La séance est ouverte. Bienvenue à la 17e réunion du Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes.
Je commencerai par reconnaître que je participe à cette réunion à partir d'ici, sur le territoire du Traité no 1, au coeur de la nation métisse.
La réunion d'aujourd'hui se déroule dans un format hybride conformément à l'ordre de la Chambre du 25 novembre 2021. Certains membres sont présents dans la salle et d'autres participent à la réunion par la voie de l'application Zoom. Conformément à la directive du Bureau de régie interne du 10 mars 2022, toutes les personnes qui assistent à la réunion en personne doivent porter un masque, à l'exception des députés qui sont à leur place pendant les délibérations.
Les députés et les témoins participant virtuellement peuvent s'exprimer dans la langue officielle de leur choix. Vous avez le choix, au bas de votre écran, entre le parquet, l'anglais ou le français.
Pour ce qui concerne la liste des intervenants, le greffier du Comité fera de son mieux pour informer la présidence quand des mains sont levées, et nous tâcherons de respecter l'ordre dans lequel les membres ont demandé la parole, qu'ils participent à la réunion en personne ou de manière virtuelle.
Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement de même qu'aux motions adoptées par le Comité le jeudi 3 mars 2022, le Comité entreprend son évaluation de la posture de sécurité du Canada par rapport à la Russie.
Nous accueillons aujourd'hui par vidéoconférence, à titre personnel, M. James Fergusson, directeur adjoint du Centre d'études sur la défense et la sécurité de l'Université du Manitoba, M. Robert Huebert, professeur associé au département de sciences politiques de l'Université de Calgary et Mme Veronica Kitchen, professeure agrégée au département de sciences politiques de l'Université de Waterloo.
Vous disposerez d'un maximum de cinq minutes pour faire votre déclaration préliminaire, après quoi nous passerons aux questions.
Bienvenue à vous tous.
J'invite maintenant M. Fergusson à faire une déclaration préliminaire d'un maximum de cinq minutes.
Monsieur, la parole est à vous.
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Merci, et merci de l'invitation.
J'aimerais commencer mes brefs commentaires par un souci que j'ai. Il est très important, à mon avis, que le Comité et le gouvernement ne réagissent pas avec excès, voire panique, en ce qui concerne les vulnérabilités existantes, tant dans le cybermonde que dans le monde de la défense du Canada, face aux capacités russes.
La guerre a certainement aiguisé l'attention, mais je soutiens que ces vulnérabilités existent depuis longtemps. Nous devons reconnaître, étant donné la relation antagoniste qui existe entre la Russie et le Canada, la Russie et l'Occident, qu'il ne s'agit pas d'une nouvelle guerre froide. Il y a d'autres problèmes et d'autres menaces qui doivent être pris en compte pour tenter de répondre à la partie russe de cette équation.
En ce qui concerne le cybermonde, ce qui me préoccupe le plus, c'est la question de savoir si le gouvernement, et en particulier notre relation avec les États-Unis en tant que fonction de l'intégration économique et de l'intégration des infrastructures essentielles, est structuré correctement pour faire face aux vulnérabilités qui existent. Il n'y a pas d'organisme central comme dans le monde de la défense, en l'occurrence le NORAD, pour coordonner les réponses à d'éventuelles cyberattaques russes, que ce soit pour des motifs d'espionnage ou pour tenter de saper ou de saboter des infrastructures essentielles. Je crois que c'est une question importante. Pendant un certain temps, NORAD a cherché à être, ou a cru pouvoir être responsable du monde de la cybersécurité, de la cyberdéfense en Amérique du Nord. Je persiste à penser que c'est très problématique.
Il doit y avoir une certaine restructuration, je crois, en particulier dans la relation avec les États-Unis, mais le cybermonde est un monde différent de celui de la défense, notamment parce que l'infrastructure essentielle est en grande partie entre les mains du secteur privé. Les problèmes du secteur privé, et bien sûr des entreprises, en ce qui concerne les menaces, ont une dynamique différente, les préoccupations du côté des entreprises étant différentes par rapport au gouvernement. Il ne s'agit pas seulement du gouvernement fédéral, mais aussi des gouvernements provinciaux.
En ce qui concerne la désinformation, je ne suis pas de ceux qui croient que la désinformation russe, la désinformation chinoise ou les campagnes de désinformation de quiconque ont vraiment un effet. Je pense que c'est beaucoup monté en épingle et exagéré. L'espionnage existe et c'est une préoccupation, mais il s'agit de s'assurer que les cyberréseaux gouvernementaux et militaires sont fermés et sécurisés.
Le Canada n'a aucune capacité, si ce n'est celle de refuser de son mieux l'accès à l'ensemble du spectre. Nous n'avons pas la capacité de riposter par cyberreprésailles, donc je pense que nous devons penser à ces choses en particulier.
Dans le monde physique, le monde de la défense, je voudrais faire remarquer à au Comité que depuis longtemps, la doctrine stratégique russe est celle de l'utilisation en premier des armes nucléaires. Les Russes ont développé un nouvel ensemble de capacités au-delà de leurs missiles balistiques. Il s'agit de missiles de croisière de portée de plus en plus longue, de futurs missiles de croisière à propulsion nucléaire et d'engins hypersoniques, tous dotés d'une capacité nucléaire et conventionnelle. Il est difficile pour la défense, bien sûr, de savoir ce qui va venir, s'il en vient. Nous avons des lacunes et des vulnérabilités importantes qui existent depuis plus de dix ans en ce qui concerne la capacité du NORAD, et par conséquent du Canada, à détecter ces menaces, à les suivre, à les distinguer, puis à déclencher des capacités d'interception.
Les intercepteurs sont un autre problème. Le F-35 est un pas en avant, mais il est largement nécessaire de repenser la façon dont le Canada, conjointement avec les États-Unis par l'intermédiaire du NORAD, entreprend et modernise la défense nord-américaine afin de réduire notre vulnérabilité et d'être en mesure de dissuader les menaces russes éventuelles. Cela aura une incidence sur la façon dont le Canada et les États-Unis — l'Amérique du Nord — répondent aux menaces qui viennent de l'étranger, comme nous le voyons aujourd'hui en Ukraine.
Je vais m'arrêter là. Je répondrai avec plaisir à vos questions.
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Merci beaucoup. C'est un honneur pour moi d'avoir été invité à contribuer à ce sujet très important.
Dans les cinq minutes dont je dispose, j'ai cinq points à faire valoir.
Le premier point est que la Russie est une menace existentielle pour le Canada et que cette menace s'accroît.
Le deuxième point est que nous avons soit ignoré, soit apaisé la Russie depuis les signes du genre de menace auquel nous sommes confrontés, qui se développent depuis 2008. Nous ne parlons pas d'une menace qui s'est développée en février 2022. Nous ne parlons pas d'une menace qui s'est développée en mars 2014. Il s'agit d'une menace qui nous a clairement indiqué ce qu'elle signifie pour le Canada et ce qu'elle signifie en fin de compte pour la sécurité canadienne.
Cette menace provient de Poutine et de son administration, qui considèrent que les activités et l'existence de l'OTAN menacent l'existence de son régime. L'OTAN, bien sûr, est l'alliance à laquelle le Canada participe, avec le NORAD, ce qui signifie que tout conflit qui implique l'OTAN impliquera le Canada.
Maintenant, d'où vient cette menace? Il y a deux éléments majeurs qui déterminent la menace russe pour le Canada. Premièrement, nous avons vu Poutine, dès ses premiers jours en tant que président par intérim en 1999, prendre des mesures pour reconstituer l'empire russe. Qu'est-ce que je veux dire par là? L'une des toutes premières mesures qu'il a prises en tant que président par intérim a été d'intensifier la guerre en Tchétchénie, que les Russes avaient presque perdue en 1994. Ils ont ensuite réussi à mettre un terme aux mouvements de sécession. Nous assistons à une série de manoeuvres militaires visant à étendre le contrôle russe, en commençant par la Tchétchénie et la Géorgie, puis au début de la guerre en Ukraine, en 2014. Nous pouvons constater cet objectif.
Deuxièmement, il y a la protection du régime. Là encore, nous avons eu tendance à ignorer cette menace, mais on peut voir comment le régime russe a agi contre toute opposition à l'intérieur du pays et même contre l'opposition qui se trouve physiquement à hors de la Russie.
L'élément le plus important de cette menace que le Canada a en fait ignorée est peut-être le mode de guerre de la Russie et sa volonté d'utiliser ce mode de guerre pour atteindre ses objectifs politiques, ce qui la place sur une trajectoire de collision directe avec l'OTAN.
Lorsque nous parlons de la Russie, il y a au moins trois niveaux dans ses processus de guerre multidomaines.
Le premier, que M. Fergusson a également mentionné, est l'engagement russe à recourir à la guerre nucléaire tactique. Nous avons eu tendance à prétendre, après les initiations sous le régime de Gorbatchev d'importants mouvements de contrôle des armements, que cela était chose du passé. En réalité, dans la doctrine russe, la projection de force russe et l'application de force russe, nous voyons qu'elle modernise sa capacité tactique. Nous voyons la menace que Poutine brandit aujourd'hui d'utiliser des armes nucléaires. Ceci est illustré et amplifié par l'engagement de la Russie à apprendre également comment jeter de la poudre aux yeux aux pays de l'OTAN.
Nous avons vu l'effet de démonstration lorsque les Russes ont montré comment ils pouvaient abattre l'un de leurs propres satellites avec leur capacité de missiles. En février de cette année, ils ont également montré comment ils pouvaient couper des câbles et, par conséquent, des communications. Tout cela démontre une tactique très concrète, de sorte que s'ils estiment effectivement nécessaire d'utiliser des armes nucléaires, nous serons touchés.
Ils ont également démontré une très forte volonté de s'engager dans une guerre conventionnelle avec des moyens dont je crains que nous n'ayons pas une pleine compréhension. Certaines des évaluations qui sortent à ce stade de la crise ukrainienne illustrent le fait que nous n'avons pas prêté attention à la guerre de Géorgie, à la guerre de Tchétchénie et à la guerre de Syrie.
M. Fergusson a déjà mentionné la cyberguerre. Je suis plus préoccupé par la militarisation des médias sociaux. Je crois en effet que les Russes posent un problème, à la lumière de certaines preuves apportées par nos alliés américains et britanniques.
En définitive, nous sommes confrontés à une menace de la part de la Russie. Elle se développe et atteint le niveau d'une crise existentielle.
Je vous remercie beaucoup.
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Monsieur le président et membres du Comité, je vous remercie de m'avoir aimablement invitée à vous parler aujourd'hui de l'état de préparation du Canada aux menaces posées par la Russie.
Mes remarques aujourd'hui s'appuient sur une carrière consacrée à l'étude de la sécurité canadienne dans un contexte mondial, et plus particulièrement sur le travail que j'ai effectué avec le Réseau canadien de recherche sur le terrorisme, la sécurité et la société et en tant que codirectrice de la sécurité nord-américaine au Defence and Security Foresight Group.
La menace pour le Canada est exacerbée par le désespoir évident de la Russie. Des missiles au-dessus de l'Arctique canadien ou l'utilisation d'armes de destruction massive semblent plus probables qu'il y a quelques mois, même en tenant compte du fait que la Russie est clairement préoccupée par le fait que son invasion de l'Ukraine ne s'est pas déroulée comme elle l'avait prévu. Cela peut signifier que les perspectives d'élargissement de ses cibles pour inclure le Canada ou les alliés de l'OTAN peuvent être plus faibles à court terme, mais peut-être seulement à très court terme.
Quelles sont les menaces les plus immédiates? Mes collègues ont déjà mentionné certaines des menaces militaires. Je veux me concentrer sur certaines des menaces immédiates mais plus indirectes à la sécurité publique canadienne.
La campagne de désinformation de la Russie a été entravée par les sanctions qui ont écarté les médias russes de nos ondes, mais elle est toujours présente sur les médias sociaux et dans les forums fréquentés par les adeptes d'autres genres de complots populistes. L'arme qu'est la désinformation ne disparaît pas. L'une des leçons tirées de la recherche sur les sanctions est que celles-ci perdent de leur efficacité avec le temps, de sorte que nous devons nous attendre à ce que la Russie soit une menace permanente. Le Canada est une cible en tant que membre de l'OTAN, mais aussi en tant que partisan de longue date de l'Ukraine, incarné par la vice-première ministre, .
Les campagnes de désinformation russes relient l'invasion de l'Ukraine à QAnon et à d'autres théories de complot de l'État profond qui alimentent les crimes haineux et la méfiance à l'égard du gouvernement canadien. Un exemple concret est l'affirmation récente de QAnon selon laquelle le président Poutine a approuvé l'autorité souveraine de Romana Didulo, partisane de QAnon qui se prétend « reine du Canada ». L'attrait des théories du complot a été accru par la pandémie de COVID-19, et le sera encore plus par la désinformation russe, qu'elle vise directement le Canada ou non.
Il est certain que les adeptes de ces théories du complot sont susceptibles de commettre des actes violents, mais l'action politique des partisans de l'extrémisme populiste peut aussi avoir des effets néfastes qui ne se transforment pas en menace pour la sécurité ou en crime. Nous en avons vu des exemples lors du récent convoi de camionneurs à Ottawa, où la congestion a empêché les ambulances de quitter le centre-ville et où les partisans du convoi ont inondé d'appels le système 911. Je ne dis pas, je tiens à le préciser, que le convoi de camionneurs était le produit de la désinformation russe, car je ne pense pas que nous le sachions, mais ce sont des exemples du genre d'effets qui menacent la sécurité humaine, exacerbé par la désinformation russe, et auxquels nous ne sommes pas habitués à faire face dans le contexte de la sécurité et du droit.
La bonne nouvelle est que seul un petit nombre de Canadiens sera attiré par ces idées et influencé par la désinformation russe. La mauvaise nouvelle est que leurs effets sont facilement amplifiés par les robots, et que les solutions peuvent être à long terme. La connaissance des médias peut aider dans certains cas, mais dans de nombreux cas, la désinformation sera trop sophistiquée pour que nous puissions y échapper. Il est essentiel de travailler avec des entreprises privées, comme cela a déjà été mentionné, et avec nos alliés pour améliorer nos réponses technologiques à la désinformation. La création récente du groupe consultatif sur la haine en ligne est un pas dans la bonne voie, tout comme le groupe de travail sur les menaces en matière de sécurité et de renseignement qui visent les élections, dont certains ont suggéré qu'il devrait jouer un rôle [Difficultés techniques] dans ce domaine.
Nous devons également trouver des moyens de faire baisser la température de la polarisation sociale causée en partie par l'insécurité humaine et exacerbée par la nécessité d'une action mondiale contre la Russie. L'augmentation du prix des carburants et des denrées alimentaires en est un exemple, mais le renforcement de la confiance dans les institutions par la transparence, la réforme et le changement culturel a également un rôle à jouer.
Nous ne devrions pas sous-estimer la façon dont les actions de la Russie qui ont déstabilisé le monde ont nui à la sécurité du Canada. La Russie a porté atteinte aux Nations unies, commis des crimes de guerre, généré l'arrivée massive de réfugiés et menacé nos frontières et nos alliés. Le Canada est moins en sécurité dans un monde où le droit international n'est pas respecté.
Il est facile de se laisser submerger par l'ampleur de la menace lorsque l'on contemple le tout, d'une attaque nucléaire éventuelle aux crimes haineux. La politique étrangère et la sécurité intérieure sont liées. Il est évidemment impératif de s'employer à protéger le Canada contre les menaces les plus directes — des missiles à la désinformation — et de contribuer à mettre fin à la guerre. Il est important d'accueillir les réfugiés et de veiller à ce que les services sociaux qui les soutiennent soient dotés de ressources suffisantes, mais il est tout aussi important de veiller à ce le traitement que l'on accorde aux réfugiés d'autres conflits soit perçu comme étant équitable, car ne pas le faire contribue à la méfiance envers le gouvernement.
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Merci, monsieur le président.
J'aimerais remercier nos témoins experts d'avoir partagé leur témoignage très crucial et important aujourd'hui.
Ma première question s'adresse à M. Fergusson, un compatriote manitobain.
Merci encore, monsieur, d'être ici.
J'aimerais connaître votre point de vue. Au cours des derniers mois, nous avons beaucoup parlé de la modernisation du NORAD et du système d'alerte rapide dans le Nord. Pouvez-vous expliquer pourquoi il est important que nous modernisions ces systèmes et comment nous le faisons?
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La première réponse est que nous sommes vulnérables. Le système d'alerte du Nord est désuet et, en fait, il est trop limité pour faire face à l'environnement de menace qui entoure l'Amérique du Nord.
Le gouvernement a tendance à parler de la modernisation du NORAD comme si c'était la même chose que la modernisation du système d'alerte du Nord. C'est beaucoup plus vaste que cela. Il s'agit de la modernisation de la défense de l'Amérique du Nord et de la mise en place d'un groupe de nouveaux ensembles de capteurs, terrestres, maritimes, aériens et spatiaux, ainsi que de la mise au point des capacités informatiques et du traitement des capacités analytiques afin de pouvoir intégrer une exigence en matière de défense dans tous les domaines. Le F-35 est un important pas en avant, mais ce n'est qu'une étape de la réflexion sur la nécessité d'une capacité de défense beaucoup plus compliquée, complexe et stratifiée, qui doit se déplacer plus au nord.
Ce sont là des enjeux majeurs lorsqu'il s'agit de faire face aux vulnérabilités auxquelles le Canada est confronté, de concert avec notre proche allié, les États-Unis, et de veiller à ce que notre force de dissuasion, la force de dissuasion occidentale, la force de dissuasion dirigée par les États-Unis, la force de dissuasion mondiale, ne soit pas compromise en raison d'une vulnérabilité intérieure.
Des adversaires potentiels comme la Russie peuvent prendre les populations canadiennes en otage, ce qui réduirait alors la volonté des gouvernements au Canada et ailleurs de réagir pour dissuader ces menaces à l'étranger.
Ce sont les deux éléments clés à mes yeux.
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Je pense que c'est une question importante. À l'heure actuelle, elle est plus ou moins ponctuelle, en fonction des questions précises qui se dégagent, en particulier dans l'Arctique.
Si vous demandez qui est responsable de l'Arctique sur le plan bureaucratique, la réponse est tout le monde. Si tout le monde est responsable, personne ne l'est. Le gouvernement doit repenser la façon dont il va s'organiser pour veiller à ce que les divers organismes — et cela va du ministère de la Défense à Transports Canada, en passant par la Garde côtière, la Santé, l'Industrie, les Affaires étrangères, etc. — aient tous une part du gâteau, et cela doit être examiné sérieusement.
Je comprends que le gouvernement n'aime pas faire une telle grande réorganisation, mais il faut se rappeler que nous sommes structurés pour un monde qui n'existe plus, avec l'Arctique comme fonction du changement climatique. Cette coordination et cette coopération doivent être établies rapidement.
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La réponse comporte deux volets. Nous bénéficions de l'avantage stratégique de la géographie, qui limite les menaces militaires et de défense pour l'Amérique du Nord au domaine aérospatial. Elles peuvent être maritimes, en fonction des capacités de lancement maritime, mais en gros, nous pouvons concentrer notre attention sur ce domaine.
Le deuxième grand avantage stratégique que nous avons en fonction de la géographie est que nous sommes situés à côté des États-Unis. Il s'agit d'une superpuissance mondiale qui possède les capacités nécessaires pour diriger la dissuasion mondiale à l'endroit de la Russie, mais aussi à l'endroit de toute autre menace importante pour le Canada. Nous bénéficions, bien sûr, dans notre relation avec les États-Unis, du soutien américain, de la fourniture de capacités américaines et du soutien financier américain pour la modernisation, à 60 %, des infrastructures au Canada.
Tous ces éléments jouent en notre faveur tout en nous donnant accès à l'information et à la planification américaines, afin de garantir que l'intérêt canadien est pris en compte dans la construction du NORAD en tant que commandement binational.
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Absolument. On a bien vu — ce qu'ont confirmé certains rapports ouverts — que les Américains ont dû faire face à l'ingérence dans leur élection de 2016. Un comité de la Chambre des communes britannique a examiné ce qui s'est passé avec l'ingérence russe dans le Brexit, et il y a eu des études sur l'ingérence russe dans le mouvement indépendantiste castillan en Espagne.
Ce que nous voyons, ou du moins ce qui semble se dégager — et c'est bien sûr quelque chose qui relève de la spécialité de Mme Kitchen —, c'est une concentration sur les domaines où la société peut être divisée. C'est ce à quoi les gens font référence quand ils parlent de l'armement des médias sociaux. Les Russes ont découvert... Et nous ne pouvons pas laisser les Chinois de côté, car ils sont également fortement impliqués, ou du moins c'est ce qui ressort des sources publiées. Ils essaient de diviser les sociétés en se concentrant sur les différentes voies existent. Ils espèrent ensuite que quelqu'un au sein de cette société reprendra cette cause et en deviendra le chef de file.
C'est un peu le problème que mentionnait Lénine aux premiers jours du communisme. Les « idiots utiles » essayaient en fait de diviser la société. Aujourd'hui, l'effort consiste à trouver un moyen de séparer et de neutraliser tout soutien au genre d'actions collectives dont nous avons besoin.
En ce qui concerne les autres cybermenaces, nous savons également que les Russes ont démontré une capacité croissante d'interférence dans divers systèmes électroniques et cybersystèmes d'autres États. Nous l'avons vu avec leur capacité d'influencer le système électrique ukrainien avant le début de la guerre en 2014. Nous le voyons dans d'autres endroits.
Encore une fois, il est difficile de savoir exactement à quel point nous sommes bien défendus en étant capables de renforcer cet aspect de la cyberguerre. Il ne fait aucun doute que les Russes et les Chinois accordent de plus en plus d'attention à cette question, si les rapports des Américains et des Britanniques sont une indication de cette capacité.
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Merci, monsieur le président.
D'abord, je remercie les témoins de leur présence. Leur expertise est plus que bienvenue, étant donné ce qui se passe en Ukraine. Nous avons de bonnes raisons d'être inquiets.
Madame Kitchen, je vais commencer par vous.
Vous avez parlé de menaces directes, mais aussi de menaces indirectes, notamment la désinformation, l'utilisation des médias sociaux, les campagnes d'hameçonnage et l'utilisation de rançongiciels.
Aluminerie Alouette, à Sept‑Îles, l'une des plus grandes alumineries en Amérique, a été victime d'un rançongiciel russe à la fin du mois de février. Le groupe russe a revendiqué cette attaque en disant avoir récolté jusqu'à 20 % des données de l'aluminerie. Il disait que c'était directement en lien avec les sanctions économiques de l'Occident envers la Russie. Nous ne sommes pas à l'abri de ce genre d'attaques, qui mettent en péril nos entreprises, nos concitoyens, nos infrastructures essentielles et nos institutions démocratiques.
Comment fait-on pour se protéger de cela? Pensez-vous que le Canada est prêt à faire face à ce genre de menaces?
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Je pense qu'il y a plusieurs échelons à cela. Il y a l'échelon où les particuliers doivent assumer leur propre responsabilité, en veillant à utiliser des choses comme l'authentification à deux facteurs pour protéger leurs propres systèmes, et évidemment, cela s'applique aussi à l'échelon des organisations.
D'un point de vue gouvernemental, il s'agit vraiment, comme on l'a déjà dit, d'une question de coopération, à la fois au sein du secteur privé et entre les autorités publiques. Il s'agit également de coopérer au-delà des frontières, en reconnaissant que ces types de menaces ne sont pas faciles à contenir à l'intérieur des frontières nationales, en raison de la nature transnationale des entreprises et des groupes.
Comme l'a mentionné M. Huebert, la désinformation vise à inciter les gens à agir, plutôt que d'agir directement, et c'est une des façons de voir ce passage du cybermonde au monde physique.
Il est certainement très important de veiller à ce que les logiciels qui font fonctionner les grands systèmes, comme les raffineries, soient à jour et protégés de l'Internet.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je vais faire écho à mes collègues en remerciant les témoins d'avoir contribué à éclairer l'étude de notre comité sur ce sujet très important et très intéressant.
Monsieur Fergusson, j'aimerais commencer par vous. Le mandat de notre comité consiste précisément à examiner les lois, les politiques et les programmes des ministères qui sont responsables de la sécurité publique et de la sécurité nationale. Je tiens à ce qu'il se concentre sur notre sécurité interne et nos efforts.
Pendant votre déclaration préliminaire, je prenais des notes et vous avez mentionné le fait qu'il n'y a pas d'organisme central pour répondre aux cyberattaques et qu'une certaine restructuration pourrait s'imposer. Aux États-Unis, il existe une soupe alphabétique de différentes agences de sécurité et de renseignement qui, à des degrés divers, ont la capacité de faire enquête sur les cyberattaques. Au Canada, la GRC, le SCRS et le CST disposent également de ces capacités.
J'aimerais vous inviter à développer davantage ces remarques. Parlez-vous d'une plus grande coopération américano-canadienne au sein d'une agence qui s'occuperait de la cybersécurité à l'échelle de l'Amérique du Nord?
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Je ne dis pas forcément qu'il nous faut une agence, mais il nous faut certainement une structure avec les États-Unis. N'oubliez pas que les États-Unis sont structurés différemment. Toutes ces agences dont vous parlez sont regroupées sous un seul et même toit, le département de la Sécurité intérieure. Ils ont un peu d'avance sur nous, alors que, dans notre cas, la GRC s'occupe d'activités criminelles, car beaucoup de rançongiciels sont liés à la criminalité, car les pirates informatiques cherchent à faire de l'argent. Ensuite, nous avons le CST du côté du renseignement, ainsi que le SCRS, tous deux relevant de Sécurité publique.
Le ministère de la Sécurité publique possède-t-il les pouvoirs et quels sont ses liens avec le département de la Sécurité intérieure des États-Unis? Y a-t-il des réunions régulières? Existe-t-il un comité bilatéral? On peut penser à diverses formes, par exemple, dans le monde de l'alerte maritime où il y a ce genre de choses, non seulement avec les États-Unis, mais aussi avec les pays du Groupe des cinq.
Il est important, à mon avis, d'examiner ces éléments en détail pour savoir, par exemple, si nous sommes bien structurés, notamment parce que dans le cybermonde de l'Internet, les frontières n'existent pas. L'information qui entre au Canada entre aux États-Unis. Elle circule selon des schémas que je ne connais pas ou que je ne comprends pas, vraiment. Nos infrastructures essentielles sont intégrées à celles des États-Unis, de sorte que nous avons un intérêt commun en raison de notre étroite relation d'intégration avec les États-Unis.
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Merci beaucoup pour cela.
Madame Kitchen, j'aimerais passer à vous.
Je vous remercie de vos remarques visant à informer notre comité des campagnes de désinformation. Quelques récits concernant l'agression russe qui émanent de certains éléments du Parti républicain des États-Unis et même de certaines organisations d'information, comme Fox News, ont certainement fait lever quelques sourcils. Les élections de mi-mandat aux États-Unis sont imminentes. Il pourrait y avoir un changement dans la façon dont le Congrès des États-Unis est gouverné après ces élections de mi-mandat.
Compte tenu du succès de certaines campagnes de désinformation aux États-Unis, devons-nous, en tant que pays, examiner de près les pièges potentiels de cette campagne de désinformation aux États-Unis?
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Merci, monsieur le président.
Ma question s'adresse à M. Fergusson.
Dans notre monde, bien sûr, nous sommes de plus en plus interconnectés électroniquement. Cela comprend les communications nationales et internationales. Pour aller de A à B, nos messages finissent par être acheminés un peu partout et entre les deux.
Le cryptage est la fonctionnalité de base qui assure notre sécurité. L'un de ses aspects clés est qu'à un moment donné, un cryptage asymétrique entrera en jeu. Nous savons que le cryptage asymétrique comporte une partie publique et une partie secrète et que la partie secrète peut être obtenue par la force brute, si l'adversaire a suffisamment de temps et de volonté pour le faire.
Des acteurs étatiques comme la Russie, la Chine, etc. possèdent des installations informatiques massives dotées d'un traitement parallèle massif. Je me demande ce que nous pouvons faire pour modifier notre infrastructure de communication de manière à protéger la sécurité de nos communications et notre cryptage.
C'est une vaste question et vous avez une minute et demie.
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Je peux seulement faire des commentaires en ce qui concerne la défense ainsi que le maintien de systèmes cryptés fermés, hautement cryptés et les plus perfectionnés dans le monde du renseignement et de la défense.
Encore une fois, le gouvernement ou la Défense ne vont pas nécessairement crier sur les toits qu'ils sont piratés et que leurs systèmes ont effectivement été violés. Toutefois, le processus est interactif, pas tellement pour le Canada, mais certainement pour nos autres alliés que les États-Unis, de sorte qu'il y a toujours la possibilité que nous ripostions. Ce n'est pas nouveau. C'est ce qu'on appelait autrefois la « guerre électronique et contre-électronique ». Elle a évolué. Elle est devenue plus sophistiquée et plus rapide en raison de la nature de l'élément technologique et des changements qui sont survenus.
Il n'y a pas de garantie totale, mais le plus important est de nous assurer de savoir quand nous sommes piratés. Le plus grand danger n'est pas le piratage, mais l'implantation de virus, comme celui qui a été implanté dans le système nucléaire iranien il y a des années, et...
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Nous ne savons jamais si nous sommes prêts.
À l'Université de Calgary, nous avons été piratés par un rançongiciel, même si nous avons des informaticiens et des personnes qui font... Nous n'y étions pas préparés. En fait, tout notre système informatique a été arrêté.
Une partie du problème tient au fait que tant que nous ne connaissons pas le niveau de l'intrusion… l'élément nécessaire, c'est une capacité très bien financée de contre-mesures fondées sur la guerre de l'information.
Qu'il s'agisse du CST ou de qui que ce soit à qui vous confiez cette tâche, c'est ce sale boulot qu'il faut faire au quotidien... Il faut s'assurer d'avoir les meilleurs analystes informatiques capables d'examiner et de réévaluer constamment. C'est ennuyeux. Le travail ne peut pas être partagé, alors des gens comme moi, comme Mme Kitchen et M. Fergusson ne sauront pas à quel point il est bon ou faible, mais c'est quelque chose que le gouvernement doit maîtriser parfaitement.
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Merci, monsieur le président.
Merci à nos témoins de leur présence.
J'aimerais adresser ma première question à MM. Fergusson et Huebert.
J'essayais frénétiquement de prendre des notes pendant que vous parliez tous les deux. Je vous ai trouvé très intéressants et instructifs. Nous n'avons pas le temps de tenir ici un long débat public. J'aimerais obtenir vos réponses à ces deux questions, si vous voulez bien.
Monsieur Fergusson, vous avez déclaré que la désinformation est exagérée et ne constitue pas une menace réelle. C'est ce qui se rapproche le plus d'une citation que j'ai pu griffonner à ce moment.
Monsieur Huebert, j'ai retenu de certaines de vos citations que vous êtes très préoccupé par les médias sociaux russes et leur militarisation.
Je sens qu'il y a là une certaine divergence d'opinions. Je pourrais peut-être obtenir des précisions, d'abord de M. Fergusson, sur la menace qu'il perçoit, puis de M. Huebert, si vous voulez bien.
Merci, monsieur le président.
Au nom des membres du Comité et, en fait, de tous les parlementaires, j'aimerais remercier les témoins. Collectivement, vous possédez littéralement des dizaines d'années d'expérience et une compréhension très profonde des complexités de ces questions. Nous vous sommes très reconnaissants de nous avoir transmis vos connaissances et vos réflexions ce matin.
Chers collègues, nous allons faire une courte pause de cinq minutes pour accueillir un nouveau groupe de témoins, puis nous reprendrons la réunion.
À ceux qui nous quittent maintenant, merci beaucoup d'avoir participé à cette réunion.
Mesdames et messieurs, nous nous reverrons dans environ cinq minutes.
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Merci, monsieur le président.
La désinformation russe au Canada est un problème récurrent. Le gouvernement russe a un intérêt constant à s'ingérer dans la politique canadienne en utilisant une gamme d'opérations d'information, de propagande et de désinformation.
À l'aide d'ensembles de données accessibles au public et publiées il y a quelques années par Facebook et Twitter, j'ai constaté que les trolls russes étaient les plus investis dans le ciblage du Canada, bien plus que les trolls iraniens et les autres trolls d'État de la Chine et de l'Arabie saoudite. Ces opérations d'information ont été menées à l'aide d'utilisateurs de médias sociaux soigneusement dissimulés, au moyen de faux sites Web ainsi que de chaînes d'information comme RT, Russia Today et Sputnik.
Par exemple, l'Internet Research Agency, IRA, a créé de fausses pages Facebook et acheté des publicités ciblant souvent les Canadiens en 2016 et même avant. De faux sites Web comme peacedata.net qui semblaient légitimes ont aussi servi à diffuser des messages favorables à la Russie. J'ai également découvert en 2017 que des trolls russes ont même fait la promotion d'un rassemblement à Ottawa contre le gouvernement libéral.
Dans mes recherches, l'analyse du contenu de messages sur les médias sociaux a clairement montré que la position idéologique du gouvernement russe s'harmonisait bien avec des groupes et des individus d'extrême droite au Canada.
À mon avis, cette stratégie d'opération d'information vise principalement à semer la division, à créer des tensions et à confondre les gens sur le vrai ou le faux. Par exemple, les principales cibles des trolls russes étaient les libéraux, notamment en raison de leurs politiques d'immigration, en s'attaquant principalement à et . La deuxième cible est liée aux musulmans canadiens, l'accent étant mis sur les députés issus de minorités visibles, suivis d'autres cibles dans des dossiers comme les réfugiés, la diversité et le multiculturalisme.
Aujourd'hui et en raison de la pression croissante exercée sur les entreprises de médias sociaux conventionnelles, les activités publiques des trolls russes ont été relativement réduites, car il y a un certain examen et une prise de conscience générale. Cela vaut pour la façon dont les organes d'information de l'État russe comme RT ont été signalés comme des promoteurs de la désinformation et parfois interdits d'activité. Cependant, je pense personnellement que la décision du CRTC, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, d'interdire RT ne reste que symbolique et inefficace, car il est possible de regarder RT de plusieurs autres façons au Canada et ailleurs.
Nous pouvons voir aujourd'hui une stratégie d'information différente qui utilise les missions diplomatiques du gouvernement russe comme principal vecteur de diffusion de la propagande. Par exemple, l'ambassade de Russie à Ottawa gère son propre compte Twitter ainsi que des canaux publics récents sur Telegram et VK. L'ambassade s'est employée à diffuser de la désinformation et à promouvoir le point de vue russe sur les événements qui se déroulent en Ukraine. Au lieu de s'appuyer fortement sur RT ou Sputnik, l'ambassade republie principalement des gazouillis du ministère des Affaires étrangères de la Russie et d'autres comptes et missions diplomatiques russes dans le monde entier ainsi que d'alliés étrangers de la Russie, comme la Chine.
De plus, l'ambassade publie fréquemment des déclarations attaquant les responsables canadiens ainsi que les médias nationaux pour ce qu'elle considère comme des attitudes partiales à l'égard de la guerre en Ukraine. Tout reportage factuel sur la guerre est considéré comme un exemple de « fausses nouvelles » et le ministère des Affaires étrangères de la Russie instrumentalise l'expression elle-même pour servir les intérêts du régime de Poutine.
L'une des caractéristiques les plus troublantes de cette campagne de désinformation menée par le gouvernement russe est liée à la militarisation des pratiques de vérification des faits. Dans un récent gazouillis, l'ambassade à Ottawa a annoncé le lancement d'un nouveau site Web appelé WarOnFakes.com, ou « la guerre contre les infox », qui tente de donner de la crédibilité à la propagande officielle russe. Le site Web fournit prétendument des services de vérification des faits concernant la guerre en Ukraine et est proposé en cinq langues: français, anglais, espagnol, arabe et chinois, ce qui montre bien que les principaux groupes ciblés sont les publics non russophones.
Enfin, l'ambassade tente de créer avec le public canadien un lien direct que le CRTC ne peut bloquer. Par exemple, l'ambassade envoie souvent des messages directs à des Canadiens par l'entremise de son canal Telegram et de son compte Twitter. En fait, plus de 3 000 utilisateurs de Twitter qui ont republié des messages récents de l'ambassade se sont révélés être des utilisateurs canadiens ont contribué à leur propagation.
Bien que l'attention officielle et publique se porte sur l'interdiction des chaînes d'information RT et Sputnik, le fait est que les ambassades russes créent leur propre écosystème d'information au moyen de faux sites de vérification des faits comme WarOnFakes.
La désinformation officielle russe a évolué pour s'appuyer fortement sur plusieurs sources, y compris les médias sociaux de ces missions diplomatiques...
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Merci beaucoup, monsieur le président. C'est un honneur de pouvoir m'adresser au Comité.
J'aimerais concentrer mes remarques sur deux groupes distincts de réseaux mondiaux et transnationaux que la guerre a mis en évidence et qui, selon moi, trouvent des échos dans les sociétés occidentales, y compris le Canada. Ils posent également des défis stratégiques importants.
Le premier dont vous avez certainement entendu parler et sur lequel vous avez délibéré est le groupe des oligarques. Nous avons vu les oligarques russes être visés par des sanctions de la part du Royaume-Uni, du Canada, de l'Union européenne et des États-Unis. Ici, nous avons reconnu d'une certaine manière que nous avons perdu un pari que nous avions fait il y a longtemps, à savoir l'idée que si les oligarques avaient accès aux marchés boursiers, aux conseils d'administration et aux cercles philanthropiques occidentaux, leur comportement serait modéré et ils pourraient, d'une manière ou d'une autre, inciter le Kremlin lui-même à la modération.
Nous sommes confrontés à deux défis avec les oligarques. L'un consiste à nous attaquer à leurs avoirs et à les geler et l'autre concerne leur réputation. Dans ces deux domaines, nous devons également composer avec des professionnels des services qui travaillent ici en Occident, au Royaume-Uni, aux États-Unis et au Canada et qui facilitent ces deux processus. Ils prennent leur argent, le placent dans des biens immobiliers de luxe, achètent des sociétés-écrans et cachent l'argent dans des réseaux complexes de comptes bancaires. Il y a aussi les agences de relations publiques, les sociétés de gestion de la réputation et les lobbyistes qui tentent de les faire passer non pas pour des personnes politiquement exposées ayant des liens avec le Kremlin, mais pour des philanthropes mondiaux. C'est un défi pour toutes les sociétés occidentales.
Comme le deuxième groupe est peut-être moins présent sur votre radar, je vais m'y attarder un peu plus. Il s'agit de cette communauté émergente de nouveaux exilés russes que la guerre a créés. Certes, nous avons vu un flux constant d'opposants et de journalistes qui vivaient en Russie sous le règne de plus en plus autoritaire de Vladimir Poutine, mais les bouleversements du mois dernier sont vraiment frappants. Je me concentrerai ici sur trois groupes distincts.
Premièrement, des centaines de journalistes fuient la Russie. Ils créent leurs propres chaînes et réseaux. Nous avons déjà un certain nombre de médias indépendants russes distincts qui opèrent depuis l'étranger, depuis les pays baltes ou par l'entremise de chaînes Telegram. Je pense qu'il faut les soutenir et les encourager ouvertement, car ils sont la seule source d'information indépendante en langue russe.
Le deuxième groupe est constitué de dizaines de milliers de travailleurs de l'informatique, dont 50 à 70 ce mois-ci et peut-être 70 autres le mois prochain, ont fui le pays. On les trouve dans des pays comme la Géorgie, l'Arménie ou l'Ouzbékistan. Comme le gouvernement russe a sanctionné les grandes entreprises technologiques et déclaré Facebook indésirable, nous assistons également à un exode de travailleurs qualifiés hors du pays.
Le troisième groupe est constitué de centaines d'universitaires et d'analystes de groupes de réflexion qui ont quitté le pays eux aussi, car ils ne veulent pas subir les conséquences de 15 ans de prison pour avoir dénoncé cette guerre. Ils sont également exilés dans des endroits comme l'Europe de l'Est et Istanbul et ils cherchent eux aussi de nouveaux types d'affiliations et de ports d'attache universitaires.
Je vous suggère de réfléchir à des stratégies pour améliorer et renforcer ces nouveaux réseaux d'exilés qui tentent de promouvoir une pensée indépendante et d'influer, dans la mesure où ils peuvent le faire depuis l'extérieur, sur la propagande de désinformation à l'intérieur du pays. Je vous suggère aussi de réfléchir aux types de politiques qui peuvent être adoptées pour faire de nous un multiplicateur de forces au moment où le Kremlin tente de se dissocier de l'Ouest, pour faire en sorte que ces voix indépendantes et critiques puissent être encouragées depuis l'extérieur du pays.
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Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs, de m'avoir invité à prendre la parole aujourd'hui.
Les événements horribles que nous voyons se dérouler en Ukraine montrent que la Russie est prête à utiliser son armée modernisée sans provocation, d'une manière fondamentalement contraire aux intérêts et aux valeurs du Canada et que nous avons du mal à comprendre au Canada.
En réaction, nous avons agi avec prudence et ingéniosité pour aider l'Ukraine à se défendre et à dissuader toute autre agression russe en Europe en renforçant les défenses de l'Europe de l'Est. Nous devrions agir avec la même urgence et la même ingéniosité pour garantir que le Canada et l'Amérique du Nord soient mieux défendus contre une éventuelle agression russe plus près de chez eux. La Russie défie les intérêts canadiens et occidentaux en de nombreux endroits du monde et avec de nombreux moyens différents, y compris les cyberattaques et la désinformation.
Dans mes propos aujourd'hui, je me concentrerai sur l'effet de la modernisation militaire de la Russie au cours des deux dernières décennies et sur la menace accrue qu'elle représente pour le Canada, les États-Unis et l'Amérique du Nord. Les aéronefs, les navires et les sous-marins russes peuvent désormais transporter des missiles de croisière avancés capables d'atteindre avec précision des cibles en Amérique du Nord à grande distance, comme d'autres missiles russes à longue portée peuvent le faire, y compris des planeurs hypersoniques.
À l'heure actuelle, nous ne pouvons pas détecter et suivre suffisamment bien ces menaces ni les empêcher d'endommager des cibles ici au Canada. Nous devons améliorer rapidement notre capacité à faire les deux. Par suite de la stratégie de défense « Le Canada d'abord » en 2008, et de « Protection, Sécurité, Engagement » en 2017, le Canada a progressivement amélioré sa capacité de défense, notamment par l'achat d'une flotte d'avions de chasse modernes, de ravitailleurs en vol, de plateformes de surveillance et d'une flotte navale moderne.
Ces dernières semaines, j'ai été heureux d'apprendre que le gouvernement s'apprête à s'occuper davantage de la défense du continent en modernisant le NORAD et la défense continentale. Cela comportera vraisemblablement un nouveau cadre stratégique et une combinaison de nouveaux équipements, de personnel pour les faire fonctionner, d'infrastructures nouvelles ou améliorées, de formation et d'autres formes de soutien nécessaires pour transformer ces équipements et ce personnel en une capacité militaire utile.
Permettez-moi de suggérer maintenant quelques mesures que nous pouvons prendre pour concrétiser cet engagement de longue date d'agir de concert avec nos alliés américains pour renforcer la défense continentale, en me concentrant sur l'acquisition des équipements nécessaires pour y parvenir. Je pense toutefois que certains de ces éléments sont applicables aux autres activités que nous pourrions envisager.
Premièrement, la défense du Canada doit être une priorité du gouvernement. Les gouvernements successifs ont renforcé notre capacité à défendre le Canada au cours des dernières décennies et nous discutons de la modernisation de la défense continentale depuis des années, mais ces efforts n'ont pas progressé avec l'urgence requise.
Par conséquent, le rythme de mise en oeuvre a été en deça des attentes. Des fonds n'ont pas été dépensés année après année et les projets d'équipement nécessaires ont été retardés. La guerre en Ukraine illustre l'importance de disposer d'une armée moderne compétente au moment où la Russie ou toute autre puissance militaire précipite une crise internationale, et non pas lorsque nous, au Canada, décidons de le faire.
Nous devons poursuivre la mise en oeuvre de la stratégie « Protection, Sécurité, Engagement » et poursuivre la modernisation de la défense continentale avec une urgence que nous n'avons pas vue récemment. Pour ce faire, ce dossier devra devenir une priorité absolue du gouvernement, établie par le et le Cabinet et clairement communiquée à l'ensemble du gouvernement du Canada et à tous ses ministères et organismes.
Deuxièmement, nous avons besoin d'un budget de défense plus important dès maintenant. Les plans actuels de dépenses pour la défense du Canada sont insuffisants pour faire face aux menaces que la Russie et d'autres puissances comme la Chine représentent. Comme les forces armées du monde entier, nos forces armées doivent composer avec des pressions inflationnistes sans précédent qui sont exacerbées par les retards d'acquisition. Nous avons aussi des déficits persistants en matière de maintenance et d'infrastructure, ainsi que des pénuries de personnel.
Pour l'avenir, la défense continentale est un passif non financé que le budget 2022 doit aborder. Au-delà de nos besoins immédiats en matière de dépenses, le montant que nous consacrons à la défense envoie un signal à nos alliés et à nos adversaires quant à notre engagement envers notre propre défense, ainsi qu'envers la paix et la sécurité dans le monde de manière plus générale. La cible de dépenses de 2 % du PIB fixée par l'OTAN est une mesure imparfaite des contributions des alliés à la défense collective, mais c'est une mesure que tous les alliés, y compris le Canada, ont convenu de respecter. Si nous ne sommes pas prêts à atteindre les cibles de dépenses de notre alliance, nous devrions être prêts à ce que nos alliés et nos adversaires remettent en question notre engagement envers la défense et envers la paix et la sécurité internationales.
Troisièmement, et finalement, il faut plus d'argent, mais aussi plus de capacités pour l'utiliser réellement. Le Canada est au coeur du plus grand effort de recapitalisation de la défense depuis la guerre de Corée. Cela s'explique en grande partie par le fait que nous rattrapons le temps perdu pendant la quinzaine d'années qui a suivi la fin de la Guerre froide, lorsque nous n'avons pas suffisamment investi dans nos forces.
De nombreuses flottes de combat clés que nous exploitons aujourd'hui, y compris les chasseurs et les frégates, ont été achetés dans les années 1980 — soit la dernière période où nous avons dépensé 2 % du PIB — et ces actifs auraient dû être remplacés depuis des années. Aujourd'hui, nous essayons de rattraper le temps perdu en sollicitant une main-d'oeuvre d'approvisionnement qui a été réduite de moitié dans les années 1990 et qui n'a jamais été entièrement reconstituée.
Pour accélérer la modernisation de nos forces armées, nous devrons augmenter la capacité du système d'approvisionnement, car nous avons actuellement trop peu de personnes possédant les compétences requises pour gérer les projets déjà financés, sans parler de ce qui pourrait arriver jeudi avec les crédits budgétaires supplémentaires.
Merci, monsieur le président.
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Historiquement, les trolls russes ont été utilisés massivement pour soutenir l'extrême droite dans divers pays. C'est le cas au Canada, mais aussi aux États-Unis et dans des pays européens. L'objectif est très certainement d'alimenter les divisions.
Ces trolls ont un effet agitateur doublé d'un souci de divertir. Par exemple, on utilise des mèmes drôles et des messages amusants qui sont néanmoins très militants, agressifs, et souvent racistes.
Selon la tendance qui se dégage, les trolls russes s'inscrivent généralement dans des courants extrémistes, et parfois même d'extrême gauche.
C'est la stratégie générale. Les cibles peuvent être des groupes minoritaires comme les réfugiés ou les immigrants dans différents pays. Les campagnes peuvent viser les Pays-Bas, les États-Unis ou un autre pays, mais l'enjeu reste le même.
J'espère avoir répondu à votre question. Auriez-vous voulu que je parle plus précisément…
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Merci, monsieur Al-Rawi.
La question suivante s'adresse aussi à vous, mais j'aimerais que M. Cooley nous donne son point de vue quand vous aurez terminé.
Nous avons eu une bonne idée des impacts de la désinformation russe avant le 6 janvier. Lors des événements du 6 janvier aux États-Unis, les liens et les appuis au mouvement QAnon étaient manifestes. Les tentatives des robots russes pour établir un lien entre les événements du 6 janvier et le mouvement Antifa ont été très efficaces. Il ressort clairement des rapports sur le soulèvement du 6 janvier que les robots russes ont alimenté le mouvement pro-Trump. Yochai Benkler, un professeur de la Faculté de droit de l'université Harvard, a affirmé que le grand objectif de la propagande russe est de créer un univers dans lequel rien n'est vrai et tout est possible.
Je suis très intéressé de vous entendre au sujet des répercussions pour le Canada. Selon vous, le Canada doit-il s'inquiéter des tendances que nous avons observées lors du soulèvement du 6 janvier aux États-Unis?
Je vais demander à M. Cooley d'intervenir après vous, monsieur Al-Rawi.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins de leur présence.
Monsieur Al‑Rawi, je vais profiter de votre expertise en matière de médias sociaux, de communication et de désinformation pour vous poser quelques questions. J'aimerais savoir quelle est, selon vous, l'influence de la désinformation russe sur la population du Canada.
On sait que plusieurs moyens sont utilisés, par exemple des affirmations trompeuses, des photos manipulées et des théories du complot. On sait que c'est très utilisé dans les médias sociaux et que cela a pu être exacerbé non seulement par la crise de la COVID‑19 et la montée des mouvements anti-vaccins ou antisystème, mais aussi par ce qui se passe en Ukraine.
Quelle est l'influence de ce phénomène et quelles pourraient en être les conséquences?
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Il est difficile de savoir quelle influence peut exercer la désinformation sur la population. Je ne crois pas qu'on ait quantifié cette influence ou qu'elle soit bien comprise. Cela dit, nous voyons bien que la désinformation a un impact au sein de la population canadienne. Par exemple, la diaspora ukrainienne a été la cible d'une forme de violence au Canada, ce qui montre que la désinformation russe — on pourrait aussi parler de propagande — donne les résultats escomptés dans certaines communautés.
À l'extérieur du Canada, j'ai observé des signes très inquiétants de l'influence de la désinformation russe. Par exemple, j'ai examiné la désinformation en arabe qui est diffusée par le gouvernement russe dans les médias sociaux, et j'ai été vraiment… [Difficultés techniques]… très répandue et très démesurée à plusieurs endroits au Moyen-Orient.
Notre problème est que nous nous préoccupons seulement de ce qui est diffusé en anglais et en français. Nous oublions que des millions de gens qui vivent au Canada parlent d'autres langues. C'est une lacune très importante dans notre compréhension de l'influence réelle de la désinformation russe sur les diasporas du Canada. Le lien est très direct, et beaucoup de choses nous échappent. Nous sommes très loin de comprendre ce qui se trame exactement, mais nous avons des indices patents que beaucoup de gens sont influencés.
Nous devons aussi être conscients que d'autres personnes reprennent la même désinformation. Je pense notamment au site Web Global Research, qui se fait passer pour réseau de nouvelles, mais qui dans les faits diffuse la propagande de Poutine.
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Merci, monsieur le président.
Je dois expliquer pourquoi l'interdiction de RT, comme je l'ai dit en introduction, risque de ne pas être très efficace. Les émissions de RT peuvent être visionnées sur des applications pour la télévision, Internet et d'autres plateformes. Il existe toutes sortes de façons d'accès à RT, et c'est loin d'être la seule source pour ce genre d'information.
Comme je l'ai mentionné dans mes remarques, le gouvernement russe utilise ses propres missions diplomatiques pour propager de la désinformation sur des sites contrefaits et ailleurs. Ils veulent créer une nouvelle source d'information. Depuis l'interdiction de RT, ils cherchent d'autres moyens de diffuser encore plus de désinformation.
Je crois que la meilleure façon de protéger les Canadiens est de discréditer la désinformation et de vérifier les faits pour tout ce qui touche au Canada, aux Canadiens et à la guerre en Ukraine.
Nous ne pouvons pas rivaliser avec le gouvernement russe et ses alliés sur ce terrain. C'est extrêmement difficile sauf, bien entendu, si le Canada et d'autres pays unissent leurs efforts. N'empêche, nous pouvons discréditer la désinformation qui nous concerne pour mieux protéger les Canadiens, surtout celle qui touche ce qui se passe sur notre territoire et à l'intérieur des communautés de diaspora.
Monsieur Cooley, je vais maintenant m'adresser à vous. Dans vos remarques liminaires, vous avez parlé des Russes qui se sont exilés, des journalistes, des travailleurs des TI, des universitaires, et vous avez soulevé la question de savoir comment nous pourrions intervenir pour améliorer et renforcer leurs réseaux. Vous avez laissé cette question ouverte, et j'ai tout de suite pensé à l'adage voulant que l'attaque soit la meilleure défense. Que faisons-nous, le cas échéant, pour soutenir ces groupes et faire en sorte qu'ils nous en apprennent davantage sur le fonctionnement de la société russe et les structures de pouvoir qui soutiennent Poutine, et éventuellement qu'ils nous aident à lancer des contre-offensives?
Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet? Je suis bien conscient que cinq minutes pour nous livrer vos remarques liminaires, c'est assez court.
La présence de journalistes russes exilés n'a rien de nouveau, mais ils sont beaucoup plus nombreux maintenant en raison de ce genre de conflits. Des journalistes d'enquête russes très compétents ont fait des reportages sur la corruption du régime Poutine, ils ont mené des enquêtes sur Evgueni Prigojine et ses agissements en Afrique. Dossier et Proekt, des médias d'investigation basés à l'étranger, ont mis au grand jour des secrets internes dévastateurs. Un journaliste du New York Times a écrit un article sur Prigojine qui contenait de l'information qui avait été dévoilée des mois auparavant par ces journalistes russes exilés.
Tout d'abord, nous pouvons les soutenir financièrement. Des groupes comme Meduza ou Nexta — il ne faut surtout pas oublier le Bélarus — ont joué un rôle déterminant dans la mobilisation contre Loukachenko. TV Rain, qui poursuit ses activités à l'extérieur de la Russie parce qu'il y a été interdit, a aussi joué un rôle clé.
Il faut anticiper que tôt ou tard, la Russie va réagir en durcissant la répression transnationale. Quand on parle de répression transnationale, on fait référence aux mesures systématiques contre ses ressortissants à l'étranger qui sont des opposants politiques ou qui sont liés aux milieux journalistiques et d'affaires, ou qui sont simplement membres de la société civile. La désinformation contre les diasporas constitue un des volets de cette répression, qui peut aussi prendre la forme de tentatives d'assassinats, d'extraditions, de mesures coercitives ou d'intimidation contre des membres de la famille.
Les Russes vont se retrouver avec un gros problème quand ces communautés se mobiliseront en masse pour briser le mur de la désinformation, et on peut s'attendre à ce qu'ils les prennent pour cibles. Nous devons être mieux préparés à les protéger pas seulement en les appuyant, mais aussi en réalisant que ces exilés et ces diasporas représentent des communautés d'intérêt eu égard aux crimes commis.
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Merci, monsieur Cooley.
Vous pouvez soumettre un mémoire au Comité si vous souhaitez approfondir certains points. Nous vous en serions reconnaissants.
J'ai une dernière question pour M. David Perry.
Le mandat du Comité porte pour une bonne partie sur la sécurité nationale et la sécurité publique en territoire canadien. Je ne vais pas m'étendre sur les considérations militaires, mais j'aimerais savoir si, pour ce qui concerne la cybersécurité et le rôle du CST, qui relève de la Défense nationale, ainsi que du SCRS et de la GRC, qui relèvent de Sécurité publique Canada, vous avez des recommandations à formuler relativement à une éventuelle réorganisation du fonctionnement de ces organismes?
Avez-vous des recommandations pertinentes à ce sujet que le Comité pourrait soumettre au gouvernement du Canada?
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Je crois que c'est essentiel parce que c'est ce qui nous permettra de renforcer notre capacité de défense, mais aussi d'intervenir dans beaucoup d'autres sphères de la sécurité nationale. Le capital humain est important, mais ces personnes ont besoin d'outils, et le système d'approvisionnement est ce qui nous permet de leur fournir des outils de travail, qu'il s'agisse d'avions, de navires ou de systèmes informatiques.
Les problèmes liés au système d'approvisionnement sont très nombreux mais, comme je l'ai dit dans mes remarques liminaires, il faut avant tout déterminer l'importance que nous accordons à ce dossier. Est-ce que l'achat de ce type de matériel et l'acquisition de ce type de capacité, que ce soit pour la Défense ou d'autres organismes liés à la sécurité nationale, comme je l'ai déjà dit, comptent vraiment pour nous? Si c'est le cas, quelle importance leur accorde-t-on par rapport aux nombreuses autres priorités du gouvernement? C'est le premier aspect.
Le second aspect tient à la nécessité de mieux proportionner notre utilisation de la main-d'œuvre et la charge de travail requise par rapport au capital humain à notre disposition. Nous avons besoin de ressources, tant financières qu'humaines, pour mener à bien ce travail. Or, nous cherchons le bon rapport depuis une quinzaine d'années. Tant que nous ne l'aurons pas trouvé, nous ne pouvons pas vraiment nous attendre à ce que les choses changent.
Je dois dire que les gouvernements successifs ont augmenté progressivement les dépenses pour ce genre d'achats depuis 15 ans. Elles n'ont jamais été aussi élevées, d'après mes calculs, depuis la guerre de Corée, si on tient compte de l'inflation. Le problème est que nous n'avons rien fait depuis 15 ans, et que le rattrapage qu'il faudrait faire pour revenir au statu quo coûtera nettement plus que ce qu'il en aurait coûté si notre régime de dépenses avait été stable.
C'est loin d'être l'unique problème concernant le système d'approvisionnement. Je pourrais parler des priorités divergentes du gouvernement, certaines structures institutionnelles, mais je vais m'arrêter ici.
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Merci, monsieur le président.
Voilà quelques années, des… [Difficultés techniques]… aux États-Unis et ailleurs ont été exclus par des médias sociaux grand public comme Facebook et Twitter. En faisaient partie le président Trump et d'autres complotistes comme Alex Jones. Il s'en est suivi ce qu'on a appelé une « migration » vers d'autres tribunes nouvelles et alternatives, y compris celles que vous avez mentionnées, Telegram, Discord et quelques autres. Certaines sont même basées au Canada. Il existe actuellement une panoplie de plateformes où dominent les théories conspirationnistes et la désinformation.
Dans notre étude sur le convoi pour la liberté, nous avons établi que sur Twitter, très peu de messages relayaient les théories conspirationnistes qui ont alimenté la manifestation, et que les théories et les discours dominants ont été véhiculés ailleurs, surtout sur Telegram.
Le principal problème tient à ce que les principaux moteurs de recherche comme Google indexent les publications sur Telegram. Si je cherche un message publié par Alex Jones sur Telegram, je peux le trouver. Selon moi, c'est le principal problème. Je ne pense pas que ce soit une bonne idée d'essayer de contrôler ces petites plateformes, de les museler. Ce serait comme jouer à cache-cache, et quatre autres plateformes apparaîtraient de toute façon parce qu'il y a de très bonnes affaires à faire. Les profits se chiffrent non pas en millions, mais en milliards de dollars.
Je ne crois pas qu'il soit possible d'éliminer complètement ces petites plateformes de médias sociaux. Il faut plutôt faire des pressions pour que les principaux moteurs de recherche indexent moins les publications sur ces sites et qu'il soit donc plus difficile de retracer un commentaire en particulier.
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Effectivement, c'est plutôt la sécurité nationale qui est en jeu. Merci de poser cette question.
Avant la guerre, les enjeux étaient compartimentés en deux volets. Dans le premier volet, les enjeux de sécurité nationale étaient envisagés en fonction des objectifs et des politiques étrangères classiques. L'autre volet touchait les politiques nationales. Autrement dit, quand nous parlions de kleptocratie ou de contre-kleptocratie, nous y pensions comme à des questions de gouvernance distinctes, pour ainsi dire. Aujourd'hui, nous comprenons bien que les deux volets sont interreliés.
Nous ne pouvons pas seulement nous jeter aux trousses des oligarques proches du Kremlin comme Abramovich, Usmanov, Sechin ou Deripaska. Nous devons aussi nous intéresser aux sociétés de professionnels qui sont ici, au Canada. Comment se fait-il que des sociétés de courtage immobilier, des cabinets d'avocats, des sociétés fictives et de gestion de la réputation peuvent, en toute légalité, fournir des services dont l'objectif est invariablement d'anonymiser la source de cette richesse et, d'une manière parfaitement légale, d'investir cet argent dans l'immobilier ou le capital social afin de rehausser l'image et le statut de ces oligarques?
Ce n'est pas seulement un oligarque russe…
C'est tout le temps que nous avions. Nous avons même débordé un peu.
Au nom du Comité, je remercie les témoins de nous avoir fait vivre une heure passionnante et de nous avoir parlé de changements très importants. Nous avons abordé des questions et des sujets très complexes et d'une grande importance.
Sur ce, je demande au Comité de me donner la permission de lever la séance.
Des députés: D'accord.
Le président: Je crois avoir votre permission.
Messieurs, merci énormément pour votre temps et vos éclairages.
Distingués collègues, je vous donne rendez-vous pour une autre réunion jeudi matin.
La séance est levée.