Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Bienvenue à la 18e réunion du Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes.
Je veux d'abord souligner que je participe à cette réunion à partir du territoire visé par le Traité no 1, foyer de la Nation métisse.
Conformément à l'ordre de la Chambre des communes du 25 novembre 2021, la réunion se déroule aujourd'hui en format hybride. Certains membres sont présents dans la salle et d'autres participent à distance à l'aide de l'application Zoom. Les membres et les témoins qui participent virtuellement peuvent s'exprimer dans la langue officielle de leur choix. Au bas de l'écran, vous avez le choix entre le parquet, l'anglais ou le français.
Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement ainsi qu'aux motions adoptées par le Comité le jeudi 3 mars 2022, le Comité poursuit son évaluation de la posture de sécurité du Canada par rapport à la Russie.
Nous accueillons aujourd'hui M. David Etkin, professeur, Gestion des catastrophes et des urgences, Université York, qui témoignera à titre personnel par vidéoconférence, M. Paul Goode, titulaire de la Chaire McMillan d'études russes, Université Carleton ainsi que M. Adam Lajeunesse, titulaire de la Chaire Irving sur la sécurité maritime dans l'Arctique canadien, Institut gouvernemental Brian-Mulroney, Université St. Francis Xavier.
Vous disposez de cinq minutes tout au plus pour votre déclaration préliminaire, après quoi nous passerons aux questions. Je lèverai un carton pour vous rappeler qu'il vous reste 30 secondes. Cela fait partie des contraintes de notre travail.
Bienvenue à tous. J'invite maintenant M. Etkin à prononcer sa déclaration préliminaire.
Monsieur, vous avez jusqu'à cinq minutes. Allez‑y.
Je vous remercie de m'avoir invité. C'est un honneur pour moi d'être ici.
Concernant notre posture à l'égard de la Russie, voici ma première observation. À longue échéance, je serais porté à penser en termes de décennies, le monde sera obligé de coopérer pour faire face aux risques mondiaux comme les changements climatiques et bien d'autres. Quelle que soit notre position à l'égard de la Russie, nous ne devons pas oublier qu'un jour ou l'autre, nous devrons coopérer avec ce pays et avec d'autres.
Mes propos porteront sur le système de gestion des situations d'urgence au Canada, puisque c'est mon domaine de travail. Je ne suis pas vraiment en mesure d'aborder la dimension militaire de la question. Je vais donc parler davantage du point de vue de la société civile.
J'ai préparé une liste de recommandations qui, je pense, permettraient de renforcer de façon très concrète notre capacité de gestion de certaines menaces. Je les ai classées dans trois catégories, soit la recherche, la formation et la gouvernance. Comme je l'ai dit, je m'appuie uniquement sur mes domaines de compétence liés à la réduction des risques de catastrophes.
Pour renforcer sa capacité, le Canada aurait intérêt à créer un centre national interdisciplinaire d'excellence spécialisé dans l'étude des catastrophes. Ce centre regrouperait des spécialistes d'une diversité de disciplines et de domaines, de même que des universitaires et des professionnels qui travailleraient tous ensemble.
Quant aux collectivités locales, elles doivent toutes faire des évaluations de risques. Il s'agit d'un processus difficile et complexe qui a tendance à être négligé. Les collectivités locales n'ont pas suffisamment de soutien pour se livrer à cet exercice. Je recommande au gouvernement du Canada de mettre sur pied un groupe d'experts, peut-être sous la gouverne de Sécurité publique Canada, pour aider les collectivités locales à mettre au point des méthodologies, à avoir accès à des données et à les interpréter, afin qu'elles soient en mesure d'évaluer les risques.
Les infrastructures essentielles sont particulièrement vulnérables aux menaces. Nous avons encore beaucoup de choses à apprendre sur les interconnexions entre elles. Il s'agit d'un système complexe et étroitement connecté. Je recommande le financement d'une étude de longue haleine sur les interconnexions et les vulnérabilités des infrastructures essentielles du Canada.
Concernant la formation, le collège de gestion des urgences, rattaché à Protection civile Canada, a joué un rôle très important dans le passé, avant d'être malheureusement dissous il y a quelques années. Même si les collèges et les universités du Canada proposent des programmes de gestion des urgences, ceux‑ci ne remplacent pas les fonctions dont s'acquittait le collège de gestion des urgences. Les programmes du collège s'adressaient surtout aux maires et aux résidants des collectivités engagés dans la gestion des urgences qui n'auraient jamais suivi un programme collégial ou universitaire. Le collège avait comme mission non seulement d'éduquer et de former, mais de créer une communauté et une culture de gestion des urgences à la grandeur du Canada.
Concernant la gouvernance, enfin, je vous signale que 85 % des infrastructures essentielles du Canada appartiennent au secteur privé. Je pense que cela crée une certaine tension au niveau des priorités. L'une des priorités du secteur privé est de générer des profits et de servir les intérêts des actionnaires, tandis que la plupart des infrastructures essentielles sont un bien collectif. Le rôle des gouvernements en matière de propriété et [difficultés techniques] l'infrastructure essentielle. Je pense qu'il faut revoir cette façon de procéder parce que les récentes catastrophes sont le résultat d'un relâchement des mesures de sécurité amorcé dans un environnement économique néo-libéral.
Notre système de gestion des urgences et des catastrophes est ancré dans l'histoire. Il est issu du système de défense civile mis en place après la Deuxième Guerre mondiale, mais le monde dans lequel nous vivons aujourd'hui évolue dans une direction très différente. J'aimerais examiner de près le système actuellement en place et voir dans quelle mesure il répond à nos besoins actuels et futurs.
Comme je suis au Canada depuis peu de temps, je veux d'abord vous dire que c'est un grand honneur d'être invité à témoigner devant le Comité et je vous remercie de m'en donner l'occasion.
Jusqu'à maintenant, le Comité a entendu des témoins qui ont surtout évoqué une diversité de menaces à court terme pour la sécurité du Canada. En tant qu'expert de la politique intérieure de la Russie et, de façon plus générale, du nationalisme et de l'autoritarisme, j'aimerais profiter de l'occasion pour expliquer pourquoi nous devons considérer cette guerre comme un problème à long terme et ce que cela signifie pour le Canada.
Premièrement, il ne faut pas s'attendre à ce qu'un changement politique émerge au sein de l'élite pour mettre fin à la guerre. La Russie est une autocratie personnaliste, ce qui veut dire que le pouvoir est exercé par le biais de réseaux clientélistes omniprésents au sein de l'État et de l'économie. Le régime autocratique se maintient en offrant aux subordonnés l'accès à des emplois, à des ressources, à la richesse ou à un statut social. En retour, les subordonnés rivalisent entre eux pour démontrer leur loyauté et leur valeur à leurs supérieurs.
Aujourd'hui, Poutine n'a aucun véritable adversaire politique. Au début, les membres de l'élite ont paru consternés par la décision d'entrer en guerre, mais ce sentiment ne semble pas avoir été largement partagé par le cercle rapproché de Poutine. Néanmoins, les oligarques ont renforcé leur soutien à la guerre de Poutine et rivalisent d'efforts pour afficher leur patriotisme. Comme les sanctions et les dépenses de guerre ne cessent de suffoquer l'économie russe, il est plus probable qu'ils se retournent les unes contre les autres, et non contre Poutine.
Deuxièmement, nous ne devrions pas sous-estimer le pouvoir du nationalisme et de la désinformation comme moteurs du soutien populaire à la guerre. Depuis le début des années 2000, le Kremlin encourage un style soviétique d'éducation patriotique en harmonie avec les visions néo-impérialistes de la Russie en tant que puissance civilisatrice en Eurasie. Cette forme de patriotisme a été fusionnée à l'anti-occidentalisme, surtout après les révolutions électorales de Géorgie et d'Ukraine qui, pour le Kremlin, étaient orchestrées par les services de renseignement occidentaux.
En 2014, l'annexion de la Crimée a suscité un regain de patriotisme qui a fait grimper à 80 % la cote de popularité de Poutine. Dans le cadre de mon travail de recherche en Russie, entre 2014 et 2016, j'ai constaté que pour de nombreux Russes ordinaires, le patriotisme officiel était synonyme de loyauté envers le Kremlin et que cette loyauté était associée à l'ethnicité russe. Poutine a amalgamé ce patriotisme fondé sur l'ethnicité avec l'anti-occidentalisme et les rêves d'une puissance soviétique dans le but de façonner un nationalisme de type néo-impérialiste, qui culmine aujourd'hui dans l'affirmation selon laquelle l'Ukraine n'est pas l'Ukraine et les Ukrainiens ne sont pas des Ukrainiens.
Le climat national de l'information est un pilier du soutien populaire à la guerre menée par la Russie. Je suis en train de recenser les récits diffusés dans les médias sur la guerre menée par la Russie et je constate qu'ils sont truffés de conspirations occidentales et d'images terribles de fascistes inhumains. La désinformation nationale encourage les nationalistes à attaquer les détracteurs de la guerre, tout en incitant les Russes ordinaires à ignorer toute information sur la guerre, à l'occulter et à se désengager. Même si plus de 15 000 courageux Russes ont été arrêtés à ce jour pour avoir participé à des manifestations antiguerre, ils ne représentent qu'un centième de 1 % de la population totale russe.
Bref, la guerre de la Russie est loin d'être terminée. Il y a peu de raisons d'espérer voir émerger, au sein de l'élite ou de la population russe, un mouvement important en faveur d'un changement de régime.
Dans l'éventualité d'une guerre prolongée, je recommande au Canada de renforcer sa sécurité de deux manières.
Premièrement, il doit saisir cette occasion pour se doter d'une expertise dans la région. Le Canada est déjà considéré comme un centre mondial en matière d'études ukrainiennes. Tant que la Russie demeurera un régime fermé qui menace ses voisins, il sera important d'acquérir une solide expertise dans ce domaine afin d'assurer la sécurité dans le monde. Le Canada peut prendre les devants en décolonisant et en mobilisant les communautés d'experts en études russes du Royaume-Uni et des États-Unis.
Deuxièmement, le Canada peut accueillir des universitaires, des journalistes et des militants qui sont la cible de persécutions en raison de leur opposition à la guerre russe. Nous savons par expérience que la diaspora ukrainienne a joué un rôle clé dans l'émergence de l'indépendance de l'Ukraine et son développement démocratique. Aujourd'hui, nous avons besoin que la diaspora russe devienne une alliée et non seulement une spectatrice, et nous pouvons faire avancer cette cause en offrant un refuge aux chefs de file moraux et intellectuels de la Russie.
Je vous remercie et je suis impatient de répondre à vos questions.
Je vous remercie, monsieur le président. C'est un plaisir d'être ici et de participer à cet important débat.
Mon domaine de recherche et d'expertise est la défense et la sécurité dans l'Arctique. Mon propos portera donc sur ce domaine.
Dans la foulée de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, le Canada a été forcé de réexaminer sa situation en matière de sécurité nationale. Vu la proximité de notre région arctique avec celle de la Russie, le Nord occupe naturellement une place centrale dans ce débat.
Le premier point que je veux soulever, c'est qu'en examinant la dynamique de la défense et de la sécurité de l'Arctique, le Comité doit se rappeler que cette dynamique n'existe pas. Il est impossible de définir précisément ce qu'est la sécurité dans l'Arctique et il en va de même pour la sécurité en Asie ou en Afrique. L'Arctique est un immense territoire et ses diverses sous-régions doivent être examinées dans des optiques très différentes.
Même si l'Arctique européen assiste à une résurgence de graves menaces à sa sécurité, je recommande au Comité de ne pas voir ces menaces comme des dangers circumpolaires communs. Autrement dit, la menace russe à l'égard de l'Arctique se limite surtout, aujourd'hui et dans un avenir prévisible, à la partie européenne de l'Arctique. Les discussions concernant l'affectation de militaires canadiens dans le Nord ou le renforcement de la capacité de combat pour défendre l'Arctique canadien ratent la cible et risquent de mobiliser des ressources dans une région qui n'est pas le centre de gravité de cette rivalité géostratégique. Ce constat n'est pas fondé sur la croyance naïve que la sécurité de l'Arctique canadien n'est pas liée à la sécurité mondiale; par contre, un simple survol de l'Arctique canadien nous amène à nous interroger sur la valeur stratégique d'une éventuelle attaque russe.
Cela ne veut pas dire que l'Arctique canadien n'a pas de dimension militaire. La région est depuis longtemps une voie par laquelle les Soviétiques — aujourd'hui les Russes — peuvent démontrer leur puissance. Des missiles balistiques et de croisière, de même que des sous-marins, pourraient un jour utiliser l'Arctique comme voie de passage pour frapper des infrastructures essentielles plus au sud, ou des voies de communication maritimes dans l'Atlantique.
Compte tenu de cette menace, le Canada devrait faire de nouveaux investissements pour améliorer les capacités de détection aérospatiale et maritime du NORAD, et je sais que le gouvernement réfléchit déjà à ces possibilités. Je sais également que d'autres témoins vous ont présenté des analyses et des recommandations à cet égard. Je ne vais donc pas m'attarder là‑dessus.
Pour renforcer la sécurité et la défense de l'Arctique canadien, nous n'avons donc pas besoin d'une présence militaire sur le terrain, ni même d'une protection militaire contre la Russie; nous avons besoin de nous doter d'un système plus complet de surveillance et de connaissance de la situation. La modernisation du système canadien de surveillance aérospatiale aux fins de détection de bombardiers et de missiles de croisière russes fait partie de l'équation.
La menace qui plane sur le Nord est toutefois beaucoup plus complexe qu'elle l'était au moment de la création du réseau DEW ou du système d'alerte dans le Nord. Comme le Canada collabore avec les États-Unis au renforcement et à l'élargissement des capacités du NORAD dans la région, nous avons maintenant besoin d'améliorer notre connaissance de la situation dans tous les domaines. Cela veut dire que nous devons détecter non seulement l'entrée de systèmes d'armement, mais aussi la présence de navires de pêche illégale, les intrusions d'embarcations et d'autres menaces hybrides. L'Arctique est en train de s'ouvrir à la navigation; un avenir sans glace ou partiellement libre de glace signifie que nous devrons surveiller et réglementer une activité accrue. Ces menaces élargissent le spectre de la sécurité et de la défense et, même si les armes supersoniques russes représentent la pire menace, leur déploiement est peu probable. En revanche, d'autres menaces, comme la pêche illégale par des flottes chinoises soutenues par l'État ou l'intrusion d'organisations criminelles, posent un danger moindre, mais elles sont beaucoup plus susceptibles d'émerger.
Le Canada possède déjà des éléments importants de ce système de connaissance dans tous les domaines, par exemple la constellation RADARSTAT et une flotte croissante de brise-glaces et de navires-patrouilleurs de la Marine et de la Garde côtière, sans parler des efforts inlassables de RDDC pour construire des systèmes de surveillance des goulets ainsi que des systèmes de surveillance sur la glace et sous la glace. Il s'agit là d'actifs dispersés qui peuvent être regroupés dans une perspective plus large pour appuyer ces efforts.
Cela veut dire que le renouvellement des capacités du NORAD dans le Nord doit viser tous les domaines, c'est-à-dire la détection et la surveillance aérospatiales, maritimes et même sous la glace. Ces systèmes en sont à divers stades de développement depuis des années, mais il n'y a jamais eu un effort concerté de construire un système englobant tous les systèmes. La menace russe d'utiliser l'Arctique comme voie d'approche est réelle, de même que l'intérêt émergent de la Chine pour l'Arctique. Étant donné que l'océan Arctique et les eaux intérieures et territoriales du Canada deviennent de plus en plus accessibles, le moment est venu d'adopter une vision globale de la surveillance dans le Nord.
Ce n'est là qu'un bref aperçu de la situation. Je répondrai maintenant avec plaisir à vos questions.
Merci, monsieur le président, et merci à nos témoins experts d’être avec nous aujourd’hui dans le cadre de cette importante étude.
Ma première question s’adresse à vous, monsieur Lajeunesse. Croyez-vous que le Canada devrait atteindre sa cible de 2 % de l’OTAN. Dans l’affirmative, où pensez-vous que ces fonds devraient aller?
Aucun doute, je crois que 2 % devrait être notre cible minimale. Je pense que nous devons être un peu plus précis en orientant ces fonds vers les menaces étatiques les plus importantes. Cela signifie qu’il faut examiner de près qui seront les futures grandes puissances adversaires — dans ce cas‑ci, il s’agit clairement de la Russie ou de la Chine — et quelles seront les forces dont nous aurons besoin pour faire face à de futurs conflits.
En ce sens, je dirais que nos priorités historiques en matière de dépenses consacrées à la défense sont un peu faussées. À l’avenir, je dirais que les dépenses consacrées à la force aérienne et à la marine seraient plus utiles, puisqu'un conflit contre la Russie ou la Chine serait de nature expéditionnaire.
Je ne peux pas vous donner de chiffres précis. Je ne vais pas m'embarquer dans un tel degré de complexité, mais historiquement, l’Armée canadienne a reçu la part du lion des dépenses canadiennes en matière de défense. Il y a probablement une raison de rajuster ces dépenses pour renforcer davantage la marine et l’aviation.
Pouvez-vous nous parler de notre technologie de surveillance et nous dire où nous devrions affecter des ressources pour l’améliorer? Les témoins nous ont dit à maintes reprises que notre capacité de surveillance n’est pas du tout au niveau requis pour évaluer avec exactitude les menaces qui pèsent sur nous.
En effet, la surveillance dans le Nord n’est pas à la hauteur du défi qui consiste à détecter les lancements d'armes conventionnelles modernes. Les armes hypersoniques russes, par exemple, ne peuvent être détectées avec précision avec le système d’alerte du Nord. Je crois que vous avez entendu M. Huebert à ce sujet hier.
Du point de vue de la menace maritime, le Canada manque de capacité de détection sous l’eau et sous la glace. De plus, simplement en raison de la taille de l’Arctique, nous n’avons pas une très bonne idée des navires de surface qui sont utilisés, du moins à l’extérieur du passage du Nord-Ouest. À l’heure actuelle, ce n’est pas une menace critique, parce que la glace rend la plupart de ces zones inaccessibles, mais au cours des 10 prochaines années, il est très probable que nous assisterons à l’émergence de nouvelles menaces civiles et hybrides dans ces eaux.
Pouvez-vous nous parler du secteur canadien de la technologie? Il existe à Halifax une entreprise appelée Kraken qui investit dans la technologie des véhicules sous-marins autonomes. Le gouvernement serait‑il bien placé pour envisager d’utiliser la technologie de pointe canadienne? Dans l’affirmative, quelle serait la meilleure façon de le faire?
Le Canada a un long historique en matière de capacité de surveillance maritime. Nous avons été l’un des pionniers du secteur des véhicules autonomes sous-marins. Il y a à Halifax plusieurs entreprises technologiques en démarrage et des entreprises plus établies qui utilisent beaucoup de technologies très utiles qui visent un double objectif et qui sont utilisées à des fins civiles pour examiner les pipelines sous-marins et ainsi de suite. Grâce à l’utilisation d’un sonar passif, nous disposons maintenant de drones capables de parcourir jusqu’à 2 000 milles marins, plus ou moins, de façon semi-autonome, alimentés par l’intelligence artificielle et qui transmettent l’information aux navires-mères ou aux stations terrestres.
Si nous sommes pour surveiller et maintenir une surveillance active dans une vaste région comme l’Arctique, alors sans l'ombre d'un doute, nous allons miser davantage sur des véhicules autonomes sous-marins ou des drones contrôlés par intelligence artificielle et divers systèmes de capteurs que le Canada est en mesure de fournir à l’heure actuelle.
Pouvez-vous nous parler de l’investissement dans de nouveaux sous-marins en général et dans nos F‑35? S’agit‑il de domaines dans lesquels nous devrions voir, ou dans lesquels vous aimeriez voir, le gouvernement investir ou réinvestir dans le budget qui est annoncé aujourd’hui?
Tout à fait. Si vous écoutez les combattants ukrainiens et ce que l’armée ukrainienne dit sur le terrain lorsqu’on leur demande ce qui les préoccupe le plus, la réponse est presque toujours la puissance aérienne. Pour ce qui est d’un conflit entre grandes puissances, la puissance aérienne est cruciale. Le Canada doit absolument accélérer l’acquisition des F‑35.
Du point de vue maritime, les sous-marins représentent un atout stratégique. Ils sont extrêmement importants. Ils peuvent accroître considérablement la surveillance par le Canada d’une zone maritime et aussi sa capacité d’exclure des puissances hostiles de cette zone. La prochaine acquisition d’immobilisations importante sur laquelle le Canada devra se prononcer — et j’ajouterais très rapidement — est l’achat d’une nouvelle flotte de sous-marins conventionnels.
Pouvez-vous nous parler de certaines de nos difficultés en matière d’approvisionnement? Pensez-vous que le gouvernement devrait désormais accorder plus d’importance à cette question?
C'est certain. On se demande de combien d’argent de plus les Forces canadiennes ont besoin, mais nous passons ainsi à côté de la véritable question. L’argent est évidemment très important, mais la capacité de le dépenser efficacement est tout aussi importante, sinon plus.
Le Canada a une très longue tradition bipartite de mauvaise gestion des marchés publics. Au moins depuis la fin de la guerre froide, une grande partie de cette situation découle de la priorisation des retombées industrielles, des emplois et de la répartition politique des avantages entre différents secteurs dans le monde.
J’aimerais remercier tous les témoins d'aujourd’hui de leur expertise et du temps qu’ils nous ont consacré.
Ma question s’adresse à M. Goode.
C’est en Russie même que la désinformation de l'administration russe est la plus répandue. Quelle stratégie le gouvernement russe utilise-t‑il pour bloquer les messages qui contredisent sa propagande?
L’approche de l'administration russe comporte plusieurs volets. D’une part, il y a eu un effort actif pour bloquer les plateformes qui donnent aux gens accès à des formes d’information de rechange ou de contrepartie qui remettraient en question les discours et la terminologie du gouvernement. Cela signifie que des plateformes importantes comme Facebook ont été formellement bloquées en Russie, bien qu’elles soient toujours accessibles à ceux qui ont accès aux réseaux privés virtuels. C’est une échappatoire qui pourrait disparaître à un moment donné.
L’objectif consistait à inciter les gens à utiliser les médias parrainés ou contrôlés par l’État, y compris les médias sociaux. Il ne s’agit pas seulement des grands médias de radiodiffusion, mais aussi d’organisations comme VKontakte, qui est la version russe de Facebook, qui sont étroitement contrôlées par les dirigeants de l’État.
L’autre approche est une tactique courante dans toutes les campagnes de désinformation, qui consiste à semer sur les ondes et dans les médias sociaux des messages multiples et parfois contradictoires. L’idée ici n’est pas nécessairement de persuader qui que ce soit d’un message en particulier, mais plutôt de susciter la méfiance à l’égard de tous les messages potentiels. C’est pour éloigner les gens de la recherche d’information et de confirmation et pour créer de façon générale la probabilité qu’il soit impossible de trouver la vérité, si bien que les gens ne se donneront même plus la peine de la chercher.
À cet égard, la désinformation réussit dans la mesure où elle renforce l’ambivalence des gens à l’égard de la guerre et les rend impuissants à faire quoi que ce soit.
En fait, je ne sais pas dans quelle mesure il peut le faire en Russie.
Une chose que nous pouvons appuyer, bien sûr, c’est l’accès à d’autres sources d’information. Cela signifie qu’il faut repousser toute mesure visant à enlever la disponibilité des canaux qui fournissent ce genre d’information à la population russe. Par exemple, enlever l'accès à YouTube ne sera pas nécessairement avantageux pour les gens en Russie, et encore moins à l’extérieur de ce pays, parce qu’un grand nombre d’entre eux dépendent de ce genre de canaux.
Je pense qu’il est important que le gouvernement appuie la libre circulation d’autres sources d’information afin que les gens qui sont prêts à chercher cette information puissent la trouver. C’est une mesure qui peut être prise à l’intérieur des frontières du Canada.
Hier, Twitter a supprimé un message de l’ambassade de Russie au Canada qui était truffé de désinformation et de théories du complot concernant le massacre russe à Boutcha. Nous avons également appris que de plus en plus d’ambassades russes dans le monde occidental sont à l’origine de la désinformation diffusée sur les médias sociaux.
Comme gouvernement, que pensez-vous que nous puissions faire au sujet de ce genre de désinformation?
La façon dont le gouvernement peut gérer ce genre de désinformation consiste simplement à donner aux citoyens un moyen d’identifier et de la réfuter. Des médias commencent déjà à le faire. Je crois que les gouvernements peuvent aussi aider à cet égard.
Puisque l’information qui circule au ministère des Affaires étrangères de la Russie, devrais‑je ajouter, est également utile pour nous, j'hésiterais donc à l'éliminer complètement. Il existe un lien évident entre le genre de discours et de théories du complot que promeut le ministère russe des Affaires étrangères et d’autres acteurs étatiques et la dynamique de la guerre. En ce sens, nous obtenons beaucoup d’informations vitales qui pourraient être perdues si elles étaient rejetées d'emblée.
Il ne s’agit pas, de quelque façon que ce soit, de justifier la désinformation qui émane du ministère des Affaires étrangères de la Russie ou d’autres acteurs de l’État russe. Il s’agit simplement de signaler que nous perdrions beaucoup si nous l'éliminions complètement, non seulement en ce qui concerne nos observations, mais aussi pour notre compréhension des motifs et des arguments de la Russie pendant la guerre.
Il ne me reste plus beaucoup de temps, mais ma prochaine question s’adresse à M. Etkin.
Avez-vous fait des recherches sur la relation qui existe entre le gouvernement du Canada et les fournisseurs d’infrastructures essentielles pour vous assurer que ces derniers continuent de pratiquer une excellente cyberhygiène?
Je ne connais pas très bien cette cybermenace en particulier, mais pour ce qui est de notre infrastructure essentielle en général, depuis des décennies, la planification en cas de pandémie est une grande priorité pour tout le monde. Malgré cela, lorsque nous avons été confrontés à une pandémie, nos plans ont échoué lamentablement. Nous nous débrouillons très bien avec les petits événements, mais quand il s’agit d’événements majeurs, je crois vraiment que nous n’avons pas les connaissances et les systèmes nécessaires pour y faire face.
Je remercie aussi les témoins et leur souhaite la bienvenue.
J'ai quelques questions à vous poser, monsieur Goode.
J'ai sous les yeux un article de La Presse sur les craintes liées aux cyberattaques en général. L'auteur, Richard Hétu, y écrit que la crainte d'une multiplication des attaques informatiques a été évoquée dès qu'on a su que la Russie s'apprêtait à envahir l'Ukraine. Il écrit également ceci: « Dans les heures qui ont précédé l'entrée des troupes russes dans le Donbass, les sites de plusieurs banques et ministères ukrainiens ont été visés par une attaque de déni de service. Des chercheurs ont aussi détecté un logiciel malveillant installé sur des centaines d'ordinateurs en Ukraine ».
On s'inquiète donc de cette « capacité de la Russie de fermer des systèmes entiers, y compris l'Internet ».
L'auteur de l'article ajoute que, « dans le brouillard de la guerre, il est parfois difficile d'y voir clair. C'est encore plus vrai dans le cyberespace. »
Nous savons que cet espace évolue très rapidement et que la Russie semble être un adversaire féroce. Même si nous sommes très bons en défense, il est possible qu'elle s'immisce quand même dans notre espace.
Selon vous, comment pouvons-nous bien nous défendre ou protéger notre cyberespace contre un adversaire tel que la Russie?
C’est une question extrêmement importante. Comme je ne suis pas un expert en cybersécurité, je ne sais toutefois pas si je suis la personne la mieux placée pour y répondre. Un certain nombre de collègues et d’étudiants travaillent sur ce sujet en ce moment, et ils sont profondément investis dans cette étude.
Je parle ici davantage à titre d’observateur qu’à titre d’expert en cybersécurité, mais nous avons constaté qu’il n’y a pas eu d’évolution radicale des capacités de cyberguerre de la Russie depuis 2014. Bon nombre des formes et des moyens d’attaque, y compris ceux qui ne sont pas attribuables, n’ont pas changé radicalement. Il en résulte probablement une certaine prévisibilité. Nous avons peut-être déjà constaté que l’ampleur des cyberattaques contre l’Ukraine, et plus généralement contre les cibles occidentales, n’a pas répondu aux attentes que nous avions avant le début de la guerre.
Je sais que vous êtes un expert de la Russie. Compte tenu de ce qui passe dans le monde et de la montée de l'extrême droite, pensez-vous que les mouvements nationalistes prorusses peuvent avoir une incidence jusqu'au Canada? Devons-nous craindre pour la sécurité de nos infrastructures essentielles et de nos institutions démocratiques?
Je pense que c’est la menace. Je crois que vous l'avez bien cernée, ou du moins je suis d’accord avec vous lorsque vous parlez de ce genre de menace. Nous savons que le gouvernement russe a fait la promotion d’acteurs de l’extrême droite partout en Europe ainsi qu’aux États-Unis et en Amérique du Nord en général.
Le mode de financement de ces groupes a souvent tendance à être entouré de divers détails, mais la façon dont il faut y réagir consiste en partie à commencer par couper les cordons de la bourse, dans la mesure du possible, et à couper les vivres à ces groupes. La deuxième façon d’aborder la question, c’est de nous assurer que nous travaillons en étroite collaboration, dans la mesure du possible, avec les communautés de la diaspora russe pour veiller à ce qu’elles comprennent qu’elles font partie de cette communauté nationale, qu’elles en sont une partie importante et qu’elles ont bénéficié des libertés et des avantages de vivre dans cette société. Elles ont habituellement un sens des responsabilités à cet égard, et je pense que nous devrions y faire appel. Nous devrions en faire la promotion dans la mesure du possible. Nous avons besoin d’alliés de la communauté russe pour lutter précisément contre ce genre de menace.
À votre avis, comment peut-on se prémunir contre la désinformation?
On voit ce genre de campagne russe de désinformation où plusieurs outils sont utilisés, notamment les médias sociaux. Cela vient jusque chez nous, sur nos plateformes, et c'est difficile de démêler le vrai du faux.
Comment un État comme le Québec, comme le Canada, peut-il se prémunir contre cela, se protéger et aider non seulement les citoyens, mais aussi les entreprises et les communautés à y faire face?
Je ne suis peut-être pas objectif, étant donné que je fais des études supérieures, mais je pense que l’éducation et la formation peuvent faire beaucoup pour aider les gens à lutter seuls contre cette menace, à être capable de reconnaître la désinformation, comprendre d’où elle vient et comprendre que le but n’est pas de persuader, mais d'affaiblir et de diviser. Ce sont des choses qu’on oublie souvent.
Puisque la désinformation joue généralement sur des caractéristiques ou des thèmes émotifs, je pense que le fait d’y répondre de façon objective, de façon réfléchie, est peut-être la façon la plus efficace de la contrer, parce que la répression généralisée n’est pas une réaction démocratique à ce genre de menace.
M. MacGregor, vous êtes le dernier intervenant pour la première série de questions. Vous avez un bloc de six minutes. Dès que vous serez prêt, la parole est à vous.
M. Goode, j’aimerais commencer par vous. On a demandé au Canada d’expulser l’ambassadeur de la Russie et aussi les diplomates russes. Bien sûr, cela placerait notre ambassade canadienne dans une position semblable, et elle pourrait faire face à des mesures réciproques.
Dans quelle mesure la collecte de renseignements diplomatiques sur le terrain est-elle importante pour éclairer la position du Canada en matière de sécurité nationale vis-à-vis de la Russie?
Je ne peux pas prétendre avoir une connaissance particulière de la relation entre la présence diplomatique canadienne et ses fonctions de collecte d’information ou de renseignement. En général, je dirais qu’elle est extrêmement importante, surtout lorsqu’on a des fonctionnaires aguerris qui sont intégrés à l'échelle locale depuis des années, voire des décennies.
La rupture de ces liens diplomatiques est souvent considérée comme un signal important dans les relations internationales, mais la reconstruction de ces liens prend beaucoup plus de temps. Ce n’est pas un lien qui peut être rétabli facilement. Vous risquez certainement de perdre l’accès à toutes les sources d’information qui sont encore disponibles.
Vos remarques liminaires font amplement écho à ce que nous disait M. Cooley lors de notre réunion d'il y a deux jours. Il parlait des nouveaux exilés russes: journalistes, informaticiens et universitaires. Il recommandait que notre comité trouve des moyens d’améliorer et de renforcer ces réseaux. Il me semble que votre déclaration préliminaire allait dans le même sens.
Vous avez parlé de renforcer les liens au niveau des programmes d'études russes entre les universités ici au Canada et à l’étranger, notamment au Royaume-Uni et aux États-Unis. Si notre comité doit faire une recommandation au gouvernement fédéral dans un contexte de sécurité nationale, j’aimerais savoir quel est le meilleur moyen de nous associer aux groupes de réflexion des universités et de l’étranger avec ces exilés russes ainsi qu’avec nos organismes de sécurité et de renseignement.
Si nous devons faire des recommandations à la Gendarmerie royale et au Service canadien du renseignement de sécurité, faudra-t-il que leurs agents suivent une formation plus poussée pour mieux comprendre la façon de faire, la mentalité de la société russe, etc.?
Je crois qu’une leçon cruciale que nous avons tirée de la guerre froide, c'est à quel point il importe de comprendre le fonctionnement des choses, non seulement sur le plan culturel, mais aussi sur le plan politique et organisationnel. On parlait là du régime soviétique, mais je crois que cette compréhension demeure tout aussi essentielle depuis la dernière vingtaine ou trentaine d'années, même si d’autres priorités ont retenu l’attention en matière de sécurité internationale. C’est d'autant plus vrai aujourd’hui, et une façon de faciliter les choses, c'est de permettre aux exilés russes de s’intégrer par une diversité de moyens.
Je pense que les centres universitaires ont toujours été prêts à tendre la main et à se montrer ouverts au public. Cette formule pourrait être institutionnalisée à mon avis. Le gouvernement fédéral pourrait certainement inciter ses propres institutions et organismes à travailler avec les centres universitaires existants ou financer la création de nouveaux centres ou groupes de coordination pour s'organiser avec eux.
Il nous faudrait pouvoir créer des lieux où ces nouveaux exilés russes pourraient s’installer, leur donner l’occasion de se prononcer, de donner leur avis. Ils peuvent d'ailleurs se montrer très critiques à l'égard de la menace de désinformation nationale émanant de groupes d’extrême droite, dont il a été question tantôt.
Monsieur Etkin, je vous remercie de vos commentaires qui placent la sécurité nationale du Canada dans un contexte de changement climatique. Vous reconnaissez également qu’il faudra un certain temps avant que le Canada et la Russie puissent avoir des relations normales.
Pouvez-vous poursuivre vos propos au sujet de l’importance pour nos deux pays de revenir un jour à la coopération dans l’Arctique? Dans quelle mesure cette coopération est-elle importante pour lutter contre les changements climatiques dans le contexte de la sécurité nationale? Je vous pose la question parce que la sécurité nationale c'est le véritable mandat de notre comité.
Quand on parle de changement climatique, c’est une tragédie d’enjeux communs. Nous ne saurions régler le problème efficacement sans la collaboration de tous les pays. À mon avis, les menaces associées aux changements climatiques auront éventuellement des effets tout simplement catastrophiques.
Il est absolument essentiel de rallier nos efforts pour essayer de résoudre ces problèmes à l’avenir; il n'y a rien de plus important que d’avoir une sorte de coopération mondiale pour y faire face.
Chers collègues, nous passons maintenant à la deuxième série de questions. L’horloge me dit que si je vous enlève une minute à chacun, nous terminerons plus ou moins à l’heure.
Ce sera d'abord au tour de M. Lloyd, pour quatre minutes.
Merci, monsieur le président. Mes questions s’adressent à M. Goode.
J’ai beaucoup apprécié vos commentaires aujourd’hui.
Les Russes ont du mal à avaler les défaites. Après la guerre russo-japonaise de 1905, moins d’une décennie plus tard environ, ils se sont débarrassés des tsars, et dans les années 1980, la défaite en Afghanistan a probablement mené à la chute de l’Union soviétique.
Pensez-vous que l’Ukraine, en 2022, avec les revers que nous avons vus à Kiev, pourrait annoncer la fin du régime Poutine dans quelques années?
Je pense que la plus grande variable dépend de la mesure dans laquelle l'opinion publique est sensible à l’ampleur des pertes. C'est difficile à prédire en ce moment, mais il est manifeste que Poutine minimise le nombre de victimes.
On a également émis l’hypothèse que le recours à des groupes de volontaires, ainsi qu’à des soldats ordinaires de régions de la Russie comme le Caucase, vise spécifiquement à faire en sorte que les victimes soient principalement des minorités ethniques qui ne donneront pas tant à parler dans l’opinion publique russe, qui est à 80 % ethniquement russe...
Nous avons vu comment le pétrole et le gaz financent la machine de guerre de Poutine. Tout cet équipement qu’ils perdent en Ukraine doit coûter très cher à leur Trésor, mais nous avons aussi vu des rapports selon lesquels, au cours des dernières décennies, les Russes ont financé des groupes qui cherchent à s’opposer à l’exploitation des ressources pétrolières et gazières en Occident et dans d’autres régions.
Selon vous, dans quelle mesure les Russes ont-ils utilisé ce genre de propagande pour s’assurer que l’Europe, en particulier, demeure dépendante de l’énergie russe?
Je ne veux pas spéculer, car je n’ai pas de données précises à ce sujet. Je pense qu’il est bien connu que l’Europe s’est tournée principalement vers l’énergie russe, car cela semblait être une solution de rechange stable à l’énergie du Moyen-Orient, surtout à partir des années 1990.
La propagande russe n'y était pas pour grand-chose, malgré le rôle qu'elle aurait pu jouer selon moi pour veiller à ce que le sentiment public des régions traditionnellement russophiles et de certaines parties de la vieille Europe demeure opposé à ce que l'Europe soit sevrée de l’énergie russe.
Nous avons su qu'il y a des gens qui sont en train d'annuler des éléments de la culture russe, Dostoïevski, par exemple, mais j’apprécie vraiment votre recommandation d’appuyer les exilés et les communautés d'émigrés russes comme moyen d’édifier un rempart contre le régime de Poutine.
Ne pensez-vous pas que cette « culture d’annulation » que nous avons vue — pas nécessairement de la part des gouvernements — ne fait rien pour appuyer les émigrés russes?
En effet. Je pense qu’il y a des choses qui ont du bon sens. Ces annulations ont surtout visé les compétitions sportives. Le sport est une source importante de la puissance de la Russie et de la légitimité internationale qu'elle revendique. Il y a donc une raison à cela.
De façon plus générale, cependant, il importe de rappeler que personne ne s'y prend mieux que le gouvernement russe quand il s'agit d'annuler des Russes. C’est ce qui doit vraiment motiver notre soutien aux émigrés et aux exilés qui pourraient être des alliés.
Il ne me reste qu’un rien de temps. Nous avons vu beaucoup de propagande russe disant qu’il s'agit de combattre le fascisme en Ukraine. Pensez-vous que le fait de répandre de la désinformation en Occident en déclarant que l’extrême droite en Ukraine est une menace réelle, a été un discours efficace ces dernières années?
Mes questions s’adresseront à M. Lajeunesse, du moins pour commencer.
Monsieur, dans votre déclaration, vous avez parlé de l’importance d’améliorer les capacités de surveillance dans le Nord. Vous avez mentionné le réseau d'alerte avancé et le réseau d’alerte du Nord, qui semble suivre la voie tracée par l'ancienne ligne d'alerte avancée.
Le réseau d'alerte avancé a été créé à l’époque des missiles balistiques intercontinentaux et des menaces que représentent les bombardiers à longue portée. Est-ce toujours pertinent aujourd’hui, et de quelle façon ces systèmes doivent-ils être mis à niveau? Avons-nous besoin d’un réseau d’alerte encore plus au nord?
Si vous pouviez nous en parler, ce serait très apprécié.
Les réseaux d'alerte avancée et du Nord ont été mis en place à une époque où le contexte stratégique était très différent. Les deux cherchaient simplement des bombardiers russes. Le premier est rapidement devenu obsolète à l’arrivée des missiles balistiques intercontinentaux, mais celui du Nord a été mis à niveau avec l’arrivée des missiles de croisière russes. La menace à la sécurité à laquelle nous faisons face aujourd’hui vient des nouvelles armes russes au rayon d'action beaucoup plus vaste. Si cela vous intéresse particulièrement, j’invite les membres du Comité à consulter un document rédigé par deux officiers du NORAD, MM. Fesler et O’Shaughnessy, intitulé « Hardening the Shield ». Ils y décrivent admirablement bien les considérations stratégiques et la nature des menaces.
Aujourd’hui, c'est toujours la puissance russe qui pose le danger. Ce sont encore des bombardiers et des armes russes qui pourraient théoriquement être lancés de l’Arctique comme armes de première frappe. Seulement, le contexte est très différent, car il nous faut faire un examen beaucoup plus holistique de la surveillance. En effet, nous ne cherchons plus seulement des bombardiers russes, comme c’était le cas dans les années 1950, mais aussi des navires civils, des milices maritimes, des menaces hybrides, des flottes de pêche illégale, des menaces d’intrusion et de pollution. Toutes sortes de menaces aérospatiales et maritimes surgissent au fur et à mesure.
Ce qu’il faut, c’est un réseau de systèmes beaucoup plus complexe et holistique qui permette au Canada et aux États-Unis de se faire un tableau beaucoup plus complet de la situation.
Nous développons des systèmes sous-marins depuis les années 1970 au moins. Leur degré d'efficacité demeure classifié, au-delà de mon échelle salariale.
Quant aux réseaux satellites dont vous parlez, nous avons une assez bonne capacité d’imagerie grâce à notre système RADARSAT.
Vous avez raison de dire que les Chinois et les Russes ont tous deux testé avec succès des armes antisatellites. Cependant, en 2022, nous vivons dans un monde différent de ce qu’il était il y a 10 ans, disons, et nous assistons à une diminution extraordinaire du coût du lancement de satellites dans un scénario de crise. Par exemple, si nous avions des satellites de surveillance de secours, nous pourrions les lancer beaucoup plus rapidement à un coût beaucoup plus abordable. Je crois qu’Elon Musk, il y a à peine une semaine ou deux, a dit qu’il pourrait lancer des satellites plus rapidement que les Russes ne pourraient les abattre...
Monsieur Etkin, je sais que vous avez commenté dans les médias les inondations de 2019 à Sainte‑Marthe‑sur‑le‑Lac. Vous avez d'ailleurs dit ce qui suit:
[Traduction]
Sainte-Marthe-sur-le-Lac a été inondée non pas parce qu’il y avait beaucoup de pluie, mais parce qu’on bâtit dans des plaines inondables.
Nous sommes nos pires ennemis, car nous mettons notre société en danger à force de réfléchir à court terme, de rechercher le profit et de refuser de voir la réalité en face.
[Français]
Diriez-vous que le Canada fait de la prévention et se prépare aux catastrophes, aux risques et à la gestion des événements qui pourraient arriver, ou qu'il ne fait plutôt que réagir?
Je pense que nous sommes loin d’en faire assez en matière d’atténuation et de proactivité. Les risques que nous créons sont très souvent causés par les mauvaises décisions que nous prenons. On insiste beaucoup trop sur l’intervention réactive et pas assez sur l’atténuation et la prévention.
Monsieur Goode, ma dernière question s’adresse à vous. Vous avez beaucoup parlé de la façon dont les sanctions ont touché les oligarques et du fait qu’ils se livrent une concurrence féroce pour obtenir la faveur de Poutine. Je me demande toutefois si votre département a examiné des renseignements de source ouverte sur les répercussions des sanctions imposées par l’Occident sur les citoyens russes.
Je sais qu’il y a beaucoup de nationalisme et de patriotisme dans la société russe, mais est-ce que le fait qu’elle ne puisse pas avoir accès à des appareils électroniques de haute technologie et à certains produits alimentaires... Les Russes doivent remarquer une pénurie sur les tablettes. C’est une société qui s’est habituée à avoir accès à toutes sortes de choses, surtout depuis la chute de l’Union soviétique. Avez-vous quelque chose à nous dire à ce sujet?
Je dirais que l’impact se fait sentir de manière différente. Il frappe d’abord dans les régions qui sont déjà relativement internationalisées, notamment à Moscou et à Saint-Pétersbourg. Cependant, plus loin dans le pays, il faut un certain temps pour que ce genre d’effets se répercute dans la chaîne d’approvisionnement. Les gens de la Sibérie occidentale ont remarqué que les iPhone coûtent soudainement deux fois plus cher, mais ils n’ont pas encore été frappés par la pénurie de ces appareils.
Le public s’inquiète de plus en plus du coût des produits de base...
Merci, monsieur le président. Je remercie les témoins de leur présence.
J’aimerais commencer par M Goode.
Monsieur Goode, j’ai trouvé vos remarques liminaires très intéressantes. Vous avez dit que les sanctions feraient que les oligarques se tournent les uns contre les autres et pas nécessairement contre Poutine. Pourriez-vous préciser et me dire ce que nous pourrions faire pour aider l’Ukraine si vous ne trouvez pas que nous devrions intervenir de la sorte?
Tout d’abord, je ne suis pas contre les sanctions. Le problème, c’est que les gens ne vont pas nécessairement remarquer que le monde a changé et ils se contenteront de vivre avec, comme on a constaté avec la dernière série de sanctions, de 2014 jusqu’à la crise actuelle.
Les nouvelles sanctions actuelles ont une portée beaucoup plus vaste, mais elles pourraient aller plus loin encore. Le fait de dresser les oligarques les uns contre les autres continue à affaiblir le régime, alors je pense qu’il vaut la peine de poursuivre dans cette voie. Cependant, nous devons aller beaucoup plus loin — par « nous », j’entends l’Occident — en coupant complètement l’énergie russe.
Vous avez également fait état à quelques reprises dans votre déclaration préliminaire de votre connaissance du taux d'approbation de Poutine. Je sais qu'il est peut-être difficile de répondre à cette question, mais depuis que la guerre a éclaté, savez-vous si ce taux d'approbation est à la hausse ou à la baisse dans la population russe?
Des sondages menés en Russie ont révélé que le taux d'approbation de Poutine a augmenté. Il fallait probablement s'y attendre. Cependant, lorsque l'on examine la question de très près, on constate qu'il y a eu beaucoup de débats sur ce que cela signifie.
D'après mon évaluation, ce qui est frappant, c'est que même si son taux d'approbation a augmenté, les gens ne lui font pas confiance. Nous n'avions pas constaté un tel écart entre la confiance et le taux d'approbation en 2014. Cela devrait nous amener à réfléchir à la question de savoir si ces signes d'approbation ne sont qu'un effet momentané de « ralliement autour du drapeau », auquel on est en droit de s'attendre au cours d'une campagne militaire, ou s'ils reflètent véritablement un appui. Je pencherais plutôt vers la première explication.
J'aimerais maintenant poser une brève question à M. Lajeunesse. Je m'excuse si j'ai massacré votre nom de famille.
Dans votre déclaration préliminaire, vous avez mentionné que la notion de sécurité dans l'Arctique n'existe pas et que les diverses sous-régions doivent être considérées différemment. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet?
Je pense que nous envisageons trop souvent la sécurité dans l'Arctique sous un seul angle. Lorsqu'il est question de la prolifération des bases militaires russes et de l'infrastructure de missiles en Sibérie, nous extrapolons pour dire que cela représente une menace pour l'Arctique en Amérique du Nord. Nous devons plutôt examiner les régions de l'Arctique séparément. La menace à la sécurité et à la défense de l'Arctique en Amérique du Nord est très différente, par exemple, de celle en Scandinavie.
Nous produirons de bien meilleures politiques si nous avons une idée beaucoup plus claire de ce que sont ces menaces, ainsi que des endroits où elles sont présentes et où elles ne le sont pas.
Merci, monsieur le président. Je reviens à M. Goode.
Pour ce qui est de ma dernière question sur la propagande russe qui trouve un terrain fertile au Canada par rapport au spectre de l'extrême droite ukrainienne, pouvez-vous nous donner des exemples d'endroits où cela s'est produit au cours des dernières années?
Comme je suis arrivé au Canada seulement l'an dernier, je ne suis pas sûr d'avoir ce genre de perspective. Cependant, j'ai entendu mes collègues qui sont venus ici dire que cela se manifestait surtout dans les médias sociaux, notamment sur YouTube.
Cette crainte que... Je viens de voir les résultats d'une élection où l'extrême droite russe a obtenu moins de 3 % des voix, je crois. J'ai vu des chiffres concernant l'extrême gauche au Canada, qui reprend en quelque sorte les propos russes au sujet des fascistes en Ukraine. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet pendant le temps qu'il me reste?
Merci, monsieur le président. Je remercie les témoins de leur présence. J'aimerais m'adresser à M. Goode.
Votre témoignage est très fascinant et intéressant. J'aimerais aborder un sujet qui ne l'a pas encore été, soit le harcèlement et l'intimidation.
Dans différents comités parlementaires, j'ai entendu parler de harcèlement et d'intimidation de la part d'autres pays. En ce qui concerne la Russie, y a‑t‑il du harcèlement et de l'intimidation en sol canadien de la part de personnes liées au gouvernement russe, plus particulièrement à l'endroit de gens qui sont dissidents ou qui ne sont pas d'accord avec le gouvernement?
Si tel est le cas, pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?
Cela arrive et n'est pas directement le fait d'acteurs de l'État, mais se produit généralement par personnes interposées. C'est une pratique assez courante, surtout dans les médias sociaux. Il y a des comptes d'intermédiaires — des gens qui répandent les messages de l'État russe — qui servent précisément à attaquer ceux qui, par exemple, font la promotion de messages antiguerre, ou qui font dévier ce qui pourrait autrement être des conversations sociales productives sur ce genre de questions.
Elle a un effet en ce sens qu'elle nuit à la capacité de traiter la dissidence comme telle, plutôt que de simplement donner l'impression qu'il s'agit de deux points de vue distincts sur une seule question. Qui peut vraiment départager cela? En ce sens, cela contribue à favoriser une sorte de nihilisme post-vérité plutôt que la dissidence.
Je pense que c'est un sujet difficile, et comme il semble que cela se produit le plus souvent dans les médias sociaux, alors nous devons examiner de très près la surveillance exercée par les plateformes de médias sociaux et la façon dont elles mettent en œuvre leurs politiques de modération. Trop souvent, c'est... [difficultés techniques]... ou sous-financé de telle façon que ce genre de chose se produit de façon insidieuse, sans qu'on y prête attention.
Cela m'amène à une autre question, soit la reconnaissance de la désinformation. Vous avez dit que, plutôt que d'y aller à l'aveuglette, nous devrions... De toute évidence, il y a des cas flagrants. Par exemple, l'ambassade de Russie a récemment publié un gazouillis de désinformation au sujet du massacre de Boutcha. Ce gazouillis devait être retiré, et il l'a été, à ma connaissance.
Quel rôle la société civile et le gouvernement peuvent-ils jouer pour sensibiliser les Canadiens à la nécessité de reconnaître la désinformation? Pouvez-vous nous donner des exemples de la façon dont nous pouvons faire cela plus efficacement?
Deutsche Welle a publié récemment une vidéo très intéressante, dans laquelle on analysait diverses informations fausses, puis on expliquait comment elles pouvaient être passées à la loupe, à l'aide des renseignements de source ouverte disponibles, et comment les personnes pouvaient déterminer elles-mêmes si ces informations étaient utiles ou fiables. Je pense qu'il peut être extrêmement habilitant de montrer aux gens qu'ils ont les outils pour être en mesure de...
Merci beaucoup. Cela met fin à la deuxième série de questions.
Au nom du Comité, je tiens à remercier les témoins de leurs observations très précieuses sur une situation complexe et en constante évolution pour notre pays. Nous vous remercions de votre générosité.
Chers collègues, nous allons maintenant suspendre la séance pendant cinq minutes pour nous préparer à accueillir le deuxième groupe de témoins.
Au cours de la deuxième heure, par vidéoconférence, nous accueillons Andrea Charron, directrice et professeure agrégée au Centre for Defence and Security Studies de l'Université du Manitoba, et Marcus Kolga, agrégé supérieur à l'Institut Macdonald-Laurier.
Vous disposerez d'un maximum de cinq minutes pour faire votre déclaration préliminaire, après quoi nous passerons aux questions.
Bienvenue à tous.
J'invite maintenant Mme Charron à faire une déclaration préliminaire d'un maximum de cinq minutes. Vous pouvez commencer dès que vous êtes prête.
Je pars du principe que la Russie constitue une menace constante et que nous devons penser à la position de l'Amérique du Nord en matière de sécurité, et non pas uniquement à celle du Canada. Depuis 1938, une menace pour les États-Unis constitue une menace pour le Canada et vice-versa, ces pays faisant front commun face à la Russie. De même, on ne peut pas isoler les exigences individuelles des deux États.
Je vais parler de mon domaine de recherche, qui est la défense continentale, mais les répercussions sont plus vastes. Une partie de la relation de défense continentale est binationale, comme en témoigne la responsabilité fonctionnelle du Commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord, ou NORAD, en matière d'alerte aérospatiale et maritime et de contrôle aérospatial. Les autres éléments de la défense continentale sont bilatéraux et comprennent des organismes civils, des entreprises privées et des citoyens.
En supposant le statu quo, nous nous exposons à une boucle de rétroaction dangereuse et renforcée. La Russie en est venue à penser qu'elle peut exploiter nos vulnérabilités en matière de défense continentale, ce qui l'encourage à entreprendre des actions menaçantes à l'échelle régionale, afin de décourager les interventions outre-mer. L'Amérique du Nord reconnaît sa vulnérabilité, de même que celle de ses alliés outre-mer, et refuse de réagir efficacement, étant forcée de se rabattre sur la dissuasion par sanctions, ce qui ne devrait pas avoir lieu d'être. Cela encourage la Russie à entreprendre d'autres actions, ce qui soulève des doutes chez les alliés étrangers des États-Unis quant à la capacité de ce pays de défendre l'Amérique du Nord et de les défendre eux. Essentiellement, c'est la situation à laquelle nous faisons face actuellement avec la Russie et l'Ukraine.
Depuis près d'une décennie, les commandants successifs du NORAD et du NORTHCOM des États-Unis nous ont avertis que l'Amérique du Nord fait face à de multiples actions simultanées et que des menaces provenaient de plusieurs domaines et axes. La Russie constitue une grave menace pour l'Amérique du Nord, tandis que la Chine est le concurrent à long terme des États-Unis, dont l'hégémonie est décroissante. La défense ne relève plus exclusivement des militaires canadiens et américains, mais exige des efforts de l'ensemble des gouvernements et de la population.
L'Amérique du Nord a quatre priorités. Il y a d'abord la dissuasion, surtout par interdiction. Les options de défaite cinétique et non cinétique viennent au deuxième rang, cette dernière étant la plus probable. En troisième lieu, il y a la disponibilité opérationnelle et, en quatrième lieu, la résilience.
Pour leur part, nos adversaires ont deux stratégies en ce qui concerne l'Amérique du Nord. Premièrement, nous bombarder de cyberdésinformation et d'attaques perturbatrices et, deuxièmement, utiliser une stratégie de refus d'accès pour priver les États-Unis et leurs alliés de la liberté de mouvement dans le monde et, de plus en plus, dans toutes les sphères.
Les États-Unis et les alliés de l'OTAN utilisent la dissuasion par sanctions depuis des décennies. Cela repose sur l'idée que le coût sera si élevé pour nos adversaires qu'ils n'oseront pas nous attaquer. Le fait de dépendre uniquement des sanctions peut entraîner une escalade incontrôlable et réduire considérablement nos options d'intervention.
L'accent doit être mis sur la dissuasion par interdiction, ce qui signifie qu'il faut profiter du fait que nous avons des alliés et des partenaires. Nous devons nous assurer que l'Amérique du Nord et nos alliés ont une connaissance de tous les domaines, qu'ils sont résilients à une variété d'attaques, surtout en deçà du seuil de recours à la force, et qu'ils repèrent les attaques et les contrent rapidement pour empêcher l'escalade. Autrement dit, nous devons modifier les calculs de la Russie pour éliminer les avantages que comporteraient des attaques contre l'Amérique du Nord, plutôt que de nous concentrer uniquement sur l'augmentation des coûts.
La dissuasion par interdiction signifie que l'Amérique du Nord doit s'assurer qu'il n'y a pas de failles de commandement qui peuvent être exploitées ou, inversement, qui nous limitent. Nous avons besoin de capacités particulières, en particulier de capteurs pour la transformation numérique des radars, ainsi que de moyens pour créer des images opérationnelles communes, qui peuvent être partagées de façon efficace et appropriée. Nous devons intégrer les données et l'information de tous les domaines, en travaillant avec un éventail d'alliés et de partenaires, y compris des organismes civils et des entreprises privées.
Selon mon analyse, il est important de moderniser la défense continentale en mettant l'accent sur le NORAD et la dissuasion par interdiction. Il est essentiel que les changements structurels apportés à l'attitude de dissuasion nord-américaine modifient les perceptions antagonistes, afin que l'Amérique du Nord ne soit pas prise en otage. Au‑delà de la nécessité de moderniser les capacités d'alerte précoce et de contrôle de défense du NORAD, les deux pays doivent repenser fondamentalement ce que signifie la défense continentale. Il s'agit d'un effort de l'ensemble de la société, et non pas seulement d'un effort militaire.
Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du Comité, de m'avoir invité à m'adresser à vous aujourd'hui.
J'ai travaillé en étroite collaboration avec les mouvements russes pour la démocratie et les droits de la personne pendant près de 20 ans. J'ai également dirigé la campagne de la société civile pour la loi Magnitski sur les droits de la personne. Depuis 15 ans, je surveille les menaces russes, y compris la guerre de l'information et la guerre cognitive, et j'écris à ce sujet.
Vous avez déjà beaucoup entendu parler de la désinformation russe, mais j'aimerais examiner plus particulièrement la guerre cognitive menée par la Russie contre le Canada et ses alliés, ainsi que la menace de militarisation de Vladimir Poutine et l'impérialisme en ce qui concerne les ressources dans l'Arctique. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions sur la guerre en Ukraine, les objectifs généraux de Poutine, les sanctions et les opérations d'influence.
La guerre de l'information menée par la Russie n'est pas un phénomène nouveau. Les Soviétiques sont devenus des experts en la matière pendant la guerre froide. Vladimir Poutine, qui est un produit du KGB, a rétabli la guerre cognitive il y a 20 ans, comme principal outil pour réprimer son propre peuple, miner les démocraties occidentales et venir à bout de la cohésion au sein de l'alliance de l'OTAN.
Bien que certains puissent encore douter de la menace que représente pour le Canada la guerre cognitive menée par la Russie, il existe des preuves irréfutables à cet égard. Le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement a maintes fois mis en garde contre cette menace persistante et croissante dans ses rapports annuels.
Les objectifs de Poutine en matière de guerre cognitive sont pour la plupart indépendants de toute idéologie générale, mais ils concordent avec son appui aux groupes d'extrême gauche et d'extrême droite. Comme nous l'avons entendu, la guerre de l'information menée par la Russie cible des questions socialement sensibles, afin de nous polariser. Une fois ces questions cernées, elles sont amplifiées par un processus complexe de blanchissage de l'information par la Russie, qui comprend la militarisation de l'information par les médias d'État russes et une constellation de groupes et de plateformes qui agissent de façon interposée, y compris ici même au Canada, et régurgitent cette information. Elle est ensuite amplifiée par les groupes extrémistes canadiens, tant à l'extrême gauche qu'à l'extrême droite.
L'objectif de la guerre cognitive et de l'information menée par la Russie est de miner et de subvertir notre démocratie par la polarisation. Lors de l'élection présidentielle américaine de 2016, nous avons vu l'impact que cela peut avoir. Nous l'avons également constaté pendant la pandémie de COVID‑19. En mars 2020, j'avais signalé que le gouvernement russe exploiterait la pandémie au moyen de messages contre le confinement et la vaccination. Les mouvements contre le confinement ont été imprégnés de discours contre le gouvernement. Au cours de la manifestation des camionneurs à Ottawa, nous avons vu les médias d'État russes exploiter les manifestations et les manifestants pour légitimer et amplifier les voix marginales qui militaient pour le renversement violent de notre gouvernement démocratiquement élu.
Le conflit en Ukraine a entraîné une intensification des opérations d'information de la Russie partout dans le monde. Les nombreuses déclarations abusives de Poutine pour justifier son invasion barbare comprenaient celles que l'Ukraine est une nation dirigée par des nazis et que la nation ukrainienne doit être éliminée. Ce même discours nazi a ciblé des Canadiens d'origine ukrainienne, y compris des élus — libéraux et conservateurs —, qui appuient l'Ukraine. Cela vise à délégitimer leur statut et leur voix en tant que citoyens canadiens et à promouvoir la haine à leur égard.
Nos recherches ont démontré que la désinformation russe a ciblé directement des élus canadiens, y compris Stephen Harper et Justin Trudeau, ainsi que nos intérêts géopolitiques au cours des dernières années. Cela comprend des messages — adaptés à l'idéologie de l'extrême droite et de l'extrême gauche — qui visent à exploiter et à intensifier les réactions émotionnelles négatives à des questions sensibles comme les pensionnats, l'environnement et les enjeux anti-LGBTQ.
L'OTAN et l'Arctique ont également été ciblés. Dans l'Arctique, la Russie s'est engagée dans une militarisation rapide au cours de la dernière décennie, en se dotant notamment de super-armes nucléaires sous-marines et de torpilles qui se déplacent sous la glace sans être détectées pour irradier nos côtes arctiques. Des dizaines de brise-glaces nucléaires, de terrains d'aviation et de bases spécialisées de guerre ont été établis dans l'Arctique. Le nouveau terrain d'aviation à long rayon d'action de Nagurskoye est aussi proche du Canada que Winnipeg l'est d'Ottawa.
L'an dernier, la Russie a réclamé toutes les ressources sous l'Arctique — toutes — jusqu'à la zone économique exclusive de 200 milles du Canada. En effet, la stratégie officielle de la Russie pour l'Arctique en 2035 prévoit une expansion agressive des ressources et met en garde contre un conflit potentiel dans cette région. La militarisation continue de l'Arctique a été ordonnée.
En conclusion, le Canada n'a pas pris au sérieux la menace de la Russie en 2007 en Estonie, en 2008 en Géorgie, en 2014 en Crimée et dans le Donbass, en Syrie en 2015, aux États‑Unis en 2016, et maintenant en Ukraine, au Mali et en Afrique. Ne faisons pas la même erreur dangereuse concernant l'Arctique et la démocratie canadienne.
Merci, monsieur le président. Je remercie nos témoins d'être parmi nous aujourd'hui.
Je vais commencer par M. Kolga.
Vous avez parlé du renforcement militaire de la Russie dans le Nord. Selon diverses sources que j'ai consultées, la Russie est en train de rouvrir certaines de ses bases dans l'Arctique qui ont été utilisées pendant la guerre froide. J'aimerais savoir ce que vous en pensez et que vous compariez les capacités militaires du Canada et des États‑Unis dans le Nord.
Je pose cette question dans le contexte du témoignage de M. Lajeunesse plus tôt aujourd'hui. Il a dit que la plus grande menace pour l'Amérique du Nord n'est pas que nous soyons envahis. Je pense qu'il a utilisé le terme « voie d'approche ». Je suppose qu'il s'agit de missiles qui survolent le Nord en direction du Sud. Selon lui, en cas d'invasion, l'Europe devrait être plus inquiète que l'Amérique du Nord. Vous pourriez peut-être nous dire ce que vous en pensez.
Si j'étais en Europe, surtout dans les pays baltes, je serais beaucoup plus préoccupé par une invasion russe qu'en Amérique du Nord.
Je pense que le principal objectif de la Russie — le principal objectif de Vladimir Poutine — est d'accroître la disponibilité des ressources. Ils font déjà de la recherche dans l'Arctique et revendiquent de plus en plus de ressources sous l'Arctique depuis une dizaine d'années. Leur objectif est très clair.
Cela continue de représenter un défi pour les revendications du Canada et celles d'autres pays de l'Arctique dans cette région, y compris la Norvège et le Danemark. Je pense qu'il faut s'inquiéter. Nous avons vu comment Vladimir Poutine peut faire escalader les choses. Nous l'avons déjà vu à la frontière avec l'Ukraine plus tôt cet été. Nous avons constaté à maintes reprises son appétit pour les conflits.
Je ne pense pas que nous puissions exclure quelque conflit que ce soit dans la région de l'Arctique. S'il y avait un conflit, il serait probablement plus limité à la zone européenne, mais encore une fois, nous ne pouvons pas exclure un conflit dans lequel nous serions entraînés, et je ne pense pas que le Canada soit prêt. Je pense que Mme Charron peut en parler plus directement. Je ne crois pas que nous soyons prêts à faire face à quelque conflit grave que ce soit dans l'Arctique, et c'est quelque chose que Vladimir Poutine a de toute évidence mis des années à bâtir.
J'aimerais donner l'occasion à Mme Charron de répondre à la même question. Pourriez-vous nous parler des menaces immédiates à la souveraineté canadienne dans le Nord face à l'agression russe? Que pouvons-nous faire pour les dissuader?
Je pense que l'une des choses que nous devons faire, c'est d'envisager la souveraineté d'une façon plus nuancée. L'un des principaux facteurs de dissuasion pour la Russie est le fait d'avoir des collectivités bien établies dans l'Arctique, qui se voient rester dans la région parce qu'il y a des possibilités d'emploi.
Nous ne voulons pas que l'Arctique soit considéré uniquement comme un espace de combat, mais reconnaître qu'il fait partie intégrante du Canada et que des défis se posent en matière d'infrastructures, auxquels sont confrontés non seulement les militaires, mais aussi les civils. Comme nous parlons de terres des Autochtones, nous devons inclure ces derniers dans cette conversation.
En ce qui concerne la revendication de la Russie du plateau continental sous-marin voisin de notre zone économique exclusive, je ferais attention de ne pas devenir trop alarmiste. La Russie veut que nous abandonnions les processus utilisés par les Nations unies parce qu'ils renforcent l'ordre fondé sur des règles dans lequel nous évoluons. Ils peuvent bien soumettre les données qu'ils veulent, mais il y a un processus.
Nous devons nous assurer de continuer à respecter ce processus et à le suivre, et de ne pas l'abandonner simplement parce que nous pensons que la Russie ne respectera pas ses obligations, car ce serait lui donner raison. C'est exactement ce dont j'ai parlé. La dissuasion par interdiction peut les empêcher de dicter nos actions.
J'ai une petite question complémentaire pour vous, madame Charron.
Êtes-vous d'accord pour dire que le Canada devrait investir 2 % de son PIB dans la défense militaire, comme le suggère l'OTAN? Quelle partie de cette somme devrait aller au NORAD et à la modernisation de notre système d'alerte dans le Nord?
Pour ce qui est des 2 %, nous avons techniquement jusqu'en 2024, selon ce qui a été convenu au sommet du pays de Galles, en 2014.
Plutôt que de penser aux chiffres proprement dits, nous devrions nous demander si nous avons la capacité de dépenser cet argent. Je pense que la modernisation du NORAD et l'accent mis sur la défense continentale sont essentiels, mais ne représentent pas nécessairement des sommes énormes. Par exemple, un programme appelé Pathfinder, grâce auquel on investit dans l'intelligence artificielle, permet maintenant à nos analystes de voir et d'interpréter une plus grande partie des données recueillies par le système d'alerte dans le Nord. Nous ne pouvons pas non plus écarter ce genre de solutions. Il n'est pas nécessaire de dépenser uniquement pour le matériel.
Je suis très préoccupée par la capacité des Forces armées canadiennes d'absorber tout cet argent, étant donné que nous avons perdu environ 10 000 militaires. Il nous manque des instructeurs clés et des sous-officiers supérieurs, des capitaines et des majors principaux.
J'aimerais remercier les témoins de leurs observations très judicieuses. Je vais commencer par M. Kolga.
J'ai vraiment appris à vous connaître un peu après l'article que vous avez écrit pour le Toronto Star, le 12 janvier 2021, bien avant les manifestations au Canada et bien avant le convoi. Vous écriviez que le Canada n'était pas à l'abri d'une émeute comme celle qui s'est produite au Capitole. Dans cet article, vous aviez aussi mentionné de façon très prémonitoire beaucoup de choses qui se sont malheureusement produites au cours de la dernière année. Vous y parliez beaucoup de ce que fait la désinformation lorsqu'elle se répand et, bien sûr, de ce qui se passe lorsque les Russes et d'autres l'amplifient. Pouvez-vous nous dire ce que vous avez constaté depuis que cet article a été rédigé, il y a plus d'un an? Quels sont les aspects que vous aviez abordés à l'époque et qui vous préoccupent le plus aujourd'hui?
C'est une excellente question. Au début de la pandémie en mars 2020, beaucoup d'entre nous qui surveillons la désinformation russe, les discours tactiques que les Russes utilisent et les genres de problèmes qu'ils ciblent, avons vu que la COVID‑19 fournirait un terreau fertile aux propagandistes russes, qui ne manqueraient pas d'exploiter les thèmes chers à l'extrême gauche et à l'extrême droite pour nous diviser. En fait, déjà en 2018 et 2019, nous avions observé que les propagandistes russes encourageaient le discours antivaccinal visant les vaccins contre la polio, la variole ou la varicelle et tous les vaccins. Ils faisaient la promotion de l'hésitation vaccinale à l'égard de ces vaccins particuliers. Il n'était pas surprenant de les voir reprendre le même discours quand la COVID‑19 est apparue.
Ce qu'ils ont fait, également assez tôt dans la pandémie, c'est de repérer les mouvements anti-confinement, très petits à l'époque, et les mouvements anti-vaccination, et de leur servir ces mêmes propos. Pour cela, ils ont utilisé les sites Web de leurs ambassades. En effet, nous avons vu l'ambassade de Russie au Canada encourager directement l'hésitation vaccinale par le truchement des plateformes médiatiques étatiques, comme RT et d'autres, et de cette constellation de plateformes mandataires dont j'ai déjà fait mention. L'information qui y était diffusée a ensuite été reprise par ces mouvements anti-vaccination, ce qui a eu pour résultat de créer une boucle de rétroaction dans laquelle les médias étatiques russes et ces entités mandataires se faisaient l'écho des propos tenus par des groupes plutôt marginaux afin de les légitimer.
Comme je l'ai dit dans ma déclaration liminaire, ce que nous avons vu, c'est l'ajout d'un discours antigouvernemental à ces messages anti-confinement et anti-vaccination. On pouvait se douter que le gouvernement russe allait recourir à ces moyens pour tenter, de nouveau, de polariser notre société, de la diviser, et nous en avons vraiment vu le résultat le 6 janvier au Capitole. Cet événement s'inscrivait dans quelque chose de plus général, et on pouvait voir que le Canada était sur la même pente et que les médias étatiques russes continuaient d'alimenter ce dérapage.
Encore une fois, pour ce qui est de la manifestation à Ottawa, je ne dis pas que le gouvernement russe ou les propagandistes russes l'ont préparée, mais ils exploitent des situations comme celle‑là. Nous avons vu les médias étatiques russes offrir une plateforme aux éléments marginaux, ce qui a servi à discréditer les manifestants légitimes qui s'y trouvaient et leur message. Ils ont donné une tribune aux gens qui prônaient le renversement violent de notre gouvernement. C'est ainsi que fonctionne le système de désinformation russe et c'est vraiment représentatif de la menace qu'il pose pour notre démocratie.
Je devrais également signaler que l'un des principaux groupes, qui encourageait déjà à l'été de 2020 les manifestations contre le confinement au Canada, devenu par la suite l'un des plus grands groupes du mouvement, a rapidement remplacé, dès l'invasion de l'Ukraine le 24 février, son discours anti-vaccination et anti-confinement par un discours anti-ukrainien, exactement le même que celui du gouvernement russe sur la dénazification de l'Ukraine. La corrélation entre les deux est évidente. Encore une fois, c'est un changement que nous avions prévu assez tôt et dont le gouvernement devrait tirer des leçons parce que cela nous permet de prévoir sur quel point les efforts de polarisation de la Russie et d'autres adversaires étrangers porteront, tout simplement en suivant de près les questions les plus controversées dans notre société.
En fait, vous avez répondu à deux ou trois des autres questions que j'avais. Je vous remercie. Monsieur le président, si vous le permettez, j'utiliserai le reste de mon temps de parole pour présenter une motion au Comité. Voici le texte de la motion, qui a été distribuée:
Que les témoignages et les documents recueillis par le Comité durant la 2e session de la 43e législature au sujet de l'étude de l'extrémisme violent à caractère idéologique soient pris en considération par le Comité durant la session en cours.
Me permettez-vous de la proposer, monsieur le président?
Nous en avons déjà discuté. À titre d'explication, je dirai qu'elle ne fait que nous permettre d'utiliser les témoignages entendus pendant la dernière législature dans notre présente étude. C'est assez simple, et je pense que tout le monde était d'accord pour que ces témoignages soient présentés. Les choses sont claires.
Je vais prendre un petit moment pour m'excuser auprès des interprètes. Je crois que je ne parlais pas assez près du micro tout à l'heure. Je veux en profiter pour les remercier de leur travail, qui est extrêmement important. Je vais tenter d'être une meilleure élève.
Mes questions s'adressent à vous, madame Charron. Vous avez une connaissance assez poussée de la Russie, et je m'en voudrais, en cette journée de budget, de ne pas vous questionner sur les investissements dans la sécurité et la cybersécurité.
Croyez-vous que le Canada est prêt à faire face à de potentielles cyberattaques? Devrait-on s'attendre à voir des mesures supplémentaires dans le budget d'aujourd'hui pour faire face à ces potentielles attaques ou cyberattaques?
Je ne suis pas un cyberspécialiste, mais dans la mesure où je connais les questions de la défense continentale, je pense que l'un des problèmes persistants que nous avons, c'est que nous sommes encore très cloisonnés. Tout d'abord, nous avons tendance à penser en fonction de menaces et de domaines particuliers, c'est‑à‑dire la terre, l'air et la mer, et aussi le cyberespace. Nous avons des mandats très particuliers pour les différentes entités, mais aucune organisation responsable de faire un portrait global des cyberopérations, et nous ne savons donc pas vraiment par où nous sommes touchés par les cyberattaques. Nous savons qu'elles sont fréquentes. Nous savons qu'elles visent même des infrastructures essentielles, ce qui est particulièrement inquiétant. Tous, organismes publics, entreprises privées et simples particuliers, sont victimes de ces attaques, mais comme nous n'avons pas d'organisation qui les recense, de façon à pouvoir voir toute l'ampleur des dommages et peut-être commencer à envisager des mesures pour les atténuer, nous sommes vraiment paralysés.
Je signale également que nous n'avons tout simplement pas de cybercommandement, contrairement aux États‑Unis. Nos forces armées sont beaucoup plus modestes, mais il est de plus en plus clair que nous allons devoir passer par une conversion numérique au sein des forces armées et des gouvernements. Ce sera douloureux. Il y aura des revers, mais si nous voulons en venir à ce qu'on appelle le commandement et le contrôle interarmées tous domaines, ce que les États‑Unis et nos alliés veulent réaliser, il nous faudra faire des investissements importants dans notre architecture numérique et dans nos programmes d'acquisition de connaissances et de formation.
Monsieur Kolga, j'ai trouvé extrêmement intéressant ce que vous avez dit tout à l'heure, en réponse à mon collègue M. Noormohamed, au sujet des stratégies médiatiques en tant qu'outil de politique étrangère et de défense.
Vous avez parlé de l'ingérence russe dans le fameux « convoi de la liberté », qui est resté sur la Colline du Parlement pendant quelques semaines. Vous avez aussi dit que l'ambassade russe partageait des informations sur les vaccins, notamment.
Jusqu'où ces campagnes de désinformation peuvent-elles aller, selon vous? Quelles conséquences peuvent-elles avoir sur notre population?
Je pense que nous avons vu jusqu'où ils peuvent aller. Dans le cas de l'élection présidentielle de 2016 aux États‑Unis, nous avons vu que les efforts russes de déstabilisation ont été très près de réussir. Nous avons constaté, avec l'invasion de l'Ukraine, l'efficacité de la désinformation, certainement à l'intérieur de la Russie, ainsi que la capacité de Vladimir Poutine d'isoler tout son pays de l'information extérieure et de réprimer ou de supprimer les médias indépendants en Russie.
C'est un outil très peu coûteux pour les régimes autoritaires. Souvent, comme dans le cas de l'élection présidentielle américaine, le coût de l'opération est de quelques millions de dollars. Il y a ce qu'on appelle une « pépinière d'inforobots », qu'ils appellent la « ferme de trolls de Saint-Pétersbourg ». Elle se trouve juste à l'extérieur de Saint-Pétersbourg et compte plusieurs centaines d'employés qui se livrent à ce genre d'activités. L'impact de ces activités est incroyablement étendu. Je ne m'attends pas à ce que Vladimir Poutine ou d'autres dirigeants de pays hostiles abandonnent ces efforts, du fait de leur grand impact et de leur faible coût. Nous devons donc nous attendre à ce que la situation perdure.
Dans le contexte de la guerre de l'information en Russie, nous savons que Vladimir Poutine a modifié la constitution de son propre pays l'été dernier, ce qui lui permettra éventuellement de rester au pouvoir jusqu'en 2036 et peut-être au‑delà. À moins d'un changement de régime en Russie, ce genre d'activités se poursuivra pendant un certain temps.
Il me reste peu de temps, mais je voudrais quand même que vous nous parliez de l’adversaire féroce qu’est la Russie.
Comme je le disais un peu plus tôt aujourd’hui, même si on a une très bonne défense, ces gens peuvent quand même entrer dans des systèmes informatiques complets et les paralyser. Comment un État comme le Canada peut-il se prémunir contre une telle menace?
Monsieur Kolga, je vous remercie de votre témoignage d'aujourd'hui, surtout en ce qui concerne l'étendue des capacités de la Russie et de la guerre cognitive qu'elle mène. Je sais que tous les députés, quelle que soit leur appartenance politique, sont aux premières lignes de la lutte contre la désinformation depuis deux ans. Nous avons dû passer beaucoup de temps à tenter de démentir toutes sortes de mythes qui font leur chemin jusqu'à nos bureaux.
Ce qui est problématique, c'est que la mésinformation et la désinformation se manifestent de façon physique, comme ce fut le cas le 6 janvier aux États‑Unis et, plus récemment, lors de l'occupation d'Ottawa. Le problème, c'est que la mésinformation et la désinformation risquent de se manifester de manière physique et que les agents russes cherchent vraiment à l'exploiter à leurs propres fins.
Le mandat principal du Comité porte sur la sécurité nationale et la sécurité publique. Par conséquent, si nous voulons lutter efficacement contre ce problème, nous devrons déterminer quel genre de recommandations le Comité devrait adresser au gouvernement fédéral, sachant que des mesures trop contraignantes visant les médias sociaux auront pour effet de simplement déplacer ces voix problématiques vers d'autres plateformes. Quel genre de recommandations devrions-nous faire pour que le gouvernement fédéral réagisse efficacement?
Voilà une excellente question, et je vous en remercie.
Je pense que le gouvernement fédéral doit, d'abord et avant tout, adopter une approche inclusive, englobant toutes les composantes de la société et de la démocratie. Bien sûr, le gouvernement doit participer à la discussion pour élaborer une stratégie de lutte contre ce phénomène, mais il faut aussi tendre la main aux membres de la société civile qui, comme moi, sont souvent aux premières lignes de cette lutte contre les opérations étrangères de désinformation.
Cela signifie également qu'il faut communiquer et travailler avec les géants des médias sociaux. D'après les discussions que j'ai eues avec eux et la façon dont ils ont réagi à la réglementation par le passé, je sais qu'ils n'y sont pas réceptifs. Il existe des cas exemplaires de gouvernements qui ont tendu la main aux médias sociaux, qui ont travaillé avec eux et qui continuent de le faire très efficacement pour lutter contre la désinformation étrangère.
Je pense à Taïwan. Taïwan a élaboré une stratégie dans le cadre de laquelle elle travaille en étroite collaboration avec des groupes de la société civile et avec les médias sociaux pour détecter rapidement les opérations de désinformation et les manœuvres de la guerre de l'information dont elle est la cible et qui sont, en grande partie, le fait de la Chine.
Les Taïwanais ont travaillé en particulier avec Facebook, ce qui est tout à fait remarquable, puisque Facebook ne montre pas de penchant pour la coopération, du moins pas ici en Amérique du Nord. À Taïwan, dès qu'un membre de la société civile détecte une opération de désinformation, le gouvernement et Facebook sont alertés. Facebook a accepté d'enrayer ces tentatives dès le départ en retirant les messages incriminés des flux de nouvelles de ses abonnés.
Le gouvernement lui-même a élaboré une politique qui, en cas d'opération de désinformation, exige du ministère visé qu'il produise, dans l'heure qui suit, un contre-exposé de l'information suspecte, ce qui se fait habituellement en maniant l'humour ou quelque autre moyen du genre. Cela s'est révélé très efficace pour les Taïwanais. Il nous serait donc utile de voir ce qui se fait dans d'autres pays.
De son côté, la Suède a annoncé en janvier la formation d'une unité gouvernementale de défense psychologique, qui regroupe également des acteurs de la société civile, pour protéger les Suédois contre la guerre cognitive, tout particulièrement celle menée par la Russie.
Merci, monsieur Kolga. Je suis désolé de vous interrompre. Il ne nous reste que quelques minutes. Je vous invite à faire parvenir au Comité une réponse écrite si vous voulez approfondir le sujet. Ce serait formidable.
Le problème avec notre étude, c'est que nous empiétons parfois, je crois, sur le mandat du Comité permanent de la défense nationale. Il est très important de comprendre que le mandat de notre comité porte expressément sur la sécurité nationale et à la sécurité publique. Les deux exemples les plus évidents sont la GRC et le Service canadien du renseignement de sécurité.
Relativement à la défense continentale, avez-vous des idées sur ce que le Comité devrait recommander concernant les moyens que ces organismes de sécurité nationale devraient prendre face aux mesures subversives et à l'espionnage de la Russie? Y a‑t‑il de meilleures façons de travailler avec nos partenaires américains? Avez-vous des améliorations à nous proposer?
Je pense que vous avez montré où réside le problème, c'est‑à‑dire dans notre tendance à penser qu'il y a le domaine de la défense et celui de la sécurité. Ce que nous essayons de dire, c'est qu'il faut les considérer ensemble. Nous ne pouvons plus travailler en vase clos.
Je vous suggère de vous inspirer des centres des opérations de la sûreté maritime. Pour soutenir la fonction d'alerte maritime de NORAD, les forces armées, la GRC, la Garde côtière et d'autres encore échangent des renseignements. Ils utilisent un lexique commun afin de ne pas causer de préjudice dans les causes portées devant les tribunaux, mais ils ont un portrait opérationnel commun. Tous ces organismes et les forces armées savent ce qu'ils recherchent. Ils peuvent ensuite répartir entre eux des choses comme le temps de surveillance, qui est très précieux. Il n'est pas logique que le MDN s'en tienne à chercher une seule chose, alors qu'il pourrait aussi être attentif aux problèmes de sécurité.
Chers collègues, c'est tout le temps dont nous disposons pour entendre ces témoins.
En votre nom, je tiens à signaler la perspicacité de leurs témoignages. Nous comprenons à quel point ces questions sont d'actualité et d'une réelle gravité. Vous nous avez donné des renseignements et des opinions très utiles. Je vous remercie, non seulement au nom des membres du Comité, mais aussi de tous les députés.
Chers collègues, nous poursuivrons nos travaux à huis clos.
Je vais devoir me déconnecter et me reconnecter. Je suspends donc la séance pour cinq minutes. À bientôt.