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Oui, c'est confirmé. Il sera ici assurément, à moins qu'il ait un empêchement.
J'allais souhaiter la bienvenue à vous tous et toutes après une longue pause pendant l'été, mais, puisque nous nous sommes vus récemment, j'ai déjà eu l'occasion de le faire.
Aujourd'hui, M. Godin est ici en remplacement de M. Leslie, je présume, tandis que M. Martel remplace M. Deltell. M. Boulerice, qui participe à la réunion par vidéoconférence, remplace Mme Collins. M. Drouin remplace M. van Koeverden. Enfin, M. Simard accompagne Mme Pauzé.
Évidemment, vous connaissez les mesures mises en place pour prévenir les accidents acoustiques. Par exemple, lorsque vous n'utilisez pas votre oreillette, veuillez la déposer sur l'autocollant prévu à cette fin sur votre pupitre.
Nous avons aujourd'hui une longue réunion, qui se terminera à 13 h 30 et au cours de laquelle nous recevrons trois groupes de témoins.
Pour commencer, nous recevons Mme Justina Ray, qui est présidente de la Wildlife Conservation Society of Canada et scientifique chevronnée au sein de cette société. Nous recevons également M. Martin Bouchard, qui est directeur de l'Association québécoise des entrepreneurs forestiers. Nous recevons aussi trois représentants de la Confédération des syndicats nationaux, soit M. Yvan Duceppe, trésorier de la CSN, ainsi que le conseiller politique Julien Laflamme et la conseillère syndicale Isabelle Ménard. Enfin, nous recevons deux représentants de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec, soit M. Denis Bolduc, qui est le secrétaire général de la FTQ, et M. Patrick Rondeau, qui est conseiller syndical en matière d'environnement et de transition juste.
Pour chacune des allocutions d'ouverture, vous disposez de cinq minutes.
Nous allons commencer par vous, madame Ray. Vous avez la parole pour cinq minutes.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie le Comité de m'avoir invitée à prendre la parole aujourd'hui. Je m'appelle Justina Ray, je suis présidente et scientifique principale de la Wildlife Conservation Society Canada, mais je suis également professeure auxiliaire à l'Université de Toronto et à l'Université Trent. Je suis biologiste de la faune de formation. Je travaille sur différents aspects du caribou depuis près de 20 ans en menant des recherches sur le terrain en Ontario; en dirigeant des évaluations de l'état du caribou pour le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada, ou COSEPAC; et en conseillant les gouvernements provinciaux et fédéral sur le rétablissement du caribou et son habitat essentiel.
Mes observations d'aujourd'hui porteront directement sur le premier point de l'étude du Comité: les menaces qui pèsent sur le caribou et les mesures qui peuvent être prises pour le protéger. Je vais expliquer pourquoi le décret d'urgence proposé n'est pas une intervention radicale; pourquoi les preuves scientifiques existantes sont suffisantes pour agir; et pourquoi cette intervention, bien qu'elle soit nécessaire pour rétablir les populations de caribous, n'est qu'une mesure provisoire.
Tout d'abord, d'après mon examen des données existantes, le décret d'urgence est non seulement justifié, mais il aurait pu être élargi pour les caribous. Il cible trois populations de caribous forestiers au Québec qui présentent un risque d'extinction exceptionnellement élevé, mais nos données probantes montrent que le décret aurait pu être appliqué à d'autres populations du Québec qui sont également en danger. De plus, la portée du décret est minime puisqu'elle vise des domaines d'intérêt limités dans chaque zone ou aire de répartition, et les interdictions ne restreignent pas tout. Par exemple, elles ne limitent pas les activités minières. Dans l'ensemble, l'intervention proposée pour le rétablissement du caribou est une réponse limitée à une situation d'urgence bien documentée.
Mon deuxième argument est que ceux qui ne sont pas à l'aise avec les résultats des évaluations scientifiques emploient souvent la tactique de demander des études supplémentaires. Je vous conseille fortement de ne pas capituler devant ce discours. Le caribou forestier est l'une des espèces fauniques les mieux étudiées au Canada. La recherche montre constamment que les perturbations de l'habitat entraînent un déclin des populations. Ce lien a été documenté à maintes reprises dans de multiples administrations canadiennes et reconnu par les gouvernements, y compris celui du Québec.
Effectivement, des biologistes du gouvernement du Québec ont effectué, selon les normes les plus élevées, les relevés de population qui constituent la base de cette évaluation. Ces relevés ont produit des données de grande qualité qui donnent un portrait clair de l'état des populations de caribou forestier dans la province. De même, la perte et la dégradation de l'habitat dans ces zones sont très bien documentées. Les trois populations visées par le projet de décret d'urgence ne cessent de voir leur habitat rétrécir à un point tel que des estimations plus précises ne changeraient pas le diagnostic global de la situation. Il reste très peu d'habitats, quels qu'ils soient, dans ces trois aires de répartition. Des analyses d'habitat plus poussées ou détaillées ne sont donc pas nécessaires. Dans la même logique, un report de l'intervention sous prétexte de vouloir obtenir plus de données ne fait qu'accroître le risque de pertes irréversibles et rend les efforts futurs plus coûteux et complexes si votre objectif est de rétablir les populations de caribous.
Mon troisième argument, c'est que le décret d'urgence proposé est fondamentalement une mesure provisoire d'urgence visant à faire face à une crise immédiate. Il s'agit d'une étape critique et urgente pour prévenir d'autres déclins pendant que des solutions systémiques permanentes sont élaborées et mises en œuvre. Il est important de souligner que ni le Canada ni le Québec n'ont déclaré que la prévention de l'extinction à elle seule suffit, pas plus qu'ils n'ont dit que d'autres facteurs devraient justifier la perte de ces populations. Ils soutiennent toujours qu'ils veulent des populations autosuffisantes, mais les mesures concrètes se limitent à peu près au programme de surveillance lancé en 2017. Notre vaste expérience nous enseigne que ces retards continus réduisent les chances de réussite et entraîneront des coûts plus élevés à long terme.
En conclusion, les preuves scientifiques à l'appui de la nécessité d'une intervention d'urgence sont claires et convaincantes. Par conséquent, le décret d'urgence proposé n'est pas une réaction excessive, mais plutôt une réponse nécessaire et proportionnée à une crise qui se prépare depuis des années — si, je le répète, l'objectif est de rétablir les populations de caribous pour qu'elles soient autosuffisantes. La situation n'est pas unique au Québec. Des défis semblables existent partout au Canada où les populations de caribous forestiers sont en déclin et ont atteint ou sont en voie d'atteindre un statut d'urgence.
C'est tout. Merci beaucoup.
Chers membres du Comité, participants et participantes, l'Association québécoise des entrepreneurs forestiers, ou AQEF, vous remercie de l'occasion qui lui a été donnée de vous faire part de ses commentaires sur le décret d'urgence pour la protection du caribou forestier.
L'AQEF est née d'un désir des entrepreneurs forestiers d'être reconnus, consultés et entendus, car il s'agit quand même du premier maillon de la chaîne d'approvisionnement dans l'aménagement durable et responsable de nos forêts. Fondée en juin 2021, notre association compte, si l'on inclut une trentaine de membres associés, au-delà de 150 membres entrepreneurs actifs, alors qu'on estime que 500 membres forment maintenant ce groupe au Québec. Ce sont tous des gens grandement vaillants, qui sont passionnés par cette belle et grande ressource aux multiples fonctions qu'est la forêt et qui adoptent une approche intégrée, ouverte et respectueuse.
Par notre présence aujourd'hui, nous souhaitons attirer votre attention sur les préoccupations importantes liées au projet de décret visant à protéger les caribous, dont les implications potentielles pourraient avoir des répercussions considérables, voire désastreuses, sur notre secteur d'activité et sur les dizaines de communautés qui en dépendent.
Nous comprenons et partageons la préoccupation générale pour la conservation de la faune et la préservation de notre environnement naturel. Les caribous sont en effet une espèce emblématique, et il est bien justifiable de prendre des mesures appropriées pour leur protection. Toutefois, il est essentiel que les décisions relatives à leur protection soient équilibrées et qu'elles tiennent compte des répercussions qu'elles génèrent plus largement sur le plan économique, social, environnemental, et même culturel.
Selon les informations disponibles et rapportées, le projet de décret visant à créer des zones de protection accrue pour le caribou dans certaines régions forestières du Québec, soit Val‑d'Or, Charlevoix et Pipmuacan, pourrait entraîner des restrictions sévères pour les activités d'aménagement forestier, notamment la suspension de l'exploitation dans des zones clés désignées comme des habitats critiques pour les caribous.
Vous l'avez sans doute déjà entendu de la part d'autres intervenants dans le cadre de vos travaux, mais je répète que le gouvernement fédéral et le forestier en chef du Québec évaluent tous deux à 4 % les pertes annuelles de possibilités forestières, soit les volumes de bois récolté. Cela équivaut à 1,4 million de mètres cubes de moins par année. Ces pertes estimées sont supérieures à celles entraînées par les feux de forêt de l'année de misère qu'on a connue l'an passé.
Les médias ont largement diffusé les résultats d'une analyse d'impact produite par Environnement et Changement climatique Canada et Ressources naturelles Canada en août dernier. Selon celle-ci, une pareille diminution des possibilités forestières représenterait une perte de 670 millions à 895 millions de dollars sur 10 ans pour l'économie québécoise, aurait des contrecoups dans au moins 28 communautés et toucherait 1 400 travailleurs.
Comme l'a relaté Radio‑Canada, notamment, cette analyse produite par le fédéral dresse une liste de 35 scieries qui pourraient être directement touchées par le décret d'urgence, ainsi que 10 usines de fabrication de produits de bois, trois usines de pâtes et papiers, deux installations de cogénération et de produits énergétiques, et trois autres entreprises de type coopératif. Au total, il s'agit de 53 entreprises.
Or, cela semble omettre manifestement un acteur de premier plan agissant depuis le parterre et jusqu'à l'usine, c'est-à-dire les artisans de la forêt que sont les entrepreneurs forestiers. Depuis des générations, ces véritables petites entreprises s'associent avec des gens passionnés qui aiment l'aménagement forestier et qui en vivent au sens large. Les priver de 1,4 million de mètres cubes de bois, c'est menacer toutes ces entreprises de fermeture et de faillite.
En récolte seulement, si l'on considère qu'une entreprise type a un volume annuel moyen de 60 000 mètres cubes, a investi 2 millions de dollars ou plus dans de l'équipement moderne se constituant d'une abatteuse, d'un transporteur, de trois camionnettes et d'un camion, et compte une équipe de cinq à six employés, y compris le propriétaire, c'est au moins 25 entreprises de récolte qui, en étant privées de plus de 49 millions de dollars de revenus par année, seront sérieusement menacées de fermeture ou de faillite ou seront contraintes de se réorienter.
C'est sans compter toutes les personnes qui travaillent en voirie ou dans le chargement et le transport de cette ressource renouvelable, qui en subiront tout autant les conséquences, assurément.
Par extrapolation, il est aisé d'estimer au double les conséquences directes pour nos entrepreneurs forestiers si l'on maintient l'approche d'un cocon hermétique. Nous sommes convaincus que ces restrictions compromettront la viabilité de nombreuses entreprises. Elles entraîneront des pertes d'emplois de qualité, une diminution importante des flux de trésorerie entre les entreprises et, forcément, une forme de dévitalisation de plusieurs communautés qui dépendent largement des activités forestières, ce qui réduira du même coup leur qualité de vie et leur capacité à soutenir des infrastructures et des services locaux.
Il ne faut surtout pas oublier que l'entrepreneur forestier vit, investit et s'implique dans sa communauté. Il est un vecteur de vitalité et de dynamisme à l'échelle locale. Il paie des taxes, fait des achats, donne des commandites et fournit du travail de qualité à des gens, qui peuvent ainsi pourvoir aux besoins de leur famille et, à leur tour, dépenser chez eux et habiter de manière satisfaisante un lieu d'appartenance actif.
Bref, l'idée que nous voulons faire valoir ici, c'est que tout est interrelié, comme vous le savez sans doute, et qu'il faut éviter l'exode et l'appauvrissement du Québec et des régions dans leurs créneaux d'excellence...
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Dans un premier temps, je vous remercie beaucoup de nous recevoir aujourd'hui.
Vous le savez peut-être, mais la CSN représente plus de 330 000 membres de tous les secteurs au Canada, et je tiens à mentionner que nous représentons beaucoup de travailleurs du secteur forestier.
Parlons des raisons pour lesquelles nous sommes ici aujourd'hui.
Bien sûr, il y a le fait que le gouvernement du Québec n'a pas réagi comme il aurait dû réagir. Nous attendons depuis déjà quelques années qu'il dépose un plan pour la protection du caribou. Malheureusement, on reporte cela d'une fois à l'autre. Nous ne sommes pas ici pour nous opposer au décret d'urgence, car nous pensons qu'il y a véritablement urgence. Cela dit, idéalement, nous souhaiterions que ce soit toujours des ententes négociées avec les provinces, dans la mesure du possible. Je comprends que, dans ce cas-ci, cela n'a pas pu avoir lieu.
Si nous participons aujourd'hui aux travaux de ce comité, c'est parce que nous sommes conscients que l'application de ce décret va avoir des répercussions. Pour protéger les caribous, évidemment, il faut couper moins de bois. Cela a été démontré par les scientifiques. C'est essentiel. Au-delà de cela, ce que nous avons devant nous, c'est surtout une illustration patente de la nécessité d'effectuer une transition juste. C'est fondamental. Le gouvernement fédéral lui-même a signé une entente, lors de la COP27, en faveur de la transition juste. Nous comprenons que c'est souvent relié au pétrole, au charbon, et ainsi de suite, mais cela ne s'y limite pas. Cela touche aussi la forêt, dont nous parlons en ce moment, et il peut aussi y avoir des effets sur d'autres secteurs, comme le récréotourisme et les pêcheries. Nous pensons qu'un plan de transition juste est fondamental pour maintenir une protection sociale et atténuer les conséquences à la fois pour les travailleurs et les communautés.
Alors, nous disons oui à un décret d'urgence, mais il faut prévoir ce genre de choses.
Par exemple, si des travailleurs sont touchés, pourquoi ne pas leur offrir de la formation pour qu'ils puissent devenir plus polyvalents et se réorienter? On pourrait prévoir une mesure transitoire pour les travailleurs qui auraient de la difficulté à se réorienter.
Nous sommes conscients que ce décret risque d'entraîner une baisse des possibilités forestières. Par exemple, j'ai entendu le forestier en chef du Québec présenter des données et parler de pertes importantes. D'autres données indiquent toutefois que la situation pourrait être un peu moins grave. Je ne nie pas qu'il y aura des conséquences, mais il faudrait peut-être un lieu plus neutre pour mesurer concrètement les pertes qui seraient engendrées.
À notre avis, pour trouver des solutions, il va falloir une collaboration interministérielle et intergouvernementale, parce que cela va impliquer plusieurs chantiers. Il va falloir aller de l'avant, et cela inclut l'industrie forestière elle-même. Celle-ci pourrait-elle se concentrer davantage sur les produits à valeur ajoutée, par exemple? On tente d'y arriver depuis de nombreuses années, et il faut continuer dans cette voie.
Enfin, ce que nous vous disons, c'est qu'il faut prévoir des mesures visant à soutenir les gens comme il faut durant la transition, que ce soit à l'aide de l'assurance-emploi ou de programmes de formation. Il faut trouver des façons d'offrir une aide ciblée aux gens qui seront touchés.
Pour nous, il y a une transition à faire. Tantôt, on a évoqué les feux de forêt. Nous en sommes conscients, mais ce sont un peu les changements climatiques qui en sont la cause. Alors, il y a une transition à faire à court, à moyen et à long terme, mais nous voulons qu'elle soit juste et qu'elle tienne compte à la fois des travailleuses et travailleurs et des communautés.
Je vous remercie.
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Monsieur le président, mesdames et messieurs les parlementaires, je vous remercie d'avoir invité la FTQ à s'exprimer sur le décret d'urgence visant la protection du caribou forestier, en vertu de la Loi sur les espèces en péril, ainsi que sur les conséquences engendrées pour les travailleurs et les travailleuses du secteur de la foresterie.
Pour la FTQ, il s'agit d'un secteur qui représente 15 000 membres, principalement chez Unifor et au Syndicat des métallos.
Nous sommes reconnaissants à votre comité de nous avoir invités aujourd'hui, évidemment, même si nous n'avons pas vraiment d'éloges à faire au présent gouvernement quant à la gestion du dossier. Depuis 2017, la FTQ s'efforce de convaincre le gouvernement canadien qu'il est urgent de mettre en place une politique sur la transition juste, un concept pourtant consacré sur le plan international et endossé par le Canada dans le cadre de l'Organisation internationale du travail et de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques.
En réduisant le débat de la transition juste au seul secteur des énergies fossiles et en créant un imaginaire toxique autour du terme, le gouvernement canadien s'est privé de tous les outils mis à sa disposition pour faire face à une crise telle que celle qu'on vit au sujet du caribou et pour assurer la survie de l'industrie forestière.
Depuis des années, la FTQ exhorte les différents ordres de gouvernement à se pencher sur les défis de la transition écologique et à la planifier avec ceux et celles qui en subiront les effets, et ce, dans les différents secteurs d'activité économique. L'urgence actuelle de protéger le caribou forestier sans aucun autre plan que de définir des territoires protégés est un exemple parfait de la situation.
Depuis le début, la FTQ appuie la nécessité de protéger le caribou forestier. La centrale était d'ailleurs présente à la COP15 sur la biodiversité, tenue à Montréal en 2022, et a appuyé l'adoption de l'accord de Kunming‑Montréal, qui vise la protection de 30 % des terres et des océans d'ici 2030. Ces appuis doivent impérativement s'accompagner de mesures de transition juste, et nous l'avons rappelé à maintes reprises au gouvernement fédéral. La FTQ est cohérente quant aux impératifs de la crise climatique et à l'effondrement de la biodiversité, mais elle est également pragmatique quant aux besoins de ses membres et de leur communauté. Une crise ne doit pas en engendrer une autre.
La FTQ a également reçu favorablement l'adoption de la Loi canadienne sur les emplois durables, mais elle a critiqué le fait que cette loi ne comportait pas véritablement d'éléments de transition juste. En fait, cette loi regarde en avant, mais elle laisse derrière des travailleurs et des travailleuses. Cette loi ne permet pas de préparer la main-d'œuvre à une transition et à une transformation. Le problème du caribou en est un exemple frappant.
Nous comprenons pleinement la décision d'Ottawa d'agir, puisque Québec ne le fait pas sérieusement. Il y a urgence, et la crise de la biodiversité doit être prise au sérieux. Il ne s'agit pas de sauver simplement une espèce, mais un écosystème entier qui est essentiel aux ingrédients nécessaires à la survie du vivant. Si la crise climatique est une maladie, la sauvegarde de la biodiversité est l'un des remèdes.
Nous aurions pu être solidaires du présent décret, mais il aurait fallu que les ministres n'aient pas les mains vides de solutions pour les travailleurs et les travailleuses. Depuis maintenant deux ans, nous demandons une réunion conjointe avec Environnement et Changement climatique Canada ainsi que Ressources naturelles Canada. Nous sommes reconnaissants au ministère de l'Environnement de nous avoir rencontrés à ce sujet à quelques reprises, mais nous attendons toujours la tenue d'une réunion conjointe en compagnie des deux ministres concernés. Nous avons soumis plusieurs pistes de solutions et reçu plusieurs signes encourageants, mais aucune mesure concrète n'a été prise.
Nous sommes conscients que le panier de mesures d'intervention du fédéral au Québec est limité. La FTQ a d'ailleurs toujours demandé qu'on respecte les compétences provinciales. Nous concevons qu'il relève du gouvernement provincial d'agir, ce qu'il ne fait pas. Les paramètres de la transition juste sont clairs et connus du gouvernement fédéral. Il s'agit de mettre en place un dialogue social qui inclut toutes les parties, soit les ministères et les gouvernements concernés, les syndicats, les employeurs et les Autochtones. Cela signifie également d'offrir une protection sociale adaptée à la situation. Dans le cas du décret, cela signifie de repenser l'assurance-emploi, par exemple, de créer un fonds dédié et d'adapter les mesures à la situation actuelle.
La situation du caribou ne s'arrête pas aux kilomètres carrés à définir pour le protéger. Cela passe également par le fait de repenser la forêt et l'industrie forestière.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins de s'être rendus disponibles pour cette réunion.
Ma première question s'adresse à Mme Ray.
Vendredi dernier, j'étais encore avec les travailleurs forestiers de Boisaco. Si le décret entre en vigueur, la vie de ces travailleurs et de leur famille sera brisée, c'est garanti.
Même en empêchant l'industrie forestière de mener ses activités dans les zones en question, on ne pourra pas atteindre un taux de perturbation de moins de 35 %.
Madame Ray, pouvez-vous nous garantir l'autosuffisance du caribou forestier dans ces circonstances?
L'environnement d'affaires dans lequel ils évoluent a beaucoup changé. Ils se retrouvent à faire des investissements importants dans leur équipement, sans parler des coûts d'exploitation. Chaque année, on fait des analyses comparatives pour suivre l'évolution des coûts, et on constate que cela leur coûte de plus en plus cher de faire des affaires.
Comme on le sait, ce sont des gens qui vivent de la forêt de père en fils, qui travaillent dans ce milieu par passion et qui désirent agir dans leur milieu. Or, ces gens ont été frappés par les feux de forêt. Ils voient les possibilités forestières diminuer. Ils font face à l'épidémie de la tordeuse des bourgeons de l'épinette, comme vous le savez. De plus, il y a des blocus forestiers et les prix du bois d'œuvre qui s'effondrent. Bref, ils se retrouvent entre l'arbre et l'écorce, en quelque sorte. Alors, ils finissent par subir à peu près toutes les conséquences possibles.
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Merci, monsieur le président.
Effectivement, on ne peut pas séparer l'humain de l'écologie. Les conservateurs comprennent tellement mal la science. Je les inviterais à lire le rapport des scientifiques sur le caribou. Je pense que tout le monde ici, sauf peut-être les conservateurs, est d'accord pour dire qu'on ne peut pas avoir une économie saine sans que l'infrastructure qui la soutient soit saine également, et cela comprend l'infrastructure écologique.
Comme M. Bolduc le disait tout à l'heure, la solution pour le caribou passe par le fait de repenser la forêt et l'industrie forestière. D'ailleurs, plusieurs des compagnies forestières présentes chez nous en sont déjà là. C'est sûr que les conservateurs ont une approche un peu archaïque, surtout sous l'aspect de la science. Tout compte fait, je pense que l'industrie et les travailleurs sont déjà au rendez-vous. On parlait beaucoup aussi de la Loi canadienne sur les emplois durables. Je pense que nous avons tous le désir d'avancer ensemble, d'aller de l'avant, et non pas de reculer. La voix des travailleurs, c'est souvent la voix de la sagesse.
Monsieur Duceppe, vous parliez tout à l'heure du fait que le gouvernement du Québec n'a pas réagi, malgré les engagements pris autant par le Québec que par le Canada, à la COP15, en vue d'apporter des solutions.
Selon vous, quels changements concrets seraient nécessaires pour protéger non seulement la pérennité des emplois des Canadiens et des Québécois que vous représentez, mais aussi notre infrastructure naturelle, entre autres l'habitat du caribou? Quelles sont les solutions, selon vous?
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Je vous remercie de votre réponse.
Je pense que les représentants des Premières Nations ont également plaidé en faveur d'une table de concertation ou d'un partenariat, tout comme le Conseil de l'industrie forestière du Québec. Le chef du Bloc québécois a aussi parlé de cette idée lors d'une conférence de presse tenue il y a exactement une semaine.
Si ma mémoire est bonne, c'est M. Duceppe qui disait qu'il y avait une différence entre consulter les gens et les écouter. L'idée du dialogue social, que vous et d'autres partenaires avez mis en avant, c'est qu'il y ait un réel dialogue au sortir d'une telle rencontre.
Je vais faire une comparaison. Pendant les délibérations en vue d'élire un nouveau pape, tout le monde est enfermé et il faut attendre de voir sortir la fumée blanche. Je pense qu'il faudrait faire la même chose avec les différentes parties prenantes, c'est-à-dire les réunir, verrouiller la porte et attendre de voir sortir la fumée blanche.
Cela dit, j'aimerais que vous nous parliez des emplois durables. Monsieur Bolduc, vous avez raison de dire qu'on ne peut pas simplement donner des prestations d'assurance-emploi aux gens. Je ne me rappelle plus si c'est vous ou M. Duceppe qui avez parlé de la Loi canadienne sur les emplois durables. J'aimerais faire une petite parenthèse: cela devrait plutôt s'appeler la loi sur la transition juste, puisque c'est le terme reconnu par l'ONU. Au Canada, on a préféré camoufler un peu les choses en choisissant pour titre la Loi canadienne sur les emplois durables.
De quelle façon cette loi ne répond-elle pas à une situation de transition juste dans le secteur forestier?
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Merci beaucoup, madame Ray.
Nous nous trouvons dans une situation extrêmement intéressante. Beaucoup de ministres, tant du gouvernement du Québec que du gouvernement fédéral, ont participé à des conférences internationales où ils ont fait de grands discours sur les changements climatiques et sur la protection de la biodiversité. Cependant, quand vient le temps de parler d'éléments concrets, nous sentons qu'on hésite un peu et que c'est parfois plus difficile.
J'aimerais poser une question aux représentants de la FTQ. Je suis désolé, monsieur Bolduc, mais je vais plutôt poser ma question à M. Rondeau.
Au NPD, nous étions quand même assez contents qu'on propose la Loi canadienne sur les emplois durables, qui aurait pu s'appeler la loi sur la transition juste, mais elle n'allait pas jusqu'au bout de ce que nous aurions voulu faire. Nous étions contents de voir que la place des syndicats autour de la table serait préservée dans le cadre de la conversation sur la transition énergétique et les emplois durables. Cependant, les libéraux ont fait le travail à moitié, de telle sorte qu'aujourd'hui le gouvernement fédéral arrive un peu les mains vides de solutions pour les travailleurs et les travailleuses dont l'emploi est mis en jeu dans la situation actuelle, alors qu'on vise la protection du caribou forestier.
Que voudriez-vous que nous fassions pour aller plus loin dans la transition énergétique, dans la transition juste, dans la protection des travailleurs et des travailleuses?
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Merci beaucoup, monsieur Boulerice.
Vous avez tout à fait raison de dire que c'est une loi sur les emplois durables qui s'apparente à des éléments d'une transition juste, mais qui n'en est pas une. Elle n'est pas à l'instar de ce qu'on voit, par exemple, du côté de l'Union européenne, en Afrique du Sud ou en Nouvelle‑Zélande. En fait, il y manque de la rigueur. De plus, on ne fait que regarder en avant, c'est-à-dire que l'on considère uniquement les emplois durables qui sont définis comme des emplois pouvant contribuer à la feuille de route de la carboneutralité, et on abandonne les emplois qui n'y contribuent pas. Ces emplois ne sont pas dans le collimateur. Qui plus est, on ne trouve nulle part dans le projet de loi le mot « transition ». Cela en dit beaucoup.
Pour faire preuve de rigueur, à la base, on aurait dû avoir en main depuis longtemps une étude d'impact des changements climatiques sur les aspects socioéconomiques et environnementaux de l'industrie forestière en lien avec la protection du caribou. À partir de cette étude d'impact, il aurait ensuite fallu faire des scénarios d'adaptation pour l'espèce et des scénarios de décarbonation, par le fait même. Par la suite, il aurait fallu faire des études d'impact de ces scénarios sur les emplois, apporter les correctifs nécessaires, ainsi que les correctifs pour le territoire. C'est ce qui se fait ailleurs. Il n'y a rien de nouveau là-dedans. On le voit assez fréquemment du côté de l'Union européenne. Bref, cette rigueur est manquante.
Par ailleurs, pour faire preuve d'une telle rigueur, on doit impliquer toutes les parties prenantes. Il ne s'agit pas uniquement d'asseoir les gens autour de la table et de voir qui pense à quoi. Le processus implique plutôt de faire les études nécessaires et de réunir les gens autour de la table dans le but de trouver des solutions à la mesure de chacun. Or, c'est ce qui manque.
Pourtant, on aurait dû apprendre des événements survenus dans l'industrie du charbon. En 2017, Catherine McKenna, qui était alors ministre de l'Environnement et du Changement climatique, a annoncé la fermeture de centrales de charbon à l'horizon 2030. Un an plus tard, des milliers d'emplois étaient perdus en Alberta. Cela s'est produit parce que, encore une fois, on avait annoncé une mesure environnementale sans aucun plan et sans inclure ceux et celles qui en subiraient les répercussions. Ces éléments sont venus seulement plus tard. Même alors, bien que le rapport du Groupe de travail sur la transition équitable pour les collectivités et les travailleurs des centrales au charbon canadiennes ait parlé de mettre en place des centres locaux ou régionaux pour avoir cette discussion et planifier la transition, ce n'est toujours pas chose faite.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie tous les témoins de leur présence.
Ma question s'adresse à M. Yvan Duceppe.
Dans votre déclaration préliminaire, vous avez mentionné que, pour protéger le caribou, il faut couper moins d'arbres. Je pense que nous savons tous — compte tenu du nombre d'accords que nous avons signés sur la biodiversité et du fait que nous avons non seulement une transition, mais aussi la Loi canadienne sur les emplois durables —, malgré les 20 000 motions que les conservateurs ont présentées pour essayer de bloquer les efforts, que nous essayons de faire une transition.
Le gouvernement du Québec a mis en place plusieurs programmes, y compris certains programmes de recyclage professionnel, des fonds de perfectionnement de la main-d'œuvre, en plus de programmes de diversification communautaires. Je me demande si vous pensez que ces programmes ont eu une incidence sur la transition de la main-d'œuvre et si les entreprises forestières du Québec ont également participé à cette transition que nous savons tous nécessaire.
Monsieur le président, membres du Comité, je vous remercie de m'avoir invité à répondre à vos questions. Je suis professeur titulaire en écologie animale. Depuis 16 ans, je dirige un programme de recherche centré sur le caribou, ses prédateurs et ses compétiteurs. Je suis un expert reconnu du caribou au Canada.
Un décret d'urgence en vertu de la Loi sur les espèces en péril représente un test de notre capacité à gérer sainement et efficacement nos ressources naturelles, à protéger notre biodiversité et à respecter les lois et les règlements, de même que les engagements moraux et éthiques que nous avons pris sur la scène internationale.
Entre 1989 et 2024, 881 articles scientifiques traitant de la sous-espèce du caribou des bois ont été publiés dans des journaux scientifiques internationaux; 454 d'entre eux traitaient des différentes facettes des populations boréales de caribous. À cela s'ajoute un grand nombre de mémoires de maîtrise, de thèses de doctorat et de rapports gouvernementaux. L'ensemble de ces travaux scientifiques font du caribou une des espèces les plus étudiées au pays, et c'est en se basant là-dessus que les experts du Comité sur la situation des espèces en péril au Canada, dont j'ai fait partie, ont pu évaluer les variations d'abondance, les taux de survie et de recrutement et les trajectoires démographiques des populations; c'est aussi ce qui leur a permis de synthétiser les connaissances relatives aux menaces pesant sur le caribou afin de recommander, dès mai 2002, un statut d'espèce menacée, désignation toujours valide aujourd'hui.
Malgré la somme de preuves qui font largement consensus dans la communauté scientifique, plusieurs acteurs du milieu investissent d'importants efforts à insuffler un vent de désinformation et de déni de la science dans les médias, contribuant à la polarisation sociale observée relativement à ce défi. Certains de ces individus se sont même présentés devant le Comité afin de relayer des informations incomplètes ou erronées, voire pour mentir, relativement à la situation des populations boréales de caribous au Québec, les causes du déclin et les pistes de solution.
À titre d'expert, je souhaite vous mettre en garde contre cette campagne de désinformation. La science en connaît plus que ce qui est raconté à votre comité. Établir une voie de sortie négociée, bénéfique au caribou et minimisant les conséquences socioéconomiques sur les communautés forestières, nécessite de reconnaître les preuves scientifiques et d'éviter les raccourcis.
En forêt boréale aménagée, le caribou décline principalement en raison d'une prédation exacerbée par les perturbations humaines. Les coupes forestières ouvrent et rajeunissent les forêts, offrant des ressources alimentaires accessibles, abondantes, riches et digestibles, appuyant une croissance des populations de proies alternatives, comme l'orignal et le cerf et, conséquemment, des prédateurs du caribou, comme l'ours, le coyote et le loup. Cette réponse est accompagnée d'une augmentation d'efficacité des prédateurs à patrouiller le paysage et à chasser le caribou grâce au dense réseau de chemins forestiers. L'aménagement forestier représente donc le facteur ultime de déclin qui déclenche une cascade d'événements se soldant par une pression de prédation élevée. Ce constat est reconnu par le gouvernement du Québec dans la Revue de littérature sur les facteurs impliqués dans le déclin des populations de caribous forestiers au Québec et de caribous montagnards de la Gaspésie, publiée en 2021.
Depuis plusieurs années, différentes équipes de chercheurs ont documenté l'importance de l'impact d'autres moteurs de déclins, s'intéressant entre autres à l'impact des changements climatiques passés et futurs. Leurs conclusions sont robustes et font consensus: l'effet des coupes forestières et des chemins forestiers surpasse de loin l'effet des autres moteurs de déclin, dont les changements climatiques, tant dans l'explication des déclins passés que dans la modélisation des changements futurs. D'ailleurs, la science montre que les changements climatiques auront d'importantes répercussions sur l'emploi en foresterie, même sans protection du caribou.
Il importe de souligner la grande qualité des données issues du suivi des populations de caribous au Québec. Ces données permettent de soutenir la ligne argumentaire du décret d'urgence grâce à une image claire et nette des conditions d'habitat et de l'état des populations. Je souhaite rappeler que les experts ne sont pas que dans les universités, mais aussi dans plusieurs ministères fédéraux et provinciaux avec lesquels nous collaborons. J'ai confiance en l'expertise de ces biologistes et de ces techniciens de la faune.
À la lumière des connaissances disponibles, il apparaît clair que les mesures mises en place par le gouvernement du Québec depuis plus d'une décennie sont insuffisantes pour assurer le rétablissement du caribou dans la province. J'ai siégé à suffisamment de comités pour évaluer ces méthodes. La pertinence d'un décret d'urgence est amplement justifiée: le gouvernement fédéral ne fait qu'appliquer la loi en l'absence d'une stratégie provinciale jugée suffisamment efficace pour contribuer au rétablissement de l'espèce.
À mon avis, la proposition de décret pourrait être plus ambitieuse, puisqu'elle représente déjà un compromis. Seules trois aires de répartition sont visées bien qu'une évaluation des menaces imminentes pourrait montrer l'urgence d'agir pour d'autres populations. La superficie visée par le décret reste limitée par rapport à la taille de l'aire de répartition des populations. Une porte semble ouverte à exclure du décret certains types de perturbation, dont les projets d'exploration et d'exploitation de minéraux critiques, malgré les évidences scientifiques liées aux impacts négatifs de l'industrie minière. Par conséquent, le décret s'apparente davantage à un compromis qu'à une stratégie radicale de protection sous cloche de verre.
Des changements majeurs aux politiques d'aménagement de l'habitat du caribou sont requis, et une réflexion est nécessaire pour arriver à réellement concilier la conservation du caribou et de son habitat avec une exploitation de la forêt qui se voudrait durable et respectueuse de toutes les fonctions, espèces et valeurs de cet écosystème. Toutefois, cet objectif est impossible à atteindre sans influer sur la possibilité forestière et, par conséquent, les emplois et les retombées économiques.
Je comprends tout à fait l'inquiétude et les préoccupations de plusieurs groupes d'intérêt quant à l'application du décret. Il importe de considérer ces répercussions sans perdre de vue l'obligation légale de protéger efficacement le caribou et son habitat.
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Bonjour, monsieur le président.
Bonjour, mesdames et messieurs les députés, membres du Comité permanent de l'environnement et du développement durable.
Je me nomme Luc Vachon et je suis le président de la Centrale des syndicats démocratiques, la CSD. Je vous remercie de m'offrir l'occasion de vous transmettre un message de notre organisation.
La CSD représente près de 2 000 personnes salariées travaillant directement ou indirectement dans l'industrie forestière. Il s'agit notamment des quelque 400 travailleuses et travailleurs de l'usine Parent et de l'usine L'Ascension du Groupe Rémabec, qui sont situés respectivement dans la région de la Mauricie et dans celle du Saguenay—Lac‑Saint‑Jean.
Depuis l'annonce du décret, les personnes salariées de l'industrie forestière sont très inquiètes. Nous ne pouvons ni appuyer ni accepter la proposition de décret dans sa forme actuelle. L'attention des médias s'est concentrée sur la question du caribou forestier. Or, sans vouloir faire de jeu de mots, on peut dire que le fait de considérer uniquement et spécifiquement le caribou revient en quelque sorte — si vous me permettez l'expression — à se concentrer sur l'arbre qui cache la forêt.
L'industrie forestière québécoise vit depuis plusieurs années une série de crises. Ce n'est donc pas la première. Pensons notamment aux incendies de 2023, à la hausse constante des coûts d'approvisionnement en bois, à sa perte de qualité et à l'application continuelle de tarifs compensatoires sur le bois d'œuvre par les États‑Unis. Je dirais que l'industrie forestière québécoise est à la veille de connaître une nouvelle vague de fermetures et de consolidations d'usines. Ce ne sera pas la première fois. Plusieurs travailleuses et travailleurs se retrouvent dans une situation où le risque de perdre leur emploi est très élevé. Ces pertes d'emploi auraient en outre des effets catastrophiques sur les communautés où les personnes salariées habitent.
L'analyse d'impact du gouvernement fédéral le confirme en estimant qu'environ 1 400 emplois seront perdus. À notre avis, c'est bien en deçà de l'impact réel que subiront les communautés. Dans ce contexte, le décret sur le caribou forestier risque d'empirer considérablement la situation ou sonner le glas de l'industrie, qui est déjà très fragilisée. Il est difficile de ne pas être cynique quant à la réelle efficacité du décret quand on apprend que des projets comme ceux d'Hydro‑Québec, voire le projet de mine d'or en Abitibi, pourraient ne pas être assujettis au décret.
Les gens de l'industrie doivent-ils comprendre qu'ils sont moins importants? Cela suscite des questionnements. La protection du caribou forestier est cruciale. Les travailleurs et les travailleuses de l'industrie forestière sont prêts, s'ils bénéficient de l'accompagnement et du soutien requis, à participer aux efforts pour y arriver. On dit que le caribou est un animal emblématique pour le Québec. Laissez-moi vous dire que les personnes que nous représentons et qui habitent les régions le savent très bien.
Cependant, il faut aussi tenir compte des préoccupations de ces personnes, ce qu'aucun gouvernement, tant provincial que fédéral, n'a véritablement fait à ce jour. Nous déplorons autant l'inaction du Québec que l'approche de bulldozer d'Ottawa. Même si nous savons que l'intention d'Ottawa n'est pas de punir les travailleurs et les travailleuses du secteur, il reste que ce décret, s'il est appliqué tel quel, risque d'avoir précisément ce résultat.
Nous refusons que les personnes salariées de l'industrie forestière fassent les frais d'un bras de fer politique entre Ottawa et Québec. Nous jugeons qu'une énième querelle portant sur les compétences de chacun des ordres de gouvernement est stérile et qu'elle nuira autant à l'industrie qu'à la protection de l'environnement. Nous appelons vivement à une collaboration fructueuse entre Ottawa et Québec, à la fois pour protéger le caribou et pour mettre fin à l'insécurité que vivent les personnes salariées de l'industrie forestière, afin que des solutions porteuses, à long terme, soient enfin développées.
Les 650 millions de dollars que le fédéral serait prêt à offrir à la Colombie‑Britannique dans ses propres efforts de protection de l'environnement l'attestent. Il en va de même pour le Fonds de diversification économique qui a été financé par Ottawa et Québec à la suite de la fermeture de la centrale nucléaire Gentilly‑2.
Travailler ensemble, c'est possible et, quand on le fait, cela donne de bons résultats. Nous en appelons plus précisément à une collaboration guidée par les principes d'une transition juste, soit faire évoluer l'industrie forestière québécoise vers une industrie moderne, innovante, résiliente et moins dommageable pour l'environnement. La crise du caribou, plutôt qu'être un obstacle, doit devenir une occasion. Quoi qu'il en soit, les préoccupations et les besoins des personnes salariées doivent se retrouver au centre de ce projet afin de limiter les répercussions et d'offrir une indemnisation adéquate. Plutôt que de voir les travailleurs comme des ressources et de considérer qu'ils n'auront qu'à changer d'emploi, comme si c'était si simple d'y parvenir en région, nous jugeons qu'il faut mettre en avant l'humain et le soutenir adéquatement lors de ces changements.
Quelles sommes le gouvernement fédéral est-il prêt à investir pour encourager la modernisation de l'industrie forestière...
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Merci, monsieur le président.
Membres du Comité, je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer aujourd'hui au nom de l'entreprise Ripco. En ma qualité de président de Ripco, je souhaite exprimer mes profondes inquiétudes relativement à la volonté du gouvernement fédéral d'adopter un décret pour la protection du caribou forestier. Les démarches entreprises par le ministre de l'Environnement et du Changement climatique, , en juin dernier ont suscité de vives craintes chez nos travailleurs et nos concitoyens. Un tel décret aurait des conséquences catastrophiques et irréversibles pour notre entreprise et pour notre communauté.
Ripco inc., fondée en 2001, est une entreprise apparentée au Groupe Boisaco; elle est présente sur le site industriel de Sacré‑Cœur. Elle travaille en partenariat avec la compagnie Litière Royal, basée à Québec, dont vous avez également reçu des représentants à ce comité. Nous sommes spécialisés dans la fabrication et la mise en marché de litière équestre, qui est produite à partir des rabotures générées par les usines de Boisaco. L'usine est aujourd'hui à la fine pointe de la technologie après que nous ayons réalisé des investissements importants au cours de trois dernières années. Ripco regroupe huit travailleurs et autant de familles qui dépendent de sa pérennité pour gagner dignement leur vie. Comme toutes les entreprises rattachées au Groupe Boisaco, Ripco est organisée selon un modèle coopératif unique, qui est reconnu dans notre secteur d'activité et partout au Québec. Elle est aussi née de la volonté du Groupe Boisaco de diversifier ses activités en valorisant les matières résiduelles issues du sciage et du rabotage du bois pour créer de nouveaux produits. Ainsi, Ripco fournit des produits d'exception à travers le Canada et les États‑Unis, générant des retombées directes significatives dans notre communauté. Toutefois, nos activités dépendent de la capacité de Boisaco à fournir notre matière première, soit la raboture.
Vous devez comprendre que, si le décret de M. Guilbault était appliqué, ce ne serait pas seulement Boisaco qui en subirait les conséquences, mais bien toutes les entreprises qui dépendent des matières résiduelles que produisent les usines de sciage et de rabotage de Boisaco, incluant Ripco. Au sujet du projet de décret fédéral, les démarches militantes du ministre de l'Environnement nous mènent toujours plus dans l'impasse. Elles génèrent une polarisation, envenimant un débat qu'il serait nécessaire d'apaiser afin de trouver des solutions justes et équitables. Elles vont aussi à l'encontre des efforts fournis par le gouvernement du Québec pour favoriser une approche graduelle et adaptée à la réalité de chacune des régions concernées.
Depuis mes débuts en tant que travailleur forestier, en 1998, j'ai pu voir l'évolution des différentes mesures mises en place pour la protection du caribou. À ce jour, des massifs de plusieurs milliers d'hectares de forêts ont été laissés intacts pour la protection du caribou. Aux yeux de certains intervenants, ces massifs toujours en place semblent être invisibles, mais ils sont encore bien présents, bien que certains d'entre eux ont été fortement affectés par l'épidémie de tordeuses des bourgeons de l'épinette, en plus d'être très vulnérables aux trop nombreux incendies de forêt.
En tant que citoyen de Sacré‑Cœur, j'ai à cœur sa vitalité. Comme plusieurs de mes amis et confrères, je suis impliqué bénévolement dans le fonctionnement de différents organismes sans but lucratif visant à offrir des services de qualité dans notre communauté. Entre autres, depuis plus de 11 ans, je suis président de la ZEC Chauvin, une zone d'exploitation contrôlée, située aux portes de Sacré‑Cœur. Je peux vous affirmer que, sans les opérations forestières qui ont été faites dans notre ZEC, nous n'aurions pu offrir la qualité de l'expérience dont profitent plus de 500 membres provenant d'un peu partout au Québec. Dans notre ZEC, comme dans les autres ZEC de la Haute‑Côte‑Nord et du Saguenay, Boisaco, par ses opérations forestières, a contribué de façon importante à l'entretien et à l'amélioration des réseaux routiers qui sont essentiels aux utilisateurs dans la pratique de leurs activités en forêt et pour la lutte contre les incendies. C'est un privilège pour ces organisations de pouvoir profiter de ces investissements importants et ainsi d'être en mesure de garder pour leurs membres une accessibilité abordable à leurs services.
Je terminerai par une réflexion. Quel modèle de société voulons-nous au Canada? Voulons-nous une société où l'on accepte de sacrifier 2 000 familles, violant ainsi leurs droits fondamentaux à une vie digne, ou une société où les décisions se prennent en équilibre entre les sphères sociale, économique et environnementale, soit les trois piliers du développement durable? J'ose croire que la deuxième option est celle qui nous mènera vers des décisions justes et éclairées permettant l'épanouissement de la biodiversité et des communautés humaines.
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Monsieur le président et membres du Comité, je vous remercie.
À l'échelle du Canada, Unifor représente 320 000 membres. Présent dans presque tous les principaux domaines d'activités industrielles, il est le plus important syndicat du secteur privé au pays. Plus précisément au Québec, Unifor compte près de 15 000 membres de l'industrie forestière, qui sont à l'œuvre dans toutes les régions, de l'Abitibi-Témiscamingue à la Gaspésie.
Les travailleurs et les travailleuses que nous représentons participent à l'ensemble des niveaux de transformation et des sphères d'activité du secteur, qu'il s'agisse de sylviculture, d'exploitation forestière, de lutte aux incendies, de transport, de bois d'œuvre, de bois d'ingénierie, de panneaux, d'équipements de sillage, de pâtes, de papiers, de cartons, de cellulose, de granules, d'emballage, de planchers, de meubles, d'armoires de cuisine, de portes, de fenêtres ou d'imprimeries, et j'en passe.
Depuis plusieurs années, Unifor surveille avec intérêt l'évolution des interventions publiques visant le rétablissement des populations de caribous forestiers et montagnards au Québec. Les initiatives en cours et envisagées en lien avec l'atteinte de cet objectif représentent un enjeu de taille pour l'industrie forestière. De plus, elles sont susceptibles d'engendrer des répercussions importantes pour nos membres.
Le présent projet de décret constitue à ce jour la mesure de préservation la plus considérable en matière de répercussions potentielles sur les activités forestières de la province et, indirectement, sur l'activité économique que génère l'industrie forestière.
En 2022, l'analyse réalisée par le forestier en chef du Québec du scénario d'aménagement le plus restrictif évalué par la Commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards avait chiffré les pertes à environ 824 300 mètres cubes bruts par an pour l'ensemble des sept régions comprises dans l'aire de répartition.
Cette fois, les calculs du forestier en chef du Québec font état d'une perte de 1,393 million de mètres cubes bruts par an pour les quatre régions touchées, et non les sept, et plus précisément les trois zones instituées dans le cadre de l'accord de l'actuel décret d'urgence. À titre de référence, le volume moyen d'une scierie est d'environ 300 000 mètres cubes.
Unifor reconnaît que la situation est préoccupante dans le cas de plusieurs des hardes de caribous forestiers et montagnards présentes sur le territoire québécois. Leur vulnérabilité, connue depuis longtemps, constitue une source d'inquiétude majeure. Unifor reconnaît que la hausse du taux de perturbation cumulative dans l'aire de répartition des deux écosystèmes entraîne une réduction de la probabilité de pérennité de la population.
Si les bouleversements qui affectent les caribous sont variés et que plusieurs ont pour origine des phénomènes naturels ou climatiques, il est établi que certaines perturbations liées aux activités humaines, notamment l'activité industrielle forestière, peuvent concourir à leur affaiblissement.
Unifor reconnaît donc que le gouvernement québécois a mis en place un éventail de mesures, de plans de rétablissement et de plans d'aménagement de l'habitat, tels que la gestion des prédateurs, la fermeture de chemins forestiers, la création d'aires protégées et de réserves de biodiversité. Bref, une série de mesures visent à régler la situation. Malheureusement, force est de constater que ces mesures n'ont pas suffi à régulariser la situation.
Cependant, le secteur forestier est en situation de crise. Le projet de décret d'urgence du gouvernement fédéral arrive à un moment charnière pour l'industrie forestière québécoise. La filière traverse actuellement une crise sans précédent sur plusieurs fronts. La saison des feux de forêt de 2023 a été catastrophique et a engendré, à elle seule, une perte de possibilités forestières évaluée par le forestier en chef du Québec à plus de 849 000 mètres cubes bruts par an.
Selon ce dernier, ce sont plus de 920 000 hectares destinés à l'aménagement forestier qui ont été affectés. Les fermetures d'usines se succèdent dans divers secteurs de production comme le papier, la cellulose, le bois d'œuvre, etc. La faiblesse actuelle du marché, les prix élevés du bois qui est mis aux enchères et l'incertitude entourant l'accès à la ressource amènent les entreprises à développer des stratégies de consolidation qui se solderont par de nouvelles fermetures et des pertes d'emplois.
Le conflit commercial avec les États‑Unis se poursuit, et la dernière révision des taux de droits combinés définitifs établis par le département du Commerce américain ont été marqués par une forte hausse, passant de 8 à 15 %.
Toutes ces mesures ont donc pour effet d'entraver actuellement et d'affecter fortement l'industrie forestière. Les répercussions socioéconomiques des mesures liées au présent décret d'urgence seront exacerbées par une situation déjà difficile, qui commande une prise en charge globale axée sur la collaboration des divers pouvoirs publics en fonction de leurs responsabilités respectives.
Unifor dénonce vivement le fait que la situation dans laquelle nous nous retrouvons actuellement est aux antipodes de cette réalité. La politisation de la crise ne sert les intérêts ni de la population, ni des travailleurs ni des caribous; seuls les politiciens y gagnent. La dynamique conflictuelle qui règne en ce moment nuit à toutes les parties concernées. Elle constitue un gaspillage de temps et de ressources précieuses et nous éloigne des solutions structurantes.
Si le gouvernement fédéral veut véritablement apporter son aide, c'est au moyen d'un cadre global de soutien à la transition qu'il pourra le faire, et non en lançant un nouveau débat. Il existe des pistes de solution. Il faut créer plusieurs cadres d'intervention en tenant compte également des répercussions socioéconomiques sur les travailleurs et les populations visées.
Les ministères responsables des ressources naturelles, du travail...
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Nos études indiquent que les changements climatiques vont avoir un effet sur la qualité de l'habitat du caribou à partir de 2070 dans plusieurs des aires que nous avons étudiées, mais, d'ici là, c'est l'effet des perturbations humaines sur l'aménagement des terres qui génère la cascade trophique dont je vous ai parlé.
Si vous me le permettez, je complèterai ma réponse.
Depuis 1850 — cela a été publié dans un journal scientifique rigoureux —, le recul vers le nord de la limite sud de l'aire de répartition du caribou est de 620 kilomètres; de ce chiffre, 105 kilomètres sont dus aux changements climatiques et le reste est dû aux changements dans les modes d'occupation des terres.
Cela signifie que, si on fait des efforts de restauration actifs, on peut même faire descendre vers le sud des aires de répartition de caribous dans des habitats qui seront favorables sur le plan climatique. C'est important, et c'est souvent ignoré dans le débat public sur la question. Ce n'est donc pas vrai que le caribou monte vers le nord de 40 kilomètres par décennie comme on l'entend de la bouche de certaines personnes, qui ne font pas de recherche sur le caribou, soit dit en passant.
Cependant, nos travaux montrent que l'on pourrait avoir des populations de caribous dans un espace climatique favorable, au sud de la limite où on en retrouve présentement. On avait du caribou forestier dans les Maritimes, en Nouvelle‑Angleterre, et au sud du Saint‑Laurent, partout, en 1850. On le chassait derrière Rimouski, où je me trouve.
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Je remercie tous les témoins.
J'adore ce que M. Saint‑Laurent vient de dire. C'était le but de cette présentation et de ces réunions, soit trouver des solutions ensemble. Avant de reparler de la transition juste, je veux revenir sur un point.
Plus tôt, M. Vachon a parlé de la mine. Il y avait un article extrêmement intéressant dans Le Devoir vendredi dernier. M. Rodrigue Turgeon, de la Coalition pour que le Québec ait meilleure mine, disait ceci: « Si le décret fédéral devait être adopté tel qu'il est proposé, la population du caribou de Val‑d'Or verra son habitat essentiel continuer d'être perturbé à des niveaux supérieurs aux objectifs de conservation recherchés en raison des activités minières qui pourront se poursuivre ».
Monsieur Vachon, comme vous avez abordé la question des mines, le décret n'a-t-il pas une vision plus étroite? Y a-t-il autre chose à faire? On est toujours à la recherche de solutions.
De notre côté, bien que nous déplorions les mesures prises par le gouvernement du Québec et son récent manque de vision, notamment depuis les derniers travaux, nous pensons que le fédéral a agi beaucoup trop rapidement en proposant un décret d'urgence, d'autant plus que le grand défaut dudit décret est de ne pas tenir compte de l'ensemble du portrait, c'est-à-dire de toutes les conséquences socioéconomiques, et de ne pas offrir de soutien à cet égard.
Au fédéral, il faudrait que les ministères qui s'occupent de l'emploi, de l'investissement, de l'assurance-emploi et de l'éducation soient mis à partie et soutiennent le Québec dans ses champs de compétence, notamment au moyen d'appuis financiers solides.
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J'en ai parlé dans mon allocution d'ouverture, mais je peux faire un résumé.
Si on rajeunit la forêt, il y aura subitement des ressources alimentaires abondantes et physiquement accessibles pour tous les herbivores, puisqu'elles seront à une hauteur du sol qui est facile d'accès. Ces ressources sont facilement digestibles, car il n'y a pas beaucoup de tanin ou de lignine. Les individus sont donc capables d'être en meilleur état physique et de s'investir davantage dans la reproduction et la survie.
Le cerf de Virginie peut produire jusqu'à trois jeunes par année, l'orignal peut produire jusqu'à deux jeunes par année et, en raison de contraintes biologiques, le caribou peut produire entre zéro et un jeune par année. La croissance des populations va donc différer. La croissance des populations va aussi entraîner l'augmentation de l'abondance des prédateurs, qui, eux aussi, ont plus de nourriture. Ces prédateurs, plus abondants en raison des coupes forestières, seront aussi plus efficaces considérant les chemins forestiers. Mes travaux et les travaux de plusieurs autres chercheurs au Canada montrent qu'ils utilisent les chemins forestiers de petit calibre pour patrouiller dans le territoire plus efficacement. C'est plus facile, pour eux comme pour nous, de marcher sur un chemin forestier que de marcher en forêt. Ils vont augmenter leur taux de capture de caribous, puisque c'est une proie plus vulnérable que l'orignal. Pour cette raison, ils vont faire décliner les adultes, mais aussi les jeunes caribous, puisque l'ours noir, qui est très abondant dans les jeunes parterres de coupe, va pouvoir s'alimenter plus facilement de caribous. Le gouvernement du Québec a d'ailleurs documenté cela. Dans les secteurs où on force les caribous à relocaliser leur maison, leur domaine vital, ces derniers deviennent moins fidèles à leur domaine vital, d'où l'augmentation du risque de prédation pour les jeunes.
C'est comme si on demandait à quelqu'un de réussir à trouver rapidement le réfrigérateur dans une maison ou un appartement qui n'est pas le sien. C'est tout à fait normal. On connaît son environnement, les ressources et les risques. Toute cette cascade d'événements est amplifiée dans un territoire qui est soumis à un aménagement très élevé ou à un régime de perturbations naturelles élevé.
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J'admets que c'est une mesure intérimaire intéressante, mais il faut bien comprendre la cascade d'événements.
J'établis un petit parallèle facile à comprendre. Vous et moi sommes à la pêche dans un petit bateau. L'eau rentre dans le bateau. Je vous tends une écope. Vous enlevez l'eau du bateau et, en enlevant l'eau du bateau, vous enlevez des prédateurs. Si je bouche le trou au fond du bateau, les prédateurs arrêtent d'entrer. Si j'agrandis le trou ou si je crée des nouveaux trous, je crée des conditions propices à l'entrée de prédateurs plus nombreux.
Par conséquent, tant et aussi longtemps qu'on ne ralentira pas le rythme de rajeunissement de la forêt et le rythme de déploiement des chemins forestiers, c'est comme si, dans le bateau, j'arrangeais la situation d'avance en agrandissant les trous. Vous allez écoper, et vous allez écoper toute votre vie.
On en a un bel exemple au Canada. Autour du parc national de la Gaspésie, cela fait 30 ans qu'on applique une mesure de contrôle des prédateurs. Elle a été efficace pendant les cinq premières années seulement. Depuis, on a récolté 60 % des vieilles forêts autour du parc.
Le contrôle des prédateurs est donc une mesure intérimaire efficace, mais cette mesure de contrôle doit être très intensément poussée; il faut prélever plus de 80 % des prédateurs, ce qui est éthiquement discutable, par ailleurs.
Quoi qu'il en soit, ce qui se cache derrière la hausse du nombre de prédateurs, c'est le rajeunissement de la forêt et le réseau routier.
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En fait, c'est très simple. Si vous regardez les plans de rétablissement publiés depuis 2013, on a changé les structures de gouvernance et acquis d'excellents inventaires de caribous, pour lesquels on se classe parmi les meilleurs au Canada. On a mis en place une multitude de comités, on s'est attaché à examiner la littérature à ce sujet et à surveiller l'état de la situation, entre autres. Or, pendant ce temps, on assistait à une augmentation des coupes forestières draconiennes dans certains secteurs favorables aux caribous de même qu'à une proportion accrue des perturbations du milieu.
Pour vous donner rapidement une idée, dans le mémoire que j'ai déposé concernant le décret, on peut lire que le niveau de perturbations a augmenté de 49 % dans la région de Pipmuacan, de 64 % à Val‑d'Or et de 80 % dans Charlevoix, et ce, de 1995 à 2020. Or, de 1995 à 2020, on a déployé une multitude de comités, de tournées de conciliation, entre autres choses.
Le gouvernement du Québec a récemment promis d'instaurer certaines aires protégées. C'est excellent. C'est un bon début. On envisage des chantiers de restauration d'habitats qui, en passant, peuvent faire travailler des gens en région. Cela est important, car les gens qui ont l'expertise en forêt, en région, peuvent aussi s'investir dans cette démarche. On peut consolider tout cela.
Pour revenir à ma comparaison, monsieur Boulerice, si je continue à ajouter des trous dans le fond du bateau, nous allons assurément couler, peu importe la vitesse à laquelle vous serez capable d'écoper pour enlever l'eau du bateau.
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Merci, monsieur le président.
Ma question s'adresse à M. St‑Laurent.
Je trouve ce débat intéressant, et je pense que la science y occupe une place importante. De plus, je pense que vous, monsieur St‑Laurent, êtes une sommité dans le domaine.
Ma question va peut-être vous paraître simpliste. En créant des enclos dans Charlevoix, on a fait une expérience visant à sauver les caribous qui ont été réintégrés dans les années 1970.
Est-ce qu'agrandir, voire doubler, la superficie de l'enclos pourrait être une solution?
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Merci, monsieur le président, et merci aux témoins.
J'aimerais commencer par M. Cloutier. Vous avez fait quelques commentaires. Notre collègue, M. Simard, du Bloc québécois, a posé d'excellentes questions sur le rôle des syndicats dans ces discussions. J'aimerais poursuivre sur cette lancée.
En Ontario, lorsque j'ai été élu pour la première fois en 2015, nous avons travaillé avec vos collègues ontariens d'Unifor pour relancer l'industrie automobile, qui était en difficulté après des années de négligence de la part du gouvernement fédéral conservateur. Le rôle que les syndicats ont joué dans la relance du secteur automobile de l'Ontario a été absolument essentiel.
Vous avez parlé de durabilité. Vous avez également mentionné les droits des caribous, ce qui pourrait surprendre les gens qui ne connaissent pas bien le monde syndical. Pourriez-vous nous dire à quel point il est essentiel que les syndicats collaborent avec le gouvernement fédéral pour la sécurité, la durabilité et la protection de la harde de caribous, tout en protégeant les emplois?
Il me semble raisonnable de considérer que nous devons... Vous avez mentionné que, dans un parc à proximité, mais dans une zone différente, on a pris d'autres mesures. Dans un article publié en 2024 dans Ecological Applications et intitulé « Effectiveness of population-based recovery actions for threatened southern mountain caribou » — qui est la même espèce, mais en Colombie-Britannique —, je remarque que l'étude a conclu que la mise en enclos et la réduction du nombre de loups étaient les deux mesures de rétablissement les plus importantes par rapport au taux instantané annuel.
Voici ma question: entretemps, pourquoi ne prendrions-nous pas des mesures immédiates comme celles‑là, qui, nous le savons, fonctionnent? L'industrie pourrait ainsi travailler avec les chercheurs, avec le gouvernement du Québec ou avec le gouvernement fédéral, au besoin, pour trouver des solutions à plus long terme.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Bonjour à tous.
J'aimerais m'adresser à M. Vachon.
Nous avons beaucoup parlé des emplois, des emplois durables, de la responsabilité des gouvernements d'investir dans des emplois durables dans le secteur forestier, mais aussi de la part de responsabilité qui revient aux compagnies forestières dans la création de ces emplois durables. On demande donc à tous, c'est-à-dire le gouvernement, les employés, bien sûr, mais aussi l'industrie, d'avoir une vision à long terme, d'avoir une industrie durable.
Sentez-vous que le gouvernement du Québec a une vision claire de l'avenir du milieu forestier, qui est ancré justement dans le développement durable?
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Merci beaucoup, monsieur Vachon.
J'aimerais maintenant m'adresser à M. St‑Laurent.
Dans tous les débats publics qu'on mène, une des choses importantes est de ne pas se mettre la tête dans le sable.
J'écoutais nos collègues conservateurs dont le discours est très ciblé sur des mesures à court terme. Toutefois, il ne tient pas compte de l'impact plus grand sur notre biodiversité ainsi que sur l'avenir économique de notre pays, en fait.
Vous avez utilisé une métaphore, à savoir qu'on a une planète et qu'autour, il y a un cercle. Au centre, il y a notre planète et sa santé et, à partir de cela, on peut bâtir une économie. Or on ne peut pas bâtir cette économie sans le cœur.
Pouvez-vous nous en dire davantage sur cette analogie?
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Nous reprenons la séance avec notre troisième et dernier groupe de témoins.
Je remercie les témoins d'avoir accepté de se joindre à nous aujourd'hui.
[Français]
Nous recevons, à titre personnel, M. Louis Bélanger, qui est professeur à la retraite d'Aménagement durable des forêts, de la Faculté de foresterie de l'Université Laval.
Nous recevons également M. Luis Calzado, le directeur général de l'Association québécoise de la production d'énergie renouvelable.
[Traduction]
Nous accueillons Rachel Plotkin, gestionnaire de projet boréal à la Fondation David Suzuki.
Vous disposez chacun de cinq minutes pour faire vos déclarations préliminaires.
Nous allons commencer tout de suite par M. Bélanger.
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Merci, monsieur le président.
Mesdames et messieurs les membres du Comité, je vous donne le bonjour et je vous remercie de cette occasion de vous rencontrer.
Biologiste et ingénieur forestier, je suis aussi professeur d'aménagement intégré des forêts à l'Université Laval. Je suis membre de l'Équipe de rétablissement du caribou forestier du Québec, où je représente Nature Québec. J'étais aussi membre de la défunte table nationale des partenaires qui avait comme mandat de mettre en œuvre le plan d'action québécois pour le caribou forestier.
C'est à ce titre que j'aimerais vous faire deux recommandations. L'une concerne la harde de caribous de Charlevoix, l'autre, celle du Pipmuacan. Ce sont deux hardes que je connais bien.
Dans le cas du caribou de Charlevoix, je recommande, et ce, avec passion, que le ministre de l'Environnement et du Changement climatique, , n'inclue pas le caribou de Charlevoix dans son décret d'urgence. Je fais cette recommandation parce que le Québec vient de déposer un projet qui répond tout à fait aux préoccupations du ministre quant aux menaces imminentes pour la survie de cette population.
En raison de l'histoire particulière du caribou de Charlevoix, une stratégie de restauration de son habitat est mise en œuvre depuis 15 ans. Cela s'est fait en concertation avec tous les intervenants de la région, dont la nation huronne‑wendate et l'industrie forestière. En 2008, des répercussions économiques majeures ont été assumées par la région. La possibilité forestière de Charlevoix avait alors été coupée de 35 %. Je le répète, il s'agissait de 35 %. En 2022, cette stratégie a été bonifiée et présentée à nouveau par la Commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards. Elle a alors reçu à nouveau l'appui unanime des intervenants de la région. Le projet pilote, déposé en mai dernier par le ministère de l'Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs du Québec, accompagné d'un projet de règlement, vient finaliser cette longue démarche régionale.
Malheureusement, le décret d'urgence du gouvernement du Canada fait complètement fi de ces 15 années d'efforts dans Charlevoix. Le décret déplace les efforts de conservation complètement vers l'ouest, vers la municipalité régionale de comté de Portneuf. Le décret, dans son orientation présente, va imposer une deuxième vague de baisses de possibilités forestières pour la région, et ce, pour des gains flous et discutables pour le caribou.
Sur cette base, la décision la plus sage serait de laisser le projet pilote du Québec se finaliser. Une telle décision démontrerait que le ministre Guilbault est sincère lorsqu'il affirme qu'il mise sur une collaboration avec le gouvernement du Québec.
Le cas du caribou du Pipmuacan est tout autre. Nous savons que, depuis 2021, certaines hautes autorités du ministère des Ressources naturelles et des Forêts du Québec bloquent toute concertation transparente visant à trouver des mesures d'atténuation des répercussions économiques du plan du caribou du Pipmuacan. En effet, en 2021, elles ont laissé mourir la table nationale des partenaires. De plus, contrairement à ce qui était prévu dans le plan d'action gouvernemental de 2016, les mesures d'optimisation pour établir un plan de conservation équilibré n'ont pas été présentées à la population. Par exemple, l'examen systématique d'autres sources d'approvisionnement en bois pour les usines touchées n'a pas été fait. Pourtant, les syndicats des travailleurs forestiers réclament depuis quelque temps la mise en place d'une forme de mutualisation des répercussions par l'instauration d'un système de compensation entre usines.
Malheureusement, la population de Sacré‑Cœur, les communautés innues et le caribou du Pipmuacan sont pris en otage par le refus du Québec de rechercher des mesures d'atténuation des répercussions économiques. Les efforts pour trouver une solution équilibrée n'ont pas été faits par le gouvernement du Québec, et rien n'annonce que le ministère des Ressources naturelles et des Forêts a l'intention d'en faire. Certains espèrent peut-être que, devant le drame économique annoncé pour Sacré‑Cœur, l'on abandonne tout effort pour conserver l'habitat du caribou du Pipmuacan.
Que faire, alors? Une piste de solution serait de former une commission technique indépendante ayant pour mandat de faire une analyse détaillée de toutes les options de rechange pour atténuer les baisses d'approvisionnement des usines touchées et d'en faire rapport à la population. Pour ce faire, j'en appelle aux gouvernements du Québec et du Canada.
Merci.
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Bonjour, monsieur le président.
Je remercie le Comité de son invitation.
L'Association québécoise de la production d'énergie renouvelable, l'AQPER, regroupe, depuis 30 ans, tous les intervenants des filières d'énergie renouvelable, dont ceux du secteur éolien et de la filière bioénergie.
Nos membres ont fait la preuve qu'ils étaient résolument engagés dans la protection de la biodiversité en adoptant des pratiques qui minimisent les répercussions environnementales de leurs projets. Par ailleurs, l'atteinte de nos objectifs climatiques conjuguée à la transition vers la carboneutralité exigera une hausse considérable de nos capacités de production, en particulier dans les filières de l'éolien et des bioénergies. Certaines zones concernées par le décret possèdent un fort potentiel éolien, et les restrictions proposées pourraient bloquer les développements futurs. Cela pourrait freiner la transition énergétique du Québec et compromettre nos objectifs climatiques.
Pensons à la zone du Pipmuacan, identifiée comme nécessitant une intervention accrue pour la protection du caribou. Elle possède un grand potentiel éolien. Les restrictions imposées par le décret pourraient compromettre les occasions de développement à venir. De plus, certaines zones provisoires pourraient enclaver des territoires à fort potentiel éolien à l'extérieur de celles-ci, rendant difficile l'aménagement des nouveaux projets.
L'AQPER est particulièrement préoccupée par l'absence de corridors permettant le passage des lignes électriques des futurs projets éoliens situés sur la Côte‑Nord. L'accessibilité de plusieurs sites à bon potentiel éolien serait compromise si de nouvelles lignes électriques, à partir de Micoua et des Outardes vers les postes au sud, ne peuvent pas être aménagées.
Nous proposons une approche de réduction de l'impact axée sur l'évitement, la minimisation et, finalement, la compensation. Par exemple, pour la ligne à 735 kilovolts Micoua-Saguenay, Hydro‑Québec a mis en place des pylônes adaptés permettant aux caribous de passer sous les lignes, démontrant ainsi la faisabilité des mesures concrètes pour concilier le développement énergétique et la protection de la faune. La biomasse forestière, issue d'un aménagement durable, s'inscrit comme un acteur clé dans la lutte contre les changements climatiques, et les restrictions envisagées pourraient freiner les efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre. En effet, une forêt récoltée conformément aux principes de l'exploitation durable a une grande capacité de séquestration du carbone.
L'AQPER recommande donc d'exclure les projets éoliens et les projets de bioénergie utilisant la biomasse forestière résiduelle de la liste des activités potentiellement interdites par le décret.
L'AQPER considère qu'il faut introduire une flexibilité dans l'application des restrictions imposées par le décret d'urgence, afin de tenir compte des spécificités de chaque projet. Les territoires visés par l'éventuel décret d'urgence sont étendus et n'offrent pas un taux de perturbation uniforme. Certains secteurs sont déjà très perturbés et pourraient offrir des lieux privilégiés pour le développement d'un projet éolien.
L'AQPER recommande de privilégier des solutions intégrées pour la conservation du caribou boréal et pour le développement des projets d'énergie renouvelable. Ces projets peuvent inclure des mesures spécifiques de conservation, telles que la restauration des habitats et la mise en place de corridors écologiques, pour réduire la fragmentation de l'habitat du caribou.
Enfin, nous souhaitons que les restrictions imposées par le décret soient modulables et qu'elles prennent en compte les projets futurs, tout en garantissant qu'ils seront réalisés en concertation avec les communautés autochtones et les communautés locales. Une approche flexible et collaborative permettrait non seulement de protéger le caribou boréal, mais aussi de continuer à développer des projets d'énergie renouvelable qui bénéficieront à tous aujourd'hui et, surtout, aux générations futures.
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Bonjour, et merci de me donner l'occasion de comparaître devant le Comité aujourd'hui. Je suis Rachel Plotkin. Je suis gestionnaire du programme boréal de la Fondation David Suzuki. Je travaille à la protection des espèces en péril depuis plus de 20 ans, et plus particulièrement du caribou boréal depuis près de 20 ans.
J'ai en fait passé beaucoup de temps ici sur la Colline du Parlement lors de l'élaboration de la Loi sur les espèces en péril, ou LEP, et j'ai comparu devant le Comité de l'environnement pour l'examen quinquennal de la loi — je ne sais pas si le président se souvient de moi. Lorsque la LEP était en train d'être révisée et débattue, j'ai constaté que tous les partis étaient sincèrement convaincus qu'il s'agissait d'un outil important dans la boîte à outils pour protéger la biodiversité. On a passé beaucoup de temps à débattre le décret d'urgence, mais on reconnaissait que, bien que les provinces prennent la majorité des décisions concernant les terres et les espèces sauvages dans des circonstances normales, la disparition d'une espèce est un problème d'importance nationale. J'ai également participé à la pétition visant à invoquer le décret d'urgence pour le tétras des armoises en Alberta et en Saskatchewan en 2011, un décret d'urgence visant la protection de l'habitat qui a été adopté au final par un gouvernement conservateur, même s'il a eu des répercussions économiques, et qui a permis de progresser vers le rétablissement du tétras des armoises.
Je dois dire que travailler à la protection du caribou boréal et de son habitat au cours des 20 dernières années a été assez déprimant. Comme le montrent les évaluations des progrès du programme de rétablissement fédéral, l'habitat du caribou a continué de se dégrader au fil des ans et les populations de caribous ont continué de baisser.
J'ai écouté les autres audiences du Comité et j'ai souvent entendu le mot « équilibre » comme cadre pour trouver des solutions. Puisque vous aimez les métaphores, c'est mon analogie de la façon dont l'« équilibre » peut être problématique. Imaginez que nous sommes l'année 2000. Vous avez 100 hectares d'habitat du caribou, et il y a aussi les pressions industrielles, alors le gouvernement en place dit: « D'accord, nous allons équilibrer ces intérêts. Nous donnerons 50 hectares aux caribous et 50 à l'industrie. » Puis, cinq ans plus tard, un autre gouvernement est au pouvoir et il y a toujours des pressions de la part de l'industrie. Il y a 50 hectares d'habitat du caribou. Le gouvernement de l'époque dit, « D'accord, trouvons un équilibre », si bien qu'il y a 25 hectares pour le caribou et 25 hectares pour l'industrie. C'est ce qui se passe à l'heure actuelle, et c'est pourquoi nous sommes là où nous en sommes aujourd'hui, à savoir que le troupeau de Charlevoix a moins de 17 % de son habitat qui n'est pas perturbé, et la province continue d'approuver l'extraction industrielle des ressources. Nous savons que les caribous ont besoin qu'au minimum 65 % de leur habitat ne soit pas perturbé pour avoir une probabilité de persistance de 60 %.
Beaucoup de gens présentent le décret de protection en parlant des emplois et des caribous. Si le décret d'urgence est mis en œuvre, il aura une incidence sur certains emplois, à court terme à tout le moins, mais cette conversation porte sur la gestion forestière non durable et sur la façon dont nous pouvons mieux gérer les forêts au Québec tant pour la faune que pour les moyens de subsistance des gens. Comme d'autres l'ont mentionné à cette séance, à long terme, ces deux éléments vont de pair. Si nous voulons que les forêts assurent la sécurité des emplois et ne soient pas soumises à des cycles d'expansion et de ralentissement, elles doivent être gérées de manière durable.
Essentiellement, le fait que l'exploitation forestière conduise les caribous vers l'extinction au Québec est la preuve flagrante qu'elle n'est pas durable à l'heure actuelle. La mauvaise gestion des forêts n'est pas une réalité unique au Québec. En Colombie-Britannique, l'industrie forestière est à court d'arbres à exploiter parce que les plus gros et les plus vieux arbres situés près des usines ont déjà été abattus, et les arbres replantés n'ont pas atteint la maturité pour les remplacer. Les pressions exercées pour maintenir les usines ouvertes à court terme a eu de graves conséquences à long terme. Des études montrent que l'exploitation forestière au Québec diminue considérablement aussi les niveaux naturels de forêts anciennes. À l'heure actuelle, les caribous ne sont pas vraiment pris en considération dans la planification de la gestion des forêts.
Il se trouve qu'il n'y a pas que les organismes de conservation qui veulent changer le statu quo. Écoutez ces extraits d'un communiqué de presse publié par les syndicats de l'industrie forestière au Québec la semaine dernière, qui se sont mobilisés pour dénoncer l'inaction du gouvernement québécois. Ils disent que l'inaction et l'attitude du Québec exacerbent la situation et font des travailleurs un instrument de discorde politique. Ils implorent le gouvernement du Québec de prendre le problème au sérieux et de mettre en œuvre un plan organisé et intelligent pour protéger le caribou des bois, garantir un avenir durable pour l'industrie forestière et soutenir adéquatement les travailleurs qui en assurent la prospérité. Autrement dit, seules les forêts gérées pour la résilience écologique peuvent assurer la résilience des travailleurs qui dépendent de la forêt.
Des forêts en santé soutiennent également les peuples autochtones. Les droits, les cultures et les modes de vie autochtones sont en jeu si le caribou disparaît. Je veux communiquer un message de ma collègue innue, Melissa Mollen-Dupuis, d'Ekuanitshit. Elle se demande où se trouveront tous les emplois lorsqu'on coupera les arbres dans les forêts. Elle dit que ces arguments ont toujours été utilisés. Les emplois ont été utilisés pour justifier le fait d'avoir placé les Autochtones dans des réserves et les caribous dans des enclos. Elle dit aussi qu'une chose est certaine: au cours de leur vie, ses enfants ne connaîtront jamais le goût du caribou ni l'odeur du cuir fumé.
Je fais écho aux propos de mes collègues qui ont déjà comparu devant vous et ont mentionné que les solutions de fortune — comme tuer les loups, qui évoluent conjointement avec les caribous depuis des milliers d'années, ou mettre les caribous dans des enclos, qui les transforment essentiellement en animaux de zoo — ne sont pas de véritables solutions à la crise de la biodiversité actuelle et vont à l'encontre du Cadre mondial de la biodiversité convenu à Montréal en 2022.
La bonne nouvelle dans ce dossier déprimant, c'est que tous les secteurs et toutes les Premières Nations vous ont dit qu'il faut réinitialiser la gestion des forêts et que des solutions existent. S'il y a...
Je réfléchis souvent au fait que bon nombre des obligations que nous avons en tant qu'élus n'ont pas grand-chose à voir avec le fait d'être élus, dans la mesure où les caribous ne votent pas. Les gens qui se soucient des caribous votent, mais les caribous ne peuvent pas le faire. Il en va de même pour les ours polaires, l'air pur et frais, l'eau et la terre, mais nous devons prendre en considération ces éléments lorsque nous prenons des décisions qui auront une incidence sur les gens, les emplois, l'économie et l'environnement.
Si vous étiez à notre place, que vous faisiez partie du gouvernement et deviez prendre une décision qui aurait inévitablement une incidence sur les finances des gens à un moment comme celui‑ci, où les choses sont chères et où nous devons construire des maisons, qui sont souvent construites en bois... Nous avons beaucoup de bois au Canada, mais nous avons également beaucoup de caribous, de choses, d'endroits et d'espèces dont il faut nous occuper. Je n'utiliserai pas le mot « équilibre », car je sais que vous ne l'aimez pas, mais nous devons prendre en considération toutes ces variables.
J'ai une question complémentaire, et je pense que j'en ai probablement déjà trop dit, mais que feriez-vous?
Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins d'être ici. C'est extrêmement intéressant dans le cadre de ce débat, qui est complexe et qui touche des milliers de personnes, des communautés entières, qui ressentent beaucoup d'insécurité.
Nous avons parlé d'équilibre. Madame Plotkin, j'ai trouvé intéressant le fait que vous n'aimiez pas beaucoup ce mot. Effectivement, il peut être assez problématique, parce qu'on veut protéger et maintenir tous les emplois ou en créer d'autres également pour que les communautés puissent survivre. Toutefois, il est vrai que ce n'est pas vraiment un équilibre quand une espèce disparaît, parce qu'il n'y a pas moyen de la faire réapparaître dans la nature par la suite. C'est alors un équilibre un peu difficile à atteindre.
J'aimerais donc vous poser la question suivante. Nous avons entendu beaucoup de gens représentant des communautés des Premières Nations nous dire à quel point non seulement le caribou forestier fait partie de leur identité et de leur mode de vie, mais aussi qu'un caribou en santé est la preuve d'une forêt en santé et qu'il n'y a pas de développement durable sans forêt en santé.
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Merci, monsieur le président.
Dans ma communauté, plusieurs emplois dépendent de la foresterie.
Aujourd'hui, nous avons entendu les syndicats s'adresser au gouvernement et à l'industrie forestière pour les inviter à vraiment repenser la foresterie. Ils veulent ainsi qu'on puisse offrir aujourd'hui et demain aux enfants de nos communautés rurales des emplois dont ils pourront être fiers et qui vont leur permettre de prospérer et de participer pleinement à l'économie de demain.
Les employés lancent un cri du cœur, et je l'entends haut et fort chez nous.
Les employés ont des idées et il faut les écouter. Les syndicats ont d'ailleurs proposé une de ces idées, qui consisterait à arrêter de produire des quatre-par-quatre pour ensuite les envoyer aux États‑Unis ou ailleurs. Nous pouvons en faire plus avec le bois que nous avons. Nous pouvons faire plus de transformation. Nous avons des employés extrêmement bien formés et spécialisés qui travaillent fort.
[Traduction]
Madame Plotkin, vous étiez rendue dans votre déclaration liminaire à parler de la bonne nouvelle. La bonne nouvelle est de réinitialiser l'industrie pour que nous puissions tous prospérer, surtout dans les régions rurales du Canada. Je voulais vraiment en entendre parler.
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Je veux rapidement revenir à ce qu'a dit Mme Chatel.
Je lui ferai simplement remarquer que cette transformation dans le secteur forestier est souhaitée par plusieurs personnes depuis des années. Or, malheureusement, dans l'ensemble de l'aide qui est fournie par le gouvernement au secteur forestier, 75 % de cet argent est accordé sous forme de prêt. Ma région, le Saguenay‑Lac-Saint-Jean, rapporte plus au gouvernement fédéral par année que l'ensemble du soutien financier qui est accordé au secteur. Le soutien du gouvernement fédéral pour favoriser la transition des produits de commodité vers plus de transformation est donc inexistant, et il l'a toujours été. J'ai l'impression que le gouvernement a un examen de conscience à faire.
Pour finir, je vais poser une question à M. Bélanger, qui a fait partie de l'équipe de rétablissement. Peut-être M. Bélanger a-t-il très bien connu le regretté Claude Villeneuve, qui nous a donné un sérieux coup de main lorsqu'il était question du secteur forestier et du caribou. M. Villeneuve nous disait qu'il ne fallait pas sous-estimer l'effet des changements climatiques sur l'habitat du caribou.
Je sais que cet argument ne fait pas nécessairement consensus auprès de certains biologistes de la grande faune, mais j'aimerais entendre ce qu'en pense M. Bélanger. Croit-il que les changements climatiques, en particulier dans le secteur du réservoir Pipmuacan, auront un effet sur la migration vers le nord de certaines hardes de caribous?