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Bonjour, chers collègues.
Je souhaite la bienvenue aux témoins de même qu'à Mme Lewis, qui remplace M. Kram aujourd'hui.
On vient de m'informer que les tests de son ont été effectués. Tout est bien. Nous sommes alors prêts à commencer.
Au cours de la première heure de la réunion, nous accueillons trois témoins. Deux personnes témoignent à titre personnel: M. Hugues Chenet, professeur associé à l'IESEG School of Management, et M. Bryce C. Tingle, c.r., titulaire de la chaire N. Murray Edwards en droit des affaires à la Faculté de droit de l'Université de Calgary. Des Comptables professionnels agréés du Canada, nous recevons aussi Mme Rosemary McGuire, vice-présidente.
Chacun des témoins disposera de cinq minutes pour faire sa présentation. Par la suite, nous procéderons à la période des questions et des réponses.
Nous allons commencer par le professeur Chenet.
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Merci, monsieur le président.
Mesdames et messieurs les membres du Comité, en guise d'introduction, j'aimerais d'abord dire quelques mots sur le parcours qui m'amène à faire cette présentation aujourd'hui.
Tout d'abord, je viens du domaine des sciences de la Terre. Je suis géophysicien à la base, mais je suis devenu consultant en finances par la suite, juste avant la crise financière de 2007. Je portais alors une double casquette, l'une ayant un aspect quantitatif, puisqu'il s'agissait de la modélisation des risques de marché, et l'autre portant sur les risques environnementaux ou climatiques dans la finance. À l'époque, ces risques n'étaient pas pris en considération, mais nous y reviendrons.
En 2012, j'ai cofondé un groupe de réflexion sur la finance et le climat, qui a exercé une certaine influence sur les dispositifs réglementaires en France, puis en Europe, notamment en amont de la COP21.
Enfin, depuis environ huit ans, je suis totalement du côté universitaire. Je suis chercheur transdisciplinaire en sciences de la gestion, en économie, en finance, en comptabilité, un peu, ainsi qu'en sciences de la Terre et de l'environnement.
Je voudrais commencer par un point positif pour cadrer un peu les choses que j'ai à évoquer aujourd'hui avec vous. Vis-à-vis des enjeux climatiques et, depuis peu, de biodiversité, plus largement, la finance a beaucoup progressé, parce qu'elle est partie de très loin, ce qui est un peu moins positif. Je pense que ça vaut le coup de revenir un peu là-dessus.
Quand j'ai commencé à travailler dans la finance, il y a une bonne quinzaine d'années, les grandes banques de financement et d'investissement, notamment celles qui étaient un peu avancées sur les questions d'environnement, étaient très fières de communiquer leurs mesures en réponse au réchauffement climatique. Une de leurs plus importantes mesures était de changer les ampoules électriques dans leurs bureaux. C'est un peu décevant, quand on arrive dans le secteur financier et qu'on découvre cela. Finalement, il n'y avait aucun lien, ou presque, entre leur vocation ou leur métier réel, qui est de financer l'économie et l'industrie, et le climat. Il ne se passait donc pas grand-chose et très peu de choses étaient communiquées.
Qu'en était-il des énergies fossiles et des énergies renouvelables? Il n'y avait pas de commentaire. En gros, la grande réponse aux questions qu'on pouvait leur poser, à l'époque, c'est qu'ils n'étaient que des banquiers ou des investisseurs et qu'il fallait plutôt s'adresser à leurs clients. Il n'y avait donc pas vraiment de notion de responsabilité vis-à-vis des activités qui peuvent avoir un effet sur le changement climatique.
Aujourd'hui, manifestement, cela a beaucoup changé. Vous connaissez aussi bien que moi l'état des lieux; on pourra y revenir. Malgré tout, c'est un succès significatif. On a beaucoup progressé, mais il faut peut-être nuancer ce point positif. Quand on regarde l'économie telle qu'elle est et les progrès qu'on a faits vis-à-vis du climat et de la trajectoire des émissions, on peut constater que la finance — permettez-moi l'expression — ne fait pas le boulot. On n'a pas ce qu'on pouvait espérer, à savoir des portefeuilles qui sont en train de se décarboner. Les portefeuilles financent l'économie réelle —en tout cas, ils sont censés le faire —, mais l'économie réelle est toujours aussi carbonée. On émet toujours autant de carbone et de gaz à effet de serre d'année en année. Certes, on a réduit l'augmentation de ces émissions, mais on en émet toujours et on n'a toujours pas atteint le pic.
En somme, la finance n'a pas réussi à faire ce travail seule. Le problème est peut-être là, c'est-à-dire que ce n'est peut-être pas à elle de faire ce travail. C'est là-dessus qu'il pourrait y avoir une discussion intéressante. C'est exactement la même chose pour la biodiversité. D'une certaine manière, la finance n'est peut-être pas faite pour décarboner l'économie.
Je cite souvent un professeur de mathématiques financières très reconnu en France, Nicolas Bouleau, qui a écrit dans plusieurs ouvrages que les marchés financiers n'ont pas été conçus pour gérer la planète. C'est très important de se le rappeler. Ce n'est pas du tout ce pour quoi ils ont été conçus. Alors, si on attend autre chose que ce pour quoi ils ont été conçus, il y a peut-être des questions à se poser sur leur capacité à le faire.
Par ailleurs, les conditions ne semblent pas réunies pour que la finance fasse spontanément ce travail de décarbonation. Typiquement, si une activité demeure légale et qu'en plus, elle est rentable, voire très profitable, il est quasiment impossible pour la grande majorité des établissements financiers d'abandonner ce type d'activité. La plupart du temps, ceux-ci considèrent eux-mêmes que de cesser ce type d'activité serait scier la branche sur laquelle ils sont assis.
Alors, selon moi, ou bien on doit changer d'outil, ou bien on doit changer les règles d'utilisation de cet outil. Autrement dit, ou bien on ne s'appuie pas, ou beaucoup moins, sur la finance pour décarboner l'économie, et on s'appuie plutôt sur des politiques industrielles pour faire évoluer la demande — il est très probable, selon moi, que la finance s'adapte —, ou bien on change les règles profondes de la finance pour qu'elle puisse être efficace et jouer un vrai rôle de premier plan dans cette activité de décarbonation.
Cependant, on a plutôt fait autre chose. Effectivement, on a surtout parié sur le fait que le monde financier, en percevant des risques financiers significatifs liés au changement climatique, voire des risques systémiques dans un avenir plus ou moins lointain, ferait en sorte de s'écarter les risques par ses décisions d'investissement et de financement. On a misé essentiellement sur la transparence et sur la divulgation de risques financiers que l'on ne considère pas, aujourd'hui, comme suffisamment matériels. Il ne se passe pas grand-chose.
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Merci beaucoup de me donner l'occasion de comparaître devant le Comité.
Je m'appelle Bryce Tingle et je suis titulaire de la chaire N. Murray Edwards en droit des affaires à la faculté de droit de l'Université de Calgary. Mes recherches et mes écrits portent essentiellement sur la gouvernance des entreprises. Je suis membre de l'Alberta Securities Commission et du conseil consultatif spécial national des équipes intégrées de la police des marchés financiers de la GRC, qui enquête sur les crimes financiers. Je siège à de nombreux conseils d'administration et, pendant ma carrière, j'ai conseillé des conseils d'administration, des investisseurs et des gestionnaires sur des questions liées à la gouvernance des entreprises.
Toutes les opinions exprimées sont les miennes et ne devraient être attribuées à aucune institution dont je fais partie.
Je me présente devant vous en tant que personne ayant passé sa vie professionnelle à travailler dans la gouvernance et les finances d'entreprise et à les étudier.
À titre d'information, j'accepte le consensus au sujet de la science du réchauffement planétaire contenu dans les plus récents rapports du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat des Nations unies.
L'ensemble de ma recherche arrive à la conclusion qu'il existe des milliers d'études empiriques, lesquelles montrent généralement que les interventions en matière de gouvernance des entreprises du type de celles produites par les marchés financiers ne produisent pas leurs résultats voulus. Cela comprend les objectifs à long terme de la gouvernance des entreprises, qui consistent à produire le meilleur rendement financier pour les investisseurs et à réduire la rémunération des dirigeants.
Les échecs de la gouvernance des entreprises en tant que canal pour produire les résultats escomptés sont fonction, premièrement, du fait que les sociétés sont généralement intégrées dans des marchés concurrentiels et que ces marchés limitent l'éventail des comportements qu'une société peut adopter si elle souhaite demeurer solvable. L'entreprise moyenne ne gagne pas beaucoup plus que ses dépenses totales.
Ensuite, les marchés produisent des structures incitatives pour les gestionnaires et les actionnaires, et ces systèmes d'incitatifs militent contre certains résultats non financiers souhaités.
Par ailleurs, les sociétés, leurs membres, leurs stratégies, leurs programmes de recherche, leurs occasions, leurs partenaires d'affaires et leurs situations concurrentielles varient tous, de sorte que les interventions universelles les touchent de manière différente et inattendue et parfois de manière contre-productive.
Enfin, les outils les plus importants qu'utilisent les partisans de la réforme de la gouvernance des entreprises — les exigences de divulgation et la pression des investisseurs — ne sont pas adaptés à la tâche, et ce, pour diverses raisons.
Compte tenu du temps limité dont je dispose, je vais parler de trois exemples d'échecs de la gouvernance qui s'appliquent aux considérations environnementales, sociales et de gouvernance, ou considérations ESG.
Le premier est la divulgation. La plupart des investisseurs n'ont pas les connaissances ou les incitatifs nécessaires pour lire ou traiter adéquatement la plupart des divulgations que nous fournissons, et c'est particulièrement le cas des divulgations environnementales assez complexes. En conséquence, les investisseurs tendent à se fier à des tierces parties pour produire des cotes ou des classements ESG. Plus d'une dizaine d'études empiriques jugent ces cotes invalides.
Différentes entreprises ESG évaluent la même entreprise de manière très différente. Les désaccords entre ces entreprises au sujet des avantages environnementaux des entreprises semblent s'accroître au fil du temps. Plusieurs études montrent que les cotes ESG sont de très mauvais prédicteurs de la performance environnementale ou sociale future.
Les études révèlent également que la divulgation décourage l'innovation, puisqu'elle confère aux compétiteurs la capacité de reproduire des initiatives réussies et d'éviter les échecs. Par conséquent, les entreprises cessent d'innover. Elles attendront que d'autres entreprises le fassent dans une version de ce qu'on appelle le problème des profiteurs. Les exigences de divulgation amènent également les entreprises à se comporter de manière défensive dans un domaine donné. Les activités ESG, si elles doivent être divulguées, peuvent devenir moins ambitieuses, évitant ainsi les poursuites ou les critiques subséquentes aux échecs.
Un deuxième exemple est le désinvestissement financier, qui ne fonctionne pas. La valeur des actions d'une société est tributaire des flux de trésorerie futurs de l'entreprise. Pour cette raison, le désinvestissement n'a aucune incidence sur la valeur des actions. Plusieurs études nous l'ont démontré. Plusieurs études n'ont trouvé aucune preuve de l'augmentation du coût du capital pour les mauvais élèves en matière de facteurs ESG. Il n'y a pas non plus de signe, du moins dans les marchés publics, de coûts du capital inférieurs pour les entreprises qui font bonne figure en matière de facteurs ESG.
Un autre problème est que le désinvestissement est trop rudimentaire. Une étude récente a révélé que la majorité des brevets écologiques progressistes sont produits par des entreprises ayant une faible cote en matière de facteurs ESG. Il s'agit habituellement d'entreprises énergétiques de la vieille économie. C'est particulièrement vrai pour les brevets environnementaux à succès qui sont cités par de nombreux autres brevets. Les chercheurs notent que cette activité de recherche et de développement est réalisée par des entreprises qui sont en fait exclues des portefeuilles ESG.
Le troisième exemple tient à la nature des investisseurs. Ils ne se concentrent pas sur les facteurs ESG. Le comportement des investisseurs est produit par de forts incitatifs financiers pour garder leurs coûts bas et maximiser les rendements des fonds. Les investisseurs ESG dans des entreprises qui ont des profils ESG ne s'en tirent généralement pas mieux que les investisseurs qui ne tiennent pas compte des considérations ESG. Certaines études ont révélé que les fonds ESG détiennent des entreprises moins performantes. Les études qui se penchent sur ce qui se produit lorsqu'un fonds ESG achète une participation dans une entreprise ne voient aucun signe d'amélioration dans la performance environnementale ou sociale de cette entreprise.
Mon temps est écoulé.
Je répondrai à vos questions le moment venu.
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Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs.
Je suis Rosemary McGuire, vice-présidente de l'expérience des membres pour les Comptables professionnels agréés du Canada, appelé CPA Canada. Je supervise l'équipe de recherche qui se concentre sur les questions émergentes dans la profession de comptable et les marchés financiers. Un domaine d'intérêt particulier pour nous est le besoin croissant de tenir compte des répercussions environnementales et de l'augmentation de la transparence liée aux risques et possibilités climatiques.
CPA Canada est l'une des organisations comptables les plus influentes au monde. Elle soutient également la structure indépendante de la comptabilité, de l'assurance et de l'établissement de normes en matière de durabilité au Canada. Nous avons joué un rôle actif dans les défis liés au changement climatique depuis plus de 30 ans, et nous sommes actuellement un membre actif du partenariat de l'IFRS Foundation pour l'établissement des capacités, aidant à élaborer des ressources pour mettre en œuvre des normes internationales de divulgation en matière de durabilité au Canada et dans le monde.
Mes brefs commentaires porteront sur trois points principaux: les attentes changeantes concernant les questions de durabilité, l'importance de normes et de l'assurance des tiers, et la nécessité d'une approche harmonisée et d'une certitude en matière de politique.
La durabilité devient de plus en plus importante pour les investisseurs et les fournisseurs de capitaux. Un rapport de la Banque du Canada et du Bureau du superintendant des institutions financières a noté que la transition vers une économie faible en carbone créera des possibilités d'innovation, d'investissement et de croissance écologique possible, mais cette transition pourrait aussi entraîner un bouleversement économique et une réévaluation de la valeur de divers actifs financiers.
La confiance dans la qualité de l'information est essentielle pour l'intégrité de notre système financier et l'efficacité des marchés financiers. Ce besoin s'étend au‑delà des renseignements financiers pour inclure les facteurs ESG; or cette demande pour augmenter la transparence entraîne un déficit de confiance. L'enquête mondiale sur les investisseurs de PwC 2023 a révélé que les trois quarts des investisseurs et des analystes jugent importante pour leurs décisions d'investissement la façon dont la durabilité est gérée, mais 94 % pensent que les rapports sur la durabilité comprennent des allégations non fondées.
Cela m'amène à mon deuxième point: l'importance de normes de durabilité et de l'assurance des tiers.
Nous constatons une tendance vers un système mondial de rapports sur la durabilité. Cela a commencé par la création du Conseil des normes internationales d'information sur la durabilité, ou ISSB, qui vise à élaborer une base de référence mondiale concernant les normes de divulgation en matière de durabilité pour les marchés financiers. L'ISSB a publié ses premières normes l'an dernier, couvrant les exigences de divulgation générale en matière de durabilité et les divulgations climatiques. Le Conseil canadien des normes d'information sur la durabilité, créé peu de temps après, devrait achever les normes avant la fin de l'année, les adaptant au marché canadien.
Ces nouvelles normes visent à créer de meilleures divulgations, et pas seulement plus de divulgations. La norme sur les divulgations climatiques obligera les entreprises à publier des rapports sur leurs cibles et leurs engagements en matière de carboneutralité, ainsi que des renseignements sur les répercussions financières prévues.
L'importance relative est un concept crucial au cœur de ces normes, qui reconnaît que différents problèmes de durabilité influent de manière unique sur des entreprises différentes.
Un autre concept important est la proportionnalité, qui permet des rajustements en fonction des capacités et des circonstances des différentes entreprises, et qui est vitale pour le marché canadien, compte tenu de la grande proportion de petites et moyennes entités.
L'assurance joue un rôle essentiel pour renforcer la fiabilité des facteurs ESG et des renseignements climatiques. Les processus en cause sont semblables aux vérifications que les comptables professionnels effectuent depuis des dizaines d'années.
La réglementation sur la durabilité au Canada évolue rapidement, mais on a soulevé des inquiétudes quant au fait de présenter en même temps de nombreuses propositions similaires. Cela comprend la réglementation sur les valeurs mobilières, de nouvelles lois visant l'écoblanchiment du Bureau de la concurrence, la ligne directrice sur la gestion des risques climatiques du BSIF, la taxonomie proposée de la finance durable et les nouvelles initiatives fédérales.
Ces propositions pourraient entraîner un fardeau réglementaire inutile pour les entreprises canadiennes soumises à la surveillance de nombreux organismes de réglementation. Il est nécessaire d'adopter une approche harmonisée.
L'éducation et le renforcement des capacités sont également essentiels. Les normes et les règlements qui ne sont pas bien compris ou bien appliqués ne seront pas très efficaces.
Je n'ai qu'effleuré la surface de ce sujet très complexe et changeant, mais je serais ravie d'en dire plus et je suis impatiente de répondre à vos questions.
Je vous remercie.
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Merci beaucoup de votre question.
Eh bien, tout dépend si l'on parle de réglementation en général, ce qui est maintenant beaucoup plus préconisé à l'échelle européenne, ou de choses qui sont beaucoup plus orientées vers les marchés financiers.
Ce qui est très intéressant dans ce qui s'est produit en France — l'histoire pourrait être trop simpliste — c'est que, puisque la France organisait la COP21 à Paris, on se disait que ce serait bien de montrer certaines choses avant de la mettre sur pied. Étant donné que l'un des ingrédients très essentiels à la discussion sur la diplomatie climatique était l'aspect financier, on a exercé des pressions en coulisse avant la tenue de la COP21 pour que quelque chose se passe. Au bout du compte, six mois ou trois mois avant la COP21, une loi a été adoptée en France, pour la toute première fois, demandant aux intervenants financiers du milieu de l'investissement de publier des communications au sujet de leur action climatique. Il y avait beaucoup d'éléments différents.
C'était tout juste avant la COP21, et je pense que le fait de promouvoir quelque chose était très positif pour la France en tant qu'organisme de réglementation et aussi pour l'Accord de Paris, qu'on a fini par conclure. Comme vous le savez, l'un des trois principaux objectifs généraux de l'accord concernait la finance. On peut se demander ce qui est venu avant, l'œuf ou la poule, mais il était manifestement bon. Je pense que le fait de mettre cet incitatif sous les feux de la rampe était probablement une bonne chose.
De plus, ce qui est important, selon moi, c'est que cela ne serait jamais arrivé si certains investisseurs, pas nécessairement les plus grands ou les plus connus, et les banques, publiques et privées — publiques si l'on parle du gouvernement ou privées des marchés — n'avaient pas non plus fait pression à ce sujet. Il y avait un type d'entente à cet égard...
Il est vrai que j'ai pu observer différents écosystèmes financiers. Pour le coup, ce n'est pas celui de l'Amérique du Nord que je maîtrise le plus. En ce qui concerne les banques canadiennes, je n'ai pas d'avis très particulier.
Ce qui est très visible de l'extérieur, c'est l'activité industrielle du Canada, en particulier dans le domaine de la production d'énergie et des ressources fossiles. J'ose imaginer que les banques canadiennes participent au soutien financier de l'économie canadienne. Forcément, il y a un lien assez fort à faire ici, qu'on retrouve dans la plupart des pays. Même si la finance est internationale et que ces entreprises se financent sur les marchés internationaux, il y a toujours un lien local très fort dans le financement.
Je ne sais pas si cela répond à votre question.
Même si je travaille en finance depuis 15 ans, j'ai tendance à dire que ce ne sont pas tellement des sujets financiers qui sont abordés, mais surtout des sujets industriels. Pour s'attaquer au problème des ressources fossiles, il faut d'abord bien comprendre le fonctionnement de ces industries et avoir une vraie motivation pour les faire sortir de ces énergies fossiles. Les banques suivront, d'une certaine manière.
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C'est une question clé.
En Europe, aujourd'hui, ce sujet est vraiment au cœur de toutes les discussions. Le principe de la double matérialité est en train d'être imposé dans les rapports périodiques des entreprises, d'abord les grandes et, peu à peu, les moins importantes. Il s'agit, comme vous l'avez dit, d'analyser l'impact des activités sur le climat et l'impact du climat sur les activités, et donc sur la performance financière des entreprises et des portefeuilles.
À mon avis, c'est vraiment une question clé, parce que c'est justement grâce au principe de la double matérialité qu'on va pouvoir sortir de la vision seulement financière de la performance d'une entreprise afin qu'on puisse dire que, certes, il faut qu'il y ait une performance financière pour continuer les activités, mais il faut que cela se fasse dans les limites du possible. En d'autres termes, la performance financière doit être cohérente avec le prérequis, soit le fait d'avoir une biosphère qui fonctionne. Sinon, on peut générer des produits et de la valeur ajoutée, mais cela ne sert à rien si on ne peut plus vivre dans 20 ans, dans 10 ans ou dans 200 ans. Cela soulève la question de la capacité à évoluer dans les limites planétaires, pour reprendre ce cadre. Pour ma part, je crois qu'il faut poser cela comme un prérequis.
Évidemment, si on est le premier à sauter dans la piscine alors que l'eau est froide, on a l'air un peu bête et on a probablement envie d'en sortir. C'est un peu ce qui se passe aujourd'hui. L'Europe commence à avoir envie de rétropédaler, parce qu'en matière de compétitivité, c'est très compliqué. Toutefois, il faut avoir la capacité de dire qu'on ne parle pas de 5 ans, mais d'un siècle et de potentiellement plus. Cela va peut-être faire mal et il va peut-être y avoir un prix à payer à court terme, mais si on ne le fait pas, on est sûr de payer beaucoup plus à long terme. Tant qu'on n'aura pas digéré cela, ce sera quasiment impossible. C'est ce qui fait qu'aujourd'hui, ceux qui peuvent se permettre de prendre des décisions un peu plus radicales quant à leur économie sont ceux qui pensent à long terme et qui n'ont pas forcément à utiliser des incitations de marché et à regarder leurs effets sur les performances boursières tous les trimestres.
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Merci beaucoup, madame Collins, de poser cette question. Pour moi, il s'agit du point de bascule.
Aujourd'hui, des institutions financières dans les marchés financiers mondiaux de partout sur la planète prennent des engagements à l'égard de la carboneutralité. C'est facile à trouver et à signaler, mais presque impossible à faire. Lorsque les institutions financières se rendent compte qu'elles ont signé quelque chose qui est probablement trop difficile pour elles, elles décident soit de se retirer, de manière à pouvoir de nouveau respecter leurs engagements, soit de prendre des décisions fermes.
À l'heure actuelle, comme je le mentionnais, il est très difficile pour les institutions financières mondiales de voir un marché très rentable — par exemple, le pétrole et le gaz — et de décider de ne pas y aller. C'est très difficile. Ce qui est presque impossible pour elles, si elles y sont déjà, c'est de dire qu'elles partent, et qu'elles doivent fermer la succursale qui s'occupe de ce domaine et congédier les employés ou les organiser différemment. Ce n'est pas une situation dont tout le monde sort gagnant.
La situation est très intéressante, parce que les intervenants ne recherchent plus d'option où tout le monde est gagnant. Je pense que nous sommes en train d'entrer dans une option où il y a un gagnant et un perdant, et nous savons qu'il y aura un coût. Nous savons que quelque chose sera fermé, alors nous devons nous organiser.
Enfin, pour moi, c'est beaucoup plus une question sociétale, stratégique et politique qu'une question purement financière. Lorsque vous avez des banques très motivées — et je travaille avec certaines d'entre elles — qui sont très déterminées à atteindre cette carboneutralité, lorsqu'elles se rendent compte de ce que cela signifie pour elles, alors elles se disent en coulisse qu'elles ne réussiront jamais si l'économie n'est pas alignée en ce sens. Ce n'est plus un enjeu financier; c'est d'abord et avant tout une question de politique industrielle.
Prenez l'industrie automobile en Europe, par exemple. Les moteurs à combustion interne devraient être interdits en 2035. C'est inscrit dans la loi, mais il peut toujours y avoir des revirements. C'est facile pour un décideur financier de dire qu'il ne se tournera pas vers une entreprise donnée, mais plutôt vers une autre parce qu'elle va passer à l'électrique. Cependant, si un tel règlement n'existe pas, il ne cessera pas de financer des producteurs automobiles qui peuvent fabriquer des voitures à moteur à combustion interne bon marché. Ce serait stupide.
Selon moi, la politique industrielle doit être celle qui prime, puis l'industrie financière doit emboîter le pas et la mettre en œuvre.
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La réponse courte est que c'est impossible.
La réponse un peu plus compliquée, c'est qu'une entreprise doit déterminer son budget de carbone en se basant sur un scénario mondial hypothétique où les émissions et le budget de carbone mondial sont répartis d'une certaine façon entre les pays et les entreprises. Ensuite, elle doit établir une stratégie très concrète pour déterminer comment elle va dépenser ce budget de carbone au cours des prochaines années, les choses dans lesquelles elle va investir, les activités qu'elle va entreprendre et celles auxquelles elle va mettre fin. Ensuite, elle doit se demander comment elle va optimiser ses processus et quelles nouvelles technologies elle va utiliser ou arrêter d'utiliser, par exemple.
À ce moment-là, on peut commencer à avoir quelque chose de rigoureux, mais cela sous-entend qu'on a mis à l'échelle un budget de carbone sensé. Si toutes les entreprises du monde font cela, mais qu'elles ne se mettent pas d'accord, on peut n'avoir que des entreprises carboneutres, mais atteindre une augmentation de quatre degrés Celsius, parce que le budget de carbone n'aura pas été utilisé de façon globale.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
J'aimerais tout d'abord souhaiter la bienvenue à tous les témoins et les remercier d'être ici avec nous aujourd'hui.
Monsieur Chenet, j'aimerais connaître votre opinion sur la course mondiale vers une économie verte ou une économie de transition. Selon Bloomberg, les investissements mondiaux dans la transition économique ont atteint, en 2023, un record de 1,67 billion de dollars, une augmentation de 17 % par rapport à l'année précédente. Cet argent est investi dans les énergies renouvelables, dans l'électrification des transports, dans l'hydrogène et dans les technologies de captage du carbone. Nous sommes dans une compétition internationale.
Faites-vous les mêmes constats, sur le plan financier? Y a-t-il une vraie compétition entre les pays pour attirer ces investissements?
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Merci beaucoup, monsieur Chenet.
J'ai l'impression que les institutions financières, mais aussi les gouvernements, envisagent des horizons temporels trop courts lorsqu'il s'agit des répercussions de la crise climatique.
Une autre chose qui me préoccupe, c'est que nous avons entendu dire qu'il y a un grand chevauchement entre les conseils d'administration de ces organisations ou institutions financières et les conseils d'administration des grandes sociétés de combustibles fossiles au Canada.
Ces sociétés pétrolières et gazières sous-déclarent de manière radicale leurs émissions. Même si un certain nombre d'entre elles investissent également dans les technologies de réduction des émissions, elles augmentent également leurs investissements dans le pétrole et le gaz ainsi que leurs activités minières et d'exploration et augmentent leurs émissions.
Pensez-vous qu'il y a des moyens de régler le problème de la sous-déclaration des émissions à l'aide de certains règlements financiers axés sur le climat dont nous avons parlé?
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie nos témoins d'être ici.
Nous avons consacré beaucoup de temps et d'efforts à défendre les vertus de l'investissement axé sur les considérations ESG. Pour les personnes qui regardent, ce sont les normes environnementales, sociales et de gouvernance que revendiquent les grandes entreprises pour attirer l'attention et des investissements.
Malheureusement, nous passons un peu à côté de l'essentiel. La politisation des investissements ESG aux États-Unis a donné lieu à une série de manchettes très polarisantes. Je vais lire un extrait du New York Times: « Comment les investissements respectueux de l'environnement sont devenus la cible des conservateurs: le monde des affaires a été attiré dans des politiques partisanes, les Républicains amenant leur bataille contre les investissements socialement responsables au Congrès. »
Depuis plus de deux ans, il y a aux États-Unis une conversation visant à savoir s'il vaut la peine d'investir dans les facteurs ESG. J'espérais que nous puissions l'éviter ici au Comité, surtout parce que cette étude n'est pas censée porter sur le mérite des normes ESG; il s'agit plutôt de savoir dans quelle mesure les entreprises doivent être honnêtes et franches lorsqu'elles affirment avoir renouvelé leurs engagements à l'égard de bonnes pratiques environnementales ou d'une nouvelle structure de gouvernance qui devrait être considérée comme plus éthique. C'est ce sur quoi la divulgation va rendre des comptes.
Monsieur Chenet, est‑ce que je trompe? La divulgation et la taxonomie relatives à la finance durable portent‑elles sur l'honnêteté ou s'agit‑il plutôt de déterminer si les entreprises devraient ou non être durables?
Même si j'apprécie les vœux d'anniversaire de M. van Koeverden, j'aimerais que nous nous concentrions sur les affaires du Comité. On nous dit toujours que c'est un moment plus opportun. Malheureusement, nous allons perdre les fonctionnaires qui ont traversé la rivière pour venir ici. C'est très malheureux d'être témoin de cette sorte d'hypocrisie.
Je crois que tout cela porte à confusion, et pas seulement pour l'amendement sur lequel nous votons. Le Comité a présentement énormément de pain sur la planche, et il jongle...
Évidemment, monsieur le président, vous avez travaillé d'arrache-pied pendant des années pour qu'une étude très solide sur l'eau soit réalisée, et je suis certain que des analystes y ont travaillé avec diligence. Je sais que vous deviez rassembler énormément de témoins et de témoignages et que beaucoup de travail a été effectué à ce chapitre. J'imagine que vous aimeriez que l'étude voie le jour et soit publiée, mais des rumeurs circulent sur une possible prorogation et le déclenchement d'une élection anticipée sur la taxe sur le carbone, et je trouverais regrettable que le rapport ne soit pas terminé et publié.
Évidemment, ce n'est pas la seule chose que nous devons faire. Je crois comprendre que le pourrait comparaître devant nous le 4 décembre, afin de nous aider à clôturer notre enquête sur les incendies à Jasper. J'espère qu'il passe beaucoup de temps à Jasper, à parler aux habitants et à cerner — comme nous l'avons étudié — les facteurs qui ont déclenché les incendies qui ont ravagé la collectivité et jeté à la rue 2 000 personnes. Je crois que nous devons également nous assurer de parachever ce sujet en particulier.
Des lettres doivent être envoyées pour convoquer devant le Comité cinq chefs de la direction du secteur pétrolier et gazier, et je crois qu'il y a une ou deux autres études qui ne sont pas encore publiées et qui devront être examinées par le Comité. Et puis, bien sûr, il y a les difficultés liées au fonds Accélérateur net zéro. Si j'ai bien compris, nous n'avons pas traité de la question...
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Ce sera au Comité d'en décider. Cependant, vous avez raison.
Le problème, c'est que, si nous n'adoptons pas cette motion, le ministre ne viendra pas témoigner. Autrement dit, c'est par l'intermédiaire de la motion que nous invitons le ministre. Si nous n'adoptons pas cette motion, tout est incertain pour ce qui est de mercredi, et nous ne savons pas quand nous pourrons le recevoir.
[Traduction]
Puis‑je voir la motion originale, la version non amendée?
[Français]
Dans le compte rendu de la réunion, il est mentionné que le ministre est prêt à venir témoigner au sujet du projet de loi , mercredi. Tout le monde semble d'accord sur cela. Si on retire l'amendement et que nous adoptons la motion, nous allons avoir le résultat désiré.
:
D'accord, toutefois, le 18 est déjà réservé. Le 20 est déjà réservé. Le Comité s'est accordé pour dire que nous allons parler de l'Accélérateur net zéro le 18. Nous recevrons le commissaire le 20.
Quelle est la prochaine réunion après le 20...?
Je suggère de terminer l'heure qui reste pour l'étude sur la finance. Nous devrions faire cela le 25. Peut-être que nous pourrions traiter des affaires du Comité pendant une heure après cela, le 25. L'organisation d'une réunion du sous-comité élimine essentiellement la réunion du Comité. Nous devons essentiellement utiliser le même créneau horaire.
Ce que je suggère, en cela, je crois, répond à votre demande, est d'inviter à nouveau, s'ils sont disponibles, les fonctionnaires de ECCC et des Finances, pendant une heure, pour compenser leur absence d'aujourd'hui. Nous pourrions traiter des affaires du Comité à huis clos, pendant la deuxième heure de la séance.
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Madame Collins, attendez une seconde.
Essentiellement, Mme Collins disait que nous devrions procéder à l'étude sur la finance pendant une heure, mercredi, puis entendre le sur le projet de loi , et que nous allions tenir une réunion du Sous-comité pour discuter du calendrier de l'étude de Mme Collins.
Ce que j'essaie de dire, c'est que si nous faisons cela, je crois que la question de ce qui est prévu pour mercredi est réglée. Nous sommes tous d'accord, donc je ne sais pas pourquoi nous débattons de ce qui sera fait mercredi. Je crois que ce dont nous débattons présentement est si nous allons tenir une réunion du sous-comité à la place d'une réunion ordinaire, et que la réunion du sous-comité ne pourra pas être tenue avant le 25 novembre, car nous avons déjà décidé de ce que nous allons faire le 18 et le 20.
Donc, je suggère que nous terminions l'heure restante, le 25, pour l'étude sur la finance avec les témoins que nous venons de remercier, et puis nous pourrons passer à huis clos pour la deuxième heure, traiter des affaires du Comité et parler de l'étude de Mme Collins.
Si vous voulez que soit tenue une réunion de deux heures sur les affaires du comité, nous pouvons aussi le faire, mais cela nous amènera à 14 heures un lundi: Nous pourrions le faire et peut être que nous allons régler les affaires du Comité en 30 minutes, donc tout cela est sans intérêt.
C'est de cette question que nous parlons. Nous nous demandons si nous allons tenir une séance du sous-comité, par exemple, le 25 novembre, ou si nous allons convoquer à nouveau les témoins pour une heure et puis traiter des affaires futures du Comité, pendant une heure, à huis clos, le 25. C'est ce que nous faisons présentement.
Madame Collins, que suggérez-vous?
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En général, je veux souligner… Je viens de remarquer que mon sous-amendement comporte la même coquille que l'amendement original. Nous devons modifier « réunions » pour le mettre au singulier.
Pour ce qui est de l'amendement lui-même et de l'importance d'effectuer une étude préliminaire sur le projet de loi , c'est un projet de loi très important dont nous voulons traiter et c'est très important lorsque nous parlons de la biodiversité et de la responsabilité. Nous voulons nous assurer que le comparaîtra devant nous ce mercredi, ce qui a fait l'unanimité.
Puisque c'est évident que la conversation va prendre un certain temps, nous allons normalement mettre au calendrier une autre étude de la liste d'études que nous devons faire à la réunion du Sous-comité, afin de ne pas empiéter sur le temps réservé aux témoins. Cela nous permet de nous assurer que la discussion sera réellement tenue.
La plus grande priorité est de m'assurer de respecter les demandes des Premières Nations, qui ont demandé au Parlement d'étudier la contamination à Fort Chipewyan. Les réunions restantes sur l'étude préliminaire ne doivent pas supplanter cette demande en permettant au gouvernement actuel de ne pas assumer ses responsabilités pour ce qui est de la contamination et du manque de transparence et de communication envers les nations à Fort Chipewyan.
Je veux également m'assurer que nous allons faire cette étude préliminaire sur le projet de loi . C'est essentiel. J'espère que cela permettra au Comité de collaborer, d'adopter la motion aujourd'hui et de poursuivre ses travaux.