:
Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité. Bonjour à tous.
L'Association canadienne des policiers est heureuse d'avoir l'occasion de témoigner devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne au sujet du projet de loi . L'ACP est le porte-parole national de 54 000 membres du personnel policier à la grandeur du Canada. Par l'entremise de nos 175 associations membres, l'effectif de l'ACP comprend du personnel oeuvrant dans les services policiers d'un bout à l'autre du pays, desservant tant les petits villages que les grandes agglomérations urbaines au sein de services policiers municipaux et provinciaux, ainsi que dans la GRC, la police des chemins de fer et la police des premières nations. Notre but est de travailler de concert avec les représentants élus de tous les partis afin de réaliser des réformes qui rehausseront la sécurité de tous les Canadiens et Canadiennes, y compris ceux et celles qui ont fait serment de protéger nos collectivités.
Depuis plus d'une décennie, les associations de policiers militent en faveur de réformes du système judiciaire canadien. Plus particulièrement, nous avons réclamé des changements qui affermiraient les lois relatives à la détermination des peines, la détention et la libération conditionnelle de contrevenants violents.
L'Association canadienne des policiers exhorte depuis longtemps les gouvernements à mettre fin aux portes tournantes du système judiciaire canadien. Les contrevenants violents chroniques entrent par une porte des systèmes correctionnel et judiciaire pour sortir par une autre, ce qui suscite un sentiment de frustration chez le personnel policier et augmente l'incertitude et la crainte dans nos collectivités, en plus d'imposer de lourdes contraintes au chapitre des coûts et des ressources de nos systèmes correctionnel et judiciaire. Nous sommes persuadés qu'un premier pas positif en vue de répondre à ces préoccupations serait d'éliminer l'accès aux peines d'emprisonnement avec sursis pour certains crimes.
Les peines avec sursis ont été introduites en 1996 dans le but de combler le vide entre la probation et l'incarcération pour des infractions mineures, moins graves et sans violence. L'application de la loi par les tribunaux a, dans la pratique, permis à des contrevenants reconnus coupables d'actes criminels graves commis avec violence d'échapper à l'incarcération et de purger leur peine d'emprisonnement dans la collectivité.
Le projet de loi modifie l'article 742.1 du Code criminel afin que toute personne reconnue coupable d'une infraction punissable par mise en accusation, pour laquelle une peine maximale d'emprisonnement d'au moins dix ans est prévue, ne puisse être admissible à une peine d'emprisonnement avec sursis. Même si nous appuyons les objectifs énoncés dans le projet de loi C-9, nous craignons que la durée maximale d'emprisonnement d'au moins dix ans ne tienne pas compte de certaines infractions qui ne devraient pas donner lieu à l'admissibilité à une peine avec sursis.
La loi actuellement en vigueur est inadéquate. Les Canadiens et Canadiennes sont vivement conscients du fait que les pratiques actuelles en matière d'imposition des peines et de remise en liberté sous condition sont incohérentes. Cette incohérence mine la confiance de la population dans l'application des lois, plus particulièrement en ce qui concerne notre système judiciaire dans son ensemble. Les policiers canadiens sur le terrain ont un contact quotidien avec la population et les victimes d'actes criminels, ce qui leur permet de comprendre et de partager leur sentiment de frustration. Les personnes qui prennent pour la première fois connaissance de notre système judiciaire à titre de témoins ou de victimes d'actes criminels désespèrent souvent en essayant de comprendre les principes et les processus appliqués dans la détermination des peines de contrevenants condamnés, la façon dont les peines sont purgées et les possibilités de libération anticipée. Nous croyons que les contrevenants doivent subir les conséquences des actes criminels qu'ils commettent.
Chaque victime est d'égale importance. Malheureusement, les dispositions actuelles visant la détermination des peines et la mise en liberté sous condition ne tiennent pas compte de ce principe. Les membres de l'ACP s'inquiètent vivement en constatant que des décisions émanant de tribunaux qui appliquent les lois actuelles aient permis à des contrevenants de bénéficier de peines avec sursis après avoir commis des crimes graves avec violence, dont des homicides, des agressions sexuelles, des infractions relatives à la conduite d'un véhicule ayant entraîné la mort ou des blessures graves, le trafic de drogues, des vols qualifiés et des vols dans le contexte d'un abus de confiance.
Les policiers canadiens se sentent frustrés et ont perdu confiance dans un système judiciaire qui permet régulièrement à ces contrevenants violents de recommencer à circuler dans nos rues. Nous devons restaurer de lourdes conséquences et de convaincants moyens de dissuasion dans notre système judiciaire, en commençant par des peines plus sévères, de véritables incarcérations derrière les barreaux et des politiques plus rigoureuses en matière d'admissibilité à la libération conditionnelle pour les récidivistes et les contrevenants violents. Nous avons soulevé cette question lors de la rencontre que nous avons eue avec le ministre de la Sécurité publique ce mois-ci.
Voici quelques recommandations préconisées à maintes reprises par l'ACP. Premièrement, le Parlement devrait instituer une enquête publique indépendante sur les systèmes de détermination des peines, des services correctionnels et des libérations conditionnelles du Canada pour déterminer quelles mesures pourraient entraîner des conséquences significatives pour les contrevenants, renforcer la sécurité publique et gagner la confiance du public. Deuxièmement, lors de la détermination du niveau de sécurité à imposer au détenu qui purge une peine, ses antécédents criminels et le crime pour lequel il a été condamné devraient constituer le facteur prépondérant. Troisièmement, il faut accorder aux victimes un apport accru dans les décisions ayant une incidence sur la détermination de la peine, le classement en prison, la libération conditionnelle et la remise en liberté. Quatrièmement, il faut resserrer nos lois et nos politiques carcérales pour protéger les Canadiens contre les criminels violents.
Pour ce qui est de restreindre l'accès aux peines avec sursis, l'ACP maintient que les personnes reconnues coupables d'infractions sexuelles et violentes ou de crimes commis dans des circonstances impliquant des actes violents ne devraient pas avoir de possibilité d'être prises en considération pour une peine avec sursis. Nous soutenons que les infractions sexuelles, particulièrement les infractions impliquant des enfants ou des actes violents, devraient être exclues de toute possibilité de peine avec sursis. Par exemple, les criminels reconnus coupables des infractions suivantes ne seraient pas visés par les dispositions du projet de loi C-9 dans sa version actuelle: la corruption d'enfant par le truchement d'Internet, le passage d'enfants à l'extérieur du Canada, le rapt d'une personne de moins de 16 ans.
En ce qui a trait aux infractions relatives à la sécurité publique, l'ACP s'inquiète du fait que certaines infractions commises contre ceux et celles qui ont fait serment de protéger nos collectivités, notamment les voies de fait contre un policier, ainsi que d'autres infractions ayant de graves conséquences sur la sécurité des policiers et du public, notamment le crime de fuite (refuser d'arrêter un véhicule poursuivi par un agent de la paix) ne sont pas prévues dans le projet de loi C-9. Cette omission s'explique par le fait que les peines maximales pour ces infractions sont inférieures à 10 ans.
Nous reconnaissons que les mécanismes de détermination des peines actuellement prévus au Code criminel sont parfois contradictoires et illogiques. Ce manque de cohérence et de logique ne fait qu'étayer notre thèse selon laquelle le régime de détermination des peines devrait être révisé, au même titre que les systèmes actuels de services correctionnels et de libération conditionnelle. D'ailleurs, nous proposons également que le projet de loi C-9 soit modifié de sorte que les peines avec sursis soient également interdites pour les infractions suivantes: fuite, voies de fait contre un agent de la paix, désarmer un agent de la paix, participation aux activités d'une organisation criminelle. Nous maintenons qu'on devrait interdire la peine avec sursis à toute personne qui choisit d'agresser un agent de la paix dans l'exercice de ses fonctions, ou de compromettre la sécurité d'autrui en engageant la police dans une poursuite en véhicule sur la route.
En outre, le projet de loi C-9 ne vise pas les infractions impliquant des armes à feu pour lesquelles la Couronne choisit de poursuivre par voie sommaire dont les suivantes: possession d'une arme à feu dans un dessein dangereux, possession d'une arme à feu dans un véhicule automobile, possession d'une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte avec des munitions, et contravention d'une ordonnance d'interdiction de possession. Nous soutenons qu'une peine d'emprisonnement avec sursis ne constitue pas une issue appropriée pour une accusation de possession illicite d'une arme à feu ou de toute autre arme.
[Français]
Les infractions « non violentes ». Les arguments prétendant qu'on ne doit pas restreindre le recours aux peines avec sursis pour des infractions graves commises sans violence font fausse route, au mieux. En tant que professionnels sur le terrain, les policiers constatent de leurs propres yeux les répercussions profondes qu'entraîne le fait de minimiser la gravité de crimes contre les biens et de crimes présumément « non violents ».
Les conséquences qu'entraînent des crimes graves contre les biens sont devenues tellement banalisées, en raison de l'absence de conséquences significatives proportionnées, que les criminels en sont arrivés à comprendre le système et à s'en accommoder, commettant d'autres actes criminels. Qu'ils volent un véhicule ou qu'ils entrent par effraction dans une demeure, ils savent que s'ils sont appréhendés, ils seront de retour dans la rue sous peu. Le manque de conséquences significatives pour de tels actes est tellement évident que les membres du crime organisé l'utilisent de façon efficace comme outil de recrutement. Les répercussions subies par les familles victimisées par de telles infractions sont marginalisées, étant donné qu'on présume que les assurances couvriront les coûts monétaires. Toutefois, il arrive trop souvent qu'on passe outre au traumatisme affectif plus profond déclenché par le cambriolage de sa maison, le vol de son identité ou d'un souvenir de famille irremplaçable. En fait, les crimes contre les biens sont devenus si insignifiants aux yeux des criminels et du système judiciaire que les services policiers ont réduit, voire coupé, les ressources consacrées aux enquêteurs sur les crimes contre les biens, préférant transférer ces ressources à d'autres priorités.
Le vol automobile constitue un exemple flagrant de ce genre de situation. Les jeunes contrevenants et les voleurs de véhicules savent que le vol automobile n'entraîne aucune conséquence lourde. Ils volent des véhicules pour se faire de l'argent comptant, sans craindre l'appréhension et encore moins les conséquences au tribunal.
Toutefois, une chose est certaine: pour les victimes de ces crimes, voir sa vie privée envahie et ses précieux souvenirs volés dans sa propre demeure n'a rien de banal. Ces victimes ne se sentiront plus jamais en sécurité dans leur propre foyer ou dans leur collectivité, à compter de ce moment.
Les crimes contre les biens sont souvent liés à d'autres comportements criminels graves et à d'importants problèmes sociaux, dont le trafic de drogues, le crime organisé et la criminalité des cols blancs. Il s'agit de problèmes qui s'enchevêtrent et se recoupent que nous ne pouvons pas négliger et que nous ne devons pas négliger. Malheureusement, le trafic et la production de drogues tombent également dans la catégorie des infractions « non violentes », ce qui fait totalement abstraction des conséquences tragiques de l'abus de drogues dans nos collectivités et du lien inextricable entre la violence des gangs et le trafic de drogues. Les caïds de la drogue et les exploitants de culture illicite de marijuana échappent à de lourdes conséquences par le biais des dispositions relatives aux peines avec sursis et aux libérations conditionnelles accélérées; ces dispositions visaient initialement les crimes non violents. Nous avons vu des exemples de trafiquants de drogues appréhendés aux États-Unis qui ont sollicité l'extradition au Canada dans le but de profiter de ces dispositions excessivement clémentes en matière de détermination des peines et de libération conditionnelle.
Le niveau de surveillance. Selon le Sommaire législatif du projet de loi C-9 émanant de la Bibliothèque du Parlement, le Centre canadien de la statistique juridique rapporte que le coût annuel de surveillance d'un contrevenant en liberté dans la collectivité est de 1 792 $. Nous craignons que le montant de ces coûts soit largement insuffisant, étant donné la nature des contrevenants remis en liberté dans la collectivité. Selon notre estimation, le montant actuel représente moins d'une heure par semaine de surveillance des contrevenants qui purgent des peines avec sursis dans la collectivité. Nous soutenons que les agents de probation et de libération conditionnelle desservant nos collectivités manquent sérieusement d'effectifs et sont débordés de travail, ce qui réduit l'effet de leur surveillance.
[Traduction]
En conclusion, ce que nous avons vécu depuis l'introduction des peines d'emprisonnement avec sursis en 1996 démontre que l'application de ces dispositions a dépassé de loin l'intention initiale. Le projet de loi C-9 constitue une mesure qui s'impose pour resserrer ces dispositions et en exclure l'application à des crimes plus graves.
Nous maintenons que la restriction du recours aux peines avec sursis réduit les risques que courent nos collectivités qui continuent d'être victimisées par des criminels violents, des délinquants sexuels et de graves invasions de leur vie privée et de leur intimité par le biais de crimes contre les biens. Toutefois, nous recommandons effectivement de renforcer le projet de loi en visant les crimes commis avec violence, les infractions à caractère sexuel et les risques sérieux qui ne figurent pas actuellement dans le texte de loi proposé.
Afin d'en assurer la cohérence et l'équilibre, nous exhortons le Parlement à apporter des modifications au projet de loi C-9 qui refléteraient la gravité de certaines infractions violentes à caractère sexuel non passibles d'une peine d'emprisonnement d'au moins dix ans, tout en conservant l'option d'imposer une peine avec sursis pour des crimes moins graves lorsqu'un mécanisme de rechange est apporté pour la détermination de la peine.
Le projet de loi C-9 constitue un premier pas positif pour remédier aux portes tournantes du système judiciaire et infliger des conséquences significatives et proportionnées à des crimes graves et violents. L'Association canadienne des policiers appuie le projet de loi C -9 en principe et exhorte le Parlement à modifier et à adopter ce texte de loi sans tarder.
Je vous remercie de votre attention. Je serai heureux de répondre à vos questions.
:
Monsieur le président et membres du comité, merci de l'invitation à venir partager avec vous nos réflexions.
[Traduction]
Je suis heureux de pouvoir discuter du projet de loi C -9 avec vous. Merci encore une fois de nous avoir invités.
[Français]
L'Association des services de réhabilitation sociale du Québec regroupe plus de 50 organismes communautaires engagés activement dans la prévention du crime et auprès des contrevenants adultes dans la majorité des régions du Québec.
Notre préoccupation est d'assurer un juste équilibre entre les besoins des victimes de la communauté et ceux des contrevenants. L'association existe depuis plus de 40 ans, tout comme certains de nos organismes. Plus d'une quinzaine d'organismes sont actuellement engagés dans des activités de suivi en communauté de personnes en sursis. Nous avons donc une expérience directe avec la clientèle en sursis.
L'ASRSQ s'est engagée dans une démarche de réflexion, à la suite du dépôt du , avec la Société Elizabeth Fry du Québec et du Canada et les associations des avocats de la défense de Montréal et du Québec. Elle est heureuse de partager avec vous les fruits de ses réflexions. Vous les avez sous la main. Je ne lirai pas le texte au complet, mais je me contenterai d'attirer votre attention sur certains points.
Notre mémoire se base sur le fait que le veut limiter l'admissibilité à la sentence d'emprisonnement avec sursis, alors que rien à l'heure actuelle ne démontre qu'il est nécessaire de le faire. Le sursis semble fonctionner. Les juges semblent respecter les dispositions du Code criminel et les balises que le code leur donne.
Deuxièmement, on veut limiter l'accès au sursis en n'utilisant qu'un seul et unique critère, soit les peines maximales prévues par le Code criminel. Cela met sur le même pied des délits tout à fait disparates. Par exemple, monnaie contrefaite et inceste sont sur un pied d'égalité. Il s'agit donc d'un critère unique, et l'utilisation de critères uniques s'éloigne des principes mêmes de la détermination de la peine de notre système de justice.
Troisièmement, l'emprisonnement avec sursis est, selon nous, une mesure sévère. Quatrièmement, c'est une mesure sécuritaire. Cinquièmement, nous considérons que c'est une mesure cohérente et préventive, qui est appuyée par le public canadien de façon générale.
L'ampleur du problème que le projet de loi désire régler n'a pas été démontrée. Aucune étude sérieuse ne démontre que le sursis est problématique à l'heure actuelle ni qu'il y a une recrudescence de la criminalité ou des récidives.
Lorsqu'un juge détermine une sentence, il doit prendre en considération la gravité relative de l'infraction. Il doit également tenir compte de la dangerosité de la personne. Même si certains délits peuvent paraître violents, le juge doit prendre en considération à la fois le délit et le délinquant.
Le s'éloigne des principes canadiens fondamentaux en matière de détermination de la peine, dont l'utilisation de l'incarcération en dernier recours, la proportionnalité de la sanction par rapport à la gravité de l'infraction, le degré de responsabilisation et l'individualisation de la peine.
Le projet de loi pourrait réduire la période de surveillance de plusieurs délinquants. Certaines études démontrent que, dans certains cas, l'utilisation du sursis entraîne une plus longue sentence d'emprisonnement que si le juge avait décidé de donner une sentence d'emprisonnement non sursitaire, si je peux dire.
Prenons l'exemple d'une personne emprisonnée pour un an. La loi fait en sorte qu'elle est libérée sans surveillance après avoir purgé les deux tiers de sa peine.
Dans le cas du sursis, la personne se rend à la fin de son année, et la période de surveillance dure 12 mois.
On considère qu'en traitant de façon identique des infractions telles que la possession de monnaie contrefaite et l'inceste, comme je le disais plus tôt, le projet de loi contribue à accroître un sentiment de confusion concernant les notions de gravité et de dangerosité. Selon nous, réduire l'utilisation de l'emprisonnement avec sursis ne permettra pas d'assurer une meilleure sécurité dans nos communautés. À l'inverse, à moyen et à long terme, cela pourrait même la compromettre.
Je m'explique. Certaines personnes peuvent actuellement bénéficier d'un sursis, mais elles n'en bénéficieraient pas si le projet de loi était adopté. Il y aurait pour ces gens des conséquences économiques et sociales importantes. On n'a qu'à penser à la perte d'emploi, aux familles brisées, et ainsi de suite.
Nous considérons donc que le projet de loi actuel n'est pas nécessaire. Par contre, nous croyons qu'il devrait y avoir plus d'études portant sur le sursis depuis sa mise en application. Cela permettrait de mieux comprendre de quoi il s'agit et d'évaluer vraiment l'impact qu'a eu le sursis au cours des dernières années.
L'expérience des intervenants de notre milieu communautaire nous démontre que les sursitaires qu'ils reçoivent ne sont pas majoritairement des gens violents. Ces derniers terminent en effet leur période de sursis avec succès, et lorsque ce n'est pas le cas, il s'agit dans la majorité des cas de bris de conditions, et non de récidives.
Alors, où est le problème? Voilà la question que nous posons. Nous croyons que d'autres études, ou encore des études plus importantes que celles existant présentement, devraient être réalisées avant qu'on modifie le système.
Je vous remercie, monsieur le président, membres du comité, de m'avoir entendu.
:
Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité.
[Français]
Je remercie le comité de nous donner l'occasion d'émettre des commentaires sur le projet de loi C-9.
[Traduction]
Je m'adresse à vous aujourd'hui au nom du Réseau juridique canadien VIH/sida. À première vue, vous vous demandez peut-être pourquoi une organisation du domaine du sida s'intéresse à ce projet de loi. J'espère qu'à la fin de mon témoignage vous comprendrez pourquoi nous estimons que cette mesure législative comporte une dimension que votre comité doit bien comprendre.
Premièrement, permettez-moi de vous toucher quelques mots de notre organisation, le Réseau juridique canadien VIH/sida. C'est une organisation nationale non gouvernementale, une d'une dizaine au pays qui travaillent en partenariat avec le gouvernement fédéral et les autres paliers de gouvernement pour lutter contre l'épidémie de sida au Canada. En 14 ans, nous sommes devenus l'une des grandes organisations du monde en matière d'enjeux politiques et juridiques liés au VIH.
Nous comptons plus de 200 membres un peu partout au pays et quelques-uns à l'étranger, surtout des organisations de services aux sidéens et séropositifs travaillant sur le terrain pour lutter contre l'épidémie de sida. Ce sont nos connaissances particulières dans ce domaine qui nous amènent aujourd'hui à vous faire part de quelques-unes de nos préoccupations.
Premièrement, nous craignons que ce projet de loi n'ait des conséquences imprévues — du moins, nous espérons qu'elles sont imprévues — qui doivent être envisagées avant que vous n'alliez plus loin. Nous craignons que le projet de loi C-9 n'aille à l'encontre du but visé et ne mine certains des efforts déployés dans la lutte contre le VIH parmi certains des Canadiens les plus vulnérables — ceux qui sont les plus vulnérables parce qu'ils sont marginalisés socialement et économiquement et qui, selon nous, risquent de subir le plus les effets de cette approche législative, comme je l'expliquerai dans un moment.
Il y a déjà bien des années, le Canada a reconnu dans sa politique officielle que la toxicomanie est d'abord et avant tout une question de santé et non pas un problème qu'on doit régler par le biais du droit criminel et de mesures policières.
Malheureusement, malgré l'engagement théorique d'en faire un enjeu de santé et l'engagement théorique de lutter contre le VIH grâce à des mesures basées sur des faits qui se sont avérées efficaces, et ce, dans le respect et la protection des droits de la personne, ne se sont pas toujours traduits dans la réalité, surtout au niveau du gouvernement fédéral, par la lutte contre la toxicomanie.
Nous traiterons donc surtout de l'application du projet de loi C-9 aux infractions relatives aux drogues; nous ne ferons pas d'observations sur les autres aspects du projet de loi.
Je viens de dire que le gouvernement s'était engagé à faire de la toxicomanie un enjeu de santé plutôt qu'un enjeu de droit pénal, mais que cela ne s'était pas traduit en mesures pratiques, et je vous rappelle qu'il y a quelques années, en 2001, la vérificatrice générale a rendu public un rapport sur les dépenses fédérales en matière de drogues, dépenses qui s'élevaient à environ 500 millions de dollars. Elle a alors signalé que près de 95 p. 100 de cet argent était consacré à l'application de la loi et à la justice pénale, en dépit du fait que le Canada avait répété qu'il avait adopté une approche équilibrée en matière de toxicomanie au Canada, approche qui se fondait non seulement sur l'application de la loi, mais aussi sur la prévention de la consommation problématique de drogues, le traitement des toxicomanes et la réduction des méfaits par le biais de mesures bien étudiées et éprouvées, dont l'échange de seringues.
Malheureusement, à notre avis, avec ce projet de loi, nous ne nous dirigeons pas sur la bonne voie. En fait, nous risquons d'exacerber le déséquilibre de l'approche fédérale en matière de drogues. J'encourage donc les membres du comité, après l'audition des témoignages d'aujourd'hui, à réfléchir aux conséquences de l'application de ce projet de loi sur les infractions liées aux drogues et à l'incidence que cela pourrait avoir sur la santé de certains des Canadiens les plus vulnérables et marginalisés et sur la santé publique en général.
Avant le dépôt de cette mesure législative, quand elle était encore en voie d'élaboration, nous avons rendu public un document d'information traitant de façon générale de l'application de peines minimales obligatoires aux infractions liées aux drogues. Nous avons tenté d'expliquer pourquoi cela n'est pas nécessairement une bonne politique de justice ou de santé publique, surtout si cela s'inscrit dans le cadre d'une campagne efficace contre l'épidémie de VIH chez les consommateurs de drogues. Je crois que tous les membres du comité ont reçu un exemplaire de ce document. Sinon, nous pouvons vous en remettre. Depuis le dépôt du projet de loi, depuis que nous l'avons lu, nous avons rédigé un mémoire que nous vous avons apporté aujourd'hui et qui porte précisément sur la façon dont le projet de loi C-9 s'appliquera aux infractions à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.
Pour nous, le projet de loi C-9 est une sorte de règle visant les peines minimales obligatoires. En effet, le projet de loi C-9 ne dit pas que si vous commettez telle infraction, vous devez passer un nombre minimum d'années en incarcération ou être assujetti à telle ou telle peine minimale. En empêchant l'imposition d'une peine d'emprisonnement avec sursis pour certaines infractions à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le projet de loi élimine toutefois cette possibilité, lorsque la peine est une peine d'incarcération. Autrement dit, la peine d'incarcération doit être purgée dans un établissement correctionnel et non faire l'objet d'un sursis. Il y a donc imposition d'une sévérité minimale de la peine.
J'aimerais dire deux choses précises au sujet de la façon dont ce projet de loi s'appliquerait aux infractions relatives aux stupéfiants.
Premièrement, cette mesure comporte un aspect positif, même s'il s'agit peut-être d'un simple hasard de rédaction législative. En effet, le projet de loi C-9 ne s'appliquerait pas à l'infraction de possession simple, prévue par la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et, par conséquent, les peines d'emprisonnement avec sursis seraient encore possibles, en présumant, cela va de soi, que sont satisfaits les autres critères du Code criminel. À notre avis, c'est le seul aspect positif d'une mesure législative qui, par ailleurs, ne cause que des problèmes.
Parlons d'un autre exemple d'application de ce projet de loi aux infractions relatives aux stupéfiants pour préciser ces problèmes: plus particulièrement, parlons des infractions de trafic de stupéfiants et de possession de stupéfiants en vue d'en faire le trafic. Nous avons de nombreuses raisons de dire que l'application du projet de loi C-9 causerait des problèmes en éliminant la possibilité d'imposer des peines d'emprisonnement avec sursis aux personnes accusées de trafic de stupéfiants en vertu de la LRCDAS. Les voici.
D'abord, on pourrait dire de manière simpliste qu'on ne ciblera que les soi-disant trafiquants de stupéfiants, sans imposer de peine sévère aux gens qui ne sont que des consommateurs de drogues et qui doivent composer avec leur toxicomanie et penser alors qu'on respecte le principe consistant à considérer la consommation de drogues comme un problème de santé plutôt qu'un problème d'application des lois pénales. En fait, cette distinction n'est pas si simple à faire. En pratique, compte tenu du libellé actuel du projet de loi, une personne reconnue coupable de trafic de stupéfiants, peu importe la quantité, par exemple de l'héroïne, même s'il s'agit d'une personne qui avait en sa possession une quantité minime qu'elle partageait avec un autre consommateur de son réseau, ne pourrait purger sa peine d'emprisonnement, le cas échéant, dans la collectivité.
Les tribunaux seraient donc tenus d'envoyer en prison des contrevenants qui n'ont pas nécessairement commis un acte criminel violent et qui n'avaient peut-être fait le trafic que de très petites quantités de stupéfiants. D'après des études, notamment des études canadiennes sur la plus importante cohorte de consommateurs de drogues par injection, études menées sur de nombreuses années à Vancouver, un nombre important de consommateurs de drogues par injection se sont aussi livrés au commerce de drogues à petite échelle, dans leur milieu, souvent pour avoir les moyens de satisfaire leurs besoins. Ces personnes sont plus facilement ciblées par les opérations de répression policière et sont plus susceptibles d'être arrêtées et accusées de trafic de stupéfiants. Ce sont donc ces personnes qui seraient les plus susceptibles d'être condamnées à une peine d'emprisonnement, sans sursis, si cette possibilité n'est pas offerte pour les infractions de trafic de stupéfiants. Il serait étonnant que ce soit les réels profiteurs, ceux qui font un trafic de drogues à grande échelle -- des organisations criminelles, etc. -- qui seraient réellement capturés et accusés de trafic.
Ce que nous avons constaté chez les groupes de consommateurs de Vancouver, par exemple, c'est que bon nombre d'entre eux s'adonnent au trafic de petites quantités de drogues, pour financer leur consommation, ou ont servi de messagers, transportant de petites quantités de drogues, ou d'intermédiaires, en amenant les clients aux trafiquants. Toutes ces activités cadrent avec la définition du trafic de stupéfiants au sens de la LRCDAS et sont passibles d'une peine maximale de 10 ans, soit le seuil prévu par le projet de loi C-9: le sursis à l'emprisonnement ne serait donc pas possible.
Je pense qu'il est aussi très important de comprendre que ces consommateurs de stupéfiants, qui se sont livrés à des activités de trafic, sont parmi les toxicomanes qui ont le plus de mal à se sortir de la toxicomanie.
L'étude qui sera publiée sous peu, à partir des données de Vancouver, montre que les activités de trafic de stupéfiants à petite échelle, dans la rue, sont associées à la fréquence des injections d'héroïne et de cocaïne, aux épisodes de consommation excessive, à l'échange de seringues, aux surdoses accidentelles et à de récentes incarcérations. Il s'agit dans tous les cas de signes de toxicomanie grave. Nous parlons donc de cibler avec ce projet de loi des consommateurs de drogues dont beaucoup sont de grands toxicomanes.
Je ne dis pas qu'il s'agit nécessairement de l'objectif du projet de loi, mais c'est une conséquence dont votre comité doit certainement tenir compte.
J'ai parlé de l'incarcération comme l'un des facteurs associés au petit trafic dans la rue. Cela m'amène à vous expliquer pourquoi c'est une mauvaise chose, du point de vue de la santé publique, que d'incarcérer des toxicomanes. Tout le monde, y compris les services correctionnels, reconnaît qu'il y a des stupéfiants dans les prisons. C'est une réalité, partout dans le monde, et personne ne peut nier que les détenus consomment des drogues par injection en prison.
Il y a plus d'une décennie, Service correctionnel Canada révélait que près de 40 p. 100 des détenus incarcérés dans des établissements fédéraux avaient déclaré avoir consommé de la drogue en prison, dont 11 p. 100 par injection. Nous savons aussi que les détenus ont peu accès à du matériel d'injection stérile, pour ne pas dire aucun accès. Nous condamnons donc des toxicomanes, dont beaucoup sont des utilisateurs de drogues injectables, à vivre dans un milieu où leur consommation de drogue sera très dangereuse, faute d'accès à du matériel d'injection stérile, même si nous avons depuis 20 ans au Canada de très fructueux programmes d'échange de seringues. À maintes reprises, au Canada comme ailleurs dans le monde, toutes les études ont conclu que les programmes d'échange de seringues étaient le meilleur moyen de lutter contre le VIH et contre les autres maladies transmises par le sang chez les consommateurs de drogues injectables.
:
Nos policiers vivent cette expérience presque tous les jours. Il y a de plus en plus de crimes violents. Ce qu'on voyait aux émissions de télévision américaines, les activités criminelles des gangs de rue, ne se passait qu'aux États-Unis, mais maintenant cela arrive au Canada. Pourquoi? C'est la réalité. Il suffit de se rendre à Winnipeg, à Montréal, à Vancouver ou à Toronto pour le constater. Et ce phénomène ne se limite plus aux grandes villes, on le voit de plus en plus même dans les petites villes.
Quand on arrive sur le lieu d'un crime, on voit la victime et on comprend ce qu'elle éprouve et ce qu'elle pense. On sait qu'elle devra se présenter devant le tribunal et on sait aussi, par expérience, le genre de jugement que les tribunaux rendent dans les affaires semblables. Le criminel ne recevra qu'un coup de baguette sur les doigts et il sera remis en liberté, dans le même quartier, où il pourra menacer la victime et se moquer d'elle. Voilà aussi ce que les victimes nous disent; leur agresseur les nargue en disant voilà, je suis de retour ici et je n'ai rien eu. Il se moque des victimes.
Or, il s'agit d'actes graves. Il faut des mesures de dissuasion. Quand l'auteur d'un crime doit assumer les conséquences de ses actes, la situation est tout autre. Regardez ce qui est arrivé au Québec. Au Canada, tout le monde pensait que le Québec avait déclaré forfait face aux motards. Qu'a fait le Québec? Il a changé la législation pour instaurer des peines plus sévères, des mesures législatives plus rigoureuses, et il a mis sur pied une unité spéciale, appelée Carcajou/Wolverine. Qu'est-il arrivé aux motards? Ils sont tous en prison. Cette approche a porté fruit. Elle a déstabilisé le crime organisé, les motards criminalisés.
Voilà ce qu'il faut faire, mettre en place des mesures dissuasives. Jusque-là, combien de jeunes rêvaient de devenir des motards parce qu'ils pensaient que rien ne pourrait leur arriver? C'est le message que nous devons communiquer aux collectivités, aux citoyens canadiens: nous sommes là pour les protéger. Et vous, en tant que législateurs, vous devez communiquer ce même message. Mais si on laisse croire aux gens qu'ils seront libérés aussitôt arrêtés, qu'ils ne se verront jamais infliger des sanctions... Même si vous aviez les meilleures intentions en 1996, cela n'a pas donné les résultats escomptés. Pourquoi? Il y a toujours le facteur économique. Combien en coûte-t-il à la société pour incarcérer quelqu'un? Si on pense de cette façon, savez-vous ce qui va arriver? Cette même personne qui est persuadée que rien ne peut lui arriver va récidiver encore et encore, si bien que cela va coûter beaucoup plus cher pour embaucher des policiers pour les arrêter à maintes reprises et pour s'occuper de nombreuses victimes.
Notre rôle est de protéger et de servir le citoyen canadien. C'est ce que nous voulons faire, mais nous avons besoin d'aide et vous êtes les seuls à pouvoir nous aider.
:
Oui, j'aimerais faire une observation au sujet de la surveillance. Je ne suis pas d'accord que la surveillance n'est pas sérieuse. Pour me préparer à ma comparution d'aujourd'hui, j'ai rencontré hier deux intervenants de première ligne qui travaillent auprès de personnes mises en liberté sous condition pour vérifier, du moins de façon empirique, si certaines des choses que nous pensions étaient vraies.
Nous avons constaté, entre autres, que ces deux intervenants de première ligne, qui font ce travail depuis plus de six ans et ont été en rapport avec des dizaines de personnes en liberté sous condition, ne jugent pas que leurs clients sont violents. Ils estiment que les juges et les procureurs se sont bien acquittés de leurs tâches pour ce qui est d'éliminer les délinquants vraiment violents.
Deuxièmement, en ce qui a trait à la supervision, une personne mise en liberté sous condition se trouve souvent en assignation à résidence, ou comme on l'appelle en anglais « house arrest ». Dans de tels cas, au Québec en tout cas, le système fait en sorte que le superviseur n'est pas le seul chargé de la vérification. Il existe aussi un agent du service correctionnel, qu'on appelle aussi un garde, qui travaille dans la collectivité. Ces gardes font des vérifications par téléphone ou en se rendant au domicile de la personne — cinq, six, sept fois par semaine et à toutes les heures du jour — pour s'assurer du respect des conditions de la libération. Croyez-moi, la fréquence des rencontres avec le surveillant est bien supérieure à une fois par mois.
Nos intervenants de première ligne nous ont également dit hier que dans certains cas, la liberté sous condition était jugée plus pénible que l'incarcération — par exemple, les épouses se plaignent de ce qu'elles sont écoeurées de recevoir des visites et des coups de téléphone à toute heure du jour. La surveillance est donc très sérieuse.
Je m'objecte à ce qu'on dise que la surveillance n'est pas importante et qu'on libère sous condition des délinquants violents. Le fait qu'une personne commette un crime jugé violent ne fait pas de cette personne un délinquant violent, à moins qu'une évaluation de cette personne vienne le prouver en plus du crime.
:
J'aurais aimé — et j'étais certain ou presque que ce serait le cas — que certains d'entre vous nous présentent des statistiques, des réponses à nos questions. Je ne reprendrai pas ce que mon collègue Ménard a dit il y a quelques instants, mais je vais tout de suite régler une chose: il faut que l'Association canadienne des policiers et policières comprenne que ce n'est pas le législateur qui a étendu l'application de l'emprisonnement avec sursis. Si vous ne le comprenez pas, nous allons vous l'expliquer.
Je pense que vous devriez demander à vos avocats de lire l'arrêt Proulx de la Cour suprême, qui date de l'année 2000. Si vous l'aviez lu, vous auriez compris que c'est la Cour suprême qui a expliqué, dans un jugement non contestable, l'étendue de l'emprisonnement avec sursis.
En tant que législateurs, nous voulons savoir si oui ou non l'emprisonnement avec sursis a répondu aux attentes qu'avait la population en 1996. Je regarde les statistiques de l'Association canadienne des policiers et policières, et je vois de bons exemples, très intéressants. Selon ce que j'ai relevé, il y a 257 127 condamnations. Si, comme moi, vous savez compter, vous constaterez qu'il n'y a eu que 13 267 emprisonnements avec sursis en 2003. J'ai sous les yeux l'exemple de cette année charnière, alors n'essayez pas de me faire croire que le système judiciaire est devenu une porte tournante par laquelle on entre et on sort. Vous ne réussirez jamais à me faire croire cela.
Nous sommes ici pour modifier le Code criminel. Je suis d'accord pour dire qu'on doit avoir du respect pour les victimes, mais ici, on s'attaque aux criminels. Je veux qu'on me démontre — et jusqu'à maintenant, ça n'a pas été le cas — que l'emprisonnement avec sursis est inutile et inapproprié, et qu'il n'a en rien contribué à réduire la criminalité au Canada.
Je m'adresse à M. Altimas. Par l'entremise de l'Association des services de réhabilitation sociale du Québec, seriez-vous capable, d'ici quelques semaines, d'obtenir des statistiques sur le nombre de personnes ayant été condamnées à une peine d'emprisonnement avec sursis? J'étais avocat, il y a à peine 20 mois. En voyant le nombre de CRC que vous avez, je pense que vous pourriez de toute évidence obtenir des statistiques, quitte à les compiler à la main, s'il le faut.
Je m'adresse également à l'Association canadienne des policiers et policières. Seriez-vous en mesure, honnêtement, de nous obtenir des statistiques concernant les cas d'échec? Vous avez des policiers sur le terrain. Jamais je ne croirai que vous n'êtes pas capables de nous obtenir des statistiques sur les cas d'échec. Nous nous occuperons des cas de réussite; ce que nous voulons, ce sont des statistiques sur les cas où l'emprisonnement avec sursis a échoué, où des dossiers ont été rouverts.
Alors, c'est oui ou non. Êtes-vous en mesure d'obtenir ces données d'ici quelques semaines? Ma question s'adresse à MM. Altimas et Cannavino.
D'abord, je vous remercie tous d'être là aujourd'hui. Monsieur Cannavino, je vois que vous n'avez pas changé de caractère et que vous êtes capable de défendre vos positions.
Je vais faire une entrée en matière et je poserai par la suite une question à MM. Cusson et Altimas, qui pourront sans doute me répondre.
Tout comme moi, vous avez vu hier à la télévision que l'Aéroport international Pierre-Elliott-Trudeau de Montréal est une passoire pour la drogue et que des employés, policiers et civils, sont soudoyés. Ils ont peur des gens qui font le commerce de la drogue. Vous semblez avoir une position positive à l'égard du sursis de sentence. Nous savons que les employés de l'aéroport ont peur des trafiquants de drogue.
Pourriez-vous expliquer pourquoi les agents du service correctionnel qui doivent surveiller quotidiennement les gens impliqués dans le milieu de la drogue, douce ou dure, sont soudoyés? Peut-être ont-ils peur. Vous n'avez aucune statistique à ce sujet.
La seule chose que nous savons, c'est qu'il en coûte environ 20 ¢ l'heure pour surveiller les trafiquants de drogue qui sont dehors. La drogue, à première vue, n'est pas dangereuse, mais nous oublions qu'en Colombie et en Afghanistan, des cultivateurs se font tuer à la mitraillette parce qu'on achète de la drogue. C'est ce qu'on appelle le syndrome du « pas dans ma cour ». C'est ce qu'il faut arrêter. Ce n'est pas parce que ce n'est pas grave chez nous que ce n'est pas grave ailleurs. Présentement, au Venezuela et en Afghanistan, des gens se font tuer parce que nous achetons leur drogue. Ce n'est pas correct.
J'ai appris une chose, dans ma pratique, que j'aimerais la partager avec vous. Dans le document de M. Elliott qu'on a lu plus tôt, il est indiqué que 40 p. 100 plus de drogues entrent dans les prisons. Imaginez lorsqu'on n'est pas en prison! Quand on n'est pas en prison, combien pensez-vous qu'il en entre? C'est ce que j'essaie de savoir de vous.
On est proches de nos commettants, on travaille pour les honnêtes gens, comme vous et moi, et pour les victimes, puisqu'on en a tous eus dans nos familles. Est-il normal de penser que dans le cas de crimes graves, lorsque quelqu'un est en prison... Il y a déjà 40 p. 100 plus de chances que la drogue y entre, mais ce n'est pas 100 p. 100 plus de chances, parce que les surveillants, ceux dont on parle depuis le début, font de la surveillance à hauteur de 1 792 $ annuellement, ce qui représente 20 ¢ l'heure. Si vous pensez qu'ils n'ont pas peur des gens qui vendent de la drogue et qu'ils ne peuvent pas être soudoyés, nous ne vivons pas dans le même monde. À l'Aéroport international Pierre-Elliott-Trudeau de Montréal, ils gagnent environ 30 000 $ annuellement, ils ont quelques tâches à accomplir, ils sont soudoyés et ils ont peur.
J'aimerais connaître votre position. Comment pouvez-vous me convaincre d'accepter votre position plutôt que celle du ?
:
Poursuivons. J'aimerais m'inscrire en faux contre les commentaires de M. Moore. En réalité, nous avons une frontière commune, et je me préoccupe tout autant des malheureux qui sont d'un côté de Whitepine Road que de ceux qui sont de l'autre côté, c'est-à-dire les victimes.
J'aimerais orienter la discussion concernant les victimes vers M. Cannavino. D'après les données de l'étude que nous avons reçues l'autre jour, les statistiques indiquent que le risque de récidive de la part d'un criminel contre la même victime ou contre une autre victime diminue lorsque le régime de la peine avec sursis est maintenu, modifié ou, du moins, qu'il n'est pas totalement éliminé.
Bien que les éléments de preuve puissent être contestables -- et je vous invite à y regarder de près --, ils indiquent en général que les condamnés qui sont incarcérés passent en moyenne 47 jours sous surveillance parce qu'ils sont en tôle, alors que ceux qui obtiennent un sursis passent en moyenne 256 jours sous surveillance obligatoire. Il me semble que le niveau et la rentabilité de cette surveillance sont contestés, mais le contrevenant reste plus longtemps sous l'emprise de la justice.
Par ailleurs, je vous invite à nous éclairer sur ce qu'on trouve également dans cette étude. D'après une autre statistique, plus de la moitié de ceux qui obtiennent un sursis en sont à leur première infraction. Même s'il peut s'agir de crimes graves, le juge a exercé ses pouvoirs discrétionnaires et s'est dit que le délinquant risquait moins de récidiver s'il lui accordait un sursis.
Ce raisonnement vous semble-t-il justifié? Vous êtes en première ligne. J'ai le plus haut respect pour l'autorité policière. J'ai été maire et membre d'une commission de police pendant six ans. Vous êtes des officiers de justice de première ligne; vous êtes sur place. Pouvez-vous nous aider à voir s'il y a lieu de préserver certaines peines avec sursis, parce que la moitié de ceux qui en font l'objet en sont à leur première infraction? Deuxièmement, si c'est une question de ressources et si le montant de 1 700 $ vous choque -- et je sais que les cadres de la police parlent souvent de ressources et de la nécessité d'orienter les activités de police en fonction des problèmes pour intervenir en milieu scolaire, pour que la présence policière ait un effet plus dissuasif -- si c'est une question de ressources, si c'est parce que chaque surveillance coûte 2 400 $, dites-le-nous. Voilà un autre élément qu'on pourrait supprimer des 13 milliards de dollars engagés l'année dernière pour qu'on fasse les choses comme il faut.
Pouvez-vous nous aider sur ce point?
:
Je remercie tous les témoins de leur présence.
Il y a une statistique que je connais bien. Il est beaucoup question de statistiques aujourd'hui, nous voulons obtenir de l'information. Je suis ici depuis 13 ans, et certains de mes collègues ont autant d'ancienneté que moi. Nous avons conservé certaines statistiques en mémoire.
Je me souviens que vers le début de 1994 -- je sais que M. Lee s'en souvient aussi -- nous avons rencontré une femme qui s'appelait Priscilla de Villiers, qui était présidente d'un groupe de victimes d'actes criminels. Nous avons déposé deux millions de signatures -- 2 400 000, sauf erreur -- devant le Parlement pour qu'on appréhende les criminels et qu'on lutte énergiquement contre la criminalité. Après le dépôt de cette pétition, le Parlement a reçu des centaines et des milliers d'autres signatures sur des pétitions qui allaient toutes dans le même sens.
Voilà des statistiques bien documentées; ce sont des pétitions déposées au Parlement. Tous ces gens, qui demandent au gouvernement de faire quelque chose, sont des contribuables et ils assurent le financement d'un système qu'ils jugent très décevant. C'est une statistique que personne ne peut contester.
Et ce n'est pas tout. Ces associations de victimes voient le nombre de leurs adhérents augmenter à mesure que nous tergiversons. Ce nombre ne diminue pas, car les gens qui assurent le financement du système n'en sont pas satisfaits.
Le projet de loi C-41 a tenté d'apporter une réponse, et je pense que tout le monde en a apprécié le principe. Évidemment, comme vous l'avez dit, monsieur Cannavino, il portait sur la règle et non pas sur l'exception.
Monsieur Altimas, je m'étonne de vous entendre dire qu'un individu n'est pas violent du simple fait qu'il a commis un crime violent. Heureusement, j'avais une attitude différente de la vôtre lorsque j'étais directeur d'école, car lorsqu'un enfant se rendait coupable d'un acte de violence contre un autre enfant, j'en déduisais immédiatement que s'il était capable d'un tel geste, il était naturellement capable de récidiver. Il fallait donc prendre des sanctions.
Je suis d'accord avec M. Elliott. Il y a une autre statistique intéressante. Allez dans n'importe quel pénitencier et demandez au directeur quelle politique il applique en matière de drogue. La politique, c'est la tolérance zéro. N'est-ce pas toujours ce qu'on entend dire dans les pénitenciers?
:
J'ai beaucoup apprécié les exposés d'aujourd'hui. Ils apportent une profondeur salutaire à l'information statistique qu'on nous a présentée au cours des dernières réunions.
Monsieur Cannavino, j'ai trouvé vos anecdotes plus ou moins inutiles, mais je reconnais qu'elles viennent de la rue, où le policier doit faire son travail. Son objectif doit être d'appréhender les mauvais sujets, afin que les rues soient plus sûres. Je le comprends parfaitement.
M. Moore s'en est pris à ce qu'il appelle l'opposition lorsqu'il a dit qu'elle ne prêtait guère attention aux victimes. Mais en réalité, monsieur Moore, notre comité a rédigé au milieu des années 90 un ouvrage sur les victimes et sur leurs droits; il l'a fait dans un esprit non partisan et avec l'aide de l'Association canadienne des policiers, qui finance depuis des années un service consacré aux droits des victimes.
Notre démarche n'est donc pas partisane. On peut prétendre que les amendements proposés aux dispositions sur les peines avec sursis vont atténuer les mesures dont peuvent se prévaloir les victimes dans la détermination de la peine. Le régime des peines avec sursis tel qu'il est conçu actuellement comporte des éléments de restitution et de réconciliation qui font intervenir les victimes. Si les criminels sont tous mis en tôle, ces éléments vont perdre de leur importance.
M. Cannavino dit que les délinquants sont de retour dans la rue avant même que la police ait rempli la paperasse. N'est-il pas plus juste de dire, monsieur Cannavino, qu'un délinquant peut se retrouver dans la rue lors de sa mise en liberté provisoire sous caution avant qu'il ne soit condamné? Après la condamnation, en attendant la détermination de la peine ou l'appel, le juge peut le remettre en liberté.
Il n'y a donc bien des raisons qui font qu'une victime peut voir un criminel, un délinquant ou un condamné dans la rue. C'est peut-être révoltant, mais ce n'est pas toujours à cause des imperfections du régime du sursis. N'êtes-vous pas d'accord?
:
Il est incroyable de voir à quel point les criminels exploitent le système et ses failles. Ce sont des experts en la matière. Sans parler des avocats de la défense. Ils sont prêts à débourser de grosses sommes d'argent tout simplement pour s'assurer... Désolé, M
e Lemay n'est pas ici, il est un bon exemple de ces avocats de la défense dont je vous parle. Vous aussi? J'en suis désolé. Mais en même temps, il faut reconnaître que ces avocats font leur travail, c'est-à-dire trouver les failles dans la loi ou dans le Code criminel pour ensuite en tirer profit. Les accusés ont le droit d'être défendus, et les avocats, de faire leur travail.
Permettez-moi de vous citer à titre d'exemple l'affaire Erez qui s'est retrouvée au Canada. La personne en question a écopé de 15 ans de prison aux États-Unis pour trafic de drogue. Mais au Canada, la peine maximale était de dix ans. Elle a donc demandé de purger sa peine au Canada. Mais une fois au Canada, étant donné que son crime était considéré comme étant non violent et que le temps passé en prison aux États-Unis a été pris en compte, il n'est resté derrière les barreaux que deux mois. Vous vous imaginez, deux mois, puis il a été libéré sous prétexte que son crime n'était pas violent. Un mois après sa remise en liberté, il s'est fait abattre dans un hôtel à Toronto dans le contexte d'un échange de drogues à Harbour Castle.
Voilà un cas parmi tant d'autres. Ce n'est qu'un exemple. Nous estimons que le projet de loi C-9, a fait un pas en avant. Soyons clairs, nous ne pensons pas qu'il faille se débarrasser complètement des peines avec sursis. Nous voulons tout simplement nous assurer que... Nous sommes ravis de ce qui figure dans le projet de loi C-9 et nous pensons que les législateurs devraient faire des ajouts en fonction du type de crime dont il est question. Nous sommes d'avis que le C-9 est un bon point de départ, tout en reconnaissant qu'en 1996 les intentions des députés de la Chambre des communes étaient également bonnes.
En ce qui a trait au coût de la surveillance d'une cible, qui s'élève à 1 700 $, je pense, il faut savoir que ce dont nous avons besoin, c'est une approche à plusieurs volets. On ne peut se contenter d'augmenter ou de doubler le financement. En effet, il faut débloquer davantage de ressources. Comme je l'ai déjà dit, quand on appelle les personnes libérées, on ne sait pas du tout où elles sont puisqu'elles font transférer leurs appels. En effet, elles pourraient être n'importe où au Canada ou aux États-Unis. Pourquoi? Parce qu'il est possible de faire transférer ses appels d'un téléphone personnel à un téléphone portable, sans que cela se sache. D'un autre côté, si vous lui demandez si elle est à la maison, elle vous répondra que oui, dans le salon même, en sachant pertinemment que personne ne viendra confirmer sur place. Comme il est extrêmement rare qu'un policier se déplace, les risques de se faire prendre ne sont pas très grands.
Ensuite, ces personnes sont obligées de se présenter en personne tous les vendredis soir au poste de police pertinent. Mais ça ne prend qu'environ 30 secondes. Donc elle y va pendant qu'elle est toujours dans la région, signe le document en question, conformément aux dispositions de la peine.
Voilà donc les différents aspects auxquels nous devrions nous intéresser. Voilà ce que l'on demande. J'ai dit au ministre de la Sécurité publique, à qui j'ai parlé il y a environ deux semaines, que nous espérions que cet examen serait annoncé prochainement, parce qu'il est important. Je pense que ça rejoint l'esprit du et d'autres projets de loi, cette idée de peine minimale obligatoire. Ainsi, comme je l'ai dit, nous devons adopter une approche comportant plusieurs volets et procéder étape par étape. Il nous faut un éventail d'outils.