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Bonjour à tous. Je déclare la séance ouverte.
Bienvenue à la 16e réunion du Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes. Conformément à l'ordre de la Chambre du 25 novembre 2021, la réunion d'aujourd'hui se déroule en format hybride. Les membres participent en personne dans la salle, et à distance au moyen de l'application Zoom. Conformément à la directive du Bureau de régie interne du 10 mars 2022, toutes les personnes qui assistent à la réunion en personne doivent porter un masque, à l'exception des membres qui sont à leur place pendant les délibérations.
Les membres et les témoins participant virtuellement peuvent s'exprimer dans la langue officielle qui leur convient. Au bas de votre écran, vous avez le choix entre le parquet, l'anglais et le français. Le greffier du Comité informera le président de la liste des orateurs au mieux de ses capacités, et nous ferons de notre mieux pour garder un ordre d'intervention qui tient compte de tous les membres, qu'ils participent virtuellement ou en personne.
Conformément à l'article 108(2) du Règlement et aux motions adoptées par le Comité le jeudi 17 février 2022, le Comité reprend son étude sur la montée de l'extrémisme violent à caractère idéologique au Canada.
Avec nous aujourd'hui par vidéoconférence, nous avons, à titre personnel, Aurélie Campana, professeure titulaire; Mubin Shaikh, spécialiste de la lutte contre l'extrémisme; et, de l'organisme Insight Threat Intelligence, Jessica Davis, présidente et consultante principale.
Nous accordons jusqu'à cinq minutes à chacun de nos témoins pour qu'il puisse faire sa déclaration liminaire, puis nous procéderons aux séries de questions. Compte tenu des technologies disponibles en ce moment, nous allons commencer par M. Shaikh.
Monsieur, vous avez cinq minutes pour nous livrer votre déclaration liminaire. La parole est à vous. Veuillez procéder.
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Je vous remercie. Monsieur le président, distingués membres du Comité, je vous souhaite le bonjour. C'est en signe de gratitude et dans l'esprit de servir que j'ai respectueusement accepté l'invitation à me présenter devant vous aujourd'hui.
Je m'appelle Mubin Shaikh. J'ai travaillé comme agent d'infiltration pour le Service canadien du renseignement de sécurité, le SCRS, puis avec l'Équipe intégrée de la sécurité nationale de la Gendarmerie royale du Canada en tant que responsable de l'affaire des 18 de Toronto, en 2006. J'ai travaillé sur plusieurs autres enquêtes avant cela, mais elles doivent rester confidentielles. Aujourd'hui, je dirige des interventions directes auprès d'individus radicalisés de différentes tendances idéologiques, sous l'égide de l’organisme Parents for Peace, établi aux États-Unis, et je suis professeur de sécurité publique au Collège Seneca à Toronto.
Je me dois en passant de souligner une coïncidence inouïe, à savoir que des membres de Parents For Peace sont en ce moment même en train de témoigner devant le comité des affaires des anciens combattants de la Chambre des représentants des États-Unis au sujet de la radicalisation au sein de l'armée. Je crois donc que la discussion d'aujourd'hui arrive à point nommé.
Fermons la parenthèse. En participant directement à des activités secrètes et en prenant part à des poursuites publiques devant les tribunaux relativement à des infractions liées à la sécurité — entre 2006 et 2010 inclusivement —, j'ai eu le privilège incomparable de constater les menaces qui s'exercent sur la sécurité publique et la sécurité nationale du Canada. Par la suite, entre 2014 et 2018, nous avons vécu la crise provoquée par le kharidjisme de l'État islamique en Irak et en Syrie. Nous avons vu des acteurs violents se servir de médias sociaux comme multiplicateurs de force. Nous avons par conséquent pu constater que les discussions sur la lutte contre la radicalisation, l'extrémisme et le terrorisme et sur les mesures de prévention ont pris de l'ampleur au point de devenir, à juste titre, d'importants secteurs d’étude et de pratique.
Aujourd'hui, je me présente devant vous pour parler de l'extrémisme violent à caractère idéologique et de ce qui peut être fait à cet égard.
Je vous dirais que nous avons en quelque sorte bouclé la boucle au Canada en ce qui concerne une menace que certains pourraient considérer à tort comme « nouvelle », ce qui n’est certainement pas le cas. Cinq ans seulement après sa création, le SCRS s'employait déjà à infiltrer le groupe néonazi appelé Heritage Front, établi en 1989. Au moyen de tactiques, techniques et procédures qui ont fait leurs preuves, le SCRS a pu empêcher cette organisation de concrétiser la vision qu'elle avait pour elle-même, et elle s'est finalement effondrée.
Il n’est donc pas étonnant pour moi de voir qu'aujourd’hui, les organismes de sécurité s'intéressent une fois de plus à ces organisations et associations — structurées ou non — tout en gardant à l'œil les suspects habituels, qu'ils se rattachent ou non à un État. L'une des plus grandes leçons tirées de cela consiste non pas à savoir à quel point ces organisations sont soutenues et mues par des agents extérieurs, mais pire encore, à constater dans quelle proportion ces organisations voient le jour ici même au pays, alimentées par des Canadiens très actifs sur les réseaux haineux en ligne.
J'ai lu les mémoires de divers représentants d'agences de sécurité canadiennes sur la façon dont ils perçoivent la menace et sur leur réponse à cette dernière. Je suis on ne peut plus convaincu qu'ils sont à la hauteur de la tâche et, pour les aider à faire ce qui fonctionne dans ce contexte, je suis en faveur d'un renforcement intégral de leur dotation en personnel et de leur capacité opérationnelle. Je soutiens respectueusement que c'est aux ministères et organismes gouvernementaux de s'investir dans les enquêtes secrètes et les poursuites publiques, et que la société civile devrait également être mise à contribution.
En ce qui concerne cette dernière, je suis d'avis que les établissements d'enseignement, les lieux de travail, les lieux d'affaires pour ne nommer que ceux‑là doivent mettre l'énergie nécessaire pour empêcher, dans la mesure du possible, que la violence extrémiste ne fasse son chemin. Toutefois, en ce qui a trait aux idées, aucune législation gouvernementale ou désignation pénale ne suffira. C'est ici qu’il faut des efforts collectifs de la part des professionnels et des praticiens de tous horizons afin de faire obstacle à la pensée absolutiste, superficielle et suprémaciste, et pour veiller à ce que ces dogmes soient jugés indésirables, insoutenables et franchement irréalistes pour une vie et un avenir cosmopolites, tant ici au Canada que dans le monde entier.
Je remercie l'honorable président et les membres du Comité de m'avoir accordé ce temps. Je salue également les autres intervenants du groupe, et j'attends avec impatience vos questions, préoccupations et commentaires. Merci.
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Merci, monsieur le président.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie chaleureusement de votre invitation à comparaître devant ce comité. Je m'appelle Aurélie Campana. Je suis professeure de sciences politiques à l'Université Laval et je me suis intéressée, au cours des 20 dernières années, à l'extrémisme violent, d'abord en étudiant le djihadisme, en particulier en Russie et au Sahel, puis en me penchant sur l'extrême droite groupusculaire canadienne. L'enquête de terrain que j'ai menée avec deux collègues, Samuel Tanner, de l'Université de Montréal, et Stéphane Leman‑Langlois, de l'Université Laval, a débuté au moment où l'extrême droite canadienne faisait encore peu parler d'elle. Nous avons ainsi pu suivre l'évolution de cette mouvance alors que les groupes qui la composent devenaient de plus en plus visibles dans l'espace public.
Je souhaiterais vous faire part de quelques observations tirées de nos résultats scientifiques sur deux éléments imbriqués: les dimensions internationales et le rôle des médias sociaux. Avant cela, vous me permettrez de faire deux remarques liminaires.
Premièrement, il y a lieu de distinguer deux tendances au sein de ce qu'on appelle communément l'extrême droite canadienne: d'abord, des groupes et individus qui appartiennent à la droite radicale; ensuite, ceux qui composent la droite extrême.
La première se donne pour objectif de réformer en profondeur l'État et la société en revenant aux racines idéologiques de l'action politique. Marqués par une très forte hétérogénéité, les groupes et individus de la droite radicale tendent à se conformer aux règles du jeu politique, affirmant vouloir les transformer de l'intérieur. La plupart défendent la démocratie comme principe organisateur, mais refusent la démocratie libérale et les valeurs qui la sous-tendent, dont le pluralisme et l'égalitarisme.
Les partis extrémistes, quant à eux, rejettent le système démocratique et remettent clairement en cause sa légitimité et celle de l'État. Ils appellent à un renversement, parfois par la violence, des structures en place. Ces groupes marginaux investissent l'espace public quelquefois de manière décomplexée.
Je crois comprendre que vous vous intéressez principalement aux groupes et aux individus extrémistes. Ceux que l'on catégorise plutôt comme radicaux méritent toutefois une attention soutenue, car ils contribuent à banaliser un message, qu'il soit islamophobe ou antisystème, et peuvent indirectement constituer des courroies de recrutement.
Deuxièmement, la mouvance d'extrême droite représente un écosystème aux frontières changeantes. Cette mouvance est composée de groupes, d'intellectuels, de médias alternatifs de différentes envergures, mais aussi d'individus dont certains émergent comme des influenceurs. Je parle de frontières changeantes car les groupes et individus qui s'y inscrivent peuvent élargir leurs répertoires discursifs en tentant de phagocyter des mouvements marginaux, comme celui des « incels », dont les théories rejoignent certains des ressorts idéologiques qui mobilisent ici le masculinisme.
Certains enjeux, saillant à un moment donné, peuvent voir leur importance diminuer ponctuellement ou plus durablement. Ainsi, au cours des années 2010, nombreux sont les groupes et individus de la droite radicale et de la droite extrême à avoir émergé autour d'enjeux de nature identitaire. Si le caractère raciste, islamophobe et antisémite des discours dont ils sont porteurs est loin d'avoir disparu, il passe aujourd'hui au second plan, laissant la place à un discours anti-mesures sanitaires, mais surtout antiélites et antisystème.
Tant les groupes et individus de la droite radicale que ceux qui appartiennent à la droite extrême sont insérés dans des réseaux qui possèdent des ramifications internationales. Les médias sociaux rendent possible une convergence des discours, qui n'appelle pas forcément de contacts formels, mais se donne à voir par le partage de certaines références idéologiques. Aujourd'hui, si les discours de la droite radicale et de la droite extrême canadiennes sont pluriels, ils convergent autour de quatre caractéristiques centrales qui se retrouvent, dans des termes parfois très similaires, dans les discours de mouvements américains, français et britanniques. Ces quatre caractéristiques sont le nativisme, la victimisation de la « majorité blanche silencieuse », le suprémacisme blanc et le complotisme.
Une telle convergence peut s'avérer structurante. Émergent une ou des communautés de croyances transnationales, qui peuvent donner naissance à des rapprochements plus formels. Circulent ainsi des individus, des savoir-faire, des discours, des théories, mais aussi de l'argent. Les médias sociaux constituent l'espace dans lequel s'opérationnalise en grande partie la transnationalisation de cette mouvance.
Les plateformes numériques permettent, outre la circulation de théories et de thèses, la coordination, l'organisation, le recrutement et le financement. Elles facilitent donc la convergence organisationnelle et l'activisme politique. La société canadienne est loin d'être aussi polarisée que peut l'être la société américaine. Toutefois, les groupes et individus qui appartiennent à la droite radicale et à l'extrême droite canadiennes contribuent à accentuer certains clivages et entretiennent une défiance de plus en plus accentuée vis-à-vis des élites.
En ces temps d'incertitude, les mécanismes de confiance s'avèrent passablement ébranlés, et les plateformes numériques deviennent des outils de perturbation massive, habilement exploités par des groupes plus ou moins visibles, par des personnalités politiques polarisantes et par certains États.
Au cours des 20 dernières années, nous avons constaté que l'Occident ne finance plus les activités terroristes à grande échelle. Au lieu de cela, les attaques sont principalement autofinancées, et ce, pour de très petites sommes d'argent. Or, malgré qu'il s'agisse de petites sommes, l'argent reste un facteur clé de l'activité terroriste. Les efforts visant à limiter l'accès des terroristes et des extrémistes à des ressources pécuniaires restreignent leurs capacités d'intervention.
Nous en voyons la preuve dans le recours à des attaques peu complexes perpétrées par une seule personne, qu'il s'agisse des attentats d'octobre 2014 ou de l'attaque à la mosquée de Québec, ou des attaques plus récentes à la camionnette et à l'arme blanche motivées par les célibataires volontaires — les incels — qui ont eu lieu à Toronto. Tous ces attentats étaient autofinancés. Aucun d'entre eux n'impliquait quelque transfert de fonds depuis l'étranger; ils ne soulevaient probablement que peu de soupçons de la part des banques et d'autres institutions financières chargées de détecter le financement du terrorisme. Ils ont cependant tous nécessité des ressources financières, aussi modestes soient-elles.
Lorsqu'il s'agit de l'extrémisme violent à caractère idéologique, l'un des aspects du financement qui diffère des autres formes de terrorisme et d'extrémisme est la question de la propagande. Les acteurs de l'extrémisme violent à caractère idéologique, y compris ceux du Canada, produisent de la propagande qui sert à recruter des gens dans leurs mouvements. La propagande inspire également les acteurs isolés et crée un sentiment de communauté pour ceux qui commettent ensuite des attaques dans une perspective idéologique.
La propagande produite par ces acteurs comporte une importante composante financière. Les influenceurs extrémistes peuvent tirer des revenus importants de cette activité. C'est important de le souligner, car beaucoup d'entre eux, notamment ceux qui réussissent à constituer des audiences et à générer une propagande particulièrement haineuse, sont souvent exclus de la société sur le plan financier. Il n'est pas rare qu'ils perdent leur emploi lorsque leurs opinions deviennent connues du public. La production de cette propagande leur permet de vivre économiquement.
À l'heure actuelle, nous disposons de peu d'outils pour empêcher les gens de tirer profit de la haine. Le sociomuselage, qu'il provienne d'une plateforme de médias sociaux ou d'un outil financier, incite généralement le propagandiste ou l'influenceur à trouver une autre plateforme.
De nombreux fournisseurs de services financiers, y compris les entreprises de traitement de paiements et les entreprises de technologie financière, restreignent rarement l'utilisation de leurs services pour cause de contenus haineux. La plupart d'entre eux ne prennent des mesures que lorsqu'ils font face à une réaction publique prononcée, voire jamais. Dans certains cas, des entreprises canadiennes semblent fournir des services financiers à des sites vendant de la propagande et des biens pour des entités terroristes répertoriées, comme les Proud Boys.
Ce problème est aggravé par le fait que nous n'avons pas de lois pour contrer le financement des extrémistes et peu de lois pouvant être utilisées pour empêcher les individus de tirer profit de contenus haineux. L'activité d'un influenceur atteint rarement l'intensité que notre Code criminel définit comme étant du terrorisme.
Entre l'autofinancement de la plupart des attaques attribuées à l'extrémisme violent à caractère idéologique et le financement de la propagande de ce type d'extrémisme, nous avons quelques défis qui nous attendent. Nos outils de lutte contre le financement du terrorisme ont été adoptés après le 11 septembre 2001 dans le but de combattre les organisations terroristes structurées impliquées dans le financement international, et non les acteurs isolés qui s'inspirent d'influenceurs extrémistes.
Cela ne veut pas dire que ces outils sont impuissants. Le renseignement financier, par exemple, reste un outil important pour les services de répression et de sécurité. Nous avons également besoin de nouveaux outils, d'une souplesse réglementaire et d'une expertise en matière d'enquête pour lutter pleinement contre la menace de l'extrémisme violent à caractère idéologique. Pour ce faire, nous devrons travailler avec nos partenaires d'autres pays et avec le secteur privé, car tant la menace que son financement — comme nous l'avons vu récemment avec le convoi — ont une portée internationale.
Je vous remercie beaucoup. J'ai hâte de répondre à vos questions.
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Oui, je suis tout à fait d'accord avec cela. Il est certain, comme je l'ai mentionné dans mon exposé, que les médias sociaux sont devenus un multiplicateur de force pour ces groupes extrémistes.
Je me souviens qu'au milieu des années 1990, nous avions assisté au début de la guerre en Tchétchénie et aux premières véritables manifestations djihadistes wahhabites et salafistes. Des vidéos de décapitation étaient disponibles sur CD. Puis, au début des années 2000, ces vidéos ont été téléchargés sur les médias sociaux et l'Internet qui venaient d'apparaître. Ensuite, il y a eu des forums de discussion protégés par des mots de passe, puis des forums publics ouverts. Il est certain que les médias sociaux ont donné à ces choses une tournure très différente.
Très rapidement, pour répondre à la dernière question sur les points communs entre les milieux, les deux choses les plus communes sont l'idéologie et les griefs. L'idéologie sans les griefs ne trouve pas d'écho, et les griefs sans idéologie ne débouchent sur rien. Ces éléments ont tendance à être communs lorsqu'il s'agit de ces milieux.
Merci.
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Je vais citer les propos de Peter Neumann, l'ancien directeur du International Centre for the Study of Radicalisation. Il a déclaré qu'« en l'absence de griefs, l'idéologie n'interpelle personne » — l'idéologie ne fait pas appel à l'esprit; elle n'a pas de sens — « alors qu'en l'absence d'une idéologie, les griefs ne donnent pas lieu à des mesures », car, dans ce contexte, l'idéologie veut dire des idées qui permettent d'agir.
On peut considérer ces deux facteurs comme plus ou moins égaux ou, du moins, ne pas privilégier l'un par rapport à l'autre. Il y a parfois une limite à l'idéologie. Par exemple, pour ce qui est des groupes djihadistes au Moyen-Orient, si les États-Unis devaient soudainement plier bagage et partir, je ne crois pas que les djihadistes en général et surtout ceux qui pensent que l'occupation militaire américaine est un grief compte tenu de leur idéologie se mettraient soudainement à traiter tout le monde gentiment. Il y a donc une limite au rôle que jouent les griefs.
En ce qui concerne l'idéologie, je précise encore une fois qu'elle est parfois le moteur de l'extrémisme violent, mais que, dans d'autres cas, elle contribue à un extrémisme qui est suscité par d'autres facteurs psychosociaux.
Il est important pour nous d'examiner les multiples facteurs possibles et de ne pas tenter d'attribuer l'extrémisme à un facteur universel.
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Je vous remercie de votre question, monsieur.
Le principal changement [difficultés techniques], ce sont les médias sociaux qui ont vraiment amplifié les messages des auteurs de menaces et qui leur ont permis de recruter des adeptes au grand jour dans de nombreux cas. Je comprends que l'on aborde un tout autre sujet lorsqu'on parle de la question de savoir ce qu'il faut faire pour réglementer les « géants du Web » et les tenir vraiment responsables, quand il s'agit de leur permettre d'utiliser leurs plates-formes de la manière dont elles ont été utilisées. En réalité, l'espace médiatique est le plus grand changement.
En raison de la COVID, bien sûr, et de circonstances imprévues comme la pandémie, nous nous retrouvons dans une situation où nous ne savons pratiquement pas d'où viendra la menace à l'avenir. De plus, certaines personnes ont essentiellement l'embarras du choix lorsque le temps vient de sélectionner une idéologie extrémiste.
Certaines d'entre elles peuvent appartenir à l'extrême droite, mais elles peuvent aussi être contre la vaccination. En outre, tous les membres d'extrême droite ont des opinions antisémites. Puis il y a les points de vue islamophobes. Très souvent, les gens sont simplement contrariés par ce qui se passe dans le monde ou simplement frustrés, et ils choisissent une idéologie parmi tant d'autres. Bien entendu, la COVID a exacerbé ce phénomène et aggravé la situation.
Voilà quelques-uns des facteurs qui font que les choses sont différentes pour nous maintenant par rapport au passé.
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Bien sûr. Au Canada, il y a un certain nombre de groupes qui font peser un risque sur nous, et je ne parle pas des groupes qui ont été inscrits sur la liste de surveillance des terroristes, comme les Proud Boys. Les Proud Boys du Canada n'ont pas vraiment été impliqués dans des actes violents, mais il y a d'autres groupes que nous ne connaissons peut-être pas aussi bien que nous le devrions.
Il y a quelques années, VICE News, je crois, a diffusé un reportage sur une milice antimusulmane de l'Alberta. Ses membres posaient ouvertement devant la caméra avec des armes à feu. Ils déclaraient très clairement haïr les musulmans et être prêts à prendre les armes contre ce qu'ils considéraient comme une invasion de musulmans au Canada.
À l'époque, on s'est beaucoup demandé pourquoi ces personnes n'étaient pas arrêtées, et je suis pratiquement sûr que des enquêtes sont en cours à cet égard. Cependant, c'est le genre de groupes qui m'inquiète et qui constitue une réelle menace pour la sécurité publique.
Plus récemment, nous avons vu naître un groupe appelé Diagolon, qui était censé être une blague au départ. Il est composé d'anciens membres des Forces armées canadiennes, de personnes qui ont reçu une véritable instruction au combat, qui sont dotées de réelles capacités militaires et qui se sont de plus en plus radicalisées, notamment à cause de la COVID. Ce sont des gens armés. De plus, il existe un lien présumé entre ce groupe et le groupe qui a été arrêté au poste frontalier de Coutts, qui était prêt à déclencher une fusillade avec la police.
Ce sont ces types de groupes que je considère comme une menace réelle et importante pour la sécurité publique canadienne en général.
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Merci, monsieur le président.
J'ai écouté les témoins avec grand intérêt lors du premier tour de questions sur l'important enjeu de l'extrémisme violent.
Ma première question s'adresse à Mme Campana.
Vous avez glissé un mot sur le fait que vos recherches sur les messages en ligne des mouvements québécois complotistes, au début de la pandémie, ont été faites en collaboration avec le professeur Tanner. On a vu que vous aviez une grande connaissance de ce genre de mouvement.
Que pouvez-vous nous dire sur l'unité entre les différents groupes qui ont émergé ou sont réapparus depuis le début de la pandémie?
Nous espérons que la fin de la pandémie approche, ou du moins que nous sortirons de la crise sanitaire. Croyez-vous que la majorité de ces groupes sera amenée à se dissoudre ou à disparaître? Qu'est-ce qui doit arriver après, c'est-à-dire quand le nombre de cas va baisser ou quand on va sortir de la pandémie?
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Ce n'est pas facile de répondre à cette question, parce qu'il n'y a pas qu'une seule et même réponse.
Comme l'ont dit mes collègues tout à l'heure, il y a une variété de profils sociodémographiques, surtout pour ce qui est des groupes d'extrême droite.
Personnellement, j'ai aussi travaillé sur des mouvements djihadistes. Jepeux dire qu'ils sont principalement composés de jeunes hommes. Les femmes sont présentes, mais elles sont plutôt en arrière-plan; elles s'occupent de la logistique et des communications. Autrement dit, elles offrent un appui.
Pour ce qui est des groupes d'extrême droite, les profils sont un peu différents. Ils sont composés d'hommes plus âgés. Ils comprennent aussi des femmes. Ces dernières s'engagent de manière de plus en plus visible, même si elles restent très marginales.
Ce qui explique l'engagement dans ces groupes, c'est souvent l'éducation. Les parents avaient peut-être des points de vue qui vont à l'encontre du système ou des points de vue racistes. Cela va donc pousser leurs enfants à avoir ces mêmes points de vue. Au contraire, des adolescents vont peut-être tenter de se distancier des perceptions dominantes qui circulent dans la société en rejoignant des groupes marginaux ou, quelquefois, des groupes de skinheads. Petit à petit, ils vont adopter un certain nombre de croyances extrémistes qui vont les porter à verser dans la violence. Il y en a d'autres qui vont se laisser aspirer par certaines théories, enfermés dans ce qu'on appelle les chambres d'écho. C'est là que les géants du Web ont une certaine forme de responsabilité, dans le sens où les points techniques de ces médias sociaux vont permettre aux croyances de s'enraciner, de se confirmer et de devenir de plus en plus affirmées.
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Dans le cadre de notre recherche sur le terrain, nous avons réalisé une cinquantaine d'entretiens avec des personnes qui ont participé à ces groupes d'extrême droite ou qui en sont sorties, pour certaines. Nous avons remarqué que les femmes étaient présentes, mais qu'elles refusaient systématiquement de nous parler de crainte d'être reconnues.
Cependant, elles sont bel et bien présentes dans ces groupes, en soutien familial de leur conjoint, mari, frère ou père qui y militent activement. Dans certains groupes, elles jouent également un rôle d'idéologue. On ne les voit pas à l'avant-plan, mais elles sont là. Entre le début de notre recherche, en 2013, et, aujourd'hui, nous avons constaté que les femmes tendent à sortir de plus en plus dans l'espace public et ont quelquefois des propos qui paraissent plus modérés sur le fond, mais qui en fait servent à véhiculer un certain nombre de messages.
Je reviens maintenant aux quatre caractéristiques. Le suprémacisme blanc fait référence à la préférence donnée aux hommes et aux femmes de race blanche. Le nativisme serait une tendance nationale à accorder un certain nombre d'allocations sociales d'emploi.
Il y a aussi toutes sortes de théories du complot qui circulent. L'idéologie QAnon a très largement pénétré les groupes d'extrême droite depuis deux à trois ans.
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Je vous remercie de votre question, monsieur.
Je pense que le gouvernement canadien a effectué un travail relativement satisfaisant à cet égard, notamment en faisant équipe avec le Centre canadien d'engagement communautaire, par l'intermédiaire duquel de nombreux dialogues ont été entamés avec les communautés et les organisations de services sociaux. Au Canada, nous avons en fait évité l'écueil majeur de certains des autres projets de ce genre qui ont été entrepris dans d'autres pays, des projets où des approches prescriptives, dirigées par le gouvernement, ont été adoptées pour contrer l'extrémisme et régler ces griefs. Nous avons plutôt opté pour une approche plus collaborative. Le gouvernement canadien a compris quelle était la nature des organisations de services sociaux — y compris des groupes de militants — qui faisaient le travail sur le terrain en collaboration avec les communautés à risque. Ces participants, qu'il s'agisse d'organisations de services sociaux ou d'organismes préexistants ou, ce que j'appellerai des « groupes communautaires » ou des « groupes de militants », ont pu commencer à travailler ensemble et à se décharger de certains défis lorsqu'il s'agissait de très jeunes gens, comme des enfants, de jeunes adolescents — ou même des adultes — pour pouvoir régler ces griefs en traitant un cas à la fois.
En réalité, la recommandation que je ferais simplement [difficultés techniques] pour le gouvernement en général, c'est de continuer à travailler avec les organisations qui accomplissent déjà ce travail sur le terrain, et ce, depuis un certain temps. Nous n'avons pas besoin de réinventer la roue; nous devons simplement monter sur le vélo et rouler.
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C'est une excellente question, et je vous remercie de l'avoir posée.
Sur mon téléphone qui est à côté de moi, je suis les témoignages devant le comité de la Chambre des représentants qui se déroulent simultanément.
C'est une préoccupation réelle, surtout lorsqu'il s'agit de militaires qui possèdent des renseignements et capacités spécialisées. Le stress post-traumatique ou d'autres problèmes de santé qui découlent de leur service pourraient — pour le très faible nombre de gens susceptibles de devenir des acteurs violents — les rendre très efficaces dans les activités qu'ils exercent.
Vous le verrez aussi... Encore une fois, je ne veux pas dire qu'à mon avis, la menace n'est pas aussi omniprésente dans l'armée, mais, comme vous pouvez le constater, compte tenu des militaires que nous avons vues s'exprimer à ce sujet, que très peu d'entre eux travaillent dans les forces régulières; la plupart sont membres des forces de réserve. Je ne sais pas s'il s'agit d'un problème culturel, mais je tiens à signaler une fois de plus qu'il s'agit d'une menace réelle.
Quant à ce que nous pouvons faire à ce sujet, je dirais qu'il faut qu'il y ait des mécanismes de discipline interne, non seulement pour les forces armées canadiennes, mais aussi pour les services de police. J'ai lu divers articles qui ont paru dans les médias au sujet d'agents de police qui ont enregistré des vidéos dans lesquels ils ont déclaré appuyer le soi-disant convoi et qui ont été, à juste titre, réprimandés au travail, en raison de leur participation. Nous devrions renforcer la capacité des gestionnaires et des superviseurs de la police et de l'armée à mettre en œuvre un système disciplinaire dans lequel ils peuvent tenir les personnes responsables.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins de leur participation à la séance d'aujourd'hui. Nous remarquons un thème précis dans les témoignages, à savoir la montée de l'extrémisme par le biais de discours antisémites, islamophobes et contre le pouvoir — et il ne s'agit pas d'une liste détaillée.
Cependant, ce dont je n'ai pas entendu parler, ce sont deux cas qui me préoccupent également. Le premier est la montée de l'extrémisme environnemental. Un bon exemple de cet extrémisme, c'est l'attaque récente qui a eu lieu sur le site de Coastal GasLink, qui a entraîné des dommages matériels importants et qui a traumatisé les travailleurs sur ce site.
L'autre cas s'est produit dans ma propre collectivité. L'été dernier, elle a été l'une des nombreuses collectivités à subir des attaques contre des lieux de culte, notamment l'emblématique église Saint-Jean-Baptiste de Morinville, qui a été incendiée peu après la fête du Canada.
Madame Davis, je me demande si vous pourriez formuler des commentaires sur ces tendances extrémistes et sur ce que vous observez à leur sujet.
Quelque chose m'a réellement frappé dans votre témoignage et celui de M. Shaikh. Même si nous n'en sommes pas rendus là où nous devrions être, il semble que nous soyons devenus très habiles pour mettre les bâtons dans les roues des groupes organisés au Canada. Je pense que c'est pour cette raison qu'il y a plus d'attaques de loups solitaires.
Dans le cas des églises incendiées, je ne suis pas certain si c'était le fait d'un groupe organisé. Je n'ai rien vu qui tende à le démontrer.
Quand des attaques de loup solitaire surviennent, ces personnes ne sortent pas de nulle part. Ils ont grandi dans un environnement.
Pouvez-vous parler du milieu politique dont ils sont issus?
Je vous remercie.
Il y a un problème qui naît de l'émergence de ce qu'on appelle les chambres d'écho, à savoir que les plateformes numériques, de manière générale, quelle que soit leur nature, vont faciliter l'adhésion d'individus à des croyances, voire à des causes. En effet, ces plateformes ne se contentent pas de relayer un discours, elles l'ordonnent, elles l'éditent, elles le sélectionnent et elles le taillent sur mesure par le truchement des algorithmes de recommandation, qui prétendent connaître nos préférences.
Quand vous magasinez en ligne une paire de chaussures et que vous ouvrez de nouveau votre navigateur quelques heures ou quelques jours après, Google va vous présenter différentes paires de chaussures. C'est exactement la même chose pour les idéologies extrémistes. Si vous commencez à fréquenter un certain nombre de sites, sur Twitter, Facebook ou ailleurs, vous serez confrontés chaque fois à des croyances similaires qui vont contribuer à la cristallisation de ces croyances.
Ces plateformes numériques permettent également autre chose, soit la propagation de rumeurs qui sont quelquefois basées sur des théories du complot, mais pas toujours. Ces rumeurs seront particulièrement séduisantes pour des gens qui se posent des questions, quelquefois légitimes, par exemple sur les stratégies de lutte contre la COVID‑19. À force d'être confrontées à des théories du complot beaucoup plus élaborées qui donnent une explication simpliste, mais très compréhensible pour elles, ces personnes pourraient être aspirées par ces groupes ou ces individus qui propagent des idéologies extrémistes en ligne.
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C'est une question éminemment complexe.
Aujourd'hui, il y a des espaces communicationnels qui évoluent en parallèle, ce que l'on appelle, en général, les médias dominants ou les médias alternatifs. Ceux-ci sont nourris par des groupes d'extrême droite, d'extrême gauche ou djihadistes, qui s'inspirent très largement de théories du complot.
Il y a des États, également, qui viennent jouer là-dedans. On a souvent mentionné la Russie. Elle a contribué à cristalliser ces espaces communicationnels alternatifs. Comme je le disais dans mon propos liminaire, la société canadienne n'est pas aussi polarisée que la société américaine, par exemple, mais il y a des clivages [difficultés techniques] vient nourrir ces divisions et ces clivages et qui pourrait constituer, à terme, un [difficultés techniques].
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Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.
Ma question s'adressera à M. Shaikh. Je vous remercie de témoigner, monsieur.
Dans votre allocution d'ouverture, vous avez parlé du rôle de la communauté dans la prévention de l'adhésion à la violence et à l'extrémisme, faisant remarquer qu'il faudrait faire en sorte que les personnes aux idées extrémistes sentent qu'elles ne sont pas les bienvenues et que leurs idées sont inacceptables et irréalistes dans ce que vous qualifiez d'« avenir cosmopolite » que nous vivons au Canada. Nous constatons que certains jeunes, peut-être nés et élevés ici, au Canada, avec des valeurs occidentales, se radicalisent et se rendent à l'étranger pour rejoindre des groupes terroristes.
Qu'avez-vous à dire à ce sujet? Quelle est la solution à ce problème?
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Je vous remercie de cette question.
Ce que je voulais dire, c'est que nous pouvons traiter la prolifération de ces opinions dans un contexte public. Par exemple, les enseignants pourraient tenter d'empêcher un élève de se radicaliser.
Tout récemment, des enseignants ont reçu des instructions ou une formation pour les aider à détecter les étudiants qui sont peut-être en train de se radicaliser et leur expliquer comment ils peuvent intervenir. C'est le ministère de la Sécurité publique qui a financé ou soutenu cette initiative, il me semble. Il y a eu tout un discours à propos du fait que les enseignants devraient juste être des enseignants. Ce ne sont pas des espions ou des agents de police. Bien entendu, si un enseignant tombe sur des renseignements sérieux, il est de son devoir de signaler la situation, comme le ferait un médecin ou un autre professionnel.
J'ai indiqué aux enseignants que les élèves sont fortement influencés par leurs enseignants, surtout selon la période à laquelle ils sont rendus dans leur développement et selon qu'ils sont des enfants ou des adolescents. Ils peuvent déployer leur expertise à titre d'enseignants, de pasteurs ou d'intervenant, peu importe le contexte dans lequel ils côtoient ces jeunes.
Ce que je voulais dire, c'est qu'il faut faire comprendre aux gens que ces opinions suprémacistes et absolutistes sont inacceptables et irréalistes quand on vit au Canada.
Pour ce qui est des personnes qui ont grandi en Occident et sont parties à l'étranger, il faut comprendre qu'au bout du compte, nous ne pouvons pas prévenir entièrement la radicalisation, et un certain nombre de gens sombrera dans la spirale de la radicalisation.
Malheureusement, à un moment donné, on n'en est plus à l'étape de la prévention et on passe à celle de l'intervention. C'est vraiment là que les autorités devront mobiliser leurs capacités.
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C'est une excellente question, que je vous remercie d'avoir posée.
Quand je fais un exposé sur la radicalisation, il m'arrive de lancer à la blague que le problème ne touche pas que les personnes au teint basané. Pendant longtemps, le discours sur la radicalisation s'est concentré autour de la communauté musulmane, en raison du contexte qui a suivi les attentats du 11 septembre, bien entendu, et la tendance s'est accentuée à cause de la crise provoquée par Daech. Cependant, comme les chercheurs le savent fort bien, la radicalisation peut toucher n'importe qui si les conditions s'y prêtent et si les ingrédients sont là. J'aime parfois faire des blagues sur la théorie du petit gâteau de la radicalisation: avec les bons ingrédients et la température adéquate, on obtiendra des petits gâteaux. Ce qu'il faut comprendre, c'est que c'est un processus humain. N'importe quel humain, groupe, nationalité ou appartenance politique peut se radicaliser si les ingrédients sont là.
Il faut d'abord comprendre qu'il s'agit d'un processus psychologique humain que n'importe qui peut suivre. J'ajouterais qu'il faut agir de manière uniforme quand on poursuit les gens. Jessica Davis, qui témoigne avec moi, a fait remarquer qu'il faut appliquer les lois uniformément à tous. Nous disposons de lois contre le terrorisme. Pourquoi les appliquons-nous seulement aux personnes au teint basané? Certaines personnes non basanées — désolé d'être aussi simpliste que cela — commettent de graves infractions; elles devraient faire l'objet d'une enquête et être poursuivies en conséquence. Cependant — et ce sont là des questions d'ordre juridique que je ne suis manifestement pas qualifié pour parler —, il arrive qu'un incident terroriste survienne sans que des accusations de terrorisme soient portées. Par exemple, des accusations de terrorisme ont été déposées dans la foulée de l'attaque d'une famille à London, dans le cadre de laquelle l'auteur a assassiné plusieurs membres d'une même famille pendant le ramadan l'an dernier, et le ramadan commence dans quelques jours. Dans d'autres affaires, comme celle de la tuerie perpétrée par Bissonnette à la mosquée de Québec, aucune accusation de terrorisme n'a été déposée. Bien entendu, l'auteur a fait l'objet d'accusations de meurtre au premier degré, auquel cas la preuve est plus facile à faire et la peine imposée en est une d'emprisonnement à perpétuité.
Voilà qui vous montre...
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Je vous remercie, monsieur le président et distingués membres du Comité. Je vous salue et vous remercie de m'offrir l'occasion de témoigner devant vous pour traiter du financement des groupes extrémistes violents aux motivations idéologiques.
Je suis cofondateur et directeur exécutif de Global Disinformation Index, ou GDI, un organisme sans but lucratif qui veut être un catalyseur de changement dans l'industrie de la technologie afin de perturber le modèle d'affaires de la désinformation en ligne.
En 2020, mon collègue, Ben Decker, et l'équipe de GDI ont collaboré avec l'Institute for Strategic Dialogue afin de réaliser une série d'études intitulée Bankrolling Bigotry dans le but d'examiner les mécanismes de financement de certains groupes haineux en Amérique du Nord et en Europe. Bon nombre de ces groupes sont les mêmes qui sont associés aux actes d'extrémisme violent à caractère idéologique commis ces dernières années.
Je témoigne devant vous aujourd'hui pour traiter de ce que nous avons appris sur la manière dont la technologie et les entreprises offrant des services de paiement permettent aux groupes comme ceux qui prennent part à ces actes de fonctionner.
Ces groupes utilisent Internet comme principal vecteur pour disséminer leurs idéologies toxiques et solliciter des fonds. Il suffit d'effectuer une recherche sur Amazon, Etsy, Teespring ou Redbubble pour trouver des t‑shirts, des chapeaux, des tasses, des livres et d'autres marchandises pour monétiser et populariser davantage la menace de l'extrémisme violent à caractère idéologique.
L'an dernier, au moins 24 personnes mises en accusation pour leur rôle dans l'insurrection du 6 janvier aux États-Unis — dont huit membres des Proud Boys, un groupe désigné comme entité terroriste par le gouvernement du Canada — avaient utilisé le site de sociofinancement GiveSendGo pour recueillir près d'un quart de million de dollars en dons. Et ce n'est pas qu'une affaire d'argent. Comme je viens de l'indiquer, les marchandises comme les t‑shirts servent de chandails d'équipe pour recruter de nouveaux membres et alimenter davantage la haine à l'endroit de leurs cibles.
En Amérique du Nord, nous avons analysé les empreintes numériques de 73 groupes sur 60 sites Web et 225 comptes de médias sociaux, et leur utilisation de 54 mécanismes de financement en ligne, dont 47 plateformes de paiement et cinq cryptomonnaies, découvrant au bout du compte que des groupes haineux ont utilisé des services de financement en ligne à 191 occasions pour soutenir leurs activités. Il s'agissait de plateformes primaires, comme Amazon, de plateformes intermédiaires, comme Stripe ou Shopify, de sites de sociofinancement comme GoFundMe, d'entreprises de facilitation de paiement comme PayPal, de services de diffusion en continu de contenu monétisé comme YouTube ou Super Chats, et de cryptomonnaies comme le Bitcoin.
Tous ces mécanismes de paiement étaient liés à des sites Web ou à des comptes de médias sociaux sur Facebook, Instagram, YouTube, Telegram, LinkedIn, Pinterest, Gab, BitChute et d'autres plateformes.
Le nombre même d'entreprises que je viens d'énumérer est le premier indice de l'ampleur et de l'envergure du problème. Ce dernier n'est pas circonscrit à une seule entreprise; il s'agit plutôt d'un problème systémique de haine et de fanatisme qui exploite toute une industrie, et parfois même les politiques du gouvernement, pour recueillir des fonds, propager les idéologies extrémistes et commettre des actes de violence.
Nous avons procédé à une analyse semblable sur des groupes haineux en Europe, nous intéressant particulièrement à l'Allemagne avant les élections fédérales qui s'y sont déroulées, et avons obtenu les mêmes résultats.
Un certain nombre de nos constats découlent de ces travaux. Tout d'abord, plus de la moitié des plateformes énumérées sont déjà dotées de politiques qui interdisent explicitement la haine et l'extrémisme, mais ne les appliquent tout simplement pas. Aux États-Unis, nous avons découvert qu'une grande partie des groupes que nous avons étudiés bénéficiaient du statut d'organisation exemptée d'impôt approuvée. En fait, 100 % des groupes musulmans, 75 % des groupes anti-immigrants, 70 % des groupes anti-LGBTQ et le tiers des milices que nous avons identifiées, y compris les Oath Keepers, bénéficient de ce statut en vertu des dispositions 501(c)(3) ou 501(c)(4) de la loi américaine, et pouvaient ainsi accéder à un large éventail d'outils de collecte de fonds de bienfaisance, comme le service de dons de Facebook ou AmazonSmile, au point où nous avons constaté que, selon nos données, la plateforme la plus couramment utilisée est en fait l'outil Giving Basket de Charity Navigator.
Disons les choses simplement: il faut que l'industrie privée intervienne et en fasse davantage. Depuis la publication de notre premier rapport, en octobre dernier, nous avons constaté que les plateformes ont pris au moins 17 mesures contre les groupes nord-américains que nous avons énumérés. Par exemple, quatre des six mécanismes de paiement qui acheminent des fonds aux Oath Keepers ont été bloqués. Amazon les a même retirés d'AmazonSmile. Cependant, le fait que 17 mesures aient été prises alors que nous avons détecté près de 200 problèmes montre à quel point on a laissé le problème prendre de l'ampleur.
En fait, après que la plupart des plateformes ont été retirées, le facilitateur de paiement des Oath Keepers, RallyPay, a continué d'offrir des services de collecte de fonds au groupe, alors même que le chef du groupe était inculpé de conspiration séditieuse aux États-Unis.
Il faut en faire davantage. Il faut instaurer des normes pour l'ensemble de l'industrie et renforcer l'application de la loi au sein des secteurs public et privé. Les plateformes doivent prendre des engagements mesurables, respecter des régimes de transparence et faire l'objet d'un examen de tiers afin d'être obligées à rendre des comptes.
Je vous remercie de m'avoir accordé du temps aujourd'hui, distingués membres du Comité. Je répondrai avec plaisir à vos questions.
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Merci, monsieur le président.
Chers membres du Comité, c'est un plaisir d'être avec vous aujourd'hui pour réfléchir à la montée ou à l'évolution de l'extrémisme violent à caractère idéologique.
Depuis deux ans, évidemment, ces formes d'extrémisme ont été fortement influencées par la pandémie de COVID‑19 et se sont cristallisées autour des mouvements d'opposition aux mesures sanitaires ici, au Canada.
Comme d'autres témoins l'ont mentionné, ces mouvements se distinguent par leur caractère fortement décentralisé et leur ancrage dans la globalisation. Cela fait en sorte que le sociofinancement est un mode de financement un peu naturel pour ce genre de mouvements très décentralisés. Ces mouvements ne sont pas composés de très grands groupes qui peuvent mobiliser beaucoup de gens et ne sont pas hiérarchisés, comme c'était le cas au cours des décennies précédentes, lorsqu'on parlait d'extrémisme ou de contre-terrorisme.
Au-delà du financement, il y a aussi les idées qui circulent très facilement à travers le monde et qui sont reprises. On a souvent nommé l'influence américaine sur les mouvements d'extrême droite au Québec et au Canada, mais l'inverse est aussi vrai. Le « convoi de la liberté », à Ottawa, a montré que les événements au Canada avaient des répercussions partout dans le monde. Les idées circulent très vite et sont reprises.
Il n'est pas surprenant de voir une certaine augmentation ou une cristallisation de l'extrémisme à caractère idéologique pendant la pandémie, puisque les périodes de crise sont toujours propices à la radicalisation et au développement de formes d'extrémisme, et aggravent certains facteurs de vulnérabilité. Ainsi, le bassin de gens qui sont prêts à écouter des paroles ou des idéologies extrémistes s'accroît. Parmi les principaux facteurs de vulnérabilité, il y a l'isolement social, l'anxiété devant l'inconnu et devant la crise qui peuvent pousser des gens à adopter des idées toutes faites et extrêmes, ainsi que des solutions extrêmes.
Il y a aussi la polarisation des discours publics. Cela concerne évidemment les élus, mais aussi les médias et tous les acteurs publics. La politisation des enjeux entourant les mesures sanitaires a amené une grande polarisation et une grande incertitude au sein de toute la population. Lorsque les débats sont polarisés, cela tend à accélérer et à accentuer les facteurs de vulnérabilité ainsi que la radicalisation.
Le Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence a des solutions. Notre centre, qui est basé à Montréal, fait de la prévention par l'éducation, la mobilisation et l'accompagnement des individus et de leur entourage qui sont engagés dans des parcours de radicalisation. Nous préconisons une approche de prévention.
Jusqu'à présent, depuis le début de la pandémie, la grande majorité des militants anti-mesures sanitaires sont demeurés non violents. Parmi les actes de violence, on a surtout remarqué des menaces en ligne, des actes de violence qui sont graves et qui doivent être jugés comme tels. Il y a énormément de place pour de la prévention, dans la mesure où une grande anxiété et un grand sentiment d'insécurité et de marginalisation sont en jeu. C'est à cette tâche que je vous invite à réfléchir.
Je vous remercie beaucoup de votre attention et j'attends vos questions.
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Merci, monsieur le président, et merci aux témoins d'être présents aujourd'hui.
Puisque nous improvisons un peu, j'ai une liste complète de questions pour M. Geoffroy, alors si je manque un peu de temps, l'un de mes collègues pourra peut-être prendre le relais, juste pour les dernières minutes.
J'aimerais commencer avec M. Gosselin.
Monsieur Gosselin, comme vous l'avez dit, votre organisme communautaire vise à prévenir la violence radicale et les comportements haineux en mobilisant les membres et les ressources de la communauté. Pouvez-vous nous parler de certaines de vos réussites?
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Je vous remercie de votre question, monsieur Shipley.
La plupart des cas étant confidentiels, nous ne pouvons pas les rendre publics. Il est très difficile d'évaluer le succès d'un programme de prévention comme celui-là, dans la mesure où nous ne pouvons pas comparer cette situation à une situation où il n'y aurait pas de programme. Si un programme fonctionne, il faut le mettre en vigueur.
Cela dit, nous avons recueilli les témoignages de gens qui ont été militants ou sympathisants au sein de mouvements djihadistes, en l'occurrence des gens qui ont voulu partir en Syrie. Ils ont été accompagnés par le Centre, se sont réintégrés dans la société et ont voulu partager leur expérience. Nous avons publié leurs témoignages de façon anonyme dans le cadre du projet « Mon histoire ». Dans certains cas, cela a pris la forme de bandes dessinées. Il y a eu aussi la campagne « Et si j'avais tort? », qui montre comment notre accompagnement auprès d'anciens militants néonazis a incité ces derniers à cheminer, à réintégrer la société, à raconter ce qu'ils avaient vécu et à aller au-delà de la haine.
Nous travaillons vraiment au cas par cas. Cela donne lieu à de nombreux témoignages de ce genre. Par contre, nous aurions besoin d'un programme d'évaluation plus large pour avoir une idée plus précise des projets qui fonctionnent le mieux.
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Il s'agit d'une excellente question. Merci de l'avoir posée.
À Global Desinformation Index, nous passons beaucoup de temps à réfléchir à la façon dont nous définissons ce problème. Je pense que la plupart des définitions courantes de la désinformation reposent sur une fausse dichotomie entre le vrai et le faux. Certaines personnes disent que la désinformation consiste à mentir intentionnellement sur Internet, mais je dis toujours que cette définition simpliste ne passe pas ce que j'aime appeler « le test du Père Noël », c'est‑à‑dire que s'il s'agissait simplement du fait de mentir intentionnellement sur Internet, nous nous empresserions de supprimer toute mention du Père Noël, ce qui n'est manifestement pas le cas.
Nous examinons la désinformation sous l'angle de ce que nous appelons le « conflit narratif contradictoire », qui se produit chaque fois qu'une personne colporte un récit intentionnellement trompeur, de manière implicite ou explicite, en utilisant souvent un mélange d'éléments vrais et faux. Le fait de citer une personne et d'affirmer qu'il s'agit d'une citation exacte sans présenter de contexte plus complet est un exemple de situation dans laquelle on a choisi d'utiliser un élément de la vérité pour élaborer un récit potentiellement trompeur.
Chaque fois que quelqu'un colporte intentionnellement l'un de ces récits trompeurs qui, à notre avis, s'oppose à un groupe ou à une personne à risque, à une institution comme la science ou la médecine, ou à un gouvernement démocratiquement élu et qui, surtout, présente un risque de préjudice, nous estimons qu'il s'agit de désinformation.
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Merci beaucoup, monsieur le président. Et merci à tous nos témoins.
Monsieur Rogers, pendant que vous parliez, vous avez dit beaucoup de choses qui sont en fait très inquiétantes. Le problème lié au fait que certains organismes de bienfaisance clairement anti-musulman bénéficient du statut d'organisation exemptée d'impôt en vertu de la disposition 501(c)(3), etc., et au fait qu'il soit si facile pour des personnes de tirer profit de la vente d'articles inspirés par la haine.
J'ai fait une recherche rapide sur Google pendant que vous parliez. J'ai été frappé par la facilité avec laquelle il est possible d'acheter des symboles de haine, qu'il s'agisse de croix gammées ou de t‑shirts soutenant le Ku Klux Klan, etc. Quels sont les outils dont nous disposons, et quels sont ceux dont nous devrions disposer pour nous assurer que personne ne tire profit de la vente de ces symboles qui encouragent la haine et, par extension, aident à construire ce récit populaire faisant de ces symboles quelque chose de spécial plutôt que ce qu'ils sont, à savoir des symboles véritablement haineux?
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Merci. C'est une excellente question.
Je pense que tous ces phénomènes découlent de problèmes plus larges liés au modèle d'affaires de la technologie moderne, qui consiste à capter l'attention du public et à le monétiser. Quand vous examinez la vente de ces articles, tout tourne autour de différentes stratégies visant à monétiser le public et à capter son attention. Ces entreprises utilisent du contenu de plus en plus extrémiste parce qu'il a tendance à susciter un intérêt accru.
L'une des interventions les plus importantes concerne, selon moi, la responsabilité de la plateforme, et malheureusement, tous les sites sur lesquels vous trouvez ces produits appartiennent probablement à des sociétés américaines. Les entreprises américaines bénéficient d'une exonération de responsabilité relativement anhistorique et générale relativement aux articles vendus sur ces plateformes. L'examen de la responsabilité des plateformes quant au type de produits qu'elles proposent, même si elles ne les vendent pas explicitement elles-mêmes, est pour moi l'un des aspects les plus importants de cette question. Les plateformes adoptent parfois des politiques, mais lorsque celles‑ci ne sont pas appliquées ou qu'il n'y en a pas, elles sont généralement exonérées de toute responsabilité, et je pense que c'est ce qui doit absolument changer.
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C'est une excellente question. Merci.
Vous avez parlé de « carotte et de bâton », et je pense qu'il y a deux éléments qui pourraient aider le secteur à mieux aborder ce problème.
Le premier est l'amélioration des définitions. C'est un domaine dans lequel le secteur a beaucoup de difficultés. Aux États-Unis, beaucoup de ces groupes ont malheureusement le statut d'organisme de bienfaisance, ce qui revient à demander aux entreprises commerciales d'aller à l'encontre du statut officiel que leur a accordé le gouvernement. L'amélioration des définitions et leur application plus stricte sont un domaine qui, à mon avis, aiderait réellement le secteur.
L'autre élément concerne, comme je l'ai dit, la responsabilité. Les plateformes bénéficient actuellement d'une exonération de responsabilité générale et anhistorique, du moins aux États-Unis. Le fait de changer cette situation nous donnerait le « bâton » nécessaire pour mettre en œuvre une véritable responsabilité de ces plateformes vis‑à‑vis de leurs produits, de leurs algorithmes et de leur marché, ce qui n'est pas le cas actuellement.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie également les deux témoins, qui font partie du deuxième groupe de témoins que nous recevons.
Ma première question s'adressera à M. Gosselin.
J'aimerais vous entendre sur la question de la carotte et du bâton dont a parlé mon collègue. C'est intéressant, car on a parfois tendance à croire qu'il est difficile de sortir les individus de la radicalisation, alors que le travail accompli par votre centre semble démontrer qu'on peut faire certaines choses. Il s'agit plutôt de la carotte que du bâton, car votre centre travaille en éducation.
J'aimerais vous entendre aussi sur les difficultés relatives à l'évaluation. Vous avez parlé de l'importance d'avoir un programme d'évaluation beaucoup plus large.
Que voulez-vous dire exactement par là? Je reviendrai ensuite sur le bâton.
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Merci, madame Larouche.
Nous ne prétendons pas qu'il est facile d'aider les gens à cheminer hors de l'extrémisme ou à se réengager de façon sociable. Au contraire, c'est extrêmement difficile et cela doit être fait sur une base volontaire. Cependant, c'est toujours possible, car il y a toujours des moments où un individu doute de son engagement et de ses idées et se remet en question. Il doit y avoir des organismes présents pour soutenir cette réflexion et ce cheminement.
Vous parlez de la carotte. Effectivement, nous travaillons d'abord pour aider les gens. Nous savons que ce sont des gens qui décident parfois d'agir de façon ignoble, antisociale ou violente, mais ce sont aussi des gens qui se sont rendus là parce que certains de leurs besoins n'étaient pas satisfaits. C'est donc dans ce sens que nous sommes appelés à travailler.
En ce qui a trait à l'évaluation, il y a des problèmes relatifs à la confidentialité. De plus, le fait de devoir travailler dans l'urgence engendre aussi des problèmes, et il est toujours très difficile d'avoir des outils de mesure très efficace. Il s'agit d'un problème que rencontrent les organismes de prévention de la radicalisation de partout au monde. Il est très difficile de montrer hors de tout doute possible qu'un programme a conduit une personne à se désengager. On a des bons indices qui peuvent l'indiquer, mais les organismes qui font ce travail ont souvent des ressources très limitées et consacrent la majeure partie de ces ressources aux programmes eux-mêmes et en consacrent beaucoup moins à l'évaluation.
C'est dans ce sens qu'un soutien plus global est nécessaire.
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Une expertise s'est développée dans plusieurs centres au Québec. Quelques-uns de ces centres se penchent sur l'étude de la radicalisation.
J'aimerais maintenant vous entendre un peu plus sur le principe de la carotte et du bâton, parce que la question a été abordée au Comité permanent de la sécurité publique et nationale, tout comme au Comité permanent de la condition féminine.
Dans votre exposé, vous avez glissé rapidement un mot sur l'importance de légiférer dans le domaine de la haine en ligne. Évidemment, nous sommes donc un peu plus du côté « bâton » lorsqu'on envisage de pénaliser les individus qui se permettent des propos haineux. Comme je l'ai dit, cela pourrait être important de le faire. Il y a aussi toute la question des plateformes qui permettent de financer tous ces groupes extrémistes.
Sur le plan législatif, quel genre de mesure en particulier votre organisme envisage-t-il à l'échelle fédérale?
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Merci, monsieur le président.
Merci à tous nos témoins.
Monsieur Rogers, votre déclaration liminaire nous a donné beaucoup de matière à réflexion.
Pour ce qui est des plateformes qui disposent d'une politique contre la haine, mais ne l'appliquent pas, nous avons demandé à Stripe, GoFundMe et GiveSendGo de comparaître devant le Comité.
Lors de leur comparution, les représentants de GoFundMe ont indiqué dans leur déclaration liminaire que « les campagnes de sociofinancement liées notamment à la désinformation, aux discours haineux ou à la violence sont interdites par [leurs] conditions d'utilisation ». Je leur ai fait remarquer qu'il y avait beaucoup de désinformation associée au convoi qui est venu à Ottawa. Il était évident que le convoi baignait dans la désinformation dès la mi‑janvier, avant l'occupation illégale d'Ottawa, mais la collecte de fonds pour le convoi n'a cessé que le 4 février, si je ne m'abuse.
Stripe a également joué un rôle important, notamment avec GiveSendGo, qui a pris le relais de la collecte de fonds pour l'occupation illégale lorsque GoFundMe y a mis fin. La société GiveSendGo ne semblait tout simplement pas se soucier de ce pour quoi elle récoltait des fonds.
J'aimerais vous poser la question suivante: pourquoi les entreprises ne s'autorégulent-elles pas? Est‑ce parce qu'il y a une quantité astronomique d'argent à gagner? Recevez-vous une réaction positive de leur part lorsque votre organisme signale ce qui se passe sur leur plateforme?
Pouvez-vous nous éclairer un peu plus sur ce qui se passe ici?
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Oui, bien sûr, et je ne pense pas qu'il y ait une réponse unique. Les considérations financières en font certainement partie, même si l'une des leçons que j'ai apprises au cours de ces dernières années de travail est qu'elles ne sont qu'une partie du problème.
Si vous imaginez le montant que GoFundMe a tiré de la collecte de fonds du convoi lui-même, cette somme n'était probablement pas très élevée. Je dirais que le problème tient probablement plus profondément à la culture du secteur de la technologie, qui est plutôt opposé à la réglementation et favorable à la liberté d'expression, et dont la culture constitue en quelque sorte un frein à l'action.
D'après notre expérience, la réponse des différentes entreprises privées dépend réellement de l'entreprise et de sa culture. Certaines entreprises manifestent une opposition catégorique, d'autres sont des partenaires très proactifs qui souhaitent participer de manière plus active à l'application et à la mise en œuvre des politiques, et d'autres se situent entre ses deux positions. Je pense qu'une grande partie de ce que vous voyez est déterminée avant tout par la perception du public.
Si GoFundMe n'a pas agi initialement, c'est probablement parce que le public ne prêtait pas beaucoup d'attention à cette situation. Je pense qu'il s'agit certainement de la position par défaut de la plupart des plateformes. À moins qu'un événement problématique particulier se produisant sur leur plateforme ne suscite l'intérêt du public ou des journalistes, celui‑ci a tendance à être ignoré.
Je dirais également qu'en règle générale, nous avons constaté une plus grande proactivité lorsque la concurrence est plus saine. Dans les parties du marché — qu'il s'agisse de la technologie publicitaire ou d'autres volets du secteur technologique — où il y a moins de concurrence et une structure de marché plus monopolistique, l'intérêt pour la mise en œuvre d'une solution tend à diminuer. Lorsque la concurrence est plus forte et que l'intérêt pour la gestion d'une plateforme plus propre, pour ainsi dire, par rapport aux concurrents est plus important, les actions proactives sont plus nombreuses. Nous estimons que c'est également la raison pour laquelle les mesures antitrust constituent un levier important à actionner dans le cadre de la réforme des technologies liée à la désinformation, à l'extrémisme et aux discours de haine, qui s'ajoutent aux autres éléments que j'ai évoqués.
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Oui, c'est une excellente question.
Je vais être honnête: je ne suis pas avocat et je ne suis donc pas certain de pouvoir vous donner une réponse parfaite. Je ne connais pas les détails de la façon dont les lois sur la responsabilité au Canada, par exemple, s'appliqueraient aux plateformes dont le siège social est situé aux États-Unis.
Je dirais que le Canada peut certainement se joindre à l'Union européenne et au reste du monde pour mener la conversation sur la réglementation avec, dans l'Union européenne, par exemple, la loi sur les marchés numériques, la loi sur la sécurité numérique ou, au Royaume-Uni, le projet de loi sur la sécurité en ligne. Ce sont là des exemples de conversations de premier plan. Par ailleurs, le fait d'exercer une pression internationale sur les États-Unis les inciterait à suivre le mouvement et à prendre également des mesures législatives. Voilà deux choses qui pourraient assurément contribuer à résoudre ce problème.
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Merci, monsieur Zuberi.
C'est assez difficile de répondre à cela, puisque je n'ai pas accès à l'information recueillie dans le cadre de l'accompagnement des gens qui appellent. Elle est confidentielle. Nous essayons de traiter l'ensemble des formes d'extrémisme de façon équitable, pour ainsi dire, en tenant compte des réalités.
Quand notre centre a été créé, une grande partie des préoccupations du public et des gens qui appelaient étaient liés aux mouvements djihadistes. Avec la montée ou l'affirmation de l'extrême droite, c'est devenu de plus en plus présent au cours des deux dernières années. On parle beaucoup des mouvements liés aux théories du complot, qui seraient classés dans la catégorie de l'extrémisme à cause unique. On sait aussi que, par le passé, il y a eu des mouvements d'extrême gauche très importants au Canada et ailleurs dans le monde, et que, demain, il y aura d'autres mouvements. Alors, nous essayons d'avoir un cadre de prévention qui fonctionne pour l'ensemble des idéologies. La radicalisation n'a pas qu'une couleur ou une idée.
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C'est une question assez délicate, évidemment, parce qu'il y a des enjeux de santé publique. Puisqu'il s'agit d'une maladie infectieuse, le choix personnel de se faire vacciner ou pas, dans ces circonstances, a un effet important sur l'entourage et sur l'ensemble de la société.
Effectivement, dans certains débats, on a pu avoir l'impression que ceux qui refusaient de se faire vacciner, au départ surtout, ont été diabolisés et ridiculisés. Cela a contribué à la radicalisation dans certains cas. On a un peu adapté, depuis, le discours public en parlant d'hésitation vaccinale et en essayant de convaincre les gens de se faire vacciner plutôt que de les réprimer.
De façon générale, ici, au Canada, comme ailleurs, cela s'est fait un peu partout. Il y a eu des fois où la polarisation a été un peu trop poussée, cela a contribué à une radicalisation dans certains cas.
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Oui. Je pense certainement qu'elles ont un rôle important à jouer.
En fait, si vous vous demandez pourquoi nous parlons de ce sujet aujourd'hui alors que nous n'en parlions pas il y a 20 ans, ce n'est pas que les personnes radicales n'existaient pas, mais que les sociétés de médias sociaux et leurs moteurs d'amplification algorithmique n'existaient pas. Ces algorithmes peuvent déformer individuellement les réalités — entre Facebook, YouTube et TikTok — de plus de la moitié de la population mondiale à l'heure actuelle, et j'insiste sur les mots « individuellement » et « déformer ».
On parle beaucoup de la transparence des algorithmes, et je pense certainement que le fait de jeter davantage la lumière sur ces algorithmes contribuerait à faire avancer la conversation sur ce que nous devons faire à leur sujet. Je ne pense pas non plus qu'il soit particulièrement opaque de savoir ce que ces algorithmes sont censés faire, à savoir stimuler l'engagement sur ces plateformes au détriment de tout le reste. Nous n'avons pas besoin de regarder sous le capot pour savoir que c'est l'objectif.
Ces... produits, comme je l'ai dit, au détriment de tout le reste, sont l'élément clé. Ces entreprises ont gagné des sommes d'argent historiques, atteint une capitalisation boursière sans précédent grâce à ces algorithmes — leurs armes secrètes — et n'ont pas eu à prendre en considération les conséquences négatives, les préjudices causés par ces algorithmes, en raison de ces exonérations de responsabilité. C'est vraiment là où le bât blesse. La transparence facilitera certainement la conversation, mais au final, nous avons besoin de mesures concrètes.
Au nom des membres du Comité, j'aimerais remercier les témoins des déclarations fascinantes qu'ils ont faites au cours de la dernière heure.
Nous vous sommes reconnaissants d'avoir consacré de votre temps au Comité. Au nom de tous les parlementaires, merci beaucoup de votre témoignage aujourd'hui.
Chers collègues, nous allons faire une très courte pause pour passer à huis clos, où nous disposerons de près d'une heure pour terminer certains travaux très importants. Nous allons reprendre la séance dans deux minutes.
[La séance se poursuit à huis clos.]