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SECU Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la sécurité publique et nationale


NUMÉRO 020 
l
1re SESSION 
l
44e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 28 avril 2022

[Enregistrement électronique]

(1150)

[Traduction]

    Je prie nos témoins de bien vouloir excuser notre retard. Lorsque la sonnerie se fait entendre, les députés n'ont d'autre choix que d'accomplir leur devoir. Nous sommes maintenant prêts à commencer et je déclare la séance ouverte.
    Bienvenue à la 20e réunion du Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes.
    Je tiens d'abord à souligner que nous nous trouvons sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin.
    Conformément à l'ordre adopté par la Chambre le 25 novembre 2021, la séance d'aujourd'hui se déroule dans un format hybride. Des députés y participent en personne dans la salle et d'autres le font à distance via l'application Zoom. Les députés et les témoins, qui sont des nôtres en mode virtuel, peuvent s'exprimer dans la langue officielle de leur choix. Vous pouvez sélectionner au bas de votre écran la transmission du parquet, l'anglais ou le français.
    Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement et aux motions adoptées par le Comité le jeudi 17 février 2022, le Comité reprend son étude de la montée de l'extrémisme violent à caractère idéologique au Canada.
    Nous accueillons aujourd'hui par vidéoconférence M. Brandon Rigato, assistant chercheur principal sur la haine et l'extrémisme au Canada à l'Université Carleton; et M. David Morin, cotitulaire de la chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l'extrémisme violents à l'Université de Sherbrooke.
    Vous avez droit à cinq minutes chacun pour vos observations préliminaires, après quoi nous passerons aux questions des membres du Comité.
    Monsieur Rigato, vous avez la parole.
    Je tiens à remercier les membres du Comité de m'avoir invité à prendre la parole aujourd'hui. Je vais profiter du temps à ma disposition pour traiter brièvement de ma recherche doctorale. Il s'agit d'une étude de l'extrémisme de droite au Canada que j'ai menée à l'école de journalisme et de communication de la faculté des affaires publiques de l'Université Carleton.
    Il y a bien des choses que je pourrais dire sur le spectre de l'extrême droite au Canada, mais je vais concentrer mon témoignage sur un groupe que j'ai étudié pour vous exposer un éventail de comportements, d'actions et de risques pouvant nous aider à mieux comprendre l'extrémisme violent à caractère idéologique.
    Je vais donc vous parler du groupe des Three Percenters dont je suis les agissements depuis 2018. Le 25 juin 2021, ce groupe a été inscrit sur la liste des entités terroristes au Canada. Par le passé, ce groupe imprégné de l'idéologie violente des suprémacistes blancs a ouvertement réclamé et appuyé des actions violentes. Bien que leurs agissements aient depuis été dévoilés au grand jour et neutralisés, il est probable que des groupes actuels et futurs ayant une idéologie similaire aient tiré des enseignements de l'expérience des Three Percenters. Étant donné ce risque que d'autres mouvements et groupes extrémistes s'inspirent de leurs tactiques organisationnelles, nous devons étudier ces modes d'action pour être mieux à même de détecter et d'enrayer les tentatives de subterfuges par la prochaine mouture des Three Percenters et de groupes similaires.
    Je voudrais donc traiter brièvement aujourd'hui des comportements hors ligne encouragés par les Three Percenters, des valeurs et des croyances qu'ils exhortent leurs membres à défendre et de la correspondance entre leurs discussions en ligne et leurs différentes sections « À propos de nous » sur le Web et les médias sociaux. Ces exemples recoupent bon nombre des enjeux dont le Comité est saisi. Alors que de nombreux chercheurs s'intéressent aux facteurs qui incitent une personne à adhérer à un mouvement extrémiste ou à le quitter, mes travaux visent surtout à déterminer comment les groupes d'extrême droite s'y prennent pour retenir les adeptes qu'ils recrutent. Je recense ainsi les diverses façons dont les groupes d'extrême droite comme les Three Percenters exploitent des espaces numériques et non numériques de manière à inciter leurs membres à exprimer leurs opinions les plus haineuses et les plus violentes, voire à passer à l'acte.
    Les Three Percenters ont eu recours à différentes activités pour forger et maintenir la détermination de leurs membres. Il y a d'abord la participation active et obligatoire des « vrais » membres, soit ceux qui se rencontrent en personne et participent à un entraînement hors ligne avec armes à air comprimé où l'on simule des exercices militaires tactiques. Cette formation tactique comprend la lecture de cartes, les premiers soins et diverses applications pratiques utiles pour une force militaire. Cet entraînement s'accompagne d'un code de conduite auquel les membres doivent adhérer pour répondre aux attentes des têtes dirigeantes.
    Selon la section de l'Alberta des Three Percenters, les membres doivent se servir de leur formation et de leurs capacités pour protéger la population en tout temps, qu'ils soient en service ou non. La même section ajoute qu'un candidat doit être un bon patriote et concevoir les valeurs judéo-chrétiennes dans une optique éthique (plutôt que théologique ou liturgique). On précise en outre que ces valeurs sont principalement défendues par les politiciens conservateurs.
    Voilà qui nous donne une bonne idée des attentes du groupe des Three Percenters envers ses recrues sur les plans physique, spirituel et idéologique. De toute évidence, les membres du groupe semblent vouloir se présenter comme de simples patriotes canadiens, mais un suivi de leurs échanges en ligne m'a permis de constater que leur contenu est raciste et ancré dans un nationalisme blanc. Les Three Percenters sont radicalement opposés aux musulmans, aux réfugiés et à l'immigration non blanche d'une manière générale. Ils s'emploient en outre à harceler les politiciens progressistes de tout le Canada.
    Mes dernières remarques vont d'ailleurs porter sur les échanges et le contenu que l'on pouvait trouver sur les réseaux sociaux des Three Percenters.
    Bien que les Three Percenters et les autres groupes d'extrême droite n'attirent qu'un petit nombre d'individus avec leurs activités hors ligne, il y a tout un foyer de contenu qui s'affiche quotidiennement en ligne et sur différentes plateformes pour appeler à la violence envers les nouveaux arrivants au Canada, les Canadiens non chrétiens et les musulmans, et pour célébrer cette violence. Ces groupes ne s'intéressent pas uniquement aux enjeux et aux considérations politiques touchant le Canada. Trop souvent, l'histoire de réfugiés contrevenant aux lois en Europe ou en Amérique du Nord, le récit de ce que l'on considère être une attaque misogyne quelque part au Moyen-Orient ou tout contenu jugé socialement progressiste et promusulman donne lieu à une campagne de dénigrement qui alimente le cycle haineux procurant la force vitale à des groupes extrémistes de droite comme les Three Percenters.
    Les Three Percenters ne sont qu'un exemple des nombreux groupes d'extrême droite qui appellent à la violence et la célèbrent au Canada. Ce groupe est à juste titre répertorié parmi les entités terroristes étant donné sa participation active à un entraînement militaire en vue de réprimer ce qu'il perçoit être une invasion musulmane. Cependant, les plateformes numériques et le climat social permettant une telle haine et alimentant leur vision violente risquent de donner trop facilement naissance à une nouvelle menace sous la forme d'autres groupes et individus adhérant à l'extrémisme violent à caractère idéologique qui continueront à encourager et à soutenir la violence à l'égard des Canadiens non blancs et non chrétiens.
    C'est ainsi que je vais conclure mes observations préliminaires. Je serai ravi de répondre à toutes vos questions ou de traiter d'autres enjeux d'intérêt pour le Comité.
    Merci pour le temps que vous me consacrez aujourd'hui.
    Merci beaucoup.
    J'inviterais maintenant M. David Morin à prendre la parole.
    Vous avez cinq minutes.

[Français]

    Je vous remercie, monsieur le président, mesdames et messieurs les honorables députés, de l'occasion qui m'est offerte d'échanger avec vous.
    Monsieur le président, je vais chronométrer mon temps, parce que, comme vous le savez, les professeurs sont beaucoup moins disciplinés que les députés pour respecter leur temps de parole. Je compte sur vous pour me rappeler l'ordre dans cette perspective.
    Mon intervention liminaire se structurera en trois parties. Je vais commencer tout de suite.
    À quoi faisons-nous face aujourd'hui quand on parle d'extrémisme violent à caractère idéologique? C'est évidemment une réalité complexe qui se compose de multiples tendances. Comme mon collègue l'a fait précédemment, je souhaite aujourd'hui attirer votre attention sur l'écosystème particulier de l'extrémisme de droite.
    Nos données montrent que cet écosystème est marqué par une forme de cohabitation, des convergences, mais aussi des divergences entre différentes tendances.
    Le premier point important de cette première partie concerne l'extrême droite, on peut penser, par exemple, aux attentats de Québec ou de London, en Ontario. On pense aussi à la mouvance antigouvernementale. On se souvient ici notamment de l'attentat de Moncton, en 2014. Il y a aussi la misogynie, qui s'est traduite par les deux attentats à Toronto, il y a quelques années. Il y a également des mouvements plus ou moins nouveaux, dont le conspirationnisme qui, bien sûr, n'est pas récent. On retrouve aussi l'intégrisme religieux, et, parfois même, un pan de la tendance « alterscientifique ».
    Quand on regarde le nombre d'arrestations, depuis 2020, en lien avec la sécurité publique et l'extrémisme — et c'est sans parler de sécurité nationale —, on note la forte présence de ces groupes de l'extrême droite, de la mouvance antigouvernementale et du conspirationnisme. Ce dernier, dans une certaine mesure, sous-tend tous les autres. Évidemment — on pourra en reparler —, cela nous a amenés aux récents événements à Ottawa qui, à la faveur de la pandémie, ont trouvé un terreau fertile, des boucs émissaires et des partisans.
    Je veux souligner deux éléments importants à ce stade.
    D'abord, on distingue souvent la droite radicale, qui souhaite participer aux institutions, et la droite extrémiste violente. On a raison de faire cette distinction, dans une certaine mesure, mais il y a quand même des vases communicants, et elles sont souvent des alliées objectives. On y reviendra plus tard, car c'est un aspect très important. J'aimerais également parler de l'augmentation des manifestations violentes. On parle d'une augmentation de 250 % au cours des cinq dernières années dans l'espace occidental. Cela montre qu'il n'y a pas de séparation stricte entre des visées extrémistes et, parfois, le basculement dans la violence. Il a été démontré que beaucoup de citoyens ordinaires se trouvaient sur place lors de l'assaut du Capitole. Le deuxième point important de cette première partie est le phénomène de la montée de l'extrémisme violent à caractère idéologique qui s'insère dans une tendance globale en Occident. Il s'agit de la montée de l'extrémisme de droite, soit au pouvoir, soit dans les rues, de l'augmentation de crimes haineux, qui était de 25 % au Canada en 2020 par rapport à l'année précédente, des manifestations violentes et des attentats. Il y a eu une hausse de 250 % des incidents terroristes de l'extrême droite entre 1970 et 2019. Il y a donc une augmentation des polarisations sociales.
    Ensuite, pourquoi ce phénomène prend-il de l'ampleur? Les raisons de cet essor sont multiples. J'en citerai trois qui vous concernent plus directement. Premièrement, il y a la perte de confiance dans les institutions, c'est-à-dire vous, les politiques, nous, les scientifiques, mais aussi les médias. Les données montrent une corrélation très claire entre cette perte de confiance et l'adhésion extrémiste. Deuxièmement, les réseaux sociaux numériques et les médias alternatifs sont des accélérateurs de particules extrémistes. On reviendra probablement sur cette question. Troisièmement, les contextes mondiaux et locaux que l'on connaît aujourd'hui. On parle de la pandémie, de la crise économique — il y a eu la crise financière de 2008 et maintenant l'inflation — et des conflits qui s'accompagnent, par exemple, de la crise des migrants, notamment au chemin Roxham, au Québec, et de la crise environnementale. Bref, c'est une colère qu'il faut savoir écouter.
    La troisième et dernière partie de cette intervention liminaire concerne les répercussions sur la démocratie canadienne. Je pense qu'ici nous avons deux écueils majeurs à éviter. Le premier, c'est de sous-estimer cette menace et le risque démocratique qu'elle représente. Il s'agit d'un ennemi intérieur proche de nous que l'on côtoie. On sait qu'en matière de sécurité nationale, on se méfie toujours moins de ce qui nous paraît proche. Combien de temps a-t-il fallu pour qu'on s'en préoccupe réellement, que les agences d'application de la loi se saisissent de ce problème, qui était quand même souligné par de nombreux chercheurs dès le début des années 2010? On pensait également que le Canada était immunisé. C'est vrai que le Canada a probablement une culture politique plus consensuelle que d'autres pays, à commencer par notre voisin américain. Je crois toutefois aujourd'hui qu'on peut s'entendre et qu'il y a un consensus voulant que le Canada ne soit pas immunisé. Le deuxième écueil majeur, c'est de surestimer la force et la capacité de résilience.
(1155)

[Traduction]

    Il vous reste 10 secondes.

[Français]

     Nous tenons la démocratie pour acquise et, à mon avis, ne rien faire n'est pas une option. Que faire? C'est un autre problème.
    Je conclurai en disant que l'histoire nous enseigne que ce sont les majorités et non les minorités qui font tomber les régimes démocratiques.
    Je vous remercie.
(1200)

[Traduction]

    Merci beaucoup.
    Nous passons maintenant à notre premier tour de questions. La première période va à M. Van Popta.
    Vous avez six minutes.
    Merci aux témoins qui sont des nôtres aujourd'hui. Je vous prie de bien vouloir excuser notre retard. Je sais que votre temps est précieux et que votre contribution à notre étude sera des plus importantes.
    Je vais d'abord m'adresser à M. Morin.
    Vous avez évoqué les répercussions sur la démocratie canadienne en parlant, je suppose, de la mésinformation et de la désinformation. Je ne sais pas ce que vous pensez des risques d'ingérence étrangère dans nos systèmes électoraux et je me demande si vous considérez que cela constitue une véritable menace. Il ne fait aucun doute que les perceptions en ce sens nous ont été à elles seules dommageables.

[Français]

    Je vous remercie de votre question.
    C'est effectivement un enjeu. Je vais me garder une réserve, puisque je siège aussi actuellement au comité qui examine la nouvelle réglementation sur le contenu préjudiciable en ligne. Je vais donc garder mes remarques assez générales.
    Évidemment, monsieur le député, la désinformation est un enjeu majeur. C'est vrai qu'on regarde souvent le contenu qui est violent et les discours haineux, alors que la désinformation se trouve souvent dans une zone grise; je pense entre autres aux fausses nouvelles. Évidemment, on est ici à l'intérieur des paramètres de la liberté d'expression.
    Néanmoins, concernant l'ingérence étrangère, il est important de souligner que, finalement, des pays qui ne nous veulent pas du bien, pour dire les choses bien prosaïquement, jouent sur des divisions qui existent déjà à l'intérieur du pays, remuent le couteau dans une plaie déjà vive, ajoutent du bruit au bruit et accroissent les polarisations sociales. Je pense qu'il est fondamental de se doter de mécanismes réglementaires qui peuvent nous permettre d'ajouter du mordant, pour éventuellement —  on le voit dans le contexte ukrainien —, surveiller de très près certains médias, comme cela a été le cas en Europe, par exemple, mais ici également. Par exemple, Russia Today ou Sputnik sont des véhicules de propagande du gouvernement russe.
    Il est vrai que la désinformation — elle s'est d'ailleurs exprimée, dans le contexte de la pandémie, avec des effets très marqués sur la santé publique et la sécurité publique — et les médias alternatifs font partie du problème. Le gouvernement du Canada est en train de regarder cela de très près, avec l'assentiment de l'ensemble des députés.

[Traduction]

    Merci pour cette réponse.
    Je voudrais que nous parlions des études menées par le gouvernement avec le Centre de la sécurité des télécommunications et le Service canadien du renseignement de sécurité. La situation a été jugée assez préoccupante pour que l'on se penche ainsi sur l'ingérence étrangère au sein de notre système électoral. Ces études ont été effectuées avant l'élection de 2021.
    Avez-vous des commentaires à ce sujet? Il y a eu par exemple des articles de journaux traitant des possibilités que l'ingérence étrangère ait eu un impact dans certaines circonscriptions de ma province, la Colombie-Britannique.

[Français]

     J'ajouterai un élément important, soit que l'ingérence démocratique et le processus d'intégrité de nos régimes démocratiques doivent être pris en compte lorsqu'il est question d'extrémisme violent. C'est indiscutable.
    Je pense, en revanche, qu'il faut aussi prendre cela en compte au-delà des périodes électorales. Il faudrait probablement se débrouiller pour bonifier, si vous voulez, le système de gestion de crise. Cela permettrait à l'ensemble des acteurs de coopérer quand il y a, notamment, des campagnes de désinformation massives avant les périodes électorales. C'est un enjeu majeur.
    Je note aussi que notre agence de renseignement, c'est-à-dire le Service canadien du renseignement de sécurité, n'hésite plus depuis quelque temps à pointer du doigt certains pays qui s'ingèrent dans nos systèmes et dans nos processus. C'est d'ailleurs une nouveauté dans le portrait du renseignement canadien.
    C'est une tâche d'envergure, et je pense que l'important est d'en prendre conscience. Je ne suis pas encore convaincu, monsieur le député, que l'ensemble de la députation de même que l'ensemble de la société canadienne soient entièrement au fait de ces questions. Je tiens à souligner que l'un des éléments à considérer serait de renforcer la compréhension de nos citoyens au regard de ces enjeux, parce que, si nos intervenants de première ligne sont les agences d'application de la loi, quels seront ceux de la seconde ligne?
    À mon avis, il faut donc vraiment renforcer la compréhension qu'ont les citoyens de ces enjeux pour qu'ils soient, eux-mêmes, en première ligne et que les agences d'application de la loi soient, alors, en seconde ligne. Vous me permettrez de faire une comparaison: c'est comme si on ne confiait l'éducation de nos enfants qu'aux enseignants. Cela ne fonctionne pas. Les intervenants de première ligne quant à l'éducation des enfants sont les parents. Je dirais qu'il en va de même quant à la sécurité nationale liée à la désinformation et à l'ingérence étrangère.
    Je vous remercie.
(1205)

[Traduction]

    Merci beaucoup.
    Je vais maintenant donner la parole à Mme Damoff.
    Vous avez six minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Merci à nos deux témoins de leur patience et de leur participation à cette réunion qui a commencé avec du retard.
    Monsieur Rigato, vous avez mené une étude approfondie sur le groupe des Three Percenters. Nous savons que nos agences de sécurité considèrent les groupes d'extrême droite comme les plus grandes menaces à la sécurité de notre pays. Des témoins nous ont dit que ces groupes se finançaient notamment en vendant des articles comme des t‑shirts. Lorsque nous inscrivons l'un de ces groupes sur la liste des entités terroristes — comme nous l'avons fait pour les Three Percenters et pour d'autres depuis 2019 —, nous leur bloquons l'accès à des ressources financières. C'est essentiellement le but de cette liste.
    Pouvez-vous nous dire dans un premier temps s'il est efficace de couper ainsi les vivres à ces groupes? Par ailleurs, auriez-vous d'autres mesures à nous recommander pour contrer des organisations comme les Three Percenters?
    Bien qu'il soit très efficace de couper le financement à certains de ces groupes plus organisés, ceux auxquels je me suis intéressé bénéficient malheureusement très souvent du soutien individuel d'idéologues et d'ardents partisans. En bloquant l'accès à des fonds, on évite certains des problèmes découlant d'une capacité financière permettant de renforcer un mouvement. On ne peut toutefois pas négliger le fait qu'il s'agit bien souvent de gens motivés par une idéologie qui vont aller de l'avant sans égard aux coûts à engager. Certaines des affiches les plus virulentes ont été conçues par des activistes n'ayant aucun financement, hormis leurs propres canaux BitChute.
    Pour ce qui est des autres avenues possibles, je surveillerais de près la façon dont les réseaux virtuels privés sont utilisés. Nous pouvons faire échec à ce qui se fait ici au Canada, mais il suffit d'avoir un compte Netflix pour savoir qu'il est possible de passer à un compte américain pour avoir accès à de meilleurs films. Il en va malheureusement de même de l'extrémisme. Il est très facile de contourner ces mesures de contrôle gouvernementales.
    J'ai bien peur de ne pas avoir répondu à votre question et de ne pas vous avoir été d'une grande utilité. Je ne fais que soulever de nouvelles sources d'inquiétude pour les spécialistes des technologies de l'information.
    Merci.
    Monsieur Morin, vous avez parlé de ces groupes qui s'opposent aux gouvernements et qui souscrivent notamment à différentes théories conspirationnistes.
    Parmi les éléments troublants, il y a la validation de ces mouvements par des personnes en situation d'autorité, y compris des élus. Je pourrais vous donner l'exemple de Randy Hillier qui a contribué à la propagation de différentes théories du complot et participé au « convoi de la liberté » qui a réussi à se frayer un chemin jusqu'à Ottawa.
    Quelles sont les répercussions lorsque des élus entérinent ainsi ces mouvements?

[Français]

     La question s'adresse-t-elle à moi, monsieur le président?
    Oui.
    D'accord.
    Nous avons fait des recherches, notamment un sondage pancanadien concernant l'adhésion au conspirationnisme. Ce sondage sera bientôt transmis au gouvernement du Québec. Les données sont assez préoccupantes: on constate que jusqu'à 25 % des gens adhèrent plus ou moins fortement à la pensée conspirationniste au Canada. Évidemment, ce taux de 25 % ne veut pas dire que toutes ces personnes sont des conspirationnistes convaincus, mais il y a un noyau dur de l'ordre de 9 ou 10 % et une partie des 15 % restants pourrait basculer d'un côté ou de l'autre.
    Je vous dis cela parce que cette question de la pensée conspirationniste n'est pas nouvelle. Je me rappelle que, au début des années 2020, le SCRS, soit le Service canadien du renseignement de sécurité, hésitait encore à le traiter comme une menace extrémiste. Aujourd'hui, je pense qu'il n'y a plus tellement de doute. Nos données montrent aussi qu'une partie de ces conspirationnistes ont une sympathie à l'égard de la violence. Nous avons des échelles psychométriques pour mesurer cela. Or je dis bien qu'il s'agit d'une partie de ces gens, et non de tous ces gens. C'est une approche plutôt antidémocratique, comme celle qu'empruntent d'autres mouvements extrémistes, qu'ils soient de gauche ou de droite.
    C'était simplement une introduction à votre question, madame Damoff. Comme je le disais tout à l'heure dans mes propos liminaires, on a souvent tendance à séparer ce qu'on appelle la pensée radicale de l'extrémisme violent, et on comprend pourquoi. Les policiers disent souvent qu'ils n’enquêtent pas sur des idéologies, mais sur des crimes, et ils mettent l'accent sur l'aspect violent.
    Il reste que, du point de vue de l'analyse globale du phénomène, force est d'admettre qu'il y a effectivement des vases communicants. Quand il y a un discours radical dans une frange particulière d'un parti politique, quel qu'il soit, cela sert dans une certaine mesure à normaliser une forme de discours extrémiste. Comme mon collègue M. Rigato l'expliquait tout à l'heure, il peut y avoir des discours xénophobes et antiféministes, entre autres. Finalement, cela justifie dans une certaine mesure l'adhésion des plus extrémistes à ce même genre de discours. À l'inverse, cela peut permettre aux franges radicales qui sont plutôt prodémocratie de dire qu'ils sont moins mauvais que les extrémistes, qui prônent la violence.
(1210)

[Traduction]

    Il ne vous reste que 10 secondes.

[Français]

    Il est donc très important de voir qu'il y a des vases communicants, et je pourrais donner l'exemple d'Ottawa. On a vu ici des gens qui étaient prodémocratie côtoyer des gens contre la démocratie, ce qui a fait dériver le mouvement, qui est devenu plutôt violent.
    Je vous remercie.

[Traduction]

    Merci beaucoup.
    Madame Larouche, vous avez six minutes pour poser vos questions. À vous la parole.

[Français]

    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Monsieur Morin, je veux commencer par dire que l'Université de Sherbrooke est mon alma mater et que ma lecture d'été était Le nouvel âge des extrêmes, d'un certain Sami Aoun, une connaissance que nous avons en commun, j'imagine, et qui est aussi mon ancien professeur. C'est un plaisir de vous recevoir au Comité aujourd'hui.
    Monsieur Morin, vous avez récemment été nommé par le ministère du Patrimoine canadien pour vous joindre à un groupe d'experts qui a pour objectif de se pencher sur l'encadrement législatif de la haine et des contenus préjudiciables en ligne. Dans ce contexte, va-t-on s'inspirer de ce qui se passe ailleurs et est-ce que la mesure législative européenne qui a été adoptée relativement aux contenus problématiques sur les grandes plateformes telles que Facebook et Twitter sera étudiée? Vous avez beaucoup parlé des médias alternatifs et des médias sociaux comme étant quelque chose qui contribue à cette radicalisation. Croyez-vous que le Canada devrait suivre ce modèle?
     Je vous remercie beaucoup de votre question.
    Je suis très heureux d'entendre que nous avons la même alma mater. D'ailleurs, j'ai oublié de préciser qu'elle est située sur les terres ancestrales des Abénaquis.
    Pour répondre à votre question concernant le groupe d'experts, celui-ci ainsi que le gouvernement examinent ce à quoi vous faites référence, soit la législation sur les services numériques, qui a récemment été annoncée par la Commission européenne.
    Plusieurs éléments de cette réglementation sont effectivement très intéressants. Je n'irai pas beaucoup plus loin, parce que les délibérations du groupe d'experts, jusqu'à ce stade, font l'objet d'avis publics. Si j'en disais davantage, je donnerais mon interprétation. Il est difficile pour moi de dire dans quel sens cela va aller.
    Néanmoins, il y a des éléments très intéressants sur le type d'entités qu'il faut réglementer et sur le type de contenu. Il y a une grande conversation à cet égard, et cela me renvoie à la première question du député, qui portait sur ce que l'on doit faire au sujet de la désinformation. Je parle ici de celle qui respecte le cadre de la liberté d'expression, mais qui peut être très préjudiciable. Il s'agit d'un problème. Beaucoup de citoyens canadiens sont très attachés à la question de la liberté d'expression. Ce sont des paramètres complexes.
    Le dernier élément est le suivant: quels types d'obligations peuvent s'appliquer à toutes ces entités? Il y a les grandes entités, auxquelles on pourrait ultimement imposer beaucoup d'obligations, et les plus petites entités, auxquelles il est parfois plus difficile d'imposer des obligations, mais qui restent des plateformes sur lesquelles beaucoup de contenu préjudiciable peut se trouver. Ce sont les paramètres de la réflexion.
    Je conclurai mon intervention en disant que les réseaux « socionumériques » sont évidemment un enjeu fondamental. Cependant, je rappellerai que les plus importants crimes de l'histoire et la montée des extrémismes n'ont pas attendu les réseaux sociaux pour diffuser leur propagande. Il faut donc travailler à la question des réseaux sociaux, mais il faut aussi avoir des initiatives sur le terrain, dans le monde hors ligne. Par exemple, on voit la montée de l'extrémisme dans certains milieux de travail plus spécifiques. Les enjeux, pour nous, sont de savoir comment atteindre ces groupes de la population qui sont plus à risque et plus radicalisés, afin d'éviter de prêcher à des convertis et de rejoindre ceux qui posent le plus de problèmes.
    Je vous remercie.
(1215)
    Merci beaucoup, monsieur Morin.
    On le voit, cela a permis d'évoluer, mais vous faites bien de rappeler qu'il n'y a pas que les médias sociaux.
    Dans votre livre intitulé Le nouvel âge des extrêmes, que j'ai lu en tant que finissante en politique appliquée à l'Université de Sherbrooke, on voit vraiment que vous vous êtes penchés sur l'évolution des mouvements d'extrême droite, particulièrement au cours des dernières décennies. Il y a eu une montée de l'extrémisme sur les réseaux sociaux, mais aussi ailleurs sur le terrain. Vous le dites souvent: comment allons-nous rejoindre ces gens? J'aimerais surtout connaître les principales caractéristiques de ces groupes d'extrême droite.
    Quelles sont les caractéristiques des groupes d'extrême droite actuels comparativement à ceux d'il y a 10 ans?
    Pouvez-vous nous éclairer quant à la façon dont le mouvement a évolué et sur ce qui a fait évoluer le mouvement d'extrême droite?
    Je vous remercie de cette question.
    Ce livre offre une perspective intéressante. Beaucoup de chercheurs occidentaux se penchent sur le phénomène dans l'espace occidental, notamment sur l'évolution du djihadisme et de l'extrême droite.
    Pour répondre à votre question sur l'extrême droite, je pense que l'une des erreurs que l'on fait habituellement, c'est de ne voir l'extrême droite que comme elle était il y a quelques décennies, c'est-à-dire comme un néonazisme qui prône la violence et le renversement pur et simple des institutions. Or l'extrême droite a évolué. L'extrême droite, aujourd'hui, c'est aussi des gens en costume-cravate. C'est aussi ce que les États‑Unis ont réussi: une droite « alternative » qui a réussi à transformer son discours. Par exemple, on est passé d'un discours raciste à un discours culturaliste. Au lieu de dire qu'une race est supérieure, on dit qu'une culture est supérieure à l'autre. Mon collègue le disait très bien, tout à l'heure, lorsqu'il a abordé la question du nationalisme blanc.
     Il y a aussi beaucoup de victimisation. On explique finalement que la majorité blanche, avec un certain renversement de l'histoire, est menacée par les populations immigrantes et par d'autres cultures. Vous connaissez la théorie conspirationniste du grand remplacement. On retrouve donc le même type de discours, sous une forme plus policée, c'est-à-dire plus politiquement correcte.
    Il y a un autre élément important, c'est que la montée de l'extrême droite se présente toujours à la défense du peuple contre les élites. Ces élites, c'est vous, c'est nous, les chercheurs, et ce sont évidemment les médias dominants. Il y a donc, aujourd'hui, une forte tonalité populiste dans le discours de l'extrême droite.

[Traduction]

    Il vous reste encore 10 secondes.

[Français]

     Le dernier élément sur lequel nous ne nous entendons pas tous, c'est l'appel à la violence. Pour certains, il est assumé, tandis que, pour d'autres, il est beaucoup plus subtil. Il n'en reste pas moins que, souvent, il est derrière un discours antidémocratique.
    Je vous remercie.

[Traduction]

    Merci beaucoup.

[Français]

    J'invoque le Règlement, monsieur le président.
    Le vote a été retardé, alors j'aimerais savoir s'il y aura un deuxième tour de questions et comment cela va fonctionner d'ici la fin de la réunion.

[Traduction]

    Nous allons réduire de moitié le temps alloué pour le second tour. L'ordre des intervenants demeurera toutefois inchangé. Nous ne disposons pas d'autant de temps que prévu.
    Monsieur MacGregor, vous avez six minutes pour terminer ce premier tour. Vous avez la parole.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Un grand merci aux témoins qui aident notre comité à progresser dans cette étude.
    Monsieur Rigato, je veux d'abord m'adresser à vous. Merci beaucoup de nous avoir présenté un aperçu de vos recherches sur les Three Percenters. Je suis persuadé que ce n'est pas le seul groupe à conserver ainsi ses effectifs en tablant sur la participation active et obligatoire, l'entraînement militaire tactique et l'application d'un code de valeurs.
    Voici la question que je voulais vous poser. Vous êtes-vous intéressé dans le cadre de votre recherche à d'anciens membres de ces groupes, comme les Three Percenters et les Proud Boys, et vous ont-ils indiqué ce qui a pu les aider pendant la période où ils étaient actifs au sein de ces groupes? Ces gens‑là se retrouvent coincés dans un écosystème fermé où l'on s'emploie non seulement à renforcer leurs croyances idéologiques, mais aussi à en tirer le maximum. Vous ont-ils déjà parlé des interventions qui ont pu les aider à s'affranchir de ce cadre de vie alors qu'ils étaient des militants actifs?
(1220)
    Merci beaucoup.
    De nombreux travaux ont été effectués en vue de déterminer ce qui est nécessaire pour que les gens adhèrent à un groupe extrémiste ou en quittent les rangs.
     Je n'ai aucune donnée à ce sujet pour ce qui est des Three Percenters et des Proud Boys au Canada. En toute franchise, je ne saurais vous répondre quant à la façon dont des Canadiens en sont venus à s'engager dans l'un de ces groupes ou à le quitter. Je ne veux pas prendre plus de temps que nécessaire.
    Merci.
    Je vous remercie.
    Je vais me tourner du côté de M. Morin. J'ai jeté un coup d'œil au site Web de votre chaire UNESCO. On peut notamment y lire que « l'un des enjeux prioritaires réside dans le développement de la recherche, fondée sur des données probantes, et l'échange de connaissances et de bonnes pratiques au niveau national et international. » Selon moi, une grande partie de ces préoccupations peuvent s'appliquer au rôle joué par les médias sociaux pour permettre la propagation de l'idéologie extrémiste et le recrutement de nouveaux membres.
    Lors de notre première séance de la semaine, nous avons reçu des représentants de Facebook et de Twitter. On nous a alors notamment indiqué que les normes de la communauté de Facebook renferment de nombreuses politiques précisant ce qui est autorisé ou non sur les plateformes de l'entreprise. Ils nous ont dit avoir surveillé de près les manifestants d'Ottawa jusqu'à la fin de l'occupation illégale de la ville.
    Il y a toutefois une chose qui ne fait aucun doute. Facebook a permis à Pat King, l'un des principaux organisateurs, de non seulement intensifier sa présence en ligne en gagnant des dizaines de milliers d'adeptes durant le convoi, mais aussi de diffuser en direct des images de lui-même incitant les gens à enfreindre la loi. Cela allait nettement plus loin que ce qui est censé être autorisé sur cette plateforme.
    Les gens de Facebook ont pris le temps de nous expliquer que leur politique cherche à éviter ce genre de choses, mais tout indique que cela ne fonctionne pas. Avez-vous une idée du type d'intervention gouvernementale qui pourrait être nécessaire? Certains ont suggéré la création d'un poste d'ombudsman. Il faut surtout s'inquiéter du fait qu'une action trop sévère à l'endroit des plateformes principales risque de faire en sorte que le phénomène se propage via d'autres sources médiatiques. Pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez?

[Français]

     Merci de votre question, monsieur le député.
    Vous avez tout à fait raison de dire qu'il y a parfois des effets collatéraux. L'idée derrière la réflexion qui est en cours sur la réglementation des réseaux sociaux, c'est de créer des normes de base pour permettre aux plateformes de savoir quelles sont les réglementations auxquelles elles doivent être astreintes, et de contribuer à une standardisation tout en tenant compte des spécificités de chacune de ces plateformes.
    Vous avez donné des exemples très clairs de contenus qui n'ont pas été retirés des plateformes alors qu'ils étaient problématiques. Je ne veux pas trop donner de noms, mais on a vu récemment que Twitter et un certain nombre de plateformes avaient limité les documentaires sur QAnon, alors que ces derniers permettaient de contrer un peu QAnon. Ces plateformes ont limité ces documentaires sous prétexte que, selon leur politique interne, elles ne pouvaient pas en parler et elles devaient limiter la possibilité de diffusion de ce type de contenu. C'est effectivement tout à fait problématique.
    Le Canada en est arrivé à un point où il veut se doter d'une réglementation, et je pense que c'est une excellente chose. Il sera important de mesurer l'efficacité de cette réglementation. Une des avenues que l'on peut emprunter, c'est, comme vous le disiez, la création d'un poste de commissaire à la sûreté numérique au Canada. D'autres pays ont de telles instances, et ce commissaire serait responsable de s'assurer que les plateformes respectent ces obligations.
    Il y a un deuxième élément important, auquel travaille la chaire avec le soutien du ministère de la Sécurité publique du Canada et du Fonds pour la résilience communautaire, et c'est la question de l'évaluation. Cela touche un peu la question précédente que vous posiez à mon collègue en ce qui a trait aux programmes de prévention. Il est fondamental de se doter de mécanismes d'évaluation beaucoup plus rigoureux — le Canada s'en va dans cette direction — pour être en mesure de voir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, notamment dans les programmes de prévention en amont. La prévention primaire, la prévention secondaire et la prévention tertiaire sont toutes très importantes aujourd'hui pour nous permettre de corriger nos pratiques et d'adapter la façon dont nous travaillons tous.
(1225)

[Traduction]

    Merci beaucoup.

[Français]

    Je vous remercie.

[Traduction]

    Merci beaucoup.
    Nous en sommes rendus au second tour de questions avec un temps réduit de moitié pour chaque député.
    Nous commençons avec M. Lloyd.
    Vous avez deux minutes et demie.
    Merci, monsieur le président.
    Ma première question est pour M. Morin.
    Votre expertise à titre de cotitulaire de la chaire en prévention de la radicalisation et de l'extrémisme violents vous permet-elle de conclure que les difficultés économiques pourraient être l'une des causes profondes de la radicalisation et du passage à l'extrémisme violent?
    Diriez-vous que le risque de se retrouver en chômage avec toutes les conséquences négatives qui en découlent peut contribuer de façon significative à la radicalisation?

[Français]

    Oui et non. Les données démontrent que cela dépend du contexte. Parfois, la question du statut socioéconomique est effectivement problématique, mais, la plupart du temps, c'est le sentiment de privation économique qui est en cause. C'est donc moins lié aux revenus en eux-mêmes qu'au fait d'avoir l'impression de ne pas avoir accès à ce à quoi on a droit.
    Prenons en exemple les États‑Unis. Je vais faire un parallèle très important. Quand on regarde qui étaient les gens qui ont pris d'assaut le Capitole, on s'aperçoit que beaucoup d'entre eux se retrouvaient dans des classes moyennes supérieures et ne vivaient pas des situations économiques parmi les plus difficiles.
    En revanche, ils avaient, pour la plupart d'entre eux, un sentiment de privation. Soit on les privait de ce à quoi ils avaient droit, soit ils allaient perdre leurs privilèges de classe moyenne ou de classe supérieure.

[Traduction]

    Merci, monsieur Morin.
    Comme je dispose de peu de temps, je vais poursuivre avec une autre question.
    Je ne voulais surtout pas laisser entendre que les gens se situant plus bas dans l'échelle socioéconomique ou étant moins privilégiés à ce point de vue sont davantage susceptibles de se radicaliser, mais j'apprécie ce que vous nous dites quant à ce sentiment de privation.
    Si quelqu'un profite bien du mode de vie de la classe moyenne au sein d'une bonne famille et d'une communauté tissée serrée, et qu'il est tout à coup privé d'une partie de ces avantages en raison d'un événement comme une perte d'emploi — en supposant que son secteur est contraint à l'inactivité en raison d'une récession ou d'une politique gouvernementale —, ne peut‑il pas ressentir cette impression de privation qui pourrait l'inciter à se radicaliser?

[Français]

    Absolument, monsieur le député.
    On le voit d'ailleurs dans le lien avec la montée de la pensée conspirationniste: il y a une corrélation très claire avec une forme d'anxiété, et celle-ci est notamment due au statut ou à la crainte de perdre un statut socioéconomique.

[Traduction]

    Il vous reste 10 secondes.

[Français]

     Oui, cela peut jouer, mais le processus de radicalisation est, somme toute, une conjonction de facteurs propres à chaque individu.

[Traduction]

    Merci beaucoup.

[Français]

    C'est donc difficile d'en dégager de très grandes tendances ou des facteurs qui sont systématiquement importants.
    Je vous remercie.

[Traduction]

    Merci beaucoup.
    Monsieur Chiang, vous êtes le prochain à pouvoir poser ses questions. Vous avez deux minutes et demie.
    Merci, monsieur le président.
     Je remercie les témoins d'aujourd'hui de leur participation.
    Monsieur Morin, dans votre déclaration préliminaire, vous avez mentionné la perte de confiance et le potentiel de violence. Pouvez-vous nous faire part de vos réflexions sur l'influence de célébrer la diversité culturelle dans la lutte contre la haine et l'extrémisme?
    Quels sont les meilleurs moyens pour le gouvernement fédéral de promouvoir une société plus inclusive qui ne tolère pas la haine et l'extrémisme? Qu'en pensez-vous?

[Français]

    Je vous remercie de cette question, monsieur le député.
    J'ai moi-même participé, à titre de coprésident, à une initiative qui s'appelle Dialogue Plus et qui vise à prévenir la radicalisation et la discrimination dans les sociétés, notamment chez les jeunes et les moins jeunes. Vous posez donc une très bonne question.
    Je pense que célébrer la diversité culturelle est fondamental. Cela dit, malheureusement, ce message n'est souvent pas reçu par les gens qui ne sont pas du tout convaincus des bienfaits de la diversité culturelle. Alors, je pense que, ce qui est important, c'est moins d'en parler que d'agir. Il faudrait créer des occasions de rencontres, sur le terrain, entre les gens issus de la diversité et ceux issus de la majorité culturelle — j'ai toujours un peu de mal avec tous ces termes. Je pense que la solution est de faire des choses ensemble, concrètement, dans le cadre de projets plutôt que de dénoncer systématiquement des grands principes, même si c'est important de les réitérer.
    Il faut donc aller sur le terrain et donner les moyens aux organismes communautaires de faciliter ces rencontres et ces dialogues. On voit souvent qu'en général, c'est ce qui fonctionne le mieux en matière de prévention.
    J'espère avoir répondu à votre question, monsieur le député.
    Je vous remercie.
(1230)

[Traduction]

    Merci, monsieur Morin.
    Ma prochaine question s'adresse à M. Rigato.
    D'après vos recherches, quels moyens les groupes d'extrême droite prennent-ils pour essayer de décrédibiliser les connaissances et l'expertise établies? [Difficultés techniques] ... pourraient être prises pour contrer cette offensive de la droite contre les sources médiatiques établies et de confiance?
    Vous avez 15 secondes pour répondre à cette question.
    Leur principale tactique consiste à discréditer les intervenants, en suggérant qu'ils sont progressistes ou motivés par des desseins politiques.
    Merci beaucoup.
    Madame Larouche, vous avez 90 secondes. Faites‑en le meilleur usage possible.

[Français]

    Cela va passer vite.
    Monsieur Morin, en conclusion, nous avons parlé de l'évolution des mouvements au cours de la dernière décennie. Plus précisément, plusieurs experts ont mentionné que l'extrême droite s'était servie de la pandémie pour avoir une plus grande tribune, communiquer ses messages et gagner en popularité.
    Êtes-vous du même avis? Si oui, comment peut-on tirer profit de cette expérience et l'intégrer à la loi à venir pour contrer la haine en ligne?
    Absolument, madame la députée, je suis du même avis.
    Il y a un consensus là-dessus: l'extrême droite et les mouvements antigouvernementaux ont réussi à s'approprier une partie du monopole de la contestation des mesures sanitaires. L'opposition sur le plan politique ne savait pas trop sur quel pied danser pour ne pas faire de bruit sur le bruit, et il est manifeste que cela a leur été profitable.
    Ils ont réussi à structurer une sorte de mouvement, comme on l'a d'ailleurs vu à Ottawa, et je pense que cela va durer. Notamment, ils ont bien compris comment utiliser leur capacité à lever des fonds de manière spectaculaire.
    Il y a un dernier point sur lequel j'aimerais insister, en réponse également à la question précédente. Il y a une espèce de confusionnisme ambiant, sur lequel il faudrait se pencher de plus en plus. Ce concept est le fait de créer des nouvelles catégories d'analyse, où les oppresseurs essaient de se faire passer pour les opprimés, où l'on essaie de faire en sorte que les choses ne soient plus claires. Le débat à savoir si l'on appartient à l'extrême droite ou non en est un exemple. Je pense que cette espèce de confusion ne sert malheureusement pas la situation.
    Merci, monsieur le président.

[Traduction]

    Merci.
    Je m'excuse. Nous n'avons jamais assez de temps. C'est comme ça. C'est notre réalité.
    Monsieur MacGregor, vous avez vos 90 secondes quand vous êtes prêt.
    Merci, monsieur le président.
    Monsieur Morin, je commencerai par vous.
    Le directeur du SCRS a comparu devant le comité mixte spécial chargé d'examiner la Loi sur les mesures d'urgence. Il a confirmé que l'organisme consacre environ 50 % de son attention et de ses ressources à la violence extrémiste de nature idéologique. Nous savons, compte tenu de ce qui s'est passé à Ottawa en février, que cela a été un échec complet et total, en raison de ce qui en a résulté et du fait que la ville a été occupée pendant près de trois semaines.
    On a reconnu que le SCRS doit en faire plus. Dans les 60 secondes qu'il reste, avez-vous des mesures précises à proposer pour le SCRS? Devrait‑il favoriser des méthodes plus humaines de renseignement et essayer d'avoir plus d'informateurs dans ces groupes, par exemple?
    Avez-vous des recommandations à faire au Comité?

[Français]

     Merci, monsieur le député.
    Je vais être prudent pour ne pas donner de leçon au Service canadien du renseignement de sécurité, mais je suis convaincu qu'il faut réinvestir dans les opérations d'infiltration dans les milieux d'extrême droite. C'est un point important, et je pense aussi qu'il est important d'essayer d'être transparent quant à l'information et aux renseignements qu'on obtient, évidemment selon les contraintes de sécurité nationale.
    Je pense que le fait qu'un comité comme le vôtre se penche sur ces enjeux est une excellente porte d'entrée pour sensibiliser la population à ces enjeux.

[Traduction]

    Vous avez 10 secondes, s'il vous plaît.

[Français]

    Je pense vraiment que l'avenir réside dans ces questions et dans cette façon de faire, c'est-à-dire de sensibiliser nos citoyens.
(1235)

[Traduction]

    Merci beaucoup.
    Monsieur Shipley, vous avez deux minutes et demie ce tour‑ci. Commencez dès que vous êtes prêt.
    Je m'adresserai d'abord à M. Morin, s'il vous plaît.
    Monsieur Morin, dans votre déclaration préliminaire, vous avez mentionné qu'il y a une perte de confiance envers les institutions. Pourriez-vous développer votre pensée? Plus précisément, à quelles institutions faites-vous allusion, et qu'est‑ce qui a créé cette perte?

[Français]

    Merci, monsieur le député.
    Vous le verrez dans le rapport qu'on s'apprête à déposer, il y a un lien très clair, notamment, entre l'adhésion au conspirationnisme et la perte de confiance envers les institutions. Les principales institutions visées sont les institutions politiques et les institutions médiatiques. Il est très évident que, ce que nous avons ici, ce n'est même plus de la méfiance, c'est de la défiance.
    Je pense qu'il y a plusieurs raisons à cela, mais, vu le temps qui m'est imparti, c'est difficile pour moi de les présenter toutes.
    Finalement, la question du dialogue et de la relation entre le citoyen et ses élus est un enjeu majeur. Une espèce de distance s'est créée, et j'ai l'impression qu'une partie des citoyens ne se sentent plus représentés par leurs élus, ce qui est manifestement, à mon avis, un lien de distorsion important dont les groupes extrémistes peuvent tirer profit. C'est pour cela que le rôle des élus est majeur dans la prévention de l'extrémisme violent. Le fait de rebâtir ce lien de confiance et peut-être aussi d'avoir une représentativité sur le plan politique, par exemple en modifiant le mode de scrutin, est un aspect important.
    Il n'y a pas de solution magique ni de recette miracle, mais on pourrait peut-être finalement rétablir des passerelles où certains se sentiraient davantage représentés. Par contre, il y a une mise en garde très importante à donner, à mon avis. Cette discussion et cette conversation sur l'extrémisme ne peuvent pas être de nature partisane. Il est fondamental que les responsables et les élus soient conscients que, parfois, en essayant d'aller chasser sur des terrains dangereux, c'est comme aller se promener avec des allumettes dans un entrepôt de dynamites.
    Il est donc fondamental qu'on puisse avoir des débats sur des sujets compliqués et difficiles comme l'immigration, par exemple, puisque c'est un sujet que l'on débat, mais sans jamais tomber dans ces visions extrémistes. Sinon, si on essaie d'exploiter cette discussion à des fins politiques ou d'instrumentaliser ces débats, nous serons tous collectivement perdants.
    Je pense que cela fait partie notamment des éléments qui semblent importants de garder en tête.

[Traduction]

    Merci beaucoup.
    Monsieur McKinnon, vous nous mènerez à la fin de ce tour et à la pause. Vous avez deux minutes et demie dès que vous êtes prêt.
    Merci, monsieur le président.
    Ma question s'adresse à M. Morin.
    Monsieur Morin, vous avez mentionné dans votre exposé qu'il est essentiel que nous ayons des mécanismes de réglementation robustes pour donner du mordant à nos politiques. Vous venez de mentionner qu'il faut rendre les mécanismes d'évaluation plus robustes. Cela soulève en quelque sorte la question de savoir où nous traçons la limite. Je pense que nous savons tous percevoir l'extrémisme. Nous le reconnaissons quand nous le voyons, mais c'est une évaluation très subjective.
    Comment reconnaître l'ADN fondamental auquel il faut faire attention dans ce type de réglementation? Où faut‑il tracer la limite? Comment faut‑il la tracer?

[Français]

     Merci, monsieur le député.
    À mon avis, le premier élément sur lequel nous pouvons tous nous entendre, c'est qu'il faut s'assurer que ce qui est illégal hors ligne est illégal en ligne. Il y a là déjà tout un pan. Comme vous le savez, cela ne va pas de soi. Un certain nombre d'actes illégaux sont commis en ligne, et il faut beaucoup de temps avant que les auteurs de ces actes soient poursuivis en justice. C'est un premier espace auquel on peut travailler dès aujourd'hui.
    Ensuite, il y a ce qu'on appelle la zone grise. C'est évidemment celle que vous évoquez, à savoir comment reconnaître des propos extrémistes. Le gouvernement du Canada a fait une large consultation publique dans le cadre de laquelle des organismes, notamment ceux qui représentent des communautés racisées, ont émis leurs préoccupations. Ils ont dit avoir très peur que leurs discours tombent dans le filet de la régulation et ne soient plus entendus. Ici, il nous faudra utiliser la méthode essai-erreur. Il n'y aura pas de réglementation parfaite. Le plus important, selon moi, c'est qu'il y ait des mécanismes de transparence. Les plateformes doivent être capables de dire ce qu'elles ont fait et comment elles l'ont fait. De plus, les gens dont le contenu a été retiré ou supprimé, ou les gens à qui l’on a retiré des comptes, doivent surtout avoir accès à des mécanismes de plaintes et de recours. On doit mettre en place des suivis relatifs à ces recours.
    Je me reporte maintenant à la question précédente. La confiance passe aussi beaucoup par la transparence. Personne n'est parfait et personne ne s'attend à avoir une réglementation parfaite. Cette réglementation va évoluer au fil du temps, mais, à l'heure actuelle, le statu quo n'est plus tenable.
    Voilà ce sur quoi j'insisterais beaucoup, monsieur le député.
    Je vous remercie.
(1240)

[Traduction]

    Merci.
    Chers collègues, c'est ici que se terminent la deuxième série de questions et le temps alloué à ce groupe.
    Je tiens à m'excuser auprès des témoins de cette petite séance écourtée. C'est notre réalité. Nous avons également commencé en retard, ce qui est aussi souvent notre réalité.
    Vous avez fait preuve d'une grande sagesse et avez su exprimer des questions difficiles de façon articulée. Au nom du Comité et de tous les députés, je vous remercie beaucoup de votre présence parmi nous ce matin.
    Chers collègues, nous allons maintenant faire une très courte pause afin de procéder à des vérifications de son avant d'accueillir le prochain groupe. Nous serons de retour dans un maximum de cinq minutes.
    Merci.
(1240)

(1245)
    Chers collègues, nous sommes prêts à reprendre la séance, veuillez vous asseoir.
    Étant donné les contraintes de temps, chers collègues, nous demanderons à nos témoins de prendre cinq minutes pour leurs déclarations préliminaires, après quoi nous ferons un tour complet pour que chaque parti ait la chance de poser une pleine série de questions. C'est tout le temps que nous aurons, étant donné les retards à la Chambre des communes, pour la séance et le vote.
    Nous accueillons parmi nous, pour cette deuxième heure, trois témoins qui comparaissent à titre personnel. Mme Carmen Celestini est boursière postdoctorale, elle participe au projet sur la désinformation de l'École de communications de l'Université Simon Fraser. Mme Diana Inkpen est professeure à l'École de science informatique et génie électrique de l'Université d'Ottawa. Elle est ici en personne. Nous accueillons également M. Christian Leuprecht, professeur au Collège militaire royal du Canada et à la Queen's University.
     J'invite maintenant Mme Celestini à nous présenter son exposé de cinq minutes.
    La parole est à vous.
    Je remercie le président et le Comité de nous fournir l'occasion de discuter de cet important sujet.
    Mes recherches portent sur le croisement entre les systèmes de croyances de la pensée religieuse apocalyptique et les théories du complot, ainsi que sur l'influence de ces croyances sur les mouvements sociopolitiques et dans les courants extrémistes. On a beaucoup mis l'accent ces derniers temps sur le rôle de la désinformation et de la mésinformation dans la montée de l'extrémisme, tandis que le rôle des théories du complot et de leurs adeptes a été ignoré, moqué et considéré comme marginal, sans effet sur la société ou la politique. Or elles jouent en réalité un rôle central dans les mouvements sociopolitiques et dans la propagation de l'extrémisme.
    QAnon est passé du monde virtuel à la violence dans le monde réel et constitue dorénavant un phénomène mondial. Le conspirationnisme se propage principalement par les plateformes de médias sociaux. Les théories du complot de QAnon ne se limitent pas à une zone géographique, on en trouve des adeptes dans le monde entier, y compris au Canada.
    Selon les recherches actuelles, la radicalisation et la violence ont de nombreux points en commun avec le conspirationnisme et les théories auxquelles ses adeptes croient. Les théories du complot n'ont peut-être pas un effet radicalisant de masse, mais elles sont efficaces pour accroître la polarisation dans la société. Elles créent une séparation entre les ennemis et les convertis qui connaissent la vérité, qui accordent la priorité à leur propre connaissance de la vérité, à leur moralité et, surtout, à leur rôle de héros sociaux qui sauveront le monde. Le conspirationnisme est efficace lorsque les personnes et les groupes pour qui la politique est inaccessible interprètent la politique à travers le prisme du complot. Cette inaccessibilité fait de la politique quelque chose d'impénétrable ou de secret.
    Bien que les théories du complot soient erronées et puissent sembler simplistes dans leur présentation des réponses, elles peuvent découler d'un problème qui mérite qu'on s'y attarde et qu'on en discute. Bien qu'elles soient souvent dépeintes comme étant fondées sur le statut socio-économique et l'éducation, elles expriment un sentiment d'injustice, ainsi que des peurs, réelles et imaginaires, qui sont ensuite propagées et génèrent des mouvements sociaux. Le conspirationnisme peut apporter à ses adeptes des réponses aux problèmes, quand la société dans son ensemble ou le filet de sécurité sociale ne le font pas.
    Ceux qui se sentent brimés chercheront les personnes qui les comprennent ou ressentent la même chose, puis créeront une communauté ou un groupe social de gens partageant les mêmes idées. Quand les gens commencent à prendre les théories du complot au sérieux, leur confiance envers les institutions du pays s'érode du même coup. Pour le conspirationniste, le complot est évident au sein des institutions: les universités, les gouvernements, les banques et les médias. Comme ces institutions ne sont pas dignes de confiance, il se tournera vers les idées et les groupes condamnés par ces mêmes institutions.
    Toutes les théories du complot ne mènent pas à la radicalisation ni à l'action politique ou à la mobilisation. Ces théories constituent un canal pour l'expression et la représentation symbolique des peurs de l'extrême droite. Pour définir l'« extrême droite » et l'utilisation de la peur et de la conspiration pour susciter une mobilisation, il convient de reconnaître des points communs importants. La justification commune est de rendre la nation plus ethniquement homogène et d'exiger un retour à des valeurs plus traditionnelles. Les personnes au pouvoir et les institutions nationales sont définies comme étant sous le contrôle d'élites qui font passer la mondialisation avant la nation. Les élites et les puissants sont décrits par l'extrême droite comme faisant passer leurs intérêts personnels avant ceux des personnes qu'ils représentent.
    Cette notion de peur contribue beaucoup à donner de la force aux théories du complot, qui peuvent fournir des réponses ou des justifications à la manifestation de ces peurs. Les théories du complot, conjuguées à la politique, à la religion et au racisme, justifient ainsi la mobilisation et l'activisme politiques et mènent, dans certains cas, jusqu'à la violence.
    Le populisme politique et le conspirationnisme sont généralement liés. La forme la plus répandue dans l'extrême droite en est le conspirationnisme d'improvisation, lequel ne peut exister que lorsqu'il existe des sous-cultures importantes. Le conspirationnisme d'improvisation apparaît principalement en période de crise et se fonde sur des croyances religieuses hétérodoxes, ésotériques et occultes, les sciences alternatives et les politiques radicales. Il exerce un pouvoir et une influence puissants sur la politique d'un pays. Ce qui rassemble ces diverses idées, comme les sciences alternatives et la religion hétérodoxe, c'est la connaissance stigmatisée, c'est‑à‑dire la croyance que des forces secrètes et cachées contrôlent les destinées humaines.
(1250)
    Les théories du complot permettent de définir les attributs d'un patriote ou d'un héros social pouvant sauver le pays de l'ennemi, qu'il vienne de l'intérieur du pays ou de l'étranger. Elles définissent également les caractéristiques identitaires de l'ennemi, selon la religion, la race, la culture ou l'allégeance politique, entre autres. Leurs messages racistes bien ancrés dans le courant politique dominant leur permettent de créer et de produire la peur.
    Il vous reste 10 secondes, s'il vous plaît.
    Merci.
    Cette peur est une menace culturelle et peut conduire à l'hostilité. Les théories du complot sont souvent...
    Merci. Je suis désolé, mais nous n'avons plus de temps.
    Très bien.
    Je suis désolé, mais nous devons respecter strictement les limites de temps. Sinon, nous perdrons le contrôle du temps à notre disposition.
    Madame Inkpen, vous êtes la suivante. Vous avez cinq minutes pour une déclaration préliminaire, s'il vous plaît, dès que vous êtes prête.
    Je m'appelle Diana Inkpen. Je suis professeure d'informatique à l'Université d'Ottawa. Mes domaines de recherches sont l'intelligence artificielle, le traitement du langage naturel, l'apprentissage automatique et plus particulièrement, le traitement des textes dans les médias sociaux. Je vous présenterai un peu de ce que je sais du point de vue de l'informatique. Je ne sais pas si ce sera d'une grande utilité pour ce comité.
    Dans le cadre de nos recherches, nous examinons des messages isolés ou des groupes de messages de certains utilisateurs. Il est plus facile, selon nos méthodes, d'analyser plus d'un message à la fois. Cela fait plus d'informations pour analyser le texte.
    J'ai étudié des messages de cyberintimidation dans le but de mieux protéger les enfants lorsqu'ils sont en ligne ou de détecter les signes de problèmes de santé mentale ou d'idées suicidaires. Il existe des indicateurs de discours haineux que nous utilisons dans le cadre de petits projets. Je n'ai pas étudié les messages extrémistes en particulier, mais je pense que les mêmes types de méthodes, d'outils d'IA pourraient être utilisés dans ce contexte.
    La plupart du temps, nous devons, avec les méthodes automatisées et les classificateurs, repérer les mots et les phrases associés à certains sujets et à certaines émotions très fortes et négatives, par exemple. Le plus souvent, les outils apprennent des données. En plus de classifier un texte, un ensemble de messages ou le profil d'un utilisateur, nous pouvons résumer des textes. Nous pouvons observer d'autres choses du genre aussi. Nous pouvons repérer les robots et les faux comptes, parce qu'ils emploient un langage et ont des comportements différents de ceux des humains.
    Ce qui me préoccupe le plus, c'est la précision de ce type d'outils. Nous travaillons en informatique pour en améliorer la précision grâce aux dernières méthodes d'apprentissage profond.
    La précision est toujours la préoccupation des informaticiens. Ces outils ne sont pas parfaits. À mon avis, il faudra toujours une intervention humaine, non seulement pour utiliser ces outils avec un peu de jugement, mais aussi pour essayer de comprendre pourquoi la machine recommande telle ou telle chose. Nous travaillons à créer des classificateurs en langage explicable, entre autres, même si c'est un domaine de recherche très..., il n'est donc pas facile d'obtenir une explication.
    Outre la précision, bien sûr, il est très important d'utiliser tout outil d'IA de façon très éthique. Je sais que le gouvernement est en train de mettre en place une réglementation sur l'utilisation des outils d'IA. C'est ce qui m'intéresse le plus, la justesse des décisions et leur caractère explicable.
    Je pense aux événements récents — les manifestations, le convoi des camionneurs. Peut-être que ces utilisateurs étaient connus des autorités compétentes. Leurs comptes pourraient être surveillés automatiquement pour détecter des messages extrémistes très spécifiques. Si quelqu'un, un utilisateur inconnu, prépare un crime haineux, il publiera probablement des messages pertinents qui pourraient être détectés, et des avertissements pourraient être lancés, etc.
    Pour conclure, je tiens à dire que les outils d'IA pourraient être utiles pour détecter l'extrémisme et les idéologies dangereuses, mais seulement s'ils sont bien adaptés pour avoir une grande précision et s'ils sont utilisés avec soin, sur le plan éthique, par les autorités compétentes.
    Je vous remercie.
(1255)
    Merci beaucoup.
    Maintenant, j'invite M. Christian Leuprecht à nous présenter une déclaration préliminaire de cinq minutes maximum.
    Vous avez la parole.

[Français]

     Je vous remercie de m'avoir invité à comparaître devant vous aujourd'hui.
    C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions dans les deux langues officielles, mais je vais faire mon allocution en anglais.

[Traduction]

    Bien que l'extrémisme violent demeure un phénomène marginal au Canada, les situations découlant de l'extrémisme violent à caractère idéologique attirent beaucoup l'attention du public, elles mènent à divers engagements politiques et fournissent l'occasion, comme par les réunions de ce comité, de faire avancer certaines politiques. Cela coûte cher de détecter et de freiner l'extrémisme violent à caractère idéologique, et ces coûts sont démesurés par rapport aux avantages.
    D'autres menaces, comme les cybermenaces, l'ingérence étrangère et l'espionnage étranger, ont des conséquences bien plus lourdes pour la sécurité, la prospérité et la démocratie du Canada, mais sont difficiles à quantifier publiquement en l'absence de pertes humaines. Si l'on pouvait le faire mieux et plus systématiquement, il serait beaucoup plus avantageux du point de vue de la sécurité publique de rééquilibrer le poids de la sécurité nationale du Canada par rapport au maintien de l'ordre en mettant davantage l'accent sur la cybercriminalité, le crime organisé, le blanchiment d'argent et la protection des Canadiens contre les acteurs malveillants étrangers, etc. On priverait ainsi l'extrémisme violent à caractère idéologique de ressources et de catalyseurs bien mieux qu'à l'heure actuelle, puisque notre façon de faire actuelle ne semble pas particulièrement efficace ni efficiente.
    Qui est susceptible de sympathiser avec l'extrémisme violent à caractère idéologique, de lui apporter un soutien matériel ou de s'y adonner, et pourquoi? Voilà deux des questions de sécurité les plus pressantes de tous les temps. Concrètement, il est difficile de répondre à cette question étant donné le petit nombre de personnes qui entrent dans cette catégorie, d'une part, et parce que la grande majorité des personnes se trouvant dans des circonstances comparables font preuve d'une résistance farouche à la radicalisation, d'autre part.
    Il faut faire la distinction entre l'extrémisme violent motivé par l'idéologie et la violence extrémiste motivée par l'idéologie. Le premier caractérise la rhétorique, le second l'action. On peut se les représenter comme deux pyramides. Au sommet se trouvent ceux qui se sentent investis d'une obligation personnelle et morale, ils sont suivis de ceux qui justifient le discours et, en dessous, se trouvent ceux qui y sont sympathiques. Dans la pyramide de l'action, les terroristes se situent au sommet, les radicaux les soutiennent et en dessous, il y a les sympathisants militants.
    Lors de son témoignage devant le Comité, le 12 mai 2021, Tim Hahlweg du SCRS a utilisé une analogie comparable lorsqu'il a parlé de trois niveaux: l'engagement passif, l'engagement actif et la mobilisation de la violence. Le surintendant principal Duheme s'est dit gravement préoccupé par les opinions extrémistes qui sont d'abord nourries en ligne, par exemple, puis qui peuvent mener à de la violence physique réelle. Cependant, M. Hahlweg a été beaucoup plus nuancé en reconnaissant qu'il n'y a ni courroie de transmission directe ni lien de cause à effet entre les deux.
    En fait, la relation entre la rhétorique et l'action est indéterminée. Peu de personnes dans la pyramide rhétorique passent à l'action, et l'action n'est pas nécessairement motivée par une croyance véhiculée dans le discours. L'idéologie n'est qu'un des 12 micro‑, méso‑ et macromécanismes qui conduisent à la radicalisation. L'idéologie n'est ni une condition nécessaire ni une condition suffisante pour mener à l'action radicale. En d'autres termes, l'idéologie ne cause pas l'action extrémiste, et de nombreux incidents de violence extrémiste ne sont pas nécessairement motivés par l'idéologie. Lorsque l'idéologie est présente, elle s'avère être une justification de l'action extrémiste et de la violence que les gens avaient déjà l'intention de commettre de toute façon. Bref, des décennies de données psychologiques confirment que ce que les gens disent est un mauvais prédicteur de ce qu'ils feront réellement.
    En matière de politiques, ce n'est pas du tout la même chose d'essayer de changer un discours comme l'extrémisme violent à caractère idéologique ou de lutter contre lui que d'empêcher les gens de commettre des actes de violence ou des actions extrémistes. Les chiffres mentionnés montrent que la violence extrémiste au Canada, aussi problématique soit-elle, reste un phénomène rare et isolé. Le SCRS, le CSTC et le CPSNR le reconnaissent dans leur rapport annuel, qui met en lumière d'autres enjeux aussi, comme la cybersécurité. Toutefois, ces enjeux suscitent moins les passions sur le plan politique que l'extrémisme violent à caractère idéologique.
    De même, la sympathie à l'égard de la violence ou de l'illégalité — c'est‑à‑dire le problème de la radicalisation de masse — n'est pas répandue au Canada dans quelque communauté que ce soit, contrairement à ce qu'on peut observer dans certains sous-groupes dans les pays européens, par exemple, et probablement aussi aux États-Unis. Comme l'a confirmé le surintendant principal Duheme lors de son témoignage:
Les auteurs de la menace les plus courants que nous voyons sont des individus sans affiliation claire à un groupe, qui sont motivés par des idéologies très personnalisées et nuancées qui amènent les individus à inciter à la violence ou à se mobiliser en faveur de la violence.
     Il a poursuivi en évoquant la « nature de plus en plus individualisée et sans leader de ce contexte de menace », tandis que M. Hahlweg a confirmé qu'« aucune idéologie commune ne lie ces groupes entre eux ».
(1300)
     En d'autres termes, tant l'extrémisme violent que la violence et l'action extrémistes sont des phénomènes marginaux au Canada que nous pouvons, je pense, raisonnablement bien contenir.
    Merci beaucoup.
    Chers collègues, nous n'aurons de temps que pour une série complète de questions.
    Nous commencerons par M. Lloyd, qui disposera de six minutes. Commencez dès que vous êtes prêt, monsieur.
    Merci, monsieur le président.
    Je m'adresserai d'abord à M. Leuprecht. Vous nous avez présenté un témoignage très intéressant.
    Pendant la discussion précédente avec M. Morin, j'ai exploré le concept de la privation — c'est le terme qu'il a utilisé — et l'idée que l'une des causes profondes de l'extrémisme violent à caractère idéologique, c'est que les gens sont privés ou ont peur d'être privés de quelque chose. J'ai utilisé l'exemple du chômage.
    Êtes-vous d'accord avec l'évaluation de M. Morin selon laquelle il s'agit d'une des causes profondes de la radicalisation?
    Quand vous dites « privation », parlez-vous de privation matérielle? Je veux juste clarifier ce que vous entendez par privation.
    Le chômage en est un exemple que j'ai utilisé.
    Je pense que le défi avec la privation, c'est qu'elle est l'explication fourre-tout à pratiquement tous les maux de la société. Je pense que oui, la privation est une variable importante qui entre en ligne de compte, mais évidemment, il y a beaucoup de personnes qui souffrent de privation matérielle ou autre dans notre société qui ne nourrissent pas de pensées extrémistes pour autant et qui ne s'engagent pas dans des actions extrémistes.
    Bien sûr, monsieur Leuprecht.
    Seriez-vous d'accord pour dire que lorsque vous identifiez de rares cas de personnes qui sont extrémistes, il y a quelque chose de lié à la privation, à une perte matérielle, qui pourrait être un facteur de motivation?
    Si l'on regarde l'assaut contre le Congrès américain le 6 janvier et qu'on analyse qui sont les personnes qui y ont participé, il s'avère que beaucoup d'entre elles appartenaient à la classe moyenne. Beaucoup ne souffraient pas de privation. Oui, bien qu'il s'agisse d'une variable qui entre en ligne de compte et qui, selon moi, peut conduire à l'extrémisme, ce serait une erreur de la considérer comme une variable causale.
    Ce qui m'inquiète, c'est que cela nous pousse à mettre en place des politiques de dépenses massives pour atténuer d'une manière ou d'une autre les pensées extrémistes violentes. Je ne suis pas sûr qu'on y remédierait nécessairement en sortant les gens de la privation ni que cela changerait quoi que ce soit aux opinions répréhensibles, voire extrémistes, de nombreuses personnes de la classe moyenne, comme je le disais.
    Je vous remercie de cette explication.
    Pour revenir à ce que disait M. Morin, dans l'exemple du 6 janvier que j'ai donné, beaucoup de personnes appartenaient à la classe moyenne. Il a fait remarquer que beaucoup de ces personnes craignaient la privation ou craignaient que leur niveau de vie ou leur position dans la société ne soit affecté.
    Seriez-vous d'accord pour dire que leur peur de la privation pourrait également être une variable contributive?
    Il est certain que la perception joue un rôle énorme chaque fois que quelqu'un acquiert des opinions extrémistes ou sympathise avec elles, sans parler des actions extrémistes. C'est assurément l'un des défis des 20 dernières années, je pense.
    De nombreuses personnes de la classe moyenne craignent de perdre certains de leurs privilèges. Je pense qu'il est important que le gouvernement rassure le public sur le fait que nos politiques sont équitables et visent non seulement à préserver les emplois et le statut social des personnes qui en bénéficient, mais aussi à assurer la mobilité sociale des personnes qui cherchent à s'élever.
    Vous avez dit que la grande majorité des gens au Canada sont très résistants à l'extrémisme et à la radicalisation.
    Seriez-vous d'accord pour dire que cette résilience découle en partie de facteurs tels que la réussite économique, la prospérité relative, des liens communautaires et familiaux solides? Diriez-vous que ces facteurs contribuent à une forte résilience à l'extrémisme?
(1305)
    Le Canada est une exception intéressante par rapport à des pays comme la France, le Royaume-Uni et même les États-Unis, en ce sens que nous n'avons pas de problème de radicalisation massive en soi au sein d'une communauté identifiable particulière.
     Je pense qu'il est important pour le Canada de nous demander ce que nous faisons de bien. S'il y a une chose que je pense que nous faisons bien, c'est de faire sentir à tous les Canadiens qu'ils font partie de nos communautés politiques grâce aux politiques de citoyenneté sociale et aux autres politiques que nous avons mises en place, qui permettent à chacun de participer équitablement à la propriété dans nos sociétés.
    On parle d'élimination progressive des industries traditionnelles, mais dans ma région, on a assisté à l'élimination accélérée du charbon. Le gouvernement a assuré une transition équitable en y consacrant des fonds. Vous ne le savez peut-être pas, mais la vérificatrice générale a déclaré hier que le gouvernement n'a, au contraire, absolument pas assuré une transition équitable aux travailleurs du charbon qui ont perdu leur emploi à cause des politiques du gouvernement.
    S'il élimine progressivement ces industries, fait perdre leurs emplois aux gens et s'expose à toutes les conséquences qui en découlent, mais sans parvenir à fournir une sorte d'avenue à ces gens pour qu'ils puissent prospérer économiquement à nouveau, pensez-vous que cela pourrait contribuer à une certaine radicalisation?
    Je ne suis pas sûr que cela contribue nécessairement à la radicalisation, mais cela contribue sûrement à ce que certaines personnes adoptent des vues plus nationalistes de protectionnisme économique. C'est ce que les données électorales sur ce genre de groupes en Europe continentale portent à croire. Si nous voulons éviter un basculement à droite de certains groupes électoraux, nous serons assurément bien servis par des politiques économiques équitables dans les circonstances que vous avez décrites.
    Je vous remercie.
    Monsieur Sarai, bienvenue au Comité. C'est toujours un plaisir de vous voir, et nous sommes heureux de vous voir autour de la table avec nous ce matin.
    Vous avez droit à un bloc de questions de six minutes quand vous êtes prêt.
    Merci, monsieur le président. C'est toujours un plaisir d'être là. C'est la première fois que je participe à une réunion du Comité sous votre présidence, donc j'en suis ravi.
    C'est un sujet qui m'intéresse beaucoup. Je trouve qu'il est très comparable à ce que j'observe avec la violence des gangs sud-asiatiques à Vancouver, où l'on mise sur la prévention, l'intervention et ensuite l'application de la loi.
    M. Leuprecht a dit très clairement que pour l'application de la loi, notre gouvernement semble faire du bon travail, surtout le SCRS, le CSTC et la GRC, pour que le problème ne dégénère pas jusqu'à la violence. Ce qui me préoccupe, c'est que même un petit groupe peut finir par influencer beaucoup de choses et que bien des différences apparaissent sous l'effet des algorithmes.
    Ma question s'adresse à Mme Celestini de la SFU. Je vous souhaite la bienvenue de mon coin de pays.
    Comment peut‑on régler les algorithmes des médias sociaux de façon à les empêcher de contribuer à des mouvements d'extrémisme violent à caractère idéologique? Ce que nous constatons, c'est qu'il suffit que les gens cliquent une fois sur une chose — ils peuvent avoir une question — pour être bombardés à répétition par une théorie ou des idéologies extrêmes.
    Au départ, ils se demandaient peut-être simplement si une chose était vraie, mais ils reçoivent tellement d'informations sur le même sujet ensuite qu'ils commencent à croire que c'est vrai. Je suis plus préoccupé par la multitude de personnes qui se laissent influencer que par celles qui sont déjà endurcies et extrémistes.
    Mme Celestini est-elle toujours là?
    Je pense que nous avons un problème technique.
    Je peux peut-être adresser cette question à Mme Inkpen, compte tenu de ses connaissances en informatique.
    Vous voulez dire que si quelqu'un fait une recherche sur une chose, il obtiendra plus d'information sur cette chose? Il y a un algorithme qui calcule la similarité entre une recherche et la suivante. C'est généralement utile parce qu'on cherche des informations sur un sujet XYZ, et on en trouve. On l'utilise également pour la publicité, afin d'essayer de faire correspondre le contenu avec ce qui intéresse une personne, pour éviter de lui proposer des publicités totalement hors sujet.
    Vous avez raison. Si l'on cherche de mauvaises choses, cela peut nous exposer à plus de mauvaises choses. C'est difficile à maîtriser. Il pourrait y avoir une sorte de mesure de la négativité, je suppose.
    Autrefois, on allait voir son bibliothécaire, on lui demandait de l'aide, et le bibliothécaire nous donnait tous les livres possibles sur le sujet: le bon, le mauvais et le laid. Comme vous le dites, un algorithme est conçu pour capter l'attention plus longtemps.
    Nous avons vu, avec le témoignage de Facebook — ou d'une ancienne employée — devant le Congrès des États-Unis que même si les dirigeants de l'entreprise savent qu'ils causent du tort, ils veulent garder les gens présents sur la plateforme plus longtemps, afin de pouvoir leur envoyer plus de publicités, mais ils ne leur présentent pas une perspective équilibrée. Il n'est pas écrit: « Voici une théorie conspirationniste. C'est un point de vue. Voici l'autre. » On ne vous présente pas tout sur le sujet. On ne vous présente que ce qui vous fera rester plus longtemps sur la plateforme.
    Ne pensez-vous pas que ce devrait être réévalué et que certaines mesures devraient être mises en place?
(1310)
    Facebook et les autres ont leur façon de surveiller tout cela, mais cela ne fonctionne pas très bien.
    Il pourrait y avoir une mesure de la diversité dans les résultats obtenus. Les systèmes de recommandation pourraient présenter à une personne plusieurs choses susceptibles de l'intéresser, mais dans le respect de la diversité. Ils pourraient lui présenter plus de perspectives et plus de choses différentes, peut-être moins liées mais plus diversifiées, et ne pas les classer trop bas. Les recommandations des systèmes pourraient être plus diversifiées, ne pas proposer qu'un seul type de choses, même si une personne ne s'intéresse qu'à cela. Cela pourrait même garder une personne plus longtemps sur la plateforme, parce que l'utilisateur pourrait trouver quelque chose d'autre qu'il ne savait pas qu'il pourrait trouver intéressant.
    Êtes-vous en train de dire que ce pourrait être utile, mais que ce pourrait aussi être nuisible, ou bien qu'il serait plus sage de privilégier cette mesure plutôt que d'être bombardé par le même contenu encore et encore?
    Je dis simplement qu'ils pourraient mieux concevoir les systèmes pour proposer des choses similaires, mais avec une perspective plus large, pour obtenir une similarité de contenu admettant des choses qui ne sont pas totalement similaires, mais liées, selon différents points de vue. Il pourrait y avoir moyen d'évaluer automatiquement les points de vue et de les présenter à l'utilisateur.
    Mais il faudrait approfondir les recherches pour cela. Les outils pour ce faire ne sont pas facilement accessibles.
    Merci, madame Inkpen.
    Monsieur Leuprecht, vous avez vu et suivi en Europe, en France et dans d'autres pays la montée de l'extrémisme. Peut‑on en attribuer une partie aux algorithmes et à la façon dont les médias sociaux inondent l'utilisateur d'informations, sur la base d'une recherche, afin de capter son attention — non pas pour lui présenter toutes les perspectives, mais plutôt pour le garder présent, afin de l'exposer à plus de publicités et de gagner plus d'argent?
    C'est contestable. Le mouvement des gilets jaunes en France a été directement provoqué par le fait que Facebook a modifié son algorithme après des plaintes selon lesquelles les points de vue locaux et les médias locaux n'étaient pas suffisamment pris en compte. Facebook a en quelque sorte mis en garde contre le fait de « faire attention à ce que l'on souhaite », et le résultat, c'est que les opinions locales ont obtenu une attention disproportionnée, ce qui a alimenté certains des griefs locaux, et c'est ce que les gens ont fini par voir.
    Tout cela pour dire que vous avez tout à fait raison. L'algorithme en place peut avoir des conséquences politiques très réelles sur la stabilité de nos sociétés.
    Avez-vous vu des pays ou des régions...
    Vous n'avez que cinq secondes.
    ... qui ont pris de bonnes mesures pour contrôler ou réglementer cela dans les médias sociaux?
    Nous pourrons peut-être obtenir une réponse écrite...
    Il y a une loi en Allemagne qui prescrit qu'une quantité importante de contenu soit retirée de façon proactive par les entreprises de médias sociaux.
    Merci beaucoup.
     Je cède la parole à Mme Larouche pour six minutes.
    Allez‑y quand vous êtes prête.

[Français]

     Je remercie énormément les trois témoins de leurs remarques très intéressantes.
    Ma première question s'adresse à M. Leuprecht.
    Monsieur Leuprecht, à la suite des manifestations du « convoi de la liberté », à Ottawa, que les autorités qui étaient en place ont mal saisi la puissance des idéologies contestataires, la capacité des contestataires à s'organiser et leurs objectifs.
    Croyez-vous que nous avons eu un portrait juste de la portée de ces groupes sur la société canadienne?
    À quel point est-ce important d'avoir un meilleur portrait de la situation quant à ces mouvements, afin d'être en mesure de prévenir certaines manifestations plus violentes ou la montée de l'extrémisme?
    Selon vous, quelle est l'importance de retenir ce convoi et ce qui s'est passé lors des manifestations qui ont eu lieu à Ottawa?
    Madame la députée, il s'agit d'une excellente question.
    Je crois que le témoignage du directeur du SCRS a validé, jusqu'à un certain point, le fait que, pendant une vingtaine d'années, on a largement focalisé l'attention sur des aspects du terrorisme, de la violence et de l'extrémisme religieux. On a donc perdu de vue le fait qu'il y a une vaste gamme d'idéologies extrémistes qui posent des défis pour notre société.
     Il me semble que le SCRS a indiqué qu'on a maintenant recalibré la focalisation sur les différents groupes. Dans notre dispositif de sécurité nationale, on a sous-estimé l'idéologie d'extrémisme qui surgit au Canada, outre l'extrémisme violent religieux.
(1315)
    J'essaie de trouver des solutions concrètes à la préparation en vue de ce genre de manifestation. Dans votre allocution d'ouverture, vous avez aussi parlé du blanchiment d'argent.
    En quelques phrases, pouvez-vous nous en dire un peu plus à cet égard? Jusqu'à quel point cela donne-t-il aux groupes les ressources dont ils ont besoin?
    La situation à Ottawa a démontré que notre structure et notre dispositif de sécurité nationale ne sont simplement pas alignés sur les menaces auxquelles on fait face au XXIe siècle, non seulement sur le plan des enjeux de l'idéologie extrémiste, mais aussi sur le plan du blanchiment d'argent et ainsi de suite.
    Il nous faut une réforme plus importante et un aperçu critique plus large de notre dispositif de sécurité nationale. Plutôt que d'avoir une commission royale qui mènera une vaste enquête sur ce qui s'est passé à Ottawa, on préfère éviter les discussions controversées. Il semble qu'il n'y ait pas d'intérêt à réformer notre système, en dépit du fait que ce que l'on a vu à Ottawa ait été le plus grand défi des dernières décennies en lien avec notre système de sécurité nationale.
    D'accord. Merci beaucoup, monsieur Leuprecht.
    Ma prochaine question s'adresse à Mme Inkpen.
    Toujours dans le but de retenir des leçons de ce qui s'est passé lors des événements du « convoi de la liberté », du convoi des camionneurs, vous avez dit qu'il faudrait être plus à l'affût pour avoir un meilleur portrait de la situation, et pour prévenir d'autres incidents à l'avenir. Vous avez parlé de comptes surveillés et d'alertes qui auraient pu être lancées.
    Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce qui aurait pu être fait et sur les leçons qu'on doit retenir pour mieux prévenir d'autres événements de la sorte?
    Nous pourrions séparer des autres les messages qu'on peut qualifier d'extrémistes, tout en mesurant le degré d'intensité des émotions négatives qui ressortent de ces messages. Si certains messages s'avèrent trop intenses, une personne pourrait les vérifier manuellement. Comme une seule personne ne peut arriver à lire tous les messages, cela pourrait l'aider à se concentrer seulement sur les messages les plus problématiques.
    Merci.
    Ainsi, le fait d'avoir un meilleur portrait des auteurs de ces messages et de cette radicalisation pourrait nous aider.
    Je veux revenir à la question qui a été abordée précédemment à propos des algorithmes et des réseaux sociaux. J'aimerais parler d'un événement de l'actualité, soit le rachat de Twitter par M. Musk, qui a soulevé l'idée de rendre public l'algorithme de Twitter.
    Selon vous, quel pourrait être l'effet sur la diffusion de contenus haineux le fait d'avoir l'algorithme de Twitter en code source ouvert?
    Est-ce un aspect de l'actualité sur lequel vous vous êtes penchée? Avez-vous eu l'occasion de regarder cela?
    Je vais répondre en anglais.

[Traduction]

    Que le code source soit ouvert est une bonne idée. Tout dépend du type d'algorithme. Il est important de connaître l'algorithme. Un algorithme fondé sur l'apprentissage automatique aura des données d'entraînement. Les données d'entraînement ne seront pas en source ouverte, elles sont trop volumineuses et complexes.
    C'est une bonne idée de favoriser les sources ouvertes, mais au‑delà de cela, il faut avoir une idée de ce que font les algorithmes pour expliquer les décisions. Il faut privilégier davantage les algorithmes explicables, et c'est non seulement leur fonctionnement et leur nature qui doivent être explicables, mais ce qu'ils apprennent. Le modèle lui-même pourrait être inspecté. Bien sûr, seuls des spécialistes seraient en mesure de le comprendre, mais il faut tout de même être aussi transparent que possible sur les types d'algorithmes utilisés.
    La question du code source ouvert est complexe. Les entreprises n'aiment pas toujours cela, car elles veulent gagner de l'argent avec ces algorithmes. Il y a un équilibre à trouver.
    Merci beaucoup.
    Monsieur MacGregor, je vous donne la parole pour la dernière série de questions posées à ce groupe de témoins.
    Quand vous êtes prêt, monsieur, la parole est à vous.
    Merci, monsieur le président.
    Madame Celestini, j'aimerais m'adresser d'abord à vous. Je vous remercie de votre témoignage sur les théories conspirationnistes et toutes vos recherches à ce sujet. Je peux très bien comprendre. Je pense que tous les députés le peuvent.
    Pour vous donner un exemple, au cours des dernières années, j'ai essayé de contester la théorie conspirationniste des traînées de produits chimiques. On fait de son mieux pour fournir des informations factuelles aux gens qui évoquent ces théories du complot. Le problème, c'est que nous savons que les contenus émotionnellement provocateurs qui renforcent ce que quelqu'un croit déjà semblent presque toujours l'emporter sur les informations factuelles. J'ai fait de mon mieux pour fournir tous les faits, j'ai même envoyé des liens vers des documents scientifiques sur les causes des traînées de condensation et leur existence dans certaines conditions atmosphériques, mais cela n'a pas convaincu les gens.
    Qu'en pensez-vous? Comment pouvons-nous faire en sorte qu'il y ait de nouveau espoir, au Canada, que les informations factuelles puissent l'emporter lorsqu'elles sont confrontées à un contenu émotionnellement provocateur? Avez-vous des idées à ce sujet, sur les stratégies qui pourraient fonctionner?
(1320)
    Monsieur le greffier, nous avons connu des difficultés techniques tout à l'heure. Est‑ce toujours le cas?
    L'écran de Mme Celestini est définitivement gelé.
    Quels autres témoins voudraient essayer de répondre à cette question?
    Allez‑y, monsieur MacGregor.
    Si elle revient, peut-être que le greffier pourra me faire signe.
    Madame Inkpen, je m'adresse à vous. C'est en quelque sorte lié au même sujet. C'est lorsque la COVID‑19 est apparue pour la première fois en mars 2020 et que tout a commencé à fermer qu'on a commencé à voir un raz‑de‑marée de désinformation sur les vaccins et ce qui se passait. J'ai remarqué que les grandes entreprises de médias sociaux comme Facebook et Twitter mettaient un avertissement qui renvoyait à l'Agence de la santé publique du Canada dès qu'il y avait une publication sur la COVID‑19. Les gens ne voyaient pas nécessairement le message censuré, mais ils voyaient un lien vers un site où ils pouvaient obtenir des informations vérifiables, factuelles et scientifiques.
    Pensez-vous qu'il soit possible pour les entreprises de médias sociaux de faire quelque chose de semblable lorsqu'il s'agit d'extrémisme à caractère idéologique? Lorsque des théories du complot antigouvernementales sont véhiculées, les entreprises de médias sociaux devraient-elles faire de même? Serait‑ce facile pour elles de le faire?
    C'est une excellente question.
    D'après moi, les médias sociaux possèdent des groupes de recherche qui peuvent créer de telles fonctions, et ils pourraient afficher cet avertissement. Il est bien de présenter des messages et de prévenir le public.
    Ce pourrait être signalé avec un certain degré de confiance, et on pourrait peut-être ajouter une autre fonction pour savoir si les gens sont d'accord, peut-être même connaître l'opinion des gens sur la véracité apparente ou le caractère fallacieux de l'information. Les gens manifesteraient leur accord ou leur désaccord. Peut-être que les utilisateurs pourraient la qualifier. Certains pourraient ne pas dire la vérité, mais, encore, le nombre de votants qui jugeraient que c'est bien…
    Il y a moyen de le faire. C'est difficile, mais c'est possible. Je pense qu'ils pourraient faire davantage.
    Merci.
    Monsieur Leuprecht, je vous destine ma prochaine question.
    Je comprends pourquoi vous réclamez de nous de distinguer extrémisme violent à caractère idéologique et violence extrémiste.
    Nous avons entendu des témoignages de la police d'Ottawa. Le chef de police par intérim Bell a dit qu'on a documenté des crimes motivés par la haine et qu'on comptait de nombreux exemples d'agression contre des résidents d'Ottawa, simples travailleurs ou propriétaires de petites entreprises. Bien sûr, la violence est une notion subjective. Ce qui est violent pour l'un peut ne pas l'être pour l'autre.
    Vous avez été tout à fait cinglant vis‑à‑vis de l'impéritie générale des autorités devant l'occupation illégale d'Ottawa, et vous avez réclamé une commission royale.
    Pourriez-vous en dire peut-être davantage sur le sujet à l'ordre du jour, sur ce à quoi nous avons affaire? Qu'aimeriez-vous que cette commission examine précisément par rapport à la question à l'ordre du jour de la réunion?
    L'échec fondamental d'Ottawa, pendant l'occupation illégale, a été l'absence de la primauté du droit dans un pays démocratique membre du G7, pendant la plus grande partie des trois semaines de cette occupation. C'est absolument impardonnable. L'État était absent. Nous avons été incapables de faire respecter nos lois contre l'incitation, les crimes motivés par la haine, la sédition et tout le reste. Quand nous touchons ainsi le fond de l'échec de l'essentiel…
    La première obligation d'un État moderne à l'égard de ses citoyens est leur sûreté et leur sécurité. S'il ne peut pas leur assurer ça, il faut comprendre ce qui s'est produit. Les actions de la police donnent une mesure évidente: le maintien adéquat et efficace de l'ordre, qui signifie qu'on répond aux besoins, aux valeurs et aux attentes des citoyens.
    Monsieur MacGregor, vous demandez aux Canadiens si le maintien de l'ordre observé à Ottawa et si la réponse de l'État étaient adéquats et efficaces. Si la majorité des Canadiens répond par la négative, nous avons de bons motifs d'instituer une commission royale pour comprendre ce qui s'est produit et sûrement éviter que ça se répète.
(1325)
    Merci.
    Chers collègues, nous avons épuisé le temps qui nous était imparti. Je tiens à remercier les témoins de leur patience et de leur adaptation à l'horaire fluctuant du Parlement et je vous remercie d'en avoir fait autant.
    Nous venons de passer quelques heures fascinantes. Merci à tous de leur apport.
    Je souhaite à tous une fin de semaine heureuse et agréable. La séance est levée.
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