:
Merci beaucoup, monsieur le président.
Chers collègues, j'aimerais vous remercier de m'avoir invité à comparaître pour discuter de la situation du caribou boréal au Québec.
Le caribou boréal est une espèce indicatrice de la santé globale de la forêt. Le déclin de sa population est considéré comme ce qu'on appelle communément un « canari dans la mine », c'est-à-dire un signe que l'écosystème de la forêt boréale se dégrade. Nous comprenons depuis longtemps que cet écosystème est important, non seulement pour la santé du caribou, mais aussi pour notre air, notre eau, notre climat et notre économie.
La richesse naturelle québécoise et canadienne est ancrée dans notre culture et fait partie de notre folklore. Nous bénéficions toutes et tous des bienfaits et services gratuits qu’elle nous fournit. Tous les jours, ces services sont, notamment, un air pur, le fait de tempérer les canicules et les vagues de chaleur, le filtrage de notre eau, communément appelée or bleu au Québec, et la séquestration du carbone. Bien sûr, cela permet aussi de soutenir des économies telles que celles du bois d’œuvre, des pâtes et papiers, de la biomasse et j’en passe. Cependant, tous ces services et bienfaits ne peuvent être tenus pour acquis. Il est de notre responsabilité collective d’assurer la santé de nos écosystèmes, puisque nous continuons à bénéficier de toute la richesse et des occasions que la nature nous offre.
Comme vous le savez déjà, le Canada a reçu le monde entier à Montréal en décembre 2022, lors de la Conférence des Nations unies sur la biodiversité, la COP15. Grâce au leadership du Canada et de ses alliés, un nouveau Cadre mondial pour la biodiversité a été adopté. Le gouvernement du Québec y a d’ailleurs souscrit et s’est engagé à contribuer aux objectifs mondiaux de protéger au moins 30 % des terres et des océans d’ici 2030 et de mettre un frein au déclin de la biodiversité.
Nous félicitons souvent le Québec pour son leadership environnemental et social, ce qui passe par la tarification du carbone, une politique essentielle à tout plan climatique et pour stimuler l’innovation dans une économie verte, l’électrification des transports, les services de garde et bien d’autres. Malheureusement, certains de ces succès sont dans l’ombre d’un échec qui ne date pas d’hier. C’est en réaction à cet échec que le gouvernement fédéral a commencé le processus de développement d’un ordre de protection pour conserver l’habitat de trois hardes de caribous au Québec dont le rétablissement fait face à une menace imminente.
[Traduction]
En 2003, le caribou boréal a été inscrit sur la liste des espèces menacées en vertu de la Loi sur les espèces en péril, ou LEP. Les tendances des populations de caribous indiquent que l'espèce est en déclin dans tout le Canada. Au Québec, par exemple, la majorité des dix populations identifiées par la province est en déclin. En 2023, le gouvernement québécois estimait que la population provinciale comptait moins de 7 400 individus, ce qui représente une baisse nette au cours des dix dernières années. Deux de ces populations, Val‑d'Or et Charlevoix, sont maintenues dans des enclos ouverts à l'année, avec des populations de 9 et 39 caribous respectivement.
La population de Pipmuacan a diminué de 24 % entre 2012 et 2020. Sans action urgente, il y a un risque élevé que toutes ces populations n'existent plus à l'état sauvage et qu'elles soient vouées, à défaut d'adopter un plan approprié, à vivre dans des enclos jusqu'à la fin de leurs jours. Ce n'est pas acceptable.
[Français]
Nous négocions avec le gouvernement du Québec depuis 2016. Nous lui avons offert de partager les coûts liés au rétablissement et à la protection de l'habitat du caribou, tout en avançant des ententes de conservation avec d'autres provinces et territoires du pays.
En 2022, nous avons cru avoir une résolution: une lettre conjointe et l'engagement clair du gouvernement du Québec à déposer une stratégie sur le rétablissement du caribou d'ici juin 2023. Cette dernière comprendrait notamment la façon dont nous allons protéger au moins 65 % de l'habitat du caribou. Sept ans après le début de nos délibérations et en parallèle avec les conclusions de la Commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards, qui confirme que cette espèce est en déclin au Québec, le gouvernement provincial doit en faire plus, le plus rapidement possible, afin de protéger et de restaurer l'habitat de cette espèce.
Après une décision du gouverneur en conseil, prise l'an dernier, visant à privilégier une approche de collaboration — approche que nous avons toujours mise en priorité —, nous avons attendu la stratégie du gouvernement du Québec. Hélas, celle-ci n'est jamais venue. À la suite de nombreuses demandes, mon ministère a réalisé une évaluation scientifique et factuelle des menaces imminentes qui pèsent sur les aires de répartition du caribou boréal au Québec. Cette évaluation rigoureuse s'appuie sur les meilleures données et informations disponibles et démontre clairement que les populations de caribou boréal du Québec sont confrontées à de multiples menaces imminentes.
Fort de cette évaluation, le 10 mai 2024, j'ai émis l'opinion que le caribou boréal faisait face à des menaces imminentes pour son rétablissement. J'étais donc légalement obligé, en vertu de la Loi sur les espèces en péril, de recommander au gouverneur en conseil un décret d'urgence visant à assurer la protection de l'espèce. Le 19 juin 2024, le Canada a annoncé qu'il procédait à l'élaboration d'un décret d'urgence ciblé pour protéger l'habitat des trois populations de caribou boréal les plus en péril au Québec.
Notre gouvernement a adopté une approche raisonnable et équilibrée sur cette question. Cette approche vise à protéger le meilleur habitat disponible pour le caribou, tout en limitant autant que possible l'impact socioéconomique. Notre gouvernement n'envisage pas ce décret d'urgence à la légère, tout comme le précédent gouvernement conservateur n'a assurément pas pris à la légère la décision, en 2013, d'appliquer un décret d'urgence dans les Prairies pour le tétras des armoises.
Les outils de la réussite de la survie et du rétablissement du caribou sont partagés par les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux et doivent inclure les communautés autochtones, les municipalités, l'industrie, les syndicats et la société civile. Cela ne peut être un succès sans que la province soit un partenaire disposé à agir, car elle a la responsabilité principale de la gestion de la faune et de nombreux outils clés.
Bien que nous ayons invité le gouvernement du Québec à participer aux consultations, la province a jusqu'à maintenant refusé de le faire. De plus, elle n'a pas fourni de données pour appuyer l'analyse socioéconomique. Tout au long de ce processus, nous avons fait preuve d'ouverture à l'endroit du gouvernement du Québec, afin de tenter de trouver une solution collaborative. Personnellement, j'ai toujours espoir que nous pourrons trouver une approche équilibrée, de concert avec le gouvernement du Québec, qui dispose de la boîte à outils réglementaire et législative la plus flexible pour une approche à l'égard du caribou.
Le 30 avril 2024, Québec a déposé une série de mesures locales limitées pour trois projets pilotes, dont deux concernent le caribou boréal. Cependant, les mesures proposées ne sont pas clairement définies, font l'objet de consultations, et il n'y a toujours pas d'échéancier quant à leur mise en œuvre. Si Québec prend des mesures suffisantes, la mise en place du décret fédéral pourrait ne pas être nécessaire. Cependant, vu la menace qui pèse sur le caribou, si le gouvernement du Québec n'adopte pas une approche adéquate, alors nous avons la responsabilité légale et morale d'intervenir.
Cela me fera plaisir de répondre à vos questions.
:
Merci, monsieur le président.
Merci, monsieur le ministre, pour votre comparution.
Je vais poser mes questions en anglais.
[Français]
Vous pouvez parler en français, si vous voulez.
[Traduction]
Je sais que c'est une question qui concerne le Québec, mais c'est aussi une question nationale et internationale.
Au début de votre déclaration liminaire, vous avez parlé des accords internationaux que nous avons signés. En 2015, nous avons notamment souscrit aux objectifs de développement durable avec 193 autres pays. Vous avez des obligations légales au titre de la Loi sur les espèces en péril, mais ce n'est pas vous qui avez décidé de proposer le décret d'urgence, n'est‑ce pas?
:
Ce n'est donc pas une question de politique. C'est une question de légalité, d'après ce que je comprends.
Vous hochez la tête en signe d'assentiment.
En ce qui concerne les objectifs de développement durable, ou ODD, je crois que le 15e porte sur la vie terrestre. Ils comprennent également la durabilité économique, environnementale et sociale, y compris les emplois et le soutien à la transition, de sorte que tous ces objectifs concordent avec les trois piliers de la durabilité acceptés par 193 pays.
Il me semble que cet aspect soit trop souvent laissé de côté. Lorsque les pays se sont réunis aux Nations unies, 193 d’entre eux ont déterminé la façon dont nous, en tant que planète, allons aborder la durabilité. Le caribou fait partie de la discussion, mais les travailleurs aussi.
Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet, s'il vous plaît?
Merci d'être présent, monsieur le ministre. Vous savez, le secteur forestier, c'est une chaîne: si on coupe un maillon de la chaîne, on a un effet négatif sur l'ensemble de la filière forestière. Quand j'analyse les données qui me sont présentées, et même le rapport venant de votre ministère, je vois un effet disproportionné sur le secteur forestier.
Vous devez prendre en considération la conjoncture. Depuis les quatre dernières années, le secteur forestier a dû combattre des feux de forêt — qui entraînent un manque à gagner considérable pour les gens du secteur —, des épidémies, des infestations de tordeuse des bourgeons de l'épinette, un manque criant de soutien financier de la part du gouvernement fédéral et des tarifs disproportionnés. Il faut mettre tout cela ensemble et, si vous allez de l'avant avec le décret, je vous garantis que vous allez déstructurer complètement le secteur forestier au Québec. Je vous dis cela parce que la majorité des petites communautés dévitalisées du Saguenay—Lac‑Saint‑Jean et de la Côte‑Nord vivent essentiellement de la forêt.
Dans le rapport que vous avez déposé, il y a 1 400 emplois directs qui sont mis en péril par le décret. Si, en plus, on calcule les emplois indirects et induits, je vous dis sincèrement que ce serait une catastrophe. Je comprends que vous voulez faire pression sur Québec. Je suis d'accord avec vous, il faut trouver un moyen de protéger le caribou. Cependant, si vous allez de l'avant, je vous garantis que vous allez déstructurer un nombre considérable de communautés au Saguenay—Lac‑Saint‑Jean. Vous allez les affamer. Ce n'est pas un petit mot, vous allez les affamer, et je ne suis pas certain que vous allez réussir à sauver le caribou.
Dans le secteur forestier, on peut écouter les biologistes de la grande faune qui défendent très bien le caribou. Or, il faut aussi voir l'ensemble de l'écosystème. Si on sort les compagnies forestières de la forêt, il n'y aura plus d'aménagement forestier. On aura donc des forêts moins résilientes et plus propices à des feux et à des épidémies d'insectes. Cela doit aussi faire partie de votre réflexion.
Je sais que vous pouvez indiquer que Québec tarde à agir. Par contre, je pense que la meilleure solution qui est devant vous, c'est de reculer. C'est peut-être, aussi, d'engager une conversation avec Québec et différents intervenants pour trouver une solution qui va permettre à la fois de sauver le caribou et, surtout, de maintenir ces emplois.
Depuis 2019 que je suis député, je n'ai jamais vu un geste positif pour l'industrie forestière de la part de votre gouvernement. Si j'étais en mesure de vous rendre les témoignages que j'ai reçus de l'ensemble des acteurs du secteur forestier, c'est un cri du cœur que je vous lancerais.
Ce que je vous demande, aujourd'hui, c'est d'être conscient de ça. Je comprends très bien votre volonté, qui est louable, mais je pense que les effets négatifs sont beaucoup plus grands que les effets positifs.
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Monsieur Guilbeault, vous avez l'obligation légale d'agir. On a aussi des obligations pour atteindre les cibles de réduction des gaz à effet de serre qu'on s'est fixées.
Pourtant, je vois des millions d'incohérences. Vous avez donné 34 milliards de dollars pour acheter un pipeline, mais votre plan le plus ambitieux pour faire la transition énergétique ne se chiffre qu'à 40 milliards de dollars. Donc, d'un côté, un seul projet d'hydrocarbures a coûté 34 milliards de dollars. De l'autre, le projet le plus ambitieux de votre histoire pour lutter contre les changements climatiques et vivre la transition énergétique a coûté 40 milliards de dollars. C'est épouvantablement incohérent, mais je sais que vous êtes capable de vivre avec ça, parce qu'en politique, des fois, on doit faire des compromis.
Je vous demande aujourd'hui de faire un compromis qui fera que des tas de petites collectivités du Québec, y compris La Tuque, dont vous êtes originaire, pourront continuer à vivre du secteur forestier, à contribuer à la construction de résidences à faible intensité carbonique au moyen de l'utilisation du bois, à contribuer à remplacer des produits qui ont une empreinte carbone considérable au moyen de la bioéconomie.
Si vous allez de l'avant, vous mettez tous ces éléments en péril. Selon l'analyse très conservatrice que vous avez produite — ce n'est pas une insulte —, le décret aurait pour conséquence de mettre 55 entreprises sur le carreau. Ces 55 entreprises sont majoritairement dans de petites communautés dévitalisées. Je comprends que vous ayez l'obligation de déposer ce décret, mais je pense que le gouvernement n'en est pas à un compromis près. La meilleure décision que vous pourriez prendre est d'attendre, d'écouter encore Québec, et d'essayer de trouver ensemble un compromis.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Monsieur le ministre, je vous remercie d'être avec nous aujourd'hui pour cette étude importante.
Nous sommes au comité de l'environnement, je vais donc parler d'environnement. Vous avez parlé de beaucoup de choses importantes dans votre allocution d'introduction, comme la biodiversité et les changements climatiques. À ce sujet, j'ai devant moi une liste non exhaustive décrivant le bilan de votre gouvernement.
Sous le gouvernement libéral, le Canada a le pire bilan de réduction des gaz à effet de serre des pays membres du G7. De tous les membres du G20, le Canada est le pays qui finance le plus, avec de l'argent public, l'industrie pétrolière et gazière. Quand les Nations unies ont demandé à leurs États membres de taxer les profits excessifs du secteur pétrolier et gazier, les lobbyistes de ce secteur sont débarqués dans le bureau de la ministre des Finances, et vous avez reculé lors du dernier budget.
On n'a toujours pas de plafond des émissions de gaz à effet de serre pour le secteur pétrolier et gazier. Le commissaire à l'environnement et au développement durable sonne l'alarme sur le fait qu'on ne peut pas faire confiance à votre plan pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Pour les grandes sociétés, il y a tellement d'échappatoires dans votre plan que des compagnies comme Suncor paient un quatorzième du prix du carbone payé par un travailleur moyen ou une famille moyenne.
Enfin, comme l'a dit mon collègue, votre gouvernement a acheté un pipeline pour 34 milliards de dollars, un pipeline tellement inutile que même le secteur privé ne voulait pas prendre le risque de l'acheter et de l'agrandir.
On veut sauver le caribou forestier, mais, si on sauve le caribou alors que la planète brûle et que la forêt autour du caribou brûle, qu'est-ce qu'on aura accompli?
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Je vais laisser M. Hermanutz ou Mme Shannon vous donner plus de précisions sur les aspects socioéconomiques, mais je peux donner quelques chiffres au sujet des consultations.
Parmi les gens qui ont participé aux consultations, plus de 400 personnes provenaient de l'industrie forestière et des syndicats, environ 60 personnes provenaient de l'industrie minière ou étaient des travailleurs du secteur minier, 30 personnes provenaient du secteur du tourisme, 26 personnes représentaient diverses municipalités, et 105 personnes provenaient d'autres secteurs des régions. De plus, 200 personnes des Premières Nations et 59 groupes écologiques ou experts ont été consultés. En fait, nous pouvons vous fournir la liste des représentants des différentes municipalités, municipalités régionales de comté, compagnies, associations et syndicats qui ont été rencontrés. J'ajoute que, à la demande de deux communautés autochtones, la période de consultation a été prolongée d'un mois. Nous avons tenu d'importantes consultations.
Votre collègue du Bloc québécois nous disait que la solution pourrait être d'attendre avant de déposer le décret, mais ça fait huit ans que nous attendons. À quel moment se dit-on que ce n'est pas sérieux, qu'il y a quelqu'un autour de la table qui n'est pas sérieux? Comme je viens de le dire, ça fait huit ans que nous attendons. Vous avez entendu plusieurs experts dire que le décret n'est pas radical, mais qu'il est un compromis. Certains pensent même que ça aurait dû être fait depuis longtemps. Ce n'est pas comme si nous n'avions pas donné au gouvernement du Québec la chance de s'asseoir à la table et de proposer des solutions. Nous l'avons fait à plusieurs reprises, mais il ne l'a pas fait jusqu'à maintenant, hélas.
:
Merci, monsieur le président.
Nous qualifions effectivement le décret de radical et nous disons qu'il n'est peut-être pas équilibré, parce que M. Branchaud, qui est venu témoigner devant le Comité sur ce dossier au mois d'août, disait que ça prenait 200 individus pour qu'il y ait des chances de survie, alors que vous voulez mettre en place un décret pour seulement neuf individus.
Cela dit, je vais poser une question sur un autre thème, celui des mines. Dans un article du Devoir, que j'ai apporté, on parle du projet Novador de la société aurifère Probe Gold en Abitibi‑Témiscamingue. Pour appuyer ce projet, le gouvernement serait disposé à exclure la zone en question pour permettre à Probe Gold de s'y installer. L'entreprise reconnaît, comme le rapportait Le Devoir le 13 septembre, que le projet impliquera beaucoup d'activités en milieu naturel, y compris une perturbation ou une destruction de certaines composantes du milieu, par exemple le détournement de cours d'eau, comme des rivières, ou la perte de milieux humides. On ajoute que tout le complexe industriel sera d'ailleurs implanté au cœur de l'habitat essentiel de la population de caribous de Val‑d'Or, selon les constats de votre ministère.
Oui, il y aura une évaluation environnementale, mais il reste que le gouvernement pourrait autoriser ce projet, quelles que soient les conclusions de l'évaluation environnementale, « si l'intérêt public justifie ces effets », comme le rapporte l'article. Il me semble qu'on a deux poids, deux mesures en ce qui concerne la mine d'or et le secteur forestier. Déjà, l'or, ce n'est pas ma tasse de thé. On va permettre à cette entreprise de perturber profondément la population de caribous dans cette région en excluant cette zone de l'application du décret. Pourquoi?
Ceci met fin à la première heure de la réunion.
Monsieur le ministre, je crois comprendre que vous devez nous quitter, mais que les représentants du ministère qui vous accompagnent aujourd'hui peuvent rester une heure de plus. Se joindront à eux Marie-Josée Couture, directrice générale par intérim, Service canadien de la faune, et Nicholas Winfield, directeur général, Service canadien de la faune.
Madame Couture et monsieur Winfield, veuillez prendre place à la table. Nous allons poursuivre la réunion.
Puisqu'il n'y a pas eu d'interruption de la réunion, le prochain tour de questions ne sera pas de six minutes par personne. Nous continuerons avec les tours de questions de cinq minutes et de deux minutes et demie.
Nous allons commencer par M. Martel.
:
Merci, monsieur le président.
Je voudrais revenir sur cette dernière remarque. Il semble que nous adoptions, à bien des égards, une approche consistant à « se dépêcher, puis attendre ». Je comprends que le ministre ait déclaré qu'il était absolument nécessaire d'agir, mais nous semblons imposer des mesures qui ne produiront aucun effet avant des décennies. Nous parlons de fermetures de routes et de reboisement; cela ne se fera pas du jour au lendemain. Il s'agit de régions isolées. Nous ne plantons pas des arbres semi-matures; il s'agira donc d'un processus très long.
L'analyse socioéconomique préliminaire produite par le ministère indique que les avantages supplémentaires d'un décret ne peuvent pas être évalués en raison de l'incertitude concernant la manière dont un décret d'urgence augmenterait la probabilité de rétablissement des espèces. Le a déclaré à tort que les enclos de maternité et les réductions de la prédation par les loups ne fonctionnent pas. Je suis reconnaissant à la Fédération canadienne de la faune, ou FCF, d'avoir clarifié que ces mesures fonctionnent en fait. Il est peut-être juste de dire qu'il ne s'agit pas d'une solution à long terme et que nous devrions peut-être encore entreprendre des efforts de ce type, mais les données scientifiques contenues dans un article révisé par des pairs et rédigé par l'un de nos précédents intervenants d'Ecological Applications montrent que le meilleur moyen d'obtenir un taux d'accroissement annuel instantané est l'enclos et la réduction de la population de loups.
Ma question au ministère et à la FCF est donc la suivante: pourquoi adopterions-nous une approche dont nous ignorons si elle portera ses fruits et dont nous savons que, dans l'affirmative, elle prendra beaucoup de temps, alors que, si nous nous trouvons dans une situation de décret d'urgence, nous pourrions prendre des mesures plus immédiates, plus efficaces et qui nous donneraient le temps d'adopter ces solutions plus importantes et à plus long terme?
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Je vous remercie de votre question.
Lors des consultations, nous avons discuté de ce qui pourrait être exclu du décret. Il ne s'agit pas de ce qui sera exclu du décret, mais simplement d'une approche pour trouver un juste équilibre entre les gains en matière de biodiversité ou de conservation et les pertes économiques.
Il y a une différence dans l'envergure des changements apportés au paysage par les activités forestières et l'exploitation minière. Les deux secteurs doivent être gérés efficacement pour protéger le caribou, mais l'une des différences concerne l'empreinte physique et l'ampleur de l'impact. Dans le cas de l'industrie forestière, l'empreinte sur les forêts, et donc sur l'habitat du caribou, est généralement plus importante que celle de l'exploitation minière, mais dans les deux cas, elles doivent être gérées de manière durable.
Je prends bonne note de votre argument, et je vous remercie de votre question.
Mon collègue peut parler des aspects socioéconomiques.
:
Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins de leur présence.
Monsieur Winfield, je voudrais juste vous dire que je vous suis reconnaissante d'avoir terminé votre réponse à la dernière question en affirmant que le caribou forestier n'a aucune chance de survivre si un décret d'urgence n'est pas mis en place. Nous pouvons nous interroger sur les chances de succès de ce programme, mais nous savons que ces animaux ne seront plus là, qu'ils disparaîtront si nous ne faisons rien.
Comme vous le savez, depuis 2002, cette espèce figure sur la liste des espèces en péril. De nombreux travaux ont été réalisés au fil des ans et, comme l'ont dit plusieurs témoins, ces animaux sont les plus étudiés au Canada. Nous savons beaucoup de choses à leur sujet.
Il semble y avoir une tension entre la rentabilité à court terme et le maintien des emplois. Bien entendu, les emplois sont très importants. En fait, le gouvernement actuel a créé plus d'emplois que n'importe quel autre gouvernement, mais le gouvernement a pour rôle d'envisager les résultats à long terme, et pas seulement les profits à court terme. Je me demandais si vous pouviez replacer cette responsabilité dans le contexte de ces emplois dans le secteur forestier.
Quand une est en place et que nous savons qu'une transition doit avoir lieu et que la santé des caribous est étroitement liée à la santé de ces forêts, nous pouvons nous demander si ces emplois existeront plus longtemps que deux ou trois ans, disons, si les caribous disparaissent et que ces circonstances liées au changement climatique, aux feux de forêt et à tous ces autres phénomènes continuent de se multiplier. Si nous nous contentons de sauver les emplois et les types d'emplois qui existent actuellement, au lieu d'envisager des emplois à long terme pour ces collectivités si précieuses, envisageons-nous une solution à court terme plutôt qu'une solution à long terme?
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Monsieur le président, mesdames et messieurs, membres du Comité, je vous remercie de me donner l'occasion de vous faire part de mes réflexions au sujet du caribou forestier.
Je suis ingénieur forestier, retraité du ministère des Ressources naturelles et des Forêts du Québec, où j'ai travaillé pendant 30 ans. Je demeure toujours actif, notamment en travaillant sur les questions d'aménagement en forêt boréale.
Au cours des 15 à 20 dernières années, j'ai été témoin des débats concernant le sort du caribou forestier. Tout au long de cette période, j'ai toujours senti que la grande majorité des acteurs du milieu étaient soucieux de trouver un équilibre et que personne ne souhaitait de catastrophe pour les communautés forestières. Il s'agit là, à mon avis, d'un atout précieux à cultiver. Cette quête d'équilibre passe certainement par une optimisation des efforts de protection. Les contours des secteurs à protéger ont été redessinés mille fois. Les mesures à moindre impact pour l'industrie ont été souvent examinées.
Or, pour arriver à dégager un espace de solution consensuelle, il faut aussi examiner l'autre bout du spectre. Le modèle d'affaires actuel et sa chaîne de valeur doivent aussi faire partie de l'équation. Ceux‑ci ne sont pas immuables et doivent évoluer. La défense du statu quo à tout prix n'est pas une posture qui porte au compromis, d'autant plus qu'une évolution du modèle d'affaires pourrait faire une place au caribou tout en offrant des perspectives économiques intéressantes. Nous nous devons d'explorer cette voie.
Plusieurs acteurs du monde forestier évoquent la nécessité de mettre en place une transition juste. J'abonde en ce sens, mais j'ajoute qu'une discussion concrète et rigoureuse sur le sujet fait indéniablement partie d'un processus de concertation. Il faut maintenant dépasser le stade des idées générales et entreprendre l'élaboration d'un plan de transition juste. À mon avis, un tel plan doit comporter trois volets.
En premier lieu, il faut mettre en place des mesures d'atténuation à court terme pour pallier les impacts immédiats. Plusieurs options sont possibles. À titre d'exemple, mentionnons la possibilité de réviser des structures d'approvisionnement des usines. Ça s'est déjà fait par le passé. Aussi, des programmes sylvicoles requérant la main-d'œuvre habituellement impliquée dans la récolte sont envisageables. Par ailleurs, d'autres chantiers régionaux pourraient fournir de l'emploi à certaines catégories de travailleurs, je pense entre autres aux chantiers éoliens.
Le deuxième volet, le plus important, concerne la transition industrielle en tant que telle. Déjà, la filière du sciage est dans un processus de consolidation. Dans ce contexte, il y aura des gagnants avec des usines plus rentables, mais il y aura aussi des perdants avec des villages qui verront leur usine fermée. C'est alors qu'il faut envisager le développement de nouveaux créneaux basés sur une approche de valeur ajoutée ou sur l'exploitation de bois actuellement disponible, mais sous-utilisé par l'industrie. Il y a là des quantités appréciables de bois à valoriser. La chimie du bois pourrait offrir des options intéressantes.
Finalement, le troisième volet consiste à apporter des correctifs afin de s'assurer d'un approvisionnement prévisible pour la prochaine génération industrielle. Plusieurs problèmes compromettent actuellement l'offre de bois attendue, même en faisant abstraction du caribou. Le débat entourant le décret devrait conduire à la mise sur pied d'un groupe de travail chargé de préparer un plan de transition. Pour réussir, ce groupe devrait faire appel à des experts indépendants et assurer la transparence dans sa démarche. Il devra aussi bénéficier d'un soutien financier de la part des deux ordres de gouvernement. Réaliser un tel chantier ne sera pas chose facile et les résultats restent incertains, mais je me refuse à croire qu'ils seront nuls. Sinon, quelle est l'autre option?
Il faut un brin de naïveté pour penser que la controverse du caribou va s'éteindre doucement au fur et à mesure que les derniers individus seront mis en enclos. Si un plan crédible de protection du caribou n'est pas mis en place rapidement, le conflit va perdurer et éventuellement se radicaliser. Ceci aura notamment pour conséquence de créer un repoussoir pour les investisseurs. Ce sont pourtant des joueurs essentiels dans la modernisation d'une filière bois que l'on souhaite robuste et durable au bénéfice des communautés forestières. Profitons du fait que tous souhaitent cet avenir pour les communautés et intégrons tous les ingrédients dans la discussion. Nous pourrons ainsi trouver un espace de solution qui sera véritablement rassembleur.
Je pense que mon message principal est de dire qu'il y a des options, et c'est peut-être la seule voie de passage dont nous disposons.
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Bonjour, je m'appelle Joseph-Pierre Dufour.
Après 40 ans de développement, notre structure actuelle, qui exploite les ressources forestières renouvelables, utilise maintenant la matière à 100 %. Bien que nous soyons dépendants d'une ressource unique, sa valorisation s'applique dans différents secteurs économiques.
Si vous connaissez déjà le complexe de Sacré‑Cœur, vous savez qu'en plus de l'usine de Boisaco, qui produit du bois d'œuvre, il est également composé de l'usine Sacopan, qui utilise les copeaux pour produire des panneaux de porte, de Granulco, qui les utilise pour la conception de granules, et de Ripco, qui transforme les rabotures de bois en litière équestre. Pour s'assurer que rien n'est perdu, nos centrales thermiques et chaufferies brûlent l'écorce pour nos procédés nécessitant de la chaleur et, enfin, envoient les cendres aux agriculteurs locaux. Je pense que notre complexe est un modèle exemplaire, soutenu par la communauté locale et basé sur une vision de développement durable.
Le décret d'urgence présenté met en péril plus de 600 emplois directs, des centaines d'emplois indirects, des entrepreneurs et des commerces. De nombreuses familles seraient touchées par la disparition du seul moteur économique de la région. Dans une population de 5 000 habitants répartis sur quatre municipalités, il est évident que ce serait catastrophique pour la Haute‑Côte‑Nord et que ça aurait également des répercussions néfastes pour les régions du Saguenay et de Charlevoix.
Soyons réalistes, nous n'allons pas réinventer l'économie de la Haute‑Côte‑Nord du jour au lendemain. Nous ne sommes pas dans un grand centre, mais dans une région relativement isolée et éloignée, où les emplois intéressants dans nos métiers respectifs sont à des centaines de kilomètres. Ce qui risque surtout d'arriver si le pire se concrétise, c'est de voir partir de nombreuses familles pour d'autres régions, car ici, il n'y aura plus vraiment d'emplois pour les faire vivre.
Je vous remercie.
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Je vous remercie, monsieur le président.
Je m'appelle Valérie Dufour et j'ai le privilège de travailler pour Boisaco inc. De plus, je suis conseillère municipale pour Sacré-Cœur. Mon conjoint et moi travaillons tous les deux grâce à l'exploitation forestière du groupe Boisaco.
Si je comparais aujourd'hui devant vous, c'est pour que vous sachiez que, depuis l'annonce de l'éventuelle adoption du décret, nos vies sont littéralement sur pause. À titre d'exemple, quand mes enfants m'ont demandé cette année ce que nous allions faire pendant les vacances estivales, j'ai été obligée de leur répondre qu'il n'y aurait pas de vacances cet été. Je leur ai dit que, si le décret est adopté tel quel, papa et maman vont perdre leur travail et devoir déménager de Sacré-Cœur. Je leur ai promis que j'allais tout faire en mon pouvoir pour essayer de rester chez nous à Sacré-Cœur.
Ma famille n'est pas la seule famille à vivre de tels moments d'incertitude et d'angoisse. La fermeture des usines du groupe Boisaco serait catastrophique pour Sacré-Cœur et ses citoyens. En mon nom et en celui de mon conjoint, de mes enfants, de ma famille, de mes amis, de mes collègues et des citoyens de mon village, je vous demande de revoir le décret et de trouver des solutions plausibles. Je garde espoir que tous ensemble, nous allons pouvoir trouver des solutions qui vont nous permettre de conserver nos emplois et de continuer de gagner dignement nos vies. C'est un énorme cri du cœur que je vous lance ce soir au nom de tous les papas et de toutes les mamans qui ont, comme moi, promis à leurs enfants qu'ils pourraient travailler et rester chez eux à Sacré-Cœur.
Merci beaucoup.
Je m'appelle Joyce Dionne et je suis spécialisé en récolte de bois chez Boisaco. Chez nous, la famille Dionne récolte le bois depuis plus de 50 ans. Même les enfants ont la même passion que nous. Je dirige une équipe de 15 hommes, tous aussi fiers que moi de leur métier forestier. L'annonce du décret est pour nous une catastrophe. Il met en péril les familles des travailleurs forestiers.
Le travail de récolte et d'aménagement permet de créer une forêt renouvelable, dont nous prenons tous soin en respectant la biodiversité et les normes environnementales. De plus, l'aménagement forestier diminue grandement le risque d'incendie et permet à la population de bénéficier du secteur pour ses loisirs.
Il y a moyen que tout le monde y trouve son compte sans la perte de milliers d'emplois directs et indirects. Je pense sincèrement qu'avec les connaissances que possède Boisaco du territoire et les exigences du gouvernement, nous sommes en mesure de trouver des solutions ensemble afin d'abolir ce décret. Pour mieux comprendre le secteur en question, j'aimerais que les membres de votre comité viennent visiter notre territoire. Ils pourront alors en avoir une meilleure idée afin de prendre une décision plus réfléchie.
Il y a 25 ans, quand j'ai commencé en foresterie dans ce même territoire, il y avait 40 abatteuses et trois scieries. Aujourd'hui, nous comptons moins de 10 abatteuses et une seule scierie sur le territoire, et nous ne sommes pas en mesure de l'exploiter. Où cela va-t-il s'arrêter? À cause du décret, je ressens le stress, l'angoisse et le découragement qui perturbent tout le monde autour de moi. J'aimerais que vous pensiez à l'avenir de nos jeunes en foresterie, qui serait également compromis par ce décret. N'oubliez pas que nous dépendons tous de la forêt.
Je vous remercie de votre écoute.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie tous les témoins qui participent à la réunion de ce soir.
Pour commencer, j'aimerais exprimer ma gratitude à tous les travailleurs du secteur forestier. Le bois ainsi que les pâtes et papiers sont des produits durables par rapport aux autres produits, comme le plastique. Je vous remercie grandement pour votre travail consciencieux, pour vos efforts en matière de plantation d'arbres et de reboisement, ainsi que pour votre contribution à l'économie canadienne.
[Traduction]
En tout cas, vous me semblez angoissés, et je tiens à vous dire que je compatis, car il s'agit d'une période très difficile et stressante pour vos familles. Vous travaillez dur pour subvenir aux besoins de vos proches et contribuer à l'économie canadienne, et je tiens à le souligner.
Ma question s'adresse à M. Jetté. Elle porte sur l'avenir de la foresterie au Canada et sur notre capacité et, franchement, notre obligation de veiller à ce qu'elle en ait un. Nous devons assurer l'avenir de l'économie forestière au Canada, car nous en dépendons. Nous dépendons de ses produits et de ses contributions à l'économie. Les travailleurs dépendent de l'argent qu'elle génère pour subvenir aux besoins de leur famille.
De mon point de vue... Nous avons construit une terrasse en bois cet été. Ce bois a été récolté au Canada. Nous devons veiller à ce que l'économie du bois d'œuvre et celle des pâtes et des papiers soient durables au Canada. Pour ce faire, nous devons notamment garantir le respect de nos engagements en matière de biodiversité.
On a parlé à plusieurs reprises d'équilibre au sein de ce comité. Des travailleurs, des représentants de l'industrie et des scientifiques sont venus exprimer divers degrés d'urgence en ce qui concerne la population de caribous et l'industrie elle-même.
Monsieur Jetté, selon vous, comment pouvons-nous trouver un équilibre pour les travailleurs canadiens, pour l'économie canadienne et pour l'avenir de l'industrie forestière, qui doit protéger l'ensemble de la forêt et pas seulement les bois?
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Je pense qu'une bonne partie de la solution réside dans les usines, dans l'industrie. On a souvent dit que l'industrie devait se renouveler, pour toutes sortes de raisons autres que le caribou. La situation du caribou nous rapproche brutalement de l'échéance, mais, de toute façon, il faut faire des changements. Profitons de l'occasion pour faire ces changements, pour les accélérer et pour trouver une voie de passage permettant à la fois de protéger le caribou et, surtout, d'assurer un avenir à cette industrie.
Ces changements passent par une modernisation de la filière du bois. Comme je le disais tantôt, la modernisation doit se faire non seulement en investissant davantage dans les produits à haute valeur, mais aussi en essayant de valoriser les quantités très importantes de bois qui ne le sont pas en ce moment au Québec. Si elles ne sont pas valorisées, c'est parce qu'elles ne répondent pas aux besoins de la structure actuelle de l'industrie. Il s'agit là d'un élément important. Je vais donner un exemple. En 2020, la Stratégie nationale de production du bois du gouvernement du Québec indiquait que, chaque année, 11 millions de mètres cubes de bois feuillu ne sont pas utilisés par l'industrie. Évidemment, c'est à l'échelle du Québec, mais, dans la Stratégie, on souhaitait déjà que la chaîne de valeurs soit ajustée de manière à valoriser ce bois.
N'y a-t-il pas là une façon potentielle de trouver un moyen de rassurer les gens? L'angoisse est palpable et il est important d'écouter les gens. Peut-on la diminuer, non pas en défendant le statu quo, mais en posant un regard sur le futur, qui, on l'espère, serait durable?
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Merci, monsieur le président.
Merci d'être ici, monsieur Jetté.
J'aimerais également remercier Mme Dufour, M. Dufour et M. Dionne.
Vous savez que je vous comprends tous. Je suis une fille de la Côte‑Nord.
J'aimerais commencer par un petit commentaire personnel. Mme Dufour m'a extrêmement touchée quand elle parlait de quitter sa maison et de quitter sa région. Ce qu'elle vit présentement, je l'ai vécu à un autre moment et d'une façon un peu différente. Le père de mes deux plus vieux enfants a travaillé chez Sacopan. Ensuite, il a travaillé pour Kruger à Longue-Rive, en Haute‑Côte‑Nord. Puisque la scierie a fermé ses portes, nous avons ensuite déménagé à Baie‑Comeau, avec toutes les répercussions que ça suppose sur nos vies, sur nos familles, et même sur la communauté.
Oui, je parle de moi, parce que je l'ai vécu dans mes tripes, mais je parle aussi des communautés. On ne peut pas dire que la municipalité de Longue‑Rive est redevenue ce qu'elle était par le passé. Nous avons de nombreuses communautés qui sont mono-industrielles et j'entends ici des solutions qui tiennent de la naïveté, ce que je n'aime pas. On ne peut pas s'en aller à 400 kilomètres de chez soi pour travailler sur des éoliennes alors qu'on a toujours été dans une communauté forestière sur le bord du Saguenay. Port‑Cartier, ce n'est pas Sacré‑Cœur.
Je dois vous dire que, à plusieurs reprises, j'ai demandé à d'aller visiter cette communauté. C'était bien avant que Mme Boulianne en devienne la mairesse. Évidemment, pour moi, plusieurs choses sont en jeu, tout comme pour vous, toute l'équipe de Boisaco, j'en suis certaine.
Premièrement, il y a la question de la paix sociale, outre tout ce qu'on dit concernant nos familles. On parle beaucoup des Premières Nations, mais, en même temps, je me demande si on parle à toutes les Premières Nations. Est-ce qu'on parle souvent de leurs connaissances? Je suis allée sur le terrain et j'ai parlé avec leurs membres. Pour ce qui est du caribou, selon eux, il s'en va vers l'est. Il faut aussi voir ce que les Premières Nations vivent comme réalité. Les caribous ne sont pas nécessairement dans le secteur du réservoir Pipmuacan. Ils ne resteront pas là non plus. L'activité anthropique ne se limite pas à l'industrie forestière, elle inclut les loisirs. Bref, il y en a toutes sortes.
Moi aussi, j'ai été défaite, hier, en prenant connaissance d'un article qui dit que, pour ce qui est de l'Ontario, le gouvernement fédéral a eu une entente avec le gouvernement Ford pour l'industrie. C'est drôle, ça ressemble à deux poids, deux mesures. Le gouvernement fédéral ne fait pas d'efforts, contrairement au gouvernement du Québec. Vous avez vu Mme Blanchette Vézina, Mme Champagne Jourdain, Mme Laforest et M. Montigny. Ils sont allés auprès de vous, comme l'a fait aussi mon équipe, pour dire que le Québec est là et que le Québec va vous aider. En fait, ce que le fédéral fait avec l'Ontario, c'est qu'il ne demande pas la même chose. Moi, ça m'épate. Je pense que le gouvernement doit en tenir compte.
Ce qui vient me chercher aussi — et j'aimerais entendre ensuite vos commentaires là-dessus — c'est à quel point Sacré‑Cœur est un modèle. On nous dit qu'il faut utiliser tous les arbres, toutes les essences, toutes les parties de l'arbre, mais Boisaco le fait déjà, comme l'a dit M. Dufour en début de réunion. Des entreprises comme Sacopan, Ripco et Granulco utilisent déjà tout le bois. Il n'y a plus rien qu'on n'utilise plus. Qui plus est, c'est justement une des volontés de Boisaco — je pense que c'est M. Dionne qui en a parlé — de respecter l'environnement et d'être une entreprise durable.
Depuis tout à l'heure, j'entends donc des préjugés ici. J'entends que votre entreprise n'est pas durable. J'entends qu'il va falloir aller plus loin. Cependant, vous allez déjà plus loin que la majorité des entreprises. Là, ce que le gouvernement va faire avec ce décret, c'est de dire qu'il y a là un super modèle de durabilité pour toutes les entreprises au Québec, et même au Canada, mais qu'il va quand même fermer le village. C'est inacceptable. Je vous remercie d'être là pour contester ce décret. Nous voulons des solutions rapides. On parle beaucoup du caribou et des solutions rapides. J'aimerais aussi entendre vos commentaires là-dessus.
Madame Dufour, vous avez parlé d'angoisse. On se demande ce que ce décret va provoquer, mais il a déjà des effets. Il est déjà en train de détruire l'industrie chez nous et de détruire des villages. Il est certain que nous serons avec vous. Sacré‑Cœur ne fermera pas, mais j'aimerais entendre vos commentaires sur tout ce que j'ai dit, et que vous complétiez mes propos. Il faut que les gens entendent d'autres réalités que seulement certains préjugés ou stéréotypes qu'on entend ici au Comité.
Madame Dufour, monsieur Dufour et monsieur Dionne, prenez le reste du temps.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie tous les témoins d'être ici avec nous, même si c'est de façon virtuelle, pour cette étude qui est importante pour bien des gens.
Madame et messieurs, ça me touche aussi beaucoup de vous entendre parler de vos histoires et de vos réalités, que je connais peu, contrairement à d'autres, mais sur lesquelles j'apprends beaucoup depuis plusieurs semaines. Ce sont des questions extrêmement délicates, et je comprends parfaitement que ça suscite beaucoup d'inquiétude et d'angoisse. Nous allons essayer de trouver le bon chemin pour faire ce que nous devons faire collectivement, à la fois pour la protection de l'environnement et de la biodiversité et pour le développement régional et le maintien des emplois.
Monsieur Jetté, vous avez dit deux mots importants: « transition juste ». Chacun inclut un peu ce qu'il veut dans cette notion. Je suis très fier du travail que nous avons accompli, notamment avec , concernant un projet de loi sur les emplois durables, afin que les travailleurs et les travailleuses aient leur place à la table, ainsi que les syndicats.
Vous avez commencé à parler de ce à quoi pourrait ressembler, en trois points, le début d'une transition juste et des changements dans l'industrie. La première chose dont vous avez parlé, ce sont les mesures d'atténuation. J'aimerais comprendre un peu plus de quoi vous parlez. Ensuite, je vous poserai d'autres questions.
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En ce moment, je vois quatre sources. Je vous ai donné l'exemple des feuillus qui, pour toutes sortes de raisons, n'ont pas la qualité de bois requise pour répondre à la structure actuelle. Cependant, cela ne veut pas dire qu'avec la biochimie, on ne pourrait pas leur trouver des applications dans les bioproduits. Je ne suis pas un expert dans ce domaine, mais je sais qu'il y a des cas où on commence à le faire. Il faut employer les grands moyens.
La deuxième source concerne le bois brûlé; environ 920 000 hectares de forêts ont brûlé. Pour l'industrie du sciage, la capacité d'aller chercher ce bois est très faible et, après un an, ce bois n'est plus bon. Par conséquent, il reste quelque 900 000 hectares de bois. Que peut-on en faire? Avec les changements climatiques, il y aura d'autre bois brûlé. N'y aurait-il pas là un filon à exploiter?
Ensuite, sur la Côte‑Nord, l'industrie est moins intéressée au sapin, qui est laissé de côté parce qu'il ne répond pas aux besoins du sciage. Alors, à quel autre besoin peut-il répondre?
La dernière source concerne les déchets de construction qui, à l'heure actuelle, finissent dans les sites d'enfouissement. Étant en bois, ils émettent du méthane, ce qu'il y a de pire pour produire des gaz à effet de serre. Dans ce cas, peut-on penser à instaurer une économie circulaire en récupérant cette matière pour en faire autre chose, par exemple des bioproduits et de l'énergie?
Je laisse le soin aux experts de se prononcer, mais, comme vous le constatez, il existe des pistes de solution. Il faut se retrousser les manches et s'entraider. Il faut être solidaire du message qu'on entend et là, à mon avis, il faut donner un message d'espoir. Nous avons la technologie pour faire cette transition.
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Merci, monsieur Martel.
Merci, monsieur le président.
J'aimerais dire aux témoins que je ne suis évidemment pas originaire du Québec, mais que lorsque je me suis présenté en politique l'année dernière, mon programme portait surtout sur la protection de notre mode de vie rural. Je me sens très solidaire avec nos témoins d'aujourd'hui, car il me semble qu'ils défendent leur propre mode de vie, alors qu'un gouvernement animé par l'idée selon laquelle « Ottawa ne peut pas se tromper » ne tient pas compte de leur moyen de subsistance, mais aussi de leur communauté dans son ensemble. Je vous remercie pour vos témoignages passionnés et personnels.
Pendant la conversation que nous avons eue avec le il y a quelques heures, j'ai remarqué qu'en réponse à une question de Mme Chatel, il a dit que lorsque les travailleurs comparaissent devant le Comité, les conservateurs ne tiennent pas compte de ce qu'ils disent. C'est faux. Nous vous entendons.
Mon collègue, M. Martel, défend très bien non seulement les droits de sa circonscription, mais aussi le travail important que le secteur forestier et ses travailleurs accomplissent dans tout le Québec et partout au Canada. Lorsqu'il s'est entretenu avec la mairesse de Sacré-Cœur, il lui a demandé ce qui se passerait si l'on promulguait l'arrêté. Elle a laissé entendre que la région deviendrait « une ville fantôme ». Le a répondu que c'était curieux, parce que ce n'était pas le message que les travailleurs lui avaient transmis lorsqu'il les avait rencontrés.
Pour conclure cette réunion, j'aimerais que M. Dufour, Mme Dufour et M. Dionne nous disent quel est, selon eux, le point de vue des travailleurs. Sont‑ils terrifiés à l'idée que leurs moyens de subsistance et leurs communautés sont sur le point d'être détruits, ou sont‑ils en fait d'accord avec le décret imposé par Ottawa et les conséquences qu'il aura sur leurs moyens de subsistance?
Je vais commencer par M. Dionne.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Chers témoins, je vous remercie.
Ce que vous nous dites aujourd'hui, je l'entends chez moi. Il y a des communautés rurales dans ma circonscription. Vous connaissez peut-être, dans le nord de l'Outaouais, la vallée de la Gatineau et Maniwaki. Il y a la compagnie Louisiana-Pacific Canada ltée et la compagnie Produits forestiers Résolu.
L'angoisse que vous vivez, elle a été vécue par plusieurs familles, comme vous, touchées. L'accès à la fibre, c'est un grand enjeu dans le secteur forestier. Le cri du cœur que nous avons entendu au cours des réunions du Comité par les travailleurs et par les compagnies forestières, c'est qu'on doit travailler ensemble.
Madame Dufour, je vous vois. Votre cri du cœur, c'est de demander aux paliers de gouvernement, aux industries, aux travailleurs de travailler ensemble, parce qu'il y en a, des solutions.
Moi, j'ai vu en comité que les conservateurs n'écoutaient pas les travailleurs et leurs cris du cœur. Ils ne veulent pas travailler ensemble. Ils veulent créer une division parmi nous. Ce que j'entends de nos concitoyens et de vous, c'est vraiment qu'il faut s'asseoir ensemble et trouver des solutions.
Nous avons entendu aussi au cours de ce témoignage de la part de tous les témoins quelque chose que nous avons confirmé avec le ministre tout à l'heure: il manque quelqu'un d'important à l'appel pour arriver à sauver à la fois l'économie et l'écologie, ce qu'il est possible de faire puisque, quand on travaille ensemble, on peut innover et trouver des solutions. Il manque la province de Québec, qui n'est pas à la table pour trouver des solutions. Moi, c'est mon cri du cœur: il faut absolument demander à la province de Québec de se joindre à l'effort, de s'asseoir avec le gouvernement fédéral et de trouver des solutions pour Sacré‑Cœur, pour Boisaco et pour aussi la pérennité. Vous avez trois enfants et je connais plein de familles. Nous voulons aussi des métiers pour nos enfants. Nous ne voulons pas qu'ils quittent nos régions. Nous voulons qu'ils puissent, eux aussi, travailler dans le secteur forestier.
Madame Dufour, pouvez-vous nous parler de l'espoir que vous avez que les gouvernements et les partis politiques travaillent ensemble pour trouver une solution pour vous?