:
Merci, monsieur le président.
Je remercie le Comité de m'avoir invité à témoigner et à contribuer à son étude. Je ne peux qu'émettre le vœu que d'autres Parlements du monde suivent votre exemple et se saisissent du sujet.
[Traduction]
Je m'appelle Nathan de Arriba-Sellier. Je suis directeur de Erasmus Platform for Sustainable Value Creation, comme l'a souligné le président, aux Pays‑Bas, d'où je me joins à vous aujourd'hui.
J'ai un doctorat de l'Université de Leyde et de l'Université Erasmus de Rotterdam. Avant d'occuper mon poste actuel, j'étais directeur de recherche dans le cadre de l'initiative de Yale sur les finances durables et chargé de cours en droit et en politique en matière financière de l'Université Yale, juste au sud d'où vous vous trouvez.
J'aimerais commencer mon témoignage en vous rappelant quelques faits.
Depuis 2005, le Canada a réduit ses émissions de gaz à effet de serre de 7 %, ce qui est bien moins que d'autres pays semblables. De plus, le Canada n'est pas encore en voie de respecter ses engagements juridiques au titre de la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité. En fait, l'Indice de performance environnementale — l'EPI — classe le Canada au 166e rang mondial en ce qui concerne les prévisions pour qu'il atteigne la carboneutralité d'ici 2050.
Pendant ce temps, les changements climatiques continuent sans relâche et il est de moins en moins possible que l'on puisse limiter le réchauffement mondial à 1,5 degré Celsius, comme l'ont mentionné les Nations unies pas plus tard que cette semaine.
Par conséquent, le système financier canadien est très vulnérable aux risques climatiques, tant des risques physiques que des risques de transition. Je n'ai pas besoin de vous rappeler certains exemples de risques physiques qui menacent régulièrement et de plus en plus vos électeurs.
Les risques de transition augmentent aussi, peu importe ce que décide de faire ou non le Canada. L'économie et le système financier canadiens sont et seront influencés par les initiatives externes, comme la Inflation Reduction Act des États‑Unis, le pacte vert pour l'Europe et les politiques de la République populaire de Chine, qui est rapidement devenue le plus grand producteur d'énergie renouvelable et de véhicules électriques.
Les solutions ne viendront pas du marché. Déjà, en 2007, comme l'a souligné à juste titre Lord Nicholas Stern, professeur à la London School of Economics, « les changements climatiques sont le résultat du plus gros échec du marché jamais vu ». Qu'il y ait un engouement ou non pour au chapitre de l'environnement, de la société et de la gouvernance, le marché a, jusqu'à présent, été incapable de régler son propre échec. On a pu voir cela récemment quand les cinq grandes banques canadiennes, contrairement à leurs homologues européennes et américaines, ont augmenté leur financement dans le domaine de l'énergie fossile malgré leurs engagements d'atteindre la carboneutralité.
[Français]
Les solutions doivent donc être dictées par la puissance publique, d'autant plus que c'est bien le gouvernement du Canada qui est lié par l'Accord de Paris, et non pas les entreprises.
Dans le secteur financier, on a pris de premières initiatives timides en matière de supervision prudentielle, comme la ligne directrice B‑15 du Bureau du surintendant des institutions financières, ou BSIF.
Je souhaite revenir avec vous sur plusieurs initiatives en cours.
Parlons d'abord des normes d'information sur la durabilité proposées par le CCNID, soit le Conseil canadien des normes d'information sur la durabilité.
Il est capital d'exiger la comptabilisation des émissions de gaz à effet de serre, y compris celles du champ d'application 3, car s'en abstenir reviendrait à distordre la véritable empreinte carbone des entreprises concernées. Il existe un fort consensus en la matière.
Ainsi, l'ISSB, soit l'International Sustainability Standards Board, a-t-il adopté cette norme à l'unanimité. Ces normes sont-elles par elles-mêmes suffisantes? La réponse est non, mais c'est un premier pas nécessaire, car on ne peut pas gérer ce qu'on ne mesure pas.
Il faudrait aussi s'assurer que les informations financières et celles sur la durabilité fournies par les entreprises sont cohérentes.
Ensuite, il y a la taxonomie canadienne.
D'une part, je vous encourage à profiter de la réforme de la Loi canadienne sur les sociétés par actions pour que la taxonomie fasse partie des obligations de publication afin de renforcer la transparence. Cela ne veut pas dire que toutes les entreprises doivent suivre la taxonomie, mais qu'elles doivent publier dans quelle mesure elles investissent dans des activités alignées sur la taxonomie.
D'autre part, j'attire votre attention sur l'importance d'en exclure les activités liées aux énergies fossiles, quelles qu'elles soient. Pourquoi? Parce qu'une taxonomie donne un signal aux investisseurs et aux entreprises sur les activités économiques qui soutiennent la transition vers la carboneutralité. L'inclusion des énergies fossiles décrédibiliserait la taxonomie canadienne, comme cela a été le cas pour la taxonomie européenne, avec le gaz. Je vous renvoie aux conclusions scientifiques du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat. Chaque année compte et les énergies fossiles ne font pas faire partie de la solution.
Enfin, il y a le projet de loi , édictant la Loi sur la finance alignée sur le climat proposée par la sénatrice Rosa Galvez. Je soutiens ce projet de loi, et j'invite le Comité et la Chambre des communes à s'en saisir dès que la procédure parlementaire le permettra. Une fois adopté, il ferait avancer le Canada vers la carboneutralité de manière décisive et réduirait nettement les risques de transition auxquels le système financier et l'économie canadienne sont exposés.
En guise de conclusion, j'attire votre attention sur la politique monétaire, qui est souvent l'angle mort de ces débats. Dans le cadre de la stratégie de l'ensemble du gouvernement, la politique monétaire a son rôle à jouer. La Banque du Canada peut, dans le cadre de son mandat, soutenir la prévention et la réduction des risques climatiques, tout en soutenant la transition vers la carboneutralité.
Je me tiens à votre disposition pour vous fournir plus de détails sur ces différents éléments et répondre à toute autre question que vous jugerez utile de me poser.
Merci.
:
Merci, monsieur le président.
Je vous remercie de me donner l'occasion de m'entretenir avec vous aujourd'hui.
[Traduction]
Je m'appelle Keith Stewart. Je suis stratège principal en matière d'énergie pour Greenpeace Canada et chargé de cours à temps partiel à l'Université de Toronto, où j'enseigne un cours et les politiques énergétiques et environnementales.
Je rencontre les banques canadiennes au sujet de leur financement en matière de combustibles fossiles depuis 2008, donc si je semble un peu impatient, c'est parce que, après les quelque dix premières années d'attente, une certaine frustration se fait sentir.
Cela fait aussi neuf ans que Mark Carney a fait son discours sur la « tragédie à l'horizon » dans le cadre duquel il soulignait que le secteur des finances avait une vision à court terme en ce qui concerne la façon dont il mène ses activités, alors que trois ans sont considérés comme une vision à long terme.
Cette myopie structurelle a rendu les banquiers essentiellement aveugles aux risques des changements climatiques, ou pire encore, ils peuvent voir les risques et ont même pu commencer à les mesurer, mais les incitatifs en place ne leur permettent pas de réagir adéquatement, donc nous nous dirigeons vers un désastre. Cette myopie peut être réglée, mais les représentants élus devront s'en mêler. Ce n'est pas nouveau pour les gouvernements, puisque nous réglementons les banques pour les protéger d'elles-mêmes depuis 1929.
En ce qui concerne les changements climatiques, les banques ont été très claires: elles ne seront pas des chefs de file. Elles ne feront pas cela seules. Nous voyons cela dans leurs bilans. Les cinq grandes banques du Canada sont encore parmi celles qui financent le plus les combustibles fossiles dans le monde. Selon un récent rapport international, en 2023, elles ont versé plus de 130 milliards de dollars à des entreprises produisant des combustibles fossiles, et plus d'un billion de dollars à des entreprises productrices de pétrole, de gaz et de charbon depuis que l'Accord de Paris a été signé. C'est un billion de dollars qui sert à aggraver la crise des changements climatiques, ce qui éclipse ce que le gouvernement fédéral dépense pour tenter d'éteindre le feu des changements climatiques.
Leur manque de leadership est aussi reflété dans leur défaut de respecter leur engagement d'atteindre la carboneutralité alors qu'il y a une augmentation massive des investissements relatifs à l'ESG aux États‑Unis. Elles peuvent déclarer qu'elles ont le courage de leurs convictions, mais ces convictions semblent changer selon qu'elles écrivent au trésorier de l'État du Texas qui est républicain, pour lui dire qu'elles appuient le financement des combustibles fossiles, ou qu'elles présentent, comme au printemps dernier, un témoignage devant le Comité selon lequel elles ont à cœur de mettre un frein aux changements climatiques.
Nous voyons aussi une absence de leadership dans leurs activités de lobbying, lesquelles visaient à ralentir la transition énergétique. Elles disent qu'elles veulent que la transition se fasse dans l'ordre même si la plus grande source de désordre, c'est une météo extrême due aux changements climatiques et qui cause des incendies, des inondations, des bris de routes, la destruction de maisons et de la sécheresse.
Qu'il s'agisse de Jasper en juillet ou de la Floride le mois dernier, les coûts de l'inaction sont tout autour de nous, et nous ne devrions pas en faire fi.
Une femme sage a déjà dit que, lorsque quelqu'un vous dit qui il est, croyez‑le. Les banques nous disent qu'elles sont prêtes à suivre, non pas à diriger en ce qui concerne les changements climatiques, or il manque toujours une réglementation financière dans la stratégie climatique du Canada.
Nous sommes ici aujourd'hui pour vous demander encore une fois de sauver les banques d'elles-mêmes, et par conséquent de nous aider à nous sauver du chaos des changements climatiques en vous servant de tous les outils réglementaires et législatifs à votre disposition pour harmoniser le système financier canadien avec l'Accord de Paris sur le climat.
À cette fin, je me joins à mes collègues du mouvement environnemental pour vous dire que nous espérons que votre rapport inclura des recommandations qui viseront, premièrement, à écarter tout combustible fossile d'une quelconque taxonomie financière durable; deuxièmement, à élaborer des règlements en vertu du droit existant pour exiger de toutes les institutions financières et de toutes les grandes entreprises de ressort fédéral qu'elles mettent en place un plan de transition en matière de changement climatique qui s'aligne avec l'objectif de 1,5 degré indiqué dans l'Accord de Paris et, troisièmement, à appuyer l'adoption d'un projet de loi complet comme le projet de loi , soit la Loi sur la finance alignée sur le climat.
Nous avons vu récemment un certain mouvement au chapitre de la taxonomie qui est en cours d'élaboration. Les règles de taxonomie et de divulgation sont importantes, mais, tel qu'elles ont été planifiées, elles ne permettront d'offrir que de l'information que d'autres personnes peuvent utiliser pour faire, espérons‑le, la bonne chose.
Nous devons cesser d'espérer que ceux qui ont beaucoup d'argent feront la bonne chose et les obliger à cesser de faire partie du problème et à commencer à constituer une bonne partie de la solution en matière de changement climatique.
Merci de m'avoir accordé de votre temps et de m'avoir écouté.
:
Bonjour. Je vous remercie beaucoup de m'avoir invité aujourd'hui.
Je représente le Centre québécois du droit de l'environnement, ou CQDE, le seul organisme à but non lucratif à offrir une expertise indépendante en droit de l'environnement au Québec.
Aujourd'hui, je vais vous parler des risques associés à l'écoblanchiment, soit la communication d'informations fausses, trompeuses ou sans preuve sur les caractéristiques environnementales. L'écoblanchiment est un problème majeur, car il empêche les investisseurs de faire des choix éclairés, et il ralentit la transition et érode la confiance des marchés. L'écoblanchiment peut également déstabiliser le système financier, notamment en menant à des ventes précipitées d'actifs financiers.
Il existe malheureusement des risques importants d'écoblanchiment dans le secteur financier au Canada. Par exemple, plusieurs instruments financiers émergents, comme les obligations vertes, les obligations liées à la durabilité et les crédits de compensation carbone volontaires, ne sont assujettis à aucune exigence minimale, tant sur le plan du contenu que sur le plan procédural.
Comme vous le savez sans doute, le projet de loi , qui a été adopté en juin dernier, constitue une certaine avancée en matière de lutte à l'écoblanchiment. Depuis, les organisations doivent détenir des preuves lorsqu'elles font des allégations environnementales. En d'autres mots, si on dit être « vert », il faut être capable de le démontrer, ce qui est une bonne chose. Cependant, ces mesures ne s'appliquent qu'aux divulgations volontaires portant sur les avantages environnementaux. Il est donc possible qu'elles ne soient pas applicables à certaines allégations, comme celles portant sur les risques environnementaux, par opposition aux répercussions.
Évidemment, ces mesures n'exigent aucune divulgation d'information aux investisseurs et n'imposent aucun langage commun sur la façon de communiquer ces informations. Enfin, même si, en vertu de cette loi, les organisations sont tenues d'avoir des preuves pour soutenir leurs allégations, ces preuves n'ont pas à être divulguées au public, ce qui complexifie l'identification des cas d'écoblanchiment.
Il y a quelques jours, le gouvernement a annoncé deux mesures qui pourraient aider à améliorer la situation. Premièrement, le gouvernement a annoncé qu'il obligerait les grandes entreprises de compétence fédérale à divulguer publiquement des informations en lien avec les changements climatiques, ce qui risque d'inclure une certaine forme de divulgation des émissions de GES par ces entreprises.
Cette mesure est positive, mais, pour s'assurer de son efficacité, il faut qu'elle porte sur la divulgation, aussi bien des risques que des effets environnementaux. Les citoyens, les consommateurs et les investisseurs veulent savoir quelles sont les répercussions environnementales des activités des entreprises et veulent que cette information soit divulguée dans un format clair et standardisé. Des règles de divulgation générales qui permettraient aux entreprises d'omettre ou de maquiller l'information défavorable doivent absolument être évitées. De plus, il faut que ces divulgations aillent au-delà des questions climatiques et que, pour ce faire, on y inclue notamment la biodiversité, la pollution, l'extraction des ressources naturelles, et ainsi de suite.
La seconde mesure annoncée par le gouvernement, il y a quelques jours, est la création d'un groupe indépendant de consultants qui sera responsable de développer une taxonomie financière. Cette taxonomie, qui ne sera pas rendue publique avant un an, créerait un système de classification et établirait des critères officiels pour qu'un projet soit qualifié de « vert » ou de « transition ». Cette mesure a, elle aussi, beaucoup de potentiel. Par contre, pour que cette taxonomie atteigne ses objectifs, trois éléments, dont certains ont déjà été mentionnés par mes collègues, sont essentiels: (i) elle doit inclure des critères crédibles, fondés sur la science, qui ne donnent pas le feu vert à des projets nuisibles à l'environnement; (ii) elle doit être obligatoire pour empêcher l'émergence de taxonomies concurrentes plus faibles — jusqu'à maintenant, c'est une taxonomie volontaire qui a été annoncée, ce qui n'est pas suffisant, selon moi; (iii) elle doit disposer d'une structure de gouvernance qui garantisse que ses critères restent robustes face à de futures pressions politiques.
Une fois la taxonomie adoptée, et en tenant pour acquis qu'il s'agira d'une bonne taxonomi, il faudra rapidement l'intégrer dans l'écosystème réglementaire, notamment en forçant les organisations à divulguer leur niveau d'alignement, en normalisant l'étiquetage des produits financiers, en forçant les sociétés d'État à se fixer des objectifs en fonction de la taxonomie, et ainsi de suite.
Afin de compléter ces deux mesures, nous suggérons de rendre les obligations de divulgation des institutions financières fédérales plus contraignantes, plus précises et plus englobantes, notamment en convertissant les actuelles obligations prudentielles en obligations réglementaires et en imposant la divulgation des impacts climatiques, et pas uniquement des risques, mais aussi de l'information sur d'autres aspects environnementaux comme la biodiversité.
Enfin — nous pourrons en parler davantage au cours de la séance —, nous recommandons de bonifier les activités de l'Agence de la consommation en matière financière du Canada, pour ce qui est de la finance durable, et de réglementer l'utilisation et la distribution de crédits carbone volontaires, c'est-à-dire les fameux crédits que certains d'entre nous utilisent pour contrebalancer l'effet de nos vols d'avion, par exemple. Nous croyons que ce domaine mériterait aussi d'être réglementé.
Je m'arrête ici et vous remercie.
:
Merci de m'avoir invité.
Je vais commencer par vous parler du point de vue de quelqu'un que je ne suis pas: je ne suis pas un climatologue. Je ne suis pas un expert de la finance. Je ne suis pas un macro-économiste. Je ne suis pas un chercheur universitaire. Je suis un dilettante, qui s'intéresse à beaucoup de choses, et j'ai passé plus de 40 ans à observer la façon dont les entreprises et les investisseurs se comportent. Ce que j'ai découvert, c'est que la psychologie et la perception ont beaucoup plus d'incidence sur ce comportement que les modèles économiques.
En tant que personne de l'externe, je vais vous expliquer mon point de vue sur ce que j'ai vu se produire au chapitre des changements climatiques. Ce ne sera peut-être pas diplomatique, mais je préfère entrer dans le vif du sujet.
Voilà ce que j'ai vu au cours des 20 dernières années: le changement climatique est le sujet le plus publicisé, le sujet contre lequel on nous met le plus en garde et la crise existentielle la plus abordée à ma connaissance. Vous dites que l'on comprend pourquoi; très bien.
Ensuite, les gouvernements partout dans le monde affirment qu'ils prennent les changements climatiques au sérieux. En fait, chaque année, ils se réunissent; la réunion la plus récente était la COP28. Cet environnement est empreint d'hypocrisie, tout comme ce qui a été dit à Dubaï. On parle de la façon dont on va changer le monde. On établit des objectifs qui, comme tout le monde le sait, ne seront jamais atteints. Je vous garantis qu'il y aura une COP29, peut-être à Riyad, où on refera encore une fois tout le processus.
Toutes les sociétés et les entreprises se disent vertes. Elles déclarent être préoccupées par les changements climatiques. Je vais avoir un haut‑le‑cœur la prochaine fois que je vais voir le terme « carboneutralité » dans les états financiers d'une entreprise ou quand une ligne aérienne me demandera de débourser 40 $ de plus si je veux réduire mon empreinte carbone.
Dans le cadre de ce processus, les entreprises ont été aidées et conseillées par des consultants et des experts qui leur ont fourni les mots à la mode. Voyons la réalité en face: ESG n'est qu'un acronyme. Cette réalité ne mérite même pas d'être une idée ou un concept — c'est un acronyme.
La durabilité est tout autant un terme creux. Ces consultants ont dit à ces entreprises qu'elles peuvent avoir le beurre et l'argent du beurre, qu'elles peuvent être vertes et avoir plus d'argent.
C'est le même phénomène avec les investisseurs. Ils ont investi des billions de dollars. Ne me dites pas que nous n'avons pas investi suffisamment d'argent dans des domaines verts. Ils ont investi des billions de dollars, et on leur a promis qu'ils obtiendraient un excellent rendement tout en étant vertueux.
On a trouvé de nombreuses façons de montrer aux clients à quel point ils sont géniaux. Ils peuvent acheter des produits verts. Ils peuvent investir dans des fonds verts. Ils peuvent se comporter mal, à longueur de journée, revenir à la maison, acheter des fonds relatifs à l'ESG et dire « tout va bien maintenant ».
Voici la réalité qui, selon moi, fait le plus réfléchir. Après 20 ans, et après avoir investi des billions de dollars, et en avoir discuté en long et en large, vous remarquerez que notre quantité d'énergie produite par des combustibles fossiles demeure presque inchangée. En fait, vous savez que notre dépendance aux combustibles fossiles a diminué davantage entre 1975 et 1995 qu'au cours des 20 dernières années. Pourquoi? En raison de la seule source d'énergie de rechange que la plupart des gens militant pour l'énergie verte déclarent détester: l'énergie nucléaire.
Au cours des 20 dernières années, notre dépendance envers les combustibles fossiles est passée de 85 à 81,5 %. Nous avons réduit notre dépendance de 3,5 %, et nous avons déboursé 10 billions de dollars pour ce fait extraordinaire. Je vais vous laisser faire les calculs par vous-mêmes. Si vous voulez vraiment réduire la dépendance envers les combustibles fossiles de 50 %, faites le calcul. Cette notion selon laquelle vous pouvez être vertueux sans faire de sacrifice est au cœur de ce problème.
Je ne peux pas vous donner de conseils sur ce que vous devriez faire en ce qui concerne les banques et votre fonds de pension, mais je vais vous dire ce que je pense. Je pense que vous devez arrêter de parler d'apocalypse. Pensez-vous réellement que de dire aux gens que ce sera la fin du monde dans 35 ans fera en sorte qu'ils se comporteront mieux? C'est comme de dire à quelqu'un qui a 60 jours à vivre « comporte-toi de façon saine ». Cela n'arrivera pas. Même si vous croyez que ce sera la fin du monde si les objectifs en matière de changement climatique ne sont pas atteints, le dire aux gens est la pire stratégie psychologique.
Ensuite, il faut retirer la notion de vertu de cette discussion. La notion selon laquelle si vous croyez que les changements climatiques sont importants, vous êtes une bonne personne, et si ce n'est pas le cas, vous n'êtes pas une bonne personne, contamine la discussion. Le parfait devient l'ennemi du bien.
Soyons honnêtes: la plupart des recherches relatives à l'ESG, et à la durabilité ne valent pas le papier sur lequel elles sont rédigées, mais les recherches qui se penchent davantage sur le dossier ont conclu qu'il est préférable d'avoir des teintes de gris que du blanc et du noir, qu'il est préférable d'investir dans une innovation brune qu'une innovation verte et d'accepter les teintes de gris, et qu'un changement graduel sera beaucoup plus efficace que de dire « Eh bien, si vous ne faites pas ça, nous allons mourir ».
:
Merci beaucoup. C'est une question très intéressante. Bien entendu, je ne pense pas qu'on ait le temps de toutes les examiner ni même d'en examiner une bonne partie en cinq minutes.
Ce que je dirais, c'est que je suis en accord avec certains commentaires qui viennent d'être formulés quant au fait que l'ESG est un ramassis de tout et de rien, mais les changements climatiques constituent un risque bien réel. À cet égard, vous pouvez voir des politiques qui peuvent en fait changer les choses. Par exemple, l'Union européenne vient d'adopter la Directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité qui oblige chaque grande entreprise à avoir un plan de transition pour atteindre la carboneutralité. Cela peut être très efficace.
Comme j'y ai fait allusion dans mes déclarations liminaires, je crois qu'il faut concevoir des règles sur la divulgation tant que les divulgations sur la durabilité sont alignées sur la divulgation financière. Par exemple, les entreprises ne peuvent pas clamer leur engagement à atteindre la carboneutralité sans que cela ne soit reflété dans leurs états financiers. C'est, je crois, semblable à ce que M. Damodaran disait.
Une autre politique qui pourrait être utile, par exemple, c'est la politique de l'Union européenne sur les banques. Les règlements de l'Union européenne sur les banques ont récemment été modifiés pour exiger des directeurs de banque qu'ils aient suffisamment d'expertise au sujet des risques climatiques et des changements climatiques, ainsi qu'un plan de transition, etc. Encore une fois, cela peut aussi être important et mener à quelque chose.
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Je partage la frustration qui a été exprimée au sujet de programmes volontaires, qui demandent aux gens de faire la bonne chose parce que c'est la chose à faire. Ce qui importe, aux yeux des entreprises, c'est le profit, la motivation et les règles… obéir aux règles.
Ce que nous devons vraiment faire, c'est avoir des règles qui façonnent la sphère financière afin de réellement investir dans des solutions influant sur le changement climatique. Y a‑t‑il un coût associé au fait de passer à l'acte face aux changements climatiques? Oui. Y a‑t‑il un coût associé à l'inaction face au changement climatique? Absolument.
Il y a diverses choses qui peuvent être faites conformément aux règlements existants. Certains de mes collègues ont présenté des propositions détaillées qui expliquent en quoi le fait d'exiger des entreprises qu'elles aient des plans de transition pour atteindre la carboneutralité ou des plans de transition relatifs au changement climatique pourrait aider à arriver à nos fins. Nous avons aussi suggéré des choses comme modifier les exigences liées au capital à risque et imposer une double importance relative.
Le gouvernement peut se servir d'une multitude d'outils. Nous avons des exemples provenant de l'Union européenne et d'ailleurs dont nous pourrions nous inspirer, mais nous devons vraiment harmoniser là où va l'argent avec ce que nous devons faire pour protéger les gens. Ce n'est pas le cas présentement, parce que nous sommes obsédés par les intérêts à court terme. C'est le travail du gouvernement d'adopter un point de vue à long terme et d'aider à façonner le terrain pour que nous allions tous dans la même direction, plutôt que d'investir de l'argent dans des choses qui ne font qu'aggraver le problème — les combustibles fossiles — pendant que le gouvernement tente de compenser en faisant ses propres investissements.
Nous devons en fait aligner les finances privées et les finances publiques et des choses comme la Loi sur la finance alignée sur le climat ou les plans de transition relatifs au changement climatique qui ont été proposés. Ce sont les outils dont on peut se servir pour rassembler les deux secteurs et pour nous permettre d'avancer dans la même direction et d'accélérer la transition énergétique qui nous protégera de ces risques en matière de changement climatique, et qui protégera également notre économie de ce que M. Arriba-Sellier a qualifié de risque de transition, l'un étant de ne pas réussir à combler la demande de pétrole dans un monde où le pétrole est l'exportation numéro un. Si nous ne nous y prenons pas bien, nous serons écrasés.
Merci.
:
Ce n'est pas suffisant, et ce, pour deux raisons.
Premièrement, cela s'applique seulement aux déclarations volontaires. Si une entreprise décide volontairement de dire qu'elle est verte ou durable, ou encore qu'elle respecte les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance, peu importe, elle devra le prouver. Toutefois, si une entreprise décide de ne rien dire, elle ne donne aucune information au marché pour prendre des décisions. Cela ne règle donc pas le problème d'asymétrie de l'information.
Deuxièmement, on oblige les entreprises à fournir des preuves chaque fois qu'elles avancent quelque chose, par exemple lorsqu'elles se disent vertes; or il n'y a pas d'obligation de divulguer ces preuves. Imaginons que, demain matin, mon conseiller financier me dit d'investir dans un produit qui répond aux critères environnementaux, sociaux et de gouvernance ou dans un produit durable; il m'assure que je peux le faire en toute confiance, puisque les entreprises sont obligées, en vertu de la loi, de prouver que le produit en question est vert. Si je lui demande de me montrer ces preuves, il pourra me dire qu'il ne le peut pas.
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Oui, tout se joue dans les détails.
Comme l'a dit M. Damodaran, si on vous laisse définir vous-même ce qui est écologique, vous allez vous retrouver avec un million de définitions. Pour ce qui est de la taxonomie, il faut garder à l'esprit le fait que cela ne veut pas dire qu'il vous est interdit d'investir dans les combustibles fossiles à tout jamais; on dit plutôt qu'il faudrait placer la barre très haut avant de pouvoir déclarer que quelque chose est écologique. Il y a très clairement un vif débat, autant l'intérieur qu'à l'extérieur du gouvernement, sur l'inclusion des combustibles fossiles.
L'Association canadienne des producteurs pétroliers affirme que les exportations de gaz naturel devraient être réputées écologiques, parce qu'elles permettraient de réduire les émissions liées au charbon ailleurs. Nous recommandons de placer la barre haut et en harmonie avec l'avis scientifique de 1,5 degré. L'Agence internationale de l'énergie et l'Organisation des Nations unies ont toutes deux publié des lignes directrices expliquant comment y arriver. Le Groupe d'experts de haut niveau des Nations unies sur les engagements des entités non étatiques en faveur de zéro émission nette a un tableur Excel que vous pouvez télécharger. C'est une liste de vérification de ce qui est compatible et de ce qui ne l'est pas.
Une grande partie du travail est terminée, mais il y a tout de même une volonté politique d'ajouter les combustibles fossiles, parce que les combustibles fossiles ont une très grande influence dans la politique canadienne. Si vous vous appuyez sur la science, alors les combustibles devraient être exclus, mais comme le gouvernement a renvoyé la question à un comité, beaucoup de choses vont dépendre de la composition de ce comité.
Nous allons surveiller cela, mais je dirais qu'il serait préférable de n'avoir aucune taxonomie que d'en avoir une mauvaise.
:
La taxonomie de l'Union européenne est un cas que je connais très bien. L'Union européenne était censée être parmi les premiers à adopter une taxonomie, et elle affirmait, à l'époque, que sa taxonomie était le modèle idéal. L'inclusion, à des fins politiques, du gaz dans la taxonomie — laquelle était peut-être nécessaire à la suite de l'invasion russe de l'Ukraine — a coûté à la taxonomie énormément de crédibilité dans le milieu des investisseurs
C'est très important que vous respectiez un certain nombre de critères au moment d'établir une taxonomie. Il y a certains critères dans la taxonomie de l'Union européenne qui devraient être repris, et peut-être qu'ils devraient être aussi respectés un peu plus. Des contestations ont été portées devant les tribunaux de l'Union européenne, par exemple, et sa taxonomie a posé des critères fondés sur la science, y compris le principe de ne causer aucun préjudice important, c'est‑à‑dire que toutes les activités visées par la taxonomie ne doivent entraîner aucun préjudice important à l'égard des objectifs environnementaux comme l'atténuation des changements climatiques. Alors, l'ajout des combustibles fossiles causera immanquablement des préjudices graves à l'égard de l'objectif de l'atténuation des changements climatiques. Il y a aussi le principe de précaution.
Je ne sais pas si le principe de précaution existe en droit canadien. Je sais qu'il s'agit d'un principe de droit dans bon nombre de pays ainsi qu'en droit international. C'est un principe important, parce que certaines choses sont tout bonnement imprévisibles. Par exemple, cela fait des années qu'on documente les conséquences du torchage du méthane, mais ce n'est qu'assez récemment que nous avons découvert à quel point cela est catastrophique en équivalents de gaz carbonique.
Il est important que ces trois principes — le fondement scientifique, le principe de ne causer aucun préjudice important et le respect du principe de précaution — soient respectés dans la future taxonomie canadienne, si la taxonomie varie.
:
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je souhaite la bienvenue aux témoins.
Le Comité a eu la chance de recevoir des économistes de l'OCDE, de même que plusieurs économistes du Canada. Ils nous ont tous mentionné que le Canada devait impérativement agir dans le domaine de la finance durable, parce qu'il s'agit d'une question de compétitivité internationale. On voit le flux des capitaux étrangers se diriger vers des pays qui ont adopté la taxonomie et la divulgation obligatoire des grandes entreprises.
J'aimerais beaucoup qu'on parle plus en profondeur de l'importance de l'annonce faite par le gouvernement au mois d'octobre, le 9 octobre plus précisément, sur deux grands piliers de cette finance verte. Il y a évidemment la taxonomie d'une finance verte, d'une finance de transition, et la divulgation obligatoire.
Monsieur de Arriba‑Sellier, je vais d'abord m'adresser à vous. Pouvez-vous nous décrire les avantages d'une telle taxonomie en Europe, tant pour l'économie des pays que pour la compétitivité des entreprises européennes qui cherchent à attirer les capitaux étrangers?
Je pense que les taxonomies, qu'elles soient en Europe ou ailleurs, donnent aux entreprises un sens de la direction des politiques publiques. Les taxonomies elles-mêmes sont un support, notamment à des politiques publiques. En Europe, sur la base de la taxonomie, on a donc développé d'autres réglementations sur la divulgation des informations, sur le devoir de vigilance, mais également sur les obligations des banques, etc.
Dans le cas des pays en développement comme la Chine et le Brésil, qui ont aussi adopté des taxonomies, on voit aussi des politiques monétaires, des politiques de crédit, des politiques économiques d'investissement, des politiques fiscales qui pourraient même aussi soutenir la taxonomie, et cela pourrait effectivement conduire à une dynamique positive d'investissement. En fin de compte, cela pourrait non seulement soutenir la lutte contre le changement climatique, mais aussi le développement économique.
:
Oui. Les banques canadiennes et les fonds de pension sont de grands investisseurs dans les combustibles fossiles.
Je pense que le risque est double: d'abord, il y a le risque d'aggraver les changements climatiques et de subir les conséquences physiques que cela suppose. Nous avons vu ce risque se concrétiser, quand des tempêtes extrêmes ont détruit un grand nombre d'infrastructures.
Puis, il y a ce qu'on peut appeler le risque découlant de la transition. Disons que les banques canadiennes, les assureurs, etc. continuent d'investir massivement au Canada et à l'étranger dans les combustibles fossiles, et que la planète réussit à se détourner des combustibles fossiles — ce qui, par exemple, est le but de l'Agence internationale de l'énergie —, alors nous assisterons, même sans aucune nouvelle politique climatique, à un resserrement du marché des combustibles fossiles et nous serons pris avec une foule d'éléphants blancs.
Si cela arrive, nous devrons en payer le prix. Nous finirons par devoir dépolluer tous les vieux puits en utilisant l'argent des contribuables, parce que les entreprises auront fait faillite. Déjà, elles sont très habiles pour ce qui est de nous refiler les coûts. Le reste d'entre nous s'expose également à un énorme risque.
:
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie beaucoup tous les témoins de ces informations pertinentes.
Maître Beaulieu, vous avez beaucoup parlé, et à juste titre, de l'écoblanchiment. Des gens disent avoir de bonnes intentions ou présentent une belle image, mais, finalement, ce n'est pas tout à fait vrai dans le cas de certaines entreprises ou de certaines personnes.
J'aimerais que vous nous parliez de l'approche qu'adoptent bien des entreprises, des organismes ou même des individus à ce sujet. Ils prennent l'avion, se déplacent, assistent à des conférences à l'autre bout du monde, en plein désert et, à leur retour, ils achètent des arbres ou des crédits carbone pour se donner bonne conscience.
J'aimerais connaître votre opinion en matière d'écoblanchiment dans ces situations.
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C'est une question très intéressante, parce qu'on voit de plus en plus d'écoblanchiment. Je l'ai constaté récemment, lors d'un festival de camionneurs, où on compensait toutes ces émissions de GES et on se présentait comme étant écoresponsable. On peut se réjouir du fait qu'ils ont compensé leurs émissions de GES, mais, au bout du compte, cela reste un événement très polluant qui ne devrait pas être considéré comme écoresponsable ou durable.
On peut mettre en place, de manière très concrète, des mesures pour restreindre les cas dans lesquels on peut utiliser ces crédits et le genre d'allégation qui peut être fait grâce à ces crédits. Par exemple, on peut définir des conditions minimales pour l'utilisation et la distribution de crédits. On peut présenter tous les critères minimaux pour être certain que les crédits sont de qualité. En outre, on peut restreindre le contexte dans lequel ils peuvent être utilisés. Par exemple, devrait-on permettre à une compagnie d'aviation d'offrir des vols carboneutres? On ne devrait peut-être pas le permettre. On devrait peut-être permettre l'utilisation des crédits comme bonne mesure en s'assurant qu'on explique bien que ces crédits ne rendent pas les vols d'avion carboneutres, que l'aviation continue d'être un secteur polluant et qu'une transition est nécessaire. Il faut baliser l'utilisation des crédits carbone.
Ce qu'a fait la Californie est très intéressant. Elle a adopté une loi qui oblige toutes les entreprises utilisant ou distribuant des crédits carbone ou compensatoires à divulguer de l'information sur la qualité de ces crédits. On a donc de l'information sur la qualité et les critères, et on définit à quelles fins les crédits peuvent être utilisés. Le Canada pourrait faire la même chose. Cela pourrait se faire au moyen d'amendements à la Loi sur la concurrence, par exemple. Il y a eu des amendements à cette loi récemment et on pourrait en faire d'autres. On pourrait aussi établir un règlement ou adopter une loi distincte, comme la Californie l'a fait, pour baliser l'utilisation de ces crédits.
Je suis d'accord sur le fait qu'il y a des risques importants liés à l'utilisation des crédits carbone ou compensatoires. Il semble que tout le monde autour de la table estime que ces crédits peuvent poser des risques d'écoblanchiment assez importants. Il faut baliser leur utilisation.
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Non. Une taxonomie ne fait que créer une étiquette.
Disons que vous voulez émettre une obligation verte. Tout le monde sait ce que suppose une obligation verte. Si vous voulez émettre une obligation de transition, alors tout le monde sait ce que suppose une obligation de transition. Vous voudrez peut-être tout de même émettre une obligation ordinaire ou une obligation brune — ou peu importe comment vous appelez cela —, mais au moins, nous saurons ce que ces trois critères précis veulent dire. Tout le monde s'entend pour dire que ces critères doivent être respectés. Nous évitons ainsi la « diarrhée de divulgation » évoquée par M. Damodaran.
Nous nous assurons de cette façon que tout le monde respecte les mêmes règles. Nous comprenons le sens des mots. Ensuite, s'il y en a qui veulent investir de manière écologique, alors grand bien leur fasse. Si d'autres veulent poursuivre leurs stratégies d'investissement traditionnelles, alors, même si nous ne dirons pas « grand bien leur fasse », ils auront tout de même cette possibilité.
Quoi qu'il en soit, au bout du compte, ce seront les organismes de réglementation provinciaux qui réglementeront ces obligations. Ce n'est pas ce que fait la taxonomie, dans le cadre actuel.
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Je pense que ce l'est en principe, mais ce n'est pas aussi simple. D'ailleurs, j'allais en discuter à la fin de la séance, mais je vais saisir l'occasion de le faire maintenant.
On pourrait inviter les ministres aux deux réunions de la semaine prochaine, mais il n'est pas certain qu'ils pourront accepter. S'ils ne le peuvent pas, on devra reporter les prochaines réunions sur la finance pour tenter de trouver des dates où les ministres peuvent être avec nous, ou alors il faudra inviter leurs fonctionnaires seulement.
C'est toute une discussion. À mon avis, si on veut terminer l'étude sur le système financier la semaine prochaine, il faut que M. van Koeverden accepte qu'on ne commence pas la préétude avant la semaine du 18 novembre, étant donné que la semaine du 11 novembre est une semaine de congé. Il faudrait donc s'entendre sur le fait qu'on va tenter notre chance auprès des deux ministres pour la semaine prochaine. Si cela ne fonctionne pas, on laisse tomber ou on invite les fonctionnaires.
Madame Collins, je sais que vous voulez avoir la parole au sujet de la motion, mais la discussion porte sur l'amendement.
Monsieur van Koeverden, accepteriez-vous un amendement favorable pour nous permettre de terminer l'étude sur la finance la semaine prochaine?
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Je vous remercie beaucoup, monsieur le président, de cette invitation à comparaître devant vous, aujourd'hui.
J'aimerais commencer par dire un bref mot sur mes antécédents, ce qui va aider à mieux comprendre mon témoignage.
J'ai travaillé cinq ans à l'OCDE, soit l'Organisation de coopération et de développement économiques, et près de 15 ans au ministère des Finances, à Ottawa. J'ai également occupé le poste d'économiste en chef à Industrie Canada. Je peux donc dire que j'ai vu et observé de l'intérieur comment fonctionne le système, puisque j'ai moi-même contribué à faire fonctionner ce système, où les objectifs privés à court terme priment les objectifs à plus long terme, lesquels visent le bien commun, comme le climat ou le vieillissement de la population. J'ai pris un peu de recul depuis, et j'en ai conclu que les politiques publiques plus incisives en ce qui a trait aux politiques économiques ou à la finance sont nécessaires. J'y reviendrai un peu plus loin.
D'un point de vue plus personnel, cet automne, j'enseigne quatre fois par semaine à des étudiants dans la vingtaine qui sont, pour la plupart, écoanxieux en raison de la progression des effets néfastes des changements climatiques. La semaine dernière, j'ai donné une conférence devant des étudiants d'un cégep. Il s'agissait de jeunes d'environ 17 ans qui n'ont presque pas voix au chapitre au sein de nos institutions. Ils se demandent pourquoi les gens des générations précédentes, dont la mienne, n'ont pas été assez nombreux à se mobiliser et à prendre les choses en main. Les baby-boomers ont une énorme dette envers les jeunes. Ils ont privatisé la richesse et socialisé les coûts.
Dans un contexte plus personnel, je sais que le Comité est aussi au courant du fait que les gaz à effet de serre ont augmenté de 1,3 %, en 2023. Nous n'avons pas emprunté la bonne trajectoire, ce qui rend les choses encore plus dramatiques, à mon avis, en fonction de ce que j'ai dit auparavant.
L'autre chose que j'aimerais aussi dire est que, selon moi, le compte à rebours commence à partir de 2030, et c'est ce qui est le plus important. Nous devons changer nos politiques publiques et infléchir la trajectoire dans la lutte contre les changements climatiques jusqu'en 2030. C'est extrêmement important. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, ou GIEC, nous le répète et nous le martèle. Pour ma part, je mets toujours cet aspect en évidence dans mes interventions publiques et dans les recherches que je fais sur le climat.
Toute personne ayant des notions en économie ou en finance sait que l'économie et la finance sont intimement liées. L'épargne de l'une alimente les investissements de l'autre. Pourtant, le développement et la finance durables ne sont, pour l'instant, que des oxymores. En effet, la maximisation des rendements à court terme n'est tout simplement pas compatible avec une stratégie climatique. Cela est bien démontré, notamment dans les travaux d'Alain Grandjean, de Julien Lefournier ou de Gaël Giraud, en Europe, sur la finance verte.
Dans un contexte de libre marché, on pourrait comparer une entreprise qui s'impose des règles environnementales plus strictes que les autres à une entreprise qui s'infligerait un handicap sur le plan de la compétitivité et des coûts. Ce serait donc mortel, compte tenu des règles actuelles.
Il faut donc que l'État fasse ce pour quoi il existe: se porter garant du bien commun en légiférant. Les pays qui ont pris de l'avance sur ce front vont protéger leurs acquis. C'est la raison pour laquelle, par exemple, l'Europe a mis en place la première phase de sa taxe sur le carbone aux frontières pour corriger l'écart de sévérité des réglementations. Le Royaume‑Uni fera de même en 2027. Comme vous le savez, il s'agit d'imposer des tarifs douaniers sur le carbone, c'est-à-dire sur les biens importés à forte intensité en carbone.
Le gouvernement du Canada a mis en place une tarification du carbone rigoureuse en plus d'une trajectoire ambitieuse qui doit atteindre 170 dollars la tonne de CO2 en 2030. Ce prix est inférieur à ce que montrent la plupart des modèles d'analyses des coûts économiques. Ce prix devrait être beaucoup plus élevé. Étant donné que le Canada dispose déjà d'un système de tarification du carbone rigoureux, les entreprises canadiennes pourraient ne pas encourir l'ajustement tarifaire qui sera mis en œuvre dans l'Union européenne. Cela donnerait à nos entreprises un avantage sur des concurrents qui ne disposent pas déjà d'un système de tarification du carbone comparable à celui de l'Union européenne.
L'autre chose que je veux mentionner a été évoquée par le groupe de témoins précédent...
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Génial. Je vous remercie beaucoup de m’avoir invité à participer à cette étude sur un sujet si important.
D’entrée de jeu, je devrais déclarer que je suis un grand partisan des politiques environnementales, sociales et de gouvernance. Je comprends l’importance de prendre en considération les facteurs ESG, autant pour la société que pour la valeur financière à long terme. Malgré tout, mes opinions sur le sujet seront un peu plus nuancées, et j’espère que ces nuances seront utiles au Comité.
Le texte de la motion mentionne des mécanismes qui permettraient l’alignement avec l’Accord de Paris en favorisant la « réduction des risques inhérents ». Il est important de bien comprendre quels sont ces risques. Il doit s’agir de risques pour la société — ce qu’on appelle souvent des impacts — ou s’il s’agit de risques pour le portefeuille d’une institution financière, ce qu’on appelle communément la dépendance. Bien sûr, les deux se recoupent dans de nombreux cas, et une grande partie des études que je mène portent sur le recoupement entre ce qui est bon pour la société et ce qui est bon pour les actionnaires, mais il y a des cas où les deux ne se rejoignent pas, et il est donc crucial de garder à l’esprit ces concessions. Par exemple, lorsqu’il y peu de mesures gouvernementales, alors les investissements dans les combustibles fossiles posent un risque limité pour votre portefeuille. À dire vrai, boycotter les combustibles fossiles pourrait entraîner encore plus de risques, même s’il y a un risque pour la société en général.
Je reconnais aussi que l’alignement avec l’Accord de Paris est mentionné. Cependant, certaines informations laissent penser que nous visons 2,7 °C plutôt que 1,5 °C. Ce n’est pas clairement indiqué qu'il serait prudent d’avoir un portefeuille qui aurait un meilleur rendement avec un objectif de 1,5 °C. Donc, la question est: quel devrait être l’objectif? Devrions-nous seulement tenir compte des risques pour le portefeuille, ou croyons-nous plutôt que les institutions financières ont l’obligation morale et sociétale de tenir compte des risques pour la société en général? Ce n’est pas clair.
À mes yeux, l’objectif n’est pas clairement indiqué, alors j’aimerais formuler quelques conseils quant aux conséquences éventuelles des différents objectifs.
Les banques — une partie de la motion mentionne les « institutions bancaires » — doivent effectivement être solvables, pour le bien de leurs déposants et de la société en général. Dans le cas contraire, les pertes pourraient s’avérer douloureuses, parce qu’il faudrait les renflouer. Donc, c’est tout à fait possible que des décisions de prêts d’investissement qui seraient bonnes pour la lutte contre les changements climatiques le soient moins pour leur portefeuille. Si les décisions étaient bonnes pour leur portefeuille, alors, comme M. Damodaran l’a dit plus tôt au cours de la réunion, pourquoi aurions-nous besoin de réglementation pour encourager les banques à prendre cela en considération? Elles le feraient, quoi qu’il arrive. Aussi, pourquoi mettre l’accent sur les risques climatiques et non pas sur les risques liés aux cyberattaques ou aux pandémies? Il y a beaucoup d’autres risques importants pour les banques.
En ce qui concerne les caisses de retraite, qui sont aussi mentionnées, l’objectif n’est pas clair, encore une fois. Cela pourrait être de maximiser le revenu de retraite pour les retraités, mais pour moi, en tant que retraité, ce n’est pas mon objectif. J’investis dans des fonds sensibilisés aux changements climatiques, et je peux choisir de sacrifier mon rendement. Je peux me le permettre. D’autres personnes ne le pourraient peut-être pas, alors leurs objectifs pourraient être purement financiers.
Cependant, tenons pour acquis que nous nous soucions des impacts et que nous voulons effectivement un objectif qui dépasse le simple rendement financier, pour créer des retombées sur la société en général. La façon d’y arriver n’est pas claire. Une façon serait le désinvestissement. On mentionne souvent, par rapport à l’alignement avec l’objectif de carboneutralité ou avec l’Accord de Paris qu’un portefeuille doit se dessaisir de ses investissements dans les combustibles fossiles, mais il y a beaucoup de données d’études universitaires qui laissent croire que le désinvestissement, en particulier des marchés boursiers, a une incidence limitée. Si vous vendez quelque chose qu’une autre personne va racheter, alors, en raison de la fluidité et de la liquidité des marchés financiers, l’incidence réelle sur le capital est plutôt faible.
Une autre façon serait les engagements. Les engagements reviennent souvent à de la microgestion. D’un côté, des investisseurs mal informés pourraient imposer aux entreprises des règles qui ne s’adaptent pas à toutes, alors que d’un autre côté, une entreprise pourrait être mieux placée pour comprendre les risques les plus importants.
Finalement, disons que nous nous soucions des répercussions sur la société en général. Les répercussions sur la société en général dépassent les simples impacts environnementaux. Je suis d’accord avec ce que M. Damodaran disait, à propos du problème que cela représente de voir le monde en noir et blanc.
Je reviens tout juste du Forum économique mondial, qui s’est tenu à Dubaï, où il était question de la transition juste. Une Africaine s’est levée et a dit qu’en Afrique 600 millions de personnes n’ont pas accès à l’électricité. Nous discutions de transition juste, alors que 600 millions de ses concitoyens n’ont rien à partir de quoi effectuer une transition. Une autre personne a parlé d’un médecin au Sierra Leone. À cause d’une coupure de courant, des bébés sont morts au service de néonatalité. Il y a des problèmes que nous ne reconnaissons pas forcément, en Occident. Votre comité se trouve au Canada, et ses priorités sont donc peut-être canadiennes, mais nous avons tendance à voir la différence entre l’Occident et l’Afrique en noir et blanc. Il y a peut-être des gens au Canada qui sont dans une situation de pauvreté énergétique.
Malgré tout, je n’essaie absolument pas de dire que les changements climatiques ne sont pas un problème grave: ce l’est, absolument. J’ai consacré une grande partie de ma carrière à ce sujet, mais j’espère avoir mis en relief certaines des préoccupations et certaines des concessions difficiles qui pourraient découler de cet objectif.
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Merci d'avoir invité l'Association des banquiers canadiens à comparaître cet après-midi, afin de participer à l'étude du Comité sur les impacts climatiques et environnementaux reliés au système financier canadien.
Je m'appelle Bryan Radeczy, et je suis directeur, Stabilité financière, à l'ABC. Je suis accompagné aujourd'hui par mon collègue Darren Hannah, vice-président principal, Stabilité financière et Politiques bancaires.
L'ABC est la voix de plus de 60 banques canadiennes et étrangères et de leurs plus de 280 000 employés, qui contribuent à stimuler la croissance et la prospérité économiques du pays. L'ABC préconise l'adoption de politiques publiques qui favorisent le maintien d'un système bancaire solide et dynamique, capable d'aider les Canadiennes et les Canadiens à atteindre leurs objectifs financiers.
Les changements climatiques constituant l'enjeu incontournable de notre époque, les banques canadiennes sont résolues à faire leur part pour contribuer à la solution. Nos banques sont conscientes du rôle essentiel que joue le secteur financier dans la transition ordonnée vers une économie à faibles émissions de carbone et dans le renforcement de la résilience du système financier canadien. Cela suppose de collaborer avec les clients de divers secteurs afin de les aider à atteindre la carboneutralité et à saisir les occasions de transition énergétique.
En finançant la transition climatique, les banques aident le Canada à atteindre ses objectifs de carboneutralité, et la société à répondre aux demandes énergétiques intermédiaires dans ce contexte d'instabilité mondiale. Nos six grandes banques canadiennes ont participé au Conseil d'action en matière de finance durable du gouvernement fédéral. Nous prenons acte des mises à jour fournies par le gouvernement au début du mois sur ses projets de développement d'une taxonomie canadienne et espérons voir les progrès futurs dans ce domaine.
Une telle taxonomie devrait apporter plus de clarté et de certitude aux entreprises qui investissent dans les nouvelles technologies et les projets de transition énergétique, ainsi qu'aux institutions financières qui les soutiennent. Il importe de noter que, même en l'absence d'une taxonomie propre au Canada, nos grandes banques ont pris des engagements en matière de finance durable à hauteur de milliards de dollars. Cet investissement est soutenu par les engagements de nos six grandes banques canadiennes à titre de membres de l'alliance bancaire net zéro.
Nos banques préparent et publient des rapports annuels sur le climat et le développement durable dans lesquels elles donnent des détails sur leurs émissions, leurs objectifs et leurs progrès vers l'atteinte des objectifs, ainsi que des informations sur leurs activités de finance durable. Elles collaborent également avec les organismes de réglementation et de normalisation, tant nationaux qu'internationaux.
À la suite de la publication des principes relatifs aux changements climatiques par le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, en juin 2022, le Bureau du surintendant des institutions financières, le BSIF, l'organisme de réglementation du secteur bancaire au Canada, a publié, en mars 2023, sa ligne directrice B‑15 sur la gestion des risques climatiques. À l'époque, le BSIF avait fait un pas de plus que le Comité de Bâle en intégrant un ensemble d'attentes minimales obligatoires en matière de communication des informations financières en lien avec les changements climatiques, axées sur la gouvernance, la stratégie, la gestion des risques, les indicateurs chiffrés et les objectifs.
Ces informations sont fondées sur les travaux du Groupe de travail sur l'information financière relative aux changements climatiques, le GTIFCC, du Conseil de stabilité financière, que nos grandes banques mettent en œuvre volontairement depuis plusieurs années. Les grandes banques canadiennes sont tenues de respecter les attentes du BSIF en matière de communication à partir de la fin de leur exercice financier 2024, et nos petites et moyennes banques le sont également, mais à partir de la fin de leur exercice 2025.
À une plus large échelle, le Conseil des normes internationales d'information sur la durabilité, le CNIID, a entrepris de mettre au point des normes qui créeraient une base mondiale d'informations sur la durabilité. Le CNIID a amplifié les travaux du GIFCC et a publié ses normes inaugurales en juin 2023, notamment une norme sur la communication des informations financières relatives aux changements climatiques. Le BSIF a déjà intégré cette norme dans la ligne directrice B‑15 en mars dernier. Il faut aussi savoir que, si elles sont adoptées par les différents pays, les normes du CNIID s'appliqueront plus largement à tous les secteurs de l'économie.
Bien que le BSIF ait déjà pris des mesures à cet égard, il convient de noter qu'un nouveau Conseil canadien des normes d'information sur la durabilité, le CCNID, a été créé et consulté plus tôt cette année au sujet des normes inaugurales qui imitent étroitement celles du CNIID. Nous attendons que le CCNID finalise ses normes qui, nous l'espérons, seront adoptées par d'autres organismes de réglementation et d'autres secteurs partout au Canada.
À cette fin, nous soulignons l'intérêt du gouvernement à rendre obligatoire pour les grandes sociétés privées sous réglementation fédérale la communication d'informations financières en lien avec les changements climatiques, et à envisager, pour les petites et moyennes entreprises, des moyens de communiquer ces mêmes informations sur une base volontaire.
Les investisseurs et les analystes sont à la recherche d'informations internationales harmonisées qui facilitent les comparaisons. Nous sommes encouragés par le fait que les organismes canadiens de réglementation et de normalisation collaborent avec leurs homologues à l'échelle internationale et ont déjà entamé le processus d'application, au Canada, des normes de référence mondiales.
Une taxonomie canadienne revêt une grande importance dans le rehaussement du niveau de finance durable. Les gouvernements, les organismes de réglementation, les organismes de normalisation, les banques et le secteur privé ont tous un rôle à jouer dans la prise de mesures concrètes qui soutiennent la transition énergétique au Canada. Nous pensons qu'il est important de se féliciter des progrès réalisés jusqu'à présent, tout en restant conscients du travail qu'il reste à faire.
Merci, et nous attendons avec impatience vos questions.
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Je crois que nous devons oublier l'étiquette ESG.
Voici les problèmes avec les facteurs ESG: tout est rassemblé, de la même façon, sous l'étiquette ESG. Toutefois, certaines choses se chevauchent et d'autres, non, donc il est important de les prendre en considération chacune de leur côté.
Quel est l'aspect pour lequel les retombées sur la société sont également avantageuses, en fin de compte, pour la rentabilité de la société? C'est le capital humain. Dans mes premiers travaux, j'ai parlé entre autres du fait que quand on traite bien ses employés, les profits sont, en fin de compte, plus satisfaisants. C'est un concept que j'appelle l'internalité. Même en l'absence de réglementation gouvernementale, les sociétés ressentent les effets de leurs investissements dans le capital humain.
Les changements climatiques, par exemple, sont une externalité par laquelle vous obtenez des retombées positives pour la société et même pour d'autres entreprises, mais, si vous êtes une entreprise de combustibles fossiles, c'est très coûteux de réduire significativement la production.
Ce sont des cas dans lesquels, si vous dites à une entreprise de réduire sa production ou de faire ceci ou cela, cela pourrait nuire aux retombées financières, et n'oubliez pas que les retombées financières ne vont pas seulement dans les poches de capitalistes sans nom et sans visage: elles pourraient se retrouver dans les poches de pensionnés et de déposants, si vous êtes une banque, et c'est pourquoi il faut tenir compte des retombées financières, et, s'il y a des compromis, nous devons les reconnaître et non pas croire que tout le monde peut gagner.
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Je crois qu'il serait extrêmement difficile d'établir une taxonomie. Je ne sais pas qui a l'autorité suprême pour décider de ce qui est important et de ce qui ne l'est pas et de ce qui doit être pris en considération ou pas.
C'est pour cela que les facteurs ESG sont devenus un tel problème. Certains secteurs, disons par exemple le secteur de la défense, étaient dits de mauvais et maintenant ils sont dits bons. C'est parce que l'importance que nous accordons aux différents critères évolue avec le temps.
Récemment, j'ai rejoint le conseil consultatif sur la durabilité de Novo Nordisk, qui est à l'origine de certains des médicaments pour la perte de poids. Nous avons décidé d'envoyer certains de ces médicaments à des pays en voie de développement, même si cela nous fait perdre des revenus. C'est mauvais pour notre empreinte carbone parce que nous devons expédier les médicaments aux pays en voie de développement, mais malgré cela, c'est un énorme avantage pour ce qui est de la réduction de l'obésité. Dans les faits, si vous réduisez l'obésité, vous pourrez réduire, au final, les changements climatiques, car les gens qui ne deviennent pas diabétiques n'ont pas besoin de se déplacer à l'hôpital pour un traitement de dialyse trois fois par semaine.
Toute taxonomie va, généralement, ignorer bon nombre de ces critères. C'est très difficile de délimiter exactement ce qui est bon et ce qui ne l'est pas. Je ne voudrais pas être dans les souliers du responsable de la réglementation qui prétend détenir tous les savoirs pour trancher ces questions extrêmement complexes.
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Tout à fait, et j'aurais donc le pouvoir de décider de la réussite ou de l'échec des entreprises.
Dans une séance précédente, quelqu'un a dit: « Eh bien, c'est une taxonomie. C'est seulement une description. C'est neutre sur le plan des valeurs. » Ce n'est pas neutre.
Je comprends que les articles 6, 8 et 9 de la taxonomie de l'Union européenne étaient censés être seulement descriptifs, en utilisant le bleu, le vert et le rouge, et vous voulez investir dans les fonds bleus, verts et rouges. Ce n'est pas ce qui s'est produit. Si vous êtes un fonds relevant de l'article 9, vous avez beaucoup plus de chances d'obtenir du capital que si vous êtes un fonds relevant de l'article 8. Donc, si nous classons certaines activités dans la catégorie verte, elles attireront plus de capital que celles qui n'ont pas cette classification, et il est probable que les entreprises déploieront beaucoup d'efforts pour cocher la case et obtenir la classification, plutôt que de faire la bonne chose.
Dans mes propres recherches sur différents sujets — la diversité, l'équité et l'inclusion —, ce que j'observe, c'est que lorsque la diversité démographique, qui entre souvent en jeu dans les taxonomies, n'a aucun lien avec l'équité et l'inclusion véritables dans la main d'œuvre — aucun lien avec l'inclusivité dans la culture de l'entreprise —, nous pouvons nous concentrer sur les choses qui ont une incidence sur la taxonomie sans créer de valeur pour la société dans son ensemble.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Monsieur Delorme, j'ai souri quand vous avez parlé de votre parcours au ministère des Finances et à l'Organisation de coopération et de développement économiques, ou OCDE, puisqu'il est très semblable au mien.
Le Comité a eu le plaisir de recevoir M. Miller, un représentant de l'OCDE, qui nous a parlé des avancées de l'OCDE, ainsi que M. Usher, des Nations unies.
Si vous me le permettez, j'aimerais aborder la question de la compétitivité de l'économie canadienne sur la scène internationale. À mon avis, il s'agit d'une question importante. Mes collègues conservateurs évoquent souvent l'idée d'abandonner le système de tarification du carbone, ce qui nous exposerait, comme vous l'avez dit, à des tarifs européens sur nos exportations. D'autres remettent en cause la finance durable, ce qui risque de réduire l'attractivité du Canada auprès des investisseurs étrangers.
Pouvez-vous nous en dire davantage sur les conséquences possibles de l'inaction relativement à ces deux sujets?
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La motivation des grandes entreprises et du milieu bancaire — cela se défend encore — n'est pas de s'occuper du réchauffement climatique ou, en tout cas, ce n'est pas leur but principal. Ils ne s'occupent pas, non plus, de la lutte contre l'itinérance. Il faut donc forcer les entreprises privées à lever le menton et à regarder vers un horizon qui est beaucoup plus lointain.
Je n'ai pas pu le mentionner précédemment, mais je vais aller très brièvement. Nous avons fait une étude, l'année dernière, sur les critères ESG, et nous nous sommes aperçus que, premièrement, les critères ESG sont déficients dans toutes les compagnies. Il y a vraiment un grand potentiel d'écoblanchiment. Et là, c'est l'économiste qui parle. Peut-on vraiment mesurer les progrès sur les plans environnementaux, sociaux et de gouvernance? M. Edmans en a parlé au cours de son témoignage, tout à l'heure, il faut conjuguer ces trois points du triangle.
Deuxièmement, est-ce qu'on peut, quantitativement, suivre les progrès? Quand on applique cette grille, on s'aperçoit que, pour le commun des mortels, il est impossible, avec ce qu'on a, en ce moment, dans les rapports financiers, de vraiment donner la bénédiction aux grandes entreprises ou au milieu bancaire comme quoi les critères ESG sont des critères robustes. Ça, c'est extrêmement important parce qu'on parle beaucoup des critères ESG. On se drape dans ces critères, mais ce n'est pas encore assez robuste. M. Edmans en a parlé, aussi, tout à l'heure.
Nous ne savons pas exactement si la réglementation pallierait le problème.
Vous avez tout à fait raison; c'est le statu quo en vigueur. Les gestionnaires de portefeuille ne vont pas tenir compte de questions qu'ils estiment être sans importance.
Toutefois, ce qui peut les porter à faire cela, c'est les exigences de leurs propres clients. S'il y a un mandat pour un fonds, disant qu'il peut uniquement être investi dans un secteur X et pas dans un secteur Y, c'est quelque chose qui peut les influencer à investir de manière différente, mais cela viendra des clients de ces fonds, et pas nécessairement de la réglementation.
L'un des problèmes, si c'est réglementé, nous ramène à la discussion précédente sur les taxonomies. C'est très difficile de déterminer ce qui est bien et ce qui ne l'est pas. Peut-être qu'un client peut décider pour lui-même, mais je n'aime vraiment pas l'idée d'organismes réglementaires qui décident au nom de tous les clients.
Cela s'est d'ailleurs produit dans mon secteur, l'éducation. Il y a un certain temps, les États-Unis ont adopté le principe « no child left behind », c'est‑à‑dire « pas d'enfant laissé de côté », et les Américains se sont dit: « Essayons d'établir une taxonomie et mesurons les écoles selon qu'elles ont un bon rendement ou un mauvais rendement, et allouons du capital aux écoles avec un bon rendement et pas aux autres. » Cela ressemble à l'idée d'allouer du capital pour la transition, mais le résultat a été que de nombreuses écoles visaient uniquement la réussite aux examens.
Lorsqu'il y a des enjeux aussi complexes et qu'il y a autant d'éléments mouvants, c'est très difficile pour les organismes de réglementation de se doter d'une taxonomie qui prend tout cela en compte. Il incombe aux clients d'exprimer leurs souhaits pour ce qui est des mandats des fonds afin de guider les investisseurs dans l'allocation de leur capital.
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Malheureusement, c'est la deuxième option.
Cela signifie que vous ne pourrez vendre que si quelqu'un d'autre achète. Nous voyons cela comme un boycottage par les clients: si je n'achète pas ces produits, ils vont demeurer sur les étagères. Or, ce n'est pas la réalité sur les marchés des capitaux. Vous ne pouvez vendre que s'il y a un acheteur.
En réalité, cela peut aussi bien signifier que l'acheteur est quelqu'un qui ne se préoccupe pas autant du changement climatique que vous, car il est prêt à acheter ces actions, et donc, vous ne serez plus inclus dans les discussions. Non seulement vous perdez des rendements plus élevés liés au carbone, mais en plus, malheureusement, vous perdez également votre capacité à collaborer avec ces entreprises. J'aurais espéré que ce ne soit pas le cas, mais, d'après les données, les entreprises qui émettent du carbone ont des rendements plus élevés, sûrement en raison du fait qu'il s'agit d'une externalité, et non pas d'une internalité.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Ma question s'adresse à M. Darren Hannah, de l'Association des banquiers canadiens.
Un peu plus tôt, ce midi, à notre comité, Me Julien Beaulieu, du Centre québécois du droit de l'environnement, a remis en question la proposition concernant la déclaration volontaire. Il estimait en effet qu'une déclaration obligatoire serait préférable pour qu'il soit possible d'établir exactement les efforts qui sont faits d'une entreprise à l'autre et de savoir si les cibles sont atteintes.
Or, tout à l'heure, quelqu'un a dit que les déclarations volontaires étaient tout aussi efficaces et a souligné qu'on était plus engagé lorsqu'on agissait de façon volontaire plutôt qu'en y étant obligé.
J'aimerais connaître votre avis sur la déclaration volontaire des mesures prises pour réduire les émissions et pour investir dans les entreprises vertes, ce qui n'empêche pas d'investir dans les autres entreprises.
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Merci, monsieur le président.
Merci à tous les témoins de leur présence.
Monsieur Edmans, j'ai une question pour vous.
Vous avez répété, souvent en réponse aux questions, qu'il faut laisser au consommateur ou au client le choix de l'endroit où investir. Par conséquent, avoir une taxonomie ou exiger un rapport de divulgation permettrait aux clients et aux investisseurs d'avoir accès aux informations et rendrait également les choses plus simples et plus cohérentes, étant donné que les investisseurs ne seront pas tous à même de parcourir les rapports et de tout comprendre.
Si les gens veulent faire des choix éclairés sur l'endroit où ils souhaitent investir, est‑ce que vous pensez que ce genre de divulgation et de transparence ou que la taxonomie, lesquels simplifient pour les investisseurs les informations sur les investissements de ces entreprises, sont nécessaires?