'intégration de facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance, c'est parce qu'elles peuvent se plaindre des coûts de l'exercice de diligence impliqué. Comme de raison, cette dépense ajoute de la valeur. C'est le travail de l'expert en finance de s'assurer qu'une entreprise atteint vraiment les objectifs climatiques.
Cette soi-disant valeur ajoutée permet d'imposer des frais très élevés et, ce faisant, d'augmenter les marges. C'est simple: plutôt que de facturer des frais de 5 points de base pour un fonds négocié en bourse du S&P 500, il est maintenant possible de facturer des frais de 60 points de base pour un produit qui offre pratiquement les mêmes caractéristiques, sans obligation de divulgation, ou presque.
C'est sans parler de la question de savoir si ces entreprises remplissent les objectifs qu'elles se sont donnés. Par exemple, un fonds négocié en bourse axé sur le climat et le végétalisme facture 60 points de base pour le ratio de frais de gestion qui se limitent essentiellement au suivi de l'indice S&P 500, un service qui coûte normalement 5 points de base. L'entreprise est contente. Les organismes de réglementation sont contents. Les conseillers sont contents. Les seules personnes qui perdent au change sont celles qui prennent vraiment au sérieux leur végétalisme ou qui se soucient vraiment de la situation climatique.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie nos témoins.
Dans la foulée des échanges de ce matin, j'ai des questions sur les changements que nous pourrions recommander à la Banque du Canada ou les modifications à apporter à la Loi sur la Banque du Canada.
Je vais commencer avec M. Segal.
C'est intéressant de constater que le projet de loi présenté par la sénatrice Galvez est maintenant devant le Sénat. Il a été adopté en deuxième lecture il y a plus d'une année. Ce projet de loi énonce des mesures liées notamment aux exigences en matière de rapports, aux objectifs concernant les engagements climatiques, l'ajout d'exigences concernant la suffisance du capital pour les banques, la nomination de personnes ayant une expertise en matière de climat au sein des conseils d’administration des entités déclarantes et l’établissement d’une obligation prioritaire, pour les administrateurs et les dirigeants des entités déclarantes, d’aligner les entités sur les engagements climatiques. Nous sommes loin du statu quo.
À votre avis, comment pouvons-nous inclure la taxonomie des changements climatiques dans le mandat de la Banque du Canada afin de promouvoir la prospérité économique et financière du Canada, considérant que les changements climatiques posent un risque réel pour cette prospérité?
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Merci, monsieur Longfield.
Je dirai d'emblée que j'aime bien la version définitive de la taxonomie de la Banque du Canada. Je pense qu'il est très important d'avoir une vision plus large. La taxonomie est un élément de politique qui a fait l'objet de nombreuses discussions, et la Banque du Canada est l'un des organes de réglementation de la finance. Je pense qu'en examinant tous les éléments inclus dans la Loi sur la finance alignée sur le climat, et vous en avez mentionné plusieurs, y compris les plans de transition et la mise à jour des mandats des organes de réglementation afin qu'ils puissent rendre des comptes et évaluer les risques liés aux changements climatiques, c'est cet ensemble beaucoup plus vaste de politiques visant à réaliser des progrès cohérents en matière de finance alignée sur le climat que j'encouragerais le Comité à prendre en considération.
Les organes de réglementation canadiens, y compris le principal organe fédéral de réglementation de la finance, le BSIF, et la Banque du Canada ont étudié les risques considérables d'une transition climatique trop lente. Ils ont souligné que les institutions financières risquent de voir disparaître des milliards de dollars, qui seront essentiellement perdus si elles tardent à prendre en compte le changement climatique et si le contexte politique évolue trop lentement en matière de changement climatique.
En mettant en oeuvre des politiques financières liées au climat, comme les plans de transition, comme tous les éléments mentionnés et les autres prévus dans la Loi sur la finance alignée sur le climat, il est très important de créer des chaînes de responsabilité. Pour garantir l'efficacité des politiques et de la réglementation, il faut les contrôler, comme n'importe quelle politique. Voilà pourquoi la modernisation des mandats des organes de réglementation de la finance est un élément si important.
Je soulignerai que d'autres ressorts ont pris des mesures à cet égard en en faisant un élément central non seulement de leur stratégie climatique, mais de leur stratégie financière. Dans le cadre de son accord vert, l'Union européenne a instauré un ensemble de politiques financières liées au climat, y compris en précisant les rôles des organes de réglementation pour superviser les nouvelles politiques liées au climat qu'ils mettent en oeuvre.
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Merci, monsieur le président.
Monsieur Gransaull, votre organisation se définit comme un OBNL dirigé par de jeunes Canadiens. Vous visez à contribuer au développement du leadership de la prochaine génération. Je pense que c'est une belle mission et je l'applaudis. Plus particulièrement, vous formez ces personnes afin qu'elles puissent concevoir l'économie de manière à mieux servir le bien-être humain et écologique.
En juin dernier, nous avons reçu des PDG de grandes banques et de pétrolières. À cette occasion, M. Kruger, du secteur pétrolier, nous a dit que l'idée selon laquelle « la prospérité de l'industrie pétrolière et gazière s'acquiert au détriment de la planète » était un mythe. Selon lui, « c'est faux ».
J'aimerais rappeler un des problèmes dont il a été question, et cela rejoint en quelque sorte une question posée par mon collègue M. Longfield. Quand il n'y a pas d'expertise scientifique au sein des conseils d'administration, par exemple ceux des organismes financiers, on manque de données quand vient le temps de trouver des solutions adaptées pour les investissements soutenant la transition. Vous avez d'ailleurs donné tantôt quelques exemples de désinformation ou de mésinformation.
Compte tenu de la mission que votre organisme poursuit, que pensez-vous de la déclaration de M. Kruger, PDG de la compagnie Suncor?
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Merci beaucoup, madame Pauzé pour cette question.
Je pense que l'affirmation de Rich Kruger est intentionnellement trompeuse. Dans la mesure où les compagnies pétrolières et gazières ne respectent pas les recommandations de l'Agence internationale de l'énergie sur les cibles scientifiques de 1,5 °C selon lesquelles aucune exploitation de combustibles fossiles ne doit être sanctionnée après 2021, il est évident qu'elles recherchent le profit à court terme au détriment de la santé de l'environnement.
Il est intéressant de constater que les dirigeants des compagnies pétrolières et gazières sont parfaitement conscients de ce type de compromis. Dans les années 1990, dans des documents qui ont maintenant été rendus publics, la Compagnie Pétrolière Impériale avait modélisé les effets d'un prix national du carbone sur l'ensemble de l'économie. L'information est disponible dans les articles de Geoff Dembicki réunis dans son récent livre intitulé, The Petroleum Papers.
Les résultats de la modélisation effectuée par la Compagnie Pétrolière Impériale montraient que si un prix national du carbone augmentait le PIB national global à long terme en stimulant la création de nouveaux secteurs, il réduirait en fait directement les bénéfices de la Compagnie Pétrolière Impériale pour les secteurs d'activité dans lesquels elle était présente. L'entreprise a alors décidé de passer les décennies suivantes à faire pression contre une politique climatique solide, ce qui explique la situation actuelle, en plus du comportement de nombreuses autres entreprises à cet égard.
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Merci beaucoup de la question, madame Pauzé. Je vais vous répondre en anglais.
[Traduction]
L'Union européenne a une perspective qui prend en compte à la fois les risques et les impacts du secteur financier en matière de changement climatique et de durabilité. Au Canada, nous n'avons pas encore une prémisse de divulgation pour même simplement transmettre l'information au marché, sans parler des considérations relatives à la façon dont les investissements influent sur l'environnement et le changement climatique.
Pour réagir aux points qui ont été soulevés dans la discussion aujourd'hui, je soulignerai qu'en fait, les divulgations n'ont pas forcément d'incidence sur les flux de trésorerie d'une manière ou d'une autre. Elles fournissent des renseignements. En fait, elles sont tout à fait inoffensives.
Ce que l'Union européenne fait de plus, et ce que je recommande d'envisager au Canada, c'est d'établir des politiques qui prennent en compte les actions et les impacts des flux de trésorerie en mettant en œuvre ce que vous avez décrit, madame Pauzé, comme un concept de double importance des flux de trésorerie. La finance a un impact réel sur l'aggravation des changements climatiques ou sur la résilience à ceux‑ci.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins pour leur témoignage.
Je commencerai par M. Gransaull.
En réponse à une remarque de M. Dias, vous avez souligné dans vos commentaires l'importance de ne pas intégrer le GNL dans la taxonomie. M. Dias a dit que c'était surprenant, étant donné que les États‑Unis utilisent le GNL pour réduire leurs émissions.
En janvier dernier, les États‑Unis ont annoncé une pause dans les licences d'exportation de GNL, car leur analyse est dépassée et ne tient pas compte des émissions de gaz à effet de serre. Pouvez-vous nous expliquer brièvement pourquoi il est si important de ne pas inclure les combustibles fossiles — et en particulier le GNL — dans la taxonomie et surtout pourquoi nous ne voulons pas qualifier des combustibles fossiles de durables?
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Merci, madame Collins, pour cette question.
Tout d'abord, il y a une multitude de raisons pour lesquelles c'est nécessaire, dans la mesure où... Essentiellement, pour bien des raisons, le gaz naturel produit des émissions fugitives de méthane qui ne sont pas mesurées, de sorte qu'un grand nombre des affirmations qui ont été faites, — selon lesquelles le gaz naturel est la raison pour laquelle différents ressorts ont en fait constaté une baisse considérable des émissions — ne tiennent souvent pas compte du rôle de cet autre gaz à effet de serre, qui est en fait, à court terme, 81 fois plus puissant que le dioxyde de carbone. C'est un point très important.
Il y a également un autre point qu'il est très important de soulever. À l'heure actuelle, en raison de la trajectoire à long terme de la baisse des prix des énergies renouvelables d'une manière totalement imprévue par les économistes — en raison des courbes d'apprentissage rapides et de l'adoption de la technologie — nous savons maintenant que l'énergie renouvelable est moins chère que le gaz naturel dans bien des endroits, ce qui mine la thèse de l'investissement à long terme dans le nouveau GNL d'une manière qui signifie en fin de compte que, la plupart du temps, les exportations de nouveau GNL déplaceront en fait la demande de nouvelles énergies renouvelables, surtout en Asie.
L'autre point concernant la courbe des coûts qu'il est nécessaire de connaître est que cela entraîne également un risque d'actifs délaissés pour le nouveau GNL en tant que catégorie d'actifs d'une manière qui est susceptible d'avoir d'importantes répercussions financières.
Je voudrais souligner, comme mon collègue de Carbon Tracker l'a si bien dit, qu'il est essentiel d'abandonner les combustibles fossiles pour maintenir le réchauffement à des niveaux plus sûrs. La décarbonation des processus crée en fait un coût d'opportunité. Comme je l'ai dit, j'ai travaillé dans la finance et ce concept de coût d'opportunité est fondamental, tout comme le coût irrécupérable d'investir à fonds perdus, ce que nous devons éviter de faire avec cette taxonomie.
J'insisterai à nouveau sur la perspective mondiale et l'accord sur la transition vers l'abandon des combustibles fossiles. La Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, qui regroupe environ 200 pays, a convenu que nous devions abandonner les combustibles fossiles et augmenter le recours aux énergies renouvelables et à l'efficacité énergétique. Il y a deux jours à peine, le Sommet de l'avenir des Nations unies a réitéré ces points concernant la transition vers l'abandon des combustibles fossiles, l'intensification du recours aux énergies renouvelables et l'amélioration de l'efficacité énergétique.
Cette trajectoire est très claire à l'échelle mondiale et le Canada ferait preuve d'une grande négligence s'il s'engageait dans une autre voie. Voilà pour ce qui est du climat. Du point de vue de l'investissement, la crédibilité d'une taxonomie serait incroyablement entravée, au bas mot, si elle devait inclure les combustibles fossiles. Pour des raisons commerciales et environnementales, étiqueter artificiellement les combustibles fossiles — pétrole, gaz ou charbon — comme durables n'a pas de sens.
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Merci, monsieur le président.
Madame Segal, nous avons beaucoup entendu parler de ce genre de scénario catastrophe de la part d'économistes canadiens, qui prétendent que la production des sables bitumineux et les contributions à l'économie sont tellement vitales pour l'identité et l'économie canadiennes, alors que nous savons que les sables bitumineux sont pratiquement le seul secteur qui continue d'augmenter ses émissions. Ils représentent une part importante, mais inférieure à 2 %, de notre PIB annuel.
Je ne veux pas minimiser l'importance du secteur de l'énergie au Canada. Il a certainement été le moteur de notre économie pendant de nombreuses années.
Pensez-vous que sans la production de sables bitumineux au Canada, notre économie stagnerait et cesserait de croître, ou que nous serions confrontés à une énorme récession, comme d'autres témoins l'ont laissé entendre?
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Merci pour cette question.
Je n'ai pas d'opinion sur la question, mais d'après ce que j'ai compris de la recherche, les sables bitumineux apportent une contribution de plus en plus faible à l'économie canadienne. Le secteur du pétrole et du gaz supprime volontairement des emplois depuis de nombreuses années, en fait, avant même que la politique climatique ne soit réellement mise en œuvre à l'échelle fédérale ou provinciale.
Il s'est débarrassé de travailleurs et de collectivités qui ont consacré leur vie à l'industrie dans le but de regrouper ses activités. En fait, il a apporté une contribution de plus en plus faible au bénéfice réel de l'économie et de la main-d'œuvre du Canada, etc.
Les émissions du secteur pétrolier et gazier sont manifestement très nocives. Les impacts environnementaux du secteur pétrolier et gazier sont évidemment très nocifs, si l'on considère les fuites d'eaux usées toxiques des grandes sociétés pétrolières et gazières, qui ont été révélées au début de l'année.
J'insiste sur tous ces points et je réitère ce que j'ai dit à propos de la notion fallacieuse des coûts irrécupérables. Oui, cela fait partie de l'économie du Canada depuis de nombreuses années, mais en réalité, tous nos concurrents, dont beaucoup ont été cités par d'autres témoins, y compris les économies asiatiques progressent beaucoup plus rapidement vers la transition climatique. La Chine est le pays qui aménage le plus rapidement des installations d'énergie solaire renouvelable. C'est elle qui innove le plus rapidement dans le domaine des technologies vertes, à tel point que le Canada prend déjà du retard.
Je recommande vivement des politiques qui garantissent que nous créons des possibilités d'emploi et des débouchés dans l'économie verte contemporaine évidente plutôt que dans l'économie anachronique qui ne nous sert plus.
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Ai‑je bien compris que cette question s'adressait à moi, madame Pauzé?
Les gens ne saisissent pas très bien que le système financier est délibérément opaque et souvent présenté comme beaucoup plus complexe qu'il ne l'est.
En fait, la politique financière est une occasion pour le gouvernement d'assumer la responsabilité d'un secteur important qui a un impact sur le monde dans lequel nous vivons et sur les effets du changement climatique. En ne réglementant pas le secteur financier, il passe à côté d'un élément très important de la politique climatique canadienne, qui doit être cohérent avec les autres éléments.
Je tiens aussi à souligner à nouveau le coût très important de l'inaction dans ce domaine. C'est pertinent pour les habitants de tout le pays. C'est pertinent pour les entreprises et les investisseurs. Si nous pensons à la sécheresse dans les Prairies en 2021, elle a coûté et nui aux agriculteurs qui y vivent. La rivière atmosphérique de Colombie‑Britannique a causé une dévastation importante et des dommages à la chaîne d'approvisionnement dans tout le pays.
Cela montre vraiment la nécessité d'une politique économique.
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Je dirais que les réponses sont nombreuses.
La première est qu'il est faux que tout ce que nous demandons viole l'obligation fiduciaire. De nombreux juristes à travers le pays ont émis des avis selon lesquels la responsabilité des administrateurs d'entreprises de comprendre et d'atténuer le risque climatique est un élément nécessaire de l'obligation fiduciaire au Canada.
J'ajouterais qu'au Canada, l'obligation fiduciaire est définie comme une obligation de veiller aux intérêts de la société, ce qui peut inclure une grande variété de préoccupations, y compris des préoccupations à long terme. Nous devons également comprendre que certaines entreprises ont déjà fait faillite en raison des changements climatiques. En Californie, Pacific Gas and Electric a connu une faillite de 30 milliards de dollars que ses administrateurs n'ont pas été en mesure de prévoir en raison des changements climatiques. Aujourd'hui, la société n'existe plus.
En ce qui concerne la discipline financière...