:
Bonsoir à tous. Je déclare la séance ouverte.
C'est un plaisir de voir autant de collègues réunis un mardi soir.
Bienvenue à la 78e réunion du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre.
Le Comité se réunit aujourd'hui pour étudier la question de privilège concernant la campagne d'intimidation envers le député de Wellington—Halton Hills et d'autres députés.
Nous accueillons aujourd'hui M. Wesley Wark, agrégé supérieur au Centre for International Governance. M. Mark est basé dans la région de Waterloo, dans la ville de Waterloo, c'est‑à‑dire dans la circonscription dont je suis la fière députée. Je tiens à le souligner par souci de transparence.
Nous accueillons également Thomas Juneau, professeur agrégé à l'École supérieure d'affaires publiques et internationales de l'Université d'Ottawa.
Vous disposez de cinq minutes chacun pour une déclaration liminaire, qui a été communiquée aux interprètes, je crois, puis nous passerons aux questions des membres du Comité.
Je voudrais rappeler à tous les membres et à tous les témoins que, pour ménager nos interprètes, il faut faire attention à la façon dont on se sert des oreillettes. Veillez à ne pas placer votre oreillette à proximité du microphone, car cela pourrait créer un retour de son susceptible de provoquer un choc acoustique et de blesser les interprètes. Votre oreillette est fixée à l'appareil qui se trouve devant vous. Pour réduire au minimum les risques pour les personnes qui nous aident à travailler dans les deux langues officielles, assurez-vous de ne pas approcher l'oreillette de votre micro. Tenez‑la loin.
Cela ayant été dit, monsieur Wark, vous avez la parole. Bienvenue au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre.
:
Madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du Comité, je vous remercie de m'avoir invité à prendre la parole.
Dans cette brève déclaration liminaire, je souhaite aborder trois questions. Tout d'abord, je tiens à soutenir l'appel lancé par le député en faveur d'un changement visant à renforcer le système canadien de sécurité nationale et de renseignement. Cet appel a été repris dans le premier rapport du rapporteur spécial David Johnston, qui a affirmé que le traitement déficient accordé aux renseignements concernant les menaces avérées à l'endroit de M. Chong était « sans doute [de] l’exemple le plus marquant, mais non le seul, d’une mauvaise circulation de l’information et d’un mauvais traitement de l’information entre les organisations, la fonction publique et les ministres ».
L'analyse de M. Johnston, comme vous le savez, pourra être critiquée par ceux qui seront autorisés à lire son annexe confidentielle, y compris les organes d'examen. Cette question sera également abordée lors des audiences publiques prévues par M. Johnston, audiences que je considère comme une occasion importante de proposer de nouvelles idées pour réformer le système canadien du renseignement.
Alors que nous envisageons les changements nécessaires à l'appareil gouvernemental pour assurer une meilleure circulation du renseignement, nous devons également nous pencher de façon plus globale sur le fonctionnement de ce que l'on appelle souvent le cycle du renseignement, c'est‑à‑dire la collecte, l'analyse et la production consécutive de rapports. L'amélioration de l'appareil gouvernemental ne suffira pas à combler les lacunes de ce cycle plus vaste du renseignement ni à modifier ce que l'on appelle souvent la culture déficiente du domaine du renseignement au sein du gouvernement fédéral.
Deuxièmement, lors de son témoignage devant ce comité, a parlé des mesures prises en 2022 par le Service de sécurité britannique, le MI5, pour alerter le Parlement britannique au sujet des activités d'une avocate britannique d'origine chinoise, Christine Lee, qu'il avait identifiée comme étant une agente d'influence chinoise. De telles actions de la part des services de renseignement britanniques sont extrêmement rares.
Aux termes de la loi, le Service canadien du renseignement de sécurité, le SCRS, dispose de pouvoirs, connus sous le nom de mesures de réduction de la menace, qu'il peut utiliser contre des intervenants identifiés comme étant mêlés à des activités d'ingérence étrangère, et il peut déployer ces mesures même à l'égard de secteurs dits sensibles, y compris l'arène politique. Cela fait partie de la politique du SCRS depuis longtemps. Cependant, bien que potentiellement efficace, toute menace de se servir de ces pouvoirs et, ce faisant, de nommer publiquement des personnes et de les couvrir de honte doit être protégée contre les usages inconsidérés. Il suffit de se rappeler le cas tristement célèbre d'un diplomate canadien très respecté, E. Herbert Norman, qui a été poussé au suicide par une campagne publicitaire mccarthyste acharnée qui l'accusait à tort d'être un agent d'influence communiste.
Troisièmement, je voudrais attirer votre attention sur la directive ministérielle émise le 16 mai par le en réponse à l'affaire . Cette directive souligne la nécessité pour le SCRS d'enquêter « sur toutes les menaces à la sécurité du Canada dirigées contre le Parlement et les parlementaires » et de veiller, dans la mesure du possible, à ce que les parlementaires soient informés directement de ces menaces. La directive stipule en outre que le SCRS doit informer le ministre de la Sécurité publique de ces menaces « en temps opportun ».
Bien qu'il s'agisse là d'une expression appropriée de la responsabilité ministérielle, permettez-moi de soulever une préoccupation hypothétique quant à la possible politisation du renseignement qui pourrait survenir si un ministre d'un futur gouvernement devenait trop impliqué dans son rôle décisionnel à cet égard. D'un point de vue politique — et même si cela n'est pas explicitement précisé dans la directive ministérielle —, il serait aussi important de veiller à ce que le premier ministre soit informé de la même manière de tout signalement de menace. Aux paliers supérieurs de la fonction publique, un système de double clé, la seconde clé étant détenue par le conseiller à la sécurité nationale et au renseignement, pourrait être envisagé.
J'ai une dernière chose à dire au sujet des problèmes que l'ingérence étrangère pose aux services de renseignement, qui, à mon avis, ne sont pas bien décrits dans la plupart des reportages des médias. Les services de renseignement doivent comprendre les intentions et les capacités des auteurs des menaces ainsi que les ouvertures qu'ils exploitent. Il s'agit d'éléments distincts, et les intentions — qui peuvent être cernées, par exemple, à partir des communications entre les agents consulaires chinois — ne se traduisent pas toujours par des capacités sur le terrain. Pour récolter des renseignements en temps opportun, il serait également important de surveiller les occasions susceptibles d'être mises à profit aux fins d'interférence. Sans renseignements actuels, nos efforts sont comme un coup d'épée dans l'eau.
Je vous remercie de m'avoir donné cette occasion de m'adresser à vous. Je serai heureux de répondre à vos questions.
Je suis heureux d'être de retour au Comité. La dernière fois que j'étais ici, il y a trois semaines, j'ai surtout parlé de la façon dont la transparence pourrait être utilisée en tant qu'outil pour mieux contrer l'ingérence étrangère. Aujourd'hui, j'aimerais poursuivre dans la même veine et parler d'autres réformes que le milieu du renseignement pourrait envisager pour mieux contrer l'ingérence étrangère. Je souhaite en outre aborder des enjeux qui sont directement liés à ce qui est arrivé à M. Chong et, plus généralement, à certains des problèmes structurels de l'appareil de sécurité nationale mis en évidence dans le premier rapport de David Johnston.
Mes recommandations s'appuient largement sur deux grandes sources. La première est un ouvrage que j'ai récemment coécrit avec la professeure Stephanie Carvin de l'Université Carleton sur la dynamique de la politique de renseignement au Canada. Cet ouvrage s'appuie sur 70 entretiens réalisés auprès de responsables du monde de la sécurité nationale. Le second est un rapport que j'ai rédigé en collaboration avec Vincent Rigby, ancien conseiller du premier ministre en matière de sécurité nationale et de renseignement, et avec le soutien d'un groupe de travail composé d'une douzaine de hauts fonctionnaires à la retraite, dont des directeurs du SCRS, d'autres conseillers en matière de sécurité nationale et de renseignement, et des sous-ministres.
Ma première recommandation concerne la création d'un comité ministériel sur la sécurité nationale. Les questions de sécurité nationale méritent qu'on leur accorde une attention soutenue sur le plan politique. C'est essentiel pour aborder les questions de sécurité nationale d'une manière plus proactive et stratégique. Le système actuel favorise davantage une approche réactive, une réponse à la pièce.
Un comité sur la sécurité nationale au sein du Cabinet aura besoin d'un soutien bureaucratique plus soutenu. Cela ne peut se faire qu'en renforçant le poste de conseiller en matière de sécurité nationale et de renseignement. De façon générale, je pense que le comité sur la sécurité nationale souffre d'un manque de coordination. Pour être clair, il ne s'agit pas de personnes occupant des postes particuliers. C'est la structure même du système qui encourage le travail en silos et empêche la prestation d'une coordination plus rigoureuse à partir du centre.
J'ajouterais que la capacité de Sécurité publique Canada en matière de formulation de politiques — un ministère qui joue aussi un rôle important en matière de coordination — est encore trop limitée. Les principales menaces auxquelles le Canada est confronté aujourd'hui, y compris l'ingérence étrangère, doivent toutes être contrées non seulement par un effort pangouvernemental, mais aussi par un effort de l'ensemble de la société. Or, cela ne peut se faire de manière optimale sans une meilleure coordination.
L'une des faiblesses du milieu du renseignement — faiblesses qui ont été mises en évidence lors de récents événements —, c'est qu'il souffre d'une connaissance limitée des politiques, et que les politiques souffrent d'une connaissance limitée du renseignement, même si je dois reconnaître qu'il y a eu des améliorations significatives au cours des dernières années. Cela signifie que la communauté du renseignement est souvent mal placée pour apporter un soutien optimal à ses clients politiques, puisqu'elle comprend mal leur travail. La culture du milieu du renseignement est encore trop insulaire, trop fermée et trop réfractaire au changement. L'inverse est également vrai. Les consommateurs du renseignement qui travaillent aux politiques, dans l'administration, mais aussi dans la politique ne sont pas en position optimale pour demander un soutien adéquat en matière de renseignement — comme nous l'avons vu très clairement ces dernières semaines — et pour savoir ensuite comment utiliser ce renseignement dans le cadre de leur travail.
Il est difficile d'améliorer les connaissances en matière de renseignement et de politique, mais nous pourrions faire mieux, notamment en améliorant la formation. La formation au sein du milieu du renseignement est souvent médiocre. La façon dont l'argent est réellement dépensé est très peu suivie. Nous avons besoin de détachements et d'échanges. Nous avons besoin de beaucoup plus de mouvements de personnel entre le monde de la politique et celui du renseignement pour aider à briser les silos et favoriser la compréhension mutuelle. Comme je l'ai dit il y a trois semaines, il y a également une épidémie de surclassification, ce qui reste un obstacle de taille au partage d'informations entre les clients et le monde du renseignement.
Les ressources humaines sont un autre grand problème. La communauté de la sécurité nationale a d'énormes problèmes en ce qui concerne le recrutement, le maintien en poste du personnel, le moral des effectifs et les cheminements de carrière. Les habilitations de sécurité accusent de sérieux retards. Ce sont des questions compliquées et frustrantes, mais plus on les néglige, plus la situation s'aggrave. Faute de s'attaquer aux problèmes qui minent les fondements du capital humain, nous ne permettrons pas aux réformes que nous proposons de réussir.
Enfin, il est absolument nécessaire de procéder à un examen complet de la sécurité nationale au Canada. C'est un exercice qui demande beaucoup de travail et qui est très lourd sur le plan bureaucratique, mais nous n'en avons pas eu depuis 2004. C'est cependant un exercice de réflexion utile pour envisager et élaborer de nouvelles solutions et pour répondre à des questions difficiles sur les menaces auxquelles nous sommes confrontés, sur les outils, sur la gouvernance et sur les ressources humaines. La mise en œuvre d'un tel examen est une façon d'informer nos alliés que nous prenons la sécurité nationale au sérieux, un signal dont nous avons grandement besoin en ce moment.
Pour conclure, le point le plus important est peut-être celui qui est souvent négligé à Ottawa. L'examen signalerait aux Canadiens que la sécurité nationale est importante, contribuerait à sensibiliser les Canadiens à ces enjeux et susciterait un débat mieux éclairé en la matière.
Je vous remercie.
Nous passons aux tours de six minutes. M. Berthold aura d'abord la parole. Il sera suivi de M. Fergus, de Mme Normandin, puis de Mme Blaney. Comme toujours, je vous rappelle que les commentaires doivent être adressés à la présidence. Aussi, comme toujours, en raison de nos deux langues officielles, nous allons prendre le temps de parler lentement afin que tout le monde puisse comprendre nos propos d'aujourd'hui.
Monsieur Berthold, la parole est à vous.
:
Je ne suis absolument pas en mesure de répondre précisément à cette question, parce que l'information que vous recherchez n'est pas publique. Je ne peux donc pas vous donner de chiffres.
Je peux cependant vous dire que, d'après les recherches que j'ai menées, mon expérience comme fonctionnaire à la Défense nationale, ainsi que l'information que me transmettent mes étudiants de l'Université d'Ottawa qui essaient d'obtenir un poste permanent au gouvernement ou un stage d'été à titre d'étudiant — c'est le cas de la majorité d'entre eux —, il faut attendre très longtemps avant d'obtenir une cote de sécurité de niveau très secret.
Cette cote est pourtant nécessaire pour la majorité des emplois dans le secteur qui nous intéresse. Le délai d'attente est de plus d'un an, voire souvent plus de deux ans. Cela pose des problèmes majeurs de nature morale, mais aussi en ce qui concerne la rétention du personnel.
Prenons l'exemple d'un jeune très talentueux, souhaitant faire partie de la communauté du renseignement, qui obtient un emploi à la suite d'un processus lui-même parfois très long, comportant des tests psychologiques, entre autres. S'il se fait dire qu'il devra attendre de 6 à 12 mois de plus avant que son enquête de sécurité soit terminée, il est possible qu'il n'ait pas la patience d'attendre tout ce temps. Il pourrait se sentir frustré.
Ce genre de délai d'attente cause un énorme problème, qui est connu depuis des années.
:
Je comprends, monsieur Juneau. Merci.
Je voulais seulement savoir si vous aviez des chiffres à nous transmettre, parce que le Comité n'en a pas non plus. Il posera probablement la question, qui en est une bonne.
Depuis votre dernière comparution devant le Comité, le rapport de M. Johnston a été publié. Parmi les recommandations formulées se retrouve celle de ne pas tenir d'enquête publique, sous prétexte qu'on ne peut pas tenir une telle enquête sans compromettre la sécurité nationale.
Êtes-vous d'accord avec M. Johnston?
:
Je suis en partie d'accord avec lui.
Je crois qu'une enquête publique aurait été possible, même si elle aurait dû être en grande partie tenue à huis clos. Par contre, il existe des précédents de telles enquêtes. Par exemple, la Commission sur l'état d'urgence dirigée par le juge Paul Rouleau l'a été un peu, alors que la Commission Arar l'a beaucoup été.
Dans ce cas-ci, elle l'aurait peut-être été encore davantage, parce que l'information est extrêmement délicate. Après ça, toutefois, des conclusions auraient pu être publiées.
Selon moi, l'argument le plus pertinent pour ne pas tenir d'enquête publique est que la valeur ajoutée n'aurait pas été substantielle, étant donné tous les autres processus en cours, comme les travaux du Comité, ceux du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement et ceux de l'Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement.
En fin de compte, mon évaluation est un peu différente de celle de M. Johnston. À mon avis, la valeur ajoutée aurait été limitée.
On parle présentement de M. Chong, mais nous avons aussi entendu M. O'Toole à la Chambre des communes, cet après-midi. Il a pratiquement corroboré le premier article de M. Sam Cooper concernant l'influence et les efforts orchestrés du régime de Pékin pour tenter d'influencer le système électoral. Pour la première fois, nous avons entendu le témoignage d'un député disant avoir été informé par le Service canadien du renseignement de sécurité qu'il a fait l'objet d'une campagne systématique de suppression de votes.
Ne croyez-vous pas que l'écoute, l'analyse et l'observation doivent être faites en parallèle avec l'action? Or il y en a eu peu, jusqu'à présent.
:
Merci beaucoup, madame la présidente.
J'espère que l'interprétation fonctionne bien.
Madame la présidente, je disais que j'ai lu les travaux de MM. Juneau et Wark, qui sont des experts, évidemment.
Monsieur Juneau, au mois de mars, et encore une fois ce soir, vous avez dit que le Canada avait déjà fait pas mal de choses pour contrer l'ingérence étrangère, mais vous pensez que nous pourrions en faire davantage.
En une minute, pourriez-vous nous dire où nous avons commencé, où nous nous trouvons maintenant et ce que nous devons faire pour contrer l'ingérence politique à l'avenir?
:
D'abord, je pense que le Canada agit contre l'ingérence étrangère. J'entends des commentaires publics, y compris de la part de certains témoins qui ont comparu devant ce comité au cours des dernières semaines, selon lesquels le Canada ne fait rien. Qu'on parle du gouvernement actuel ou du précédent, je ne crois pas que ce soit vrai. Cela dit, le Canada devrait absolument en faire beaucoup plus.
Que devrait-on faire de plus? D'abord, il y a toutes les recommandations que j'ai faites pendant ma présentation, mais il y en a d'autres que je pourrais mentionner. Premièrement, il pourrait y avoir un registre d'agents étrangers. Nous en avons parlé quand j'ai comparu devant vous la dernière fois et d'autres vous en ont aussi parlé. Cela aurait dû être fait depuis longtemps. Considérant là où nous en sommes aujourd'hui, il faudrait avancer là-dessus, quoique prudemment, pour ne pas aller trop vite.
Enfin, j'ajouterais que nous avons besoin d'en parler davantage publiquement, de façon générale, que ce soit dans le cadre des travaux de ce comité, comme nous l'avons dit plus tôt, ou dans d'autres instances. Ce n'est pas particulièrement original, mais au fil des années, dans différentes recherches, j'ai vu que le gouvernement canadien agit en matière de sécurité nationale de manière réactive. Il agit quand il est sous pression, que ce soit une pression publique ou politique, mais pas quand il est sous pression à cause d'une menace à la sécurité nationale. La pression politique est là en ce moment et, par le passé, c'est dans un tel contexte que nous avons vu des petits pas se faire. Je pense que nous allons voir du progrès au cours de la prochaine année, mais il faudra évaluer cela.
:
Je suis bien content que vous posiez cette question. Plusieurs experts ont exprimé une crainte au cours des dernières semaines — c'est certainement mon cas —, à savoir que les débats se concentrent trop sur la Chine. Bien sûr, la Chine est la source principale d'ingérence étrangère, elle constitue la plus importante menace, mais elle n'est pas la seule.
Il y a entre autres l'Iran, la Russie et des pays qu'on considère typiquement comme des amis, par exemple la Turquie, une alliée de l'OTAN, qui fait de l'ingérence étrangère au Canada à plus petite échelle. L'Arabie saoudite, avec laquelle on s'est réconcilié la semaine dernière, fait des pressions sur les dissidents saoudiens au Canada, par exemple. Ce n'est pas seulement la Chine, et le problème ne vient pas seulement de nos adversaires.
Dans le cas de l'Iran, la principale forme d'ingérence qui m'inquiète — ce n'est pas la seule — est ce que j'appelle la « répression transnationale », c'est-à-dire la répression au-delà de ses frontières. On voit le régime iranien exercer de la pression par la voie du cyberespace, parfois par des individus qui lui sont loyaux sur le terrain au Canada, pour intimider, menacer et faire chanter des dissidents iraniens canadiens qui militent pour les droits de la personne ou la démocratie en Iran. Ceux-ci sont victimes de menaces souvent graves. Parfois, leurs familles en Iran se font aussi menacer. Ces personnes, dont plusieurs à qui je parle sur une base régulière, disent qu'elles se sentent négligées, oubliées et vulnérables, et que le gouvernement n'en fait pas assez pour elles.
:
Merci, monsieur Fergus.
La chose qui me paraît la plus importante, et la raison pour laquelle je préconise des audiences publiques plutôt qu'une enquête judiciaire, c'est qu'au Canada — et cela fait écho à certains propos de mon collègue et ami Thomas Juneau —, nous avons de sérieuses lacunes en ce qui concerne ce que le directeur du SCRS appelle la « connaissance de la sécurité nationale ». Le public a un rôle très important à jouer dans la réponse à l'ingérence étrangère et dans la lutte à cette dernière. En fait, le rôle du public est peut-être le plus important de tous les acteurs concernés. Il est vital que nous essayions d'élever le degré de compréhension et de sensibilisation du public à l'égard de cette question.
Il existe toutes sortes d'instruments pour y parvenir, y compris une stratégie de sécurité nationale dont la dernière mouture remonte à 2004, comme l'a indiqué le professeur Juneau. Avec la flexibilité dont elles disposent et compte tenu du fait qu'elles sont très différentes d'une enquête judiciaire, les audiences publiques seraient à mon sens tout à fait appropriées pour faire avancer la conversation à ce sujet.
C'est le principal espoir que je nourris.
Je remercie nos deux témoins de leur présence. J'ai des questions ouvertes, et je les invite à se jeter dans la mêlée s'ils souhaitent y répondre.
La question de la culture du renseignement a été évoquée dans vos deux témoignages. J'aimerais que vous nous en parliez davantage pour faire écho à une discussion qui a eu lieu ce matin. Vous avez dit qu'on travaillait de façon compartimentée. Les gens du renseignement ont leur expertise, mais ils ne savent pas très bien ce qui se passe du côté des politiques. Inversement, ceux qui font ces politiques ne savent pas très bien ce qui se passe sur le plan du renseignement.
Devrait-on mieux encadrer les gens qu'on nomme aux postes décisionnels en matière de politiques et comme conseillers entourant le premier ministre, par exemple? Devrait-on imposer des qualifications précises à ces personnes?
:
La question de la faible connaissance des questions de politiques dans le milieu du renseignement est un grand problème. La situation, je crois, s'est un peu améliorée. Dans les recherches que j'ai faites, j'ai pu voir une tendance à l'amélioration, mais on n’en est pas du tout au point où on devrait être rendu. Dans ma présentation, j'ai parlé d'une meilleure formation, parce qu'il y a là une grande faiblesse. J'ai parlé d'échange de personnel, de rotations, parce que c'est aussi une grande faiblesse.
Vous me parlez de promotion. Je ne l'ai pas mentionné, mais c'est un élément qui m'intéresse beaucoup. Il y a une limite aux compétences trop précises. Si c'est trop rigide, le système peut devenir trop lourd.
Dans d'autres circonstances, j'ai fait une recommandation qui, à mon avis, pourrait vous aider. Il s'agit d'inclure des critères plus ambitieux en matière de diversité d'expériences, et ce, pour des promotions à des niveaux assez bas. Dans plusieurs agences du renseignement, par exemple le SCRS, la GRC et l'AFSC, il y a des gens qui montent à des niveaux de directeur général, donc EX‑03, et même à des niveaux de sous-ministre adjoint, donc EX‑04 ou EX‑05, qui n'ont jamais travaillé ailleurs que dans cette agence.
Je considère que c'est un énorme problème. Ces personnes peuvent avoir une expertise technique très avancée, mais n'avoir aucune compréhension d'Ottawa en général.
:
Je suis ravi de cette question.
Tout d'abord, pour comprendre le problème de la culture du renseignement, je pense que nous pouvons dire les choses clairement et simplement: un pays ne possède une culture du renseignement que lorsque son gouvernement, ceux qui le servent et le grand public comprennent qu'un renseignement de qualité est essentiel à la prise de décisions, et qu'ils prennent cette question au sérieux.
Or, comme l'a indiqué le professeur Juneau, ce n'est pas le cas au Canada. Nous ne prenons le renseignement au sérieux que de manière épisodique, et en ce sens, notre pays est franchement en porte‑à‑faux avec tous nos partenaires du Groupe des cinq. J'inclurais même la Nouvelle-Zélande dans le lot, alors qu'il s'agit d'un pays avec lequel nous ne voulons pas nécessairement nous comparer en ce qui concerne les capacités de sécurité nationale et pour ce qui est de ne pas prendre le renseignement au sérieux, c'est‑à‑dire ne pas supposer que le renseignement doit faire partie de tout processus d'élaboration de politiques.
Il y a de nombreuses façons d'aborder la question du sérieux, et certaines d'entre elles renvoient à l'appareil gouvernemental proprement dit. Je pense qu'un comité sur la sécurité nationale du Cabinet, présidé par le premier ministre, serait certainement un moyen d'y parvenir.
En ce qui concerne le conseiller en matière de sécurité nationale, je dirai brièvement qu'il exerce son pouvoir par ce que l'on appelle souvent le pouvoir de persuasion. Il a été suggéré par le passé que ce pouvoir devrait être enchâssé dans la loi. Je pense que cela peut être discuté, mais le bureau du conseiller en matière de sécurité nationale et de renseignement a absolument besoin d'une personne qui jouirait d'une ancienneté considérable et d'un grand respect au sein du gouvernement du Canada, et qui aurait une grande connaissance du renseignement et de la sécurité nationale. Malheureusement, au Canada, ce poste a fait l'objet d'une certaine rotation au cours des dernières années. D'excellentes personnes l'ont occupé, mais elles n'y sont pas restées longtemps, loin de là.
Au Royaume-Uni, il y a un modèle similaire de conseiller au cabinet. Or, il est entendu que c'est le dernier poste qu'un haut fonctionnaire occupera. Le titulaire sera un affranchi des sphères d'influence. Il ne se souciera pas de son avancement sur le plan professionnel. Il sera préoccupé par l'intérêt national. Je crois que nous devons recadrer le poste de conseiller en matière de sécurité nationale et de renseignement dans cette perspective.
Je pense que le professeur Juneau et moi-même sommes d'accord pour dire que le conseiller en matière de sécurité nationale et de renseignement doit disposer de ressources et d'une équipe. Le personnel du Bureau du Conseil privé qui assiste le conseiller en matière de sécurité nationale et de renseignement est réduit à l'essentiel et il n'est pas surprenant, dans ce contexte, que des éléments de renseignement puissent être oubliés.
Il s'agit d'un problème plus large, car il existe un vaste flux de renseignements. Reconnaissons‑le. Le défi consiste à s'assurer que ces renseignements sont vraiment bons et que les gens comprennent qu'ils doivent être lus. Je pense que le Canada a beaucoup de travail à faire à cet égard.
Je vous remercie.
:
Madame la présidente, il s'agit là encore une fois d'une question très intéressante.
Je pourrais vous parler de mes expériences dans l'élaboration de la stratégie de sécurité nationale en 2004, dans la prestation de conseils à l'étape finale de sa préparation, et pendant mes deux mandats comme membre du Conseil consultatif sur la sécurité nationale du premier ministre qui a été créé à l'époque.
Mon expérience de la stratégie de sécurité nationale m'a convaincu qu'il s'agit là d'un instrument important, d'une feuille de route dont le gouvernement a besoin pour lui-même. Il s'agit aussi d'un élément essentiel pour informer tant la population que nos alliés, pour leur dire comment le Canada a l'intention de composer avec diverses menaces identifiables à la sécurité nationale.
Je vais être bref, madame la présidente. J'ai toujours pensé que l'idée d'un conseil consultatif sur la sécurité nationale du premier ministre était une expérience très intéressante qui n'a sans doute pas duré aussi longtemps et n'est pas allée aussi loin que cela aurait dû.
Je vais terminer sur ces deux points.
:
Je vous remercie, madame la présidente.
Je remercie sincèrement les témoins d'être avec nous aujourd'hui. Vos témoignages sont déjà fort intéressants.
Je vais vous poser une question ouverte à tous les deux. Je trouve intéressant que dans vos deux interventions, vous ayez parlé des connaissances, tant du côté de la population, et j'oserais dire du côté des services de renseignement, que, sans doute aussi, du côté des députés. Vous avez parlé d'une stratégie sur la sécurité nationale et d'un effort de la société tout entière.
Pour moi, tous ces éléments sont liés. Je trouve que les discussions sont devenues beaucoup trop partisanes et ne se concentrent pas vraiment sur la question centrale, qui est de savoir comment nous allons faire face à ce problème, comment les Canadiens peuvent faire confiance aux systèmes que nous avons mis en place.
Je me demande simplement ce qui suit: comment une stratégie sur la sécurité nationale pourrait-elle nous aider à informer concrètement la population et à l'encourager à se renseigner? Les députés doivent-ils aussi jouer un rôle? Vous avez parlé d'avoir un comité ministériel sur la sécurité, mais vaudrait‑il la peine d'avoir une composante plus large? Je sais que nous avons le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, mais on nous a dit plus tôt aujourd'hui que plus de députés, en fait, devraient être informés sur cette question afin que nous puissions nous éloigner de la partisanerie et nous attaquer à cette question fondamentale.
Si vous pouviez répondre à cette question vaste et amusante, je vous en serais très reconnaissante.
:
Je vous remercie de la question, madame la présidente. Je dirais que c'est une excellente question.
Je pense que nous devons accorder plus d'attention, notamment en essayant de fournir aux députés — en particulier aux nouveaux députés qui arrivent dans cet univers étrange sans doute qu'est la Chambre des communes, ou même aux sénateurs — une certaine formation officielle, alors qu'ils n'ont probablement jamais eu l'occasion de réfléchir à la nature des menaces à la sécurité nationale et des interventions des services de renseignement que cela appelle. Je dirais qu'il faut aller au‑delà des députés et des sénateurs et englober les membres de leur personnel qui — et vous le savez mieux que moi — jouent un rôle important en conseillant les députés. Je crois qu'il y a beaucoup d'éducation à faire à cet égard.
J'ajouterais que les députés, les sénateurs et leur personnel doivent avoir accès à de l'information plus facile à lire et accessible au public qui porte sur le renseignement et la sécurité nationale. C'est un argument de poids en faveur d'une stratégie sur la sécurité nationale. Nombre de nos partenaires du Groupe des cinq ont de telles stratégies qui comprennent divers éléments. Premièrement, on y énumère toute la gamme connue des menaces à la sécurité nationale auxquelles fait face le pays. Deuxièmement, on y parle des interventions pour contrer ces menaces, de la capacité d'intervention du gouvernement, et de la manière dont ces interventions s'inscrivent dans un cadre démocratique au sein de la société qui fait face à ces menaces. C'est un outil d'éducation de la population qui peut s'avérer indispensable, y compris pour les députés et leur personnel, mais qui peut aussi servir de feuille de route pour le gouvernement, car les activités du renseignement dans ce domaine sont décentralisées et cloisonnées, et il aurait besoin, bien honnêtement, de quelques directives à cet égard.
Je voudrais rappeler aux membres du Comité certains éléments du témoignage de la conseillère à la sécurité nationale et au renseignement, Jody Thomas, devant la Commission sur l'état d'urgence, soit le fait qu'il lui était difficile de préparer une intervention gouvernementale à son niveau en raison de l'absence d'un cadre ou d'une stratégie de sécurité nationale. Si nous cherchons un exemple pour démontrer qu'il ne s'agit pas simplement d'une demande polie, il suffit de penser, à vrai dire, aux efforts du gouvernement pour intervenir lors du « convoi de la liberté ».
Je vous remercie.
:
Je suis tout à fait d'accord.
Je mentionnais au dernier point de ma déclaration d'aujourd'hui que l'un des avantages d'un examen de la stratégie de sécurité nationale serait de sensibiliser le grand public. Tout au long du processus, et même après, les politiciens, mais aussi les hauts fonctionnaires, le directeur du SCRS et d'autres, disposent de nombreux moyens pour le faire, en plus de la publication des documents appelés « discours de stratégie ». Nous sommes loin de consulter la société civile et de dialoguer avec elle autant que nous le devrions.
Lorsque je parle de « dialogue », j'entends un véritable dialogue. Lorsqu'elle noue le dialogue avec les médias, la société civile et les universitaires, la communauté du renseignement a tendance à considérer cela comme une occasion de « cocher une case », comme on dit dans le langage bureaucratique. Il faut un dialogue sérieux avec les groupes de la société civile, comme les Canadiens d'origine chinoise quand il est question d'ingérence étrangère, ou les Canadiens d'origine iranienne, comme il en a été question précédemment, etc.
La communauté de la sécurité nationale ne communique pas assez ou assez bien avec les médias nationaux, de même qu'avec les médias locaux et ethniques. C'est un moyen très important de faire passer un message et de sensibiliser des communautés précises. Il est nécessaire d'intensifier les efforts en ce sens.
Le dernier point, et je tiens vraiment à insister sur ce point, c'est que la communauté de la sécurité nationale s'est améliorée. Il y a un peu un thème dans ce que je dis, mais il y a eu une amélioration au cours des 10 dernières années. C'est tout à fait vrai, même si la communauté éprouve encore de la difficulté à communiquer efficacement. Trop de communication est perçue comme le fait de répéter des notes d'allocution, ce qui, au mieux, n'est pas très utile. Dans certains cas, c'est même contre-productif, car cela peut être offensant et convaincre les gens que la communication n'est pas importante. Par conséquent, cela renforce la suspicion, la méfiance, etc.
Il faut donc une communication tout au long de l'examen de la sécurité nationale, mais aussi un effort sérieux de réflexion sur la manière de le faire de manière significative.
Il ne me reste que quelques secondes.
Je pense à un pays comme la Finlande, qui est très actif en matière d'éducation, depuis l'enfance jusqu'au collège et à l'université. J'aimerais bien en savoir plus à ce sujet, car j'ai entendu, même de la bouche d'un des ministres, qu'il s'agit d'une compétence provinciale. Il s'agit pourtant de questions de sécurité nationale. Si nous n'informons pas les gens...
J'y reviendrai plus tard quand ce sera à nouveau mon tour.
:
Je vous remercie, madame la présidente.
Je veux remercier les témoins d'être avec nous.
Je ne siège pas habituellement à ce comité. Les témoignages sont fort intéressants.
est un bon ami à moi. Honnêtement, je trouve que ce qui lui est arrivé est scandaleux, et que ce que raconte le gouvernement manque vraiment de crédibilité. Je pense que cela provoque beaucoup de méfiance à l'égard de nos institutions.
Monsieur Juneau, j'ai quelques questions à vous poser. Dans votre déclaration liminaire, vous avez dit que nous avions besoin de mettre sur pied un comité ministériel. Il faut que l'examen de la sécurité nationale soit crédible, mais pour ce faire, il est très important que les Canadiens aient confiance en leurs dirigeants.
J'aimerais savoir ce qui suit: quand vous avez été embauché à l'université — vous occupez un poste très important —, vous a‑t‑on donné une adresse courriel?
:
Je suis désolée, mais je vais vous interrompre un instant. Nous allons arrêter le chronomètre.
Monsieur Carrie, je vous remercie d'être avec nous ce soir. C'est toujours un privilège de recevoir des visiteurs, car, pour moi, c'est un comité de choix.
Au sein de notre comité, une seule personne parle à la fois, parce que les deux langues officielles ont une très grande importance. Cela facilite le travail des interprètes. On maintient un contact visuel et on se donne la parole, mais deux personnes ne peuvent pas parler en même temps.
Sur ce, je vous redonne la parole, monsieur Carrie. Ce temps n'a pas été pris sur le vôtre.
:
Madame la présidente, je dirais simplement que je crois comprendre que le Comité va entendre le témoignage du ministre en question, , demain. De toute évidence, la question devrait lui être posée.
Je voudrais simplement noter que le a déclaré publiquement que l'article du Globe and Mail alléguant qu'il avait fallu quatre mois pour que des mesures soient prises était erroné. Il apportera sans doute des précisions.
Si je peux revenir à votre question précédente pour essayer de comprendre la façon dont les renseignements sont envoyés aux ministres et à leur personnel, je dirai simplement deux choses.
Premièrement, les quantités de renseignements qui sont acheminées sont énormes. Il existe de multiples systèmes classifiés pour gérer les différents niveaux de classification. Ce n'est pas un système simple. On ne peut pas comparer cela aux identifiants pour nos courriels à l'université et au fait de ne pas les oublier. La réalité est beaucoup plus complexe, et cela ne vise pas à excuser le fait que des renseignements puissent se perdre. C'est inexcusable.
Je voudrais attirer l'attention sur un autre point, à savoir que, d'après ce que nous ont appris les médias, ce dont il était question ici, du moins au début, c'était une évaluation du renseignement de neuf pages dans laquelle l'avertissement concernant le ciblage de députés anonymes était, pour être franc, enfoui au milieu.
Cela nous ramène à une question importante, à savoir qu'il incombe aux services de renseignement et à ceux qui élaborent les rapports et les analyses d'être très clairs sur ce qu'ils considèrent comme des informations importantes. On ne peut pas s'attendre à ce qu'un ministre, un membre du personnel ou un sous-ministre du gouvernement lise neuf pages et se rende compte qu'il y a cette vague allusion au milieu du rapport à laquelle il aurait vraiment dû prêter attention, alors que personne, en fait, ne lui a demandé de le faire.
Je pense qu'il s'agit d'un problème systémique plus large. Il ne s'agit pas seulement de gouvernance, comme l'indique M. Johnston; c'est plus vaste que cela. Comme je l'ai dit, il s'agit de questions liées au cycle du renseignement. Il faut bien faire la collecte, bien faire l'analyse, bien préparer les rapports, et placer la barre plus haut en ce qui concerne les questions de culture.
Je vous remercie, madame la présidente.
:
Je vous remercie, madame la présidente.
Je remercie nos deux témoins d'être avec nous aujourd'hui. Nous vous sommes très reconnaissants de vos témoignages d'experts.
Pour répondre aux commentaires de M. Carrie, je suis un ami de et, à l'inverse, on peut voir à quel point des allégations faites dans les médias et provenant d'une fuite supposément non vérifiée peuvent causer un tort irréparable à la réputation d'une personne. Je le dis d'emblée. Nous devons examiner cette question de manière très équilibrée et essayer de connaître les faits réels.
Je voudrais demander à M. Wark de commenter l'idée qu'une enquête publique ou judiciaire s'impose. Ce matin, certains témoins nous ont dit qu'une enquête publique était nécessaire. J'ai toujours l'impression que certains membres du public pensent qu'une enquête judiciaire permettrait de diffuser, ou de divulguer, tous ces documents de sécurité nationale hautement classifiés dans l'espace public, mais je ne pense pas que ce soit vrai. D'énormes quantités de renseignements devront rester non divulguées, et donc secrètes, même dans le cadre d'une enquête publique ou judiciaire.
Monsieur Wark, êtes-vous d'accord avec cela?
:
Oui, en effet. Il y a des enjeux très importants de protection des renseignements secrets dans une enquête judiciaire qui pourrait porter expressément sur les activités de renseignement, et les activités de renseignement en cours, et cela serait au cœur de toute enquête judiciaire axée sur l'ingérence étrangère de la Chine.
Je pense aussi qu'il est important que le public comprenne d'autres choses au sujet des enquêtes judiciaires, et je le dis pour avoir participé à trois d'entre elles au cours des deux dernières décennies: l'enquête sur l'affaire Arar, dirigée par le juge O'Connor, qui a porté sur des questions relatives au traitement qu'a subi M. Arar et, en particulier, du rôle de la GRC dans cette affaire; l'enquête Air India, dirigée par le juge Major; et, plus récemment, la Commission Rouleau, qui a examiné les activités du « convoi de la liberté ». J'ai écrit un article sur le renseignement à ce sujet, et j'ai participé aux tables rondes sur la politique.
Les enquêtes judiciaires sont une excellente chose. C'est un instrument important, mais il n'est pas adapté à toutes les situations. Il est important que les Canadiens comprennent que les enquêtes judiciaires ne sont pas conçues pour avancer rapidement. Elles prennent du temps et elles sont censées prendre du temps. Il s'agit de recherches approfondies. Elles s'inscrivent dans un cadre judiciaire. Les procédures sont de nature quasi judiciaire, car de nombreuses parties peuvent avoir qualité pour agir et, comme vous le savez, il faut pouvoir contre-interroger les témoins.
Encore une fois, je vais poser une question qui s'adresse aux deux témoins, mais peut-être M. Wark pourrait-il y répondre le premier.
Une des justifications qu'on nous a données pour ne pas procéder à une enquête publique indépendante est la nature délicate des renseignements qui pourraient être divulgués. Or des témoins nous ont dit ce matin que, dans un contexte d'ingérence étrangère, ce sont des problèmes relativement faciles à régler et que ces renseignements sont peut-être moins délicats que ceux liés à des cas d'espionnage, par exemple.
J'aimerais savoir à quel point les renseignements sont délicats dans le dossier de l'ingérence étrangère, par rapport à ceux entourant l'enquête sur l'attentat commis contre le vol 182 d'Air India ou l'enquête sur Maher Arar.
Dans ce contexte, si on accorde trop d'importance à la question de la sécurité nationale, ne risque-t-on pas de classer comme secrets trop de renseignements et de faire en sorte que le public n'ait pas accès à suffisamment d'information pour sortir d'un genre de zone d'obscurité?
:
Je suis tout à fait d'accord avec mon collègue, Thomas Juneau, pour dire qu'il existe des problèmes systématiques et persistants de surclassification. Je ne pense pas que nous pourrons les résoudre en nous concentrant uniquement sur les enjeux liés à l'ingérence étrangère.
Une question importante se pose: quel est le niveau de sensibilité des enquêtes judiciaires ou des audiences publiques sur l'ingérence étrangère? Je pense qu'il doit être considéré comme extrêmement élevé. Je pense qu'il faut également noter que les révélations faites par les médias en se fondant sur des documents compromettent manifestement ce que l'on appelle souvent les sources et méthodes canadiennes parce qu'elles font référence, entre autres, au contenu de communications interceptées entre des diplomates chinois au Canada. Il n'y a qu'une seule façon de recueillir cette information. Des sources et des méthodes sont menacées, ce qui est au cœur des renseignements que vous devez protéger.
Il faut également comprendre qu'il n'est pas possible de mener une enquête judiciaire sur l'ingérence étrangère sans tenir compte de l'évolution des tendances, de ce qui nous attend, des opérations et des enquêtes en cours, et des difficultés qui se posent. Encore une fois, tout cela devrait être protégé par le plus grand secret.
En ce qui concerne les audiences publiques, nous devrons également composer avec la question du secret. Cependant, ils n'essaieront pas de pénétrer ce secret, mais ils tenteront de cibler des questions plus générales. Je pense que c'est la proposition la plus intéressante pour les Canadiens.
:
Je suis d'accord sur ce qu'a dit M. Wark.
Je vais simplement répéter des propos que j'ai tenus tantôt, lors de ma présentation, ainsi que dans les médias plusieurs fois au cours des dernières semaines. Pour ma part, je ne trouve pas très convaincant l'argument qui est utilisé pour s'opposer à la tenue d'une enquête publique indépendante, à savoir la nature délicate de l'information. Il est possible de faire une enquête publique même si des éléments importants demeurent secrets. Les conclusions peuvent être divulguées. Comme on l'a mentionné tantôt, il y a des aspects de la communication avec le public qui sont très importants.
L'argument le plus utile, à mon avis, est que la tenue d'une enquête publique aurait, concrètement, une plus-value limitée. Je pense qu'une bonne partie des gens qui sont en faveur de la tenue d'une enquête publique en exagèrent les avantages possibles et sous-estiment la contribution que peuvent apporter le CPSNR, soit le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, l'OSSNR, soit l'Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, ainsi que d'autres organismes. Je pense que la différence est assez mince.
:
C'est une excellente question. Je m'intéresse de près à ce sujet.
Ces trois dernières années, jusqu'à l'année dernière, j'ai coprésidé un organe consultatif pour la communauté du renseignement, le groupe consultatif sur la transparence en matière de sécurité nationale. J'ai quitté ce rôle l'été dernier. L'une des questions sur lesquelles nous nous sommes beaucoup penchés dans le cadre de nos travaux était la manière de promouvoir la mobilisation des Canadiens. J'ai mentionné beaucoup de ces points, comme l'importance d'une mobilisation soutenue et de conversations bidirectionnelles significatives, par opposition aux transferts de données, qui se produisent beaucoup trop souvent. Ce sont là quelques-unes des questions sur lesquelles nous avons beaucoup travaillé et pour lesquelles j'ai un grand intérêt.
J'ai parlé de la mobilisation des médias il y a quelques minutes. Je pense que cela mérite d'être répété. La communauté de la sécurité nationale, tant au niveau politique que bureaucratique, doit nettement améliorer ses interactions avec les médias, non seulement en termes de quantité, mais aussi de qualité. Je parle des médias nationaux, mais aussi des médias locaux — vous avez mentionné que vous viviez dans une circonscription éloignée — et des médias ethniques, pour parler de l'ingérence étrangère.
J'ai parlé aux médias et je sais combien ils sont frustrés par la bureaucratie. Je m'en tiendrai à l'aspect lié au renseignement, car je ne connais pas vraiment le reste. Il faut des jours pour obtenir une réponse, et lorsqu'ils en obtiennent une, il s'agit toujours de points de vue généraux, sans véritable signification. En fin de compte, cela va à l'encontre de la sécurité nationale. Je comprends pourquoi, à court terme, les bureaucraties agissent de la sorte, mais c'est contre-productif.
Comme je l'ai mentionné, la résilience de la société est une première ligne de défense contre l'ingérence étrangère, l'espionnage économique, les cyberintrusions, etc. Nous devons donc réfléchir beaucoup plus sérieusement à cette question. L'éducation de la population et le fait de disposer de médias qui jouent un rôle important de courroie de transmission, font partie des éléments d'une défense nationale plus forte, et il est donc profondément contre-productif de ne pas se pencher sur cet enjeu.
:
Merci pour cette question.
Je pense qu'aucun d'entre nous n'imagine que l'apport d'un changement institutionnel particulier à l'appareil gouvernemental résoudra nécessairement le problème plus général de la confiance et de la compréhension liées aux menaces et aux réponses en matière de sécurité nationale.
Je pense que l'avantage d'un comité ministériel présidé par le premier ministre renvoie à la nécessité d'améliorer la culture du renseignement au niveau le plus élevé du gouvernement fédéral, afin de garantir l'existence d'un comité ministériel présidé par le premier ministre, qui soit saisi de ce type de questions et qui puisse anticiper les menaces qui se profilent à l'horizon, par opposition au groupe de réponse aux incidents, qui est un comité d'urgence, réactif et à court terme.
:
Monsieur Juneau, j'aimerais vous poser quelques questions rapides en guise de préambule. Vous avez parlé de l'architecture du système et d'un rôle de coordination. Dans son rapport, M. Johnston parle de lacunes dans la manière dont les renseignements sont communiqués et traités.
Lorsque Jenni Byrne s'est présentée devant ce comité, bien qu'il y ait eu huit rapports du SCRS faisant état d'ingérence étrangère, elle a déclaré qu'elle n'avait pas vraiment été informée sur ce sujet et que l'ingérence étrangère ne constituait pas vraiment une préoccupation sous l'ère Harper. Nous savons qu'en 2010, M. Fadden a transmis des renseignements au conseiller à la sécurité nationale et au renseignement de l'époque au sujet de l'ingérence étrangère aux niveaux provincial et municipal. Le premier ministre Harper a déclaré qu'il n'était pas au courant.
Est‑il possible que ces lacunes dans le système de renseignement, dans la manière dont les communications sont relayées aux paliers supérieurs et inférieurs, soient des problèmes de longue date qui existent depuis un certain temps?
:
Parfait, merci beaucoup.
Monsieur Juneau et monsieur Wark, au nom des membres du Comité, je vous remercie pour le temps et l'attention que vous nous avez accordés aujourd'hui. Si vous souhaitez communiquer d'autres renseignements aux membres du Comité, n'hésitez pas à nous le faire savoir. Il vous suffit d'envoyer vos commentaires au greffier. Nous les ferons traduire dans les deux langues officielles et les transmettrons ensuite aux députés.
Merci pour votre contribution et pour le temps que vous nous avez accordé. Sur ce, nous vous souhaitons une bonne fin de journée.
Chers membres du Comité, nous allons suspendre la séance pour deux minutes. Ensuite, nous recevrons un témoin en personne et l'autre par vidéoconférence. Nous effectuerons une vérification du son et nous reprendrons immédiatement la séance.
Merci. À tout de suite.
:
Bonsoir à tous. La séance est à nouveau ouverte.
Nous accueillons maintenant Mme Margaret McCuaig-Johnston, agrégée supérieure à l'École supérieure d'affaires publiques et internationales et à l'Institut de recherche sur la science, la société et la politique publique de l'Université d'Ottawa. M. Peter German, président du comité consultatif de l'Institut de lutte contre la corruption de Vancouver, se joint à nouveau à nous par vidéoconférence.
Chacun de vous disposera de cinq minutes au plus pour faire une déclaration liminaire.
J'aimerais simplement rappeler aux députés que s'ils utilisent une oreillette, il est préférable qu'ils la gardent dans l'oreille ou loin de leur microphone.
Sur ce, madame McCuaig-Johnston, vous avez la parole. Bienvenue au Comité.
:
Merci, madame la présidente. C'est un honneur pour moi de parler aujourd'hui de ces questions d'une importance cruciale.
Mon champ d'expertise est la Chine. Même si je ne suis pas une spécialiste du renseignement, j'ai eu une cote de sécurité de niveau Très secret, accès spécial, ou TSSA, pendant une grande partie de ma carrière au gouvernement. J'ai vu de nombreux rapports du renseignement. Au fil des ans, j'ai beaucoup travaillé avec le Centre de la sécurité des télécommunications, ou CST, et le SCRS, toujours sur des questions liées à la Chine.
Malgré mon nom, je n'ai pas de lien de parenté avec David Johnston; cela dit, nous avons tous les deux fait partie d'un groupe de travail dans les années 1990, où j'ai beaucoup admiré son travail et sa contribution au Canada. Lorsqu'il a été nommé rapporteur spécial, j'ai appuyé sa nomination dans les médias, car je croyais que, parmi tous les Canadiens, il serait l'un des plus préoccupés par les menaces que la Chine fait peser sur notre démocratie. J'ai donc été extrêmement surprise et déçue qu'il rejette la tenue d'une enquête publique indépendante.
L'ampleur des mesures prises par la République populaire de Chine pour compromettre notre système électoral me préoccupe énormément. Je suis très reconnaissante envers les fonctionnaires qui, au péril de leur carrière et de leur liberté, ont parlé aux médias de ces menaces, un geste qui, bien sûr, a conduit à ces réunions de comités et au rapport. Je pèse mes mots. En tant qu'ancienne sous-ministre adjointe principale, je connais bien les règles relatives à la confidentialité des documents gouvernementaux, mais sans ces fuites, nous n'en serions toujours pas conscients. Leur diffusion n'a pas causé le grand préjudice aux intérêts canadiens que M. Johnston a évoqué.
En rejetant l'enquête, il a déclaré: « Une enquête publique portant sur les documents ayant fait l'objet d'une fuite ne pourrait pas être menée en public, compte tenu du degré de sensibilité du renseignement. » Pourtant, c'est exactement ce qu'il a fait dans son rapport. Il a passé en revue une à une les 12 allégations qui ont été rapportées dans les médias. Dans chaque cas, il a indiqué avoir examiné les renseignements, précisé les personnes interrogées à ce sujet et, dans certains cas, rapporté leurs propos, puis présenté des conclusions très précises. Dans certains cas, il a constaté qu'il y avait eu des irrégularités relatives aux consulats de la République populaire de Chine. Il a rapporté ce que le , les ministres et d'autres encore savaient et ne savaient pas. Dans certains cas, il a expliqué pourquoi les allégations n'étaient pas fondées ou pouvaient être expliquées, ou pourquoi il n'y avait pas de preuve tangible de versement d'argent dans des cas de contributions électorales illégales.
Il n'a pas parlé des 10 autres fuites parues dans le Globe and Mail, ce qui laisse entendre qu'il n'était pas nécessaire de le faire et, donc, qu'elles sont exactes.
À cet égard, M. Johnston a fait de l'excellent travail. Les résultats de ses recherches et de son analyse sont très clairs. C'est exactement ce que j'espérais trouver dans ce rapport. Compte tenu de son analyse approfondie, il a bien démontré comment on peut évaluer le renseignement et en parler publiquement pour s'assurer que l’on comprend bien ce qui s'est passé. Bien qu'il ait selon moi rejeté trop aisément certaines des allégations, je n'ai aucun doute qu'il a fait preuve de jugement, et nous pouvons l'en remercier. Cela prouve que c'est possible.
Je pose donc la question suivante: qu'en est‑il des autres cas d'ingérence chinoise dont les médias n'ont pas parlé? Compte tenu de l'ampleur des activités de la Chine et du très grand nombre de représentants chinois en poste au pays, je suis convaincue qu'il y a beaucoup d'autres choses que nous devrions savoir. Sans enquête publique indépendante, nous serons dans l'ignorance de tout cela.
Ce dont le rapport Johnston ne parle pas, ce dont personne ne parle, ce sont les conséquences de ces nombreuses atteintes à notre démocratie pour la Chine. Jusqu'à maintenant, les seules conséquences ont été le renvoi d'un de ses fonctionnaires à Pékin, mesure prise strictement parce que son nom a été cité dans le dossier des menaces faites à et à sa famille.
Quand il a parlé des audiences publiques, M. Johnston a dit vouloir entendre des représentants de la diaspora chinoise, ce qui me préoccupe au plus haut point. S'ils prennent la parole dans le cadre d'audiences publiques, les Ouïghours, les Tibétains, les adeptes du Falun Gong, les Hongkongais prodémocratie et les défenseurs des droits de la personne courront de plus grands risques. Pourquoi? Parce qu'ils réclament depuis de nombreuses années la création d'un pôle d'enquêtes unique et d'un registre des agents étrangers, qui se font toujours attendre.
J'espère que le gouvernement a maintenant compris que les Canadiens se soucient de ces questions, car c'est manifestement le cas. D'autres pays nous ont aussi à l'œil. Nous devons donc donner l'exemple en faisant bien les choses.
Je serai heureuse de répondre à vos questions.
:
Merci, madame la présidente.
Je remercie le Comité de m'avoir réinvité.
J'ai témoigné en personne le 11 mai, ainsi qu'hier, devant le comité des pêches. Je serais resté à Ottawa, mais je devais être ici aujourd'hui, alors je suis heureux de pouvoir être des vôtres virtuellement.
Je ne ferai pas de déclaration liminaire, car j'en ai fait une le 11 et je ne veux pas vous ennuyer avec une de plus.
Afin de vous donner un peu de contexte, je crois qu'il convient de vous dire que je suis un ancien sous-commissaire de la GRC et du Service correctionnel du Canada, et que l'Institut de lutte contre la corruption de Vancouver est une organisation sans but lucratif relevant de l'Université de la Colombie-Britannique.
Le 11 mai, j'ai parlé de la possibilité d'un registre des agents étrangers et de certains facteurs que le gouvernement devrait prendre en compte au moment de créer un tel registre, principalement en ce qui a trait à la transparence.
J'ai aussi parlé du blanchiment d'argent, qui est vraiment mon domaine de spécialisation, et de la difficulté de suivre la piste des fonds. J'ai fait un parallèle entre des fonds illicites qui entraient dans le processus électoral et des fonds illicites qui servaient au terrorisme. Tout dépend vraiment des ressources et des outils dont nous disposons pour enquêter sur des questions comme celles‑là.
J'ai également eu l'occasion d'entendre les deux témoins qui m'ont précédé au cours de la dernière heure; je suis donc assez au fait de la conversation qui a eu lieu.
Merci beaucoup. Je serai heureux de répondre à vos questions.
:
Merci, monsieur German.
Je suis certaine que vous avez suivi toutes les réunions du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre avec beaucoup de sagacité et de délibération, pas seulement au cours des deux dernières heures, mais depuis la toute première d'entre elles.
Bienvenue encore une fois. Le Comité va tenter de trouver un mécanisme qui lui permettrait d'établir comment récompenser ses invités fréquents pour le temps qu'ils lui accordent. Nous vous en sommes reconnaissants et nous vous remercions d'être de retour.
Sur ce, nous allons commencer un premier tour d'interventions de six minutes. C'est M. Berthold qui lance le bal.
[Français]
Il sera suivi de Mmes Sahota, Normandin et Blaney.
Monsieur Berthold, vous avez la parole pour six minutes.
:
Merci beaucoup, madame la présidente.
Madame McCuaig‑Johnston, je voulais d'abord vous remercier de votre franchise. Vous avez effectivement confirmé qu'au départ, vous étiez d'accord sur le choix du rapporteur spécial, mais vous avez été très dure envers ses recommandations, aujourd'hui.
Pour préparer mon témoignage, aujourd'hui, je vous lisais sur Twitter. Vous avez déclaré que le gouvernement du Canada devrait commencer à expulser plus de diplomates chinois, en raison des efforts de désinformation du régime communiste chinois ciblant des députés. Vous avez publié ce gazouillis aujourd'hui, et je voulais faire un lien entre cela et un article du Globe and Mail du 12 mai dernier, qui rapportait que le SCRS avait fourni au gouvernement des listes de diplomates dont l'expulsion devrait être envisagée parce qu'on avait découvert qu'ils menaient des activités d'ingérence.
Ne trouvez-vous pas que le fait que le rapport Johnston ne recommande pas d'expulser plus de diplomates chinois et d'agir plus fermement vis-à-vis du régime de Pékin constitue une grosse lacune?
:
C'est exact. Parfois, la diaspora a témoigné à huis clos devant des comités parlementaires, et souvent, elle s'est entretenue avec de hauts fonctionnaires du gouvernement.
Il existe ce qu'on appelle la coalition canadienne pour les droits de la personne en Chine, un organisme composé des dirigeants de bon nombre de ces groupes de la diaspora. Ce qu'ils révèlent est choquant et très inquiétant quant à la manière dont eux et leurs familles sont traités. Ils sont menacés par l'entremise de membres de leur famille qui sont restés là‑bas. S'ils rendaient ces menaces publiques, comme David Johnston veut qu'ils le fassent, cela les mettrait encore plus en danger.
Ce que nous avons observé, c'est que lorsqu'il parle d'audiences publiques, c'est la diaspora qu'il met au premier plan. En outre, il a parlé de faire appel à des personnes telles que les experts en matière de renseignement et de sécurité que vous avez entendus aujourd'hui et qui ont témoigné. Nous les avons entendus s'exprimer dans cette tribune, ainsi que dans de nombreuses tribunes.
Je pense qu'il est plus important de s'attaquer aux causes profondes des agissements liés à l'ingérence parlementaire dans les élections et aux autres systèmes d'ingérence qu'ils ont mis en place dans notre société.
:
Merci, madame la présidente.
Comme vous le savez, nous tenons ces réunions du Comité depuis un certain temps. Elles sont intéressantes; selon les témoins présents, nous penchons un peu d'un côté ou de l'autre à propos de certains aspects de la question. Le très honorable David Johnston a indiqué... et de nombreux autres témoins ont déclaré qu'une enquête publique était peut-être la meilleure solution, car certains faits doivent être rendus publics. D'autres personnes ont affirmé que le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement (CPSNR) et d'autres tribunes seraient de bonnes solutions, parce que certains renseignements doivent demeurer secrets. Aujourd'hui, nous entendons dire que certains faits doivent être gardés secrets et révélés à huis clos au cours d'une audience publique.
Je crois que de nombreuses voies peuvent nous conduire à faire le travail nécessaire pour protéger notre démocratie. Je pense que c'est ce que nous essayons de faire. Nous essayons tous de trouver un moyen de renforcer nos institutions et de faire en sorte que l'ingérence étrangère ne soit pas aussi répandue qu'elle l'est en ce moment. Voilà le résultat que nous souhaitons tous obtenir.
Ma question vous est destinée, madame McCuaig-Johnston. Après avoir lu le rapport de M. Johnston, il semble que vous approuviez certains des résultats ou des conclusions auxquels il est arrivé. Ne pensez-vous pas que ses conclusions pourraient peut-être aussi aboutir à un résultat semblable à celui que vous souhaiteriez obtenir en matière de renforcement de notre démocratie? Ne pourrait‑il pas s'agir d'une voie qui nous permettrait d'obtenir de bons résultats?
:
D'après la façon dont il a décrit ses audiences publiques, il semble rechercher des commentateurs publics, des professeurs et des experts en matière de sécurité nationale, c'est‑à‑dire des gens que nous avons déjà entendus. Il souhaite entendre de nombreux membres de la diaspora. Il veut qu'ils soient à l'avant-plan, et tous ces témoignages seront apportés dans le cadre d'audiences publiques, sans que personne ne tente d'examiner les documents détaillés du SCRS et d'analyser ce qui n'a pas fait partie des fuites et ce dont le public canadien devrait être informé... y compris le fait que des mesures devraient être prises.
Il a également demandé au gouvernement canadien de trouver des solutions liées aux politiques et à la gouvernance. Je pense que ces solutions sont valables, mais cela décharge le gouvernement chinois de la responsabilité d'arrêter d'intervenir dans notre système électoral. D'après ce qu'il a dit, je pense que cette question ne sera pas abordée du tout. Je crois que c'est dans cette voie que l'enquête publique doit s'engager, afin d'approfondir la question. Nous avons vu la partie émergée de l'iceberg, mais nous devons maintenant examiner ce qui se trouve sous la surface de l'eau pour connaître les autres répercussions sur notre système.
Cela souligne également l'importance de créer un comité du Cabinet qui est responsable de la sécurité nationale et du renseignement et qui est présidé par le premier ministre, une idée que je soutiens entièrement. Je partage l'avis de mes collègues qui étaient présents plus tôt dans la soirée.
:
Mais les audiences publiques ne sont pas les seules choses qu'il a proposées. Il y a le CPSNR. D'autres institutions, groupes d'experts et organes seront mis en place pour examiner la question, de sorte que la responsabilité incombera toujours à la Chine. L'éducation des Canadiens est également un élément important. Je suis sûre qu'il est possible de faire preuve d'une certaine souplesse de manière à ce que, si certains Canadiens estiment ne pas pouvoir s'exprimer publiquement, un mécanisme puisse être proposé pour eux, afin que leurs témoignages puissent quand même être recueillis et que tout ne soit pas inutile.
Pour en venir à ma deuxième question, vous avez également occupé un poste de sous-ministre. Vous avez indiqué que vous receviez beaucoup d'informations de ce genre à l'époque, en particulier au sujet de la Chine. Ne pensez-vous pas qu'il est important, à l'heure actuelle en particulier, que les dirigeants de tous les partis suivent les séances d'information auxquelles ils peuvent avoir accès afin d'être au courant des informations qui circulent?
Je sais que vous avez mentionné que, tout comme le très honorable David Johnston a révélé certains détails sans dévoiler les secrets des services de renseignement, des discussions et des commentaires pourraient encore porter sur la question sans dévoiler ces secrets, mais il est important d'avoir une meilleure compréhension et de se fonder sur des connaissances, n'est‑ce pas?
:
Je pense qu'il est toujours important d'en savoir davantage. Donc, oui, je partage cet avis.
En ce qui concerne le CPSNR, M. Johnston a parlé de sa grande valeur, et je suis tout à fait d'accord avec lui. Je pense que a fait un travail formidable, tout comme les autres membres du comité, mais leurs recommandations très importantes ont été ignorées à plusieurs reprises. Leurs rapports prouvent, une fois de plus, qu'une enquête publique peut porter sur des questions de sécurité nationale. M. Johnston a déclaré que le CPSNR pouvait revoir son travail et que, s'il parvenait à une conclusion différente, il devrait en rendre compte publiquement. Mais en fait, il n'est pas autorisé à le faire à moins que le ne le lui permette. Pour le premier ministre, cela reviendrait à dire que le CPSNR est parvenu à une conclusion différente de celle qui figure dans son propre rapport Johnston, un rapport dont il a fait l'éloge.
Il y a donc certaines contradictions à cet égard.
Ma prochaine question s'adresse aux deux témoins et est basée sur une prémisse de Mme McCuaig‑Johnston.
Vous avez mentionné que les médias ont rapporté quelques cas d'ingérence, mais qu'il y en a probablement plusieurs autres qu'on ne connaît pas. C'est d'ailleurs ce qu'une enquête publique indépendante permettrait de mettre en lumière.
Compte tenu de l'ensemble des révélations concernant M. Johnston, avez-vous l'impression que le public en général a suffisamment confiance en lui pour vouloir témoigner? C'est lui qui devrait continuer l'ensemble des audiences publiques. Le fait que son apparence d'impartialité a été mise à mal est-il un frein? La population voudra-t-elle venir témoigner et offrir davantage de renseignements?
:
Je vous remercie de votre question.
Je ne suis vraiment pas disposé à formuler des observations à propos de M. Johnston ou de ce que le public pense de lui, mais permettez-moi de faire un commentaire au sujet de la question de l'enquête publique.
Nous avons eu une discussion très semblable en Colombie-Britannique après la publication des rapports intitulés Dirty Money dont je suis l'auteur. Le public semblait vouloir qu'une enquête publique sur le blanchiment d'argent soit menée, et la question était de savoir si nous allions lancer cette enquête ou non. Comme l'ont indiqué les témoins précédents, les enquêtes publiques sont longues, et j'ajouterais qu'elles sont coûteuses, mais elles offrent un mécanisme qui permet au public d'interagir avec des témoins, de les entendre quotidiennement, etc.
Je suis tout à fait d'accord pour dire que la protection des témoins est essentielle dans toute enquête ou audience publique, qu'elle concerne la Chine, l'Iran, la Russie, etc. Les personnes touchées par une ingérence quelconque de la part d'un gouvernement étranger auront besoin d'être protégées. Oui, il y a certainement des porte-parole qui seraient heureux de comparaître en public, mais comme nous l'avons indiqué, de nombreux membres de la diaspora ne seraient pas disposés à le faire.
Je dois également mentionner la Commission d'enquête Cullen. Le juge Cullen a finalement été nommé en Colombie-Britannique pour gérer l'enjeu, et il a en fait organisé des audiences publiques dans le cadre de son enquête publique, ce qui lui a permis de combiner les deux mécanismes. Il a en fait commencé par tenir des audiences publiques dans diverses tribunes de la Colombie-Britannique afin d'entendre des membres du public, c'est‑à‑dire tous ceux qui voulaient vraiment lui parler du blanchiment d'argent. Ensuite, il s'est lancé dans les détails de son travail, notamment l'examen de documents, la consultation d'experts, entre autres choses.
Bien sûr, la grande différence ici, c'est la question des documents classifiés. Comme l'ont dit les témoins précédents, il existe des mécanismes pour traiter ces documents, et notre loi sur la preuve au Canada prévoit des dispositions à cet égard. Il y a aussi des dispositions semblables dans le Code criminel. Il existe des moyens de traiter ces documents, mais ce n'est pas facile.
Je vous remercie de votre attention.
:
Merci, madame la présidente.
Je remercie nos témoins d'être présents aujourd'hui.
Il s'agit d'une question très complexe. Je remercie les deux témoins d'avoir reconnu la complexité de l'enjeu et le fait qu'il est nécessaire d'aborder de nombreuses questions, à la fois dans notre milieu et devant le grand public.
Plus tôt au cours des témoignages apportés aujourd'hui, il a été question d'informer les Canadiens, d'aborder ces questions et d'informer les gens de manière à ce que, tout en cherchant à comprendre ce qui se passe en matière d'ingérence étrangère pratiquée par plusieurs pays, nous reconnaissions qu'il s'agit d'une réalité en constante évolution à laquelle nous devons collectivement régir de façon constructive.
Pourriez-vous tous deux nous faire part de vos réflexions concernant l'importance d'aider les Canadiens à acquérir ces connaissances et la manière dont cela soutiendrait la sécurité nationale à long terme?
Je vais commencer par donner la parole à M. German, puis à Mme McCuaig-Johnston.
:
Je vous remercie de votre question.
Je commencerais par dire qu'il ne faut pas sous-estimer le niveau d'instruction des Canadiens. Ce n'est pas différent du fait que tout le monde a le droit de vote ou que tout le monde a une opinion. Je pense que, de nos jours, tous les membres de la population ont une opinion au sujet de la sécurité nationale, en particulier les personnes appartenant aux diasporas dont nous parlons.
Je vis dans la région du Grand Vancouver où il y a d'importantes diasporas iraniennes et chinoises, et je peux vous assurer que les membres de ces communautés connaissent parfaitement les conséquences des questions dont nous parlons aujourd'hui, et qu'ils ont pris position dans un sens ou dans l'autre.
Lorsque nous parlons d'éducation, je pense que nous devons nous concentrer sur ce dont nous parlons exactement et sur ce que nous essayons d'accomplir, que ce soit par l'intermédiaire d'une enquête publique ou d'audiences publiques. Cela nous ramène à la question de la protection. Les gens connaissent déjà très bien ces enjeux.
Je vous remercie de votre attention.
J'appuie cette idée. Je pense que nous avons constaté que le public canadien manifeste un grand intérêt à l'égard de cette question et qu'il est très préoccupé à ce sujet. Nous le voyons dans les sondages d'opinion. Nous le constatons dans le fait que 72 % des Canadiens veulent qu'une enquête publique soit menée. Ils veulent que ces questions soient débattues. Ils se soucient de voir le gouvernement s'atteler à la tâche et ne pas se contenter d'un processus superficiel.
De plus, je pense que l'idée de renseigner les membres du Cabinet sur ces questions a beaucoup de mérite, car le Cabinet a besoin d'un comité sur la sécurité nationale du cabinet, afin que le premier ministre et les ministres s'assoient à la table pour discuter régulièrement et collectivement de ces questions, et les ministres doivent assister à des séances d'information régulières portant sur des renseignements liés au SCRS. Il est important qu'ils soient renseignés, car au sein du Cabinet, ils discuteront de toutes les possibilités économiques. Ces possibilités comportent aussi des risques, et nous les remarquons actuellement dans cette ingérence.
Pendant cinq ans, j'ai assisté chaque semaine aux réunions des comités du Cabinet, et la dynamique que l'on observe autour de la table est vraiment importante. Elle se construit au fil des mois et des années de collaboration à l'égard des enjeux de ce genre. Je pense qu'il est triste qu'aucun comité n'ait été constitué jusqu'à maintenant, mais c'est l'occasion d'en créer un.
M. Johnston a suggéré qu'un comité remplace le conseiller à la sécurité nationale et au renseignement, mais je n'approuve pas du tout cette idée. Nous avons besoin des deux.
:
C'est très intéressant.
Une chose qui m'a frappée dans le cadre de ce processus, d'autant plus que je sais qu'il s'agit d'une question de privilège, c'est l'importance de la diaspora et les défis que doivent surmonter quotidiennement ses membres, selon leurs circonstances, comme l'a décrit M. Chong durant son témoignage.
Ma question porte sur plusieurs éléments. Premièrement, il y a eu des discussions au sujet du registre des agents étrangers, et les communautés nous ont fait part de leurs craintes, car un tel registre devra être constitué intelligemment sans aggraver la discrimination à l'égard de certaines communautés au pays. De plus, il semble que les gens qui font part de leurs préoccupations parce qu'ils ont l'impression d'être visés par l'ingérence étrangère ne sont pas en mesure d'obtenir le soutien et l'aide dont ils ont besoin.
Je vous prie, madame McCuaig-Johnston, de nous dire ce que vous en pensez, en sachant que vous ne parlez pas au nom de toutes les communautés de la diaspora, mais seulement celles que vous connaissez.
C'est une question d'une importance critique. Je suis encouragée par les propos du gouvernement sur la création d'un registre. C'est important. J'ai participé aux consultations. À mon avis, le registre devrait se limiter aux ressortissants des pays que nous estimons être problématiques, comme la Chine, l'Iran et la Russie, plutôt que de viser ceux des Pays-Bas, des États-Unis et d'autres pays. Toutefois, je ne crois pas que cette dernière approche sera retenue, heureusement. Mais il nous faut un registre.
Voici un exemple. Grâce à l'existence d'un registre, la police a pu arrêter un certain nombre de ressortissants chinois ayant des liens avec le poste de police chinois situé à New York. Les interpellés avaient menacé des membres au sein de la collectivité. Comme ils ne figuraient pas au registre, ils ont pu être inculpés. Nous n'avons pas de registre semblable. Je crois qu'un registre rassurerait beaucoup la diaspora sur le fait que de tels acteurs pourraient être inculpés.
:
Merci, madame la présidente.
Monsieur German, je vais commencer par vous. Vous êtes probablement l'un des experts les plus crédibles du Canada en matière d'argent sale. Eh bien, parlons‑en. Pékin est connu pour sa largesse et s'en sert pour exercer une influence. Nous avons entendu parler de cas dans le passé où des politiciens ont accepté l'argent de Pékin en échange d'un accès quelconque, que ce soit des collectes de fonds, des dons à des fondations, des projets favoris, et ainsi de suite.
Je pense qu'il est important que les Canadiens sachent d'où vient l'argent. Je me demandais si vous pouviez nous expliquer comment Pékin procède pour accorder son financement. Je suis en train de lire le livre de Sam Cooper intitulé Wilful Blindness, et je pense que sa lecture devrait être obligatoire pour quiconque s'intéresse à ce sujet particulier. Pourriez-vous dire au Comité ce que Sam Cooper entend par le « modèle de Vancouver » dans Wilful Blindness? Pourriez-vous nous expliquer cela?
:
L'expression « modèle de Vancouver » vient d'un professeur australien, John Langdale, qui a observé ce qui se passait à Vancouver. J'ai décrit le phénomène dans les rapports
Dirty Money. M. Cooper a pondu le terme après les avoir lus.
Il s'agit de l'argent qui sort de la Chine et qui échappe au contrôle des capitaux par les Chinois. Les particuliers ne peuvent sortir de la Chine que l'équivalent américain de 50 000 $ par année. Si les gens veulent sortir de l'argent du pays, ils doivent trouver d'autres façons de le faire. Le modèle de Vancouver était vraiment une situation où des banquiers clandestins — et c'est un peu complexe de répondre rapidement — ont facilité le mouvement de l'argent à l'extérieur de la Chine sans que l'argent se déplace physiquement. Tout se faisait par voie électronique. Lorsqu'une personne se présentait à Vancouver, elle recevait un montant, moins un droit de service, équivalent à ce qu'elle avait déposé auprès des banquiers clandestins en Chine.
Cela ne veut pas dire que l'État utilise cette méthode. C'est ce que les gens utilisaient, parce qu'ils voulaient placer leur argent dans un endroit sûr, c'est‑à‑dire le Canada, ou l'utiliser pour jouer au casino, investir ou faire autre chose. Je ne sais pas nécessairement si nous savons comment les États étrangers déplacent leur argent, mais lors de la séance précédente à laquelle j'ai pris la parole, j'ai insisté sur le fait qu'il est important de suivre la trace de l'argent. Nous devons garder cette consigne à l'esprit, quel que soit le processus mis en place.
Les organismes d'application de la loi qui consultent un registre doivent avoir l'expertise et les ressources nécessaires pour agir dans ce que nous pouvons appeler, de façon très générale, le domaine du blanchiment d'argent. Comment l'argent s'est‑il rendu là? On peut suivre la trace de la plupart des fonds. Ce n'est que l'argent liquide qui est difficilement traçable. Tout le reste peut être suivi d'une façon ou d'une autre. L'argent liquide nécessite d'autres techniques.
Je ne sais pas si cela répond à la question, vu le peu de temps dont je dispose.
:
Merci beaucoup, madame la présidente.
Je remercie les deux témoins d'être parmi nous ce soir, deux témoins qui ont bien servi le Canada dans les différentes fonctions qu'ils ont occupées au fil des ans.
Ma première question s'adresse à M. German.
J'aimerais vous parler de quelque chose que nous avons entendu au cours des deux ou trois dernières réunions concernant le manque de compréhension chez les politiciens à l'égard du renseignement et, dans le sens inverse, les experts du renseignement qui comprennent mal la politique.
Lorsque je regarde le décret pris le 28 avril 2017, je constate que des changements ont été apportés au titre de conseiller à la sécurité nationale à l'époque, Daniel Jean, pour y inclure le mot « renseignement ». Si je soulève cette question, c'est parce que, lors des élections fédérales de 2015, nous avons constaté un changement en ce qui concerne la compréhension de l'importance de la cybersécurité et du renseignement, et ce que nous entendions de la part de nos partenaires du Groupe des cinq.
J'aimerais que vous me donniez une idée... Dans le rapport du rapporteur spécial, le très honorable David Johnston mentionne la nécessité d'améliorer la façon dont l'information est partagée entre nos organismes de sécurité et le gouvernement. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur l'importance pour les gens du renseignement de comprendre ce que nous faisons dans la vie, et sur l'importance pour nous de comprendre ce que fait la communauté du renseignement?
Merci d'ailleurs pour votre aimable commentaire au début de votre question.
Nous sommes tous constamment assaillis par l'information, de sorte qu'on puisse même parler de surcharge d'informations. Par contre, le domaine du renseignement n'a que peu à voir avec l'information; il s'agit de quelque chose qui peut être utilisé dans un but précis. Par ailleurs, on parle souvent du concept de « renseignement donnant matière à des poursuites ».
En ce qui concerne la compréhension du milieu du renseignement par les politiciens, et vice-versa, j'aimerais ajouter la notion de compréhension des politiciens par les forces de l'ordre.
Au cours de ma carrière, bien que j'aie travaillé dans le milieu du renseignement pendant un certain temps, j'ai surtout œuvré dans le domaine de l'application de la loi. Notre rôle consistait entre autres à ériger des barrières entre le monde politique et l'application de la loi. Nous devions faire notre travail indépendamment du fait qu'il pourrait finir par favoriser un parti politique ou un autre. Je pense notamment aux enquêtes sur la corruption. Je pense que les forces policières au Canada comprennent bien ce genre d'enjeux, et que cela ne pose pas de problème. En toute sincérité, je crois également que les politiciens comprennent cela eux aussi. Lorsqu'une enquête est menée par les forces de l'ordre, nous ne constatons pas d'ingérence de la part des politiciens, en tout cas très rarement.
Néanmoins, je peux comprendre pourquoi — et nous l'avons entendu de la part des témoins précédents et de ma collègue — il est important que les politiciens, et notamment les députés, soient conscients du fonctionnement du milieu du renseignement, de ses objectifs et des possibilités de collaboration avec lui. Je rappelle que l'objectif ultime du milieu du renseignement est de servir les intérêts de la population canadienne. Si les agents du renseignement ne sont pas en mesure de vous fournir les renseignements dont vous avez besoin, je pense que cela est très problématique.
J'aimerais m'adresser de nouveau à vous, madame McCuaig‑Johnston.
Dans vos remarques liminaires, vous avez mentionné que, malgré tout le respect que vous aviez pour M. Johnston, vous étiez quand même un peu déçue qu'il n'ait pas recommandé une enquête publique. Par la suite, dans vos réponses — corrigez-moi si je vous cite mal —, vous avez laissé entendre que l'analyse qu'il avait faite de l'information qu'il avait reçue ainsi que le rapport vous laissaient croire qu'il avait peut-être une certaine méconnaissance de la Chine et qu'il n'était pas non plus un expert du renseignement.
Dans ce contexte, j'aimerais vous entendre sur la suite des choses. Puisque M. Johnston va continuer de tenir les rênes de ce dossier et va tenir des audiences publiques, vous semble-t-il être une personne adéquate pour occuper ce poste, comparativement à quelqu'un qui aurait reçu l'assentiment de l'ensemble des parlementaires de la Chambre, par exemple, et qui aurait peut-être des compétences différentes?
:
Permettez-moi de vous donner un exemple de ce dont je parle. Dans son rapport, M. Johnston indique qu'il a toujours confiance dans le résultat des deux dernières élections. Par contre, il est évident que si une seule circonscription a été touchée par l'ingérence chinoise, cela remet en doute le système électoral canadien dans son ensemble, et cela ne devrait plus jamais se reproduire.
D'après ce que beaucoup d'entre nous ont constaté, il semble que la circonscription de Kenny Chiu ait été affectée de cette manière. M. Chiu a perdu ses élections par 3 500 voix à l'issue d'une campagne de désinformation menée contre lui. Dans le rapport Johnston, on parle de « mésinformation », mais il y a une grande différence entre la mésinformation et la désinformation. Dans le cas qui nous occupe, il ne s'agit pas de simples erreurs factuelles. En réalité, des mensonges ont été propagés à propos du registre proposé par M. Chiu; on a prétendu que l'ensemble des Canadiens d'origine chinoise serait forcé de s'inscrire à ce registre, permettant par la suite au gouvernement canadien de surveiller leurs activités. Ce n'était pourtant pas du tout l'objectif visé par la création d'un tel registre.
Si M. Chiu a perdu 3 500 voix à cause de cette campagne de désinformation, ce qui est tout à fait possible, alors le système électoral canadien se trouve compromis dans son ensemble. De plus, cela envoie le signal au gouvernement chinois qu'il a le champ libre de s'ingérer à nouveau dans nos processus démocratiques.
:
Merci pour votre question.
Il s'agit d'un enjeu très important. Nous pouvons agir sur plusieurs fronts en ce qui concerne la législation fédérale sur le blanchiment d'argent. Le budget de 2023 a abordé certaines questions, et la Colombie-Britannique s'est également penchée sur cet enjeu. En effet, nous pourrions parler de changements potentiels concernant notamment nos lois et le champ d'action de nos autorités policières. Le 11 mai, j'ai parlé de la capacité du commissaire aux élections fédérales d'enquêter sur les cas d'ingérence électorale. Il existe bien une unité d'enquête au sein du bureau du commissaire aux élections fédérales, mais il ne dispose pas selon moi des outils nécessaires pour mener à bien une vaste enquête sur le blanchiment d'argent.
Par exemple, si j'ai bien compris, le commissaire aux élections fédérales n'est pas autorisé à recevoir de renseignements provenant du CANAFE, et ce, en raison de différentes restrictions. Je ne pense pas non plus qu'il puisse obtenir un mandat pour procéder à de l'écoute électronique. Les infractions liées à la Loi électorale du Canada ne figurent pas, à ma connaissance, sur la liste des infractions pouvant donner lieu à des opérations d'écoute électronique, en vertu de la partie VI du Code criminel.
Je recommande donc l'élargissement de cette unité au sein du bureau du commissaire aux élections fédérales, car il s'agit d'une unité pertinente dotée d'un personnel très compétent. Je recommande également de fournir davantage d'outils et de ressources à cette unité.
Je vous remercie.
:
Merci beaucoup, madame la présidente.
Madame McCuaig‑Johnston, le témoignage que vous avez fait ce soir est assez éclairant.
Il semble qu'actuellement, le gouvernement soit en mode réaction. Cela fait trois ans qu'il a été informé des manœuvres du régime de Pékin. Depuis deux ans, il est au fait qu'un député a été la cible du régime de Pékin à cause d'un vote à la Chambre des communes.
Croyez-vous que la lenteur à réagir du gouvernement a fait en sorte qu'aujourd'hui, effectivement, les manœuvres du régime de Pékin ont porté leurs fruits auprès de la diaspora et que les gens craignent maintenant de prendre la parole parce que leur gouvernement ne les défend pas?
:
Je vous remercie, madame la présidente.
Madame McCuaig-Johnston, je dois admettre que je suis un peu préoccupé par votre remarque à l'effet qu'une campagne de désinformation aurait pu influencer le résultat de quelque 3 500 votes lors des dernières élections. Je ne pense pas que vous soyez nécessairement en mesure de vérifier si le comportement des électeurs a réellement été affecté lors des dernières élections.
Nous reconnaissons tous que la Chine... même s'il est parfois difficile d'établir l'origine des campagnes de mésinformation et de désinformation. À mon avis, il s'agit là de préoccupations et de défis très souvent cités par les responsables de la sécurité et du renseignement. Ces experts nous rapportent qu'il leur est très difficile de remonter jusqu'à la source de ce genre de renseignements.
Fait intéressant, j'ai étudié les recherches très détaillées effectuées par l'observatoire des médias, qui a réalisé un projet sur la mésinformation et la désinformation. Il s'agit d'une initiative mise sur pied avant la dernière élection, et financée par le gouvernement fédéral. Les plus grands experts du pays se sont réunis pour mener des enquêtes et comparer les données pré-électorales aux données post-électorales. On parle d'une analyse en profondeur des renseignements qui ont circulé lors des dernières élections, notamment en ce qui concerne la circonscription de Kenny Chiu. J'ai le rapport final sous mes yeux. Je ne le citerai pas, car j'ai l'impression que mon temps de parole est limité. Par contre, je peux vous dire que le rapport indique que l'analyse des données pré-électorales et post-électorales ne permet pas de conclure que les électeurs auraient été influencés par une campagne de désinformation.
Il me semble donc assez difficile d'accepter les conclusions de votre témoignage d'aujourd'hui. Vous avez affirmé qu'il était tout à fait possible qu'une campagne de désinformation ait pu faire basculer quelque 3 500 votes. C'est pourtant absolument impossible, si l'on se base sur les données et les preuves citées par des experts qui, pour être honnête, sont bien plus qualifiés que vous. Je ne souhaite pas vous offenser, mais je me devais de le dire. Je vous remercie.
Je vous remercie, madame la présidente. Ce n'était qu'une observation.
:
Je vous remercie de conclure, car nous avons déjà accordé du temps supplémentaire à M. German et à Mme McCuaig-Johnston.
Je tiens à tous vous remercier pour le temps et l'attention que vous nous avez accordés aujourd'hui. Au nom des membres du Comité, nous tenons à vous remercier de vous être rendus disponibles. Si vous souhaitez nous transmettre un document, n'hésitez pas à le faire parvenir au greffier. Nous allons veiller à ce qu'il soit traduit dans les deux langues officielles et distribué aux membres du Comité.
Chers membres du Comité, nous nous réunirons à nouveau jeudi en présence d'un autre groupe de témoins passionnant. Demain, je présenterai plusieurs rapports à la Chambre des communes, y compris un document de la Commission de redécoupage pour l'Ontario, dont nous discuterons parce que nous devons l'approuver.
Sur ce, nous vous souhaitons à tous une excellente soirée et espérons vous revoir bientôt. Portez-vous bien et soyez prudents. Nous vous remercions.
La séance est levée.