:
Je déclare la séance ouverte. Conformément à l'article 108(2) du Règlement et à une motion que le Comité a adoptée afin de réaliser une étude sur les revendications particulières et les ententes sur les revendications territoriales globales, nous visitons aujourd'hui notre troisième ville dans le cadre d'une tournée pancanadienne effectuée pour parler à des experts, à des membres de la communauté et à des représentants politiques à propos des revendications territoriales particulières et globales.
Nous reconnaissons normalement les terres ancestrales et les peuples qui étaient ici, car nous sommes au début d'un processus dans le cadre duquel le Canada examine enfin la vérité et la réconciliation à grande échelle. Nous nous trouvons sur la terre ancestrale de la nation Wendat. Je suis originaire des Prairies, une région que bien des peuples ont parcourue en suivant la migration des bisons. Je tenais à souligner qu'il s'agit de leur terre ancestrale.
Nous allons commencer. Notre premier groupe de témoins comprend Eleanor Bernard, de la nation Mi'kmaq, de la Nouvelle-Écosse, ainsi que le grand chef Constant Awashish.
Bienvenue. Nous sommes ravis que vous ayez trouvé un moyen de venir, malgré les gros orages d'hier soir, et que vous soyez ici. Merci.
Vous avez la parole. Vous disposez de 10 minutes pour faire un exposé, après quoi les députés autour de la table vous poseront des questions. Merci.
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Je vous remercie beaucoup, madame la présidente.
Honorables membres de ce comité, bonjour.
[Le témoin s'exprime en atikamekw]
Mon nom est Constant Awashish. Je suis le grand chef de la nation atikamekw.
Je n'ai reçu cette invitation que vendredi dernier. J'aimerais faire un commentaire, sans animosité. Nous avons déposé un mémoire, mais nous aurions aimé qu'il soit plus long. Nous avons fait ce que nous pouvions malgré ce court délai. Je vais essayer de vous informer le mieux possible pour vous aider dans votre travail.
La nation atikamekw représente 7 700 membres, dont je suis le grand chef. Notre nation négocie avec les gouvernements depuis 1979, soit depuis bientôt 40 ans. Aujourd'hui, le sujet à l'étude est la négociation globale. Les membres et les politiciens de la nation atikamekw se demandent souvent s'il y a une réelle volonté d'entente avec nous, étant donné que de nouveaux développements surgissent toujours pendant les négociations.
On exploite nos ressources naturelles et notre territoire, et cela va en augmentant. Il en a toujours été ainsi, et depuis 1979, il n'y a pas eu de ralentissement à cet égard. C'est un fait que nous déplorons.
Après plusieurs assemblées avec nos membres et plusieurs sondages, nous constatons que la négociation globale est encore d'actualité et très importante aux yeux des communautés de la nation atikamekw.
Nous croyons que la négociation globale nous donnera les outils pour nous développer en tant que nation et comme premier peuple de ce pays.
Vous connaissez la situation économique et sociale de la plupart des Premières Nations au Canada. Dans votre travail, vous avez probablement pris connaissance de la réalité autochtone, et la nation atikamekw ne fait pas exception. Dans nos communautés, il y a un haut taux de chômage, beaucoup de gens ont recours à l'aide sociale et il n'y a presque pas d'emplois. Malgré le fait que les ressources naturelles sont exploitées sur notre territoire, les retombées sont très faibles pour nos communautés.
Lorsqu'on exploite une ressource, il y a une chaîne de valeur ajoutée. Pourtant, il n'y a pas de création d'emplois pour nous, et les profits et les redevances vont souvent au gouvernement. La nation atikamekw n'a rien reçu pendant des siècles. C'est une situation que nous déplorons en tant que membres de ce pays, le Canada. Je ne pense pas que cette situation soit viable à long terme.
Voilà la vision de la nation atikamekw par rapport à cela, et c'est un message que je livre depuis maintenant trois ans.
Quand je parle de la nation atikamekw, je parle également de toutes les Premières Nations. Je crois que, pour avoir un pays ou une province prospère, les nations autochtones également doivent prospérer.
Sur le plan économique, nous sommes tous interreliés. Comme je l'ai déjà mentionné, si la Première Nation se développe sur le plan économique, qu'elle a un bon taux de roulement et d'employabilité, qu'elle a beaucoup de travail et qu'elle est en mesure d'exploiter ses ressources naturelles à sa façon, il y aura des retombées économiques dans les régions et les villes avoisinantes, lesquelles entraîneront des retombées économiques pour la province, lesquelles rejailliront sur le Canada. Je pense que c'est la réalité d'aujourd'hui. Il faut investir dans les Premières Nations pour leur donner l'occasion de développer leur économie. Elles doivent avoir l'occasion de se prendre en charge.
Depuis quelques années, on parle beaucoup de réconciliation. À mon avis, la réconciliation passe par la reconnaissance des erreurs. À l'heure où l'on se parle, c'est pratiquement fait. Maintenant, il doit y avoir une reconnaissance des erreurs qui concernent le développement économique. Qu'allons-nous offrir aux Premières Nations pour qu'elles puissent développer leur économie? Comment allons-nous les faire participer ou contribuer au développement économique de la province ou du pays? C'est le message que je tente de transmettre depuis toujours.
En tant que grand chef, on me demande souvent ce que je ferai si nous arrivons à une entente ou à un traité et que nous avons notre territoire, notre autonomie gouvernementale et du financement. On me demande comment nous allons développer notre territoire. Une chose est certaine, c'est que nous ne pouvons pas nous sauver avec notre territoire. C'est pourquoi je mentionne toujours l'interrelation entre tous les gens du Canada dans l'optique du développement du territoire. Nous voulons justement développer notre territoire afin de contribuer d'une plus grande façon à l'évolution du pays. Pour arriver à cela, il faut nous en donner les moyens. Pour la nation atikamekw, la meilleure façon d'y parvenir, c'est au moyen d'un traité.
Pour la nation atikamekw, l'important est d'en arriver à quelque chose de concret. Cela fera bientôt 40 ans que nous négocions. La durée de ces négociations laisse la nation perplexe. C'est un problème qu'il faut régler. À mon avis, pour rectifier le tir, il faut rapprocher les politiciens de la table des négociations. Souvent, nous jouons au chat et à la souris. Nous demandons des choses à nos négociateurs, et ces derniers proposent des objectifs et des recommandations à la table des négociations. Or, quand ils arrivent à la table des négociations, la porte est close et ils se font dire que cela ne fait pas partie du mandat. Où est la négociation là-dedans? Selon moi, les politiciens devraient se rapprocher de la table des négociations, afin de faire bouger les choses plus rapidement.
C'est l'intention de la nation atikamekw cette année. Notre objectif est de régler cette question d'ici au mois de juin 2018.
Au sein de la nation atikamekw, il y a de plus en plus de désillusion relativement à la durée de la négociation et à la volonté des gouvernements. Le mois de juin 2018 sera très important pour nous, alors que nous allons décider si nous allons continuer la négociation, ou tout simplement utiliser des moyens de pression pour accélérer le processus et poursuivre notre objectif, soit la souveraineté de notre territoire. Comme je l'ai dit, ce serait en dernier recours, et ce que nous voulons, c'est une participation pure et simple du gouvernement. Nous voulons que le gouvernement se donne vraiment à 100 % dans la négociation pour qu'on nous donne les moyens de contribuer à l'évolution et à l'essor du pays qui s'appelle aujourd'hui le Canada.
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[
Le témoin s'exprime en mi'kmaq.]
Bonjour. Je m'appelle Eleanor Bernard et je suis directrice exécutive du Mi'kmaw Kina'matnewey depuis 15 ans.
Le Mi'kmaw Kina'matnewey, ou MK, est une organisation de gestion régionale ayant conclu une entente d'autonomie gouvernementale dans le domaine de l'éducation en Nouvelle-Écosse. Douze des treize bandes mi'kmaques de la province font partie du MK. À ce titre, elles exercent un pouvoir dans le domaine de l'éducation au sein de leurs communautés. La Loi sur l'éducation des Mi'kmaq prévoit la négociation d'une entente de financement. Jusqu'à présent, chacune de ces ententes a été d'une durée de cinq ans.
Le MK s'est heurté à un large éventail de problèmes lors de la négociation de ces ententes. Ces problèmes sont les suivants. Les nouvelles négociations ne commencent pas à temps et débutent en retard. En outre, les négociateurs fédéraux n'ont pas de mandat de négociation, arrivant à la table sans jamais avoir de mandat ou du moins sans jamais nous en présenter un. Qui plus est, le taux de roulement de ces négociateurs est très élevé au cours des négociations.
L'entente indique clairement que les négociations doivent commencer à une date permettant de conclure ces négociations avant que l'entente n'arrive à échéance. Au cours des 15 dernières années, l'entente du MK a été prolongée à plusieurs reprises parce que les négociateurs fédéraux n'avaient pas de mandat du gouvernement. À l'heure actuelle, nous négocions une nouvelle entente de financement. L'ancienne a expiré le 31 mars 2016. Nous sommes toujours en négociations. S'il n'y a pas d'entente en place, la Loi échoira le 1er avril 2018.
En outre, plusieurs négociateurs se sont succédé, ce qui a encore retardé la conclusion des négociations. Au cours de négociations antérieures, le gouvernement fédéral a changé les négociateurs à cinq reprises. Cela a causé tant de retard que nous avons toujours dû repartir à zéro avec le nouveau négociateur.
C'est également particulièrement problématique quand le gouvernement fédéral accepte, en l'indiquant dans une entente, de fournir au MK sa part proportionnelle du financement bonifié qu'il verse aux autres communautés autochtones, puis ne se conforme pas aux dispositions de l'entente de financement. Le budget de 2016 prévoyait une somme 3,6996 milliards de dollars, mais le MK a appris qu'il n'était admissible qu'à trois des 10 sous-activités. Sa part proportionnelle équivaut donc à moins de 30 % du budget total. Selon nous, notre réussite est punie. Et quand je parle de « réussite », sachez qu'à l'échelle du pays, les bandes du MK affichent un taux de diplomation de 87,6 %, un chiffre qui se maintient depuis un certain nombre d'années.
Il arrive également que le gouvernement fédéral oublie d'effectuer les versements trimestriels de la subvention. En plusieurs occasions, il a oublié de verser les fonds au MK. La région nous a simplement oubliés. Nous recevons nos paiements en retard et les communautés en pâtissent, car elles doivent se débrouiller pour financer l'éducation jusqu'à ce que le gouvernement nous verse enfin les fonds.
J'ai inscrit l'adresse de mon site Web à la fin de mon document, et tous ces renseignements s'y trouvent, notamment notre rapport annuel, que nous préparons régulièrement et adoptons toujours à temps.
Nous recevons également des capitaux dans le cadre de notre entente de financement. Chaque communauté n'aurait pu rebâtir ou bâtir une école à elle seule; les chefs de notre région ont donc entrepris de mettre leurs fonds en commun afin d'édifier, sur une période de cinq ans, au moins une école là où des besoins se font sentir.
Une de nos plus grandes communautés, Eskasoni, d'où je suis originaire, compte 1 100 élèves pour une liste nominative de 2 900 personnes. Son école a été construite dans les années 1970; nous aurons donc besoin de la prochaine entente de financement pour la reconstruire, et nous ne recevrons pas de fonds supplémentaires. Nous avons réussi à réunir quelque 1,6 million de dollars par année sur une période de cinq ans. Si vous effectuez le calcul, cela totalise environ 7 millions de dollars. Cette somme ne permettra pas la construction ou le remplacement d'une école à Eskasoni.
Nous remportons toutefois des succès. Non seulement nos élèves obtiennent leur diplôme en grands nombres, mais ils le font au niveau approprié à leur âge. Nous colligeons une multitude de graphiques et de données, qui montrent que la situation s'améliore d'une année à l'autre. Nos communautés sont maintenant familières avec la collecte de données et les raisons pour lesquelles nous recueillons ces renseignements, et nous nous en sortons très bien dans ce domaine.
Nos taux d'alphabétisation et de numératie s'améliorent également, même s'ils ne sont pas aussi élevés que nous le voudrions. Nous avons encore beaucoup de travail à accomplir. Je ne pense pas que le travail se termine jamais dans le domaine de l'éducation; il ne se termine pas pour moi, en tout cas. Ce qui compte pour nous au bout du compte, c'est l'intérêt de nos élèves.
Il est vraiment approprié que je témoigne à ce moment-ci pour vous dire tout cela, car c'est cette semaine que se tiendra le jour des survivants des pensionnats, la Journée du chandail orange, et chaque enfant compte.
[Le témoin s'exprime en mi'kmaq.]
Merci.
Je remercie les deux témoins. C'est assurément un plaisir d'être dans la magnifique ville de Québec. Je n'y étais pas venue depuis quelques années.
Ma question s'adresse aux deux témoins, car elle porte sur une question de plus grande envergure. Vous n'ignorez pas que le gouvernement a scindé le ministère des Affaires autochtones en deux parties, dont une doit s'occuper des relations de la Couronne. Je pense que nous attendrons avant de poser un jugement à cet égard. Le plan de la ministre présente des occasions, mais comporte aussi des défis, car il faut éviter d'instaurer encore une autre bureaucratie.
Si vous deviez conseiller la ministre à propos de son nouveau ministère et de son mandat afin de faire progresser les dossiers, lesquels concernent les revendications territoriales, l'entente en matière d'éducation et l'entente d'autonomie gouvernementale, quels conseils lui prodigueriez-vous? Elle s'emploie à effectuer ce travail en ce moment même.
:
jD'après ma courte expérience — je n'étais même pas né quand les négociations ont commencé —, je pense que de nombreux facteurs entrent en ligne de compte, notamment la bonne foi. Pendant longtemps, on n'a pas négocié de bonne foi. La situation a commencé à s'améliorer il y a peut-être quelques années. Depuis deux ou trois ans, on observe une amélioration lors des négociations. Il y a aussi quelque chose de très particulier dans le cadre des négociations de la nation Atikamekw. Nous négocions...
[Français]
une entente de principe.
[Traduction]
J'ignore comment vous dites cela. Cette entente de principe est très détaillée. Elle comprend beaucoup de détails. Elle tient pratiquement lieu d'entente finale; c'est peut-être la raison pour laquelle le processus est plus long pour la nation Atikamekw. Nous avons remis cette approche en question pendant un certain temps. Dans mon esprit, dans une entente de principe, on indique les chiffres, la teneur de l'entente finale et la superficie du territoire. C'est une vision d'ensemble. Voilà ce qu'est censée comprendre une
[Français]
entente de principe.
[Traduction]
Dans notre cas, cependant, l'entente de principe est très détaillée et, au bout du compte, elle servira d'entente finale. C'est peut-être une des raisons.
En outre, comme je l'ai souligné plus tôt, les négociateurs changent toujours. Parfois, c'est le gouvernement fédéral, qui ne fait pas preuve de bonne foi. Parfois, c'est le gouvernement provincial, et il y a absence de bonne foi. Nous sommes coincés entre les deux. Les ressources naturelles relèvent du gouvernement provincial; or, elles constituent parfois un gros problème, et il est difficile d'en arriver à une entente à ce sujet. C'est un ensemble de divers facteurs qui font que le processus prend beaucoup de temps.
Il n'y a pas de projet d'envergure dans notre territoire. C'est peut-être la raison. Dans certaines régions, le gouvernement souhaitait assurer la réalisation de grands projets, et il a affecté toutes ses ressources et a tout mis en oeuvre pour conclure une entente promptement parce qu'il y avait, sur les terres concernées, un grand projet qu'il voulait réaliser très rapidement. Ce n'est peut-être pas le cas pour nous.
:
[
Le député s'exprime en cri.]
Je veux commencer par vous, grand chef Awashish. Je suis ravi de le faire en français, parce que cela fait plusieurs séances que nous tenons uniquement en anglais, et je veux aussi faire travailler les interprètes.
Vous avez dit plusieurs choses dans votre témoignage qui ont suscité beaucoup d'interrogations chez moi. Vous parliez d'une entente de principe qui a été signée et de l'intensification de l'exploitation des ressources sur le territoire. Je voulais savoir si vous pensez qu'il y a un lien entre les deux, en particulier étant donné que ce comité est appelé à étudier les politiques de revendications globales et de revendications spécifiques et qu'il aura des recommandations à présenter à cet égard.
Vous parliez de la durée de vos négociations. Croyez-vous qu'il y a un lien entre des politiques existantes, d'une part, et la durée de ces négociations depuis qu'elles ont commencé, d'autre part? Si oui, quels sont les obstacles qui existent actuellement sur le plan fédéral?
Je suis du même avis que vous. Il y a une situation très injuste relativement au fait que, pendant que vous négociez, l'exploitation de votre territoire traditionnel se poursuit et les ressources continuent d'y être exploitées.
J'aimerais savoir si vous avez des recommandations à formuler. Doit-on imposer des moratoires, dans ce genre de situation? J'aimerais recueillir votre avis à ce sujet.
:
En ce qui touche la politique des revendications globales, c'est certain qu'il y a des problèmes.
Vous parlez de moratoires, mais des moratoires ont déjà été établis au Québec, justement pour faire cesser les développements sur nos territoires pendant la négociation. Cela a fonctionné pendant un bref moment, mais, comme je l'ai dit, cela ne dure pas longtemps. Le développement continue, l'économie doit continuer à rouler, et c'est très désolant. Je ne sais pas si le comité a le pouvoir de changer les choses en ce qui touche le développement de nos territoires et si le comité a le mandat de présenter les recommandations nécessaires. Je ne sais pas si le gouvernement a la volonté de poser des gestes comme cela pour arrêter le développement sur notre territoire. Certainement, cela peut faire mal à l'économie. Je pense que l'économie est peut-être la voix la plus forte dans le monde aujourd'hui.
En ce qui concerne la politique de revendication globale, selon nous, comme je l'ai mentionné, il faut la rapprocher de l'économie. C'est ce que croient les Atikamekw. Les négociateurs des tables centrales canadiennes suivent un cadre de négociation et ils ne peuvent pas en sortir, ce qui pose souvent problème d'une région à l'autre. Peut-être que certaines approches peuvent faire l'affaire de quelqu'un en Colombie-Britannique, ou dans les Territoires du Nord-Ouest, mais pas ailleurs. L'approche d'un océan à l'autre ne fonctionne pas. Je crois qu'on devrait adopter des approches plus particulières d'une région à l'autre, surtout en ce qui a trait au développement économique.
Pour votre information, la nation atikamekw participe actuellement à deux tables, sur le plan national, avec 40 autres nations et le gouvernement fédéral. Une de ces tables se penche sur la relation financière avec les Premières Nations, et on semble vouloir élaborer une nouvelle approche en cette matière. L'autre table porte sur l'approche fiscale à adopter lors de négociations globales avec les Premières Nations. Nous avons plusieurs approches, plusieurs questions. Nous avons apporté beaucoup d'eau au moulin. Nous essayons de faire modifier la nouvelle approche. Aujourd'hui, c'est qui est important. Je crois que le développement économique est important pour la nation atikamekw et la nouvelle génération des Atikamekw. Nous essayons de trouver des solutions qui vont profiter à tout le monde, autant à nous qu'aux Québécois et aux Canadiens.
J'ai parlé plus tôt de l'interrelation entre tous les habitants du Canada. Il faut que les Premières Nations puissent avoir les moyens de se développer, afin de pouvoir contribuer à un meilleur Canada. Pour cela, il faut avoir des approches réalistes. Nous travaillons beaucoup avec des indicateurs pour essayer de trouver une approche particulière d'une nation à l'autre, tout en tenant compte de l'éloignement, du niveau de scolarité et des infrastructures dans les communautés, donc de plusieurs facteurs.
La nation atikamekw est prête. Si on veut parler d'économie, de développement économique, de rattrapage socioéconomique et de combler l'écart, la nation atikamekw est prête. Jusqu'à présent, autour de ces tables, nous avons été des leaders. Nous avons posé des questions, autant aux représentants des autres Premières Nations qu'à ceux du gouvernement. Quand on demande des chiffres, des indicateurs, les autres nations ne les ont pas. Nous, nous les avons, et nous sommes prêts à faire avancer les choses positivement pour que le projet soit viable à long terme. L'approche d'un océan à l'autre pose souvent problème, puisqu'il y a des particularités d'une région à l'autre.
Ces indicateurs ne sont pas décidés, ils n'ont pas été choisis. Nous, les Atikamekw, nous sommes prêts.
:
Merci. Je vais tenter d'y répondre en anglais. J'aime avoir l'occasion de parler anglais. Ma partenaire ne s'exprime qu'en anglais et ne parle pas un mot de français. Je dois lui faire honneur.
Comme je l'ai indiqué à Romeo plus tôt, en juin 2018, cela fera 40 ans que nous négocions. C'est ce que mon peuple me dit. C'est trop long. Je pense que nous n'allons nulle part. Nous avons une dette de 35 millions de dollars à cause de ces négociations. Nos aînés demandent pourquoi nous devons payer pour négocier quand le gouvernement est censé venir à nous pour négocier à propos de nos terres.
Nous n'avons jamais vendu, jamais baissé pavillon, jamais échangé nos terres. Nous vivons dans un État de droit, et en vertu de la primauté du droit, ces terres nous appartiennent toujours. Comment allons-nous résoudre la question?
« Ils sont censés venir négocier avec nous. Pourquoi devons-nous payer pour négocier? » Voilà ce que disent nos aînés.
Nous avons bien des histoires. Nous consignons les propos de tous nos aînés. Ils nous disent ce qu'il s'est passé lorsque les premiers colons sont arrivés d'outre-mer, il y a 500 ans, expliquant que nous avons lentement reculé à l'intérieur des terres. Nous conservons tous ces propos, ces légendes et ces histoires. Je peux vous raconter la véritable histoire du Canada, si vous voulez l'entendre.
En juin 2018, nous voulons pouvoir offrir quelque chose de très concret à notre peuple, à nos jeunes. Permettez-moi de vous dire quelque chose: la nation Atikamekw compte actuellement 7 800 personnes, dont 70 % sont âgés de moins de 35 ans et 50 % ont 12 ans et moins.
Qu'allons-nous faire? Ce sont ces personnes que je vise. Nous devons les aider. Nous devons leur donner des outils. Nous devons les reconnaître.
Je sais que ce qui nous est arrivé est terrible, mais je pense que nous avons tourné la page. Nous voulons être reconnus à titre de citoyens à part entière. Je veux permettre à mon peuple, à nos jeunes d'être fiers de pratiquer leur culture, de parler leur langue et de participer au développement économique du pays.
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Merci, madame la présidente.
Je vais poursuivre sur la question de l'éducation, si vous le voulez bien.
Voici quelques chiffres de ma province, où j'ai été administrateur pendant 10 ans. Ces chiffres ne sont guère brillants. Les taux de diplomation des élèves autochtones des écoles publiques de Regina ont augmenté de 11 %. Ils étaient de 42 %; la province a donc exigé que les 28 commissions scolaires commencent à unir leurs efforts; ces taux sont maintenant de 53 %. À l'échelle provinciale, les taux de diplomation des élèves autochtones sont de 43 %. Ainsi, quand vous avez brandi le chiffre de 87,6 % la semaine dernière, j'ai trouvé que l'écart était considérable.
Nous savons qu'il existe des problèmes. De la 10e à la 12e année, on obtient un crédit pour les taux de diplomation. À mon avis, il importe peu qu'un élève ait besoin de cinq ans pour obtenir son diplôme, mais les gouvernements provinciaux veulent toujours qu'il le fasse en trois ans. Ils ne tiennent compte que des taux de diplomation sur trois ans, de la 10e à la 12e année. Or, nous savons que la vie de certains élèves est difficile à la maison. Je ne me soucie pas du temps qu'ils mettent à obtenir leur diplôme, tant qu'ils l'obtiennent. Dans notre province, on éprouve de la difficulté à dire que si un élève a besoin de cinq ans pour passer de la 10e à la 12e année, on sera là pour l'épauler. On veut le pousser à terminer ses études dans les temps.
Je vais examiner ces chiffres, car les données sont d'une importance primordiale dans ce dossier. Vous recueillez des données, et je veux les obtenir, car nous ne communiquons pas nos données. Nous sommes tous habitués à les tenir secrètes, car elles nous embarrassent.
Fournissez-nous quelques données sur ce taux de diplomation de 87,6 %.
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Oui. Nous ne nous intéressons pas qu'au taux de diplomation. Nous établissons nos taux en utilisant le nombre d'élèves qui entrent à l'école en septembre et qui indiquent qu'il s'agit de l'année à la fin de laquelle ils obtiendront leur diplôme. De ceux qui précisent que c'est leur année de diplomation, 87 % obtiennent leur diplôme.
Je veux mettre l'accent sur une communauté, Eskasoni. J'ai effectué mes études secondaires dans le réseau provincial, et quand j'ai obtenu mon diplôme, il y a quelques années, en 1981, je faisais partie des cinq élèves qui avaient obtenu leur diplôme. Quand j'avais commencé en 10e année, nous étions 160 élèves à fréquenter l'école secondaire provinciale, mais seulement cinq ont obtenu leur diplôme d'études secondaires en trois ans.
En juin dernier, dans ma communauté d'Eskasoni, 60 élèves ont obtenu leur diplôme d'études secondaires dans leur communauté, un chiffre qui se maintient depuis un certain nombre d'années. Je pense que c'est parce que les élèves fréquentent l'école dans leur communauté, là où leur langue est acceptée. Ils suivent des cours de langue. Ils doivent également suivre le programme provincial, et ils réussissent très bien. J'attribue ce succès à leur sentiment d'appartenance. C'est leur école, et ils sont fiers de leur langue et de leur culture.
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Il y a une formule différente, et je pense qu'il vaut mieux que nous préservions nos droits, notre titre ancestral et nos terres. Nous voulons la reconnaissance générale de nos droits. Permettez-moi d'illustrer cela; disons que le gouvernement reconnaisse tous nos droits et nos titres sur les terres, mais que nous allons inclure dans une entente tous les droits que vous pouvez exercer sur le territoire prévu dans le traité. Tout le reste qui n'est pas mentionné dans le traité — disons que nous mettons cela dans un nuage, dans une boîte, à côté.
À terme, il se peut que cela revive. À terme, selon l'évolution de la société, l'évolution de la situation économique ou, peut-être l'évolution... Je ne sais pas ce que l'avenir réserve. Je ne veux pas faire de prévisions apocalyptiques, mais je ne le sais pas.
Quand vous regardez autour le contexte géopolitique et ce qui se passe partout dans le monde, c'est parfois plutôt inquiétant pour le Canada — d'après moi, en tout cas. Tous les empires s'effondrent. C'est l'histoire de l'humanité. Nous voulons demeurer là. Nous allons demeurer là. Nous allons toujours pratiquer notre culture et parler notre langue.
Nous avons parlé de langue, tout à l'heure, et j'ai oublié de mentionner dans ma déclaration liminaire que la langue atikamekw est, de toutes les langues des Premières Nations d'Amérique du Nord, celle qui est la mieux préservée; 98 % de nos gens parlent notre langue, ce qui est très fascinant. On devrait voir cela comme une valeur ajoutée pour le pays. Les gens devraient être aussi fiers que nous de cela. C'est un cadeau à l'humanité. C'est ainsi que les gens doivent voir cela. C'est une partie de l'ancienne langue qu'on parlait sur la terre, et nous parlons encore cette langue. Aujourd'hui, je veux que les Canadiens soient aussi fiers que nous, qu'ils nous aident à préserver notre langue, et qu'ils travaillent avec nous à développer le pays afin que notre prochaine génération ait un meilleur avenir.
Quand je dis « afin que notre prochaine génération ait un meilleur avenir », je ne parle pas que de mes jeunes. Je parle aussi des vôtres. Qu'allons-nous leur donner? Allons-nous leur passer le problème à l'avenir, sans jamais l'évaluer? Je pense que pour les meilleurs d'entre nous, à voir ce qui se passe partout dans le monde, il faut nous rassembler, travailler ensemble et préserver ce qui est bien au Canada, préserver nos terres, et nous préserver nous-mêmes.
Je crois — j'en suis sûr, et c'est bien ce que je ferai si je suis toujours en vie — que si quelque chose arrive, nous allons continuer de défendre nos terres à l'avenir, et nous allons défendre tous ceux qui sont sur les terres. Vos enfants, vos petits-enfants et vos arrière-petits-enfants, nous serons là pour les défendre. C'est la façon de penser des Premières Nations. C'est la façon de penser de la nation des Atikamekw. C'est ainsi que vous devez penser aussi. Investissez dans vos jeunes, investissez dans votre développement économique, investissez dans la protection de votre culture et de votre langue, et investissez dans votre fierté. C'est ce que le Canada doit faire — investir dans notre fierté. Nous allons être debout à côté de vous, et ensemble, nous allons bâtir un pays formidable.
C'est vraiment impressionnant, 98 %. Si cela faisait partie de notre étude, je voudrais savoir comment vous y arrivez. Mais j'ai des questions, et nous pourrions peut-être discuter ensemble, en privé, de la façon dont votre communauté réussit cela, car 98 %, pour la langue, c'est incroyable.
Ce dont j'aimerais parler, c'est de vos propos antérieurs au sujet des possibilités économiques axées sur le partage de ressources. Naturellement, les gens viennent de diverses régions du pays, où des choses différentes se passent. Je reconnais également vos observations sur la façon dont nous devons davantage prêter attention aux régions, concernant ce que nous faisons et où nous le faisons. Je regarde la Colombie-Britannique, par exemple. Certaines personnes négocient des traités très complets, et d'autres ont choisi de ne pas le faire pour le moment. Sans égard à cela, ils négocient tous quand il y a de l'activité sur leurs terres. Par exemple, le gouvernement provincial a maintenant 37 % des redevances d'une mine. Cela s'ajoute à toute la participation au capital ou aux retombées économiques de la société. C'est du partage de redevances.
Au Québec, est-ce que de telles relations existent, de sorte que tandis que vous négociez, vos collectivités profitent quand même des ressources?
:
Merci, madame la présidente.
[Français]
Je veux poursuivre dans la même veine que ma collègue Cathy McLeod.
Au cours des audiences qui se sont tenues plus tôt cette semaine à Vancouver et à Winnipeg, nous avons entendu dire que le fait de conclure une entente avec une nation autochtone était profitable pour l'économie de cette nation, mais également pour la province et le pays. Je pense qu'il est important de le reconnaître. Vous l'avez souligné également.
Dans le cadre de l'étude que nous réalisons sur la politique fédérale en matière de revendications globales, plusieurs témoins ont souligné la nécessité d'établir une base adéquate pour ce qui est de nos relations avec les Autochtones. En outre, plusieurs personnes ont mentionné le rôle que la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones pourrait jouer.
J'ai lu rapidement la déclaration de souveraineté que vous avez émise il n'y a pas très longtemps. Or, je n'y vois rien qui soit incompatible avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
Avez-vous déjà réfléchi à cela également?
:
Cela fait partie des Premières Nations. Nous sommes très patients, mais comme je l'ai dit, il ne reste pas beaucoup de temps avant que la nouvelle génération fasse des pressions pour qu'on adopte une nouvelle approche.
Pendant très longtemps, j'ai prôné une approche différente. En assemblée générale, les membres de notre nation croient toujours à cette option. Juin 2018 est la date où l'on saura vers où on s'en va. C'est sûr que la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones est extraterritoriale. On connaît les Nations unies. C'est une organisation à laquelle on adhère ou non. Les autres pays voudront-ils s'ingérer dans ce qui se passe dans un autre pays?
On voit ce qui se passe à l'échelle internationale, notamment en Corée du Nord. Plusieurs pays sont en conflit et ne s'entendent pas nécessairement. Les Nations unies est un organisme de persuasion. L'humanité a pris conscience de l'importance de la culture autochtone et de la reconnaissance des droits autochtones, et du fait que cela constitue un patrimoine pour l'humanité. C'est l'esprit de la Déclaration aux Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
Je commence à être un peu sceptique, mais je crois tout de même qu'on va arriver à quelque chose bientôt. Comme je l'ai dit, les prochains mois seront très importants pour la suite des choses.
:
L'une des pratiques qui a été dénoncée de façon quasiment unanime dans nos réunions est celle qui consiste à accorder des prêts pour les négociations de revendications globales. Vous avez dit plus tôt en anglais:
[Traduction]
Pourquoi devons-nous payer pour négocier?
[Français]
C'est une question fondamentale pour moi. On remet souvent cette pratique en question, mais on oublie l'autre partie de cette équation, qui consiste à continuer de payer des négociateurs sans mandat et de les remplacer constamment par d'autres négociateurs, également sans mandat. C'est une pratique que notre comité doit dénoncer. Pendant 40 ans, alors que vous négociez, on continue à prendre la richesse de vos territoires. Pour moi, c'est une situation absolument inacceptable.
Vous avez parlé de primauté du droit, qui est si importante dans ce dossier. C'est pourquoi je suis retourné voir votre déclaration. Vous dites refuser de prendre la voie du moratoire, quand je vous ai posé une question à ce sujet tantôt. Pourtant, il s'agit de votre territoire et de vos ressources.
On doit beaucoup réfléchir à la jurisprudence de la Cour suprême en la matière, en particulier la cause de la nation haïda, qui préconise qu'il faut justement réconcilier notre souveraineté préexistante et la souveraineté assumée de la Couronne. Si l'on veut vraiment parler de réconciliation, c'est sur ce principe qu'il faut bâtir, n'est-ce pas?
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Je suis tout à fait d'accord là-dessus.
La réconciliation doit se faire à tous les niveaux. C'est aussi reconnaître les choses qui ont été faites aux Premières Nations au cours de l'histoire, par exemple les tentatives d'assimilation et d'extermination culturelle. Je suis tout à fait d'accord quand vous vous demandez pourquoi il faudrait payer pour la négociation. Cela fait très longtemps que cela dure.
Je suis tout à fait d'accord sur la question du moratoire. Après un certain temps, le moratoire tombe. On l'a fait à plusieurs reprises sur différents sujets. Il faudrait vraiment une volonté expresse des gouvernements sur la question.
Il faut comprendre que les gouvernements ont intérêt à régler la question avec les Premières Nations. Ce sera au bénéfice des Premières Nations, mais également de tout le monde. On ne peut pas laisser ce problème persister éternellement.
Je pense que mon temps de parole est écoulé.
[Traduction]
Il nous restait du temps dans cette partie de la séance, alors, nous avons été très libéraux. Désolée, c'est une petite blague politique.
Je tiens à vous remercier d'avoir accepté notre invitation. Comme je l'ai dit plus tôt, n'hésitez pas à nous faire parvenir un mémoire, si vous le désirez.
Je tiens à vous féliciter pour votre belle réussite dans la région atlantique. Votre peuple profite vraiment de l'excellent travail que vous faites, et nous comprenons vos frustrations par rapport à la mise en oeuvre.
Nous allons faire une pause et revenir dans environ 15 minutes.
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Je m'appelle Martin Dufour et je suis le chef de la nation des Innus Essipit. Marc Chaloult, coordonnateur, Traité et affaires publiques, à Essipit, est aussi présent.
Je vous remercie beaucoup de l'invitation.
La nation des Innus Essipit a été invitée à comparaître devant le Comité permanent des affaires autochtones et du Nord de la Chambre des communes pour faire part de son expérience concernant ses revendications particulières et ses revendications territoriales globales. J'ai accepté l'invitation au nom des Essipiunnuat, mais uniquement pour aborder la question des revendications particulières.
En plus de notre présence devant le Comité, nous avons déposé un mémoire faisant état de l'expérience des Essipiunnuat du processus des revendications particulières ainsi que des commentaires et des recommandations. Aujourd'hui, nous ferons un résumé des points soulevés dans ce mémoire et nous serons disposés à répondre à vos questions.
En date d'aujourd'hui, la nation a deux revendications particulières actives et soumises au gouvernement fédéral: les provisions territoriales insuffisantes lors de la création de la réserve en 1892 et la cession illégale du chemin du Quai en 1904.
Débutons par la revendication qui concerne la création de la réserve.
La faible superficie de la réserve et le fait que nous soyons enclavés dans la municipalité Les Escoumins ont toujours constitué un enjeu très important pour ma communauté. Dans les années 1980, nous avons donc entrepris un agrandissement de la réserve et, à ce moment, nous avons appris que la situation aurait dû être très différente.
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Sur la base des documents obtenus, nous constatons que la communauté a été privée de plus de la moitié des terres de réserve dont elle aurait dû bénéficier depuis plus de 100 ans, et qu'elle aurait dû bénéficier d'un bien meilleur accès au fleuve Saint-Laurent depuis ce temps. La situation historique est bien documentée et le constat est évident.
En 1881, le Canada s'est engagé par écrit à acquérir approximativement 230 acres pour les besoins de la création d'une réserve à notre bénéfice, mais finalement, il a acquis uniquement 97 acres. De plus, nos recherches ont montré que cette superficie de terre de 97 acres, acquise en 1892 par le Canada, n'a jamais obtenu le statut juridique de réserve. Cette dernière découverte a laissé toute la latitude au Canada, au cours des années 1890, pour régulariser à sa guise la situation controversée du chemin qui traverse notre réserve pour se rendre à un quai de compétence fédérale.
En effet, en 1903, le maire des Escoumins a entrepris des démarches pour faire construire un chemin qui traversait la réserve afin de permettre l'accès à un nouveau quai fédéral. Alors que tout le monde croyait que les terres bénéficiaient du statut de réserve indienne, les procédures entourant une cession de terre selon la Loi sur les Indiens ont débuté. Or, nous sommes d'avis que cette cession n'a pas été effectuée en respectant les obligations prescrites par la loi ni les obligations fiduciaires applicables.
Alors que nous étions au coeur du processus d'agrandissement de la réserve, le Canada a exigé de nous par écrit de régulariser la question du chemin du Quai avant qu'il ne confirme le statut officiel de réserve et ne donne son autorisation uniquement au projet d'agrandissement. Nous avons donc dû concéder l'assise du chemin du Quai située au centre de notre réserve et scinder notre communauté en deux. Nous avons finalement obtenu le statut de réserve, mais cela excluait le chemin du Quai. Vous comprendrez que cette cession illégale et ces pressions constituent ici notre deuxième revendication pour laquelle nous n'avons toujours pas été indemnisés.
Revenons à notre première revendication particulière au sujet de l'insuffisance de la superficie de la réserve, que nous avons déposée auprès du gouvernement du Canada en 1994. Dix ans plus tard, soit en 2004, le Canada a rejeté la revendication particulière d'Essipit. Sa position, réitérée en 2012, a été de tout nier. La table était donc mise pour un long débat juridique initialement porté devant la Commission des revendications particulières des Indiens et, ultimement, devant le Tribunal des revendications particulières.
C'est le 30 janvier 2017 que le Tribunal des revendications particulières a rendu une décision dans laquelle il concluait que le Canada avait manqué à son obligation de fiduciaire et n'avait pas agi dans le respect de l'honneur de la Couronne. Le Tribunal a reconnu que le Canada avait commis une faute en procédant à l'acquisition de 97 acres de terres alors qu'il avait convenu d'acquérir 230 acres pour la création de la réserve d'Essipit.
Vingt-quatre années de débats et de procédures judiciaires ont été nécessaires afin d'obtenir la reconnaissance d'une faute qui nous apparaissait des plus évidentes. Dix années se sont écoulées entre le dépôt de la revendication et la première réponse du Canada en 2004.
En plus des délais considérables dans l'analyse des dossiers des revendications soumises à la Direction générale des revendications particulières, on ne peut faire que le constat suivant: les procédures au Tribunal des revendications particulières sont tout aussi longues et ardues. Au lieu de simplifier et d'alléger la procédure, le Canada contribue à alourdir le fardeau en niant systématiquement tout élément susceptible de lui nuire et en exigeant qu'on lui soumette des milliers de pièces.
Fort heureusement, notre jugement n'a pas fait l'objet d'une demande de révision judiciaire de la part du Canada, contrairement à ce qu'il avait fait dans plusieurs dossiers où sa responsabilité avait été reconnue par le Tribunal.
Le combat n'est toutefois pas terminé, puisqu'il nous faut maintenant débattre de l'indemnisation avec le Canada, processus qui est actuellement en cours.
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Tel que nous l'avons mentionné un peu plus tôt, nous avons été stupéfaits de lire la réponse de la Direction générale des revendications particulières à notre revendication en 2004 et encore une fois en 2012. Les arguments soulevés par la Couronne étaient vides de sens et offensants.
À l'audience, nous avons été tout autant consternés d'entendre les prétentions du gouvernement fédéral. En plus de ne faire preuve d'aucune ouverture, le gouvernement fédéral a encore une fois nié toute faute possible à l'égard des Essipiunnuat. Bien que nous ayons déjà entendu quelques-uns de ces arguments, ils nous ont fait aussi mal cette fois-ci.
Dans l'unique but de se déresponsabiliser, le Canada invoque tout argument susceptible de lui donner gain de cause, au détriment de sa relation fiduciaire envers les Premières Nations et de son obligation de maintenir un comportement honorable. Notamment, le Canada a prétendu que c'était aux Essipiunnuat de demander plus de terres s'ils en avaient besoin, et que de toute façon, ils auraient pu bénéficier de la réserve de Betsiamites créée en 1861, à environ 105 kilomètres de notre réserve actuelle.
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Nous souhaitons aussi aborder aujourd'hui la question du financement.
Bien qu'un financement soit offert dans le cadre de la politique sur les revendications particulières, nous avons dû faire face à une diminution de financement considérable au moment où nous avions le plus besoin de fonds en raison de la préparation du procès. Ainsi, en juin 2016, à trois mois de l'audience, nous avons reçu le tiers de la somme que nous avions estimé nécessaire. Entre les deux audiences sur la responsabilité, nous avons dû faire une demande additionnelle de fonds, ayant épuisé rapidement toute la somme allouée. Encore cette année, alors que la responsabilité du Canada est reconnue et que nous entamons la seconde partie du litige nécessitant plusieurs expertises, le gouvernement fédéral a retranché près de 60 000 $ à notre demande de 208 000 $. Outre ces difficultés propres aux Essipiunnuat, dont nous pouvons témoigner, nous avons quelques remarques générales et recommandations à formuler aujourd'hui.
Tout d'abord, nous croyons que le processus rigide du traitement gouvernemental des revendications particulières ne peut plus cohabiter avec les principes de réconciliation prônés actuellement par le gouvernement fédéral. Ces constatations ont d'ailleurs fait l'objet d'une déclaration des ministres Bennett et Wilson-Raybould au début du mois de septembre.
Nous dénonçons le fait que cette compensation monétaire ne devrait pas être simplement calculée selon une formule-cadre et mathématique tel que le prétend le Canada. Toutes les pertes de bénéfices, les pertes de possibilités, les dommages collatéraux, les bénéfices obtenus de tiers ou par la Couronne à la suite du manquement devraient être pris en compte dans le calcul de la compensation financière. Les dommages liés à l'absence de délimitation de nos terres ainsi qu'à l'absence de titres clairs et de statuts officiels devraient également faire partie de la compensation, notamment pour toute la frustration et la contrariété vécue par la communauté en raison de ces ambiguïtés territoriales. Se limiter strictement aux principes juridiques ne fait pas honneur à toute l'importance spirituelle et culturelle que nous accordons à nos terres.
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La réparation n'est pas intégrale, et c'est là que le bât blesse. Le cadre restreint de la politique sur les revendications particulières et de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières ne prévoit pas d'autres formes d'indemnisation qu'une somme d'argent. On ne prévoit pas de remède réhabilitant, pas d'excuses, pas de regrets ni même de doutes, et encore moins de garantie que de telles erreurs ne se reproduiront pas. Il n'y a rien pour panser les blessures et réparer l'injustice.
Il serait honorable d'inclure dans les règlements et les ordonnances du Tribunal des mesures visant à reconnaître et à racheter les torts passés. Par exemple, prononcer des excuses publiques, reconnaître officiellement ses obligations envers les peuples autochtones, publiciser et expliquer publiquement les accords de règlement sont des mesures que le Canada pourrait adopter et qui pourraient accentuer, les unes autant que les autres, le sentiment de réparation.
Soulignons également que le Tribunal ne peut ordonner des dommages exemplaires ou punitifs ni des dommages pour des pertes culturelles ou spirituelles. Le Tribunal ne dispose d'aucun pouvoir pour sanctionner ou punir la gestion déficiente de la Couronne, qu'il a d'ailleurs reconnue dans notre dossier. Quelle punition reçoit le fautif? Aucune. Le Tribunal ne fait que lui ordonner de remettre ce qu'il a pris, sans aucune mesure dissuasive.
L'absence de réparations spécifiques des préjudices collatéraux qu'a pu entraîner la faute du Canada dans nos relations avec des tiers est un autre aspect déficient du processus actuel. À titre d'exemple, les manquements de la Couronne ont provoqué des relations houleuses entre la municipalité des Escoumins, ses citoyens et notre communauté, et nous en ressentons encore des répercussions aujourd'hui.
Des litiges territoriaux ont instauré un climat d'animosité entre les membres de la communauté et les citoyens des Escoumins, comme entre la municipalité et le conseil de la nation, et ont laissé des traces historiques. Pourquoi ne pas accompagner la communauté dans des projets intercommunautaires d'infrastructure conjointe ou d'affirmation biculturelle, ou encore en créant un fonds de développement conjoint? Plusieurs avenues sont possibles.
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Je dois dire qu'actuellement, la relation va de mieux en mieux, parce que nous avons décidé de nous parler. Nous nous sommes dit, justement, qu'il pourrait y avoir des moyens financiers afin de nous aider à établir des projets communs. Nous n'avons pas attendu que cela provienne du gouvernement. Nous avons commencé tout de suite à essayer de mettre en place des projets communs. Il y a d'abord eu de petits projets de 5 000 $ à 6 000 $, par exemple nous avons acheté une surfaceuse. Nous avons commencé à créer un climat de confiance et à vraiment dire la vérité aux gens.
Nous aimerions aussi que le gouvernement fédéral soit capable de dire les vraies choses et de venir expliquer certaines situations aux Canadiens et aux Québécois qui nous entourent, comme le problème qui s'est présenté lors de la création de la réserve et, qu'au lieu d'obtenir un kilomètre carré de territoire, nous en avons eu 0,4 kilomètre carré. Pourquoi nous sommes-nous fait entourer d'une clôture avec de la broche et pourquoi a-t-on placé une barrière à l'entrée? Nous nous sommes fait mettre là comme du bétail. On nous a dit de cultiver des patates, alors que nous étions des chasseurs et des pêcheurs et que nous aurions dû avoir un accès au fleuve et pouvoir pêcher le saumon. Ce sont tous des éléments qui ont mené à la guerre du saumon, dans les années 1980, où il nous a fallu nous affirmer et dire que nous avions droit à la ressource. C'est ce que nous avons fait. Ce n'était pas rose. J'étais très jeune à cette époque. Des coups de fusil ont été tirés.
Nous avons acheté une première pourvoirie dans les années 1980. Les gens d'à côté disaient que les Innus allaient vider les lacs et tuer tous les orignaux sur le territoire. Nous avons été les premiers à engager des techniciens en aménagement cynégétique et halieutique pour compter le nombre de poissons qu'il fallait prendre dans certains lacs. Nous avons acheté une deuxième pourvoirie. À présent, nous possédons cinq pourvoiries. C'est pour faire travailler nos gens et développer une fierté dans la communauté.
On dirait que les gens des municipalités environnantes, à cette époque, étaient un peu jaloux que nous ayons réussi, nous, les Innus. Au lieu de nous apitoyer sur notre sort, nous avons décidé de nous prendre en main. Depuis ce temps, nous n'avons jamais arrêté. Vous êtes venu voir les mistamek, soient les grands poissons, les baleines. Nous possédons une compagnie de croisières aux baleines, nous avons continué à développer les pêches commerciales, etc.
Je vous dis que si des montants étaient accordés par le gouvernement fédéral, ou n'importe quel gouvernement, pour établir des projets conjoints avec les municipalités environnantes de certaines Premières Nations, cela contribuerait beaucoup à réconcilier les peuples.
Je vous remercie.
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Je vais d'abord vous donner un peu de contexte. Il s'agissait d'une prétendue réserve — le territoire n'était pas reconnu comme une réserve, bien qu'il s'agisse d'une terre fédérale. Il est important de souligner, ce que nous avons fait dans notre mémoire, mais pas dans notre exposé, que pour corriger la situation, plutôt que d'ajouter aux 97 déjà mentionnées pour arriver aux 230 prévues, le gouvernement a demandé une réduction de la somme versée à la personne qui l'avait escroqué. Le gouvernement s'est fait escroquer, et nous aussi.
C'est l'une des explications qui nous ont été fournies. Lorsque nous sommes revenus avec cette notion, ils nous ont dit que nous aurions dû demander plus de terres, alors, nous voici. Des familles ont été transférées de leurs terres à un marais — soyons francs. Elles vivaient à Pointe-à-la-Croix, un bel endroit, et elles ont été transférées dans un marais. Elles ne peuvent même pas sortir de là. Les habitants nous ont dit qu'ils ne pouvaient même pas traverser les clôtures pour aller cueillir des framboises et des bleuets, car les fruits ne sont pas sur leurs terres.
Quelques décennies plus tard, ils sont toujours là. On leur a souvent demandé de s'installer à Pessamit, là où ils devraient tous être. Le gouvernement a tenté de déménager tous les Innus à Pessamit, ce qui équivaut à une déportation. Toutefois, la manoeuvre n'a pas fonctionné. Chaque fois qu'ils ont déménagé les Innus à Pessamit, situé à environ 110 ou 150 kilomètres de notre réserve, les Innus sont revenus sur leurs terres d'origine.
Nous sommes restés là. Puis, les gens ont adopté ce que j'appelle une mentalité de guerre. Il y a eu quatre guerres distinctes. C'est ce qui se produit lorsque des gens sont entassés sur 0,4 kilomètre carré. Une des guerres était la guerre du saumon, comme l'a souligné Martin. Une autre guerre a éclaté lorsque nous avons demandé 0,4 kilomètre carré de terres supplémentaires. Cette guerre s'est réglée à coup de deux par quatre. Ce n'était pas beau à voir. Puis, il y a eu la guerre de l'assurance-emploi, car on nous accusait de procéder à des embauches. Soit dit en passant, les juges ont rejeté ces accusations. Plus récemment, il y a eu ce que nous appelons la guerre « des panneaux jaunes » qui ont été installés partout aux Escoumins. C'est en 2004 que je suis arrivé sur les lieux en tant que gestionnaire de crise. Nous étions au beau milieu d'une crise. On disait qu'il n'y aurait aucune négociation avec les Innus, qu'ils ne recevraient jamais de terres.
Voilà le contexte. On dit aux gens hors réserve... C'est comme si nous demandions plus que ce que nous méritons ou plus que ce qu'on devrait recevoir, ce qui est faux. Il aurait fallu expliquer aux gens que nous avons été escroqués dès le début. Dès le début, la municipalité disposait de 240 kilomètres carrés. Nous en avons 0,8 et nous avons dû nous battre pour les 0,4 supplémentaire.
C'est ce que nous voulons dire lorsque nous disons que les relations ont été brisées sous le faux prétexte que nous en demandions trop. On nous a dit que nous ne pouvions pas faire une telle demande, car nous en avions déjà assez. Cela a envenimé les relations.
Soyons honnêtes. En collaboration avec les nouvelles générations, le conseil des Escoumins a réussi à rétablir la paix nous permettant ainsi de développer de nouvelles relations. Nous tentons de travailler avec eux, mais nous croyons qu'en guise de dédommagement, ils devraient nous aider à corriger cette situation. Il faudrait investir et faire un effort pour travailler en collaboration avec les communautés qui nous entourent.
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Merci, madame la présidente.
Je remercie nos deux témoins. Je suis tout à fait d'accord sur ce que mon collègue vient de dire. C'est un exemple très clair de revendication particulière où les choses n'ont pas avancé.
Vous avez évoqué des raisons qui sont tout à fait compréhensibles mais pas acceptables. Je ne veux pas critiquer mon ami M. Amos, mais je me suis rendu dans la communauté d'Essipit au moins une dizaine de fois au cours des 20 dernières années. Je suis même allé dans l'une de ses pourvoiries avec Me Sylvain Ross, avec qui j'ai étudié en droit et qui est resté un ami. Je sais qu'il est parti à la chasse, mais j'aimerais que vous le saluiez de ma part.
Vous avez mentionné le comportement peu honorable du gouvernement fédéral dans ces dossiers. Je trouve ce comportement tout à fait déplorable. Plusieurs personnes ont mentionné, lors de nos audiences précédentes, la nécessité d'établir un processus indépendant relativement à ces revendications particulières. Pour le moment, le gouvernement fédéral demeure juge et partie, ce qui semble tout à fait injuste dans ce genre de cas. J'aimerais beaucoup que que vous m'en disiez davantage à ce sujet. En outre, vous précisez dans vos recommandations qu'il n'y a qu'une compensation monétaire et rien d'autre. Or dans les communautés, ce type de situation crée souvent des tensions entre les Autochtones et les non-Autochtones.
On pourrait peut-être voir cela comme les réclamations pour dommages exemplaires qui sont parfois soumises au Tribunal. Cette absence de réparation pour les tensions qui ont été causées est pour nous un problème très important. Nous avons souvent été aux prises avec ce problème dans plusieurs régions du Québec, notamment la mienne, dans le Nord de la province. Je trouve votre proposition d'un fonds de développement conjoint absolument généreuse, compte tenu surtout de ce qui s'est passé dans le contexte de ces deux dossiers particuliers. C'est en quelque sorte pour ramener la paix, comme vient de le dire M. Chaloult. J'aimerais que vous m'en parliez davantage. Je trouve important, lorsqu'on parle de réconciliation, de proposer des gestes concrets à cet égard.
Avez-vous déjà proposé quelque chose de semblable au gouvernement fédéral ou est-ce la première fois que vous le faites, ici devant ce comité?
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J'aimerais simplement ajouter que ce concept est quand même assez nouveau.
Alors que la chicane battait solidement son plein, en 2008, nous nous sommes retirés de tout combat où les gens allaient jusqu'à crier.
Le conseil, qui n'était pas encore celui du chef Dufour, mais qui l'est devenu au cours de ce processus, est allé voir l'entreprise qui embauche dans la région, soit Boisaco. Ses dirigeants savaient que des mètres cubes de territoire devaient nous être attribués au moyen du traité qui n'était pas encore signé. Les travailleurs vont chercher le bois dans le secteur de Manicouagan, en ce moment. Nous avons dit aux dirigeants de l'entreprise que nous pourrions travailler ensemble. De plus, nous leur avons proposé d'investir dans la transformation des résidus ligneux en granule.
La beauté de tout cela, c'est qu'on irait chercher autant de subventions que possible auprès du gouvernement fédéral. En tant que Première Nation, nous avons accès aux subventions. Une personne pourrait rencontrer un représentant municipal afin de voir ce que nous pourrions faire. D'ailleurs, c'est ce que nous avons fait. La compagnie a annoncé un partenariat avec Essipit et, une semaine après, les affiches disparaissaient.
Nous avons compris quelque chose. Nous nous sommes rendus compte que c'était une façon de travailler assez innovante. Cela ne fonctionne pas ainsi partout.
Par la suite, le chef Dufour a continué le travail auprès de plusieurs autres entreprises.
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Comme le disait M. Saganash, il est complètement insensé d'avoir à payer pour négocier, d'autant plus que c'est pour récupérer ce qui nous appartient de droit. Pour reprendre l'analogie faite tout à l'heure par le chef Dufour, si quelqu'un part avec tous vos meubles pour vous les rendre par la suite, il ne pourra redevenir votre ami qu'au moment où il aura regagné votre confiance. C'est donc l'un des éléments.
Pour répondre directement à votre question, il faut aussi considérer le fait que le gouvernement nous a indiqué qu'il était impossible pour nous de négocier pour récupérer nos terres. Nous en sommes bien conscients; nous sommes entourés de territoires municipaux. Nous n'allons pas déclencher une nouvelle guerre. Il y a quelques années, nous avons tenté d'obtenir 0,4 kilomètre carré de plus et un conflit a failli éclater. Nous n'allons pas refaire le même coup. On nous a cependant aussi fait savoir que nous n'aurions pas d'argent non plus, ce qui nous incite à chercher des solutions novatrices, comme ces fonds que nous avons suggérés.
À titre d'exemple, nous avons actuellement un problème d'eau que nous partageons avec Les Escoumins, et nous pourrions peut-être chercher une solution conjointe. Nous avons mentionné des choses simples comme une éventuelle réparation via des excuses: « Nous sommes désolés d'avoir agi ainsi. Peut-être aurions-nous dû plutôt faire ceci ou cela. Y a-t-il quelque chose d'autre que nous puissions faire pour...? »
Nous disons simplement que tout cela n'a aucun sens. Nous avons dû nous en remettre à un processus qui nous a coûté une fortune — pas des millions de dollars, mais tout de même des centaines de milliers — jusqu'à ce que nous ayons épuisé nos ressources, ce qui nous a obligés à mendier pour continuer. En janvier dernier, nous avons obtenu un jugement qui nous donnait raison, mais voilà maintenant que l'on nous demande à combien se chiffrent exactement nos pertes financières. Nous avons simplement acquiescé. Nous sommes en conflit avec nos voisins. C'est le cas depuis bientôt 100 ans, et vous nous demandez d'investir dans ce processus. C'est loin d'être chose facile pour nous, mais nous essayons tout de même de le faire.
Si nous avions au moins eu accès au golfe... Nous sommes des pêcheurs et des chasseurs. Nous chassons le phoque. Si nous avions eu accès à la rivière, peut-être aurions-nous pu... Mais il y avait toutes ces falaises qui nous empêchaient d'y accéder. Il y a bien un endroit où la rive est sablonneuse, mais c'est en dehors de la réserve. Comment pouvons-nous chiffrer tout cela? Oui, notre réserve aurait pu être plus grande. Sans doute que certains n'auraient pas quitté pour se rendre à Pessamit avec leur famille. Ils seraient restés avec nous.
Il y a de nombreux éléments qui sont difficiles à quantifier. C'est la raison pour laquelle nous cherchons des solutions novatrices en faisant valoir qu'il faut changer le système. Nous sommes conscients qu'il y a des exceptions à cette règle, mais je ne crois pas qu'elles s'appliquent dans notre cas. Je ne pense pas que nous pouvons aller voir ces gens-là pour leur dire que nous reprenons possession de leur territoire municipal parce qu'on nous l'a volé. C'est tout simplement impossible.
Les négociations vont nous permettre de récupérer une partie de nos terres, ce qui est formidable.
Voilà ce que j'avais à dire à ce sujet.
Je vous remercie de votre témoignage éloquent. Vous avez très bien illustré les difficultés, les frustrations, en donnant des exemples concrets, alors je vous en remercie.
Comme mon collègue Romeo Saganash l'a dit, vous avez également été très généreux dans vos relations avec vos voisins. Certains témoins ont parlé un peu du fait qu'il fallait sensibiliser le public et prendre des mesures, mais je pense que vous l'avez fait de façon très concrète.
En fait, c'est le travail du gouvernement fédéral. Il relevait du gouvernement fédéral de collaborer avec les communautés, d'établir des relations afin que vos voisins comprennent bien l'histoire, les raisons pour lesquelles le gouvernement agit ainsi et les obligations légales de chacun. Vous faites les frais de relations très difficiles, et je vous remercie de vos efforts.
Je trouve très intéressante l'idée de réaliser des projets d'infrastructure conjoints pour permettre aux communautés de se réconcilier et d'aller de l'avant. J'estime que c'est une bonne recommandation. Comme nous le savons, les communautés vivent côte à côte depuis des milliers d'années dans cette région, mais certaines personnes qui vivent au sein de ces communautés aujourd'hui ignorent les fautes commises par le gouvernement au fil des années, alors nous avons ce travail à faire.
Je n'arrive pas à me souvenir. Je sais que cela fait partie des revendications globales, et nous avons entendu d'autres témoins à ce sujet, mais dans le cadre du processus de revendications particulières, y a-t-il d'importants règlements en espèces ou des transactions de gré à gré entre l'acheteur et le vendeur? Est-ce que cela fait partie de... Supposons qu'une personne possède une propriété stratégique que vous considérez comme un élément important de vos intérêts. Durant le délai transitoire des négociations, y a-t-il eu des possibilités à cet égard ou une reconnaissance de cela?
:
Je ne prendrai pas beaucoup de temps.
[Français]
J'ai posé une question, tout à l'heure, mais nous avons manqué de temps pour la réponse. C'est pourquoi je voulais y revenir à la fin.
Elle a trait au processus qui se trouve devant nous et qui touche les revendications particulières. Vous avez parlé de la nature antagoniste du processus. Je vous comprends très bien, d'autant plus que, durant ce processus, le comportement démontré par le gouvernement fédéral a été souvent une attitude très cavalière, même lorsqu'il était placé devant ses obligations constitutionnelles. Le gouvernement est supposé agir avec honneur dans le cadre de ce processus.
J'aimerais avoir votre opinion au sujet de la recommandation qui a été exprimée par plusieurs groupes de témoins, depuis nos audiences à Vancouver et Winnipeg, d'avoir aussi un processus indépendant, d'une part.
D'autre part, je ne peux m'empêcher de faire la remarque que, malgré le jugement du 30 janvier 2017, alors que le tribunal vous a donné raison et a déclaré que la faute revenait au gouvernement fédéral, il vous faut quand même continuer à porter le fardeau, parce que le seul espoir que vous ayez en ce moment est le règlement de la revendication globale en vue d'obtenir d'autres terres. Il s'agit donc de ce traité dont personne ne sait quand il va se conclure. Vous avez commencé vos négociations avec les Atikamekw il y a très longtemps. Cela fait maintenant 40 ans.
Malgré ce jugement favorable du tribunal, il n'y a toujours pas de règlement en vue. Vous continuez donc à porter le fardeau de tout cela.
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En ce qui concerne le tribunal indépendant, je crois que cela pourrait être une solution, ou on pourrait adopter des critères plus souples, parce que nous avons clairement démontré que la Couronne avait eu tort en ce qui concerne notre dossier. Les preuves étaient flagrantes. Alors, pourquoi cela n'a-t-il pas été accepté lors de notre première demande? Cela reste à définir. Toutefois, le fait d'avoir un tribunal indépendant pourrait être une solution, oui.
Pour ce qui est des indemnisations liées au jugement favorable à notre cause de revendications particulières, je crois qu'il est impossible pour nous d'obtenir des terres en raison de cela, mais seulement de l'argent. En effet, à l'intérieur de la négociation territoriale globale, il est prévu d'obtenir de nombreuses terres en surplus. On parle de tous les territoires de pourvoiries ainsi que des territoires un peu contigus à l'Innu Assi, qui est le territoire en pleine propriété. En ce qui concerne Essipit, il est question de 345 kilomètres carrés, environ. Toutefois, cela n'est pas encore fait.
Y a-t-il un plan B? Il y a toujours celui de l'agrandissement de la réserve, que nous avons déjà entamé. Nous avons réussi à agrandir la réserve de moitié. De 0,4 kilomètre carré, nous en sommes à 0,8 kilomètre carré. C'est quand même assez ridicule, quand on y pense. Il serait peut-être envisageable d'agrandir la réserve, mais je ne crois pas que cela sera à la hauteur de 200 ou 300 kilomètres carrés.