INAN Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent des affaires autochtones et du Nord
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TÉMOIGNAGES
Le lundi 26 septembre 2016
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
La séance est ouverte. Nous sommes au Comité permanent des affaires autochtones et du Nord de la Chambre des communes. Je souhaite la bienvenue à tout le monde. Je signale que Joël Lightbound remplace aujourd'hui Rémi Massé. Vous êtes le bienvenu, Joël. Je tiens également à noter que nous sommes réunis en territoire traditionnel algonquin, ce dont nous sommes très reconnaissants, comme toujours.
Nous entendrons deux témoins pendant une heure. Je souhaite la bienvenue à Michael Chandler, qui comparaît à titre personnel. Vous pouvez voir Michael sur l'écran de gauche. Il est professeur émérite au département de psychologie de l'Université de la Colombie-Britannique. Merci beaucoup de vous être joint à nous. Sur l'écran de droite, comparaît, également à titre personnel, M. Christopher Lalonde, du département de psychologie de l'Université de Victoria. Je vous remercie beaucoup, messieurs, de votre présence. Nous vous sommes très reconnaissants pour le temps que vous nous accordez aujourd'hui.
Vous connaissez peut-être déjà notre façon de travailler. Je suis heureux d'offrir à chacun de vous 10 minutes pour présenter un exposé au Comité. Lorsqu'il vous restera une minute, je commencerai à agiter ce carton jaune. Quand votre temps de parole sera écoulé, j'agiterai ce carton rouge et vous inviterai à conclure. Ensuite, les membres du Comité se succéderont pour vous poser des questions. Nous sommes ici pour une heure. Nous commencerons par vous entendre tous les deux, puis nous passerons aux questions. Vous présenterez vos exposés successivement, après quoi il y aura une période commune de questions.
Sans plus tarder, je cède la parole à M. Chandler pour 10 minutes.
Bon après-midi à vous et aux autres membres du Comité.
Comme vous, je voudrais signaler que je suis actuellement dans les territoires traditionnels des Salish du littoral et des détroits. Comme vous l'avez noté, je suis professeur émérite, fonction qui signifie essentiellement qu'on fait la même chose que ce qu'on faisait auparavant, mais qu'on n'est plus rémunéré.
Je voudrais commencer par dire que M. Christopher Lalonde, qui prendra la parole après moi, est pour moi un proche collègue depuis plus de 30 ans. Ensemble, nous avons examiné toute une série de questions liées à la santé et au bien-être des peuples autochtones, aussi bien du Canada que d'autres endroits du monde.
L'essentiel de ce travail concerne le suicide des jeunes à différents endroits du Commonwealth. Je voudrais vous parler aujourd'hui de cette question compliquée, mais je n'en aborderai que deux aspects. Le premier porte sur l'impossibilité pratique de déterminer quels jeunes particuliers d'une collectivité autochtone donnée essaieront avec succès ou non de se suicider.
Le second a trait à différentes études que Christopher Lalonde et moi-même avons menées pour prouver la proposition générale voulant que les blessures culturelles nécessitent des remèdes culturels. J'essaierai de vous expliquer cela dans quelques instants.
Je commencerai par une question que j'estime plus simple: les taux de suicide et l'impossibilité pratique de déterminer qui, parmi les jeunes autochtones du Canada, tentera ou non de se suicider.
Comme vous le savez peut-être, les taux de suicide sont ordinairement exprimés en nombre de décès par 100 000 habitants. Pour l'ensemble de la population des jeunes du Canada, le taux est d'environ 4 ou 5 par 100 000. On n'a pas à être statisticien pour se rendre compte que la probabilité pour un jeune donné de se suicider est vraiment très petite et que la possibilité de mettre au point un outil d'évaluation quelconque susceptible de trouver ce jeune est quasiment nulle.
Dans une affaire de ce genre, notre intuition habituelle ne nous sert à rien. Si on les interroge, les gens suggéreront peut-être que la dépression est un prédicteur du suicide des jeunes, mais de bonnes études ont abouti à la conclusion qu'environ 70 % des jeunes Canadiens déclarent avoir été gravement déprimés à certains moments de leur vie et avoir envisagé de se suicider.
La question qui se pose est donc la suivante: Comment pouvons-nous essayer d'intervenir si nous savons qu'il y a quelque part un jeune en difficulté qui s'apprête à se suicider? Il y a une initiative portant le nom de projet Gatekeeper. Partout dans le Commonwealth, des centaines de millions de dollars sont actuellement consacrés chaque année à des interventions Gatekeeper.
L'objet de base de tous les projets de ce type est de recruter et de former dans la communauté des éléments paraprofessionnels pouvant reconnaître les jeunes particulièrement susceptibles de se suicider. Même s'ils ont l'avantage de recourir à des membres de la communauté ayant différentes caractéristiques, tous ces projets ont en commun un défaut fatal: ils se fondent sur l'hypothèse qu'il est possible de reconnaître les jeunes qui sont particulièrement vulnérables. Personne ne sait comment le faire. L'actuaire d'une compagnie d'assurances qui serait chargé d'étudier ce problème aboutirait simplement à la conclusion que personne n'en viendrait jamais à se suicider. Il n'aurait tort que quatre à huit fois sur 100 000 et aurait raison 99 995 fois de suite.
Ce problème a amené Chris Lalonde et moi à reporter notre attention sur un niveau d'agrégation supérieur en concentrant nos efforts sur des collectivités complètes plutôt que sur des individus. Nous avons tenté d'exprimer cette situation en disant que « les blessures culturelles nécessitent des remèdes culturels ». Si on essaie alors de surmonter la difficulté — je devrais plutôt dire l'impossibilité — de reconnaître des jeunes particuliers, la question revient à la façon de procéder pour trouver des groupes d'Autochtones à risque. Nous l'avons fait — mais il y a d'autres moyens — en faisant des recherches au niveau de la tribu ou de la bande. Nous avons surtout travaillé ici, en Colombie-Britannique, où vivent quelque 203 bandes autochtones distinctes. Nous avons découvert qu'environ la moitié de ces collectivités n'ont jamais eu à déplorer un seul suicide de jeune dans la période de plus de 20 ans qui s'est écoulée depuis que des renseignements de ce genre ont commencé à être recueillis. Cela implique évidemment que l'autre moitié a souvent, parmi les jeunes, des niveaux navrants de suicide.
La question que se posent les esprits curieux à la recherche d'une solution est de savoir ce qui distingue les collectivités à très faible taux de suicide parmi les jeunes de celles où le suicide atteint des proportions épidémiques.
Il y a beaucoup d'endroits où on pourrait chercher une réponse à cette question. Pour notre part, nous avons choisi de concentrer notre attention sur la continuité individuelle et culturelle. La notion de continuité est liée au fait que, pour être cohérente, une personne doit fondamentalement posséder un sens aigu de propriété de son passé individuel. Autrement, elle pourrait être amnésique, par exemple. Elle doit en même temps être très attachée aux aspects non réalisés de son propre avenir.
Portée au niveau de groupes culturels entiers, cette notion…
C'est très bien. Je vous remercie.
Ce qui distingue les collectivités ou les groupes de personnes qui ne sont que de simples foules de celles qui ont une culture vraiment cohérente, c'est également un sens aigu de propriété du passé et du présent à l'échelle de la collectivité tout entière. Par conséquent, une grande partie du travail que nous avons fait — j'espère que Chris pourra en donner une certaine description — consistait à trouver des marqueurs ou à définir des caractéristiques de collectivités autochtones entières correspondant à des taux de suicide élevés ou bas.
Je suis sûr d'avoir suscité plus de questions que de réponses. J'espère donc avoir l'occasion d'en aborder quelques-unes pendant la période des questions.
Je vais m'arrêter là pour que nous puissions entendre M. Lalonde.
Merci beaucoup, monsieur Chandler.
Monsieur Lalonde, je vous prie de présenter tout de suite votre exposé. Vous avez 10 minutes.
Nous avons peut-être perdu la communication avec M. Lalonde. Nous allons attendre quelques instants pour voir si la communication peut être rétablie.
Pendant que nous attendons, avez-vous quelque chose à ajouter, monsieur Chandler, pour profiter de ce moment d'attente?
Pendant les trois dernières décennies, nous avons essayé de déterminer les caractéristiques des collectivités qui avaient peu ou pas de suicides parmi leurs jeunes afin de les distinguer des collectivités qui ont des taux très élevés. Tout cela se fonde sur ce que nous avons appelé la « continuité culturelle ».
Si Chris est de retour, je vais couper mon micro pour le laisser parler. Est-il revenu?
Non, il n'est pas encore parmi nous. Je propose donc aux membres du Comité de commencer notre premier tour de questions, s'ils sont prêts à le faire. Nous pourrons ensuite entendre Chris dès que la communication sera rétablie.
Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, monsieur Chandler, nous allons vous poser quelques questions.
Le premier membre du Comité qui souhaite intervenir est Mike Bossio.
Merci, monsieur Chandler, de vous être joint à nous cet après-midi. Je trouve extrêmement intéressant le genre de travail que vous faites parce que je crois que l'autonomie gouvernementale et l'intégrité culturelle sont essentielles pour remédier à l'épidémie de suicide que nos collectivités autochtones connaissent en ce moment.
Vous pourriez peut-être nous expliquer de quelle façon l'autonomie gouvernementale et l'autodétermination ont abouti à l'intégrité et à la continuité culturelle. D'après ce que vous avez constaté jusqu'ici, où ont-elles eu du succès? Quelle taille avaient les collectivités qui ont réussi? Dans quelles collectivités l'autonomie gouvernementale n'a pas donné les résultats attendus? À votre avis, pourquoi n'a-t-elle pas réussi dans ces collectivités?
Je dirais d'abord qu'au fil des ans, Chris Lalonde et moi avons défini neuf descripteurs des collectivités autochtones, dont près de la moitié concernent les efforts qu'elles déploient pour maintenir et rétablir leur passé culturel. L'autre moitié est liée à des questions se rapportant à la propriété de leur propre futur. Il s'est avéré que les questions liées à l'autonomie gouvernementale constituent un facteur déterminant qui englobe toutes ces mesures. Les collectivités qui avaient réalisé un certain degré d'autodétermination et d'autonomie gouvernementale avaient peu ou pas de suicides par rapport aux collectivités qui ne l'avaient pas fait.
Les autres variables que nous avons examinées se rapportent aux efforts que les collectivités ont faits pour préserver leur langue traditionnelle, pour rétablir le rôle des femmes dans la gouvernance et pour créer des installations destinées à préserver leur culture en permettant d'organiser des cérémonies traditionnelles et de réaliser, à l'intention des jeunes, des programmes axés sur le rétablissement culturel.
Les autres marqueurs que nous avons définis, qui étaient davantage orientés vers l'avenir, concernaient des choses telles qu'un rôle important dans les services de police de la collectivité, la possibilité d'administrer ses propres services de protection de l'enfance et de concevoir leurs propres pratiques éducatives en intégrant des matières autochtones dans les programmes d'études et…
Excusez-moi, monsieur Chandler, mais, si vous n'y voyez pas d'inconvénient, j'aimerais aborder d'autres questions. Existe-t-il une taille optimale de collectivité qui favorise la réussite de l'autonomie gouvernementale par rapport à d'autres collectivités plus petites ou plus isolées?
Je ne suis pas sûr d'avoir des preuves concrètes me permettant de répondre à cette question. Vous le savez sans doute, mais, au départ, les tentatives des collectivités pour recouvrer une partie des pouvoirs de gouvernance… Au départ, il y avait un petit groupe de grandes collectivités disposant de ressources suffisantes. Plus tard, toutes les collectivités ont été invitées à dire si elles souhaitaient accéder à l'autonomie gouvernementale ou être inscrites sur une liste d'attente pour y accéder plus tard.
La seule preuve concrète que je puisse mentionner — et je crois comprendre l'importance de votre question —, c'est que certains groupes tribaux se sont pratiquement liés par contrat pour essayer d'obtenir un certain degré d'autonomie gouvernementale. Il y a un système de notation permettant de dire jusqu'où des collectivités données sont allées à ce chapitre. C'est un genre de barème à cinq niveaux dans lequel le cinq signifie que la collectivité a réalisé une forme ou une autre d'autonomie gouvernementale tandis qu'un zéro est attribué aux collectivités qui n'ont même pas commencé à agir dans ce domaine. Il semble que le taux de suicide soit le plus élevé dans les collectivités qui ont essayé d'accéder à l'autonomie gouvernementale, mais qui se sont heurtées à d'importants obstacles, de sorte qu'elles n'ont pas atteint leur objectif même si elles avaient emprunté sur leur propre avenir pour obtenir l'aide juridique dont elles avaient besoin…
Excusez-moi, monsieur Chandler, je suis désolé de vous interrompre encore. Il ne me reste que très peu de temps, mais je voudrais obtenir de vous certains renseignements parce que j'ai beaucoup de respect pour ce que vous dites.
Au chapitre du rétablissement culturel, il a fallu une dizaine de générations pour détruire beaucoup de nos cultures autochtones. Avez-vous une idée du nombre de générations qu'il faudra pour rétablir ces cultures?
Je ne connais pas la réponse à cette question. J'ai l'impression que, quel que soit le rétablissement obtenu, le résultat ne ressemblera pas à ce qu'il y avait auparavant. Quels que soient les efforts déployés pour assurer un certain sens de continuité culturelle, on ne pourra pas, par exemple, amener les adolescents d'une collectivité autochtone à renoncer à leurs espadrilles Nike pour recommencer à mettre des mocassins. Le temps passe. Je ne sais pas combien il faudra de générations — puisque c'est là votre question — pour redresser la situation. À ce stade, je ne sais même pas à quoi devrait correspondre cette situation redressée.
Monsieur Chandler, M. Lalonde est de nouveau en ligne. De toute façon, le temps de parole de Mike Bossio était pratiquement écoulé. Je propose donc d'entendre M. Lalonde, puis de reprendre ensuite la période de questions, si cela convient à tout le monde.
Merci beaucoup, monsieur Chandler.
Je vous remercie de m'avoir invité. Je voudrais moi aussi signaler qu'en m'adressant à vous, je suis sur les territoires des Salish du littoral et des détroits. Merci de m'avoir donné l'occasion de présenter mon point de vue au Comité. Je suis un peu embarrassé parce que je n'ai entendu ni ce que Michael a dit ni les questions qui lui ont été posées.
J'espère que Michael a eu la possibilité de vous exposer toutes les difficultés qu'il y a à essayer de déterminer qui est susceptible de se suicider et tous les faux-fuyants qui existent dans ce domaine. Pour comprendre l'importance et la portée de ce problème, on a besoin de données fiables et précises sur les suicides et tentatives de suicide et les autres situations risquées auxquelles sont exposés les jeunes dans les collectivités autochtones et autres.
À l'heure actuelle, les responsables ne facilitent pas la tâche aux chercheurs, aux décideurs et même aux collectivités qui essaient d'avoir accès à ces données. On peut parler des taux de suicide en Colombie-Britannique ou au Canada, mais cela n'est pas très utile si on étudie une collectivité particulière ou un groupe particulier de personnes. Nous avons besoin en permanence de données fiables et exactes sur ce qui se passe au niveau des collectivités. Il y a deux raisons de dire cela. La première, c'est que si nous ne le faisons pas, les médias vont parler d'une épidémie de suicide dans la population autochtone, ce qui suscite beaucoup d'inquiétude, insulte les gens en cause et ne donne à personne un quelconque moyen d'agir. Par ailleurs, si une nation autochtone donnée connaît son propre taux de suicide ou encore son propre taux de diabète ou de maladies cardiaques, si elle se rend compte que ce taux est supérieur à la moyenne provinciale ou à la moyenne des collectivités de la région, elle disposera de renseignements qui lui permettront d'agir. Lorsqu'on connaît la taille et la portée d'un problème, on peut décider de ce qu'on veut faire pour le régler. À l'heure actuelle, nous ne fournissons pas ces renseignements aux collectivités. Je crois qu'il faudrait trouver un moyen de les renseigner sur leur situation par rapport à toute une série d'importants problèmes de santé. Elles feront alors ce qu'elles peuvent et doivent faire pour remédier à la situation.
Je ne sais pas vraiment ce que Michael vous a dit. Je crois avoir été interrompu juste au moment où il affirmait que les blessures culturelles nécessitent des remèdes culturels. Je pense que c'est un message vraiment important. C'est l'idée que si nous voulons faire quelque chose au sujet du taux de suicide chez les jeunes, nous n'avons pas nécessairement à cibler le problème du suicide. En favorisant le développement des jeunes dans un milieu sain, on prévient le suicide. Il n'est pas nécessaire de lancer un programme spécial de prévention du suicide. Si nous pouvons aider les collectivités à promouvoir leurs propres moyens culturels de faire les choses, nous obtiendrons, comme avantage accessoire, une baisse des taux de suicide et d'autres facteurs négatifs.
Je vais m'arrêter là et laisser le reste pour la période de questions.
Je vous remercie.
Merci, monsieur Lalonde. Il vous reste encore environ sept minutes. S'il y a un domaine que vous souhaitez approfondir, nous serions heureux de vous entendre. Autrement, nous pouvons, comme vous le dites, passer aux questions.
Je préfère passer directement aux questions. Je crois que cela serait plus important pour les membres du Comité que de m'entendre répéter certaines des choses que Michael a dites.
D'accord. Merci beaucoup. La première question à laquelle vous aurez répondre viendra de Cathy McLeod.
Je vous remercie.
Je voudrais remercier nos deux témoins. Moi aussi, je viens de la Colombie-Britannique. Je suis donc heureuse de profiter de vos connaissances spécialisées. Je voudrais en premier parler de la question des données. Le problème est-il attribuable à la difficulté d'accéder aux données ou bien au fait qu'elles ne sont pas recueillies?
Par exemple, le ministère fédéral de la Santé devrait être au courant de tout acte médical qu'il paie. De plus, un suicide doit sans doute faire l'objet d'une facturation médicale. Est-ce que le manque d'accès aux données est dû à la protection de renseignements personnels? Quel est le problème? Je crois que les données constituent une question importante.
Les données sont là. Elles sont tenues. La situation est compliquée pour les Autochtones parce que le gouvernement fédéral garde les dossiers des Indiens inscrits tandis que le gouvernement provincial paie les professionnels de la santé. Par conséquent, il est très difficile d'accéder aux données même si les gens sont d'accord pour les communiquer.
La situation est un peu plus compliquée en Colombie-Britannique à cause de l'accord tripartite. C'est le Conseil de la santé des Premières Nations qui contrôle maintenant ce qu'on appelle le dossier du client. Le conseil hésite beaucoup à communiquer des données aux chercheurs parce qu'il estime ne pas avoir le pouvoir de divulguer les données au niveau des collectivités. Il est disposé à communiquer les données de la province, le taux de suicide, mais il ne croit pas être habilité à communiquer des données plus détaillées. En Colombie-Britannique, où le nombre des collectivités est supérieur à 200, il est quasiment impossible, sur le plan logistique, de mettre la main sur une résolution prise par un conseil de bande.
L'argument que j'essaie de faire valoir en ce moment, c'est que si le conseil ne se croit pas autorisé à communiquer des données détaillées aux chercheurs, il devrait accepter de les communiquer aux collectivités elles-mêmes. Il devrait leur permettre de savoir où elles en sont. J'espère que nous arriverons, avec le temps, à faire adopter des ententes de partage des données qui permettront à Michael et moi ainsi qu'à d'autres d'effectuer les analyses que nous voulons faire.
Michael a parlé du nombre de bandes en Colombie-Britannique et a précisé que près de la moitié d'entre elles n'ont pas eu un seul suicide de jeune en 20 ans. Avez-vous l'impression que les choses ont évolué avec le temps dans les collectivités touchées? Croyez-vous que les collectivités progressent dans certains des domaines que vous avez jugés importants dans votre recherche? Cela a-t-il des résultats positifs? Les données et les renseignements concernant ces résultats sont-ils disponibles?
Cette question était adressée à Michael.
Je crois que le genre de travail que Chris et moi faisons présente un grand intérêt pour les collectivités autochtones et qu'il sert souvent de base aux arguments présentés au gouvernement provincial ou fédéral pour obtenir certains changements.
Le fait que les données de recherche de ce genre sont utilisées prouve que des changements se produisent. Quant à votre importante question sur la possibilité de reconnaître les collectivités en transition, c'est-à-dire celles qui ont tenu compte de certaines recommandations destinées à mieux élever les jeunes par des moyens culturellement adaptés, je pense que nous devons simplement nous taire. Sur la base des données recueillies dans les 15 à 20 dernières années, rien ne nous permet de croire qu'il y a eu des changements sensibles dans cette période.
Chris, vous avez peut-être un point de vue différent à ce sujet.
Notre Comité a consacré beaucoup d'efforts à cette horrible tragédie à laquelle nous assistons. Si vous deviez proposer une recommandation à court, moyen ou long terme à inclure dans notre rapport, quelle serait-elle? Il reste suffisamment de temps pour que vous puissiez répondre tous les deux.
Pour moi, ce serait que les cultures et les collectivités qui se rétablissent malgré les énormes obstacles à surmonter créent un environnement sain pour des enfants qui grandissent.
Chris est d'avis qu'il n'est pas nécessaire de considérer les efforts déployés comme des mesures de prévention du suicide, même s'il arrive souvent que ce soit le moyen d'obtenir les fonds voulus pour faire le travail. Pour moi, le fait d'accéder de nouveau à son passé culturel, de le posséder et de contribuer à l'avenir de la collectivité — autrement dit de travailler sur les aspects tant rétrospectifs que prospectifs du changement — constitue le moyen de se sortir de cette terrible situation que nous luttons tous pour comprendre.
J'aimerais revenir à votre question concernant l'évolution des choses avec le temps. Je pense que c'est justement cela que Michael et moi essayons par tous les moyens de déterminer. Toutefois, je répète que, pour le faire, nous avons besoin d'accéder à des données que nous ne possédons donc pas en ce moment.
J'ai dit qu'il ne faut pas nécessairement cibler la prévention du suicide. Mardi dernier, j'ai assisté à Ottawa à une réunion sur le suicide des hommes, y compris celui des hommes autochtones. L'une des femmes qui assistaient aussi à la réunion s'est tournée vers moi et a dit: « Attendez un instant. Êtes-vous le Lalonde du groupe de recherche Chandler et Lalonde? » Lorsque j'ai acquiescé, elle m'a dit qu'elle citait très souvent nos travaux, ce que j'ai trouvé épatant. Nous avons donc bavardé. Je lui ai dit que nous sommes particulièrement heureux non quand on nous affirme que nos recherches sont citées dans des travaux universitaires, mais quand un membre d'une collectivité s'en sert comme justification d'un projet qu'il souhaite réaliser.
Sur ce, elle m'a envoyé par texto une photo du centre culturel qui avait été bâti dans sa collectivité. Les promoteurs avaient justement utilisé nos travaux pour justifier la construction du centre: si vous établissez ce centre à des fins culturelles, il améliorera la santé et le bien-être de vos jeunes. Elle a ajouté qu'il y a 15 ans, le suicide constituait un grand problème dans sa collectivité et que ce n'est plus le cas aujourd'hui. Le centre emploie maintenant 21 personnes.
Je crois que c'est là une vision à long terme: si on aide des collectivités à s'aider elles-mêmes, elles pourront réussir.
Je vous remercie. Le temps de parole de la députée est écoulé.
La question suivante sera posée par Romeo Saganash.
Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins de leur contribution aux travaux du Comité.
Ma question porte sur le genre de contrôle qu'une collectivité peut exercer sur son avenir et son destin. Je crois que c'est un élément important dans toutes ces discussions.
J'ai eu le privilège de me rendre avec le Comité au Nunavik et au Nunavut la semaine dernière. Ces questions ont fait l'objet de beaucoup de discussions. Dans ma circonscription, que nous avons visitée durant le même voyage, nous avons des collectivités cries, inuites et algonquines. Les Cris et les Inuits sont couverts par la Convention de la Baie James et du Nord québécois, qui leur accorde une certaine autonomie gouvernementale et leur permet d'exercer un certain contrôle, notamment sur les établissements d'enseignement et de santé.
Toutefois, même si les deux groupes sont assujettis à un certain régime juridique ou politique, qui est le même dans les deux cas, il y a une différence marquée entre les taux de suicide des Cris et des Inuits. Est-ce que la géographie constitue aussi un facteur déterminant dans toute cette analyse?
Nous avons examiné quelques analyses géographiques. Au départ, nous avions pensé que le fait de vivre dans une collectivité particulièrement isolée pouvait être soit une bonne soit une mauvaise chose pour le développement des jeunes. Lorsque nous avons examiné les données, nous n'avons cependant pas trouvé une corrélation claire. Les seuls éléments que nous avons pu retenir, c'est que les collectivités proches de centres urbains — mais non de grands centres urbains — avaient un risque légèrement supérieur ou un taux légèrement plus élevé de suicide que les collectivités isolées ou les collectivités urbaines.
Bref, une simple analyse géographique ne nous a vraiment pas révélé grand-chose.
Michael, vous avez peut-être quelque chose à ajouter.
Je veux seulement signaler que beaucoup de gens croient que les Inuits jouissent en quelque sorte de l'autonomie gouvernementale. Pour la plupart, ils ont réussi à préserver leur langue, ce qui ne les empêche pas d'avoir un taux de suicide élevé.
Vous avez eu l'impression, je crois, qu'il existait un lien entre l'isolement géographique et la probabilité d'avoir des taux de suicide plus élevés ou plus bas. Jusqu'ici, il n'y a de preuves ni pour ni contre. Il y a des gens, comme le groupe de McGill, qui étudient particulièrement les collectivités inuites, mais je crois bien que ce groupe aura une histoire distincte à raconter à cet égard.
Des gens comme Lisa Wexler font actuellement du très bon travail en étudiant les caractéristiques des collectivités inuites et ce qui les distingue des gens qui vivent plus au Sud.
Cela m'amène à ma seconde question. Je sais qu'un accord sectoriel relatif aux services de santé est en place en Colombie-Britannique depuis 2013. Cet accord a donné naissance à ce qu'on appelle l'Autorité sanitaire des Premières Nations. Avez-vous pu constater des améliorations depuis que les Premières Nations ont pris le contrôle des programmes et des services dans leurs propres localités?
L'une des choses que nous avons beaucoup entendues pendant notre visite de deux jours et demi dans le Nord, c'est que les collectivités souhaitent définir leurs propres programmes et services. Nous l'avons souvent entendu dire et répéter au cours de notre visite. Y a-t-il eu des améliorations depuis la conclusion de l'accord sectoriel de 2013 en Colombie-Britannique?
Je crois qu'il vaudrait mieux poser la question à l'Autorité sanitaire des Premières Nations car c'est elle qui possède les données. Nous n'avons aucun moyen de répondre à cette question, sauf pour dire que la seule chose qui ait vraiment changé est le niveau d'engagement des collectivités dans la planification et les processus de santé. Je dirai que l'autorité a bien réussi à mobiliser les collectivités.
Comme vous le dites, les collectivités souhaitent avoir leur mot à dire dans la conception et la mise en oeuvre de leurs propres programmes. Je dirai pour le moins que l'Autorité sanitaire des Premières Nations a permis d'établir le genre de structure qu'il faut pour que cela se réalise.
Merci beaucoup.
Je vais maintenant donner la parole à Michael McLeod, qui disposera de sept minutes, comme les membres du Comité qui l'ont précédé.
Merci. Je remercie également les deux témoins pour leurs exposés. Leurs observations et leurs études sont vraiment très intéressantes.
Nous avons consacré la plus grande partie de la semaine dernière à une visite au Nunavik et au Nunavut, où nous avons entendu beaucoup de gens parler de cette question. Leurs propos reflètent dans une grande mesure ce que vous venez de dire. Les gens nous ont dit, surtout au Nunavik, que les collectivités avaient besoin de centres de crise, de centres culturels et de centres familiaux. Vous avez mentionné dans votre étude que la présence d'un centre culturel réduisait les taux de suicide.
J'ai beaucoup parlé ces derniers temps d'installations telles que les centres d'amitié parce que je suis persuadé que chaque collectivité a besoin d'un établissement de ce genre qui s'occupe de sport, d'activités récréatives, de culture, d'éducation et de tous ces programmes, y compris les services d'un centre de crise à l'occasion.
Dans les territoires, y compris le Yukon, le Nunavut, le Nunavik et le Labrador — je viens moi-même des Territoires du Nord-Ouest —, nous avons eu bien plus d'un millier de suicides dans les 15 dernières années. Toutefois, si on considère les différentes parties du Nord, dont les Territoires du Nord-Ouest, dans le Sud, où nous avons des centres d'amitié, les taux sont moins élevés. C'est le cas dans la collectivité où je vis.
Nous avons là un centre d'amitié depuis plus de 25 ans. Durant cette période, jamais un jeune ne s'est suicidé chez nous. Si on examine les suicides dans ma circonscription — différentes nations vivent dans les Territoires du Nord-Ouest —, on constate que ce sont des Inuits de sexe masculin qui se suicident. Ils vivent dans les collectivités les plus septentrionales qui ne disposent que de très peu d'installations, et certainement pas de centres d'amitié. Il n'y en a pas dans le Nunavut, sauf à Rankin Inlet. Je ne crois pas non plus qu'il y en ait au Nunavik.
Nous n'avons pas ce genre d'installations. Je me demande si vous avez examiné le rôle que jouent les établissements tels que les centres d'amitié ainsi que les différents programmes visant à remédier à ce problème.
Monsieur Lalonde, vous avez parlé, je crois, d'un cas qui a prouvé que les centres culturels sont efficaces et contribuent à atténuer le problème. Je voulais donc savoir si vous avez étudié les centres d'amitié.
Nous ne les avons pas examinés en particulier. Au moins en Colombie-Britannique, les centres d'amitié se trouvent en général dans les villes plutôt que dans les collectivités autochtones, mais je ne doute pas que la présence d'un centre d'amitié dans une collectivité constitue ce que nous appelons un facteur de protection.
Michael, je ne sais pas si vous avez mentionné notre travail au Manitoba. J'espère que je ne répète pas ce que vous avez déjà dit, mais nous avons consulté les collectivités dans chacun des cinq territoires culturels du Manitoba afin de déterminer comment faire passer notre programme de recherche de la Colombie-Britannique, où il avait commencé, au Manitoba, dont l'environnement historique et politique est différent.
Nous avons demandé aux collectivités ce qui, pour elles, contribuerait à la promotion de la culture dans leur population. L'un des thèmes qui sont souvent revenus, c'est la nécessité de faciliter l'interaction entre les aînés et les jeunes. Dans chaque collectivité, c'était l'un des importants besoins définis. Les collectivités avaient des idées différentes quant à la façon de favoriser cette interaction. Compte tenu de l'accroissement considérable de la population des jeunes et de la diminution rapide de celle des aînés, cette interaction est très difficile à réaliser.
Il nous a semblé que la première chose à trouver était un local, un endroit où aînés et jeunes pouvaient se retrouver, mais la nature de l'endroit changeait d'une collectivité à l'autre. Pour certains, il fallait adopter une formule semblable à celle des centres d'amitié dont vous avez parlé. Pour d'autres, il était préférable de trouver des moyens de réunir les jeunes et les aînés à l'extérieur, dans le cadre d'activités traditionnelles. Dans ce cas, un bâtiment n'est pas indispensable, mais il faut disposer de ressources pour organiser des rencontres et des activités.
Je crois qu'il est essentiel de disposer d'une installation conçue à des fins culturelles, mais ce n'est qu'un bâtiment. Ce qui s'y passe est conçu et mis en oeuvre par les membres de la collectivité et c'est, à mon avis, de là que découlent les effets les plus puissants.
La question a probablement été évoquée dans le cadre des grands thèmes abordés, mais je voulais savoir ce que vous pensez des effets du logement ou du manque de logements. Cette question a été soulevée dans chacune des discussions que nous avons eues dans les collectivités. Presque tous ceux qui ont pris la parole croyaient que l'absence de logements adéquats contribuait au sentiment de désespoir dans les collectivités et parmi les populations autochtones et que cela se répercutait sur les jeunes.
Au cours de l'une des discussions, les participants ont dit que si la situation s'améliorait et qu'un nombre suffisant de logements était disponible, les problèmes sociaux pourraient être réduits de moitié. Avez-vous pensé au problème des logements surpeuplés et du manque de logements dans les différentes collectivités?
Nous avons examiné une mesure de surpeuplement et avons constaté une légère augmentation des taux de suicide avec le nombre de personnes par chambre. Je crois cependant que ce résultat est peut-être trompeur car, d'une certaine façon, ce n'est pas le nombre de personnes dans le logement qui importe. C'est plutôt la qualité du logement et la question de savoir si les occupants souhaitent être là.
Si des familles étendues vivent ensemble dans des logements adéquats, c'est une bonne chose même s'il y 2,4 personnes par chambre à coucher. Par contre, la situation est mauvaise s'il n'y a qu'une seule personne par chambre dans un logement en très mauvais état ou s'il y a dans une maison beaucoup de gens qui vivent là par nécessité plutôt qu'à cause de liens familiaux. Il est important, je crois, de faire la distinction entre le surpeuplement et la qualité du logement.
Je vous remercie de ces précisions.
Le temps de parole est écoulé. Nous allons maintenant passer à un tour à cinq minutes, en commençant par David Yurdiga.
Merci, monsieur le président.
Je vous remercie, monsieur Chandler et monsieur Lalonde, de votre participation à nos travaux aujourd'hui. Cette étude est très importante. Nous sommes donc tous à la recherche d'une solution à ce problème.
Comme on l'a mentionné plus tôt, quelques membres de notre Comité se sont rendus dans le Nunavut et dans le nord du Québec. Au cours de cette visite, nous avons entendu parler du manque d'occasions, de l'isolement, de la pauvreté et des logements insalubres. Ce sont là d'importants facteurs qui ont joué un rôle dans les problèmes de santé mentale de cette région. Avez-vous, dans vos recherches, mesuré le rapport entre les conditions économiques des collectivités et leur santé mentale? La question s'adresse à quiconque souhaite y répondre.
Nous avons analysé un certain nombre de caractéristiques économiques, du moins ici, en Colombie-Britannique. Nous avons examiné le revenu moyen de la collectivité, le pourcentage de ce revenu provenant de transferts gouvernementaux, les niveaux d'instruction et l'activité sur le marché du travail. Nous n'avons décelé aucune relation claire entre ces variables et les taux de suicide. Vous direz que cela est peut-être attribuable au fait que les indicateurs économiques ne présentent pas une variabilité suffisante entre les collectivités pour révéler des tendances quelconques, mais les données semblaient indiquer que les collectivités un peu plus nanties que les autres n'étaient pas nécessairement celles qui avaient les taux de suicide les plus bas. Par conséquent, ce n'est pas nécessairement l'activité économique qui est en jeu, bien que je comprenne parfaitement votre point de vue quant aux occasions qui semblent s'offrir aux jeunes dans les collectivités. Je crois que cet aspect est plus révélateur que le nombre de personnes qui font partie de la population active. Même si l'activité est importante, je ne crois pas qu'elle soit la solution magique dans ce cas particulier.
Comme je l'ai déjà dit, on a l'impression qu'à l'heure actuelle, il n'y a pas d'avenir pour les jeunes autochtones.
Les problèmes sont multiples. Il y a une pénurie de logements et un manque d'occasions, mais dans quel domaine faut-il intervenir en premier? De toute évidence, il serait très difficile de s'attaquer simultanément à tous les problèmes. Où faut-il agir d'abord si nous en avons les moyens? Quelle est la plus grande priorité?
Nos travaux nous ont montré que lorsqu'une collectivité prend en charge sa propre vie, sa situation évolue plus positivement que si elle ne le fait pas. Je crois que les collectivités devraient elles-mêmes répondre à cette question plutôt que nous. Pour certaines, il est vraiment impératif d'inclure leur culture dans leurs programmes d'études scolaires pour que leurs jeunes puissent grandir en sachant qui ils sont, se familiariser avec leur identité à l'école et se sentir appuyés dans leur collectivité. Ainsi, ils seraient mieux soutenus lorsqu'ils auraient à affronter des difficultés plus tard.
Pour d'autres collectivités, le problème est clairement lié aux ressources. Elles se demandent, par exemple, pourquoi la société minière qui exploite la mine de diamant située sur leur territoire s'enrichit à leurs dépens.
Sans vouloir désigner un facteur ou un autre, je dirais qu'il appartient aux collectivités de décider elles-mêmes de leurs plus grandes priorités. Notre rôle, dans le reste du Canada, consiste à les aider à prendre ou à reprendre le contrôle des aspects civiques, politiques et culturels de leur vie.
Pendant notre visite dans le Nord, on nous a dit que les collectivités sont toujours en mode de crise. Quelles sont les répercussions à long terme d'une situation dans laquelle il devient normal qu'une personne se suicide et que cela n'est plus vraiment choquant pour les autres? Que pouvons-nous faire pour remédier à cette situation à court et à long terme?
Je crois qu'en cas de crise, la solution à court terme consiste à offrir immédiatement de l'aide sur place. La forme de cette aide dépend de la nature de la crise et des besoins de la collectivité. À long terme, le problème qui se pose, c'est que nous imaginons qu'il suffit d'envoyer quelques travailleurs de soutien parler aux jeunes pendant une semaine. En réalité, une fois ces travailleurs partis, nous n'aurons rien réalisé du tout. Nous aurons offert une courte période d'accalmie sans régler aucun des problèmes sous-jacents. Nous devons trouver des moyens d'appuyer les collectivités à long terme.
Par exemple, lorsque j'ai parlé d'interaction entre aînés et jeunes, la collectivité peut décider de la forme de cette interaction, mais les ressources pour la réaliser ne peuvent pas faire l'objet d'un programme ponctuel dans le cadre duquel des gens viennent, s'agitent un peu, puis s'en vont. Les collectivités ont besoin d'un financement à long terme afin de faire les efforts qu'elles croient nécessaires pour aider leurs jeunes.
Le problème des programmes mis en oeuvre est qu'ils sont généralement axés sur des aspects particuliers, comme la prévention du suicide, et ne durent qu'un temps limité, comme trois mois ou peut-être un an. Même les programmes de recherche que Michael et moi essayons d'organiser afin non seulement de recueillir des données dans les collectivités, mais aussi de les aider à trouver des moyens de s'aider elles-mêmes et leurs jeunes, ne durent au plus que deux ou trois ans. Ensuite, c'est fini. Il devrait y avoir un moyen d'éviter ce problème d'une façon ou d'une autre. Je ne l'ai pas encore trouvé, mais il est impératif de disposer de ressources à long terme.
Je vous remercie de votre participation aux travaux du Comité. C'est un plaisir de vous écouter présenter votre point de vue à partir de la côte Ouest.
Nous avons parmi nous aujourd'hui le député du Nunavut, Hunter Tootoo, qui est l'un de mes amis. Je tiens à signaler sa présence au Comité.
Ce que vous venez de dire a ravivé la frustration que je ressentais devant la réaction des gouvernements précédents aux crises et aux épidémies de suicide que nous avons connues dans les collectivités autochtones et nordiques partout dans le pays, réaction qui se limitait à des programmes ponctuels dans le cadre desquels des gens font beaucoup de bruit autour d'une crise en cours. Le gouvernement envoie alors sur place des travailleurs de la santé pour une période limitée. Les résultats sont bons ou mitigés, après quoi la crise s'estompe et est vite oubliée. Les choses reviennent ensuite à la normale.
Je voudrais aborder quelque chose que je considère comme une solution, ou l'une des solutions possibles sinon l'ultime solution. Vous avez parlé des avantages accessoires de l'autonomie gouvernementale, quand elle est vraiment réalisée. Vous avez dit que l'autodétermination se heurtait à d'importants obstacles. Je voudrais vous demander d'expliquer ce que vous entendez par là, puis de répondre à quelques-unes des nombreuses observations que je viens de faire.
Je vais au moins commencer à répondre à cette question. Je crois que les gouvernements savent mieux régler des problèmes individuels que des problèmes culturels. Il est courant, en Colombie-Britannique et ailleurs au Canada, que des collectivités déclarent être en situation de crise au chapitre des suicides. Nous réagissons en leur envoyant tout un tas de conseillers professionnels, mais c'est un casse-tête. Si on vous parachutait dans une collectivité de ce genre et que vous passez beaucoup de temps à étudier le problème, que feriez-vous? Que pouvez-vous faire?
Nos solutions sont axées sur l'individu. Nous allons sur place et réglons les problèmes d'une série d'individus suicidaires tout en faisant abstraction du désert culturel qui a provoqué au départ les sentiments de perte, d'impuissance et d'absence de contrôle de son propre destin.
Voici ce que j'envisage comme intervention plus cohérente. Si on peut déterminer, comme nous pouvons certainement le faire en Colombie-Britannique, que certaines bandes ou collectivités n'ont jamais eu un seul suicide parmi leurs jeunes, nous devons supposer qu'elles savent comment élever des enfants qui croient que la vie vaut la peine d'être vécue.
Il y a des connaissances traditionnelles cimentées dans ces collectivités qui n'ont que peu ou pas de suicide. Des programmes d'intervention visant à associer des collectivités ayant respectivement des taux de suicide élevés et bas constitueraient une solution nouvelle qui irait plus loin qu'un simple parachutage de conseillers ne sachant pas eux-mêmes ce qui amène des gens à vouloir se suicider.
Je voulais juste formuler un autre commentaire. Nous connaissons tous les circonstances qui ont entraîné cette vague de suicides dans les collectivités autochtones: le colonialisme, les pensionnats indiens, la Loi sur les Indiens et tout ce que nous avons fait aux collectivités autochtones du pays.
J'ai une petite question à poser, si le président me permet de le faire. Y a-t-il une solution qui puisse s'appliquer à toutes les collectivités? Avez-vous trouvé quelque chose qui marche partout dans le pays? Personnellement, je ne le crois pas.
Non, il n'y a pas de solution unique. Si vous considérez les solutions que nous avons jugées efficaces — ou que les collectivités ont jugé efficaces —, comme l'interaction entre aînés et jeunes, vous constaterez que la forme qu'elles peuvent prendre varie énormément d'une collectivité à l'autre. L'important est de favoriser ces solutions. L'idée de laisser aux collectivités le contrôle de l'éducation peut revêtir différentes formes à différents endroits, mais, pour la plupart des collectivités, cela revient à intégrer leur culture dans le programme d'études de leurs enfants.
Au chapitre de la langue, il y a différents moyens de revitaliser les langues autochtones. Chaque collectivité trouvera le meilleur moyen de le faire.
Il n'y a pas de solution unique. Il y en a probablement des dizaines. Les collectivités sont mieux placées que nous pour vous dire quelle forme ces solutions doivent revêtir.
Je vous remercie tous les deux pour cette réponse.
Nous n'avons plus de temps. Toutefois, à cause des difficultés techniques que nous avons eues, je vais laisser cinq minutes à Arnold Viersen pour poser une dernière question, même si cela nous mène au-delà de la limite de 16 h 30.
Merci, monsieur le président. Je remercie aussi les témoins de leur participation.
Je suppose que vous avez contribué d'une façon ou d'une autre à la proposition de l'ITK sur le suicide parce que nous entendons beaucoup de termes communs comme continuité culturelle, facteur de protection, facteur de risque, etc.
J'aimerais cependant vous demander quelques précisions. Est-il possible de définir « continuité culturelle »? Cette notion comporte un certain nombre d'aspects tangibles, mais elle en contient aussi beaucoup d'intangibles.
Pouvez-vous ensuite nous dire comment transmettre cela à la génération suivante, ou plutôt comment élever les enfants? Michael, vous l'avez mentionné. Vous avez parlé à trois reprises de la façon d'élever les enfants ou les jeunes. Comment cela s'intègre-t-il au reste? Que doivent faire les gens?
Pouvez-vous tout d'abord définir la « continuité culturelle »?
Je crois que d'une certaine façon, la notion est assez facile à définir dans l'abstrait. On part de l'hypothèse que la principale conséquence de la colonisation a été de dévaloriser le passé culturel des peuples autochtones et, dans un certain esprit paternaliste, de leur enlever le contrôle de leur propre avenir.
Si, largement définie, la continuité de la culture est un moyen de préserver le lien avec son passé et la propriété de son avenir — et je me fais ici l'écho de ce que Chris a dit à différentes reprises —, alors le moyen particulier choisi pour le faire variera considérablement d'une collectivité à l'autre. Toutefois, la tâche générale à accomplir consiste à agir d'une manière réparatrice permettant aux peuples autochtones de valoriser et de réhabiliter leur culture en voie d'extinction ou, en l'absence d'une telle culture, de rétablir leur droit de contrôler leur propre avenir et celui de leurs enfants.
D'une façon générale, il est assez facile de définir ce que signifie la continuité de la culture dans le temps. Le sens particulier à lui attribuer variera aussi d'une collectivité à l'autre et devra être déterminé par les membres mêmes de la collectivité.
J'ai répondu à une partie de votre question, mais je crois qu'elle comportait une autre partie que je vous demande de me rappeler.
Comment cela se rattache-t-il à la façon d'élever les enfants? Vous en avez parlé à trois reprises, en mentionnant la continuité culturelle et la transmission de la culture à la génération suivante. Quel sont les principaux facteurs qui jouent dans cette transmission? Qui la contrôle et quel en est l'objectif?
Michael, je peux répondre brièvement à cette question.
Je ne sais pas si Michael en a déjà parlé, mais l'un des facteurs que nous avons découverts était lié à la participation des femmes à la gouvernance locale: là où les femmes étaient en majorité au conseil de bande, les taux de suicide étaient inférieurs à ceux des collectivités où les femmes étaient absentes ou en minorité.
Michael et moi avons essayé d'interpréter le sens de cette constatation. Est-elle attribuable aux femmes qui formaient la majorité au conseil de bande ou bien à la collectivité elle-même qui avait élu une majorité féminine? L'une de mes étudiantes de cycle supérieur a dit: « Eh bien, pourquoi n'allons-nous pas poser la question à ces femmes? » Nous avons trouvé l'idée bonne, de sorte que l'étudiante est partie faire le tour de la Colombie-Britannique au volant de sa voiture, afin d'interroger les membres des conseils de bande, les chefs et les anciens chefs.
Nous avons soigneusement évité de parler des suicides et de la santé des jeunes, nous limitant à poser des questions aux femmes sur le cheminement qu'elles avaient suivi pour en arriver à participer à la gouvernance de leur peuple. Lorsque nous avons examiné le compte rendu des entretiens, nous avons constaté que presque tout ce que ces femmes avaient dit avait à voir avec la préparation de la génération suivante. Pour elles, leurs efforts faisaient partie du rôle qu'elles assumaient dans l'éducation des enfants. Elles ont très explicitement dit que, dans ce rôle, elles devaient à la fois créer un solide fondement culturel pour les jeunes dans leur collectivité et les équiper de ce qu'il fallait pour faire leur chemin dans deux mondes, celui des Autochtones et celui des non-Autochtones.
Je crois que le rôle d'éducation des enfants est omniprésent dans les collectivités autochtones et que cela est tout à fait évident pour quiconque se rend dans ces collectivités. Le fait que plusieurs générations de parents n'ont pas eu la possibilité d'élever leurs enfants rend cela encore plus poignant, mais je crois que les Premières Nations comprennent mieux que tout le monde que l'éducation de la génération suivante est la plus importante tâche que nous ayons en ce monde.
Monsieur Lalonde, monsieur Chandler, je voudrais vous remercier au nom du Comité pour votre temps et vos observations tellement réfléchies.
Tout le temps qui nous était accordé est maintenant écoulé, mais je voudrais que vous sachiez que notre greffière, Michelle Legault, vous enverra une adresse électronique qui vous dirigera vers un portail où vous pourrez nous présenter un mémoire ou tout autre commentaire de 3 000 mots ou moins. Tout cela sera intégré dans l'étude sur le suicide dans les collectivités autochtones, parallèlement à ce que vous nous avez dit aujourd'hui et à ce que nous ont dit tous les autres témoins que nous avons entendus. C'est une autre occasion d'aborder les questions que nous n'avons pas pu couvrir aujourd'hui.
Je voudrais encore une fois vous dire merci. J'espère que nous aurons encore l'occasion de vous parler.
Je vous remercie d'avoir pris le temps de nous entendre. Je présente aussi mes excuses aux interprètes parce que je sais que je parle trop vite.
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