[Français]
Je souhaite la bienvenue aux membres du Comité ainsi qu'au premier groupe de témoins, qui se joignent à nous par vidéoconférence.
Au bénéfice des témoins, qui ne connaissent peut-être pas toutes les procédures que nous avons mises en place à la Chambre des communes pour éviter les incidents acoustiques, je vais souligner les mesures à suivre.
Si vous n'avez pas la parole, veuillez fermer votre micro. Quand vous avez la parole, assurez-vous de mettre votre micro à peu près à la hauteur de votre nez.
Nous allons maintenant débuter.
Pour le premier groupe de témoins, nous accueillons d'abord M. Yanick Baillargeon, qui est président d'Alliance forêt boréale. Nous accueillons ensuite MM. Bastien Deschênes et Karl Gauthier, de Granulco. Finalement, nous avons le plaisir d'accueillir deux représentants du Conseil de la Première Nation des Innus Essipit, soit le chef Martin Dufour ainsi que M. Michael Ross, qui est directeur du développement et du territoire.
Chaque organisme disposera de cinq minutes pour faire son allocution d'ouverture.
Nous allons commencer par M. Yanick Baillargeon.
Vous avez la parole pour cinq minutes.
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Merci, monsieur le président.
Tout d'abord, je remercie le Comité de nous recevoir aujourd'hui.
Kwe, chef Dufour. Bonjour, membres du Comité. Je m'appelle Yanick Baillargeon et je suis préfet. Je comparais aujourd'hui à titre de président d'Alliance forêt boréale, une organisation politique formée d'élus municipaux du Saguenay—Lac‑Saint‑Jean, de la MRC de La Haute‑Côte‑Nord et de la MRC de Manicouagan. Notre territoire est composé de 65 municipalités, dont 34 dépendent du secteur forestier. La forêt est ainsi une source importante de développement économique, d'emploi et de vitalité pour ces municipalités. Sans le secteur forestier, l'avenir de ces municipalités est sérieusement compromis, puisqu'il est le plus gros employeur de notre territoire. En effet, il crée plus de 20 000 emplois directs, indirects et induits, et génère plus d'un milliard de dollars en masse salariale.
Notre organisation prône le développement durable et, en ce sens, je précise que nous demandons que les mesures de protection du caribou forestier soient déterminées en concertation avec les acteurs du milieu afin de trouver des solutions gagnant-gagnant.
Dans son analyse d'impact du 16 juillet 2024, le forestier en chef du Québec a évalué la possibilité forestière de la zone provisoire de Pipmuacan à près de 800 000 mètres cubes de bois, toutes essences confondues, et celle de Charlevoix à 357 000 mètres cubes. Plusieurs bénéficiaires de garantie d'approvisionnement effectuent des opérations forestières dans ces secteurs. En plus des activités de récolte de bois, de nombreux entrepreneurs forestiers y réalisent des travaux sylvicoles. Tout le secteur forestier est lié et imbriqué comme une chaîne, et, dès que l'on coupe un maillon de cette chaîne, celle-ci se brise. Ainsi, c'est plus de 1,1 million de mètres cubes qui seront retranchés de la possibilité forestière de notre territoire si le décret s'applique tel quel. Une telle diminution met en péril non seulement l'avenir de nos communautés forestières, mais aussi celui de tout notre territoire régional.
En ce sens, Alliance forêt boréale est très inquiète des conséquences socioéconomiques qui seront engendrées par l'application du décret proposé par le gouvernement du Canada. On estime que 100 000 mètres cubes de bois créent 325 emplois directs, indirects et induits, et que chaque mètre cube de bois récolté génère 200 $ en retombées fiscales. À la lumière des résultats du forestier en chef du Québec, on évalue les pertes d'emplois dans le seul territoire de Pipmuacan à près de 2 500, ce qui serait catastrophique. Dans le territoire de Charlevoix, c'est 1 160 travailleurs de plus qui perdront leur emploi.
Nous nous demandons comment le gouvernement du Canada peut justifier de telles conséquences sur les travailleurs, sur les familles et sur les communautés forestières du Québec.
Environnement et Changement climatique Canada considère uniquement les mètres cubes de bois qui seront perdus pour chaque usine. Or, le décret aura aussi des répercussions indirectes sur les entrepreneurs forestiers et les sous-traitants, de même que des répercussions induites sur les commerces et autres services de nos communautés. C'est sans parler des drames sociaux que pourraient engendrer les pertes d'emplois.
Encore une fois, nous nous demandons comment le gouvernement du Canada peut prendre la décision de mettre en place un tel décret sans considérer les effets indirects, induits et, surtout, sociaux dans les communautés forestières.
Le gouvernement du Canada doit considérer qu'il y a, dans la zone provisoire de Pipmuacan, plus de 700 villégiateurs, trois zones d'exploitation contrôlée, six pourvoiries, des milliers de kilomètres de chemins multiusages, des dizaines de kilomètres de sentiers pour véhicules hors route ainsi que 11 camps de piégeage. On parle donc d'une activité économique et sociale très importante.
Comment le gouvernement peut-il prétendre pouvoir atteindre un taux de perturbation de 35 % en maintenant ces usages et occupations dans le secteur, mais en y interdisant les activités forestières, alors que le secteur est actuellement perturbé à plus de 80 %?
Alliance forêt boréale a aussi constaté que le gouvernement du Canada avait conclu une entente avec la Saskatchewan afin d'autoriser un taux de perturbation de 60 % dans la partie nord de l'aire de répartition du caribou forestier. La condition essentielle pour la signature d'une telle entente est de démontrer scientifiquement que ce taux de perturbation ne met pas en péril la survie de l'espèce et son avenir. Autrement dit, si cette entente a été conclue, c'est qu'il a été démontré que l'espèce pourrait survivre alors que le taux de perturbation est de 60 %.
Pourquoi ne pas fixer, pour le Québec, un taux de perturbation qui tient compte de la productivité forestière du territoire, comme c'est le cas pour la Saskatchewan?
Nous croyons que l'imposition de mesures de protection par décret d'urgence est inacceptable, compte tenu du fait que Québec travaille sur une vision globale de protection. Nous exigeons un équilibre entre la protection de l'espèce et la préservation des communautés forestières. Notre organisation est d'avis qu'il est possible de concilier l'aménagement forestier et la protection du caribou par une gestion rigoureuse et respectueuse de la biodiversité, et que, à ce titre, le gouvernement du Québec a toute la compétence et la crédibilité pour y arriver.
Alliance forêt boréale somme le gouvernement fédéral de ne pas adopter ce décret aux conséquences sociales et économiques désastreuses, de ne pas s'immiscer dans les champs de compétence du gouvernement du Québec et de respecter les démarches en cours.
Alliance forêt boréale est convaincue que l'imposition de ce décret d'urgence aura des conséquences catastrophiques sur l'économie et sur les travailleurs de nos communautés forestières. C'est plus de 3 600 familles qui seront directement touchées par cette mesure que le gouvernement du Canada veut mettre en place. Comment peut-il ne pas prendre en considération les conséquences sociales et économiques, sans compter les drames humains, qui surviendront par l'application de ce décret?
Est-ce que le gouvernement du Canada est prêt à jeter à la rue 3 600 familles, dont 2 500 uniquement sur le territoire de la MRC de La Haute‑Côte‑Nord, à tuer l'économie régionale de notre territoire et à créer des villages fantômes qui vivent aux dépens du gouvernement?
Merci.
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Merci, monsieur le président.
Monsieur le président, chers membres du Comité, nous souhaitons, en notre qualité de représentants de l'entreprise Granulco, vous exprimer nos profondes inquiétudes relativement à la volonté du gouvernement libéral d'adopter un décret d'urgence pour la protection du caribou forestier. Cette démarche, entreprise en juin dernier, suscite de vives craintes chez nos travailleurs et nos concitoyens. Un tel décret aurait des conséquences irréversibles sur notre communauté.
Fondée en 2009, Granulco est une entreprise intégrée au groupe Boisaco. Comme toutes les entreprises affiliées au groupe Boisaco, Granulco est organisée selon un modèle collectif et coopératif unique dans lequel les travailleurs participent à la propriété du groupe. On parle de près de 1 400 travailleurs et citoyens, majoritairement de la région.
Granulco est née de la volonté de Boisaco de diversifier ses activités et de valoriser les matières résiduelles issues du sciage du bois pour ainsi créer de nouveaux produits. Ses actionnaires sont les suivants: le Conseil de la Première Nation des Innus Essipit; deux sociétés de placement, soit Intrafor et Investra, qui regroupent les citoyens de notre milieu; deux coopératives de travailleurs, soit COFOR et UNISACO; et une société de gestion, soit le groupe Boisaco.
Notre entreprise est installée au sein du complexe industriel de Sacré‑Cœur, où se trouvent les usines de Boisaco, de Ripco et de Sacopan. Elle est spécialisée dans la fabrication et la mise en marché de granules de bois écoénergétiques ayant reçu de multiples certifications reconnues mondialement parmi les plus exigeantes. Nos granules sont produits majoritairement à partir de sous-produits qui sont générés par les différentes entreprises du groupe Boisaco et qui disposent d'une certification forestière reconnue internationalement.
Notre entreprise génère 30 emplois directs associés aux activités de l'usine ainsi qu'aux différentes activités de transport. On parle ici de 30 emplois à temps plein, bien rémunérés, qui font vivre 30 familles et, ainsi, une centaine de citoyens de notre région.
Granulco fournit des granules certifiés en sac pour le marché du chauffage résidentiel, principalement au Québec, ainsi que de la litière équestre pour le marché américain. Nous sommes aussi très fiers d'avoir développé récemment le marché du granule en vrac destiné à l'exportation. Nos granules en vrac permettent de remplacer le charbon dans les centrales électriques situées aux Antilles françaises. De ce fait, Granulco contribue directement à la réduction des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Il est important de souligner que Granulco est engagée par contrat à livrer des volumes précis sur plusieurs années. Dans ce cadre, Granulco a dû réaliser un projet de modernisation de plus de 18,5 millions de dollars, qui s'est terminé en décembre 2023. Grâce à ce projet, le complexe industriel du groupe Boisaco à Sacré‑Cœur est en mesure d'utiliser la totalité des sous-produits en provenance de la scierie de Boisaco. On parle ici de copeaux, de sciures, de planures et d'écorces. Ce complexe unique au Québec permet de valoriser l'ensemble de la ressource qui est mise à la disposition du groupe en vue de satisfaire ses clients canadiens et internationaux.
La fin des activités de Boisaco implique invariablement la fin des activités de Granulco, car il serait impossible, et je dis bien impossible, de trouver d'autres sources d'approvisionnement à proximité pour remplacer le volume perdu.
Il est important de réaliser que, si le décret de se concrétisait, ce ne serait pas seulement Boisaco qui en subirait les conséquences, mais toutes les entreprises du complexe industriel alimentées en matière première par la scierie de Boisaco, et cela inclut Granulco. L'adoption de ce décret anéantirait tous les efforts réalisés pour bâtir cette entreprise et les emplois qui y sont rattachés.
Le gouvernement a le devoir, et je dis bien le devoir, ainsi que la responsabilité de tenir compte de tous les faits et de tous les enjeux dans ce dossier. Il est inconcevable de sacrifier nos travailleurs, nos familles, dont la mienne, et nos communautés. Nous dépendons tous de la forêt pour gagner dignement notre vie et faire vivre nos familles, et ce, depuis de nombreuses générations.
En conclusion, vous devez comprendre qu'aucune compensation financière ne peut remplacer le maintien de la vitalité socioéconomique d'une région déjà dévitalisée comme celle dans laquelle nous vivons, soit la Haute‑Côte‑Nord.
Nous tenons à vous remercier de nous donner le privilège de vous présenter le portrait de notre réalité.
Merci beaucoup.
:
[
Le témoin s'exprime en innu.]
[Français]
Je suis le chef de la Première Nation innue d'Essipit. Je vais vous présenter vaguement le territoire ancestral des Innus d'Essipit, le Nitassinan, qui s'étend de la rivière Portneuf jusqu'au Saguenay, qui va jusqu'à la municipalité de Saint‑Fulgence et qui longe le lac Poulin‑De Courval.
Depuis 2003, un moratoire sur la chasse au caribou forestier est en vigueur sur le territoire ancestral de notre communauté. En 2000, nous avions commencé des démarches afin de créer une réserve de biodiversité qui allait s'appeler Akumunan, ce qui signifie « le havre ». En 2020, soit 20 ans plus tard, nous assistions à la création de cette réserve, dont nous sommes cogestionnaires. Notre communauté est également en négociation territoriale globale depuis 45 ans avec les deux ordres de gouvernement.
Je vais maintenant vous présenter davantage les faits.
Le Québec a publié en 2016 son Plan d'action pour l'aménagement de l'habitat du caribou forestier, lequel devait aboutir à une stratégie. En 2019, ce même gouvernement annonçait le début des consultations autochtones pour 2021, promettant la publication d'une stratégie en 2022. La stratégie se fait toujours attendre, deux ans plus tard, tout comme les consultations autochtones, ce qui nous a forcés à nous adresser aux tribunaux. Je veux préciser que, pour obtenir ces mêmes droits que nous avons acquis au moyen de la négociation, d'autres nations ont décidé de prendre la voie juridique. Cela a été une bataille de longue haleine. Le 21 juin dernier, la Cour supérieure du Québec a rendu un jugement qui nous était favorable. Ainsi, le Québec a jusqu'au 30 septembre pour nous consulter à ce sujet.
Parlons un peu du décret fédéral.
Actuellement, 3,7 % du territoire visé par le décret se trouve sur notre territoire ancestral, le Nitassinan. C'est très peu. Souvent, on nous demande pourquoi Essipit a appuyé la prise d'un décret. Ce n'est pas compliqué: comme je viens de vous le raconter, cela fait huit ans que nous attendons une stratégie pour le caribou, alors le but était de faire réagir le gouvernement du Québec. C'était le premier but.
Parmi toutes les mesures que je viens d'énumérer ou d'expliquer, aucune n'a été prise dans le but d'aller à l'encontre de l'industrie. Je tiens à le préciser. Comme M. Deschênes l'a dit tantôt, nous sommes copropriétaires de l'usine Granulco, au même titre que Boisaco. Nous sommes également propriétaires de la quincaillerie BMR aux Escoumins. Vous comprendrez que, si personne ne produit les matériaux, on ne pourra pas en vendre. Je veux simplement vous assurer que nous ne sommes pas contre l'industrie, mais alors pas du tout. L'intention d'Essipit a toujours été d'avoir un équilibre entre la protection de notre territoire, les emplois et le développement. C'est dommage, parce que c'est un message que nous voulions marteler dans les dernières semaines, mais il n'a jamais été relayé par les médias.
Finalement, et c'est très important, j'invite en tout respect le gouvernement du Québec à participer avec nous et avec le fédéral à la recherche de solutions pour non seulement sauvegarder le caribou, mais également préserver les emplois. Je suis convaincu que, tous ensemble, nous allons trouver des solutions acceptables pour tous.
Tshinashkumitin à vous tous. Merci de votre écoute.
:
Ce n'est malheureusement pas le cas, et c'est d'ailleurs ce que nous disons depuis plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Depuis l'annonce du décret, au mois de juin, nous sentons qu'on accorde beaucoup d'importance à la protection du caribou, et nous sommes d'accord là-dessus, bien sûr, mais l'aspect socioéconomique a été un peu négligé dans tout ça, malheureusement.
Il est intéressant de voir que, depuis que ce comité a commencé à se pencher sur la question, lundi, on commence à sentir un équilibre entre les divers éléments du développement durable. La société, l'économie et l'environnement sont tous des éléments qui font partie du développement durable, et tout ça doit être équilibré.
Je reviens à ce que Martin Dufour nous a dit tantôt: je pense que les gens au Québec et au Canada sont assez brillants pour s'asseoir autour d'une table et trouver des solutions concrètes et intelligentes afin de protéger le caribou et les emplois. Ce n'est pas en appliquant un décret comme celui qui a été annoncé qu'on va réussir à obtenir ces résultats. C'est impossible. Il faut dévier la trajectoire et recommencer un peu le travail.
On entend dire beaucoup de choses au sujet du gouvernement du Québec. On dit qu'il n'a rien fait depuis plusieurs années, mais c'est faux. Il a mis en place des plans et il a fait beaucoup de choses. Je pense que c'est simplement que l'information n'est pas rendue tout à fait à la même place.
:
Merci, monsieur le président.
Je remercie tous les témoins qui sont présents, aujourd'hui, dans le cadre de cette importante étude.
Monsieur Baillargeon, vous avez dit qu'il allait que ce décret d'urgence aura des répercussions catastrophiques sans précédent sur les communautés forestières de votre territoire.
Nous avons beaucoup entendu parler de l'exemple de la municipalité de Sacré‑Cœur. La mairesse est d'ailleurs venue témoigner ici, au Comité.
Pourriez-vous nous donner d'autres exemples de communautés forestières, autres que celle de Sacré‑Cœur, qui seront affectées par le décret de ?
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Merci, monsieur Brunelle‑Duceppe.
Je vous remercie, monsieur Baillargeon, de votre présence.
Vous avez bien démontré ce qu'on appelle l'effet domino sur le secteur forestier. Lorsqu'on enlève une maille de la chaîne, c'est toute la chaîne qui en est affectée.
J'aimerais aussi entendre vos commentaires sur ce qu'on pourrait appeler « l'effet cumulatif ».
Hier, il y a eu une belle manifestation au Saguenay—Lac‑Saint‑Jean. On a souligné l'épineux problème du caribou, mais il y a aussi celui des tarifs. Le secteur forestier vit une conjoncture qui lui est fortement défavorable, et je suis sûr que vous pouvez nous donner davantage d'informations là-dessus.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie tout le monde d'être présent aujourd'hui dans le cadre de cette importante étude.
Je pense que nous avons tous la même préoccupation, celle de préserver de bons emplois et la vitalité des régions, de sauver des villages et d'éviter des fermetures. C'est une préoccupation centrale. En même temps, la menace qui pèse sur la sous-espèce du caribou forestier est réelle. Depuis longtemps, elle est documentée et on promet des stratégies.
Je pense que nous devons tous avoir un sentiment d'urgence au sujet du caribou, qui n'est pas à la table pour exprimer ce qu'il vit et comment il se sent. J'ai bien aimé ce que disait le chef Martin Dufour au sujet d'équilibre entre ce sentiment d'urgence envers l'espèce et la nécessité de se soucier du développement économique et de protéger les emplois. D'ailleurs, j'aimerais lui poser une question là-dessus.
J'ai lu récemment beaucoup de biologistes, qui disaient que l'espèce du caribou était un indicateur de la santé d'une forêt et de l'équilibre de son écosystème.
Que signifierait la disparition potentielle du caribou forestier pour la santé de nos forêts?
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Nous en avons déjà discuté de notre côté et j'ai entendu des scientifiques à ce sujet. On pourrait demander une étude sur la santé de notre forêt boréale, parce qu'il n'y a pas que le caribou qui y vit. Il y a d'autres espèces qui migrent et qui vivent dans des forêts matures. J'aimerais vraiment en savoir davantage sur la santé de notre forêt boréale et non seulement sur le caribou. Ce sont des scientifiques qui l'ont demandé. Je ne me rappelle pas qui c'était, je m'en excuse, mais ce serait important qu'il y ait quelque chose de tangible, une étude ou une concertation entre différents ministères pour qu'on sache jusqu'à quand on aura du bois et jusqu'où on peut aller pour préserver les emplois.
Ici, notre devise est Pour nos pères et nos enfants. Tout ce que nous faisons, à Essipit, vise à maintenir une bonne qualité de vie pour nos aînés et à en transmettre une à nos enfants. Je veux que mon enfant soit capable, un jour, de travailler dans le domaine forestier, mais également d'aller chasser le caribou. C'est ce que je voudrais, idéalement. Est-ce que ce sera possible? Ce n'est pas moi qui vais en décider.
Il faudrait vraiment qu'on sache où on s'en va, comme je le disais tantôt, qu'on arrête de conduire avec le nez dans le pare-brise et qu'on essaie de voir plus loin. Je suis convaincu qu'il y a des gens assez intelligents au Canada, au Québec et au sein de nos Premières Nations pour le faire.
Effectivement, le premier message que j'aurais tendance à transmettre aujourd'hui, c'est qu'on a beaucoup entendu les Premières Nations et l'industrie, mais pas les scientifiques. Des scientifiques de renom au Québec pourraient certainement vous en parler encore plus que moi, même si je suis biologiste.
Grosso modo, le rajeunissement de la forêt et l'ouverture du territoire amènent les prédateurs du caribou, dont le loup et l'ours. Cela a une incidence sur sa survie, puisqu'il devient plus vulnérable. L'ouverture du territoire et le rajeunissement de la forêt amènent l'orignal et les prédateurs. Or le loup ne fait pas la différence entre un caribou et un orignal, au bout du compte.
Voilà la réponse que je peux vous donner sur le plan biologique, mais des scientifiques pourraient vous éclairer davantage à cet égard.
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D'accord. Je voyais l'image sur le drapeau se trouvant derrière vous.
Vous avez abordé la question des scientifiques et, tout à l'heure, M. Ross a parlé des prédateurs.
En début de semaine, ici, au Comité, des témoins sont venus nous rappeler ce qui s'était passé en Colombie‑Britannique, il y a une quinzaine d'années, alors que la situation était à peu près la même. On avait autorisé la chasse aux prédateurs du caribou. Dans ce cas, c'était le loup. Nous avons interrogé les gens là-dessus, entre autres le chef de l'Assemblée des Premières Nations Québec‑Labrador, Ghislain Picard, que vous connaissez très bien d'ailleurs. Il a dit qu'il était ouvert à cette proposition.
Comme le disait tout à l'heure M. Boulerice, en tant qu'Innu, vous êtes engagé dans l'écosystème et le système économique de la situation que vous vivez actuellement. Croyez-vous que l'idée de permettre la chasse aux prédateurs, comme le loup, par exemple, pourrait avoir un effet concret? Dans le cas de la Colombie‑Britannique, il est important de dire qu'en moins de deux ans, on a augmenté le cheptel de plus de 52 %.
Qu'en pensez-vous?
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Cela démontre qu'il n'y a pas de solution magique, que chaque solution amène son défi et qu'il y a aussi des pistes de solutions.
Pour les gens de votre nation, cette situation, telle que vous la vivez dans votre territoire, peut être porteuse. Vous pouvez vous inspirer de la situation qui s'est passée en Colombie‑Britannique, il y a une quinzaine d'années, où on a augmenté de façon substantielle le cheptel. Cela pourrait être une avenue à explorer davantage. Je voulais plus faire un commentaire, mais cela résume bien votre propos.
Monsieur Deschênes, de Granulco, vous avez dit, tout à l'heure, que ce que vous faites actuellement était bon pour l'environnement, parce que, justement, les granules en vrac sont une solution pour remplacer le charbon, qu'on utilise trop souvent en Europe, entre autres.
Pouvez-vous nous expliquer davantage comment votre industrie, qui occupe le territoire en y exploitant les matières premières, peut être très positive pour l'environnement?
:
Oui. D'ailleurs, nous sommes également arrivés à ce point en ce qui concerne le saumon, que nous avons aussi arrêté de récolter.
Quand il y a eu un déclin important de la population de l'espèce sur notre territoire, il nous a été facile de dire qu'il fallait arrêter la chasse, parce que la continuer serait allé à l'encontre de nos principes. Heureusement, une entente entre la nation innue au complet et les Cris nous permet d'aller en territoire cri pour chasser des bêtes et conserver un certain lien, qu'on avait perdu à Essipit. Il faut le dire: avec tout ce qui est arrivé, le caribou s'est déplacé, ce qui fait que le lien avait presque disparu dans notre nation. Cette entente nous a permis de le retrouver. Je remercie nos frères Cris, qui nous le permettent. Ces chasses sont communautaires et toutes les nations innues ont droit à un certain nombre de caribous. L'année passée, nous avons été obligés de réduire le nombre de caribous chassés en raison des feux de forêt qui ont eu lieu là-bas. Toutefois, grâce à cette entente, nous pouvons réintroduire, au fil du temps, l'aspect emblématique que cet animal avait pour notre communauté. Il faut dire que le caribou n'a pas disparu de notre Nitassinan, mais il y a très peu de bêtes. Sur notre Nitassinan, nous ne l'avons jamais vraiment chassé.
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Merci, monsieur le président.
Chef Dufour, dans votre déclaration liminaire, vous avez mentionné qu'une concertation devrait avoir lieu de nation à nation ou entre le Québec et le gouvernement canadien ainsi que les Premières Nations. Qui sait, certaines entreprises pourraient s'y ajouter. Je vous parle de cela, parce que je sais que la question du caribou est difficile à résoudre.
Comment peut-on trouver un compromis entre la protection de l'espèce et les intérêts de l'industrie forestière? Il n'y aura pas de solution magique. Cependant, je pense qu'il serait sage de mettre la rédaction du décret sur pause et de laisser place à une concertation entre les Premières Nations, le gouvernement du Québec, les industries et le gouvernement du Canada. Êtes-vous d'accord sur cela?
Avant de terminer, j'aimerais poser la même question à M. Baillargeon. Serait-il d'accord sur une forme de concertation avant la rédaction du décret? Cela permettrait peut-être de trouver des pistes de solution.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Monsieur Deschênes, je suis heureuse de vous poser d'autres questions.
Je trouve que la discussion est vraiment intéressante, et des solutions ont été apportées. Je trouve rafraîchissant de voir que les conservateurs souhaitent agir pour réduire la pollution par le carbone. Il est agréable de savoir que nous sommes du même avis, à savoir que l'économie et l'environnement doivent bien fonctionner, afin que les régions puissent continuer à prospérer.
Monsieur Deschênes, pouvez-vous nous parler du fonctionnement de votre entreprise? Vous avez dit que vous mettiez en place des mesures pour vous assurer de protéger l'environnement et le caribou. Avez-vous fait des études à cet égard? Une équipe vous propose-t-elle d'adopter une approche particulière ou de développer des services?
J'aimerais que vous nous en parliez un peu.
:
Nous reprenons la séance.
Nous accueillons quatre nouveaux témoins.
La Société pour la nature et les parcs du Canada est représentée par M. Alain Branchaud, le directeur général de la section québécoise. Nature Québec est représentée par Mme Alice‑Anne Simard. Litière Royal inc. est représentée par Eric Fortin, président. C'est Mme Caroline Lavoie, ingénieure forestière, qui va prendre la parole au nom des Scieries Lac‑Saint‑Jean inc.
Sans plus tarder, nous allons entendre la première présentation.
Monsieur Branchaud, vous disposez de cinq minutes.
:
Merci, monsieur le président.
J'offre mes salutations distinguées à tous les membres du Comité permanent, ainsi qu'aux autres témoins.
Je m'appelle Alain Branchaud et je suis biologiste et directeur général de la section québécoise de la Société pour la nature et les parcs du Canada, la SNAP Québec. J'ai également travaillé pendant une dizaine d'années au programme Espèces en péril d'Environnement Canada, plus particulièrement à la protection des habitats essentiels.
Notre organisation a pour mission principale la protection du territoire en terre publique et la protection de la biodiversité, notamment celle des espèces en péril telles que le caribou.
En 2023, le avait recommandé au gouverneur en conseil la prise d'un décret en vertu de l'article 61 de la Loi sur les espèces en péril, afin de protéger toutes les parties de l'habitat essentiel de la population boréale du caribou situées au Québec et en Ontario. Le gouverneur en conseil avait refusé la recommandation du ministre. Selon nous, c'était une bonne décision de la part du gouverneur en conseil. Les répercussions politiques et économiques qu'aurait entraînées un tel décret auraient davantage nui à la protection du caribou et, ultimement, à la Loi sur les espèces en péril.
En 2024, le ministre de l'Environnement et du Changement climatique du Canada est revenu à la charge et a recommandé au gouverneur en conseil la prise d'un décret d'urgence en vertu de l'article 80 de la Loi sur les espèces en péril afin de protéger trois populations de caribou au Québec. Le gouverneur en conseil a cette fois-ci donné suite positivement à la recommandation du ministre. Encore une fois, il s'agit, selon nous, d'une bonne décision du gouverneur en conseil.
Le décret d'urgence proposé par le gouvernement canadien est justifié et mesuré. D'abord et avant tout, il est justifié d'un point de vue scientifique. Pour les trois populations ciblées, le taux de perturbation des habitats est critique. Les tendances démographiques indiquent un déclin important au cours des dernières années et les activités reconnues comme étant des menaces à la survie et au rétablissement de l'espèce continuent de s'opérer sur le terrain.
Le décret est également justifié d'un point de vue bioculturel. Le caribou est une espèce d'une grande importance culturelle et spirituelle pour plusieurs communautés autochtones. Assurer son rétablissement est essentiel au maintien de la culture, du mode de vie et des pratiques traditionnelles de ces communautés.
Le décret est également justifié d'un point de vue légal. Avant d'intervenir à l'extérieur du territoire domanial, le gouvernement fédéral doit s'assurer qu'il agit en complémentarité des autres lois fédérales et provinciales en vigueur dans des secteurs où une province ou un territoire ne remplit pas adéquatement son rôle de fiduciaire de la protection de l'espèce. Pour un décret d'urgence, il doit s'assurer qu'il y a une menace imminente à la survie ou au rétablissement de l'espèce. Ces trois conditions sont respectées dans le dossier qui nous concerne.
Enfin, le décret est mesuré dans sa portée, ne visant que trois des quinze populations de caribou au Québec, ainsi qu'une petite proportion de l'habitat essentiel désigné. Les répercussions socioéconomiques anticipées sont certes localement importantes, mais limitées sur l'ensemble du secteur forestier au Québec. Des solutions existent pour assurer une transition juste et un accompagnement des communautés qui seront touchées.
Il est important de souligner que la stratégie pour la protection du caribou partielle présentée par le Québec le 30 avril dernier a beaucoup de potentiel et pourrait, moyennant d'importants ajustements, contribuer de manière importante au rétablissement de l'espèce au Québec. Malheureusement, Québec n'a toujours pas présenté d'échéancier clair pour sa mise en œuvre. Devant l'urgence d'agir pour les trois populations ciblées par le décret, il est pleinement justifié et nécessaire que le gouvernement fédéral adopte ce décret d'urgence. Lors du dépôt de la stratégie pour la protection du caribou par le Québec, la SNAP avait d'ailleurs interpellé de nouveau le ministre fédéral pour qu'il intervienne rapidement pour protéger les populations au bord du gouffre, notamment celles du Pipmuakan.
Afin de faciliter une transition juste pour les communautés touchées par le décret, nous recommandons au gouvernement canadien de dévoiler son jeu et d'accélérer les négociations pour un accord sur la nature avec le Québec, comme il l'a fait pour la Nouvelle‑Écosse, le Yukon et la Colombie‑Britannique. Cet éventuel accord permettrait de mettre rapidement l'ensemble des parties intéressées en mode solution.
La population boréale du caribou se retrouve dans plusieurs autres territoires au Canada. Il serait inapproprié de conclure par cette intervention fédérale que le Québec s'en tire moins bien que tous les autres territoires ou provinces. Sur la base des rapports publiés en vertu de l'article 63 de la Loi sur les espèces en péril, le gouvernement fédéral a toutes les informations en main pour justifier des interventions ciblées ailleurs au Canada, là où d'autres populations de caribous sont au bord du gouffre.
La SNAP Québec déposera sous peu un mémoire dans le cadre des consultations sur le décret d'urgence afin d'appuyer son adoption et fera des recommandations ciblées pour améliorer sa portée.
Je vous remercie de votre écoute.
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Merci, monsieur le président.
Mesdames et messieurs, membres du comité, bonjour.
Je vous remercie d'avoir invité Nature Québec à témoigner aujourd'hui.
Nature Québec est une organisation environnementale sans but lucratif qui œuvre à la conservation des milieux naturels et à l'utilisation durable des ressources depuis 1981. Notre équipe de 30 professionnels est appuyée par un réseau de scientifiques bénévoles et elle regroupe plus de 145 000 membres et sympathisants. Je suis la directrice générale de l'organisme depuis 2019. Je suis biologiste et je détiens une maîtrise en biologie sur le caribou.
Nature Québec appuie le décret d'urgence étudié par ce comité devant l'inaction du gouvernement du Québec pour protéger adéquatement l'habitat des troupeaux de caribou alors qu'ils sont au seuil de l'extinction, à la suite du renvoi aux calendes grecques de la stratégie globale pour la protection du caribou promise depuis 2016, et devant les préoccupations grandissantes des nations autochtones qui risquent de perdre leur identité, leur culture, leurs activités traditionnelles et leurs droits ancestraux si le caribou disparaît. Le gouvernement fédéral, selon nous, a non seulement la légitimité d'ordonner un tel décret, mais il a aussi l'obligation légale et morale de le faire. Québec a joué à un jeu dangereux et a ouvert la porte toute grande à ce décret.
Chez Nature Québec, nous nous assurons que chacune de nos prises de position et de nos recommandations est basée sur la science. Or, dans le dossier du caribou, la science ne peut pas être plus claire. Il existe un consensus scientifique sur le fait que les troupeaux de caribou forestier déclinent et il y a un consensus scientifique sur les causes de ce déclin. C'est principalement l'exploitation forestière et le réseau de chemins forestiers qui entraînent une perturbation de l'habitat et une prédation accrue. Ces faits ont d'ailleurs été corroborés en 2021 dans une revue de littérature produite par des fonctionnaires-biologistes du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs du gouvernement du Québec.
On tenait d'emblée à faire ce rappel sur le consensus scientifique, parce qu'on a malheureusement entendu des témoins à ce comité remettre en question ce consensus et faire des affirmations totalement erronées sur l'état des troupeaux de caribou et sur les causes de leur déclin. Comme le chef de la nation innue d'Essipit, on déplore aussi qu'aucun scientifique ayant étudié le caribou n'ait été entendu par ce comité. Si le Comité veut savoir si les troupeaux déclinent réellement et si c'est vrai que les coupes forestières ont un effet sur le caribou, c'est à des scientifiques qu'il faut le demander, et non à des représentants de l'industrie forestière.
Chez Nature Québec, nous comprenons, bien sûr, les préoccupations de l'industrie forestière et, surtout, des communautés qui dépendent économiquement de la forêt. Nous sommes particulièrement solidaires des habitants de Sacré‑Cœur, qui vivent beaucoup d'anxiété en ce moment. Nous tenons à préciser, cependant, qu'on n'est pas dans une situation où soit on perd le caribou, soit on perd Sacré‑Cœur, voire toute l'industrie forestière du Québec, comme certains témoins l'ont laissé entendre. C'est un faux dilemme. Nous sommes d'avis que le gouvernement du Québec fait tout en son pouvoir, en ce moment, pour maintenir ce faux dilemme et pour inquiéter la population en cachant les solutions.
Les solutions pour limiter l'impact socioéconomique du décret existent, et le gouvernement du Québec les connaît depuis longtemps. En 2016, le gouvernement du Québec a présenté son plan d'action pour l'aménagement de l'habitat du caribou forestier. Dans un document synthèse, communément appelé un « napperon », qu'on pourra vous transmettre par la suite, le gouvernement du Québec avait annoncé qu'il allait analyser les conséquences socioéconomiques de son plan d'action. C'est dans ce napperon que le gouvernement annonçait pour la première fois qu'il allait adopter une stratégie pour la protection du caribou, qu'on attend depuis huit ans. Surtout, c'est dans ce napperon que le gouvernement du Québec a annoncé qu'il allait réaliser un examen systématique d'autres sources d'approvisionnement en bois lorsque des conséquences sur la possibilité forestière sont inévitables. Je cite le document:
En vue d’atténuer les baisses d’approvisionnement pour les usines touchées, toutes les options de rechange seront systématiquement évaluées: stratégie de production de bois, concept de rendement durable, délimitation appropriée des unités d’aménagement (UA), mobilisation du bois en forêt privée, mouvement de bois, utilisation des volumes non récoltés (2008‑2013) pour atténuer les impacts, etc.
Non seulement le Québec n'a pas effectué ces analyses, mais il cache maintenant ces solutions. La première étape pour limiter l'impact socioéconomique du décret est d'effectuer une analyse sur l'approvisionnement de chaque usine. Le ministère des Ressources naturelles et des Forêts cache actuellement cette information. Ensuite, des mesures peuvent être mises en place pour compenser cet impact. Le gouvernement du Québec les connaît, et lui seul peut les mettre en place. Ainsi, en ne présentant pas ces solutions, en présentant des chiffres exagérés sur de potentielles pertes d'emplois, en utilisant une grossière règle approximative pour estimer les conséquences, le gouvernement du Québec enflamme le débat, encourage la désinformation et engendre un stress inutile chez les travailleurs et les communautés qui dépendent de la forêt. On comprend que certains membres du Comité souhaitent protéger les compétences provinciales, mais il ne faut pas protéger aveuglément l'incompétence du Québec et son manque de leadership dans le dossier du caribou et de l'aménagement durable des forêts.
Merci.
Je vous remercie sincèrement de me donner l'occasion de prendre la parole aujourd'hui.
Je m'appelle Eric Fortin, et je suis le président de Litière Royal inc., une compagnie que nous avons fondée en 1996. L'entreprise a pour mission de fabriquer et de distribuer de la litière pour animaux en Amérique du Nord. Annuellement, nous en fournissons pour plus de 12 000 chevaux. Au fil des ans, nous avons vendu plus de 50 millions de sacs de litière à divers clients prestigieux, comme la GRC. Nous possédons trois usines, dont deux sont situées aux États‑Unis; une troisième, Ripco, est établie depuis 2001 à Sacré‑Cœur, sur la Côte‑Nord, en partenariat avec le groupe Boisaco.
Ripco est une usine de deuxième transformation qui récupère la ripe de bois issue du planeur de Boisaco. Cette ripe n'était pas valorisée auparavant. L'approvisionnement de notre matière provient à 95 % de l'usine de Boisaco et 45 % de notre production sont destinés à l'exportation.
Au fil des ans, nous avons investi plusieurs millions de dollars, dont plus de 2 millions de dollars depuis trois ans, pour nous assurer que l'usine est à la fine pointe de la technologie. Nous faisons donc partie de l'écosystème économique de la filiale du bois de la Côte‑Nord, et particulièrement du giron de Boisaco.
Or la récente décision du gouvernement fédéral d'imposer un décret sur le caribou a engendré une anxiété palpable parmi nos travailleurs et a créé un climat de peur. Ce décret entraîne une incertitude qui paralyse nos projets et nos investissements. D'après ce que j'ai compris, le gouvernement fédéral propose de protéger environ 1 million d'hectares dans le secteur du Pipmuacan, ce qui est équivalent à 20 fois l'île de Montréal.
Dans le cas de Boisaco, la récolte se fait actuellement sur environ 4 000 hectares annuellement, soit 0,4 % de ce territoire. Briser une communauté entière en la privant de son territoire pour protéger l'écotype forestier du caribou des bois est une solution extrême. Si Boisaco devait fermer ses portes en raison d'une rupture de son approvisionnement en bois, cela signerait l'arrêt de mort de Ripco également. Litière Royal serait également gravement touchée. Les conséquences seraient dévastatrices, non seulement pour ce qui est des pertes d'emplois, mais aussi pour les familles touchées qui dépendent de ces emplois pour leur survie.
Il est crucial de tenir compte de l'impact social et économique de l'imposition d'un tel décret sur la vie des travailleurs et des entreprises. Il est farfelu de croire que les pertes d'emplois et d'entreprises seront facilement remplacées, alors qu'un écosystème comme celui du groupe Boisaco sur la Côte‑Nord a été bâti sur quatre décennies par les citoyens de la région. C'est une région qui a d'ailleurs une très faible diversité industrielle. J'imagine mal Jean, notre opérateur de presse depuis des années, se reconvertir en guide touristique saisonnier à quelques années de sa retraite.
J'ai écouté différents extraits du Comité, lundi dernier, et la grande majorité des intervenants de toutes les allégeances politiques privilégient la collaboration. Par contre, les mots « imposition d'un décret », que j'ai entendus, ne sont pas synonymes de « collaboration ». J'ai peine à comprendre l'urgence d'imposer un tel décret à la suite de consultations menées en période estivale pour régler un dossier en évolution depuis des décennies.
Peu importe l'intention ou l'objectif, cette manière de procéder cause des dommages aux humains et aux entreprises et attise des tensions dans la communauté. Il est du devoir des deux ordres de gouvernement de réunir tous les acteurs pour trouver une solution qui préservera les emplois, tout en protégeant l'écotype forestier du caribou des bois.
Rappelons que les entreprises qui œuvrent dans le domaine de la transformation du bois ont toujours exprimé leur volonté de trouver des solutions concertées et adaptées pour la protection du caribou forestier dans un esprit de développement durable, qui permet aussi l'épanouissement des communautés forestières.
N'est-il pas plus constructif de travailler dans cet esprit que de risquer d'aboutir à un débat juridique entre deux ordres de gouvernement?
Les entrepreneurs ont besoin de la collaboration de nos gouvernements, et non de les combattre pour que la société prospère. N'oublions pas que les entreprises touchées par ce décret jouent un rôle crucial dans la création de richesse, dans l'innovation et dans la création d'emplois, et qu'elles contribuent ainsi au bien-être général de notre communauté.
Nous savons tous que l'élimination d'emplois qui conduit à la misère et à la pauvreté a des conséquences extrêmement néfastes pour les humains. Une étude publiée en 2012 dans la revue Psychiatry Research indique qu'une personne sans emploi court 16 fois plus de risques de se suicider.
Si on compte 2 000 pertes d'emploi, on peut estimer une possibilité de cinq suicides. C'est sans compter les répercussions sociales et économiques de la détresse psychologique générée par les pertes d'emploi. Affirmer que la situation du caribou forestier n'a aucune importance n'est pas souhaitable, mais est-il acceptable de vouloir sacrifier des emplois, anéantir des familles, des communautés et des entreprises?
J'ai en tête les êtres humains de mes entreprises, comme notre directeur adjoint, Marc‑André, qui subvient au besoin de ses cinq jeunes enfants. Ces gens comptent tous sur leur emploi. En tant que société, il est essentiel de vouloir préserver la biodiversité, mais le bien-être des individus doit rester une priorité essentielle de nos gouvernements.
Le dialogue et la coopération sont primordiaux pour construire une société où l'épanouissement des communautés et la protection de l'environnement vont de pair.
J'espère que ma voix et celle de tous les électeurs seront entendues dans vos réflexions.
Je vous remercie de votre écoute.
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Mesdames et messieurs, bonjour.
D'entrée de jeu, je tiens à remercier le Comité de nous permettre de nous exprimer au sujet du décret d'urgence fédéral pour la protection du caribou forestier.
Je me présente: je m'appelle Caroline Lavoie, et je suis ingénieure forestière. Aujourd'hui, je parle au nom de Scieries Lac‑Saint‑Jean et du Groupe Lignarex, tous deux membres de la Coopérative forestière Ferland‑Boilleau, et au nom de la Scierie Martel.
Nos entreprises ont toutes la même particularité, celle d'avoir été implantées au Saguenay—Lac‑Saint‑Jean par des familles ou des groupes de travailleurs d'ici. Ces pionniers n'ont pas chômé, puisqu'ils ont développé non seulement leurs entreprises, mais aussi leur communauté. Ils ont permis de vitaliser leur milieu et ils ont permis à des centaines de familles de s'installer et de vivre en région. Comme le dit l'adage, il faut savoir d'où l'on vient pour savoir où l'on va. Je vais tenter de m'assurer qu'on n'oublie pas d'où l'on vient.
L'industrie forestière a permis de bâtir un Québec fort et riche. Elle assure aussi des revenus considérables au gouvernement, afin qu'il développe et maintienne ses programmes sociaux. La filière forestière est loin d'être archaïque. On a su s'adapter, se moderniser, optimiser l'utilisation de la ressource et devenir un joueur de taille dans l'atteinte de la carboneutralité visée par le Canada.
La filière forestière assure aussi la mise en marché de produits du bois qui sont parmi les plus écologiques au monde, qui permettront éventuellement d'éliminer les plastiques à usage unique et d'éviter l'utilisation de produits de substitution qui présentent une plus forte empreinte carbone. En plus de tout cela, ces produits proviennent de territoires certifiés selon des normes d'aménagement forestier durable reconnues mondialement.
La filière forestière est un parfait exemple de développement durable. Nous récoltons des arbres dans des forêts qui ont été récoltées une fois, parfois même deux, par le passé. On parle d'aluminium vert et d'acier vert. Comment a-t-on pu oublier que rien n'est plus vert que la forêt?
MM. Gilbert, St‑Gelais et Verreault vous ont entretenus des zones provisoires de Pipmuacan et de Val‑d'Or. Pour ma part, je vais me concentrer sur la zone provisoire de Charlevoix, parce qu'elle touche beaucoup nos territoires historiques d'intervention. Rappelons que la harde de Charlevoix a disparu en 1920 et qu'elle a fait l'objet d'une réintroduction de 82 individus au début des années 1970. En février 2022, les 21 individus qui constituaient alors la harde ont été capturés et mis en enclos. Aujourd'hui, la harde compte 31 bêtes. La zone provisoire qui est visée pour la harde de Charlevoix couvre près de 3 000 kilomètres carrés, auxquels s'ajoutent des territoires protégés adjacents, de l'ordre de 1 608 kilomètres carrés, pour un total de 4 608 kilomètres carrés. C'est l'équivalent de 12 fois l'île de Montréal. Je rappelle que les individus sont aujourd'hui au nombre de 31, ce qui représenterait une densité approximative de 0,8 caribou dans la métropole.
Nous ne réfutons pas la nécessité de protéger le caribou au Québec, loin de là. Depuis 2003, le gouvernement provincial, en partenariat avec l'industrie, les Premières Nations et d'autres intervenants, s'est mobilisé pour en assurer le rétablissement. J'ai moi-même participé à tous les processus que le gouvernement nous a proposés afin de développer, de concert avec les Premières Nations, une stratégie d'aménagement pour la protection de l'habitat du caribou qui respecte l'équilibre du développement durable.
L'article 80 de la Loi sur les espèces en péril permet d'imposer le décret d'urgence si le ministre estime que l'espèce est exposée à des menaces imminentes. Nous estimons que, pour la harde de Charlevoix, cela ne correspond pas aux critères justifiant l'imposition d'un tel décret. Il y a deux raisons à cela: premièrement, des mesures équivalentes, voire supérieures, sont actuellement proposées dans le projet pilote déposé le 30 avril dernier par Québec; deuxièmement, la mise en enclos des 31 individus de la harde les soustrait, dans l'immédiat, à toute menace imminente. Pour ces raisons, nous croyons qu'il serait légitime que le gouvernement fédéral modifie son décret pour en retirer complètement la zone provisoire à l'intérieur de l'aire de répartition du caribou boréal de Charlevoix.
L'application du décret dans son intégralité viendrait retirer près de 17 % du territoire d'approvisionnement de nos entreprises, ce qui entraînerait irrévocablement des fermetures définitives et des pertes estimées de près de 1 500 emplois, parmi lesquels figure le mien.
Je vais terminer mon allocution en faisant deux demandes au Comité permanent de l'environnement et du développement durable. Je vous demande de vous rappeler d'où l'on vient et de considérer à sa juste valeur la filière forestière, afin de lui permettre de perpétuer son apport incommensurable dans les trois piliers du développement durable du Québec. Je vous demande aussi de vous en remettre au gouvernement provincial, doté des compétences pour la gestion de la faune et des forêts, afin de développer des stratégies adéquates qui permettent de protéger à la fois les caribous forestiers et la filière forestière.
Merci.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je souhaite la bienvenue à tous nos témoins.
Les discussions d'aujourd'hui sont très intéressantes, mais celles de la semaine dernière l'étaient aussi. Je pense qu'il y a des consensus qui émergent. Je pense que tous les acteurs, y compris ceux de la foresterie, seront d'accord pour dire qu'il n'y a pas d'économie sans environnement. L'économie ne se bâtit pas dans les airs, cela requiert un environnement solide.
La disparition potentielle du caribou est un signe du déclin de la santé de nos forêts. Il ne semble pas y avoir vraiment de dissidence à ce sujet. Dans ma circonscription, Pontiac, il y a de belles industries forestières. L'industrie a évolué, et elle adopte des pratiques durables autant pour la production que pour l'exportation. Les consommateurs demandent de plus en plus des pratiques durables, et l'industrie s'est adaptée.
Cependant, il ne faut pas se leurrer non plus; c'est la responsabilité des gouvernements que de protéger l'environnement, non seulement pour nous, pour les emplois d'aujourd'hui, mais aussi pour ceux de demain. J'entendais tout à l'heure le chef Dufour nous dire qu'il souhaitait que ses enfants puissent continuer à travailler dans le secteur forestier. C'est donc la responsabilité des gouvernements de fixer des objectifs clairs. Or, quand on parle du déclin du caribou, on parle du déclin de la forêt et de l'industrie forestière à long terme.
Il est donc important qu'il y ait un consensus de tous les acteurs à cet égard. Nous devons travailler ensemble. Il faut un consensus pour trouver des solutions. Nous avons dit publiquement que, dès que le Québec adoptera des mesures appropriées et énoncera son plan stratégique pour protéger l'environnement du caribou, pour protéger nos forêts et notre avenir, nous n'aurons plus besoin du décret.
J'aimerais d'abord m'adresser à M. Branchaud.
Depuis quand demandez-vous au gouvernement du Québec d'en faire plus pour le caribou?
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Je tiens à préciser que ce tiers inclut aussi le secteur Pipmuacan, qui fait partiellement partie de notre territoire d'approvisionnement.
Pour ce qui est des conséquences, il est certain que nous ne serons pas capables de maintenir nos activités avec un tiers du territoire en moins. Comme Mme Simard vient de le dire, le décret fédéral actuel est complètement à côté du scénario qui avait été proposé par le gouvernement provincial. Lors de l'implantation des mesures intérimaires prises par celui-ci lorsqu'on a mis un moratoire sur le territoire, en 2019, nous avons perdu 3 000 hectares dans notre planification. Le décret viendrait retirer une autre superficie de 3 000 hectares, même 3 800 hectares, chez nous.
Comme vous le savez, la région de Saguenay—Lac‑Saint‑Jean est touchée par l'épidémie de la tordeuse des bourgeons de l'épinette. C'est un autre défi rencontré par l'industrie. Nous pouvons donc seulement aller chercher 50 % de nos approvisionnements dans ce qu'on appelle le bois vert. Or le décret vise tous les secteurs de bois vert. Pour nous, il s'agit de l'équivalent de quatre ans de récolte planifiée, harmonisée et autorisée par le ministère qui s'envole. C'est vraiment considérable. On parle toujours de prévisibilité pour l'industrie forestière et ses partenaires; nous venons de perdre la prévisibilité quant aux cinq prochaines années pour assurer l'approvisionnement de notre industrie.
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Pour le moment, tout le monde a évidemment fait un pas de recul.
Nous venons d'être acquis par la Coopérative forestière Ferland‑Boilleau, qui a vraiment des visions stratégiques et qui envisage des synergies intéressantes. Par contre, pour ce qui est des carnets de commandes relatifs aux nouveaux équipements dans les scieries, comme les séchoirs ou le rabotage, tout est au ralenti, parce qu'on ne sait pas à quoi s'attendre dans l'avenir.
Tout à l'heure, j'entendais des solutions de rechange, soit le bois de la forêt privée, le bois aux enchères et le bois non récolté. Dans la région de Saguenay—Lac‑Saint‑Jean, ces choses sont déjà prises en compte. Des efforts extrêmes sont déjà déployés pour essayer d'approvisionner les usines, mais nos garanties d'approvisionnement, nos volumes en forêt privée et nos volumes au bureau de mise aux enchères ne comblent même pas nos besoins d'usines. La pression est donc encore plus forte sur le bois aux enchères. Pour des entreprises comme celles que je représente, c'est-à-dire les PME, cela veut dire que nous devons lutter sur des marchés avec des scieries beaucoup plus importantes. Nous avons donc toujours de la difficulté à tirer notre épingle du jeu. Cela nous rend très à risque, très vulnérables. Les banquiers sont ce qu'ils sont: ils ne prêteront pas d'argent à des entreprises vulnérables.
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On n'arrivera pas à atteindre ses objectifs, tout simplement. On n'arrivera pas à remplir son obligation légale de protéger les espèces menacées, les espèces en péril. Tant le gouvernement du Québec que celui du fédéral ont cette obligation légale, et ils ont une possibilité...
J'aimerais approfondir un peu ce que je disais tout à l'heure. Pour Charlevoix, particulièrement, il est possible de trouver des solutions et d'éviter une accumulation des répercussions sur des entreprises comme celle de Mme Lavoie. Par exemple, il y a la possibilité d'adopter le scénario proposé par Québec, qui part d'un consensus dans la région et qui a été recommandé par la Commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards.
Dans ce cas-ci en particulier, il est possible de limiter grandement toutes les répercussions qui créent de l'anxiété présentement pour l'entreprise de Mme Lavoie. Il faut seulement se tourner vers ces solutions. Évidemment, présentement, tous les chercheurs qui travaillent collectivement nous disent qu'il faut agir rapidement. Sinon, on va passer complètement à côté des objectifs. Le gouvernement du Québec a eu amplement le temps d'agir.
D'ailleurs, en août 2022, il a signé un communiqué de presse conjoint avec le gouvernement du Canada, dans lequel il affirmait qu'il avait la volonté de tendre vers la protection de l'ensemble des troupeaux du Québec. Depuis, cette annonce est restée lettre morte.
Bref, il faut agir maintenant.
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Je vous remercie, monsieur le président.
[Français]
Je suis désolé, mais, comme mon français n'est pas encore assez bon, je vais parler en anglais.
[Traduction]
J'aimerais revenir sur certaines des préoccupations que nous avons entendues ici concernant le manque de données scientifiques. Je commencerai par le fait que le et ses hauts fonctionnaires persistent à refuser de comparaître devant le Comité pour expliquer l'ensemble de la logique qui sous-tend le décret destructeur d'emplois qu'ils ont promulgué. Lorsque des témoins de l'industrie viennent ici et disent qu'ils vont devoir cesser leurs activités ou réduire leurs effectifs, je les crois. Je ne pense pas que le gouvernement devrait avoir l'arrogance de dire que nous ne les croyons pas et de mettre nos communautés entières en danger.
Dans le cadre des travaux du Comité de l'environnement, j'aimerais me pencher sur les preuves concrètes du fonctionnement de ce décret.
Madame Simard, je pense que vous avez les connaissances les plus appropriées, alors je vais commencer par vous en ce qui concerne la science du caribou. J'espère que vous pourrez me donner une réponse assez rapide. Quel serait le délai nécessaire pour qu'une forêt passe d'un état perturbé à un état non perturbé? Supposons que nous bloquions toute exploitation forestière et toute activité. Combien de temps cela prendrait‑il, en années? Il s'agit forcément d'années. Pour autant que je sache, les arbres ne poussent pas assez vite pour que ce soit moins que des années.
Quand la situation sera-t-elle considérée comme résolue, de sorte que nous puissions obtenir la levée du décret et mettre en place une nouvelle stratégie?
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Je vous remercie. Je pense en effet qu'il est raisonnable de procéder à ce genre de consultations.
Nous devons faire preuve de beaucoup de rigueur, et j'ai donc pris le temps d'étudier les données scientifiques pertinentes. L'un des rapports les plus rigoureux que j'ai pu trouver provient d'Ecological Applications in the United States, qui cite que Serrouya et al, dans une étude de 2019, « ont synthétisé les résultats de plusieurs mesures de rétablissement appliquées au caribou des montagnes du Sud ». Bien qu'il s'agisse de la même espèce, il s'agit d'un écotype différent. Nous pouvons nous inspirer des exemples de la Colombie-Britannique et de l'Alberta pour les efforts de restauration qui ont été entrepris. Le rapport note la chose suivante: « Ils ont conclu que la réduction de la population de loups et les combinaisons de mesures multiples, telles que l'installation d'enclos de maternité, se sont avérées efficaces pour augmenter la croissance de la population de caribous ».
J'ai pris note du cas des Premières Nations de Saulteau, en Colombie-Britannique, qui participent à une stratégie plus large menée par des Autochtones pour surveiller les enclos de maternité à l'aide de fusils et éliminer les prédateurs au fur et à mesure qu'ils apparaissent. La population est ainsi passée de 36 à 135 individus en 2022.
Nous avons approuvé des décrets d'urgence. Nous avons également organisé des réunions d'urgence dont nous ne savons pas si elles seront consacrées à la consultation. Comme tout ce dossier est traité comme une urgence, il me semble que nous devrions nous attendre à obtenir des résultats concrets le plus rapidement possible. Les preuves semblent montrer que, dans l'ensemble, l'enclos et la réduction des prédateurs sont les moyens les plus imminents d'augmenter la population de caribous.
Nous devons par ailleurs nous pencher sur les implications à long terme. Le nombre de coyotes et de castors pourrait augmenter. Les loups pourraient trouver le moyen de modifier leur comportement pour éviter la réduction ou l'abattage de ces animaux, de sorte que ce n'est peut-être pas la solution à long terme. Il faudrait le faire à perpétuité. Toutefois, plutôt que de détruire des communautés, des industries forestières et des moyens de subsistance, ne serait‑il pas plus judicieux de prendre des mesures imminentes, qui ont un sens immédiat, qui mettront fin à la réduction, qui ont prouvé qu'elles mettaient fin à la réduction des populations de caribous et qui, en fait, l'augmenteront? C'est une mesure sur laquelle nous pouvons travailler avec le gouvernement compétent en matière de faune et de ressources naturelles, c'est-à‑dire le gouvernement provincial. Nous pouvons travailler avec l'industrie et trouver les forêts anciennes qu'il est logique de maintenir et de protéger. Ne serait‑ce pas là une approche raisonnable qui résoudrait une grande partie des problèmes liés à l'urgence innée à laquelle nous sommes confrontés?
J'aimerais d'abord entendre l'avis de Mme Simard, puis je vais céder la parole à d'autres intervenants.
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Merci, monsieur le président.
Je trouve cela très intéressant et je remercie encore les témoins de nous faire part de leur expérience, de leurs connaissances et, évidemment, de leurs opinions.
Si je comprends bien, la menace imminente du décret ne s'applique pas uniquement à la survie du caribou, mais à son rétablissement. Alors, si je comprends bien, il faut des plans adéquats de rétablissement qui permettraient d'atteindre l'autosuffisance de ces hardes de caribous. J'espère que les témoins pourront confirmer ce que je pense lorsque je poserai des questions.
Madame Lavoie, vous avez mentionné que le plan régional proposé par Québec serait adéquat. Par contre, selon ce que je comprends, ce plan est encore à l'étude. Reconnaissez-vous que Québec doit annoncer son plan définitif pour que le gouvernement canadien puisse reconnaître qu'il est adéquat?
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Présentement, le projet pilote est à l'étape des consultations, tout comme le décret. Par contre, le projet pilote ne couvre pas encore l'ensemble des facteurs qui peuvent influencer les dynamiques des populations de caribou. Nous n'allons pas à l'encontre des articles scientifiques qui ont été produits — il y en a eu plusieurs. Cependant, on dirait que les articles scientifiques sur le caribou sont toujours basés uniquement sur les seuils de perturbation. Ainsi, la principale coupable, l'industrie forestière, est toujours mise sur la sellette.
Nous ne jouons pas à l'autruche. Nous savons que nous avons une influence sur l'habitat. Par contre, nous croyons que ce n'est pas la seule influence. Il y a la migration des espèces. Quand j'étais petite, au lac, il n'y avait pas de ratons laveurs ni de chevreuils. Maintenant, j'en ai dans ma cour et dans mon poulailler. C'est un facteur. Le prolongement de la saison des insectes piqueurs, qui affectent le niveau d'énergie du caribou, en est un autre. Je ne suis pas une scientifique, mais on pense que beaucoup de facteurs, actuellement, ont une influence sur les populations de caribou, mais ces facteurs ne sont pas pris en compte.
En ce qui a trait au principe de la cloche de verre, nous craignons que cela entraîne un scénario qui ne crée que des perdants: il ne permettrait pas d'atteindre le rétablissement des populations, et la filière forestière subirait des conséquences catastrophiques. Nous craignons de devoir payer le prix fort sans avoir, en contrepartie, la sauvegarde de l'espèce.
C'est la raison pour laquelle nous allons participer aux consultations sur le projet pilote. Il manque encore des éléments pour avoir une stratégie couvrant l'ensemble des facteurs qui influencent la dynamique des populations de caribou.
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Nous aussi, nous sommes disposés à en discuter. Voilà une preuve de flexibilité.
Bien sûr, notre objectif est que le gouvernement mette de côté son décret radical libéral. Par contre, nous voulons travailler ici, à ce comité, et tant qu'à y travailler, autant le faire avec des éléments pertinents. C'est d'ailleurs pour cela que nous avions proposé, dans notre liste de témoins à inviter, Boralex et Hydro‑Québec, des producteurs d'énergie verte. Nous voulions que ces gens puissent nous décrire l'impact du décret libéral pour le caribou forestier sur les énergies vertes, ce qui est exactement l'objectif de cette motion.
Par contre, plutôt que d'ajouter une journée, nous ajouterions des heures aux séances déjà prévues.
Monsieur le président, nous aimerions donc ajouter quatre éléments à la motion de mon collègue. Par conséquent, nous déposons la motion suivante, qui s'inspire grandement de ce qui est fait...
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Je suis prêt à négocier quelques aménagements, mais cette proposition tord un peu le cou à l'esprit de la motion. S'entendre pour ajouter une heure, c'est une chose. Je sais qu'il y a des discussions entre le ministre et Hydro‑Québec. Est-ce que cette question peut se résorber? Je le souhaite et j'en serais fort heureux.
Monsieur le président, je propose d'ajouter à l'étude une séance de deux heures qui porterait sur l'énergie. Mon collègue M. Deltell pourra demander d'inviter les gens de Boralex si cela lui sied. Nous pourrons entendre des gens. Des projets de biomasse, il y en a un, et encore un autre. Récemment, dans l'actualité, on a vu que des communautés autochtones ont décidé de prendre ce tournant pour réduire leur empreinte carbone. Nous pourrons chacun soumettre des témoins.
Je ne veux pas en parler en long et en large, mais je pense qu'en parlant de « décret radical », on entre dans un débat où nos collègues du gouvernement vont probablement se braquer. Pour ma part, je souhaite qu'on puisse étudier cette question essentielle, qui démontre peut-être que nous devons aussi calculer les coûts et les inconvénients du décret, parce qu'effectivement, la filière forestière est importante pour atteindre nos cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Nous disons depuis le début qu'il faut trouver un compromis entre la protection de l'espèce et les emplois. Je le dis de bonne foi. Surtout, le but de cette motion est de dire que la transition énergétique vers les énergies propres est un élément essentiel de l'équation. J'aimerais donc que nous nous entendions tout de suite pour ajouter une séance. On proposera des témoins par la suite. Ainsi, on pourra revenir aux témoins qui sont ici, et mon collègue du NPD pourra poser ses dernières questions.
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M. Boulerice et Mme Chatel veulent prendre la parole.
Je vais d'abord apporter une clarification. Nous étudions la motion de M. Simard, laquelle vise à ajouter une réunion, à se pencher sur la transition énergétique et à inviter des témoins, dont des représentants d'Hydro‑Québec. Nous sommes en train de débattre cette motion.
Entre-temps, M. Deltell nous a fait part d'une autre intention. Ce n'est qu'un conseil, mais, pour ne pas s'embourber, il faut garder les choses simples. Je vais entendre les commentaires de M. Boulerice et de Mme Chatel. Je ne veux pas influencer le débat, mais, à moins que M. Deltell veuille apporter quelques petits amendements à la motion de M. Simard pour y ajouter quelques petits bouts de phrases, on pourrait traiter cela assez rapidement, si on est d'accord pour ajouter une réunion. Sinon, on entre dans des amendements et des sous-amendements. Or il ne reste pas beaucoup de temps et nous allons devoir libérer les témoins. C'est le commentaire que je voulais faire.
M. Boulerice a la parole.
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Merci, monsieur le président.
Je pense effectivement que M. Simard a déposé sa motion le premier, et que nous devons donc en débattre et puis en disposer. De notre côté, nous sommes assez d'accord sur le fait de prendre du temps pour se pencher sur les répercussions sur l'industrie de la biomasse et sur les projets d'énergie propre d'Hydro‑Québec. Je pense que ce sont des questions pertinentes. Je n'étais pas convaincu au départ qu'une rencontre complète était absolument nécessaire, mais peut-être que, si on ajoute des témoins et des témoignages, cela pourrait être le cas.
Au NPD, nous avons entendu aujourd'hui beaucoup de gens qui nous ont dit qu'on n'avait pas entendu assez de scientifiques et qu'on n'avait pas assez écouté la science. Nous aimerions inviter entre autres des biologistes pour qu'ils viennent nous parler. Nous pourrions trouver des experts pour qu'ils viennent nous parler pendant cette rencontre. Nous pourrions inviter les gens de Boralex, les gens d'Hydro‑Québec, des scientifiques et des biologistes.
Je préfère disposer de la motion de M. Simard, tout simplement parce qu'elle a été déposée en premier, mais aussi parce que la motion de M. Deltell est partisane dans ses références et son langage, et elle risque de créer la controverse. Elle risque de donner lieu à beaucoup de débats.