INAN Réunion de comité
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Comité permanent des affaires autochtones et du Nord
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TÉMOIGNAGES
Le lundi 24 octobre 2016
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
La séance est ouverte.
Bon après-midi. Bienvenue à tous.
Nous sommes le Comité permanent des affaires autochtones et du Nord de la Chambre des communes et nous étudions le problème du suicide chez les peuples et dans les communautés autochtones.
Veuillez noter que nous n'aurons pas de diffusion vidéo aujourd'hui, mais une transmission audio.
Au cours de la première heure, nous commencerons par entendre deux témoins. La première est Mme Amy Bombay, professeur adjointe au département de psychiatrie d'une vénérable institution de la côte Est, l'Université Dalhousie où j'ai moi-même été membre du corps professoral. Elle sera suivie du Dr John Haggarty, professeur et chef des services de psychiatrie à l'École de médecine du Nord-Ontario.
Bienvenue à vous deux et merci de prendre le temps de vous présenter devant nous. Nous vous en sommes très reconnaissants.
Je suis heureux de vous offrir 10 minutes à chacun dans le cadre du débat.
Madame Bombay, vous avez la parole.
Je vous remercie beaucoup de me donner l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui. Je parlerai surtout des recherches que j'ai menées au cours des 10 dernières années sur les inégalités en matière de santé chez les peuples autochtones et sur quelques-unes des situations qui contribuent aux disparités que nous observons, particulièrement en santé mentale.
Certains de nos travaux de recherche ont consisté à documenter les inégalités en matière de santé liées à la santé mentale. Nous n'avons vraiment pas beaucoup de données pour documenter ces disparités dans le temps, nous ne savons donc pas si la situation s'est améliorée ou a empiré chez les différents groupes. À partir des données que nous possédons, nous constatons que les problèmes liés à la détresse psychologique, aux pensées suicidaires et aux tentatives de suicide se sont légèrement aggravés au fil du temps et qu'ils ne s'améliorent pas forcément.
Nous avons comparé les populations non autochtones aux Premières Nations sur les réserves et hors réserve, aux Métis et aux Inuits et nous avons constaté que les membres des Premières Nations vivant dans les réserves représentent plus du double de la proportion d'adultes signalant des pensées suicidaires. Le taux est également plus élevé dans tous les autres groupes autochtones. Nous avons également remarqué qu'au sein de ces groupes, les taux de suicide varient considérablement selon les collectivités et les régions du Canada.
Certains autres de nos travaux de recherche ont consisté à documenter les effets à long terme de certains traumatismes collectifs subis par les populations autochtones. Une grande partie du travail a porté sur les effets à long terme de la fréquentation d'un pensionnat indien en relation avec les problèmes de santé mentale.
Voici un graphique qui représente la proportion d'adultes ayant déclaré éprouver des niveaux moyens ou élevés de détresse psychologique, selon un questionnaire rempli par les participants. Il s'agit de l'un des rares questionnaires mesurant la santé mentale au sein de ces différents groupes dans le corpus d'études à l'échelle nationale et qui nous permettent de faire quelques comparaisons.
À l'examen des résultats, nous avons constaté que, dans l'ensemble de la population canadienne — qui inclut les peuples autochtones, ce nombre peut donc être un peu élevé — un tiers environ des personnes ont déclaré éprouver des niveaux moyens ou élevés de détresse. Nous avons comparé ces résultats aux données se rapportant aux adultes des Premières Nations vivant sur les réserves selon qu'ils ou leur famille ont été touchés ou non par le système des pensionnats indiens, et nous avons constaté que toutes les personnes dont un parent ou au moins un grand-parent avait fréquenté un pensionnat ou qu'elles avaient elles-mêmes fréquenté l'une de ces institutions, présentaient un risque plus élevé de souffrir de détresse psychologique par rapport aux adultes des Premières Nations dont la famille n'était pas touchée. Cela montre simplement que les pensionnats n'ont pas eu une incidence uniquement sur ceux qui les ont fréquentés, mais également sur leurs enfants et leurs petits-enfants.
Nous avons relevé la même situation dans un certain nombre d'études différentes, à la fois dans les échantillons représentatifs de l'ensemble du pays et dans nos propres données recueillies sur les réserves et hors réserve. Encore une fois, nous montrons que ceux qui ont au moins un parent ayant fréquenté un pensionnat présentent un risque plus élevé d'éprouver des symptômes dépressifs. Dans le graphique du bas de la diapositive, nous montrons que cela était également le cas pour les jeunes des Premières Nations vivant sur les réserves.
Déjà parmi les jeunes âgés de 12 à 17 ans, nous voyons que les effets intergénérationnels des traumatismes collectifs passés continuent de les mettre à haut risque d'éprouver des problèmes de santé mentale.
Un autre objectif de notre recherche était de documenter et d'explorer les moyens qui contribuent à un risque accru parmi ceux dont les familles ont été touchées par ces importants traumatismes collectifs. L'un des principaux facteurs — et l'un des plus intuitifs, je pense — contribuant à ce traumatisme intergénérationnel est la plus grande exposition aux mauvaises expériences lors de l'enfance.
Nous avons constaté que ceux qui avaient un parent ayant fréquenté un pensionnat avaient plus tendance à déclarer un résultat plus élevé quand il était question d'exposition cumulative à différents types de négligence durant l'enfance, différents types de traumatismes et diverses formes de dysfonctions familiales.
Le risque plus élevé de vivre des mauvaises expériences pendant l'enfance leur fait courir le risque de ressentir plus de stress tout au long de leur vie. C'est un processus qu'on appelle dans la documentation « prolifération du stress », selon lequel les traumatismes de la petite enfance et les traumatismes vécus par les parents continuent d'exposer ces individus au risque de ressentir plus de stress et de vivre plus d'événements traumatiques durant leur vie.
En plus des traumatismes de la vie adulte, nous avons observé que les personnes touchées par la fréquentation des pensionnats percevaient également de niveaux plus élevés de discrimination. Notre recherche ainsi que d'autres travaux dans ce domaine indiquent des effets vraiment négatifs du racisme et de la discrimination sur les problèmes de santé mentale parmi les populations autochtones et pas seulement dans les relations interpersonnelles quotidiennes. Il y a également beaucoup de travaux qui montrent que le fait d'être victime de racisme dans le contexte de la prestation de services au sein du système de soins de santé et dans d'autres systèmes peut doubler les effets négatifs d'une telle situation.
Une autre de nos principales constatations a été que les répercussions de ces traumatismes collectifs passés pouvaient en réalité se transmettre d'une génération à l'autre. Si nous ne faisons rien pour nous attaquer à ces cycles intergénérationnels, nous pouvons nous attendre à ce que la situation empire.
Nous avons fait une comparaison. Ceux-ci sont un groupe de personnes issues des Premières Nations vivant sur une réserve, tiré d'un échantillon représentatif, et nous avons comparé ceux dont la famille n'a pas été touchée par les pensionnats à ceux dont un parent ou un grand-parent avait fréquenté un tel établissement et à ceux dont un parent et également un grand-parent avaient fréquenté une telle institution, soit les deux précédentes générations. Nous avons démontré qu'avec chaque génération additionnelle dans une famille ayant fréquenté un pensionnat, il y avait un risque plus élevé de souffrir de problèmes de santé mentale.
Nous avons également voulu savoir si ces effets négatifs pouvaient se transférer à d'autres types de traumatismes collectifs. Nous avons axé nos recherches sur le système des pensionnats parce que c'était le seul grand traumatisme collectif pour lequel nous avions des données et pouvions constater les effets négatifs. Le retrait massif d'enfants autochtones dans les familles d'accueil constitue un autre phénomène collectif important qui contribue aujourd'hui aux conséquences négatives de la même façon que le système des pensionnats.
Nous avons montré que, plus il y a de générations dans une famille ayant fréquenté les pensionnats, plus grand est le risque que les enfants soient placés en famille d'accueil à un certain moment. Quand nous examinons les cheminements responsables de ces risques accrus, nous avons constaté une sorte de relation séquentielle, où le fait d'avoir un parent ayant fréquenté un pensionnat augmentait le risque de ces enfants de grandir dans une famille d'accueil sans stabilité économique et dans la pauvreté. À son tour, la faible stabilité économique les mettait à risque de ne pas vivre dans un foyer équilibré. Même s'il ne s'agissait pas d'abus, il s'agissait de ne pas avoir une famille habituellement stable, ce que les parents ne pouvaient simplement pas réaliser en raison de leurs antécédents familiaux de fréquentation d'un pensionnat. À leur tour, ces jeunes étaient plus à risque d'être placés dans une famille d'accueil, démontrant à nouveau la nature intergénérationnelle de tous ces traumatismes environnementaux et subis collectivement.
Notre recherche dans le domaine a également démontré les mêmes effets chez les jeunes vivant sur les réserves quant aux idées suicidaires et aux tentatives de suicide. Nos constatations sont vraiment intéressantes. Quand nous répartissons les groupes entre les jeunes âgés de 12 à 14 ans et ceux de 15 à 17 ans, nous observons que les répercussions sont particulièrement manifestes dans le groupe d'âge plus jeune, ceux de 12 à 14 ans, ce qui nous laisse supposer l'extrême urgence d'une intervention précoce. Nous avons constaté que les adultes ayant déclaré des idées suicidaires dans leur enfance et leur jeunesse étaient ceux qui continuaient à avoir des problèmes de santé mentale tout au long de leur vie. Nous savons que c'est également le cas dans la population en général et que le fait est relevé dans les principales publications. Les personnes qui présentent une survenue précoce de tout type de troubles de santé mentale sont plus à risque d'être confrontées à des problèmes chroniques au cours de leur vie, ce qui souligne l'importance de s'y attaquer le plus tôt possible.
En plus d'identifier les facteurs de risque qui ont augmenté le risque des personnes touchées par la fréquentation des pensionnats, nous nous sommes également intéressés à examiner les facteurs de protection, parce que ce ne sont pas tous ceux ayant été touchés par les pensionnats qui ont connu des symptômes dépressifs ou d'autres problèmes de santé.
J'aimerais vous faire part de quelques citations de participants à nos recherches, dont certaines ont été des études qualitatives, pour voir dans leurs propres mots quels ont été les facteurs de protection pour eux. Celle-ci est une personne dont un parent a fréquenté un pensionnat.
Elle a dit:
Pendant mon enfance, j'éprouvais de la honte. Cependant, j'ai depuis retrouvé mon identité... Maintenant que je vis seule, j'éprouve davantage de fierté et j'apprends à aimer mon identité. J'ai donné à mon fils un nom ojibwé traditionnel, et je me suis engagée à l'élever d'une manière qui fera en sorte qu'il sera fier d'être qui il est.
Souvent durant nos travaux, nous avons entendu des témoignages relatifs à la fierté culturelle qui est un facteur de protection vraiment important. Quand nous analysons cet élément dans nos données quantitatives, nous constatons également que la fierté culturelle est vraiment un facteur de protection.
Ce graphique illustre les effets négatifs de la discrimination en relation avec les symptômes dépressifs chez les adultes des Premières Nations, et nous avons constaté que cette relation est très forte. Le sentiment d'appartenance au groupe n'est que le terme académique pour nommer la fierté culturelle. Les personnes ayant un fort sentiment d'appartenance au groupe, donc une grande fierté, sont protégées des effets négatifs de la discrimination. Leurs symptômes dépressifs ne montent pas en flèche lorsqu'elles perçoivent des niveaux élevés de discrimination. Il existe d'autres indications démontrant les effets protecteurs de la fierté culturelle et de l'engagement culturel.
Notre recherche a également démontré l'importance de mieux connaître les traumatismes hérités de l'histoire et de nous renseigner sur les pensionnats et le système des familles d'accueil et sur la façon dont tout cela a affecté les populations autochtones. J'aimerais vous faire part d'une autre citation qui illustre à quel point il est important de poursuivre notre quête de connaissances parce que les individus commencent à peine à comprendre les conséquences de ces événements sur leurs familles.
Cette personne nous a confié ce qui suit:
À l'âge de 27 ans, ma soeur m'a confié que mon père avait fréquenté un pensionnat. Mon père ne m'en avait jamais parlé. J'ai lu ses déclarations en cour sans qu'il le sache. C'est ainsi que j'ai découvert qu'il avait subi de la violence sexuelle, physique, psychologique et culturelle. Cela m'a grandement attristé. Cependant, j'ai pu mieux comprendre pourquoi mon père agit de la manière dont il le fait. Cela m'a aidé à comprendre le cycle de la violence, puisqu'il a fait preuve de violence envers moi et ma mère. Il a appris ces comportements au pensionnat. Ne pouvant composer avec la situation, il s'est tourné vers l'alcool, tout comme moi. Actuellement, je suis un traitement pour guérir ces blessures. Je PEUX briser le cycle.
Voici simplement un graphique illustrant un échantillon représentatif des adultes des Premières Nations. Il met en lumière l'importance des guérisseurs traditionnels dans le traitement des problèmes de santé mentale. Même si les guérisseurs traditionnels ne font normalement pas partie du système de santé courant, environ un adulte sur cinq déclare faire appel aux services d'un guérisseur traditionnel plus souvent qu'à tout autre guérisseur.
Ce graphique montre le nombre de projets communautaires visant à soigner les traumatismes résultant du système de pensionnat et comment la disponibilité de ces services a décru avec le temps, parallèlement à la fermeture de la Fondation autochtone de guérison. Si nous comparons ces données à la proportion d'adultes touchés par la fréquentation des pensionnats sur les réserves, nous constatons que les données ne correspondent pas. La proportion d'adultes affectés eux-mêmes, soit en raison de leur fréquentation d'un pensionnat, soit parce que l'un de leurs parents ou grands-parents a fréquenté un tel établissement, n'a pas diminué depuis 2002 et aujourd'hui, nos données les plus récentes indiquent que plus de la moitié des adultes ont subi des répercussions intergénérationnelles en raison des pensionnats.
Voulez-vous en venir à la conclusion? Par la suite, nous pourrons aborder ce que nous avons manqué lors de la période des questions.
Certainement.
C'était pratiquement terminé. Je voulais simplement terminer en vous faisant voir ce graphique qui montre que nous avons vraiment besoin d'une approche holistique pour faire face à ces enjeux. La situation est différente d'une communauté à l'autre. Nous devons nous intéresser à la jeunesse mais également aux collectivités et mieux soutenir à l'avenir les enfants et les jeunes.
Merci.
Bonjour. Je suis très heureux de vous rencontrer et de participer à cette discussion, qui dure depuis des années et qui se poursuivra encore pendant assez longtemps.
Je m'adresse à vous à titre de clinicien et de participant à une planification plus active des soins de santé dans le nord-ouest de l'Ontario. J'ai commencé à fournir des soins cliniques aux Premières Nations du Labrador à la fin des années 1980 et au début des années 1990. J'ai ensuite fait ma résidence en psychiatrie, puis de la recherche à l'île de Baffin et plus tard au Nunavut.
Je travaille maintenant dans une clinique de services de santé mentale axés sur la collaboration. Je vous décrirai ce modèle de soins un peu plus tard en vous parlant de l'intégration des soins spécialisés dans les centres de soins primaires, où l'on prodigue la plus grande partie des services de santé mentale.
Je mène de la recherche sur le phénomène du suicide dans les communautés autochtones depuis le début des années 1990. Je tenais donc à soulever deux ou trois points saillants sur les travaux auxquels j'ai participé et sur l'allocution d'Amy. Certains de nos résultats diffèrent des idées traditionnelles sur le suicide et sur les comportements suicidaires dans les communautés des Premières Nations et des Inuits.
Les résultats d'une de nos études confirment ce que vous a dit Amy. En effet, nous avons découvert que le maintien des langues traditionnelles a un effet protecteur. Comme les données le soulignent clairement, les communautés qui maintiennent l'usage de leur langue traditionnelle affichent des taux inférieurs d'idées et de comportements suicidaires.
Un autre résultat semble différer de ceux des études de recherche habituelles: la présence des troubles de santé mentale courants ne semble expliquer qu'un petit pourcentage des comportements suicidaires. J'ai mené une étude sur deux communautés du Grand Nord, et nous avons découvert que même si de nombreux résidants avaient des idées suicidaires, moins de 20 % de ces idées découlaient des troubles de santé mentale courants que nous étudiions aussi comme la dépression, l'anxiété et l'alcoolisme.
Cette observation est subtile, mais importante. Elle indique que dans ces communautés, les comportements suicidaires proviennent d'autres facteurs. Amy vous en a parlé, et je suis sûr que le Dr Kirmayer mentionnera cela tout à l'heure. C'est un fait important, car nous savons, en fournissant des soins cliniques, que les troubles de santé mentale comptent parmi les facteurs de suicide. Nous ne pouvons cependant pas négliger les explications à tirer des déterminants sociaux de la santé mentale et physique. Certains témoins vous en ont déjà parlé.
Je tiens à mentionner, sans entrer dans les détails, les travaux de Chandler et Lalonde, qui ont publié plusieurs articles sur la continuité culturelle et dont vous avez déjà entendu parler. Soulignons aussi l'étude de Felitti sur les événements préjudiciables subis pendant l'enfance qui, selon moi, sont importants. De nombreux documents traitent de cela, et je crois qu'il serait bon que le Comité s'en informe autant que possible.
Amy a mentionné plusieurs facteurs. L'un d'eux concerne la manière dont ces effets se transmettent de génération en génération. Nous avons peut-être quelques biologistes dans la salle. L'épigénétique démontre toujours plus clairement les facteurs biologiques par lesquels le traumatisme que subissent un grand-père ou des grands-parents se transmet génétiquement par méthylation des codes génétiques principaux de la structure cellulaire.
Les scientifiques comprennent de mieux en mieux ce phénomène important. J'ai été très heureux, à Fort Frances, que l'on me demande d'expliquer la transmission des traumatismes. J'ai ensuite assisté à une conférence, à l'American Psychiatric Association, sur le projet de séquençage de génome et les explications qu'il nous a fournies sur de nombreux aspects de cette transmission. Il est important que nous la comprenions bien. Nous n'en sommes qu'au début de cette étude, mais nous commençons à percevoir un phénomène incroyablement puissant.
Je ne parlerai pas de la stratégie sur le suicide du Nunavut et du rapport du coroner de Pkangikum. Cependant, il est important que nous comprenions bien ces choses. Ces conseils sont importants, mais nous n'allons pas répéter ce que des personnes brillantes vous ont déjà dit.
Je vais profiter des dernières minutes qu'Andy m'a accordées pour vous souligner une chose, en tant que planificateur de programmes, de chef de psychiatrie et de participant à la modélisation des services.
Il y a quelques semaines, j'ai présenté un exposé au Programme d'extension en psychiatrie de l'Ontario, à Thunder Bay. J'ai décrit une façon d'ouvrir l'accès à des services spécialisés au poste de soins infirmiers de Pikangikum ou à Pond Inlet. Les progrès technologiques de la prestation de services nous offrent des occasions très créatives, mais peu coûteuses, dont nous devrions nous prévaloir.
Cette idée nous est venue en partie du rapport du vérificateur général sur les postes de soins infirmiers. Il souligne le besoin d'ouvrir l'accès aux spécialistes non pas simplement en les envoyant de temps en temps par avion, mais en chargeant une personne sur place de répondre aux questions, puis en développant ces ressources. J'ai trouvé des moyens d'accroître ces ressources; je vous en parlerai brièvement tout à l'heure.
L'étude de lac Sachigo sur les compétences en premiers soins illustre des manières de développer, dans notre région du nord-ouest de l'Ontario, les compétences dans des domaines spécialisés tels que l'évaluation des crises, puis de renforcer ces capacités. Il est cependant plus difficile de maintenir ces services, de les fournir et de veiller à ce que les infirmières praticiennes et les infirmières autorisées de ces communautés acquièrent ces compétences. C'est une chose critique, à mon avis.
J'ai une dernière observation à faire sur les politiques et les ressources, avant de vous décrire un modèle de soins. Je siège au comité d'examen du financement de la santé mentale des enfants et des adolescents. Je crois que ce que je vais dire vous aidera à apporter des changements. Les déterminants sociaux de la santé dépendent fortement de la capacité qu'ont les politiques et les fonds de pousser au changement et de créer ce que quelqu'un a appelé « l'équité plus ». Ce terme vient d'un ouvrage dont l'auteur indique que nous n'aspirons pas seulement à rétablir la justice et l'égalité, mais à créer une formule de distribution des ressources. Je suis convaincu que les déterminants sociaux de la santé en soulignent l'importance. Nous ne nous contentons pas de fournir des soins de santé, mais d'améliorer l'accès à l'emploi et au logement et de réduire la pauvreté.
Je vais conclure en présentant quelques observations et en soulignant quelques points importants. J'ai eu l'occasion de subtiliser, partout au pays et à l'étranger, les meilleurs modèles de prestation de services. Le modèle conceptuel que je propose à notre Réseau local d'intégration des services de santé repose sur un système de prestation de soins primaires stable. Toute amélioration des soins de santé doit reposer sur un système de soins primaires stable composé de médecins de famille, d'infirmières praticiennes ou d'infirmières autorisées chevronnées.
Selon moi, les praticiens de soins primaires n'assument pas un rôle suffisant dans certains domaines tels que l'évaluation fondamentale des crises ainsi que le traitement des idées suicidaires, de la dépression et de l'anxiété. On peut adapter aux communautés et aux cultures des modèles comme le CBIS, compétences interpersonnelles cognitivo-comportementales, qui est un modèle de thérapie cognitivo-comportementale appliqué en Colombie-Britannique, et la TCD, ou thérapie comportementale dialectique, qui est une modèle avancé de thérapie cognitivo-comportementale. J'en ai discuté avec le Dr Mushquash à Thunder Bay, et vous en avez peut-être entendu parler vous aussi.
Le modèle RACE — accès rapide à une consultation d'experts — en Colombie-Britannique offre les soins de plusieurs spécialistes. Lorsqu'une personne appelle pour demander un fournisseur de soins primaires dans un délai de deux heures à deux jours, il est possible d'accéder à sa requête. Cela se fait en Colombie-Britannique.
Quant à l'accès, nous nous intégrons dans le modèle de prestation de soins de santé. Cette initiative a commencé par une unité de cardiologie et une clinique familiale de Vancouver qui ont demandé pour quelles raisons la clinique, située à 200 pieds de l'unité de cardiologie, ne pouvait pas tout simplement appeler un spécialiste quand elle en avait besoin. Ce modèle s'adapterait partout au Canada, même dans les régions rurales et éloignées.
Le modèle de cyberconsultation d'Ottawa en est un autre exemple. Ce modèle permet aux médecins de famille et aux infirmières praticiennes qui ne peuvent pas consulter un spécialiste dans un délai de deux heures à deux jours de le faire dans les trois à sept jours qui suivent. On envisage de le mettre en oeuvre dans tout l'Ontario. Le projet pilote a généré près de 6 000 consultations en quatre ans à Ottawa. On vient aussi de lancer ce projet pilote dans notre région du nord-ouest de l'Ontario, et je suis impatient d'en voir les résultats.
Même si les fournisseurs de soins primaires n'ont pas besoin de consulter un spécialiste, ils pourraient obtenir de l'aide pour leurs patients atteints de troubles de santé mentale courants comme la dépression ou l'anxiété à partir des postes de soins infirmiers. Il existe un autre modèle de soins de santé, la consultation sur des cas ou ECHO, créé au Centre de toxicomanie et de santé mentale.
Je vous décris ici une pyramide d'innovation progressive qui s'ajoute à ce qui existe déjà, c'est-à-dire une consultation de « Formulaire 1 », ou consultation non urgente sur les cas des personnes en crise qui devraient être placées dans un lit de crise à l'hôpital.
Nous n'avons pas grand-chose entre ces deux extrêmes. Nous avons l'adaptation des cyberconsultations, l'évaluation rapide et le programme de santé mentale ECHO ainsi qu'un programme de formation intensive en santé mentale pour les fournisseurs de soins primaires. Il y a aussi la consultation sur des cas, que nous avons intégrée dans plusieurs cliniques d'infirmières praticiennes avec lesquelles je travaille. Je me ferai un plaisir de vous décrire plus en détail ce modèle d'accès aux soins psychiatriques. Je voudrais qu'on le mette sur pied pour optimiser de nombreuses innovations en prestation de services.
La dernière chose dont je voulais vous parler est la visite vidéo privée et sécurisée. Quiconque possède un ordinateur muni d'une petite caméra peut se brancher, de n'importe quelle région du pays qui offre le WiFi, à un réseau codifié pour consulter un spécialiste. Cela soulagera les infirmières surchargées de travail aux postes de soins de petits hameaux sans accès routier; elles peuvent dire au spécialiste qu'elles ne savent pas comment soigner le patient, mais qu'elles peuvent le placer devant lui, s'il veut bien les aider. Les technologies nous donnent l'occasion de fournir ce type de service en améliorant le modèle de télépsychiatrie qui existe déjà.
Je vais m'arrêter ici. Je suis désolé d'avoir dépassé le temps qui m'était alloué.
Pas de problème.
Je vous remercie, docteur Haggarty et docteure Bombay.
Nous allons passer directement à une ronde de questions de sept minutes. La ronde comprend les questions et les réponses. J'exhorte les membres du Comité à présenter leur question aussi rapidement que possible pour que les témoins aient le temps d'y répondre.
Nous allons commencer par Mike Bossio.
Vous nous avez tous deux présenté énormément d'information.
Je voudrais que vous nous parliez de certains impératifs culturels que l'on semble mentionner souvent au cours de discussions sur la santé mentale, et que vous nous disiez à quel point ils contribuent à rétablir la fierté et l'espoir chez les patients.
Je crois que vous en avez beaucoup parlé, Amy.
Je voudrais que vous nous décriviez le degré d'importance du patrimoine culturel pour indiquer que quand il est fort, le taux de suicide est à tel niveau, et quand il est faible, le taux de suicide est à tel autre niveau. Les résultats de recherche indiquent-ils une corrélation?
Les études mesurent la culture de façons très diverses. La langue est une mesure. Les résultats d'études indiquent qu'elle protège les gens du suicide et qu'elle rehausse les résultats en matière d'éducation et autres. Cela dit, toutes les communautés n'ont pas leur propre langue, mais elles ont d'autres atouts. Les différentes communautés sont protégées du suicide par différents aspects de leur culture.
Par exemple, dans le nord-ouest de l'Ontario, certaines communautés s'efforcent de faire renaître leur culture. Elles le font à leur façon, selon leurs propres traditions culturelles. D'autres au contraire ne tiennent pas à retourner à leurs traditions culturelles, parce qu'elles se sont attachées à la religion chrétienne. Même si ces communautés sont proches les unes des autres, une même approche culturelle ne réussira pas pour toutes.
Avez-vous remarqué un lien entre le taux de suicide et le fait qu'elles se rapprochent de leur culture?
Cette approche a un effet différent dans les communautés. Vous trouverez dans certaines d'entre elles un lien évident entre la langue et les résultats positifs. Dans d'autres, on ne constate pas ce lien, mais d'autres aspects de la culture les protègent. En général, la documentation empirique indique que différents aspects culturels protègent les communautés.
Exactement. Certains aspects sont liés à l'engagement politique, d'autres au militantisme collectif. Les gens s'efforcent de renforcer leur fierté culturelle de différentes façons.
Avez-vous constaté ce lien culturel dans un grand nombre de communautés? Certaines sont mieux habilitées, elles s'autogouvernent mieux, car elles reçoivent un financement stable à long terme pour cela. Elles peuvent donc fixer leurs propres priorités.
C'est vrai. Je crois que c'est une autre constatation des études de Chandler et Lalonde. On s'est parfois demandé ce qu'ils mesuraient vraiment dans ces études. Parfois il s'agissait de facteurs culturels, d'autres fois ils visaient plutôt des systèmes d'autogouvernement, d'application de la loi et de contrôle des incendies. Ces aspects sont tout aussi importants et ajoutent à la fierté des communautés qui peuvent les gérer à leur façon.
Non, je crois qu'Amy a bien résumé cela. Les premières études sont celles de Lalonde, et selon moi, il vaudrait la peine d'en comprendre les catégories.
En menant l'une de nos études dans le nord-ouest de l'Ontario, nous avons repris ses conclusions et dressé des listes pour voir quels aspects se retrouvaient dans ces communautés. Nous avons effectué une comparaison. Ses résultats correspondaient à ce que nous avions observé dans notre région, dans nos communautés en détresse.
Vous avez aussi parlé d'agir aussitôt que possible afin d'offrir des thérapies et des consultations dès le début du processus. Pourriez-vous nous décrire quelques façons de vous y prendre?
Je pense que nous ferons les choses différemment dans les diverses communautés suivant les aspects culturels qui les protègent.
Dans ce graphique, vous voyez l'augmentation des risques chez les ados de 12 à 14 ans. Mais nous savons aussi, grâce à la recherche épigénétique, qu'il est important d'intervenir pendant la grossesse de la mère. Il est crucial d'appliquer une approche d'intervention axée sur les phases du développement. On commence à intervenir auprès de la mère avant la conception, et ainsi de suite. Pour éduquer, selon moi, il faut observer les problèmes qui touchent particulièrement la communauté, puis essayer d'y apporter des solutions.
John, vous nous avez suggéré de nombreux modèles liés aux déterminants sociaux de la santé physique et mentale, comme l'accès rapide à une consultation d'experts, la visite vidéo privée et sécurisée et la consultation sur des cas ainsi que la cyberconsultation offerte à Ottawa. Selon vous, pour que ces interventions soient efficaces, serait-il important d'y établir une présence autochtone parmi les conseillers, ou une représentation locale?
Je ne crois pas que les interventions puissent réussir si nous ne les ancrons pas dans le milieu de la communauté. Nous devons faire preuve de souplesse et inviter les gens à participer. Mais comme dans le cas de toute intervention réussie... aucune communauté que j'ai visitée ne nous a suggéré de recommencer à zéro sans dialoguer et sans examiner ce qui réussit ailleurs. Elles désirent souvent que nous leur décrivions ce que nous avons réussi et que nous menions nos interventions avec sensibilité culturelle et respect en les laissant adapter nos méthodes à leurs besoins particuliers.
Je vous remercie tous deux pour vos excellents exposés.
Nous n'avons pas parlé de produits pharmaceutiques, de l'usage qui convient et de l'accès à ces produits. Je crois que le Dr Haggarty a parlé un peu de l'incidence des traumatismes collectifs, qui seraient moins liés à des troubles psychiatriques ordinaires.
Avez-vous quelque chose à ajouter à cela, existe-t-il des pratiques exemplaires pour...?
Je ne suis pas sûr de répondre adéquatement à votre question, car je ne la comprends pas très bien. On a tendance à penser que la détresse provient d'une dépression et à la traiter en prescrivant des antidépresseurs. Nous cherchons parfois à atténuer le problème en pensant que si nous pouvons y appliquer le tout dernier antidépresseur, même s'il coûte plus cher...
Mes récentes visites en Haïti m'ont rappelé qu'il n'est pas nécessaire de prescrire les trucs les plus élaborés. Il suffit de bien comprendre les circonstances.
Je ne peux rien vous dire sur les taux de prescription dans ces communautés. Je peux simplement vous dire que c'est justement là que les soins primaires... Le psychiatre au bout d'une ligne interurbaine verra la situation différemment que l'infirmière praticienne qui se trouve dans la communauté de Sioux Lookout ou de Thunder Bay et qui comprend le contexte. Selon moi, il est important de ne pas confondre le phénomène clinique et les troubles sociaux complexes, que nous ne ferons pas disparaître à l'aide d'une ordonnance.
Si les circonstances de la vie du patient ne changent pas, je ne peux pas m'attendre à ce qu'un antidépresseur l'aide, et encore moins des traitements. Quand mes patients sont en santé, mais qu'ils vivent dans des circonstances extrêmement difficiles comme la pauvreté, l'itinérance et le manque de logement, je dis souvent aux cliniciens qu'avant de prescrire un médicament, il faut changer les circonstances de la vie du patient.
Je peux vous dire que tant que nous ne maîtriserons pas les causes fondamentales des problèmes, nous constaterons des taux élevés de détresse. Amy a parlé au Dr Kirmayer, ce que j'ai fait aussi pendant que je menais mes études de recherche, mais je ne l'ai pas mentionné. Nous avons tendance à nous précipiter sur une ordonnance, mais les prescriptions ne résoudront pas ces situations.
J'ai travaillé au centre d'amitié de Halifax, où les préposés m'ont demandé exactement la même chose. Leur problème principal est celui de la santé mentale. Ils prescrivent toujours un médicament, que l'assurance-maladie paie alors qu'elle ne paie pas les consultations des psychologues. En fait l'assurance-maladie de la Nouvelle-Écosse les paie maintenant, mais personne ne semble le savoir. J'ai vérifié à Halifax, et j'ai trouvé sur la liste de l'assurance-maladie deux psychologues que les Autochtones peuvent consulter, mais personne ne semble les connaître ou savoir comment accéder à leurs services. Je crois qu'un grand nombre de fournisseurs de services ordinaires ne savent même pas que ce service est disponible.
L'association des psychologues nous a dit que Santé Canada avait retiré les certificats d'un grand nombre d'excellents conseillers, autochtones et non autochtones, qui détiennent une maîtrise. Vous aviez entendu parler de ce problème.
Oui, c'est ce que les gens nous disent. Je n'ai pas encore parlé de cela aux préposés de l'assurance-maladie de la Nouvelle-Écosse.
Nous avons déjà de grands problèmes avec les fournisseurs de soins de santé. Cette décision soudaine de Santé Canada d'annuler leur certificat aggrave le problème, puisque ces personnes qualifiées pourraient accomplir le travail.
Vous avez parlé d'un système de soins primaires solide. D'après ce que vous avez vu, est-ce que la plupart des communautés disposent de la bande large nécessaire pour se brancher à ces services? De plus, je n'ai pas l'impression que nos communautés rurales et éloignées du Nord disposent d'une base solide de soins primaires.
Qu'avez-vous à dire là-dessus?
Ces deux observations sont justes. Est-ce que toutes les communautés ont la bande large? Non. La situation s'améliore-t-elle avec les années? Je crois qu'elle s'améliore, mais je pense que ce sera difficile. Je le répète, plus vous allez au Nord, plus il y a de difficultés. Dans certains endroits il est facile de l'installer, mais pas dans toutes les régions du Nord. Je sais qu'en Ontario, l'OTN a essayé d'améliorer cela. Je ne pense pas que la technologie soit aussi puissante dans toutes les communautés que ce que nous avons ici dans la rue. Je crois qu'il y a encore beaucoup à faire. On ne la trouve pas partout dans le Nord.
Quant à votre deuxième question...
Oui, elle est stable. Je crois que c'était ce que vous me demandiez.
Comme on entend souvent dire dans les médias, des vagues de cliniciens stables s'en vont. On voit des infirmières chevronnées qui fuient la pression et le champ de pratique des infirmières autorisées, que l'on a modifié pour les infirmières praticiennes. Nous sommes heureux de constater que les infirmières praticiennes ont plus d'autonomie. Mais plus on va au Nord, plus il est difficile de garder les infirmières praticiennes dans les communautés. J'ai remarqué, en travaillant à Thunder Bay, que les cliniques dirigées par des infirmières praticiennes sans la présence d'un médecin — sauf quand j'y travaille avec mes infirmières — améliorent l'accès pour les membres des communautés les moins bien servies. Ces cliniques dirigées par des infirmières praticiennes donnent de l'espoir. L'autonomie dont elles disposent assure une stabilité très positive.
Je tiens à vous remercier tous deux pour ces rapports incroyables que vous nous avez présentés.
Madame Bombay, vous avez examiné certains facteurs — les pensionnats, les effets intergénérationnels, la rafle des années 1960, les problèmes d'intervention précoce —, et je vois que vous avez dressé une carte de ma circonscription. Est-il possible, selon vous, à partir de ces données de recherche, de déterminer les régions et les communautés qui sont les plus vulnérables? Serait-ce facile à faire, pour un chercheur?
Oui. Je crois que nous disposons de nombreuses données fiables au Canada. Les données que je vous montrais venaient de l'Enquête régionale sur la santé des Premières Nations, donc elles ne portent que sur un échantillon de communautés des Premières Nations. Elles vous donneront une idée des régions les plus vulnérables. Nous avons également les travaux de Chandler et Lalonde, qui ont examiné des communautés individuelles dans cette même province, et leurs résultats varient énormément. Par exemple, je ne peux pas présenter les données de communautés individuelles sur cette question à cause des règles sur les principes PCAP.
Oui, mais en termes généraux, en examinant les facteurs de risque, vous décernez des éléments prévisibles.
Bien sûr. Si nous avions plus de fonds de recherche et si nous financions les communautés pour qu'elles mesurent les éléments qu'elles désirent mesurer, je pense que ce serait très utile.
Docteur Haggarty, les effets biologiques ou génétiques de la transmission des traumatismes me fascinent. Ce sont des choses dont nous entendons constamment parler dans nos communautés. Il est vraiment extraordinaire d'en avoir une confirmation scientifique.
Quand nous intervenions dans des situations de suicide dans notre région, j'avais toujours l'impression de faire face à une épidémie. Je vois que l'Organisation mondiale de la santé souligne que le suicide est contagieux et que si l'on n'affronte pas ce problème, surtout chez les jeunes, on crée un effet de grappes.
D'après ce que vous voyez en travaillant à Thunder Bay, diriez-vous que dans les communautés du Nord, l'effet de grappes de ce tsunami de suicides crée une épidémie? Si l'on n'intervient pas, est-ce possible de prédire ce qui se passera?
Les grappes constituent un phénomène très particulier. Elles sont liées à ce dont a parlé Amy et d'autres témoins, le sentiment du soi. Les adolescents de 14 ou 16 ans dont le sentiment du soi repose sur la fierté et sur le lien avec leurs grands-parents, les adolescents qui savent qui ils sont, se laisseront influencer par leurs camarades, mais pas au point de laisser leur vie dépendre d'eux.
Je dirais que les personnes qui ne jouissent pas de cette stabilité et qui ne savent pas la langue de leurs grands-parents sont plus vulnérables. C'est tout au moins l'une des raisons qui expliqueraient cela.
Pourquoi ces grappes se forment-elles? Pourquoi un jeune de 14 ans entraînerait-il trois autres jeunes de son âge à l'hôpital ou même à la mort? En un sens, la vulnérabilité du sentiment du soi augmente avec la perte de la continuité culturelle.
Je ne vais pas rentrer dans les détails, car les grappes sont à la source de tout un débat. Mais je suis convaincu qu'elles constituent un facteur. En examinant certains des problèmes dont a parlé Amy et qu'expliquera Laurence Kirmayer, vous remarquerez l'importance de renforcer la stabilité culturelle pour atténuer les répercussions de ces grappes.
Voilà, justement. Nous avons été témoins d'une crise atroce de suicides à Attawapiskat en mars ou en avril. À cette même époque, six communautés ailleurs au Canada ont sonné l'alarme. Elles se sentaient submergées et ne savaient pas comment affronter le comportement autodestructif de leurs adolescents. Pourtant, chaque fois que cela se produit, on dirait que le gouvernement est en choc, qu'il est surpris. Il gazouille que c'est une tragédie.
Pour moi, une tragédie est le fait qu'une personne qui rentre chez elle à pied se fasse frapper par une auto. Un événement que l'on peut prévoir, que l'on peut prévenir n'est pas une tragédie, à mon avis. C'est autre chose; c'est une sorte de négligence.
Je vous dis cela, parce que j'étais en Saskatchewan et que j'ai parlé à des gens de la crise de suicides la plus récente, et la réaction des gens était toujours la même: le choc, la surprise. Maintenant on va y envoyer une équipe d'urgence, qui restera sur les lieux pendant 30 jours.
Je parlais à des travailleurs de première ligne qui participaient au programme de prévention du suicide. Ils ne travaillent pas à La Ronge, parce qu'ils n'ont plus de financement. Ils se font recruter pour des projets à court terme.
En examinant les projets que finance la Fondation autochtone de guérison, je constate une chute de 2009 à 2012. Depuis ce temps-là, dans ma région, nous avons assisté à plus de 700 tentatives de suicide, et personne n'a intervenu.
Je voudrais vous demander ce que vous pensez de cette idée d'envoyer une équipe d'urgence. La ministre — que Dieu la bénisse — a envoyé l'autre soir un gazouillis aux jeunes pour leur rappeler l'existence de la ligne de prévention du suicide. Elle aurait mieux fait de soutenir les personnes qui sont en mesure d'effectuer la prévention.
Voyez-vous un lien entre ces grappes de suicide et les effets du suicide, et le fait que nous n'ayons dans ces régions vulnérables aucun programme proactif qui aurait pu prévenir ces suicides?
Oui, tout à fait. Nous venons d'examiner les données. Elles indiquent un stress psychologique qui s'accumule avec le temps. Ce stress cause également les idées suicidaires et les tentatives de suicide. Rien n'a changé. On se demande si la situation aurait été différente si la Fondation autochtone de guérison avait pu poursuivre son travail.
Nous savons aussi, en lisant les rapports de la Fondation autochtone de guérison, que même pendant sa période la plus active — je pense qu'elle menait son plus grand nombre de projets communautaires en 2003 —, les fournisseurs de services interviewés disaient qu'ils ne pouvaient pas atteindre ceux qui en avaient le plus besoin. Il y avait tant de gens à guérir dans ces communautés. Il est illogique d'avoir fermé un programme si efficace.
Merci.
Je voudrais en revenir à la Fondation autochtone de guérison. Le pensionnat indien St. Anne se trouve dans notre région, et les effets intergénérationnels sont atroces. Les grands-parents ont besoin de counseling. Les familles n'ont pas fini de résoudre tous leurs problèmes.
Edmund Metatawabin, un survivant de St. Anne, nous a dit qu'il voyait un lien direct entre ce pensionnat et les suicides commis dans tout le territoire Mushkegowuk. Que pensez-vous des problèmes que cause ce traumatisme intergénérationnel? Si nous ne guérissons pas les grands-parents et les parents, quels effets subissent les enfants?
Selon moi, c'est très clair. Nous avons un graphique ici qui indique la proportion des jeunes touchés. Un nombre incroyable de jeunes disent qu'ils ne savent même pas si leur famille... Certaines familles n'en ont même pas encore parlé. Certaines communautés n'en discutent pas encore. Un nombre incroyable de communautés sont très, très loin de résoudre ce problème.
Je vous remercie de ces présentations. Elles nous ont beaucoup appris.
Je vois beaucoup de graphiques intéressants et je vous bien des choses dont nous devrions prendre note partout au pays.
Je viens des Territoires du Nord-Ouest. Nous avons des problèmes dans le Nord, pas seulement dans les Territoires du Nord-Ouest, mais partout dans le Nord, et nous avons un énorme problème de suicides. Nous avons remarqué énormément de choses que vous avez mentionnées. Nous pouvons y ajouter l'économie, le manque de logement et tous ces autres facteurs qui aggravent ce problème. Vous avez dit que la situation des idées suicidaires empire, et cela m'inquiète encore plus, même si nous l'avions déjà remarqué.
Jusqu'à présent, nous avions des programmes. Mais la plupart d'entre eux ont subi des compressions, et d'autres ont été éliminés: le programme des centres d'amitié, le programme autochtone Bons départs. La plupart de ces programmes étaient organisés et dirigés par des Autochtones. Aux Territoires du Nord-Ouest, nous avions la Healing Drum Society, qui faisait partie des programmes que finançait la Fondation autochtone de guérison.
Vous avez parlé un peu du centre d'amitié de Halifax, et je me demande si ces programmes ont été efficaces. Est-ce qu'ils contribuaient à améliorer la situation? Nous savons qu'ils ne s'attaquaient pas à tous les problèmes et qu'ils manquaient de ressources, mais est-ce qu'ils jouaient un rôle par leur travail et par les programmes qu'ils offraient?
Par exemple, je travaille avec le Friendship Center d'Halifax. Ce n'est que depuis tout récemment et j'ai tenté d'obtenir davantage de soutien en santé mentale, parce que c'est ce dont le centre dit avoir besoin et que c'est la seule chose pour laquelle il ne peut pas avoir de financement. Il n'a vraiment pas de programme en la santé mentale, même si c'est principalement ce qu'il veut.
Je crois que beaucoup d'évaluations sont faites en fonction des programmes de la Fondation autochtone de guérison. Les évaluations de programmes ont démontré que ces approches, axées sur la communauté, sont très efficaces, et qu'il était possible pour le centre d'atteindre des gens qu'il n'avait pas prévu rejoindre, des gens qui ne s'étaient pas tournés vers lui pour obtenir de l'aide. Cette approche culturellement appropriée a permis de rejoindre certaines de ces personnes qui, selon moi, n'auraient jamais cherché à obtenir de l'aide autrement. Ainsi, le centre répond vraiment aux besoins uniques de certaines de ces communautés, et les faits le prouvent.
J’ai quelque chose à ajouter, monsieur McCleod.
J'aimerais souligner deux choses. La clinique Anishnawbe Mushkiki était un lieu où les gens se sentaient les bienvenus en fonction de leur identification culturelle. C'est généralement le contraire: « Ne perdez pas de temps à venir ici si vous sentez mauvais ou si vos vêtements sont vieux », et ainsi les gens ne se sentent pas accueillis. En fait, c'est en bas de la rue, près de l'endroit où je travaille et près du bureau de Don, et je crois que cela crée vraiment un environnement qui semble ouvert au dialogue et où l'identité culturelle des gens est importante.
L'autre endroit est à Fort Frances, dans le groupe du conseil de tribu que je visite. Ces gens ont dû se battre pour obtenir une tente à sudation dans leur cour arrière, pour y faire des rituels de purification par la fumée et d'autres rites traditionnels, et ils ont dit, « Nous nous affirmons. Même si nous sommes en ville, nous conservons nos façons de faire traditionnelles ». J'ai vraiment senti, encore une fois, qu'il s'agissait d'une invitation pour dire: « si c'est le genre de dialogue qui vous intéresse, nous faisons cela toutes les semaines. C'est à ce moment que nous pratiquons ces cérémonies. »
Je crois que cela a joué un rôle important pour les gens qui fréquentent ce lieu et qui s'intéressent aux traditions. C'est important même pour ceux d'entre nous qui n'avons pas d'intérêt pour les traditions. Nous devons apprendre cela. Je pense aux médecins résidents, aux étudiants en médecine et aux stagiaires en travail social. C'est important. Si nous ne commençons pas à rendre ces pratiques visibles et concrètes, nous ne serons pas en mesure de les comprendre plus tard. Ils finiront tous dans une simple exposition au musée. Pour moi, Fort Frances était un bon exemple. Il y a une suerie sur le campus du CAMH, à la faculté de médecine de Thunder Bay, ainsi qu'à Sudbury, je crois. Je crois que nous commençons à changer et à être plus ouverts face à ces pratiques.
J'aimerais vous poser une question après ce que vous avez dit au sujet des systèmes stables de soins médicaux. Dans les Territoires du Nord-Ouest, avoir des établissements, des services et des experts dans le Nord représente un important défi. Nous dépensons une très grande part de notre budget en voyages, des millions de dollars, et n'avons généralement accès qu'à des médecins et à des infirmières qui sont des remplaçants; il n'y a pratiquement aucun spécialiste. Nous avions cinq hôpitaux dans les Territoires du Nord-Ouest. Nous n'en avons plus que trois... dont deux qui offrent moins de services. Et notre service Internet est de piètre qualité.
Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest a cherché des solutions afin de régler cette situation ainsi que les nombreux problèmes entourant les dépendances. Il a évoqué des programmes à distance et sur place, ainsi que des services mobiles. Beaucoup croient que c'est mieux que rien, mais selon vous, est-ce que cela fonctionne? Est-ce que c'est assez constant? Est-ce que le fait d'avoir des gens qui viennent pendant un certain temps, donnent des cours et vont sur le territoire est quelque chose qui peut fonctionner?
Est-ce que la question est de savoir s'il est important d'appliquer ces approches fondées sur la culture à l'égard du territoire, ou cherchez-vous plutôt à les lier aux soins de santé?
Je parle de faire venir des experts, des travailleurs en santé mentale et d'aller dans les communautés ou sur le terrain. Ces initiatives sont intermittentes et rares. Fonctionnent-elles vraiment?
Elles fonctionnent de cette façon. Le problème est plutôt le développement de compétences, de façon à soutenir les personnes. Quand j'ai effectué ma première étude de plusieurs semaines à Pond Inlet, la question a été de savoir qui étaient les dirigeants locaux impliqués au niveau des problèmes de maladies mentales. Ils auraient pu avoir un diplôme d'études secondaires. Ceci n'avait pas tellement d'importance; ce qui était important était le fait qu'ils soient les dirigeants. Ils étaient les seuls à poser les bonnes questions, tout comme vous, en me demandant de les aider à comprendre ces aspects épigénétiques. Ils ne manquaient pas d'intérêt.
Je crois que nous pouvons envoyer un expert sur place, mais au bout du compte je veux qu'ils s'approprient l'expertise. Cela dépend de la nature de la relation; c'est ce qui importe le plus. Si je me contente d'administrer une clinique, j'ai fait mon travail, mais je n'ai pas contribué à développer les ressources locales. Pour moi, c'est l'aspect primordial.
Merci.
Nous sommes à la fin de notre série de questions de sept minutes. Nous avons le temps pour une question supplémentaire d'Arnold Viersen, dans la période de cinq minutes.
Merci, monsieur le président.
Merci à nos invités d'être ici aujourd'hui.
Ma question s'adresse au Dr John Haggarty.
Vous avez mentionné des systèmes tels que RACE et ECHO. Avez-vous déjà effectué des démarches afin de lier ces deux systèmes? Vous aviez parlé d'une forme pyramidale. Pouvez-vous nous soumettre des informations qui pourraient nous permettre de comprendre de quoi il s'agit?
Elle a été conçue pour garantir qu'à partir du moment où je tente d'appeler quelqu'un, une personne doit en être à la case 1, c'est-à-dire qu'elle est suicidaire et qu'elle pourrait se blesser ou blesser quelqu'un d'autre, au point que l'intervention est élective. J'ai tenté de déterminer une période pour savoir si je dois contacter quelqu'un dans les deux heures, si quelqu'un doit voir la personne à risque dans les deux à sept jours. Le modèle tente de remplir autant de ces options que possible, jusqu'à une évaluation mensuelle. J'ai une représentation conceptuelle que je partagerai avec Michelle après avoir...
C'est un composé. Il n'y a pas d'endroit unique où ces systèmes ont été liés. En Ontario, Ottawa s'occupera de la consultation électronique; la Colombie-Britannique l'a faite... Elles ont chacun entre quatre et sept ans pour mettre ces deux initiatives en oeuvre et des examens de cas sont en place depuis quelque temps.
ECHO est un modèle issu de l'Arizona ou du Nouveau-Mexique pour leurs secteurs ruraux et périphériques. Chacune de ces initiatives a été à l'essai pendant près de dix ans, elles n'ont donc pas été mises en commun. Nous avons appris à faire l'essai et à prendre autant que possible des idées venant d'ailleurs.
Nous en utilisions déjà certaines, mais pas en tant que structure formalisée au niveau gouvernemental; cela n'a pas été mis en commun à un seul endroit.
Nous rencontrons régulièrement la même situation: certaines de ces choses relèvent du provincial et certaines du fédéral, et parfois même le Friendship Center en fait une grande partie. Est-ce que votre pyramide peut-être adaptée en fonction de ces différentes compétences?
Non, et c'est un de nos enjeux. Quand vous allez à Meno Ya Win, à Sioux Lookout, c'est presque à moitié fédéral et à moitié provincial. Je ne fais pas moi-même ces distinctions. Je confronte des défis du financement fédéral. Je veux utiliser un antipsychotique injectable à action prolongée pour un individu schizophrène issu des premières nations, mais ce n'est pas possible à cause des problèmes de financement.
Non, ce modèle ne leur offre pas de considération.
Je prévois des problèmes, en effet, mais je crois qu'il est possible de contourner la difficulté. Nous pouvons faire fonctionner le modèle en coopérant entre les lignes. Je crois qu'il faudra le faire.
Bien sûr. J'aimerais l'avoir devant moi afin d'y jeter un coup d'œil. C'est particulièrement de cela que je veux entendre parler davantage.
Je travaille actuellement sur un processus similaire en ce qui a trait au trafic humain : qui contacter en premier. C'est une de ses composantes. En Alberta, on parle du « 211 ». Pour tous les services de santé et les services humains dont vous avez besoin, vous faites le 211. Les informations s'étendent à partir de là.
Est-ce quelque chose que nous pourrions incorporer dans votre pyramide, ou est-ce spécifiquement pour la prévention du suicide?
Non. L'objectif est de donner la possibilité à un prestataire de soins médicaux d'avoir recours à l'avis d'un médecin spécialiste s'il en a besoin. Disons que je dois parler à un psychologue, à un psychiatre ou à un neurochirurgien à propos d'un de leurs patients qui est de retour dans la communauté. Je ne peux pas attendre sept ou trente jours pour qu'ils reviennent...
Donc, à la base, il s'agit davantage d'un professionnel que d'un membre de la famille ou quelque chose comme cela. Est-ce exact?
C'est intéressant.
C'est intéressant. Avez-vous connaissance de travaux en cours concernant un des niveaux qui précédent la base de votre pyramide? Comment pouvons-nous faire le lien avec les familles, ou simplement donner à ces familles un accès à un professionnel ou quelque chose comme cela?
Je sens que vous faites référence à des problèmes fondés sur les pairs et sur les familles.
M. Arnold Viersen: Oui.
M. John Haggarty: Il faut beaucoup de subtilité. C'est très fondé sur la communauté. L'important est que les gens se sentent invités comme familles ou comme paires pour engager un dialogue avec les services de santé. Cela commence maintenant à faire partie de la structure des modèles d'administration des soins de santé... par exemple, où pouvons-nous consulter les utilisateurs de ce modèle de service?
Je dirais que cela ne fait pas formellement partie de la plupart des structures, et cela ne fait certainement pas partie du modèle de prestation de service que j'ai mis de l'avant, mais le faire fonctionner est ce qu'il y a de plus important.
Merci.
Ceci met fin à notre table ronde pour l'instant.
Merci beaucoup docteure Bombay et docteure Haggarty d'avoir fait le voyage afin de venir nous rencontrer. Selon votre témoignage, l'étendue de votre expérience est claire. Ceci nous aidera grandement dans notre travail. Merci beaucoup.
Nous allons suspendre la séance pendant un court moment.
Nous poursuivrons la rencontre avec notre prochaine table ronde.
Le prochain témoin est le Dr Laurence Kirmayer, professeur et directeur de la Division de psychiatrie sociale et transculturelle de l'Université McGill. Il est également le directeur de l'unité Culture and Mental Health Research de l'Institut de psychiatrie communautaire et familiale de l'Hôpital général juif. Il se joint à nous par téléconférence depuis Montréal.
Bienvenue docteur Kirmayer. Il est très gentil de votre part de vous joindre à nous aujourd'hui. Nous avons le plaisir de vous offrir les 10 prochaines minutes pour votre exposé. Nous passerons ensuite à une période de questions par les membres du comité, si cela vous convient.
Merci beaucoup, monsieur le président.
C'est pour moi un privilège de pouvoir m'entretenir avec vous. J'ai le regret de ne pouvoir être présent sur place et je vous remercie pour votre patience en ce qui concerne les télécommunications. J'ai eu l'occasion d'entendre 20 à 25 minutes de la présentation de mes collègues, je tenterai de me baser un peu sur celle-ci en y allant de mes propres commentaires.
En ce qui concerne ma propre expérience et la perspective que j'apporte, sachez que le programme que je dirige à l'Université McGill est centré sur des problèmes de culture et de santé mentale. Il vise principalement à inclure les dimensions sociales et culturelles dans notre réflexion sur les problèmes de santé mentale. Je dirige également le Réseau de recherche en santé mentale chez les Autochtones qui a été financé par les IRSC pour développer des compétences à travers le Canada, afin d'effectuer des recherches qui répondent aux besoins des communautés, quant aux protocoles et aux sujets de préoccupation.
Ma propre recherche était motivée par mon expérience à titre de clinicien dans le nord du Québec et au Nunavut, laquelle remonte à la fin des années 1980, alors que j'avais rencontré plusieurs personnes ayant fait une tentative de suicide. En dépit de mes efforts et de ceux de plusieurs personnes au sein de la communauté, le problème s'est poursuivi en plusieurs endroits et il a d'ailleurs été exacerbé par un certain nombre de facteurs.
Ma propre recherche, qui s'étale maintenant sur plus ou moins 25 ans, en collaboration avec plusieurs collègues, visait à comprendre ce qu'il y a de caractéristique à propos des problèmes de santé mentale des peuples autochtones, particulièrement le suicide, avec l'intention de mettre au point des interventions significatives.
Je dirai quelques mots à propos de ce qui est caractéristique. Je vous présente à nouveau mes excuses. Je sais que cet exposé arrive après celles de plusieurs experts qui vous ont donné, je l'espère, un portrait très clair. Vous êtes sans doute déjà au courant d'une grande partie de ce que je vais vous dire. J'espère pouvoir répondre ensuite à vos questions en lien avec des problèmes spécifiques.
Ce qui distingue la situation des peuples autochtones au Canada est, avant tout, l'histoire commune de la colonisation et du mécanisme d'état qui ciblait spécifiquement les cultures et les coutumes d'un peuple et qui, ce faisant, a affecté le tissu communautaire pour des gens à un point tel qu'on en parle encore après des générations.
Ce qui constitue également un dilemme commun au sein de ces communautés est leur emplacement géographique, leurs cultures et leurs contextes, lesquels présentent des défis pour l'administration conventionnelle des services de santé mentale. Enfin, ce qu'il y a de caractéristique, en ce qui a trait à la santé mentale, est le fait que le suicide touche principalement les jeunes de ces communautés, d'abord au début de l'adolescence, puis chez les jeunes adultes, et qu'il apparaît à travers des groupes. Je crois que ceux-ci sont le reflet d'une dynamique sociale particulière et d'un contexte social particulier.
En plus de l'approche psychiatrique ou psychologique de la santé mentale, lesquelles tendent à se concentrer sur des caractéristiques individuelles et sur la vulnérabilité individuelle, tout type de connaissance est certainement pertinent afin de comprendre pourquoi une personne plutôt qu'une autre est vulnérable au sein d'une communauté. Cependant, en raison des niveaux élevés au sein de communautés entières et d'une cohorte de jeunes, nous pouvons observer des facteurs plus généraux. Ceux-ci sont principalement des facteurs sociaux et structurels. Ils incluent ce que j'ai déjà mentionné et ce que le travail de plusieurs intervenants, dont Amy Bombay, souligne. Je veux parler de l'historique de répression de la culture et d'assimilation forcée, ainsi que la perturbation de l'éducation des enfants qui en a résulté, en termes d'expériences vécues tôt par les jeunes de la communauté.
Puis, en plus de ces forces transgénérationnelles, il y a les problèmes structurels continus reliés à la pauvreté, à la pauvreté relative, pas uniquement aux contraintes absolues de l'infrastructure, mais à l'impression des jeunes face à leurs propres possibilités et à leur propre désavantage. Il y a également des problèmes de logement et le fait de vivre à l'étroit, des problèmes d'infrastructure, en plus des possibilités limitées en matière d'enseignement et de formation professionnelle. L'exposition à des taux élevés de violence interpersonnelle, de mauvais traitements subis durant l'enfance et de violence familiale résultant de problèmes liés à des traumatismes sont ajoutés à cela.
Finalement, dans la population en général, on est face à un dilemme quant à ce qu’on pourrait appeler la « fausse reconnaissance » des peuples autochtones du point de vue de leur histoire, de leur autonomie et de leur identité et, avec ça, dans bien des endroits, des dimensions racistes et discriminatoires qui blessent vraiment les gens énormément.
Toutes ces questions doivent être examinées pour tenter d’expliquer pourquoi certaines communautés, beaucoup de communautés autochtones, et les jeunes en particulier sont touchés. Également, dans une certaine mesure, nous devons réunir l’ensemble classique des connaissances dans le domaine de la santé mentale sur la vulnérabilité individuelle, ce qui oriente la plupart de nos interventions, et une perspective sociale plus large qui comprend ces violences historiques et contemporaines qui accroissent vraiment la vulnérabilité de toute une population.
Nous avons aussi entamé des recherches auprès de différentes Premières Nations et communautés inuites sur les questions de résilience parce que, bien que le taux de suicide soit élevé dans beaucoup de communautés, il y a bien sûr beaucoup d’autres communautés et beaucoup de familles et de personnes qui vont bien, même si les épreuves sont les mêmes. Encore une fois, nous supposons que ce que nous avons appris sur la résilience dans les travaux publiés dans le domaine de la psychologie générale est pertinent, mais dans notre recherche, nous tentons de regarder ce qui pourrait être spécifique aux communautés autochtones du point de vue d’aspects de la résilience.
En gros, quatre grands thèmes ont dominé ce travail.
Le premier a été la notion d’identité qui est comme liée au lieu, liée à la terre et liée à l’environnement, et le sentiment que le moi de chaque personne est profondément interdépendant de l’environnement. C’est particulièrement vrai pour les communautés vivant en région éloignée ou rurale, où les gens sont encore largement entourés d’un environnement vivant avec lequel ils se sentent émotivement en lien.
La seconde source distinctive de résilience — j’en parle parce que si nous examinons les facteurs de vulnérabilité, nous devons également explorer les pistes possibles de solution — tient au rétablissement de la tradition, de la langue et de la spiritualité, qui sont toutes des sources d’une identité positive dans lesquelles chacun d’entre nous puise pour arriver à comprendre qui nous sommes et d’où nous venons et éprouver un sentiment de fierté de notre histoire. Étant donné que c’était là une cible explicite des politiques de l’État dont j’ai fait mention, par exemple, les internats et d’autres politiques, le renforcement et la résurrection des traditions autochtones sont considérés comme une chose importante dans beaucoup de communautés.
Le troisième thème a un rapport avec la transmission orale des connaissances, l’idée qu’une source fiable de connaissances — les plus fondamentales sans doute — vient d’autrui et elle se présente sous la forme de récits ancrés dans la tradition et qui nourrissent un sentiment de savoir collectif qui peut ensuite être à la base d’une force de caractère et d’une capacité à résoudre les problèmes.
Pour finir, la chose qui a été évoquée par plusieurs communautés avec lesquelles nous avons travaillé, c’est la notion de militantisme politique. Étant donné les annales de leur déresponsabilisation et les conflits auxquels ils ont été confrontés, la capacité de se lancer dans l’action d’une certaine manière pour prendre le contrôle des institutions locales — comme le montrent les travaux de Michael Chandler et de Chris Lalonde — et la capacité d’avoir un sentiment d’émancipation et une voix commune constituent un enjeu très important, pour les jeunes gens aussi.
Nous nous sommes intéressés à la manière dont ce genre d’observations, qui proviennent des communautés elles-mêmes, pourraient se traduire en réels modes d’intervention. Une partie du défi vient du fait que le suicide, bien qu’il pose un problème urgent et demande une attention particulière, dans une certaine mesure, fait partie d’un plus vaste ensemble d’enjeux compliqués lié à la santé mentale et au bien-être, donc appelle probablement une approche sur plusieurs fronts à la fois, dont certains volets visent la forte vulnérabilité au suicide alors que d’autres cherchent à assurer un suivi auprès de personnes connues pour être à risque et à leur fournir les ressources appropriées pour prévenir l’aggravation de leur problème. En fin de compte, les interventions doivent viser la prévention à long terme, en commençant par les très jeunes enfants et les couples avant qu’ils soient parents, ensuite les jeunes enfants et la petite enfance, et en les aidant à renforcer leur résilience.
Je dirige une équipe de recherche sur la mise en œuvre de la prévention du suicide dans les communautés des Premières Nations, dans le cadre de l’initiative Voies de l’équité en santé financée par les IRSC. Ces dernières années, nous sommes associés à un projet de collaboration avec les communautés des Premières Nations visant à élaborer des stratégies de promotion de la santé mentale inspirées de la culture locale et qui permettent de faire un mélange des idées classiques en santé mentale de bien-être familial et de résilience de la jeunesse avec un cadre fondé sur la culture locale et l’identité.
Je crois que le message que je veux vous laisser, c’est que, pour moi, il n’y a pas deux possibilités. Les gens doivent avoir accès à des services de base adéquats en santé mentale, en particulier en période de crise et particulièrement pour les plus vulnérables, sans oublier que la communauté dans son ensemble peut tirer profit de stratégies de promotion de la santé mentale qui mêlent de bonnes idées pour améliorer le bien-être des familles, le bien-être de la communauté et la santé personnelle avec un renforcement de la culture locale et de l’identité.
Je vous remercie beaucoup.
Nous vous en sommes très reconnaissants, docteur Kirmayer.
Nous allons passer tout de suite aux questions des membres du Comité. Je veux simplement laisser savoir que nous allons continuer avec ce groupe de témoins jusqu’à 17 h 15; nous passerons ensuite aux affaires du Comité.
La première question posée à votre intention, docteur Kirmayer, viendra de Mike Bossio.
Je vous remercie beaucoup, docteur Kirmayer, d’être venu aujourd’hui nous faire un exposé remarquable et nous renseigner.
Ça concerne beaucoup de choses dont je parle dans le cadre de cette étude — les questions sur le rétablissement du patrimoine culturel et la fierté qui accompagne cette action, tout comme l’autonomie locale et le financement stable de longue durée. Convenez-vous que ce contact avec le patrimoine culturel, que ce soit la langue, les arts ou le territoire, est impératif face au caractère durable de l’épidémie de suicides à laquelle nous faisons face?
Je vous remercie, monsieur le président.
Je pense que c’est essentiel, mais il faut qu’il soit modulable, car dans la plupart des communautés, les points de vue sont vraiment multiples. Il y a des gens qui ont grand besoin de se sentir en lien avec leurs traditions historiques et qui veulent renouer avec elles. Il y a des gens qui ont d’autres idées. Dans certaines communautés, des gens s’identifient fortement avec diverses formes de la chrétienté contemporaine. Il y a d’autres sortes de formes d’identité nouvelles. Aussi, comme dans n’importe quelle autre communauté du Canada, les jeunes gens ont besoin d’une gamme d’options et doivent être en mesure de tirer leur force de l’une d’elles. On ne peut pas nier, cependant, que la communauté dans son ensemble a subi, comme peu d’autres, une sorte de sape de son identité collective. Cela peut être renforcé et soutenu pour le bien de tous, même ceux pour qui ce ne sera pas ce sur quoi ils vont asseoir leur nouvelle identité en tant que jeune homme ou jeune femme. Peut-être qu’ils veulent être un savant ou dans les affaires, ou encore faire autre chose dans la société en général.
Bien, je vous remercie infiniment.
Très rapidement parce que je veux donner un peu de temps à mon collègue Hunter Tootoo, et juste pour poursuivre la discussion, encore une fois, je suppose qu’il est impératif que les communautés soient les parties qui définissent les priorités. Par conséquent, le financement stable de longue durée doit être là pour assurer un soutien à ces priorités. Êtes-vous d’accord avec cela?
Oui, je suis tout à fait d’accord. Encore une fois, cela rend bien l’idée que le dilemme se pose quant au sentiment d’une perte de contrôle, et c’est ce qu’on comprend chez les adultes qui sont comme mandatés d’exercer un contrôle sur les jeunes gens qui essaient d’imaginer de quoi leur vie sera faite. Je crois que son rétablissement avec sérieux va être utile aux communautés.
Je vous remercie, monsieur le président.
Merci, monsieur Bossio.
Je vous remercie pour votre présentation. Il y a juste une question à laquelle je pense.
Vous avez parlé d’une approche sur plusieurs fronts à la fois et de l’importance de mesures de prévention de longue durée et de services de santé de base. Si vous avez travaillé dans le Nord du Québec et à Makivik, vous avez vu de vos propres yeux les défis que pose la prestation de ces services à ces endroits. Quelle importance accordez-vous à la capacité d’obtenir et de fournir ces services et à la capacité d’aider à régler cette crise dans ces communautés? Pouvez-vous indiquer certains des obstacles ou des barrières qui, à votre avis, pourraient empêcher la prestation de ces services dans ces régions plutôt rurales et éloignées?
Je vous remercie, monsieur le président.
J’ai mentionné une approche à volets multiples correspondant en partie à des dates différentes. Une personne qui a une forte crise a besoin qu’on l’aide et qu’on intervienne à ce moment-là, et cette situation exige des ressources particulières. Ça présente tout de suite un des dilemmes dans une petite communauté isolée, c’est-à-dire que nos modèles d’intervention d’urgence, par exemple, se passent en général dans une grande ville où les professionnels aidants ne connaissent pas personnellement les personnes en cause. C’est ainsi que la formation est donnée et c’est la procédure suivie lors des divers genres d’intervention. C’est très différent dans les petites localités, où il est probable que la personne en cause connaît très bien les personnes qui officiellement offrent leur aide. Cette situation offre des avantages et des inconvénients. Le bon côté, évidemment, c’est qu’il y a ou qu’il peut y avoir un lien affectif fort et une pleine compréhension de la situation difficile de la personne en cause. Le moins bon côté, c’est que ça peut atterrer le prestataire de soins. Ils peuvent penser que leurs interventions sont très limitées en raison de leurs liens avec les autres habitants des lieux, entre autres. C’est un peu pour cette raison que je dis qu’il importe d’avoir tant des ressources d’aide sur place qu’un soutien de l’extérieur, lorsqu’une communauté est confrontée à des situations particulièrement difficiles et à de très graves problèmes.
Rien ne saurait remplacer le soutien local, l’endroit sécuritaire où se réfugier, la personne qui peut accompagner les gens en situation de crise et qui est en mesure d’offrir le réconfort de la relation humaine et de la compassion face à la situation et sa solidarité et d’intervenir pour protéger de diverses manières.
Il faut tout autant des personnes qui sont capables de prendre du recul et d’offrir leur aide et leur soutien dans des conditions qui les placent en dehors des conflits locaux qui, à ce moment-là, touchent le jeune en cause, par exemple.
C’est un problème au cœur de la formation des travailleurs en santé mentale en milieu communautaire, que l’intervention d’urgence soit demandée par un poste infirmier, un travailleur communautaire, un centre d’entraide, une organisation religieuse ou une autre personne de la communauté. C’est un dilemme, et je crois que ça montre encore une fois l’importance d’utiliser cybersanté et d’autres moyens d’aider à distance les personnes qui sont les seules à pouvoir intervenir en raison de leurs connaissances approfondies.
Cela témoigne de l’importance aussi grande du problème par rapport à la catégorie intermédiaire d’interventions. Quand on pense à une intervention de catégorie intermédiaire dans ce cadre, on cherche à connaître les personnes, les jeunes en particulier, qui présentent un risque élevé de tentatives répétées de suicide ou, en fin de compte, de mort par suicide. Ces personnes peuvent avoir besoin de mesures d’intervention plus intensives, quelque chose qui ressemblerait à un nouveau combat de longue durée, avec une connexion dans les réseaux sociaux, une forme quelconque de thérapie cognitive ciblée, une thérapie comportementale dialectique, des formes d’intervention qui aident les gens qui ont des envies de suicide ou une idéation suicidaire récurrentes et intenses, afin de les aider à mieux les combattre. C’est une sorte d’intervention qui demande un certain savoir-faire, ce qui, encore une fois, devrait être exercée en associant des personnes de l’endroit et quelqu’un qui est disponible à l’extérieur de la communauté.
En dernier lieu, sur une plus grande échelle et d’une plus longue durée, dans l’espoir de véritablement éviter qu’un plus grand nombre de personnes se retrouvent dans la situation difficile de se sentir obligées d’envisager le suicide, il y a les programmes de prévention. Ces derniers, je crois, sont bien évidemment des choses qui peuvent être offertes d’abord et avant tout par la communauté, avec de l’aide extérieure pour la programmation.
Je vous remercie, monsieur le président.
Je tiens à remercier Dr Kirmayer de participer à notre étude sur le suicide. Les travaux durent depuis un bout de temps et tous les témoignages entendus à ce jour suggèrent le processus de guérison. Nous avons entendu des témoignages sur le suicide, la pauvreté, la détention et divers enjeux, depuis que le Comité a commencé à examiner les problèmes des Autochtones dans les communautés isolées et dans les communautés un peu partout au Canada. Nous ne devons pas seulement nous pencher sur les problèmes, mais aussi commencer à étudier les solutions proposées dans le rapport de la Commission de vérité et réconciliation.
Monsieur le président, je veux m’excuser auprès de Dr Kirmayer, mais pendant le temps qu’il me reste, en raison de l’importance du rapport de la Commission de vérité et réconciliation, je veux reprendre la discussion sur ma motion et que cette dernière fasse l’objet d’un vote. En voici le texte:
Que, conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, le Comité étudie les progrès réalisés par le gouvernement du Canada à l’égard de sa promesse de mettre en oeuvre les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, notamment les ressources utilisées et celles réservées, ainsi que les conséquences de la mise en oeuvre de ces appels; que figure à la liste des témoins notamment la ministre des Affaires autochtones et du Nord, la ministre de la Justice, la ministre de la Santé, la ministre du Patrimoine, la ministre des Sports et le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, des représentants du ministère Affaires autochtones et du Nord, du ministère de la Justice, du ministère de la Santé, du ministère du Patrimoine et du ministère de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté; et que le Comité fasse rapport de ses conclusions à la Chambre au plus tard le 1er juin 2017.
Merci beaucoup, monsieur Yurdiga.
Pour que Dr Kirmayer comprenne ce qui se passe, je dois dire que M. Yurdiga invoque le règlement du Comité, comme il a le droit de le faire, pour introduire un débat sur une motion antérieure qui nous a été soumise. Si nous procédons rapidement, nous vous rappellerons. Je vous prie d’attendre et nous appelons à votre patience. Merci.
Y a-t-il des observations sur la motion?
M. Anandasangaree, M. Viersen et, finalement, M. Angus.
Monsieur le président, je crois que nous avons beaucoup de temps pour les affaires du Comité vers la fin de la séance. Je pense que c’est impoli d’interrompre un très éminent interlocuteur qui est en train de nous communiquer une information très utile. Je demande respectueusement que l’on reporte le vote après la discussion prévue à 17 h 15.
Monsieur Anandasangaree, M. Yurdiga a le droit de faire cette demande, donc la réponse lui appartient, s’il le veut bien.
Merci, monsieur le président.
Je recommande fortement l’appui favorable de tous les membres du Comité. On nous a dit maintes et maintes fois que les recommandations de la Commission de vérité et réconciliation sont importantes pour la mise en branle du gouvernement. Nous voulons nous assurer que ça se fasse. Je pense qu’il serait très avantageux pour nous que de procéder à l’étude des recommandations de la commission et de leur mode de mise en œuvre. Je recommande l’adoption de la motion.
Merci, monsieur le président.
Je tiens à remercier Dr Kirmayer pour son excellent exposé. J’ai certes beaucoup de choses dont j’aimerais discuter avec lui.
Mon collègue a soulevé la question de la motion sur la vérité et la réconciliation. C’est très pertinent parce que ça se rapporte aux problèmes de la jeunesse; ce qu’on va faire avec les jeunes maintenant a fait l’objet d’une des principales constatations dans les appels à l’action de la commission. Le premier ministre avait promis de faire avancer toutes les recommandations et de les mettre en oeuvre. J’étais présent quand le premier ministre a donné sa parole aux survivants à cet effet. C’est une promesse qui compte plus qu’une promesse électorale. C’est une promesse solennelle faite par une nation, par le truchement de son parlement, par le truchement de son premier ministre.
Je dois dire publiquement que depuis le temps que je siège au Parlement, la journée où j’ai éprouvé le plus de fierté a été celui où j’ai entendu le précédent premier ministre adresser des excuses qui marqueront l’histoire. À cet instant, le Canada a dit qu’il redresserait la situation. La semaine dernière, nous avons pu voir que le travail incroyable de Gord Downie et de la famille Wenjack a touché les Canadiens. En tant que nation, nous souhaitons la réconciliation. Nous nous attendons à ce que nos représentants officiels amorcent la réconciliation. Nous nous attendons à ce que le premier ministre y donne suite. Je crois que ceci est une recommandation en faveur de l’étude du rapport. Ce n’est pas une question de partisanerie. Il s’agit de décider, par le truchement du Parlement du Canada, de la manière dont nous tiendrons la promesse faite, celle que le premier ministre, au nom de nous tous et de l’ensemble de la population canadienne, a formulée.
Si nous n’allons pas examiner la question de la vérité et de la réconciliation et de la mise en oeuvre des recommandations du rapport, j’interpréterai cela comme un signal clair que ce ne fut qu’une autre promesse qu’on n’a pas l’intention de tenir, juste une autre combine. Le message serait très négatif. Nous devons veiller à ce que cette relation entre nations soit teintée de respect. Il est tout à fait raisonnable que notre comité étudie le rapport. À qui d’autres pourrait-on confier ce travail, si ce n’est pas nous qui le faisons? Nous pouvons demander aux ministres où ils en sont. On ne cherche pas la confrontation. Nous sommes tous dans ce bateau, le Parlement du Canada, le peuple canadien. Nous voulons emprunter ce chemin.
Je remercie mon collègue d’avoir pris l’initiative de cette démarche et d’avoir mis cela de l’avant. Je suis convaincu qu’il est très important de voter sur cette motion.
Je vous remercie monsieur le président ainsi que tous les membres du comité. Je ne suis plus affecté au comité en permanence, mais j’y ai siégé plus de deux ans à titre de secrétaire parlementaire. J’ai été témoin de l’excellent travail et de l’esprit de collaboration qui y régnaient, et j’ai entendu dire que c’est toujours le cas aujourd’hui.
J'ai de brefs souvenirs, tout comme Charlie, du Parti libéral du Canada affirmant — avant même que le rapport complet soit déposé — qu’ils acceptaient sans faute toutes les recommandations, chacune d’entre elles, et qu’ils les mettraient en œuvre. C’était là une partie de leur promesse solennelle faite aux Canadiens autochtones et à tous les Canadiens.
Je crois sincèrement que M. Yurdiga progresse dans la bonne direction en abordant ce sujet. Vous parlez aujourd’hui du suicide au sein des peuples et des communautés autochtones. Nous pouvons, à partir de la situation actuelle, surtout dans les réserves, remonter jusqu’au sombre chapitre de l’histoire canadienne qui touche les pensionnats autochtones. Ce problème, qui touche plusieurs générations, continue de se manifester aujourd’hui.
Il ne s’agit pas de blâmer le professeur; je dirais plutôt que ce problème est très important et pertinent dans le cadre de l’étude que nous entreprenons aujourd’hui, étant donné qu’une promesse a été faite.
Cela fait maintenant près de deux ans. Il nous faut une mise à jour sur les progrès réalisés et les objectifs mesurables. Nous devons passer de la parole aux actes. Toutes les belles paroles, qui ne sont que des promesses, sur l’amélioration du sort des communautés autochtones, ne sont que paroles en l’air si elles ne sont pas suivies d’actions concrètes.
C’est sur cela, en tant que députés conservateurs siégeant à ce comité, que nous voulons mettre l’accent. En tant que députés de l’opposition officielle, nous voulons la rédaction d’un rapport, ne serait-ce que pour obtenir cette mise à jour.
Certes, les travaux des comités sont en cours, ce que le public ou le témoin ignorent peut-être, c’est que les discussions ont lieu à huit clos et ne sont pas publiques. Si cette motion est présentée en privé et qu’elle n’aboutit pas, je crois bien que les Canadiens sauront ce qui est arrivé en constatant l’appui unanime que la motion a eu de ce côté-ci de la table.
Nous réclamons un débat public. Pourquoi? Parce que nous pensons que c’est la bonne chose à faire, qu’il faut obtenir la mise à jour des progrès réalisés et que tout soit fait dans le respect. Nous tenons un discours honnête et personne ne souhaite embarrasser qui que ce soit. Nous voulons seulement que des discussions tangibles et sérieuses soient entamées, et qu’elles aient lieu en public; et nous demandons un vote public. C’est d’ailleurs pourquoi M. Yurdiga présente la motion à ce moment-ci. Je l’en félicite et je l’appuierai.
Oui. En fait, je propose de passer à une autre affaire parce que nous avons des témoins. Ce serait, je crois, un manque de respect de les faire attendre.
Je pense que M. Anandasagaree propose une motion dilatoire pour ajourner le débat en vue de passer à un autre sujet, et il en a le droit.
Désolé, je voudrais seulement apporter des précisions. On a fait valoir que nous devions tenir un vote sur cette motion proposée par la Commission de vérité et réconciliation, et je suis certainement prêt à voter en faveur de cette motion. Je ne vois pas où mon collègue veut en venir. Est-ce parce qu’il refuse que nous débattions de cette motion en public? S’oppose-t-il à la motion? Pourrait-il nous expliquer? Car je crois comprendre que les conservateurs appuieront l’étude de la Commission de la vérité et réconciliation. Je vais certainement voter en faveur de l’étude des recommandations avancées par la Commission de la vérité et réconciliation.
Je ne sais pas trop ce qu’il propose en ce moment; je ne saisis pas très bien ce qu’il dit et ce que vous dites. Est-il en train de dire qu’il souhaite présenter la motion...?
En fait, en ce moment, j’ai la parole et je demande des précisions. Monsieur le président, avec tout le respect que je vous dois, vous êtes notre président. J’aimerais qu’on m’aide à comprendre ici, alors je prends la parole.
M. Anandasangaree propose une motion dilatoire qui vise à ajourner le débat sur le sujet de la motion présentée par M. Yurdiga. Il en a le droit, tout comme M. Yurdiga avait le droit de soulever cette motion encore aujourd’hui.
On a demandé un vote, et on a précisément demandé la tenue d’un vote par appel nominal.
Je vais poser la question encore une fois à tous ceux qui sont en faveur de la motion...
Je suis désolé; je vous prie de m’excuser.
Pourriez-vous répéter votre motion s’il-vous-plaît, Gary?
Merci pour les précisions.
Vous êtes tous en faveur de la motion pour passer à une autre affaire?
(La motion est adoptée par 5 voix contre 4.)
Le président: Sur ce, retournons au témoignage du Dr Kirmayer.
David, si vous souhaitez poser une question au Dr Kirmayer, vous avez encore une minute.
Je vous remercie très sincèrement.
Nous entendons parler de bon nombre de problèmes à propos de l’isolation. Comment la technologie influe-t-elle sur ces questions? A-t-on des indicateurs que la situation s’améliore et que, par exemple, les psychiatres et psychologues ont un contact direct avec leurs homologues ou les personnes qui recherchent des services de counselling?
Merci monsieur le président.
Merci, monsieur le député.
Selon moi, tout porte à croire que le réseau Internet et les télécommunications permettraient de prendre un engagement réel envers les personnes, de leur offrir un soutien, d’offrir des séances de psychothérapie et j’en passe. C'est surtout le cas chez les jeunes, qui sont souvent adeptes des différents médias sociaux et des télécommunications, et qui sont peut-être plus à l’aise de les utiliser. Ceci étant dit, rien ne peut remplacer la présence physique, que ce soit la présence de quelqu’un qui souhaite connaître les réalités de la communauté ou la présence physique d’une personne qui est là pour vous. Encore là, le scénario idéal est complexe. Il est plus facile, par exemple, d’offrir un soutien à une personne par Internet si vous l’avez déjà rencontrée au moins une fois et que vous voulez consolider ou améliorer la relation que vous avez établie.
Nous avons maintenant de bonnes raisons de croire qu’il est possible de fournir à distance une grande variété d’interventions en matière de santé mentale qui sont plus acceptables qu’on pourrait le croire; voilà qui témoigne de la confiance croissante de nombreuses personnes envers ces types de communications.
Merci, monsieur le président.
Merci, docteur, pour cette discussion.
J’ai été fasciné par vos propos sur la perturbation des obligations parentales. Je ne sais pas si je me suis suffisamment penché sur ce problème. Nous pouvons constater la déficience du système de protection de la jeunesse et les énormes conséquences qui ont été soulevées dans l’ouvrage de Cindy Blackstock. Si on examine les statistiques, nous constatons que, chez les familles autochtones, il est d’usage de retirer l’enfant de la famille plutôt que de fournir un soutien à la famille à la maison. S’il s’agit d’une famille non autochtone, des services de soutien seront mis en place en vue d’appuyer la famille. Nous sommes aux prises avec cet éclatement perpétuel des familles depuis les années soixante, et encore aujourd’hui.
Quelles sont, selon vous, les répercussions déstabilisatrices sur les jeunes et sur les taux de suicide?
Je crois que vous mettez le doigt sur un important problème qui se pose à différents niveaux. Parce que des générations ont été exposées à des milieux institutionnels dans les pensionnats autochtones, les jeunes, c'est indéniable, ont des modèles parentaux qui laissent à désirer dans plusieurs de ces environnements. La responsabilité parentale, c’est quelque chose qui, du moins en partie, doit être appris; ce n’est pas inné. Vous devez être exposé à des modèles positifs. Si votre modèle provient d’un environnement rigide et parfois violent, il sera donc, jusqu’à un certain point, le modèle à suivre. Des cohortes entières ont ainsi été touchées, et les répercussions, au-delà du noyau familial, s’étendent jusqu’à toute la communauté.
En effet, dans le cadre de l’intervention visant la promotion de la santé mentale que nous avons entreprise ces dernières années dans certaines communautés des Premières nations, les parents ont été très enthousiastes à l’idée de former des groupes de parents pour discuter entre eux et pour mettre en commun leur expérience, leurs idées et leurs façons d’aborder le dilemme auquel ils font face avec leurs enfants.
Et il faut tenir compte d’une autre réalité: de nombreuses communautés, de par leur nature, sont fondamentalement différentes de ce qu’elles étaient il y a 100 ans. Si on prend par exemple l’ampleur des communautés, de nombreux gens du Nord vivaient jadis en nomades, en petits groupes. Or le genre de modèle parental qui fonctionne très bien dans cet environnement peut ne pas convenir dans des communautés de 500, 600 ou 1 000 personnes. Il nous faut de nouvelles perspectives. Nous sommes au milieu d’une refonte des responsabilités parentales. Sortir un enfant de la communauté sans tenter de renforcer les compétences parentales ni aider à leur développement, c’est générer un sentiment de déstabilisation et de vulnérabilité dans la communauté.
C’est aussi rater une occasion d’aider les gens à renouer avec les notions traditionnelles du rôle parental, et avec certains des aspects qui doivent être adaptés à un environnement moderne, au réseau Internet et aux autres possibilités qui s’offrent à nos jeunes dans les plus grandes communautés.
Je vous remercie.
Permettez-moi d’ajouter quelque chose. Je vivais dans une communauté quand une vague de suicides a frappé. Il fallait tenter de stabiliser une jeune, mais aucun service en santé mentale n’était disponible et il était impossible de l’emmener en avion. On m’a dit sur le terrain que lorsqu’une jeune personne est considérée comme étant à risque de commettre des actes d’automutilation, il faut faire un signalement. Si ensuite le seul outil à votre disposition est un marteau, alors le marteau est utilisé. Le marteau, ce sont les services d’aide à l’enfance. L’enfant est alors retiré et placé sous la responsabilité des services de protection de la jeunesse, de sorte que les jeunes se sentent perdus. Il devient par conséquent difficile d’exercer un suivi des jeunes à risque. Si nous n’avons d’autre outil dans la communauté que le système d’aide à l’enfance, les répercussions ne peuvent être que négatives.
J’aimerais connaître votre avis sur la pertinence de mettre en place de nouvelles stratégies de prévention proactives pour éviter que le jeune commette le suicide. Ces stratégies nous aideraient-elles à démanteler ces groupes à risque de suicide avant qu’ils ne se forment?
Vous avez tout à fait raison. J’ai d’ailleurs vécu une expérience il y a maintenant plusieurs années à Inukjuak, dans le Nord du Québec. À l’époque, la communauté avait mis sur pied un genre de refuge ou de centre de crise pour les jeunes qui envisageaient le suicide. Un endroit où aller et rencontrer, 24 heures sur 24, tous les jours, une personne âgée ou un aîné de la communauté sur qui compter. Les jeunes pouvaient compter bénéficier d’un soutien sur place et parler aux membres de leur famille, dans le but d’atténuer la crise en quelque sorte. Il est ainsi possible de combattre plus efficacement le problème et, qui plus est, d’intervenir positivement de manière à créer un effet direct ou d’entraînement dans la communauté, plutôt que de simplement retirer l’enfant de la communauté.
Nos mécanismes actuels de protection des enfants, vous avez raison, sont relativement rudimentaires. Ils consistent à intervenir lorsqu’une situation semble mettre une vie en danger, mais ils ne permettent pas d’escalader les interventions, ce qui pourrait être plus constructif. Je crois que le moment est choisi pour réfléchir efficacement à tout cela.
Selon moi, on semble avoir l’impression dans la communauté non autochtone que les enfants sont retirés parce qu’ils sont à risque de subir de mauvais traitements ou de la violence. Or, nous nous sommes occupés du cas d’une jeune femme qui subissait un traitement relativement à un risque de suicide. On lui a retiré ses enfants parce qu’elle n’avait pas d’endroit où rester, et elle n’allait retrouver la garde de ses enfants que si elle réussissait à se trouver un endroit où rester. Ces enfants ont été placés dans une communauté non autochtone située à 1 000 kilomètres de leur communauté. Elle n’avait aucun moyen de récupérer ses enfants, car aucun logement n’était disponible. Elle fait l’objet par conséquent d’une surveillance pour risque de suicide, mais les circonstances sont telles que ni elle ni les membres de sa famille ne sont en mesure de garder sa famille ensemble. Encore là, nous disposons d’outils vraiment rudimentaires, mais ces outils sont incroyablement efficaces pour détruire des vies.
Vous avez donné un exemple extrêmement important, non seulement parce que la situation est pénible et urgente, mais aussi parce qu’il souligne deux angles morts dans notre façon d’aborder ces problèmes.
D’abord un problème structurel social, comme une pénurie de logements, peut avoir de profondes répercussions sur la façon dont les personnes feront face aux situations. Dans ces circonstances, le système de santé mentale est aux prises avec cette situation, il tente encore de résoudre le problème en termes de vulnérabilité et de caractéristiques individuelles parce que ce sont les seuls outils dont nous disposons. On essaie de prendre un virage pour miser sur l’aspect qui doit être changé sur le plan structurel.
Ce virage pose aussi un problème en termes d’interventions sociales. Je pense que vous avez raison de dire que bien souvent, la société canadienne — non seulement les professionnels, mais aussi la société dans son ensemble — n’a pas le bon portrait des contraintes réelles et des compromis qui s’imposent dans les communautés éloignées ou de petite taille. Ces récits doivent être entendus, afin que que les gens comprennent le type d’impasse qui est inhérent au système et qui demande une réponse plus flexible et adéquate.
Je crains que nous sommes maintenant à court de temps pour cette discussion.
Je tiens à vous remercier, docteur Kirmayer, au nom de tous les membres du comité, pour votre témoignage éclairé et réfléchi. Il nous sera d’une grande utilité à mesure que nous poursuivons nos travaux.
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