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SECU Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la sécurité publique et nationale


NUMÉRO 122 
l
1re SESSION 
l
44e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 8 octobre 2024

[Enregistrement électronique]

(1105)

[Traduction]

    Bienvenue à la 122e réunion du Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes.
    Je voudrais rappeler aux participants les points suivants. Veuillez attendre que je vous reconnaisse par votre nom avant de prendre la parole. Tous les commentaires doivent être adressés par l'intermédiaire de la présidence.
    Mesdames et messieurs les députés, veuillez lever la main si vous souhaitez prendre la parole, que ce soit en personne ou via Zoom. Le greffier et moi-même gérerons l'ordre des interventions du mieux possible.
    Conformément à l'article 108(2) du Règlement et à la motion adoptée le 19 septembre 2024, le Comité reprend son étude de l'ingérence russe et des campagnes de désinformation au Canada.
    Madame Damoff, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président. J'ai une question à poser au greffier, si vous êtes d'accord, avant de commencer.
    Je crois savoir que certains témoins n'ont pas répondu à vos appels. Trois témoins ont été nommés dans notre étude et nous les avons tous approuvés à l'unanimité: Liam Donovan, Lauren Chen et Lauren Southern.
    Tout d'abord, avez-vous eu des nouvelles de leur part ?
    Ils ont été contactés à deux reprises, mais nous n'avons reçu aucune réponse.
    Je me demande si mes collègues seraient d'accord pour que le greffier envoie une lettre aux membres du Comité pour les inviter à nouveau, mais cette fois‑ci de la part des membres de la commission et, comme nous avons des pouvoirs qui vont au‑delà d'une simple invitation si nous voulons que les gens se présentent, pour indiquer quelles sont nos options s'ils choisissent de ne pas répondre.
    Je considère cela comme une motion.
    Y a‑t‑il consentement unanime à cet égard?
    Des députés: D'accord
    Le président: Très bien.
    Je vous remercie.
    Je vous remercie, monsieur le président.
    Je voudrais maintenant souhaiter la bienvenue à nos témoins pour la première heure. À titre individuel, nous accueillons M. Anton Shekhovtsov, professeur invité de l'Université d'Europe centrale, par vidéoconférence, et M. Ben Scott, directeur général de Reset Tech.
    J'invite à présent M. Shekhovtsov à faire une déclaration d'ouverture d'une durée maximale de cinq minutes.
    Allez‑y, monsieur Shekhovtsov.
     Monsieur le président, mesdames et messieurs, je vous remercie de votre aimable invitation.
     [Difficultés techniques] et députés, j'observe depuis longtemps que la Russie mène une...
     Excusez-moi de vous interrompre, monsieur Shekhovtsov.
    Nous aimerions vous voir, mais peut-être que si vous éteigniez votre vidéo, vous auriez plus de bande passante pour votre discours.
    D'accord. Veuillez réessayer, s'il vous plaît.
    Est‑ce mieux maintenant, monsieur le président?
    La qualité du son est bien meilleure maintenant. Je vous remercie.
    Allez‑y. Vous pouvez recommencer du début, si vous le souhaitez.
    J'observe depuis longtemps que la Russie mène une guerre politique contre les pays occidentaux. Par l'expression « guerre politique », j'entends, sans nécessairement me limiter au contexte des activités russes, une zone grise des relations internationales où les nations influencent le comportement et la pensée des autres en utilisant des méthodes allant au‑delà des instruments légitimes, tels que la diplomatie et le pouvoir de convaincre, sans pour autant aller jusqu'à un conflit militaire ouvert utilisant des forces armées régulières. La guerre politique menée par la Russie contre l'Occident n'est pas nouvelle, mais elle s'est intensifiée depuis 2022, lorsque les pays occidentaux ont décidé d'apporter un soutien politique, militaire et économique à l'Ukraine dans sa guerre défensive contre l'agression russe à grande échelle. En tant que pays figurant parmi les 10 premiers donateurs mondiaux à l'Ukraine, le Canada est l'une des cibles de la guerre politique russe.
    Dans le contexte de l'invasion russe à grande échelle de l'Ukraine, l'un des principaux éléments de la guerre politique menée par la Russie contre l'Occident, y compris le Canada, est la guerre de l'information, dans laquelle la Russie avance deux types de récits: stratégique et tactique.
    Les récits stratégiques reflètent des convictions sincères et profondes des dirigeants russes, liées à l'Ukraine ou au contexte plus large de l'agression. Les récits stratégiques font preuve d'une certaine logique interne et sont généralement cohérents, ce qui ne signifie pas pour autant qu'ils sont justes ou corrects. Les trois principaux récits stratégiques liés à l'invasion russe et dirigés contre l'Occident, y compris le Canada, sont les suivants: Premièrement, la Russie est une puissance mondiale qui a le droit d'avoir sa propre sphère d'influence, et l'Ukraine en fait partie. Deuxièmement, l'Ukraine, en tant que partie de l'Occident, représente une menace existentielle pour la Russie. Troisièmement, l'OTAN utilise l'Ukraine pour mener une guerre contre la Russie.
    Les récits tactiques sont des étapes individuelles qui visent à renforcer la validité des récits stratégiques ou à répondre aux thèmes émergents et aux événements et développements actuels liés à l'agression russe. Toutefois, contrairement aux récits stratégiques, les récits tactiques sont moins cohérents, car ils sont extrêmement manipulateurs et font généralement appel aux émotions.
    Il existe plusieurs dizaines de récits tactiques produits par la machine de guerre informationnelle russe. J'en soulignerai quelques-uns qui sont particulièrement pertinents pour le Canada: L'Ukraine est dirigée par des nazis. La Russie défend le peuple russe contre les nazis ukrainiens. Le Canada a un immense problème avec les nazis. Toutes les sanctions occidentales sont préjudiciables aux entreprises et aux ménages occidentaux. L'Ukraine est l'un des pays les plus corrompus au monde; elle ne peut pas faire partie de l'Occident. L'aide financière envoyée à l'Ukraine est empochée par des dirigeants et des fonctionnaires ukrainiens corrompus. L'Occident attaque la Russie en raison de la russophobie inhérente à l'Occident, c'est‑à‑dire la haine des Russes. Les nationalistes ukrainiens influencent fortement les décisions politiques des autorités canadiennes. Les armes occidentales fournies à l'Ukraine finiront chez des terroristes internationaux ou sur le marché noir. Fournir une aide militaire à l'Ukraine n'aide pas l'Ukraine à gagner la guerre; cela ne fait que prolonger les souffrances des Ukrainiens. L'Occident ne devrait pas s'opposer à la Russie parce qu'elle peut éventuellement utiliser des armes nucléaires.
    Les intervenants pro-russes utilisent un large éventail d'instruments pour tenter de transmettre des récits stratégiques et tactiques à des publics ciblés. J'ai cerné quatre grands types d'instruments. Le premier type est constitué par les canaux officiels russes: les déclarations du président russe et de son administration présidentielle, ainsi que les déclarations des ministères russes, en particulier le ministère des Affaires étrangères et le ministère de la Défense. Le deuxième instrument est constitué par les médias contrôlés par l'État russe, en particulier ceux qui produisent des contenus en langue anglaise. Le troisième instrument est constitué par les comptes de réseaux sociaux gérés ouvertement ou secrètement par des acteurs russes favorables au régime. Le quatrième instrument est constitué par les agents occidentaux de l'influence russe malveillante, qu'il s'agisse d'universitaires, d'experts, de journalistes, de célébrités, de producteurs, de politiciens, d'entreprises ou d'organisations religieuses, c'est‑à‑dire des entités de pays occidentaux créées ou utilisées par des acteurs pro-russes pour dissimuler les objectifs pro-russes des personnes qui se trouvent derrière elles.
    Alors que l'objectif principal de la guerre de l'information russe, qui s'appuie sur une série d'instruments énumérés ci‑dessus, est de réduire le soutien occidental aux efforts de défense de l'Ukraine, les intervenants pro-russes semblent s'appuyer sur une approche à trois niveaux pour évaluer l'efficacité de leurs opérations d'information.
    La première est la diffusion. Un tiers du succès d'une opération d'information particulière réside dans la transmission d'un message stratégique ou tactique à un public cible. Si le public cible consomme ce récit, c'est un tiers du succès.
(1110)
    Le deuxième aspect est celui de la légitimité. Les deux tiers du succès sont atteints lorsqu'un récit malveillant n'est pas seulement consommé par un public cible, mais devient également un point de vue légitime dans les discussions occidentales dominantes, par exemple dans les médias ou au Parlement.
    Le troisième aspect concerne l'acceptation. Une opération d'influence malveillante est couronnée de succès lorsqu'un point de vue ancré dans un récit malveillant produit par les parties prenantes russes est non seulement considéré comme légitime, mais aussi accepté comme le seul point de vue correct. [Difficultés techniques]
    Monsieur Shekhovtsov, on ne vous entend pas bien.
    Je m'arrêterai ici et je répondrai volontiers aux questions.
    Je vous remercie.

[Français]

     J'invoque le Règlement, monsieur le président.

[Traduction]

    Je vous remercie.
    La dernière partie de votre intervention était un peu saccadée.

[Français]

    Madame Michaud, vous avez la parole.
    L'interprète a signalé à plusieurs reprises que le son avait des ratés et qu'il lui était difficile, dans ces conditions, de traduire les propos. Nous avons pu entendre la majeure partie de l'interprétation, mais, si le problème se poursuit pendant la période des questions et réponses, cela risque d'être à notre désavantage.

[Traduction]

    Nous verrons comment les choses évoluent, mais nous pouvons demander que sa déclaration d'ouverture soit traduite et distribuée aux députés, si cela vous convient.
    Nous allons maintenant donner la parole à M. Scott pour une déclaration d'ouverture de cinq minutes maximum.
    Allez‑y, monsieur.
    Merci, monsieur le président et membres du Comité. C'est un plaisir de revenir devant le Parlement canadien. J'ai vécu plusieurs années au Canada et j'ai beaucoup de respect pour le travail que vous faites.
    Je suis le PDG de Reset Tech. Il s'agit d'un organisme mondial à but non lucratif qui soutient la recherche, l'élaboration de politiques et l'attention du public pour lutter contre les menaces numériques qui pèsent sur la démocratie, notamment les opérations d'information russes visant les États démocratiques dont nous sommes ici pour parler aujourd'hui.
    J'ai beaucoup travaillé avec mon équipe sur le cas de Tenet Media, qui est à l'origine de cette audition, et je voudrais donc parler un peu de Tenet Media.
    Je pense que tous les membres de la commission connaissent probablement les détails de cette affaire, mais pour récapituler, celle‑ci a été révélée dans un acte d'accusation global du ministère américain de la Justice en septembre, il y a un peu plus d'un mois. Il y est indiqué qu'une société basée dans le Tennessee, mais surtout une filiale d'une société basée à Montréal et dirigée par deux Canadiens, Lauren Chen et son mari, Liam Donovan, a reçu 10 millions de dollars de la part des Russes pour subventionner la production de vidéos et de contenus de médias sociaux qui ont été distribués sur toutes les principales plateformes de médias sociaux. Ces contenus ont été produits par ces deux personnes, ainsi que par six autres influenceurs, dont Lauren Southern, une autre influenceuse canadienne de premier plan sur les médias sociaux.
    Il est remarquable qu'une grande partie de l'attention médiatique ait décrit cette activité comme étant axée sur le marché américain, mais il est vraiment important de noter à quel point le contenu était axé sur le Canada, et combien d'opérations d'information russes que nous avons observées au fil des ans n'ont pas fait de distinction entre un public américain et un public canadien. Les tactiques russes, comme l'illustrent clairement les commentaires du professeur, visent à diviser et à déstabiliser avec des récits de désinformation et de complot, et c'est certainement vrai aussi bien pour le Canada que pour les États-Unis.
    Dans ma présentation d'ouverture, je voudrais mettre en lumière certaines des preuves que nous avons découvertes dans le cadre de notre travail d'investigation sur ce qu'a fait Tenet Media avec ses 10 millions de dollars de financement russe.
     Tout d'abord, tous ces comptes que Tenet subventionnait sur toutes les plateformes de médias sociaux avaient une base d'abonnés totale d'environ 16 millions, ce qui est assez important. Qu'est‑ce que cela signifie en matière d'audience totale? Au cours de l'année écoulée, nous avons pu constater que les canaux médiatiques de Tenet sur Twitter ont obtenu à eux seuls 20 milliards d'impressions. Je le répète. Ils ont eu 20 milliards d'impressions rien que sur Twitter au cours de l'année dernière. Ajoutez à cela 1,1 milliard de vidéos vues sur YouTube, TikTok et Rumble, et la création d'un balado, The Rubin Report, qui est régulièrement classé parmi les 0,01 % de balados les plus performants au monde.
    Il s'agit d'une campagne d'influence sur les médias sociaux très réussie qui présente une série de caractéristiques importantes, dont la moindre n'est pas ce que la communauté des chercheurs a appelé « effet Elon ». Il s'agit en gros de tweeter à Elon Musk, qui a une présence géante dans les médias sociaux sur X, anciennement Twitter, pour essayer de l'inciter à retweeter ou à amplifier des messages. Il a amplifié 70 fois les messages de Tenet Media au cours de l'année écoulée, augmentant ainsi considérablement l'audience de ce contenu.
    Qu'est‑ce que cela signifie? En quoi cela nous concerne‑t‑il dans l'évaluation du niveau de menace que représente le Kremlin dans les opérations d'information?
    Je pense que nous devons être très inquiets. Le Kremlin continue d'innover. Le gouvernement russe avait l'habitude d'acheter des publicités sur Facebook. Il avait l'habitude de mener de petites campagnes d'influence. Je me ferai un plaisir de parler de certaines des autres campagnes que nous avons vues au fil des ans dans la partie questions et réponses de cette audition, mais pour l'instant, je pense qu'il est important de noter que 10 millions de dollars pour 20 milliards d'impressions, c'est un rapport qualité-prix extraordinaire. Cela signifie que nous pouvons nous attendre à voir davantage d'attaques de ce type, si nous n'en avons pas déjà sur le marché aujourd'hui.
    Celle‑ci n'a été découverte que grâce à l'interception par le FBI de signaux de renseignement sur les Russes, qui fournissaient les fonds à Tenet Media. C'est très difficile à détecter. Il est important de souligner que les entreprises de la Silicon Valley qui gèrent ces plateformes, avec tout leur argent et leur talent, ne semblent pas avoir mis en place de défenses pour se protéger contre ce type d'argent sale qui utilise les médias sociaux pour influencer secrètement l'opinion publique tant au Canada qu'aux États-Unis.
    Il s'agit d'une question urgente. Il est essentiel que cette enquête ait lieu et que les forces canadiennes chargées de l'application de la loi et de la sécurité nationale soient très attentives et développent des mesures défensives.
(1115)
    Je vous remercie pour le temps que vous m'avez accordé. J'attends avec impatience les questions.
    Merci infiniment à vous deux.
    Nous allons maintenant passer aux questions.
    Nous allons commencer par Mme Dancho pour les six premières minutes.
(1120)
     Je vous remercie, monsieur le président.
    Je confie à M. Lloyd le reste de mon temps de parole.
     Je vous remercie, monsieur le président.
    Je tiens à remercier les deux témoins. J'ai mal au poignet à cause de toutes les notes que j'ai prises pendant vos témoignages. C'était très intéressant.
    Monsieur Shekhovtsov, en soutenant l'Ukraine dans cette lutte, quelle est l'importance de présenter un front uni entre les pays?
    Monsieur le président, l'Ukraine dépend fortement du soutien extérieur pour sa guerre défensive. Ce qui est plus important, c'est l'unité dont les nations occidentales ont fait preuve depuis le tout début de l'invasion à grande échelle de l'Ukraine, bien qu'il y ait quelques cas problématiques dans certains États membres de l'Union européenne. L'Ukraine compte également beaucoup sur le soutien des États-Unis et du Canada. Dans ce cas, le consensus et la solidarité entre les nations occidentales à l'égard de l'Ukraine sont cruciaux. Cette question est essentielle pour la lutte de l'Ukraine pour son indépendance et sa souveraineté aujourd'hui.
    Bien entendu, la Russie et les acteurs russes malveillants liés au Kremlin ou aux autorités russes comprennent l'importance de ce consensus et de cette solidarité. Ils font tout ce qu'ils peuvent pour ruiner cette solidarité, créer des divisions et une polarisation, et saper cette solidarité et ce soutien à l'Ukraine; d'où les attaques par l'information.
    Je ne pense pas vous faire dire ce que vous avez dit en répétant qu'il existe un fort consensus en faveur du soutien à l'Ukraine dans des pays comme le Canada.
    Est‑ce bien le cas?
    C'est ce que j'ai compris en examinant certaines données sur le soutien que le Canada apporte à l'Ukraine. Je l'ai mentionné dans mon discours, et je suis désolé si la qualité audio n'était pas suffisante. Pour autant que je sache, le Canada se classe parmi les 10 plus grands pays donateurs à l'Ukraine. Bien entendu, c'est extrêmement important.
    Je suis très fier du soutien de longue date que le Canada offre à l'Ukraine, surtout depuis le début de l'opération Unifier, en 2014, qui visait à entraîner les forces ukrainiennes. Plusieurs de mes amis des Forces armées canadiennes sont allés là‑bas pour y prendre part.
    Dans un pays comme le Canada, cependant, la partisanerie et les débats politiques amènent parfois les partis politiques à accuser d'autres partis politiques de ne pas soutenir l'Ukraine. Pensons notamment au nombre de fois où le Parti libéral a accusé le Parti conservateur d'être à la solde de Vladimir Poutine.
    Si nous voulons un fort consensus sur l'Ukraine, est‑il utile que le parti politique au pouvoir accuse le parti de l'opposition d'être...? Est‑ce que cela contribue à rallier le consensus, ou est‑ce que l'instigation de ces débats houleux nuit au consensus?
    Monsieur le président, il ne m'appartient pas de faire des commentaires sur les partis politiques qui se font concurrence au Canada. Je suis reconnaissant envers tous les partis au Canada qui soutiennent l'Ukraine.
    Je ne voudrais pas me prononcer sur les débats politiques.
    Je comprends.
    Je vais vous poser la question de façon plus générale.
    Vous avez dit que le succès de l'opération russe tient, en premier lieu, à notre consommation de la désinformation et de la mésinformation que répand la Russie. En deuxième lieu, une fois que ces fausses informations ont été consommées, elles deviennent partie intégrante du débat. On assiste maintenant à un débat sur la question de savoir quels partis politiques soutiennent ou non l'Ukraine alors qu'il y avait, comme vous l'avez dit, un fort consensus en faveur de l'Ukraine.
    La Russie estime‑t‑elle avoir réussi son coup lorsqu'elle parvient à créer la perception selon laquelle le soutien politique à l'Ukraine ne fait pas consensus dans un pays comme le Canada?
    Monsieur le président, en l'occurrence, il est important de souligner que seule l'acceptation complète d'un récit d'information malveillant produit en Russie peut être considérée comme un coup totalement réussi pour une telle opération. Lorsque des récits de désinformation sont diffusés dans les médias grand public, la réussite ne se mesure pas uniquement à la capacité de semer la discorde. Ce n'est pas le seul élément.
    Par exemple, vous savez tous, j'en suis sûr, que l'un des récits les plus populaires de la propagande russe, c'est que les Ukrainiens sont des nazis ou qu'il y a un problème de nazisme en Ukraine. Le simple fait que vous soyez au courant de ce récit témoigne, en partie, de sa réussite, mais cela ne signifie pas que toute l'opération d'information en Russie a été couronnée de succès.
(1125)
    Vous savez, le Canada a un rôle à jouer. Nous avons envoyé des observateurs pour prêter main-forte lors des élections dans des pays comme l'Ukraine. Nous constatons qu'il y a de l'ingérence russe dans les élections d'autres pays, notamment en Géorgie, où les élections approchent. Dans quelle mesure êtes-vous préoccupé par les campagnes d'influence de la Russie dans ces autres pays? Selon vous, comment le Canada peut‑il jouer un rôle dans le renforcement des institutions démocratiques de ces pays?
    Monsieur le président, je suis préoccupé par l'évolution de la situation en Géorgie. En septembre, j'ai publié un rapport sur la façon dont la guerre politique russe vise également la Géorgie et sur les acteurs en Géorgie qui amplifient essentiellement la propagande et la désinformation russes. Les élections qui se tiendront en Géorgie plus tard ce mois‑ci, je crois, seront cruciales pour la démocratie, non seulement en Géorgie, mais aussi, d'une certaine façon, dans ce qu'on appelle encore « l'espace postsoviétique ».
    À ma connaissance, le Canada fait aussi partie de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, ou OSCE, et participe aux missions du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme, qui relève de l'OSCE. J'espère que le Canada continuera de participer à ces missions de surveillance, y compris en Géorgie.
    Merci, monsieur.
    Nous passons maintenant à Mme Damoff. Vous avez six minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Avant de commencer, j'ai remarqué qu'hier, Mme Dancho a dit qu'elle allait perturber la réunion d'aujourd'hui en présentant une motion. Il est malheureux que les conservateurs veuillent retarder et perturber cette réunion alors que nous recevons de tels experts dans le cadre de notre étude sur cette « situation de crise », comme l'a qualifiée l'ancien ministre de la Sécurité publique et actuel haut-commissaire au Royaume‑Uni. Espérons que la députée changera d'avis afin que nous puissions entendre les témoins.
    Je vais commencer par M. Scott.
    Outre les messages que la Russie véhicule au sujet de l'Ukraine, quels autres types de messages la Russie a‑t‑elle envoyés par l'intermédiaire de Tenet Media?
    Les principaux messages que l'on peut voir dans le contenu créé par Tenet Media représentent ce que j'appellerais des « tactiques classiques de guerre culturelle ». Ils portent sur certaines des questions les plus controversées dans la société occidentale en ce moment: l'immigration, les droits de la communauté LGBTQ et la validité des changements climatiques. À cela s'ajoute, bien entendu, comme le professeur l'a très bien expliqué, une vigoureuse campagne de messages pour essayer de miner le soutien à l'Ukraine. Ces messages sont constamment répétés sur toutes les chaînes de Tenet Media.
    Oui, je pense que la question de l'Ukraine est un des sujets dont nous avons beaucoup entendu parler, mais en tant que députée, j'entends des Canadiens exprimer des préoccupations au sujet des changements climatiques, par exemple, et cet enjeu est souvent évoqué par le parti d'en face. Les questions relatives à l'immigration et à la communauté LGBTQ sont toutes filtrées au‑delà de Tenet Media et de ses 16 millions d'abonnés pour être relayées aux Canadiens. Je me demande, monsieur Scott, si vous pourriez nous parler des vulnérabilités des Canadiens ordinaires à l'égard de ce genre de messages.
    Je pense que c'est très significatif, surtout si l'on tient compte de la façon dont les plateformes de médias sociaux fonctionnent, de la façon dont elles font de l'argent et du type de contenu qu'elles récompensent et monétisent. Les chaînes comme Tenet Media, qui diffusent des messages hyperboliques et intentionnellement provocateurs, misent, bien entendu, sur la nature humaine. Ce genre de contenu attire et retient l'attention des gens. Ensuite, l'algorithme qui organise le contenu sur TikTok ou sur YouTube finit simplement par proposer plus de contenus similaires.
    Plus nous voyons des choses, plus elles semblent normales et plus elles deviennent normalisées dans notre rhétorique politique, et moins elles nous semblent extrêmes d'un point de vue politique. Résultat: la ligne du centre commence à se déplacer. Comment une chose peut-elle être extrême si tout le monde semble en parler sur les médias sociaux?
    C'est la tendance que nous observons dans les marchés des médias numériques, tendance qui mène graduellement à une polarisation de la rhétorique. C'est extrêmement clivant, non seulement parce que cela déforme la représentation de l'opinion publique, mais aussi parce que c'est fortement récompensé. Ce n'est pas que Tenet Media dépendait exclusivement de fonds occultes russes, versés secrètement, pour mener ses activités. Tenet Media a également fait beaucoup d'argent grâce à la publicité sur des plateformes comme YouTube et TikTok, qui, à leur tour, font beaucoup d'argent en diffusant ce genre de contenu flagrant et hyper politisé, sans faire le moindre effort pour déterminer la source du financement, le risque d'une opération d'influence et leurs responsabilités en matière de sécurité publique et nationale.
(1130)
    Je vous remercie.
    Je vais passer à M. Shekhovtsov.
    Vous avez beaucoup écrit sur l'influence que la Russie a exercée, par l'entremise des médias sociaux, sur le président français Macron ainsi que sur la chancelière allemande Angela Merkel. Constatez-vous ce genre d'influence ici, au Canada, sur le leadership actuel du gouvernement?
    Monsieur le président, je dois dire que l'Allemagne et la France sont les principales cibles des opérations russes en Europe. En Amérique du Nord, la principale cible demeure les États-Unis d'Amérique. Je ne peux pas dire que la Russie s'ingère dans toutes les élections en Occident. Les Russes ont leurs limites quant aux endroits où ils peuvent s'ingérer, en fonction des ressources et peut-être même des alliés qu'ils ont sur le terrain. Dans certains pays, c'est très difficile pour eux.
    D'une certaine façon, le Canada n'est pas une priorité pour les opérations russes, même si le fait que tant...
    Il ne me reste qu'une minute.
    À ce sujet, toutefois, si nous décelons une influence russe par l'entremise de Tenet Media sur des questions liées aux changements climatiques et à l'immigration, par exemple, et si des partis politiques ont des points de vue différents, cela ne va‑t‑il pas influencer la perception des Canadiens à l'égard de ces partis politiques, compte tenu de la désinformation qui circule?
    Vous avez tout à fait raison. Bien sûr, tout le contenu qui est produit, disons, en anglais et qui cible l'Occident en général aura nécessairement, presque automatiquement, une influence sur les auditoires canadiens. Il est impossible de mettre fin à une telle influence. Cela passe d'un auditoire à un autre. Il y a aussi du contenu sur les changements climatiques et, comme mon collègue l'a dit, sur les enjeux LGBTQI, l'immigration et tout le reste.
    Même si le Canada n'est peut-être pas la cible principale, les opérations d'information produites pour le public occidental ciblent également d'autres pays occidentaux, dont le Canada.
    Je vous remercie.

[Français]

     Madame Michaud, vous avez la parole pour six minutes.
     Merci, monsieur le président.
    Je remercie également les témoins de leur présence et de leurs témoignages très intéressants, très éclairants, mais aussi assez inquiétants.
     Monsieur Shekhovtsov, vous avez mentionné, au début de votre allocution, que la Russie menait une guerre politique contre les démocraties occidentales depuis quelques années, que cela s'était intensifié depuis 2022, soit depuis l'invasion illégale de l'Ukraine, et que le Canada était l'une des principales cibles en raison de son soutien à l'Ukraine.
     J'ai l'impression qu'on perd cette guerre politique, particulièrement ces temps-ci.
     Vous avez mentionné quelques genres de messages de propagande russe qui se rendent jusqu'au Canada. On dit que l'Ukraine est corrompue, par exemple. La semaine dernière, j'étais à Dublin dans le cadre d'une réunion de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, et nous avons rencontré la délégation ukrainienne. La première chose que le chef de la délégation canadienne a dite à la délégation ukrainienne, c'est qu'elle devait savoir que, si le Canada venait à apprendre que l'argent qu'il donnait à l'Ukraine servait à autre chose que ce à quoi il devait servir, c'est-à-dire qu'il y avait de la corruption, son soutien cesserait assez rapidement. Il disait qu'il y avait de la corruption partout, y compris au Canada et en Ukraine, et que la délégation ukrainienne devait lui donner cette assurance.
    J'ai donc l'impression que ce message de propagande russe selon lequel l'Ukraine serait corrompue fait son chemin jusque chez les élus et les sénateurs canadiens. Je me demande comment on doit s'y prendre pour revenir à la vérité et démêler toutes ces fausses informations qui circulent et qui font leur chemin jusqu'au Parlement canadien.
     J'ai été surprise d'entendre cette question. Normalement, on discute de l'aide que le Canada apporte à l'Ukraine, de ce qu'on devrait faire de plus, et ainsi de suite; or on s'adressait à la délégation ukrainienne d'une manière presque conflictuelle.
    Je ne sais pas si vous constatez cela de plus en plus, mais j'aimerais entendre ce que vous avez à dire là-dessus.
(1135)

[Traduction]

    Monsieur le président, pour autant que je sache, dans la grande majorité des cas de soutien occidental à l'Ukraine, des comités de vérification sont en place. Il y a des commissions qui vérifient régulièrement comment les ressources sont dépensées, y compris les ressources financières fournies à l'Ukraine. Il y a un processus de vérification continue. Pour ceux que cela intéresse, il serait probablement utile qu'ils aient accès à ces activités de vérification. Bien entendu, ce n'est sans doute pas possible s'il s'agit de renseignements secrets qui pourraient être de nature trop délicate, mais c'est faisable pour des observations et des évaluations générales concernant, par exemple, la façon dont l'argent est dépensé. Il est important d'établir une communication stratégique avec les acteurs qui souhaitent en savoir plus.
    Il y a aussi les réseaux sociaux. Dans les économies de marché, il est probablement très difficile d'avoir un contrôle sur les réseaux sociaux. Selon moi, les autorités devraient parler aux représentants des réseaux sociaux pour les amener à collaborer plus étroitement en matière de surveillance et à retirer tous les comptes qui diffusent de la désinformation malveillante susceptible d'avoir une incidence sur la vie et la santé de millions de personnes, et ce, pas forcément seulement en Ukraine.
    Une meilleure collaboration avec les réseaux sociaux est un élément important à court, à moyen et à long terme. La maîtrise des médias et les efforts de sensibilisation connexes sont importants pour conscientiser les gens à l'ère de la mésinformation et de la désinformation. Honnêtement, les renseignements que consomme une personne ordinaire sont tellement nombreux que cela finit par semer la confusion. Il est important d'enseigner aux gens comment vérifier l'exactitude de l'information, comment s'appuyer sur des sources d'information particulières et comment distinguer la vérité des mensonges.

[Français]

     Je vous remercie.
    Il ne me reste que quelques secondes, mais j'aimerais poser rapidement une question à M. Scott.
    Vous avez dit que c'était le FBI qui avait découvert tout le stratagème derrière Tenet Media, qu'il y avait des gens au Canada, que l'entreprise y était basée, et ainsi de suite.
    Le SCRS, la GRC ou nos services d'information canadiens auraient-ils été suffisamment outillés pour faire la même découverte? Il faut tout de même tenir compte du fait que l'entreprise était basée au Canada, mais que c'est le FBI qui a découvert le stratagème.
    Disposons-nous des mêmes outils que les Américains? Je sais, et vous l'avez tous deux mentionné, que les États‑Unis sont sans conteste la cible principale en Amérique du Nord et que le Canada vient en deuxième. Cela dit, j'aimerais savoir si, à votre avis, le Canada aurait été suffisamment outillé pour découvrir ce genre de stratagème.
    Votre temps de parole est écoulé, mais je vais permettre une courte réponse.

[Traduction]

    La réponse courte est oui. Je crois que les autorités canadiennes disposent de ces outils. Il s'agit de savoir où chercher l'information et jusqu'à quel point, et comment établir les priorités en matière d'application de la loi et d'enquêtes de renseignement.
(1140)

[Français]

    Merci.

[Traduction]

    Nous passons maintenant à M. MacGregor. Vous avez six minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    À l'instar de mes collègues, je tiens à remercier nos témoins de nous aider à nous y retrouver.
    Je me considère comme un optimiste, mais il est certainement difficile de ne pas être pessimiste lorsqu'on examine les défis auxquels nous devons faire face à cause de ce problème très réel dans notre espace démocratique et dans le fonctionnement de notre politique. Au cours de mes neuf années en tant qu'élu, j'ai certainement vu la tendance se détériorer considérablement.
    Monsieur Scott, j'aimerais commencer par vous parce que je sais que votre organisation essaie de trouver un moyen de « soutenir la réorientation des marchés des médias numériques en vue de les rendre compatibles avec les valeurs démocratiques ».
    Dans votre déclaration préliminaire, lorsque vous parliez du nombre d'impressions, du nombre d'abonnés et des 1,1 milliard de visionnements des vidéos de Tenet Media, j'ai pensé au concept de place publique et à la façon dont cette notion a évolué au fil du temps. En tant que décideurs, nous devons être très prudents, car nous ne voulons pas donner à la population canadienne l'impression que nous intervenons de façon radicale. Il ne faut pas oublier que les plateformes de médias sociaux, qui sont devenues la place publique d'aujourd'hui, ne sont pas vraiment publiques. Elles appartiennent à une poignée de milliardaires et elles ne sont conçues que pour leur permettre de réaliser d'énormes profits. Elles ont un pouvoir incroyable.
    Monsieur Scott, ceci est probablement une très grande question. Comment pouvons-nous, en tant que décideurs, reprendre ce pouvoir et faire en sorte qu'une poignée de milliardaires ne contrôlent pas notre discours public, tout en essayant de protéger la liberté d'expression?
    Cela semble être une tâche monumentale. Ce n'est pas la première fois que le Comité est confronté à une question aussi importante. Nous nous sommes penchés sur cette question il y a deux ans, lorsque nous examinions la posture de sécurité du Canada par rapport à la Russie, et je ne suis pas certain que nous ayons encore trouvé des réponses.
    J'aimerais beaucoup que vous nous fassiez part de vos observations pour nous aider à mener à bien cette étude, car, en fin de compte, nous voulons formuler des recommandations solides au gouvernement du Canada.
    Je pense que vous avez tout à fait raison de mettre le doigt sur le modèle d'affaires et les responsabilités de l'industrie pour mieux protéger la sécurité et la sécurité publique. L'exploitation de ces produits n'est pas un accident. Elle profite des vulnérabilités que ces entreprises géantes et extrêmement riches ont laissées dans leurs services.
    Je tiens à dire d'emblée que les solutions que je vous proposerais ne consistent presque jamais à supprimer du contenu. Si un exploitant est clairement payé par un adversaire étranger qui souhaite manipuler et tromper intentionnellement le public canadien, il s'agit là d'une activité illégale. Ce serait illégal dans toutes les formes de médias, y compris les médias sociaux. C'est passible de poursuites. Il faut y mettre fin.
    Ce qu'il faut retenir, c'est qu'il ne s'agit pas d'une place publique. Vous ne voyez pas un miroir de la société lorsque vous ouvrez votre téléphone et que vous regardez Twitter ou Facebook. C'est plutôt un miroir aux alouettes. C'est une distorsion.
    Une sphère publique évoque en moi l'idée que tout le monde a une chance égale de s'exprimer. Dans les médias sociaux, ce n'est pas le cas. TikTok et YouTube donnent des mégaphones à certains créateurs sur leurs plateformes, mais pas à d'autres. Ces entreprises donnent les mégaphones aux gens qui attirent le plus d'attention et qui leur rapportent le plus d'argent. Lorsqu'on donne des mégaphones à des propagandistes qui sont payés par les Russes, comme chez Tenet Media, on leur donne un énorme avantage en leur permettant de communiquer dans la sphère publique et d'étouffer beaucoup d'autres voix qui auraient autrement pu trouver des auditoires parmi la population canadienne.
    Il y a des mesures qui peuvent être prises en matière de transparence. Comment ces algorithmes fonctionnent-ils? Comment TikTok et YouTube décident-elles de ce qui est amplifié et de ce qui ne l'est pas?
    Pourquoi ces choses ne sont-elles pas plus transparentes pour les chercheurs et pour les organisations d'intérêt public?
    Nous considérons ces plateformes de médias sociaux comme de grands innovateurs et des technologues extraordinaires alors qu'en réalité, elles ne font que de l'argent comme toute autre entreprise.
    Pensez à la guerre froide. Si nous étions en 1985 et que les radiodiffuseurs commerciaux au Canada accordaient une heure par jour au Kremlin pour qu'il diffuse des émissions à sa guise — à l'ensemble de la population canadienne —, sans poser de questions, ils seraient appelés à comparaître devant le Comité en cinq secondes. Pourtant, dans le cas des entreprises de médias sociaux, c'est comme si nous baissions les bras.
    Il y a certainement beaucoup de mesures que nous pouvons prendre à cet égard, et tout commence par la tenue de discussions comme celle‑ci.
(1145)
    Merci beaucoup.
    Je veux maintenant m'adresser au professeur Shekhovtsov. Comme vous êtes en Europe, vous vous trouvez beaucoup plus près de la ligne de front du conflit entre la Russie et l'Ukraine.
    Assurément, nous recevons de nombreux courriels où l'on affirme que le Canada en fait trop pour l'Ukraine, qu'il s'agit d'un pays corrompu où abondent les nazis. Nous avons tous entendu ce discours fallacieux.
    J'aimerais que vous nous expliquiez quelles seraient les conséquences pour un pays comme le Canada si nous ne retenions pas la Russie en Ukraine et si nous la laissions s'emparer de ce pays.
    Qu'est‑ce que cela signifie pour la sécurité générale de l'OTAN et de pays comme le Canada?
    Je vous remercie de votre question.
     Je pense que l'Ukraine, bien qu'elle soit actuellement l'objet principal de l'agression russe, n'est pas la dernière en ligne si la Russie arrive à ses fins. Il suffit d'une seule Ukraine, d'un seul pays, pour que la Russie accumule d'énormes forces aux frontières de l'Union européenne et des pays de l'OTAN. Cela change complètement la situation sur le plan de la sécurité dans toute l'Europe. L'aide que les pays occidentaux, y compris le Canada — et, encore une fois, je suis reconnaissant pour ce soutien —, apportent à l'Ukraine n'est pas seulement pour l'Ukraine. Il s'agit d'un investissement dans la sécurité et le maintien de cette architecture de sécurité dans toute l'Europe.
    Bien sûr, je sais que mes collègues polonais et ceux des États baltes sont toujours inquiets de savoir si l'OTAN leur viendrait en aide au cas où la Russie déciderait d'être agressive à leur égard également. Cependant, l'Ukraine est effectivement... La situation actuelle de l'Ukraine empêche la Russie d'attaquer les États membres de l'OTAN, d'attaquer l'Union européenne, où l'implication de pays tels que le Canada aurait été beaucoup plus importante, et les sommes d'argent et l'assistance financière aux États membres de l'Union européenne auraient été plus importantes que dans le cas de l'Ukraine.
    Je regrette, monsieur, mais je dois vous interrompre. Merci beaucoup.
    Nous allons commencer notre deuxième série d'interventions avec Mme Dancho.
    Madame Dancho, allez‑y, je vous prie. Vous avez cinq minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie les témoins de leur présence et de leur excellent témoignage.
    J'aimerais faire suite à certaines questions de Mme Michaud au sujet de la capacité du Canada. Je trouve préoccupant que nous ayons dû compter sur le ministère de la Justice pour découvrir l'information.
    Vous avez mentionné que nous avons la capacité au Canada, et pourtant il semble, d'après ce que vous avez dit, que cela n'a pas été une priorité pour les organismes actuels de renseignement et d'application de la loi. Je voudrais vous poser une question à ce sujet.
     Avant de commencer, je souhaite vous faire part d'une question, monsieur le président. Je tiens à exprimer ma déception quant à l'annulation de la réunion de jeudi sur la présente étude. J'estime que nous n'avons pas été adéquatement consultés. D'après ma dernière expérience en la matière, avant que je ne parte en congé de maternité, la norme consistait à consulter les vice-présidents bien davantage. En tant que première vice-présidente, je m'attendais à être appelée à discuter de ce qui pourrait être fait au cas où les témoins ne pourraient pas assister à la réunion du Comité prévue jeudi.
    Cela arrive. Toutefois, en examinant la motion présentée par les libéraux, nous avons constaté que la liste des témoins n'est pas exhaustive. Elle mentionne spécifiquement d'autres « experts en désinformation ». Je sais par expérience qu'il y a eu des situations où d'excellents fonctionnaires sont venus, avec un préavis relativement court, pour offrir des informations et des observations. Bien entendu, le domaine d'étude sur lequel nous travaillons est axé sur le renseignement. Il est axé sur l'application de la loi. Il est axé sur le droit. Je serais stupéfaite qu'aucun employé de la fonction publique n'ait pu se présenter. Je pense que si nous avions fait plus d'efforts, nous aurions pu avoir une réunion solide avec d'autres témoins, peut-être choisis au sein de notre propre appareil gouvernemental, que nous devrions inclure dans l'étude. Je tiens à exprimer ma déception et que nous estimons que la consultation n'a pas été suffisante. Je vous demanderais de procéder à une meilleure consultation à l'avenir.
     Il y a une deuxième chose que je voudrais dire sur le même sujet. Le Comité pourrait faire bien d'autres choses. S'il était impossible d'entendre des témoins dans le cadre de la présente et importante étude, nous aurions pu examiner, par exemple, le rapport au sujet de Paul Bernardo qui dort toujours sur une tablette. Les analystes ont travaillé très dur sur ce rapport. L'affaire intéressait vivement le public à l'époque où le Comité l'a examiné. Étant donné que l'individu dont nous parlons est le pire tueur de masse et violeur de l'histoire du Canada et qu'il a été transféré d'une prison à sécurité maximale à une prison à sécurité moyenne, avec tous les privilèges que cela implique, j'ai été choquée de constater qu'on ne souhaitait pas au moins examiner la version provisoire du rapport. Le Comité avait déjà approuvé l'étude de la question. Nous avions le rapport provisoire. Il est en train de prendre la poussière. Pourquoi n'avons-nous pas pu examiner ce rapport jeudi?
    Monsieur le président, il y a un certain nombre d'études dont nous avons convenu en tant que comité et un certain nombre de choses dont nous aurions pu discuter. Je pense que le public serait stupéfait d'apprendre qu'une réunion du Comité permanent de la sécurité publique et nationale doit être annulée parce que nous n'avons rien à étudier. Je trouve cela tout à fait inacceptable.
    Encore une fois, pour reprendre les propos d'une libérale, Mme O'Connell — j'aurais aimé en discuter avec elle, mais elle est absente en ce moment —: « En tant que membres du Comité, nous devrions être tenus de rendre des comptes si nous ne faisons pas de cette question une priorité. » Elle a dit que nous devons à chaque Ukrainien « de ne pas attendre une minute de plus ». Qu'est‑il advenu de la discussion, du leadership des députés libéraux, pour garantir la tenue d'une réunion du Comité sur le sujet jeudi?
    J'ai beaucoup de mal à croire, monsieur le président, que personne n'ait pu le faire. Je demande que l'on fasse davantage d'efforts pour assurer la tenue de l'étude. Si nous ne pouvons pas trouver de témoins, trouvez un fonctionnaire. Il est important que nous nous penchions sur la question. Mais si nous n'y parvenons pas, concentrons-nous sur le travail que nous avons déjà accompli. Si nous ne parvenons pas à trouver un témoin pour comparaître dans le cadre de l'étude, j'aimerais que nous nous penchions sur l'étude au sujet de Paul Bernardo.
    Je tenais à exprimer clairement ma déception quant au fait qu'il n'y a pas eu de consultation adéquate et que le Comité permanent de la sécurité publique et nationale ait annulé une réunion pour une raison qui est inacceptable à mes yeux. Il y a une foule de questions sur lesquelles nous pourrions nous pencher. En annulant la réunion, le Comité manque à son devoir.
    Merci.
    Pour la minute qui me reste, monsieur Scott, j'aimerais revenir à ma question. Pouvez-vous développer un peu ce que vous avez dit à Mme Michaud? Selon moi, il s'agit d'une question très intéressante pour le Comité.
    Je peux répéter ma question si vous ne vous en souvenez pas.
(1150)
    Je m'en souviens. Je ne dispose d'aucune information sur ce que les autorités canadiennes ont fait ou n'ont pas fait ni sur leur contribution possible à l'acte d'accusation du ministère de la Justice. Je m'appuie uniquement sur des documents accessibles au public, y compris les déclarations sous serment publiées par le ministère de la Justice.
     D'après mon expérience au sein du gouvernement américain, il est très possible, voire probable, qu'il y ait eu une coopération entre les pays du Groupe des cinq s'il s'agit d'une opération de renseignement qui a permis de découvrir l'intervention russe au moyen de renseignements d'ordre électromagnétique. Ce n'est pas parce que la participation des autorités canadiennes n'est pas connue publiquement qu'elle n'a pas eulieu. Je ne peux pas dire si elles ont participé ou non à ce dossier.
    Ce que je peux dire, c'est qu'il est très difficile de déterminer si ce type d'opération d'influence payante utilisant de l'argent noir est orchestrée par une puissance étrangère, parce qu'il y a tellement de chaînes YouTube et TikTok différentes qui fonctionnent sur la base d'un paiement à la pièce. D'après ce que j'ai lu dans les déclarations sous serment du ministère de la Justice, ce n'est que grâce à un dispositif d'écoute clandestine qu'ils ont pu découvrir l'opération en question.
    J'attribue en partie cette situation aux entreprises technologiques qui ne surveillent tout simplement pas suffisamment les caractéristiques de propagation indiquant la probabilité d'une influence malveillante ou d'une activité inauthentique coordonnée.
    Merci, monsieur.
    C'est maintenant au tour de M. MacDonald. Vous avez cinq minutes. Allez‑y, je vous prie.
    Merci, monsieur le président.
    Monsieur le président, je voudrais juste revenir un peu en arrière. M. MacGregor en a parlé un peu, mais il en a été aussi question dans le préambule. Il s'agit des opérations lancées contre les pays européens et de leur différence par rapport aux opérations lancées contre le Canada et les États‑Unis. On a mentionné la France et l'Allemagne.
    Je me demande simplement quelle est la différence entre ce qu'ils font actuellement contre le Canada et ce qu'ils font depuis un certain nombre d'années contre la France et l'Allemagne.
    La question s'adresse à M. Shekhovtsov.
    Je vous remercie de la question.
    En effet, certaines des opérations d'information russes visent des publics particuliers. Bien que le monde occidental puisse constituer un seul et même public, il y existe quand même des différences entre les nations. Ces différences, pour le dire simplement, sont que chaque société a ses propres vulnérabilités et sensibilités. Les vulnérabilités qui sont probablement inhérentes à une société occidentale ne le sont pas vraiment pour une autre.
    Pour donner un exemple, en France et en Allemagne, l'immigration, notamment l'immigration illégale en provenance du Moyen‑Orient et de l'Afrique, est une source de préoccupation. Ce n'est probablement pas le cas des pays d'Europe centrale, où l'immigration en provenance de ces régions du monde n'est pas très importante.
    Pour le Canada, je pense que c'est la proximité des États‑Unis. Peut-être que certains Canadiens ne sont pas très heureux d'être parfois confondus avec les citoyens des États‑Unis.
    Le discours au sujet du nazisme est aussi préoccupant. Je suis conscient que, dans de nombreux débats au Canada...
(1155)
    Merci. J'aimerais passer à autre chose.
    Est‑ce qu'on cible les acteurs politiques de gauche et de droite dans la même mesure, ou vise‑t‑on un groupe plus que l'autre?
     Je pense que s'il s'agit du Canada, ce sont surtout les acteurs d'extrême gauche qui sont visés par les campagnes de désinformation russes concernant l'Ukraine. Si les propagandistes russes parlent d'immigration ou d'enjeux LGBT, c'est probablement l'extrême droite canadienne qui est la plus visée. On joint différents publics avec des sujets différents.
    En fait, on utilise des récits stratégiques et tactiques taillés sur mesure pour diviser les nations et le consensus national. Les extrêmes de droite et de gauche servent à l'atteinte des objectifs.
    D'après vous, est‑ce que certains partis politiques dans le monde utilisent ce genre de propagande pour influencer les décisions prises dans leur propre pays?
     Nous le constatons dans certains pays de l'Union européenne, et je citerais probablement la Hongrie et la Slovaquie en ce moment. Ces pays ont des gouvernements qui sont particulièrement influencés par les discours stratégiques et tactiques malveillants de la Russie. Le fait, par exemple, que la Slovaquie ne fournisse plus de soutien étatique à l'Ukraine dans le domaine militaire est, à mon avis, en grande partie dû à l'influence russe ou à un effet de la désinformation russe, qui a été très efficace.
    À votre avis, si un nouveau gouvernement remplace celui qui est en place en ce moment, le soutien que l'Ukraine recevra diminuera. Nous avons vu ici l'opposition officielle voter contre un accord de libre-échange avec l'Ukraine. Est‑ce que c'est le genre de choses qui vous préoccupe?
    Je m'inquiète, bien sûr, de la continuation du soutien apporté à l'Ukraine. Je suis certain que l'origine de ce soutien n'a pas vraiment d'importance pour l'Ukraine. Comme je l'ai mentionné au tout début, tous les partis et toutes les forces politiques qui, d'une manière ou d'une autre, apportent un soutien et une assistance à l'Ukraine sont tous bien accueillis par les Ukrainiens qui mènent ce combat existentiel.
    Combien de temps me reste‑t‑il, monsieur le président?
    Il vous reste 19 secondes.
    C'est bon. Merci.
     Merci, monsieur MacDonald.

[Français]

     Madame Michaud, vous disposez de deux minutes et demie.
     Merci, monsieur le président.
    Messieurs Shekhovtsov et Scott, ma question s'adresse à vous deux et vous pourrez répondre à tour de rôle.
    Elle porte sur une controverse assez récente au Canada. Je ne sais pas si vous en avez entendu parler. Il y a eu la volonté de présenter le documentaire Russians at War au Festival international du film de Toronto. Ce documentaire a été fait par une documentariste russo-canadienne, Anastasia Trofimova. Certaines personnes disent qu'il s'agit de toute évidence de propagande russe et que cela a été filmé de façon illégale dans des territoires occupés de l'Ukraine. D'autres disent que ce n'est pas de la propagande russe et que cela a été financé par la France et le Canada. Le Canada a effectivement donné quelques centaines de milliers de dollars pour la production de ce film.
    Comment fait-on pour déceler ou pour différencier les différentes formes que la propagande peut prendre au Canada?
    Je ne veux pas lancer d'allégations, et je ne veux pas dire que ce film est de la propagande, mais il y a quand même eu une controverse. La vice-première ministre a dit qu'elle était mal à l'aise par rapport au fait que ce soit financé par le gouvernement du Canada. Les députés ukrainiens que j'ai rencontrés la semaine dernière nous ont sensibilisés à cela. Je ne sais pas si la présidente du Congrès des Ukrainiens canadiens en a parlé. Je sais qu'elle était ici lors de la dernière rencontre du Comité. Toutefois, c'est quand même quelque chose qui flotte dans l'actualité. On se demande si on doit y laisser de la place. On se demande si cela peut être une forme de propagande.
    Comment peut-on démêler tout cela, selon vous?
    Monsieur Scott, voulez-vous intervenir en premier?
(1200)

[Traduction]

     Je vous remercie de votre question.
    Je ne connais pas le film, alors je ne peux que parler en termes généraux et dire que, dans les sociétés démocratiques, il y a toujours eu des formes d'expression qui mettent les gens mal à l'aise et qu'il y en aura toujours.
    La question est, avant tout, de savoir si ces formes d'expression sont légales. Au Canada, la barre à atteindre est très haute avant qu'une forme d'expression soit jugée illégale. Si la forme d'expression atteint ou dépasse ce seuil, elle ne devrait pas être autorisée. À mon avis, tout le reste est acceptable. Toutefois, cela ne veut pas dire que les radiodiffuseurs ou les plateformes de médias sociaux devraient amplifier leurs messages ou élargir leur audience à des fins commerciales, au‑delà de ce qu'elles atteindraient par elles-mêmes.
     Je vous remercie, madame.
    Nous allons maintenant donner la parole à M. MacGregor pendant deux minutes et demie.
     Merci, monsieur le président.
    Je vais m'adresser de nouveau à M. Scott.
     Je voulais examiner la façon dont nous pouvons attribuer la responsabilité de la situation dans laquelle nous nous trouvons. Pendant mon premier échange avec vous, j'ai parlé d'une poignée de milliardaires qui ont beaucoup d'influence et exercent un grand pouvoir sur le discours public par l'intermédiaire de leurs plateformes. Nous sommes impatients d'entendre les témoignages de quelques-uns de ces représentants.
    Comme vous le savez, les influenceurs eux-mêmes ne sont pas des gens ordinaires. Ils sont parfois multimillionnaires. Ils gagnent beaucoup d'argent en faisant ce qu'ils font.
    Pensez-vous qu'il faille attribuer aux influenceurs eux-mêmes une part de responsabilité dans ce domaine? Ou ont-ils le droit d'ignorer délibérément l'origine de l'argent qu'ils reçoivent? Devons-nous cibler les plateformes de médias sociaux? L'un de mes collègues néo-démocrates a eu une idée en matière de mesure législative à présenter pour tenter d'assurer la transparence algorithmique. Devons-nous nous pencher sur les grandes sociétés commanditaires dont les publicités sont diffusées sur ces plateformes et dirigées vers les yeux des abonnés, en fonction du degré d'extrémisme du contenu, ou faut‑il avoir recours à un mélange de ces trois approches?
    J'aimerais connaître votre avis à ce sujet.
    Oui, vous devriez adopter toutes ces approches.
    Je me ferai l'écho des commentaires formulés au début de l'audience, selon lesquels les personnes impliquées dans l'affaire Tenet Media, qui sont des citoyens canadiens, devraient comparaître devant votre comité.
    Je dirais également que des représentants des entreprises technologiques — en particulier Google, qui possède YouTube, TikTok, Meta et Twitter — devraient également comparaître devant votre comité et répondre aux questions concernant les mesures qu'elles prennent ou non pour se prémunir contre les opérations d'ingérence étrangère.
    Les vulnérabilités que ces entreprises autorisent sur leurs plateformes sont vraiment inacceptables, et elles le font parce que nous leur permettons de le faire, en tant que citoyens et en tant que communautés qui ont le pouvoir d'élaborer des lois et de déterminer comment les entreprises peuvent gagner ou non de l'argent. Plus nous les laisserons agir de cette façon en toute impunité et sans avoir à rendre des comptes, plus nous indiquerons qu'il s'agit d'une pratique tout à fait acceptable et que les entreprises peuvent se décharger sur le public de leurs responsabilités en matière de gestion des préjudices causés par leurs vulnérabilités en matière de sécurité.
    Je vais en rester là, monsieur le président.
    Je vous remercie.
    Nous allons conclure la comparution de ce groupe de témoins.
    Messieurs les témoins, je vous remercie de vos témoignages et de votre comparution d'aujourd'hui. Les renseignements que vous nous avez communiqués sont très utiles.
    Cela met fin à cette partie de la réunion. Nous allons suspendre la séance pendant quelques minutes pour permettre aux témoins de changer de place.
(1200)

(1210)
    Il nous manque un témoin pour le moment. Nous espérons que ce témoin arrivera en ligne dans l'intervalle. Nous ferons alors une brève pause pour procéder à un test sonore.
    J'aimerais souhaiter la bienvenue à notre témoin qui se joint à nous pendant la deuxième heure de la séance.
    Nous accueillons M. Wesley Wark, agrégé supérieur du Centre for International Governance Innovation.
    Je vous remercie de vous être joint à nous aujourd'hui.
    Je vais maintenant inviter M. Wark à faire une déclaration préliminaire d'une durée maximale de cinq minutes.
    La parole est à vous, monsieur.
    Je vous suis reconnaissant de m'avoir permis de comparaître devant votre comité dans le cadre de cette importante étude.
    La désinformation russe visant le Canada comporte deux aspects préoccupants. L'un de ces aspects est réel. Il s'agit des efforts déployés pour manipuler l'attitude des Canadiens à l'égard de l'invasion de l'Ukraine par la Russie. L'autre est un aspect que je qualifierais de « potentiel ». Il s'agit d'utiliser les services de renseignement et les cybercapacités de la Russie, qui sont importants, pour s'immiscer dans les processus électoraux et démocratiques du Canada à l'avenir. Ces éléments ont été présentés dans l'évaluation du renseignement que le SCRS a publiée en mai 2023 et qui a été récemment communiquée aux responsables de l'Enquête publique sur l'ingérence étrangère.
    La conclusion de l'évaluation du SCRS est la suivante:
Même si la diaspora russe et ses organisations n'ont pas une grande incidence sur la société canadienne, leur influence devient plus évidente lorsqu'elle est consolidée par d'autres organisations et leur présence en ligne, par des mandataires ou des agents d'influence pro-russes et par les efforts mondiaux de désinformation [de la Fédération de Russie].
    Bien sûr, il y a aussi la possibilité que des opérations de désinformation russes visant d'autres pays et en particulier les États-Unis provoquent des réactions virulentes.
    La question que je souhaite aborder concerne les capacités du gouvernement canadien à détecter et à contrer les opérations de désinformation en ligne menées par la Russie.
    Le premier aspect concerne la détection. Cela comprend l'attribution des attaques à l'État russe ou à une source mandataire, le retraçage des méthodes d'attaque — en particulier les méthodes techniques — et la compréhension des cibles visées. Les capacités canadiennes de détection des opérations malveillantes d'information en ligne sont naissantes et ont été créées de manière évolutive et réactive. Telle est, en gros, l'histoire du Mécanisme de réaction rapide, ou du MRR du Canada.
    Je vais revenir très brièvement sur cet historique. Le MRR, comme je l'appellerai, a été créé à la suite de la réunion du G7 de 2018 afin d'assurer une fonction de coordination permettant de répondre à diverses menaces communes pour la démocratie. Ce n'est qu'après l'invasion de l'Ukraine par la Russie que le premier ministre a annoncé, en août 2022, la création d'une unité spécialisée au sein du MRR du Canada à Affaires mondiales pour lutter contre la désinformation russe et d'autres opérations de désinformation parrainées par des États. En fait, l'unité de désinformation du MRR du Canada est toute nouvelle. Ses ressources sont minuscules et sa capacité à collaborer avec divers experts, des organisations privées de surveillance des médias et des organismes de renseignement de sources ouvertes est très limitée. C'était une idée novatrice, et elle a du potentiel, mais sa « salle des machines », comme je l'appelle, est bien trop petite, et sa place en tant qu'unité d'Affaires mondiales Canada au sein de la communauté plus large de la sécurité et du renseignement est très problématique. Notre capacité de détection est faible.
    Qu'en est‑il de la contre-attaque? Il existe plusieurs outils prévus à cet effet. Je vais les énumérer: dialoguer directement avec les acteurs étatiques étrangers; collaborer avec des alliés, ce qui est important; mener des campagnes de dénonciation et de perte de réputation, comme on les appelle parfois; contribuer à renforcer la résilience des communautés ciblées, notamment en leur donnant les moyens d'être les yeux et les oreilles qui luttent contre la désinformation; et sensibiliser davantage le public en publiant des évaluations des menaces menées par des organisations comme le SCRS et le CST. Au bout du compte, il y a deux solutions. La première consiste à utiliser les pouvoirs du CST pour procéder à ce que l'on pourrait appeler, familièrement, le « repiratage ». Il s'agit essentiellement d'utiliser les pouvoirs conférés au CST en 2019 pour mener des cyberopérations offensives. L'autre solution consiste à imposer des sanctions pénales, qui devraient être renforcées par certaines des dispositions du projet de loi C‑70. Aucun outil ne suffira à la tâche, alors tous les outils seront nécessaires.
    Qu'en est‑il du Registre visant la transparence en matière d'influence étrangère qui a été nouvellement créé par le projet de loi C‑70? J'invite le Comité à avoir des attentes réalistes à cet égard. Le Registre visant la transparence en matière d'influence étrangère sera surtout un registre pour les bons acteurs. Il n'arrêtera pas les mauvais acteurs clandestins, mais il pourrait avoir un effet dissuasif sur les activités de zone grise et ouvrir la voie à des sanctions pénales, comme celles que le ministère de la Justice des États-Unis a utilisées récemment pour porter des accusations contre deux acteurs de Russia Today.
    De quoi avons-nous besoin? Tout d'abord, je dirais que nous avons besoin de renforcer les capacités du MRR du Canada et de modifier la position qu'il occupe au sein du gouvernement. On pourrait proposer, par exemple, de le transférer au bureau du ministère de la Sécurité publique chargé de la lutte contre l'ingérence étrangère. Il n'est pas à sa place au sein des Affaires mondiales.
    Nous avons également besoin — et c'est essentiel pour comprendre les opérations d'influence étrangère malveillante — d'une capacité de renseignement de sources ouvertes beaucoup plus développée au sein de la communauté canadienne de la sécurité et du renseignement.
(1215)
    Le Canada possède une certaine capacité, mais la fonction est beaucoup trop répartie au sein de la communauté de la sécurité et du renseignement et assujettie à un trop grand nombre de mandats et d'ensembles de pouvoirs différents. Nous avons pu le constater à l'occasion des efforts déployés par le gouvernement pour répondre aux manifestations du « convoi de la liberté ». Il est nécessaire de créer un organisme central du renseignement de sources ouvertes doté d'un mandat clair.
    Enfin, j'encourage le Comité à envisager sérieusement la création d'un équivalent de l'agence suédoise de défense psychologique, que la Suède a créée en janvier 2022. Cette agence combine un rôle opérationnel de détection et de lutte contre les opérations d'influence étrangère malveillante, en particulier sur les médias sociaux, à un rôle public de renforcement de la résilience sociétale. Une agence de défense psychologique peut sembler un peu orwellienne, mais c'est le monde dans lequel nous vivons.
    Je vous remercie, monsieur le président.
    Je vous remercie.
    Notre autre témoin, c'est‑à‑dire M. Oksanen, est maintenant en mesure de se joindre à nous en ligne. Nous allons faire une brève pause pour faire un essai audio.
    M. Patrik Oksanen se joint maintenant à nous, et il comparaît à titre personnel. M. Oksanen est un chercheur principal en résidence au Stockholm Free World Forum, et il se joint bien sûr à nous par vidéoconférence.
    Monsieur Oksanen, pourriez-vous, s'il vous plaît, faire une déclaration préliminaire d'une durée maximale de cinq minutes?
(1220)
    Merci, monsieur le président. Merci, mesdames et messieurs les députés. Je suis très honoré d'être invité à comparaître devant votre comité pour faire une déclaration sur l'influence de la Russie dans les pays alliés.
    Je me concentrerai sur la répression transnationale, qui cible les habitants des pays nordiques qui font partie de l'Union européenne et de l'OTAN. Voici des gens qui ont dénoncé le travail d'influence de la Russie. Il s'agit de journalistes, de chercheurs et de fonctionnaires.
    Mon expérience personnelle a commencé en 2015, lorsque j'ai écrit un article sur la guerre de l'information russe, en tant qu'éditorialiste d'un journal suédois régional vert, libéral et centriste. Depuis, j'ai reçu des appels téléphoniques de la part de gens qui me demandaient d'arrêter d'écrire à ce sujet parce que j'étais sur le point de provoquer une guerre nucléaire. Je suis régulièrement accusé d'être raciste, malade mental et méprisable, et j'ai reçu plusieurs menaces de mort en ligne. J'ai été victime d'un acte d'intimidation physique perpétré dans un lieu public par le mouvement de résistance nordique nazi et prorusse. D'ailleurs, ce mouvement est classé comme un groupe terroriste aux États-Unis.
    J'ai été victime de diffamation et accusé à tort d'être un pédophile reconnu coupable dans un groupe Facebook très proche de l'ambassade de Russie en Suède. Il s'agissait d'une campagne à laquelle participait le rédacteur en chef d'un média alternatif. Il s'est vu interdire l'accès au parlement suédois en raison de ses contacts avec les services de renseignement russes. Il a répété cette accusation et l'a propagée à tel point que j'ai également été harcelé à propos de cette accusation en personne devant mon lieu de travail à temps partiel, c'est‑à‑dire l'université suédoise de la défense à Stockholm. Il s'agissait d'un étudiant de l'université qui avait des antécédents liés au mouvement de la droite alternative.
    Ce ne sont là que quelques brefs exemples de ce qui s'est produit au cours des 10 dernières années et de ce qui se produit encore. Bien entendu, ces événements ont eu des conséquences pour moi et ma famille, car nos adresses et nos registres publics sont désormais protégés en Suède.
    Mais voici l'indice que je peux vous communiquer: je ne suis pas le coeur de cette histoire; je n'en suis qu'un exemple. L'histoire, c'est la façon dont la Russie tente d'effrayer ceux qui exposent au public les opérations du Kremlin.
    Si nous élargissons notre perspective, nous constaterons que nous savons que d'autres citoyens de pays nordiques membres de l'Union européenne ou de l'OTAN ont vécu d'autres situations de ce genre. Il s'agit de citoyens qui travaillent à titre de journalistes, d'experts ou de fonctionnaires.
    Nous savons qu'il y a eu des cas de visites à domicile. Des gens laissent des traces dans votre maison, comme un numéro deux non tiré dans les toilettes, afin que vous puissiez voir que quelqu'un est passé par là. Ressentez le stress et l'insécurité liés à ce que cela représente. Imaginez que cela se produise chez vous.
    Il y a eu des cyberattaques perpétrées contre des particuliers, des cas d'infiltration de lieux de travail par un initié qui fournit aux agents russes des données sur les déplacements et les allées et venues d'une personne, des manifestations anonymes et des signalements de masse aux médias ou aux comités d'éthique des chercheurs qui ciblent un particulier, et des cas de harcèlement numérique et physique allant jusqu'à démontrer la capacité de tuer quelqu'un, en organisant dans une capitale d'Europe centrale une fusillade au volant perpétrée avec un pistolet à eau.
    Toutes ces méthodes ont entraîné une autocensure et une compréhension tardive de la menace. Des scientifiques politiques suédois qui n'ont pas osé signer un article de débat public dans un journal suédois pour soutenir l'un de leurs collègues ciblés, par crainte d'être traités de façon semblable, sont un bon exemple public de ce phénomène.
    L'objectif de ces méthodes est de paralyser une personne hostile ou de fragmenter son esprit. C'est ainsi que la Stasi de l'Allemagne de l'Est définissait ces méthodes dans les années 1980. Elles ont des effets réels et à long terme sur les cibles, comme des maladies liées au stress, une tension mentale et l'incompréhension de leurs milieux, comme leur milieu de travail et la sphère publique.
    Il y a longtemps que la Russie a cessé de suivre les règles, et nous nous dirigeons maintenant vers une situation plus critique par rapport à la Russie. Au cours de l'année qui vient et des années à venir, la Russie déploiera tous les moyens possibles en vertu de l'article 5 pour effrayer et diviser nos sociétés afin que la Russie puisse atteindre ses objectifs impériaux. Il s'agit là de menaces pour la paix, la stabilité et la sécurité nationale, tant dans les pays nordiques qu'au Canada.
    Je vous remercie de m'avoir écouté, et je répondrai volontiers à vos questions.
    Je vous remercie de votre déclaration, monsieur.
    Le greffier m'a demandé de vous rappeler que, si vous avez besoin d'utiliser nos services d'interprétation, vous trouverez un bouton au bas de votre fenêtre Zoom, vers le centre de cette fenêtre, qui vous permettra de sélectionner l'anglais, le français ou les transmissions audio originales. Si vous rencontrez des difficultés, veuillez nous en informer.
    Nous allons maintenant amorcer nos séries de questions en commençant par donner la parole à M. Lloyd.
    Monsieur Lloyd, veuillez prendre la parole pendant six minutes.
(1225)
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie les témoins d'être avec nous aujourd'hui. C'est une séance très instructive.
     Monsieur Wark, en ce qui concerne toutes les campagnes d'ingérence étrangère, qu'elles émanent de la Chine, de l'Iran, de la Russie ou de tout autre acteur étranger hostile, est‑il plus efficace pour ces acteurs de créer de fausses campagnes à partir de rien, ou s'appuient-ils généralement sur des problèmes sociétaux existants pour amplifier leurs campagnes?
     Merci, monsieur Lloyd. C'est une excellente question.
    Le point de vue général qui ressort des études sur les offensives de propagande au fil des décennies, voire des siècles, c'est qu'elles sont généralement plus efficaces lorsqu'elles sont capables de se greffer à des opinions existantes, même s'il s'agit d'opinions minoritaires, et qu'elles essaient de les amplifier, de leur trouver un nouveau public et de les répandre.
    Je pense qu'il est relativement rare qu'une opération de désinformation menée par un État autoritaire étranger tente de créer un tout nouveau récit. Leur succès dépend de leur capacité à se greffer sur les dynamiques sociétales qu'ils perçoivent dans les pays étrangers. Enfin, je dirais qu'il s'agit là d'une faiblesse potentielle pour les États étrangers autoritaires, car cela nécessite une compréhension assez fine de l'État qu'ils ciblent.
     Ma question porte sur les préoccupations actuelles des Canadiens en ce qui concerne l'inflation, le logement et la criminalité. Il ne s'agit pas de problèmes inventés par des puissances étrangères. Ils peuvent certes les amplifier, mais ce ne sont pas des problèmes inventés par des puissances étrangères. Ce sont de vrais problèmes auxquels les Canadiens sont confrontés. N'êtes-vous pas d'accord?
     Absolument. De plus, les campagnes de désinformation adorent se greffer aux diverses théories du complot qui peuvent être liées à certains de ces enjeux de société importants.
     Merci.
    Lors de notre dernière séance, mardi dernier, j'ai été très préoccupé d'entendre les témoins parler du niveau élevé d'infiltration des médias et des universités du Canada. J'ai appris l'existence d'un groupe appelé le club Valdaï.
    Pouvez-vous commenter le rôle des campagnes de désinformation russes sur les personnes influentes dans le monde universitaire et médiatique?
     Je ne suis peut-être pas la bonne personne pour vous donner un point de vue tout à fait objectif sur cette question, en tant que membre du milieu universitaire, mais je dirais que les répercussions dans ce milieu sont probablement assez limitées. Si vous prenez l'exemple du club Valdaï, je ne pense pas qu'il y ait beaucoup d'universitaires canadiens qui souscriraient pleinement à ses activités aujourd'hui. Le club Valdaï a évolué au fil du temps. Il est certainement beaucoup plus inquiétant et orienté vers la propagande qu'il ne l'était à l'époque de sa création.
     Je ne pense pas qu'il y ait un grand intérêt de la part du milieu universitaire. Je doute également qu'il s'agisse d'une cible importante pour les opérations de désinformation russes.
    L'évaluation du renseignement du SCRS est intéressante à cet égard, car elle semble indiquer que, en tant qu'État étranger pratiquant la désinformation, la Russie aimerait pouvoir s'appuyer sur une diaspora russe au Canada et essayer d'utiliser des éléments de cette diaspora pour propager davantage son message, mais que sa capacité à le faire est fortement limitée.
    Voilà qui est intéressant.
    Vous avez parlé de la faiblesse des actions du gouvernement. Vous parlez des investissements minuscules à Affaires mondiales Canada. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet? Pourquoi pensez-vous qu'il y a eu des investissements aussi minuscules, et que faudrait‑il faire, selon vous, pour décourager la désinformation de la Russie et d'autres acteurs étrangers?
     C'est une excellente question, et les fonctionnaires sont probablement mieux placés pour expliquer l'évolution de cette attention.
    J'estime en toute confiance que le MRR du Canada ne dispose que de très peu de ressources. Selon les meilleures données disponibles, entre six et huit personnes sont affectées à ce service d'Affaires mondiales Canada. Outre la question des ressources humaines, il y a aussi la question des capacités technologiques avancées qui sont nécessaires pour passer au crible un immense univers de médias sociaux et d'autres activités sur Internet afin de trouver des indications relatives à des campagnes de désinformation.
    Voilà pourquoi il est généralement admis qu'aucun gouvernement, peu importe les ressources qu'il peut consacrer à un service comme le MRR du Canada, n'est en mesure de faire cela seul. Il doit être en mesure de nouer de vastes partenariats avec des entreprises de surveillance des médias sociaux bien établies et avec des organismes de renseignement ouverts du secteur privé. En toute franchise, le gouvernement du Canada n'est pas très doué pour créer de tels partenariats.
(1230)
     Sur la base des propos que vous venez de tenir concernant les investissements minuscules, pensez-vous que le gouvernement ne prend pas cette question aussi sérieusement qu'elle le devrait?
     Je pense qu'il a fini par la prendre au sérieux, en partie à cause de la pression des circonstances. À mon avis, les attitudes ont changé en ce qui concerne la gravité de la désinformation russe après l'invasion de l'Ukraine par la Russie, bien que celle‑ci soit un acteur problématique dans les affaires internationales depuis longtemps.
    De même, je pense qu'avec l'affaire des deux Michael, les attitudes ont profondément changé en ce qui concerne notre compréhension des relations de la Chine avec le reste du monde.
    Il y a eu des changements, mais ils sont récents, et peut-être tardifs.
     Diriez-vous que le gouvernement actuel a été pris par surprise par cette évolution des choses?
     Merci, monsieur Lloyd.
     Le témoin peut donner une brève réponse.
     Le gouvernement a‑t‑il été pris par surprise? Oui, je pense que c'est juste. L'ampleur des offensives menées par la Russie et la Chine à l'encontre des démocraties occidentales, dont le Canada, au moyen de différents outils, dont l'espionnage et les cyberattaques, et la portée de ces attaques ont certainement pris le gouvernement canadien par surprise.
    Merci.
    Nous passons maintenant à M. Erskine‑Smith. Vous avez six minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Monsieur Wark, je suis ravi de vous revoir.
    Je voudrais revenir sur le sujet abordé par M. Lloyd concernant la désinformation et la propagande qui s'emparent de questions déjà existantes et les amplifient pour semer la méfiance et le désordre dans la société.
    Si on prend l'exemple de Tenet Media, il y a des articles centrés sur le Canada, comme « L'inflation au Canada est démente ». Bon, on pourrait croire que cela vient de n'importe quel élément d'un réseau plutôt conservateur, mais, ensuite, il y a « Le Canada a sombré ». « Sombré », « brisé » — nous avons déjà entendu ce refrain. Ensuite, il y a « Le Canada est en train de devenir un enfer communiste » et « Le grand remplacement: peut‑on enfin en parler? »
    On remarque que l'on part souvent de quelque chose qui relève du discours ordinaire pour aboutir à quelque chose de terriblement glauque. Pouvez-vous nous parler de cet élément de propagande, en particulier de la propagande russe, dans le cas présent, mais aussi de la propagande en général?
    Je pense que le potentiel est clairement là. Il faudrait envisager les choses de manière proportionnelle en ce qui concerne les incidences réelles au Canada et, encore une fois, la compréhension réelle qu'ont les États étrangers qui conçoivent ces campagnes de la nature de la société dont ils essaient de modifier les perceptions. Je pense qu'il s'agit là de deux grandes contraintes.
    Toutefois, à titre d'exemple, d'après ce que nous savons des opérations de Tenet Media, l'un de ses principaux influenceurs, qu'elle a embauché et à qui elle a versé beaucoup d'argent, était une personnalité qui s'est présentée avec une importance prétendument héroïque dans le cadre des manifestations du « convoi pour la liberté » et de l'occupation d'Ottawa. Il s'agit là d'une petite indication des dangers qui peuvent découler de cela.
    Restons sur ce point, monsieur Wark. En effet, selon M. Scott, avec qui nous avons parlé tout à l'heure, les comptes subventionnés par Tenet Media ont fini par accumuler 16 millions d'abonnés; forts de cette portée initiale, les canaux de Tenet Media ont généré en un an 20 milliards d'impressions sur Twitter seulement, ainsi que 1,1 milliard de visionnages sur d'autres plateformes comme YouTube et Rumble.
    Pour reprendre les dires de M. Scott — et il a raison —, c'est un excellent rendement pour un investissement de 10 millions de dollars.
    Néanmoins, vous avez mentionné le « convoi pour la liberté ». Il s'agit certes d'un exemple clair de discours perturbateur dans le débat public canadien. En outre, même si certains conservateurs ont fait des pieds et des mains pour aller distribuer du café et des beignes, le fait est qu'il y avait de nombreux porte-voix de l'extrême droite dans le mouvement du convoi qui ont retransmis et amplifié le contenu de RT, c'est‑à‑dire du contenu russe. Qu'en pensez-vous?
    C'est ainsi que certains tentent de mener des campagnes efficaces dans les médias sociaux. Pour beaucoup d'entre nous qui ne passons pas notre temps sur les canaux de Tenet Media, il est frappant de voir à quel point ils sont capables de diffuser leur message à travers ce réseau.
     Je tiens à préciser, et c'est un élément de l'acte d'accusation, comme vous le savez probablement, que Tenet Media n'a pas été en mesure de démontrer la pertinence commerciale de l'investissement russe dans l'entreprise. Je pense qu'il y a une différence importante à faire...
(1235)
    Je suis désolé de vous interrompre, monsieur Wark, mais vous avez mentionné l'acte d'accusation, et je veux en parler. Il ne me reste qu'une minute et demie.
    M. Scott a parlé de solutions, et j'aimerais qu'on en parle. Évidemment, lorsqu'il est question de Canadiens qui diffusent du contenu en toute bonne foi, même si cela peut être malavisé, ou de Russes qui diffusent du contenu produit au Canada, je ne vois pas très bien comment faire appliquer la loi.
    La liberté d'expression est importante et nous devons la protéger. Dans l'acte d'accusation en question, il y a le fondateur 1 et le fondateur 2, et nous savons clairement que les Russes financent leurs activités au Canada. Je ne sais pas ce qu'il en est des producteurs de contenu. Peut-être qu'ils ignoraient tout, n'est‑ce pas? Ils disent qu'ils ne savaient pas. Cependant, le fondateur 1 et le fondateur 2 savaient ce qu'ils faisaient, d'après les renseignements de l'acte d'accusation.
    La loi est-elle suffisamment claire pour garantir que des mesures seront prises à l'encontre des fondateurs 1 et 2? Ils n'ont pas encore été inculpés, mais la loi est-elle suffisamment claire pour qu'il y ait une façon de les traduire en justice?
     Monsieur Erskine‑Smith, c'est une excellente question.
    Cela dépendra en grande partie de la mise en place du registre visant la transparence en matière d'influence étrangère. La loi a été promulguée, mais le registre n'a pas encore été créé. Le registre aurait deux fonctions s'il était mis en place de manière efficace. La première consisterait à dissuader, dans une certaine mesure, les acteurs dits de la zone grise; les fondateurs de Tenet Media pourraient en être un exemple. L'autre serait d'appliquer des sanctions d'ordre pécuniaire ou des sanctions pénales en vertu de cette loi ou des modifications apportées au Code criminel. Je pense en particulier aux modifications apportées à la Loi sur la protection de l’information dans le cadre du projet de loi C‑70.
    En théorie, à l'avenir, nous pourrions avoir une meilleure capacité de recourir à des sanctions pénales pour lutter contre de telles activités, à l'instar des États‑Unis, qui en sont dotés depuis un certain temps. Pour l'instant, nous n'en disposons pas vraiment.
    Merci beaucoup. Je vous suis reconnaissant.
    Merci, monsieur Erskine‑Smith.

[Français]

     C'est maintenant à votre tour, madame Michaud.
    Vous avez la parole pour six minutes.
     Merci, monsieur le président.
    Je remercie les témoins de leur présence.
    Je vais continuer sur la même lancée; mes questions s'adressent à M. Wark.
    Je voulais avoir votre opinion sur le projet de loi C‑70 que la Chambre a adopté, il y a quelques mois, pour faire face à l'ingérence étrangère. Je demandais aux témoins, au cours de l'heure précédente, s'ils pensaient que le Canada avait les mêmes outils à sa disposition que les Américains avec le FBI, par exemple, pour découvrir des stratagèmes comme celui derrière Tenet Media. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
    Selon vous, avons-nous les mêmes outils que les Américains pour faire face à cette ingérence? Avons-nous aussi les bons outils législatifs dans un contexte où tout évolue tellement rapidement, technologiquement parlant?
    Nous savons que les réseaux sociaux sont un outil puissant pour faire de la désinformation. En ce moment, ces outils législatifs se trouvent-ils dans le projet de loi C‑70, ou faut-il aller plus loin?
    Faudra-t-il constamment se renouveler pour être à la fine pointe des nouvelles tactiques ou stratagèmes utilisés par les gens qui veulent faire de la désinformation ou de la propagande au bénéfice de la Russie? J'imagine que oui.

[Traduction]

    Merci, madame Michaud. Je vais répondre en anglais.
    Pour ce qui est des outils, je pense que le premier, c'est la capacité de détecter ce genre d'activités graves. Cela concerne la capacité de renseignement. Cela concerne la capacité de surveillance de la désinformation, qui est trop faible en ce moment au Canada — et c'était le sujet de certaines de mes observations préliminaires.
    Pour ce qui est d'y répondre — pour peu qu'on puisse la détecter —, je pense que la boîte à outils était très limitée jusqu'à récemment. Le projet de loi C‑70 va améliorer les choses. Celui qui l'a précédé, c'est‑à‑dire le projet de loi C‑59, avec les nouveaux pouvoirs qu'il a conférés au CST, pourrait améliorer nos capacités à répondre à ces campagnes de désinformation afin de les neutraliser.
    La dernière chose qu'il faut dire, c'est que dans aucun cas nous ne serons en mesure de détecter ou de contrer toutes les campagnes de désinformation. Au bout du compte, il s'agit pour les citoyens et les consommateurs canadiens d'être en mesure de leur répondre de façon sensée.
(1240)

[Français]

     À votre avis, quels exemples pouvons-nous prendre des États‑Unis?
    Les États‑Unis semblent un peu plus avancés, étant la principale cible de la propagande russe en Amérique du Nord. Y a-t-il des exemples de ce qui se fait là-bas desquels le Canada peut s'inspirer pour s'améliorer?
    Je suis bien d'accord avec vous, nous ne serons jamais au même endroit ou à la bonne place pour tout prévoir. Toutefois, avez-vous noté de bons exemples de mesures qui sont prises ailleurs dans le monde et desquelles nous pourrions nous inspirer?
    Les témoins précédents disaient qu'en Europe, on peut penser que la France et l'Allemagne sont les principales cibles. À votre connaissance, ces pays européens et les États‑Unis ont-ils des façons de faire desquelles le Canada pourrait s'inspirer?

[Traduction]

    Je veux simplement dire très brièvement — et je ne le dis pas de façon condescendante — que les États‑Unis ont le FBI, et pas nous. Nous avons la GRC, qui divise son attention entre les services de police contractuels et les services de sécurité nationale. D'ailleurs, comme le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement l'a récemment souligné, cette division des responsabilités ne sert pas bien les Canadiens. Il faut faire quelque chose de sérieux pour renforcer la capacité de la GRC d'agir en tant qu'organisme d'application de la loi en matière de sécurité nationale, ce qui fait partie de son mandat depuis des décennies et qui, franchement, a été renforcé après la création du SCRS. Nous avons donc un gros problème du côté de l'application de la loi.
    Sur le plan législatif, je pense que nous nous améliorons, mais, encore une fois, je reviendrais sur le fait qu'il nous faut... Le point de départ de toute cette affaire réside dans une capacité de renseignement, ce que nous n'avons pas en ce moment.

[Français]

     Dans votre allocution d'ouverture, vous avez parlé d'une responsabilité qui relève d'Affaires mondiales Canada, mais qui devrait être du ressort du ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile.
    Pouvez-vous revenir là-dessus et, si possible, nous en dire un peu plus?

[Traduction]

    Je dirais simplement, comme j'ai essayé de l'expliquer dans le bref historique, que le mécanisme de réponse rapide a été créé à l'origine comme une sorte de secrétariat pour coordonner les activités des pays du G7. C'était en 2018. Ce n'est qu'à la fin de 2022, au milieu de l'année, sur la base des opérations psychologiques que la Russie menait dans le cadre de son invasion de l'Ukraine, que le gouvernement a décidé qu'il nous fallait une unité spécialisée pour surveiller en quelque sorte la désinformation, ce qui a donc été ajouté au Mécanisme de réponse rapide du Canada en 2022.
    Bien entendu, il faut souligner qu'Affaires mondiales Canada n'a pas de pouvoir législatif précis pour faire ce travail. Il s'appuie sur la prérogative de la Couronne pour le faire, ce qui, dans le monde du renseignement, est toujours vu comme une faiblesse.
    Merci.

[Français]

     Merci, madame Michaud.

[Traduction]

    Nous passons maintenant à M. MacGregor, pour six minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je remercie les deux témoins de s'être joints à nous aujourd'hui.
    Monsieur Wark, j'aimerais commencer par vous.
    Je vous remercie de votre allocution d'ouverture au sujet du mécanisme de réponse rapide et je suppose que ce nom est révélateur. C'est une réponse, ce qui vient donc après coup. J'essaie toujours de trouver des façons plus proactives de régler efficacement ce problème. Vous avez peut-être entendu mes interventions précédentes avec M. Scott, de Reset Tech, qui déplorait le fait qu'une grande partie du discours public de nos jours se déroule sur des plateformes contrôlées par une poignée de milliardaires dont le principal objectif consiste à s'enrichir, il va sans dire. On le constate avec le mode de fonctionnement de leurs plateformes de médias sociaux.
    Je pense que M. Scott a dit que si nous étions au plus fort de la guerre froide, au milieu des années 1980, et qu'un certain nombre d'entreprises médiatiques canadiennes diffusaient l'équivalent d'une heure de propagande du Kremlin, elles seraient immédiatement traînées devant un comité, et des mesures seraient prises contre elles.
    Je suppose que, de votre point de vue, nous pouvons faire face au pouvoir que détiennent ces entreprises de médias sociaux. Je sais que c'est difficile d'une perspective canadienne parce qu'elles sont principalement basées en Californie et dans la Silicon Valley et qu'elles sont assujetties aux lois étatsuniennes. Cependant, il est inutile de rester les bras croisés. On a déjà constaté les effets pervers de leurs plateformes sur les sujets auxquels les Canadiens s'intéressent et sur nos normes démocratiques.
    Avez-vous des observations dont vous pourriez faire part au Comité sur la façon d'aborder de manière proactive les plateformes qui hébergent une grande partie de cette mésinformation et de cette désinformation qui, d'une certaine façon, sont directement liées aux objectifs stratégiques de la Russie?
(1245)
    Monsieur MacGregor, je ne prétends pas être un expert de la réglementation des plateformes. Pour bon nombre des personnes avec lesquelles je travaille au Centre pour l'innovation dans la gouvernance internationale, c'est leur cheval de bataille, et je suis sûr qu'elles seraient heureuses de venir vous en parler au moment opportun.
    Je vais revenir à votre question sur le mécanisme de réponse rapide en disant qu'il est probablement mal nommé. À l'origine, je pense qu'on voulait créer un mécanisme de détection rapide, ce qui semblait peut-être un peu trop contraire aux valeurs canadiennes à ce moment‑là. Je pense que je prendrais comme guide bon nombre des observations de M. Scott, surtout pour ce qui est d'exiger que ces plateformes de médias sociaux soient beaucoup plus transparentes et beaucoup plus responsables.
    J'ajouterais également — ce qui trahit peut-être mon âge — que nous n'avons que nous-mêmes à blâmer. Personne ne nous a obligés à nous abonner à YouTube, Instagram et ainsi de suite et à puiser à ces sources. Je pense que les Canadiens doivent assumer un certain degré de responsabilité quant à la façon dont ils interagissent avec les plateformes de médias sociaux. Il y a un volet éducatif à prendre en considération. Il peut bien y avoir une réglementation, mais, au bout du compte, dans une société démocratique, il s'agit d'être en mesure d'exercer un bon jugement à cet égard.
    Je pense qu'il y a beaucoup à faire, et c'est pourquoi je suis très favorable à un modèle comme celui de l'Agence de défense psychologique de Suède — que notre autre invité connaît peut-être mieux que moi — qui pourrait offrir une capacité de détection et utiliser des ressources de renseignement et ainsi de suite de concert avec une organisation publique qui pourrait vraiment sensibiliser les Canadiens.
    Je vous remercie.
    Monsieur Oksanen, voilà peut-être une excellente transition pour vous.
    J'aimerais savoir ce que vous pensez de la même question parce que, compte tenu de la position géographique du Canada dans le monde, je pense que nous nous sommes toujours sentis assez à l'abri des événements qui se produisent de l'autre côté de l'Atlantique. Bien sûr, pour les Suédois et pour votre voisin finlandais, la Russie a toujours été présente depuis des siècles. Je me demande comment cela éclaire le discours en Suède à cet égard. Selon vous, y a‑t‑il d'autres enseignements que les Canadiens doivent en tirer pour que nous puissions faire des recommandations à notre gouvernement?
    Je pense que la Finlande et la Suède sont avantagées parce qu'elles connaissent la Russie plus que d'autres pays. Vous avez dit plus tôt dans cette discussion qu'il y avait des problèmes en Allemagne et en France, qui n'ont pas le même degré de compréhension de la Russie. En général, la société a une bonne compréhension du problème.
    Comme je l'ai dit, nous avons une nouvelle agence: l'Agence de défense psychologique. Elle est en place depuis maintenant deux ans. Il est encore trop tôt pour en évaluer les effets, mais nous constatons qu'il y a une sensibilisation accrue dans la société. L'Agence a travaillé fort pour renseigner les fonctionnaires de divers ordres de gouvernement. Elle dispose aussi d'une capacité de détection qui lui permet de communiquer avec les organismes compétents chargés de s'attaquer au problème dans le système suédois. Ainsi, l'Agence de défense psychologique ne traite pas d'un problème qui relève de la santé publique, par exemple.
    Je voudrais aussi aborder la question globale des plateformes réglementées. Je pense que nous devrions entreprendre un débat et voir les médias sociaux selon la même perspective que le tabac, c'est‑à‑dire en informant le public des problèmes et des risques qui y sont associés. Par exemple, les jeunes ne peuvent pas acheter de tabac. Je pense que c'est une approche que nous devrions envisager dans une société ouverte. Ce débat n'a pas encore eu lieu dans le monde, mais je pense que nous devrions commencer à l'envisager.
    Merci, monsieur MacGregor.
    Nous allons maintenant commencer un deuxième tour avec M. Brock.
    Allez‑y, s'il vous plaît. Vous avez cinq minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Je tiens à remercier les deux témoins de leur présence et de leur participation à cette étude.
    Monsieur le président, j'aimerais maintenant proposer une motion pour laquelle un avis a été donné vendredi dernier et qui a été déposée auprès du greffier dans les deux langues officielles.
    La motion se lit comme suit:
Que le Comité informe la Chambre que la ministre devrait s'excuser pour avoir défendu un salaud qui a tiré sur un policier en déclarant « en tant que députée, je trouve troublant d'entendre d'autres députés utiliser des noms et lancer des insultes à des concitoyens. Ce sont des Canadiens dont nous parlons. Nous pouvons faire mieux que de nous invectiver les uns les autres et d'insulter les concitoyens » et reconnaît que ce monstre est actuellement accusé de tentative de meurtre, possession d'une arme à feu, menaces de mort et violation d'une ordonnance de probation, et a été antérieurement accusé de possession d'un véhicule volé et de plaques d'immatriculation volées, d'entrée par effraction dans plusieurs résidences et de violation d'une ordonnance de probation.
    J'aimerais être le premier à prendre la parole, monsieur le président.
(1250)
    Merci, monsieur Brock.
    J'attire l'attention du Comité sur la page 1065 de La procédure et les usages de la Chambre des communes. En ce qui concerne la recevabilité des motions dans le cadre des travaux des comités, « une motion ne devrait pas renfermer de termes répréhensibles ou non parlementaires. Les motions ne devraient pas non plus contenir de formulations contestables ou irrégulières, pas plus qu'elles ne devraient être présentées sous la forme d'une argumentation ou d'un discours. »
    Pour cette raison, la présidence juge cette motion irrecevable.
     Un député: Je conteste cette décision.
     Le président: La décision de la présidence a été contestée.
    Voici ce que le Comité doit décider: la décision de la présidence est-elle maintenue? Si vous votez « oui », vous appuyez la décision du président. Si vous votez « non », la motion ira de l'avant.
    Monsieur le greffier, pourriez-vous procéder au vote par appel nominal, s'il vous plaît?
    (La décision de la présidence est maintenue par 7 voix contre 4.)
     Le président: Merci, monsieur le greffier.
    La décision de la présidence est maintenue.
    Monsieur Brock, il vous reste deux minutes.
    Je vais céder le reste de mon temps de parole à mon collègue, M. Motz.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    J'aimerais poser une question à M. Wark, si vous me le permettez.
    Mardi dernier, nous avons reçu un témoin qui nous a demandé pourquoi le Canada était toujours un refuge pour les agents russes.
    J'aimerais vous poser la même question. Pourquoi le Canada est‑il encore un tel refuge?
    Pourquoi le gouvernement actuel n'a‑t‑il pris aucune mesure à l'égard des personnes au Canada qui collaborent avec des institutions qui diffusent de la propagande russe?
    Merci de votre question, monsieur Motz.
    Je pourrais d'abord commencer par vous dire que le fait que les Russes aient décidé de me sanctionner est pour moi comme une médaille d'honneur. Je pense que si je suis sur cette liste, c'est notamment parce que je réclame des mesures plus agressives du gouvernement du Canada face aux diplomates russes qui mènent au pays des activités contraires à leurs obligations que leur impose la Convention de Genève et que je demande qu'ils soient déclarés persona non grata.
    M. Motz le sait probablement, mais tous les pays de l'Union européenne et tous les pays de l'OTAN, sauf le Canada, ont expulsé au moins un diplomate russe depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie; le Canada fait bande à part. Honnêtement, je crois qu'aucun argument ne justifie cette inaction. Je ferais la distinction entre ce genre de mesures, que le gouvernement fédéral est pleinement habilité à prendre, et la question plus large de la façon de répondre à la présence au Canada d'agents d'influence russes potentiels, de mandataires, etc.
    Je pense qu'il y a ici deux problèmes. Premièrement, jusqu'à tout récemment, il n'y avait pas vraiment d'outils juridiques dans le projet de loi C‑70 nous permettant de répondre au problème.
    Deuxièmement, comme je l'ai dit en réponse à la question de Mme Michaud, je crois qu'il y a un véritable manque de capacités au niveau institutionnel en ce qui concerne le renseignement et l'application de la loi nous empêchant de répondre à ces menaces.
(1255)
    Merci, monsieur Motz.
    Nous passons maintenant à M. Gaheer.
    Allez‑y. Vous avez cinq minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie les témoins qui sont avec nous aujourd'hui.
    Monsieur Wark, mes questions s'adressent à vous.
    Vous m'avez déjà dit qu'il n'y a rien de comparable au FBI au Canada. Nous avons la GRC, mais près de 80 % du travail qu'elle effectue est lié à sa fonction de police contractuelle.
    De toute évidence, vous avez déjà amplement réfléchi à cette question. Pourriez-vous nous dire ce qui serait différent si la GRC s'apparentait davantage au FBI? Qui s'occuperait des services de police contractuels?
    D'après vous, sur quoi la GRC pourrait-elle axer ses efforts alors qu'elle ne dispose pas des ressources nécessaires à l'heure actuelle?
    Pour le dire très brièvement, monsieur Gaheer, c'est un enjeu complexe.
    Je pense que, dans le contexte général, la GRC devrait cesser complètement de s'occuper des services de police contractuels. Il faudrait trouver un autre modèle pour financer le maintien de l'ordre dans les provinces, les territoires et les municipalités. Assurément, nous en sommes capables.
    Je pense que la GRC doit devenir un organisme axé sur le maintien de l'ordre et la sécurité nationale à l'échelle du pays et être en mesure de s'attaquer à différents crimes graves et infractions liées à la sécurité nationale, qu'ils soient liés au crime organisé ou aux très nombreuses menaces à la sécurité nationale.
    Nous avons parlé brièvement des tactiques employées par les Russes pour manipuler l'opinion des Occidentaux.
    Pourriez-vous en parler un peu plus longuement?
    Croyez-vous que ces efforts portent leurs fruits dans un pays comme le Canada, où le taux d'achèvement d'études tertiaires est l'un des plus élevés au monde?
    J'ai une question complémentaire à ce sujet.
    Croyez-vous qu'il existe un pan ethnique à ces tentatives de déstabilisation par la manipulation? Tout le monde sait que, au Canada, une grande partie des immigrants n'ont pas l'anglais comme langue maternelle.
    L'ingérence russe atteint-elle également ces autres communautés minoritaires au Canada?
    Je dirais deux choses. Je pense qu'il est plutôt difficile pour la Russie de mener des campagnes de désinformation au Canada. C'est notamment ce qui était mentionné dans l'évaluation du SCRS, que j'invite d'ailleurs tous les membres du Comité à lire, parce qu'elle donne un bon aperçu de la situation. Cette difficulté s'explique en partie par le fait que les positions russes ne sont pas bien reçues au Canada dans l'ensemble, surtout depuis que la Russie a envahi l'Ukraine.
    De plus, la diaspora russe n'est pas très unie au Canada. Elle est formée de divers groupes épars comme l'Alliance démocratique des Canadiens Russes, un groupe d'opposition au régime de Poutine, ce qui fait qu'il n'y a pas de grande base solide à manipuler et qu'il n'y a pas de bassin de sympathisants dans lequel puiser.
    D'un autre côté, les Russes ont déjà été maîtres dans l'art de la désinformation et des opérations de propagande. Ils y consacrent beaucoup de ressources. Les ressources financières, le personnel et les cybercapacités sont pratiquement illimités pour les campagnes de désinformation. Ce qui est différent au Canada, à mon avis, c'est que la base qu'ils peuvent cibler est moins grande.
     La manipulation russe parvient-elle à atteindre les communautés ethniques au Canada? Évidemment, il y a des populations minoritaires assez importantes au Canada.
    La raison pour laquelle je pose cette question est que l'aéroport Pearson se trouve dans ma circonscription et que cette dernière compte une proportion importante d'immigrants. Quand je discute avec eux, je les entends souvent répéter les lignes de la désinformation russe. Je me demande si c'est quelque chose qui les a atteints indirectement ou s'ils sont directement pris pour cibles.
    Je pense qu'il y a deux réponses à cette question.
    D'abord, dans certains cas, il y a assurément un ciblage direct, mais je pense qu'il s'agit plutôt d'efforts de répression transnationale, dont certains autres témoins ont brièvement parlé, qui ciblent les membres de la diaspora russe identifiés comme étant ouvertement contre Poutine ou contre l'invasion illégale de l'Ukraine par la Russie. Le gouvernement russe fera tout en son pouvoir pour museler ces critiques et les contrer.
    De façon plus générale, je dirais que les efforts de désinformation de la Russie s'apparentent à ceux qu'elle déploie aux États‑Unis et ont pour objectif d'accentuer la polarisation et de semer le doute dans l'esprit des gens quant à la validité et à la viabilité des régimes démocratiques. Je crois que le plan de désinformation russe au Canada est essentiellement le même que le plan déployé aux États‑Unis, mais à plus petite échelle.
(1300)
     Merci, monsieur Gaheer.

[Français]

     Madame Michaud, vous disposez de deux minutes et demie.
    Merci, monsieur le président.
    Ma question s'adresse à M. Oksanen.
    Il n'y a pas très longtemps, M. Shekhovtsov, le témoin précédent, a partagé une publication sur Twitter. On pouvait y voir une publicité ou des panneaux publicitaires qu'on retrouve dans plusieurs villes italiennes. Sur ces panneaux, il est écrit que la Russie n'est pas notre ennemie. L'image représente une poignée de main et contient les couleurs des deux pays, soit la Russie et l'Italie. Sur ces panneaux publicitaires, on encourage aussi les gens à cesser de donner de l'argent pour des armes et pour aider l'Ukraine.
    Selon les témoignages que nous avons entendus aujourd'hui, au Canada, les messages de propagande ou de désinformation qui proviennent de la Russie sont beaucoup plus subtils. Par exemple, on y dit que l'Ukraine est corrompue, ou d'autres messages de ce genre.
    Puisque vous êtes en Suède, je suis curieuse de savoir si c'est le genre de publicité que vous voyez dans d'autres villes européennes. On a parlé de la France et de l'Allemagne, qui pouvaient être particulièrement ciblées.
    Est-ce le genre de publicité qu'on peut voir souvent dans votre pays? Comment les gouvernements réagissent-ils à cela, et comment devraient-ils réagir?

[Traduction]

    Eh bien, l'objectif principal des Russes ici est de miner l'appui à l'Ukraine. Ils emploient des tactiques différentes d'un pays à l'autre.
    Vous avez parlé de l'Italie. Il faut un contexte, une situation et un appui à la Russie particuliers pour ce genre de publicités. Elles ne fonctionneraient pas en Suède ou dans les autres pays nordiques et baltes.
     On entend plutôt des arguments comme « l'Ukraine va perdre » ou « le temps joue pour la Russie » et « si l'Ukraine cédait une partie de son territoire pour la paix, nous pourrions sauver des vies ». C'est le genre d'arguments que proposent les personnes, les médias et autres qui sont prorusses dans ce contexte, mais, évidemment, cela varie d'un pays à l'autre.
    L'influence de la Russie en Italie ne date pas d'hier et il y a eu plus de partis politiques favorables à la Russie en Italie qu'en Suède. En Suède, ce serait un suicide politique de s'afficher comme prorusse.

[Français]

     D'accord.
    Je vais revenir à la deuxième partie de ma question.
    Comment les différents gouvernements devraient-ils réagir? Je sais que certains gouvernements peuvent être davantage en faveur de l'Ukraine, d'autres, en faveur de la Russie.
    Il y a déjà deux ans de cela, j'étais en France et je voyais des messages assez fréquents disant qu'on devait soutenir la Russie plutôt que l'Ukraine.
    Quel rôle le gouvernement peut-il jouer dans tout cela? Je sais que la ligne est mince entre ce que nous pouvons faire et la liberté d'expression, mais, à un moment donné, quel genre de mesure les gouvernements peuvent-ils prendre pour contrer cela?

[Traduction]

    Je vous remercie, madame, de m'avoir rappelé la deuxième partie de votre question.
    Je pense que les gouvernements doivent bien comprendre pourquoi la Russie agit de la sorte et ce qui est en jeu et en parler ouvertement et franchement avec les citoyens. Présentement, le monde démocratique est en conflit avec les États autoritaires, en particulier la Russie, mais il y a aussi la Chine et d'autres pays.
    Il faut bien expliquer aux citoyens ce qui se passe et ce qui est en jeu puis, évidemment, examiner quels règlements au sein de la société nous pourrions employer pour défendre la démocratie sans nuire à ce que nous voulons protéger.
    C'est un équilibre difficile à atteindre. Bien sûr, je ne vais pas parler de la situation au Canada, mais en règle générale, je pense qu'il faut que les leaders de la société soient bien clairs quant à ce qui se passe présentement.
(1305)

[Français]

     Merci, monsieur Oksanen.

[Traduction]

    Je suis désolé. Il semble y avoir quelques problèmes concernant le chronomètre. Le temps augmentait au lieu de descendre.

[Français]

    Merci, madame Michaud.

[Traduction]

    Monsieur MacGregor — c'est un de ces noms écossais —, vous avez deux minutes et demie. Nous allons faire la coupure ici.
    Merci.
     D'accord. Je vous remercie.
     Monsieur Oksanen, je voudrais poursuivre avec vous. Lors de l'une de nos réunions précédentes, un des témoins a affirmé que le Canada devait se doter d'une « stratégie nationale de résilience numérique », alors il y a visiblement des secteurs de la société canadienne qui sont conscients de l'ampleur des enjeux auxquels nous devons répondre.
    Au sujet de l'Agence de défense psychologique, je crois que c'est M. Wark qui a dit que cela sonnait un peu orwellien et il y aurait certainement certains secteurs de la société qui nous critiqueraient à ce sujet.
    Cela m'intrigue. Depuis qu'une telle agence a été créée en Suède, quelle a été la réaction de la population? Y a‑t‑il consensus quant à la nécessité de cet outil dans l'époque où nous vivons? En deux ans depuis sa création, est‑ce que l'opinion publique a changé quant au rôle que joue cette agence dans la société suédoise et à sa nécessité pour contrer les menaces de la Russie?
    Permettez-moi d'abord de parler du contexte historique. L'Agence est peut-être nouvellement créée, mais il s'agit d'une ancienne agence qui avait été dissoute pendant la longue période de paix.
    L'histoire de l'Agence de défense psychologique et de ses prédécesseures remonte au début des années 1950, quand la guerre froide redevenait plus intense. La Suède a mis à profit les conclusions et les expériences issues de la Seconde Guerre mondiale, lorsque, entre autres, la propagande radio de l'Allemagne nazie et de l'Union soviétique atteignait notre pays. Elle est en place depuis longtemps.
    Cette agence s'inscrit également dans le concept de la défense totale de la Suède qui veut que nous communiquions à la population que le pays ne capitulera jamais s'il entre en guerre. Ce genre de communications date de 1943. D'ailleurs, une version modernisée de cette publication sera distribuée à toute la population. C'est en cas de guerre ou de crise. Le document fait environ 30 pages.
    Je ne dirais pas que la perception de l'Agence a changé en deux ans. L'Agence avait un large appui politique au moment de sa création. Je dirais qu'elle est acceptée, mais qu'elle cherche encore à trouver son rôle au sein de la société et du régime de gouvernance suédois. Évidemment, il faut du temps à une nouvelle agence pour établir des liens avec les autres agences.
    Merci, monsieur MacGregor.
    Je remercie les témoins de s'être joints à nous aujourd'hui et je les remercie de leurs témoignages. Ils nous seront très utiles.
    Il y a quelques points relatifs aux affaires du Comité à traiter avant de nous laisser. Le greffier a distribué ce matin deux budgets proposés, le premier au montant de 20 250 $ pour l'étude sur l'ingérence russe et campagnes de désinformation au Canada et le deuxième au montant de 1 500 $ pour l'étude du phénomène grandissant des vols de voiture au Canada.
    Plaît‑il au Comité d'adopter ces deux budgets?
    Des députés: D'accord.
    Le président: Je veux également annoncer que la prochaine version de l'étude sur les vols de voiture devrait être prête demain. Elle sera transmise au Comité dès qu'elle sera prête.
    Merci tout le monde.
    La séance est levée.
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