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J'aimerais ouvrir la séance.
Bienvenue à la 108 e réunion du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international de la Chambre des communes.
Avant de commencer, j'aimerais demander à tous les députés et aux autres participants en personne de consulter les cartes sur la table pour connaître les lignes directrices visant à prévenir les incidents de rétroaction acoustique.
Veuillez prendre note des mesures préventives suivantes visant à protéger la santé et la sécurité de tous les participants, y compris, et surtout, des interprètes.
Utilisez seulement une oreillette noire approuvée. Gardez votre oreillette loin de tous les microphones en tout temps. Lorsque vous n'utilisez pas votre oreillette, placez‑la directement sur l'autocollant placé sur la table à cette fin. L'aménagement de la salle a été modifié pour accroître la distance entre les microphones et réduire le risque de rétroaction acoustique provenant d'une oreillette.
La réunion d'aujourd'hui se déroule sous forme hybride. J'aimerais faire quelques commentaires à l'intention des membres du Comité et des témoins.
Avant de prendre la parole, veuillez attendre que je vous nomme.
Les membres du Comité présents dans la salle sont priés de lever la main s'ils souhaitent prendre la parole. Les membres sur Zoom sont priés d'utiliser la fonction « Lever la main. »
Vous pouvez vous exprimer dans la langue officielle de votre choix. Des services d'interprétation sont offerts. Vous pouvez choisir le parquet, l'anglais ou le français.
Je vous rappelle que tous les commentaires doivent être adressés à la présidence.
Conformément à la motion de régie interne du Comité concernant les tests de connexion pour les témoins, notre extraordinaire greffière m'informe que tous les témoins ont effectué les tests de connexion requis avant notre réunion.
Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement et à la motion adoptée par le Comité le lundi 29 janvier, nous reprenons l'étude sur l'approche du Canada à l'égard de l'Afrique.
J'aimerais souhaiter la bienvenue à nos témoins. J'informe tous les membres du Comité que nous devions entendre ces témoins plus tôt, mais que, en raison d'un vote, ce fut impossible.
Merci beaucoup de vous joindre à nous ce soir. Je sais qu'il est très tard chez vous, alors nous vous sommes doublement reconnaissants d'avoir l'amabilité de vous joindre à nous aujourd'hui.
Nous accueillons Benjamin Sultan, directeur de recherche à l'Institut de recherche pour le développement.
Nous sommes heureux de recevoir Modou Diaw, vice-président régional pour l'Afrique de l'Ouest à l'International Rescue Committee.
Enfin, nous sommes ravis d'avoir parmi nous Edith Heines, directrice du programme de la Politique et de l'orientation pour le Programme alimentaire mondial des Nations unies.
Vous disposerez chacun de cinq minutes pour vos déclarations préliminaires, après quoi nous passerons aux questions des députés.
Monsieur Sultan, vous avez la parole.
[Français]
Je vais parler en français, qui est ma langue maternelle.
Je voudrais commencer par vous parler de l'Afrique par rapport au réchauffement climatique.
L'Afrique est une des régions du monde qui a le moins contribué aux émissions historiques de gaz à effet de serre qui sont responsables des changements climatiques d'origine anthropique. Les émissions par habitant y sont les plus faibles du monde. Pourtant, les effets des changements climatiques qui y sont observés à l'heure actuelle sont très importants, et ils risquent de s'aggraver dans l'avenir.
Le dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, ou GIEC, comprend un chapitre entier sur l'Afrique. On y démontre qu'on a déjà observé une augmentation des températures moyennes et extrêmes, des vagues de chaleur plus fréquentes et des sécheresses prolongées, notamment en Afrique du Sud. Même si l'on a moins d'observations que pour d'autres régions du monde, on peut attribuer beaucoup de ces changements à l'effet de l'homme sur le climat.
Selon des projections, le réchauffement climatique entraînera une intensification de ces changements, qui à leur tour auront des conséquences telles que des inondations plus importantes, des risques d'aggravation de la sécheresse dans certaines régions, comme l'Afrique du Sud, l'Afrique du Nord et l'ouest du Sahel, ainsi que des cyclones tropicaux, qui pourraient devenir plus intenses. On s'attend également à des vagues de chaleur qui risquent d'exposer les populations à des conditions potentiellement mortelles.
Tous ces changements observés et à venir menacent gravement non seulement l'économie de ces pays, les infrastructures, la sécurité alimentaire et la santé, mais également les écosystèmes africains.
Je vais vous donner quelques exemples.
Sur le plan économique, on estime que les changements climatiques ont entraîné une réduction de la croissance économique en Afrique et une augmentation des inégalités de revenus, non seulement entre pays africains, mais aussi entre les pays du Nord et l'Afrique.
Sur le plan des systèmes alimentaires, on estime que les changements climatiques ont déjà entraîné une diminution de la productivité animale, phénomène qui risque de s'intensifier dans l'avenir.
De plus, on a observé un effet négatif des changements climatiques sur la santé de millions d'Africains en raison de températures qui deviennent trop chaudes, de conditions météorologiques extrêmes et de la propagation de maladies infectieuses.
Dans les villes d'Afrique, l'urbanisation rapide et le manque d'infrastructures adaptées à la croissance démographique contribuent à accroître l'exposition des populations aux risques climatiques, en particulier dans les zones côtières. Tous ces risques engendrent des migrations climatiques, qui sont aujourd'hui une réalité, même si la plupart de ces migrations liées au climat en Afrique se produisent à l'intérieur des pays, par exemple des campagnes vers les villes, ou entre pays voisins, plutôt que vers des pays à revenus plus élevés.
Tous ces constats soulignent donc vraiment l'urgence de mettre en place des mesures d'adaptation sur le continent pour réduire ces risques dès aujourd'hui. Parmi les mesures les plus efficaces, notons les approches d'adaptation intégrant les questions de genre, d'équité, d'intégration des savoirs autochtones africains et des connaissances locales ainsi que le développement de systèmes d'alerte précoce, l'agroécologie et la planification de l'agriculture.
Cependant, l'Afrique doit faire face à un problème de faisabilité quant aux mesures d'adaptation. En effet, le continent se heurte à de nombreux obstacles technologiques, institutionnels, culturels, financiers ou liés à la sécurité de certains pays. Par ailleurs, en cas de réchauffement climatique trop intense en Afrique, les conditions d'adaptation pourraient être rapidement dépassées.
De plus, en dépit des forts risques de réchauffement climatique sur le continent, il existe finalement de nombreuses lacunes dans notre connaissance et dans notre recherche sur les effets et les stratégies d'adaptation en Afrique. Ce manque de connaissances est à la fois lié non seulement à un manque de données météorologiques et de données sur les écosystèmes qui sont disponibles dans cette région, mais également à très peu de financement de la recherche africaine.
À titre d'exemple, entre 1990 et 2020, seulement 3,8 % du financement mondial de la recherche climatique ont été alloués à l'Afrique. Il existe pourtant des initiatives, au Canada comme en France, destinées à la recherche.
Au Canada, je pense à l'initiative Adaptation aux changements climatiques et résilience, ou CLARE, un partenariat entre le Canada et le Royaume‑Uni. Cette initiative vise à promouvoir une action durable et socialement inclusive pour renforcer la résilience en Afrique, en particulier pour les populations les plus vulnérables au changement climatique.
En France, il y a l'Institut de recherche pour le développement, un institut interdisciplinaire scientifique qui agit en partenariat avec la zone tropicale et la zone méditerranéenne. Il intervient dans de nombreux pays africains. Tourné vers la science de la durabilité, il est au service des acteurs de la société, et il essaie d'être porteur de solutions.
Cela conclut ma présentation.
Je vous remercie encore de votre invitation à comparaître aujourd'hui. Je suis tout disposé à répondre à vos questions.
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Je vous remercie beaucoup de m'avoir offert cette occasion de comparaître devant vous.
Je vais essayer d'être bref. Une note a été distribuée avant la réunion, qui fournit de nombreux détails.
Je voudrais axer mes propos sur la situation humanitaire. M. Sultan a beaucoup parlé de la situation climatique, mais, outre cette situation, de nombreux pays africains doivent actuellement faire face à une crise politique et à des conflits armés, en plus d'une situation économique de plus en plus difficile. Nous sommes donc fiers de témoigner aux côtés d'autres collègues de ce groupe de témoins, aujourd'hui, pour insister sur la nécessité d'un programme d'action pour les pays connaissant les pires aggravations des problèmes humanitaires en Afrique.
Le nombre de personnes ayant besoin d'aide humanitaire dans le monde a quadruplé entre 2014 et 2023. La vie de ces personnes est souvent marquée par le danger extrême, l'insécurité permanente et un taux très élevé de pauvreté. Des dix pays que le Comité international de secours, ou IRC, a jugé les plus exposés au risque de devoir faire face à une nouvelle urgence humanitaire, huit se trouvent en Afrique. Pour la deuxième fois de suite, le pays qui souffre le plus et qui est en tête de cette liste est un pays africain, à savoir le Soudan.
À l'heure actuelle, nous constatons que les crises humanitaires éclatent majoritairement dans les pays les plus vulnérables, notamment en raison de facteurs comme la hausse des coups d'État violents, le non-respect du droit international humanitaire, la vulnérabilité aux risques climatiques ainsi que l'augmentation de la dette publique. Parallèlement, on note une diminution de l'aide internationale.
Si ces sphères de crise étaient autrefois distinctes, elles forment désormais un diagramme de Venn dont la zone d'intersection est de plus en plus grande. Il y a 30 ans, 44 % des conflits avaient lieu dans des États vulnérables aux changements climatiques. Aujourd'hui, on parle de 67 %.
L'intensité des conflits dans les contextes vulnérables aux changements climatiques de l'Afrique exige des mesures claires et décisives. Si les structures et les systèmes mis en place dans le but d'éliminer la pauvreté, de renforcer la résilience et de répondre aux besoins humanitaires ne répondent pas à la demande lors des urgences les plus graves, ils sont inefficaces. Il faut rectifier le tir, sinon des régions entières risquent d'être laissées pour compte. Or, les besoins humanitaires internationaux sont un domaine largement sous-financé, et la situation empire.
Les écarts de financement entre les montants demandés et les engagements en matière d'aide humanitaire sont passés de 4,6 milliards de dollars en 2013 à 32,5 milliards de dollars en 2023. Nous sommes particulièrement reconnaissants des initiatives humanitaires du Canada, notamment du nouvel engagement de 350 millions de dollars pour l'aide humanitaire internationale, qui est prévu dans le budget de 2024. Il est essentiel que le système humanitaire innove et fasse les choses différemment compte tenu des besoins accablants. À cet effet, il faut notamment investir, malgré des budgets restreints, dans des interventions et des démarches qui auront une incidence importante pour le plus grand nombre possible de personnes dans le besoin.
L'une des choses que nous pouvons faire pour optimiser nos services est de comprendre et d'améliorer le prix unitaire de nos programmes, et l'IRC est un leader en ce domaine.
L'expérience de l'IRC démontre qu'avec de bonnes méthodes, nous pouvons changer la vie des gens dans les communautés, même lors des crises les plus complexes. Nos six mesures prioritaires d'intervention sont les suivantes.
La première recommandation de l'IRC est de sauver des vies dans les États fragiles et touchés par les conflits en investissant dans l'adaptation au climat, dans la résilience climatique et dans les mesures préventives. Je pense que, aujourd'hui, de nombreuses mesures de financement sont axées sur l'atténuation des changements climatiques, mais l'Afrique vit déjà les conséquences de ces changements. Il est donc urgent et important d'investir dans l'adaptation à ces changements.
La seconde recommandation est de lutter contre l'extrême pauvreté et les facteurs économiques sous-jacents à l'augmentation des besoins humanitaires. Il faut donc investir davantage dans des systèmes de protection sociale et dans des interventions basées sur l'aide financière.
La troisième recommandation est qu'il faut donner la priorité à l'égalité des genres dans l'intervention en situation de crise et transférer les ressources et le pouvoir décisionnel à des organismes dirigés par des femmes. Cette recommandation est très importante, parce qu'on sait que, dans la plupart des pays qui sont en crise, ce sont les femmes qui souffrent le plus.
La quatrième recommandation de l'IRC est de promouvoir la prospérité partagée en augmentant l'aide et de lutter contre la crise liée à l'endettement.
La cinquième recommandation consiste à soutenir et à protéger les personnes déplacées de force.
Enfin, la dernière recommandation consiste à mettre fin à l'impunité et à renforcer le droit à l'aide internationale humanitaire. Pour ce qui est de cette sixième recommandation, je voudrais insister sur le fait que, si les solutions décrites ci-dessus doivent être mises en œuvre, elles se révéleront insuffisantes sans la prise de mesures visant à réduire les répercussions des conflits sur les civils.
Les violations du droit international humanitaire sont de plus en plus normalisées. Il faut nous opposer aux attaques contre les hôpitaux, les écoles et les maisons, de même qu'aux blocages de l'accès à l'aide vitale dans certains pays et aux massacres commis en toute impunité. Sans responsabilisation, cette tendance se poursuivra.
La confiance envers le système international doit être restaurée. L'utilisation des personnes comme bouclier humain et le blocage de l'accès à l'aide humanitaire doivent faire l'objet d'une attention diplomatique accrue, au même titre que d'autres violations du droit international humanitaire.
Je m'arrête là. Je suis disponible pour répondre à vos questions, le cas échéant.
Merci beaucoup.
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Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du Comité.
C'est un honneur pour moi de comparaître devant vous cet après-midi pour parler de l'Afrique et du rôle que joue le Programme alimentaire mondial, ou PAM, dans la lutte contre l'insécurité alimentaire généralisée, qui continue de sévir sur le continent.
Le PAM est la plus grande organisation humanitaire au monde. Nous travaillons dans de nombreux milieux parmi les plus fragiles de la planète pour sauver des vies pendant les situations d'urgence et contribuer à l'élaboration de solutions durables à l'insécurité alimentaire qui peuvent aider à changer à long terme la vie des personnes que nous aidons.
Malheureusement, la faim est en hausse en Afrique, où vit déjà plus de la moitié de la population mondiale en situation d'insécurité alimentaire. Cette augmentation de la faim est en grande partie attribuable à trois facteurs: les conflits, les conditions météorologiques extrêmes et les chocs économiques.
Nous avons une forte présence en Afrique; nous sommes donc témoins des défis auxquels les pays africains sont confrontés, surtout ceux causés par la faim et la malnutrition. L'Afrique connaît plus de crises alimentaires que toute autre région du monde. Trois des quatre urgences du PAM en 2023 se sont produites en Afrique, soit au Soudan et dans ses pays voisins: le Tchad, le Soudan du Sud et la République démocratique du Congo.
Au Soudan, le conflit en cours a décimé la capacité du pays à se nourrir. Plus du tiers du pays — 18 millions de personnes — souffre maintenant d'insécurité alimentaire aiguë. Nous savons que la situation s'aggravera ce mois‑ci, au début de la période de soudure au Soudan. De plus, le PAM continue d'avoir énormément de mal à obtenir l'accès transfrontalier nécessaire pour rejoindre les personnes les plus touchées par le conflit.
Ce conflit a également des répercussions sur le Tchad voisin, qui accueille maintenant plus d'un million de réfugiés soudanais, ce qui en fait l'une des populations de réfugiés les plus importantes et dont la croissance est la plus rapide en Afrique et dans le monde. Nous aidons en moyenne un demi-million de personnes par mois avec des rations alimentaires d'urgence au Tchad seulement, dans certaines des régions les plus difficiles et les plus éloignées. Nous sommes dans une course contre la montre pour livrer à l'avance des aliments dans les régions les plus difficiles d'accès avant que la saison des pluies nous coupe l'accès routier en juin. C'est pourquoi nous avons besoin d'un financement prévisible pour acheter des vivres à l'avance et acheminer les denrées de base vers les régions rurales et éloignées privées de routes d'approvisionnement alimentaire locales.
C'est dans la République démocratique du Congo que sévit la troisième crise majeure à laquelle nous réagissons actuellement sur le continent. Environ un quart de la population, soit 23,5 millions de personnes, souffre de la faim à des niveaux critiques. En raison de l'escalade du conflit dans l'Est du pays, six millions de personnes ont dû quitter leurs maisons et leurs gagne-pain.
La situation est particulièrement catastrophique pour les femmes et les filles, surtout celles qui vivent dans des camps de personnes déplacées. Le spectre de la violence sexuelle les guette constamment pendant leurs activités quotidiennes. Lorsque nous confions les décisions en matière d'aide alimentaire aux femmes et que nous favorisons un environnement sûr pour les possibilités de revenus, elles sont moins susceptibles d'être exposées à de tels risques.
En plus des conflits, nous constatons également une augmentation des ravages causés par les chocs climatiques dans l'ensemble du continent africain, qui touchent de façon disproportionnée les pays les plus vulnérables. La région du Sud subit actuellement les effets les plus graves d'El Niño depuis les années 1980, ce qui entraîne des sécheresses et de mauvaises récoltes. Les gouvernements de la Zambie, du Zimbabwe et du Malawi ont tous déclaré officiellement l'état d'urgence nationale.
Nous collaborons avec ces gouvernements pour fournir des virements en espèces aux plus vulnérables, faciliter l'approvisionnement alimentaire international et fournir un soutien logistique. De plus, en prévision de l'arrivée d'El Niño, nous avons lancé des programmes d'alerte rapide et d'action préventive pour nous assurer que les gens reçoivent de l'argent et d'autres formes de soutien avant le choc climatique. Le PAM a aidé plus de 230 000 personnes en Afrique australe en leur fournissant 14 millions de dollars américains en espèces anticipées et en soutien, ce qui aide la population à se préparer et à accroître sa résilience en temps de crise.
De plus, de nombreux pays continuent de faire face à des défis saisonniers chroniques en matière de sécurité alimentaire. En Afrique de l'Ouest et au Sahel, la période de soudure qui s'échelonne de mai à août a commencé.
En raison des prix élevés persistants des aliments et de l'instabilité des marchés, nous prévoyons qu'environ 55 millions de personnes auront du mal à se nourrir.
Monsieur le président, au cours de mes 25 ans au sein du PAM, j'ai vu de mes propres yeux les crises alimentaires se complexifier, s'aggraver et se prolonger. Malgré les besoins en augmentation partout en Afrique et dans le monde, la réduction des ressources et des fonds a forcé le PAM à réduire considérablement son aide dans presque tous les pays où il intervient. En Somalie, par exemple, nous avons dû réduire de moitié le nombre de personnes que nous aidons. Cependant, nous continuerons de travailler aux premières lignes de la lutte contre la faim et d'accorder la priorité aux personnes les plus vulnérables en répondant à leurs besoins nutritionnels.
Dans un monde où les besoins augmentent et où les fonds sont limités, il est essentiel que nous nous efforcions de simultanément changer et de sauver des vies, tout en travaillant sur le plan de l'aide humanitaire, du développement et de la paix pour réduire...
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Merci, monsieur le président.
Je remercie également les témoins, particulièrement en raison de l'heure tardive pour certains d'entre eux.
On sait que plusieurs pays occidentaux se sont lentement retirés de l'Afrique au cours des dernières décennies. Par conséquent, d'autres s'y sont rapidement engouffrés pour combler le vide, la politique ayant horreur du vide. La Chine et la Russie, entre autres pays, s'y sont engouffrées. Cela a donné lieu aux conséquences qu'on connaît. Le Canada fait partie du nombre, et on cherche à convaincre le gouvernement du Canada que l'Afrique est une terre de possibilités et qu'il faut y réinvestir massivement.
Or, les trois témoins ont brossé un portrait assez sombre de la situation en Afrique. On parle d'une réduction de la croissance économique. On parle aussi d'une augmentation des crises découlant potentiellement des changements climatiques, comme les mouvements de population, les crises politiques et les crises alimentaires.
Monsieur Sultan, comment convaincre le gouvernement compte tenu d'un portrait aussi sombre?
Je poserai ensuite la même question à M. Diaw et à Mme Heines.
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Nous aimerions apporter deux amendements à la motion. Normalement, je les proposerais séparément, mais je vais essayer de les expliquer rapidement par respect pour les témoins. Peut-être pourrons-nous ensuite avoir un vote collectif, si cela vous convient.
Premièrement, je propose d'amender la motion en ajoutant le mot « encore » après les mots « n'a pas » après « Affaires mondiales Canada » et le mot « tous » après « produit » et avant « les documents ». Le texte se lirait donc comme suit: Que, compte tenu du fait qu'Affaires mondiales Canada n'a pas encore produit tous les documents demandés par ce comité. Il s'agit simplement de reconnaître que bien que cela n'a pas encore été fait, il y a tout de même une volonté de le faire.
Deuxièmement, je propose de supprimer les mots « ces détails » à la fin de la motion — je l'ai par écrit pour la greffière et en français également — et d'insérer les mots suivants: « que ces informations soient fournies de façon continue au fur et à mesure qu'elles deviennent disponibles, la première série d'informations devant être fournie dans les 30 jours ». Au lieu de simplement dire « ces détails », nous reconnaîtrions que les informations seront fournies par séries de façon continue jusqu'à ce que nous les ayons toutes reçues.
Enfin, je propose d'ajouter les mots suivants à la fin de la motion: « et que la motion du Comité du 12 février 2024 soit considérée comme achevée une fois les documents énoncés dans les points a à c reçus ». On entend par là tous les documents.
La dernière partie de la motion se lirait comme suit: « que ces informations soient fournies de manière continue au fur et à mesure qu'elles deviennent disponibles, la première série d'informations devant être fournie dans les 30 jours suivant l'adoption de cette motion, et qu'une fois reçus, ces documents soient rendus publics sur le site Web de ce comité et que la motion du Comité du 12 février 2024 soit considérée comme achevée une fois les documents énoncés dans les points a à c reçus ».
La situation s'améliore assurément dans beaucoup de pays africains. Je suis présentement au Sénégal, où nous venons d'achever une élection et une transition démocratiques très réussies. Je pourrais vous donner plusieurs pays en exemple, mais, comme je l'ai dit, les trois pays du Sahel que vous avez énoncés étaient déjà très vulnérables en matière de pauvreté, d'enjeux économiques et de conflits de longue durée.
Un groupe armé terroriste a commencé à contrôler certaines parties de la région l'an dernier, et la réponse a été inadéquate. Cela a permis à ce groupe terroriste de gagner du terrain.
Si l'on ajoute à cela le niveau très élevé de pauvreté... Je dis toujours que la pauvreté est la principale cause de cette crise. Par exemple, si les jeunes n'ont pas d'emploi, d'éducation ou de compétences professionnelles, et qu'ils ont la possibilité de se procurer des armes, ils peuvent simplement décider de rejoindre un groupe armé, et peut-être...
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L'Afrique est bien sûr une terre d'opportunités.
Je peux vous donner beaucoup d'exemples. Je viens de citer la transition démocratique au Sénégal, en Afrique australe ou en Afrique de l'Est. Certains pays, comme le Kenya, offrent beaucoup d'occasions favorables à l'heure actuelle.
En ce qui concerne les pays du Sahel, qui doivent faire face à cette crise, ou bien le Soudan, pour n'en nommer que quelques-uns, je pense qu'ils offrent encore des occasions favorables. Un acteur comme le Canada peut jouer un rôle très spécial, du moins pour rétablir des liens avec la communauté internationale.
Nous savons pertinemment que nous vivons dans un monde d'interdépendance. Malheureusement, certains de ces pays ont une relation historique avec certains pays qui étaient des anciens colonisateurs, si on peut dire, ce qui fait qu'il est très difficile aujourd'hui de se parler et d'établir une relation de partenariat d'égal à égal.
Quand je rencontre les autorités dans tous ces pays, tout ce qu'elles demandent, c'est d'avoir des partenaires qui peuvent parler avec elles de manière égalitaire et d'établir un partenariat où tout le monde en sort gagnant. Je pense que le Canada a un profil très spécial et très spécifique, ce qui fait qu'il peut jouer un rôle pour rétablir des liens avec ces pays, du moins pour ouvrir des débouchés économiques existants et réels.
Je tiens tout d'abord à remercier le Comité de m'avoir invité à comparaître devant lui.
Cuso International a été fondé il y a 63 ans par des Canadiens qui ressentaient que leur pays avait beaucoup à apporter au progrès mondial. Notre modèle repose sur la collaboration, et nous travaillons étroitement avec des partenaires locaux des secteurs publics et privés ainsi qu'avec des organismes sans but lucratif du monde entier. Nous abordons les causes profondes de l'inégalité en vue d'améliorer les conditions économiques et sociales des groupes marginalisés.
Nous faisons cela en mettant l'accent sur trois priorités, soit renforcer l'égalité des genres et l'inclusion sociale, créer des occasions économiques et promouvoir l'action climatique.
Bien que notre travail porte sur ces domaines d'activité, Cuso est souvent mieux connu pour ses antécédents de coopération volontaire. Le partage de compétences reste, pour nous, une façon importante d'avoir un impact communautaire. Au fil des ans, nous avons déployé plus de 14 000 volontaires dans plus d'une centaine de pays, et nous continuons à collaborer avec Affaires mondiales Canada au déploiement du Programme de coopération volontaire du Canada. Aujourd'hui, nous travaillons dans 17 pays, dont six en Afrique. Quelque 88 coopérants volontaires sont aujourd'hui en Afrique.
[Traduction]
Comme vous l'avez entendu — du moins je l'espère — lors de consultations et de séances de comité précédentes, il est clair que le Canada gagnerait énormément à réaffirmer son engagement envers l'Afrique, et ce pour diverses raisons stratégiques. Pourtant, malgré une période de liens étroits dans les années 1970 et 1980, le bilan récent du Canada en Afrique démontre plutôt l'opposé, à savoir un désengagement. Sa présence et sa pertinence ont pratiquement disparu dans certaines régions. L'infrastructure diplomatique l'illustre bien. Le Canada n'a des missions que dans deux cinquièmes des 54 pays d'Afrique. La marque la plus visible du Canada, l'ACDI, a également disparu.
Plus cet éloignement persistera, plus il sera difficile d'y remédier. C'est d'autant plus vrai que l'influence d'autres acteurs mondiaux qui ont priorisé leur mobilisation sur le continent s'accroît.
La Politique d'aide internationale féministe du Canada prévoit que 50 % de l'aide doit être consacrée à des projets dans les pays subsahariens. Cuso est très conscient des défis systémiques auxquels de nombreuses communautés font face dans la région et contribue à les relever. Nous saluons sans réserve cette attention portée aux plus marginalisés.
Le continent africain enregistre des signes très positifs dans la lutte contre l'inégalité entre les sexes et la discrimination grâce au soutien supplémentaire de la Politique. Ces progrès sont particulièrement importants compte tenu de l'essor démocratique et économique de l'Afrique. Le taux de mortalité infantile est en baisse constante depuis des années sur le continent. Cela découle directement d'un meilleur accès à l'éducation et aux services de santé chez les femmes, de la diminution du nombre de grossesses chez les adolescentes et de la baisse du nombre de mariages d'enfants. Tout cela est couvert par la Politique.
Quelle que soit l'importance de ces contributions, les engagements du Canada en Afrique ne devraient pas être définis par un esprit de charité ou une politique d'aide. En effet, il se peut que le Canada ait davantage besoin de l'Afrique que l'inverse à l'avenir compte tenu de la taille du continent et de ses perspectives d'avenir.
Le Canada doit se mobiliser à plusieurs niveaux et adopter une position claire et fondée sur des principes. Il doit cesser de parler de l'Afrique ou du développement du continent. Le Canada doit réinvestir dans des partenariats s'il désire être pris plus au sérieux sur le continent, que l'on se fie à sa parole et que ses conseils aient du poids. Il devrait également faire preuve de leadership en réunissant des alliés aux vues semblables, en organisant des conférences et des sommets internationaux et en redéfinissant ses relations avec les pays africains pour qu'elles soient centrées sur leurs intérêts autant que sur ceux du Canada.
Cela signifie qu'il faudra changer des mentalités ancrées depuis longtemps dans la bureaucratie et les systèmes. Notre secteur appelle cela la décolonisation. C'est un processus au sein duquel tout le monde tire de nombreuses leçons sur la façon d'avoir des formes de collaboration plus signifiantes et fructueuses.
Le Canada peut redevenir un leader. S'il n'y arrive pas avec son portefeuille, alors il peut à tout le moins faire preuve de conviction et de cohérence et s'engager à long terme envers ses partenaires. Cela peut sembler simple, mais ce ne l'est pas. Le Canada devra changer la façon dont il développe ses relations s'il désire s'engager dans cette voie. Il devra choisir ses partenaires avec soin et de façon stratégique, intégrer leurs intérêts dans son propre processus décisionnel, faire preuve de cohérence dans ses multiples politiques et pratiques, et résister aux distractions pour maintenir le cap à long terme.
Les relations avec la société civile devraient être une priorité absolue du Canada alors qu'il s'engage dans cette nouvelle voie, et mériter une attention égale ou supérieure à celle accordée aux relations avec les secteurs public et privé. C'est la société civile qui apporte le changement au niveau des systèmes, et ce avec une crédibilité, une reddition de comptes et une rentabilité inégalée. Comme nous le constatons continuellement, nos partenaires africains proposent leurs propres solutions et collaborent entre eux. Les ONG canadiennes jouent de plus en plus un rôle de soutien.
[Français]
Le secteur de la coopération internationale est prêt à contribuer à cet effort, comme il l'a fait dans les décennies passées. Aussi, j'encourage le Canada à exploiter l'expertise et les réseaux que nous avons cultivés au cours de nombreuses années d'engagement en Afrique. Ils renferment un potentiel extrêmement riche.
La conversation d'aujourd'hui avec ce comité est une excellente étape pour aller dans cette direction. Je suis honoré et reconnaissant de cette occasion de vous communiquer les perspectives de notre organisation. J'attends avec intérêt vos questions et la discussion à venir.
Merci.
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Je vous remercie, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du Comité, de m'avoir invité à apporter mon témoignage à cette étude critique sur l'approche du Canada à l'égard de l'Afrique.
Food for the Hungry, ainsi que notre affilié canadien, Food for the Hungry Canada, travaillent en Afrique depuis plus de 40 ans. Nous concevons et mettons en œuvre des solutions catalytiques qui renforcent la résilience afin que les enfants, les familles et les collectivités puissent s'épanouir. Pour ce faire, nous misons sur le développement communautaire afin d'apporter des solutions en matière de santé, d'éducation, de sécurité alimentaire et d'accès à l'eau, et nous intégrons les questions de genre et de protection de l'environnement en tant que thèmes transversaux.
La plupart des témoignages que vous avez entendus jusqu'ici ont souligné tout le potentiel que recèle le continent, qui passe entre autres par l'accord de libre-échange avec l'Afrique, les prévisions selon lesquelles 12 des 20 économies qui connaîtront la croissance la plus rapide en 2024 seront africaines, la vague de jeunes qui contribuera à la main-d'œuvre mondiale et régionale de demain, ainsi que les richesses naturelles du continent qui peuvent contribuer à une transition juste vers les énergies renouvelables. Cependant, vous avez entendu parler des risques convergents et des crises auxquels le continent fait face, qu'il s'agisse du changement climatique et de l'aggravation des catastrophes, des chocs économiques et du surendettement, de la montée de l'instabilité politique et des conflits, du spectre des épidémies et des pandémies à venir, ou de l'aggravation de la pauvreté. Le succès de l'approche du Canada à l'égard de l'Afrique dépendra de notre capacité à faire face à ces risques et crises complexes dans le but de promouvoir les intérêts de l'Afrique et du Canada.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, la communauté du développement ne s'est pas dotée d'évaluations efficaces et d'approches stratégiques pour déterminer comment elle pourra atteindre les objectifs de paix et de développement en dépit de la superposition des risques, des crises et de leurs causes profondes. Par conséquent, alors que vous travaillez à établir l'approche du Canada à l'égard de l'Afrique, notre première recommandation est que le Comité affirme le besoin fondamental d'un cadre de gestion des risques et de résilience, à l'instar de celui qu'utilise l'OCDE, pour aider à comprendre la portée des interventions qui devront être menées pour soutenir l'Afrique et promouvoir les intérêts du Canada face à des conditions défavorables. Ce cadre de résilience devrait guider les mesures que le gouvernement canadien prend pour: désigner les risques et les crises complexes, ainsi que leurs causes profondes; évaluer les niveaux d'exposition et de vulnérabilité auxquels ces risques et ces crises exposent certains secteurs, institutions, marchés, groupes et collectivités, que le Canada classera par ordre de priorité à l'issue de cette étude, ainsi que des travaux en cours d'Affaires mondiales Canada; trouver les points d'entrée au sein de ces secteurs, marchés et collectivités pour renforcer la résilience grâce à une approche pangouvernementale canadienne.
Diverses études menées par la Banque mondiale, l'Overseas Development Institute et les Nations unies montrent que la résilience est essentielle pour parvenir à une croissance à long terme, échapper durablement à la pauvreté et prévenir les conflits. Nous avons constaté une dynamique positive de la part d'Affaires mondiales Canada en ce qui concerne le soutien à la résilience dans plusieurs secteurs. La politique étrangère féministe du Canada offre également la possibilité de mettre l'accent sur la résilience des femmes et des filles face à toute une série de chocs et de stress.
Compte tenu de l'évidence et de l'importance de la résilience en cette ère de crises, Food for the Hungry a récemment mis au point un nouveau modèle de programmes mondiaux fondés sur des données probantes et ancrés dans la résilience. Nous réalisons actuellement des projets pilotes à partir de ce modèle en Afrique et dans d'autres régions. En collaboration avec nos pairs du Groupe canadien de réflexion sur la sécurité alimentaire de Coopération Canada, nous avons formulé des recommandations à l'intention d'Affaires mondiales Canada, afin que le ministère soutienne les efforts visant l'obtention de systèmes alimentaires résilients et respectueux de l'égalité des sexes dont l'Afrique a désespérément besoin face à l'aggravation des sécheresses, à la désertification et à d'autres phénomènes météorologiques extrêmes. Les ONG canadiennes sont prêtes à s'associer au Canada pour contribuer à la mise en œuvre d'un programme de résilience multisectoriel dans toute l'Afrique. Ces efforts devraient s'inscrire dans le cadre d'une vaste approche de coopération entre des partenaires qui partagent les mêmes idées, afin de bénéficier d'effets de levier et de soutiens décuplés.
À cette fin, notre deuxième recommandation concerne le recours accru à ce que l'on appelle les « plateformes nationales » dans plusieurs pays africains, ainsi que l'accroissement des investissements dans ces plateformes. Ces plateformes, qui ont porté plusieurs noms au cours des deux dernières décennies, font partie des mécanismes les moins visibles et les moins étudiés dans la pratique du développement. Les données probantes tirées des expériences du Libéria, de la Somalie, du Niger et du Rwanda montrent l'importance et le potentiel de ces plateformes, pour trois raisons: elles permettent de réunir des gouvernements, des acteurs de la société et des partenaires internationaux qui partagent les mêmes visions du développement; elles favorisent la responsabilisation des intervenants les uns envers les autres; elles contribuent à la résolution de problèmes entourant les actions collectives, notamment en temps de crise. L'OCDE, l'Organisation des Nations unies et les banques multilatérales de développement se sont toutes engagées, à des degrés divers, à soutenir les plateformes. Le Canada a été le principal donateur à soutenir la plateforme nationale du Mozambique.
En conclusion, nous pensons que si le Canada adoptait un cadre de résilience plus stratégique pour guider ses efforts en Afrique, et s'il soutenait l'intensification des actions collectives, du dialogue et de la responsabilisation des intervenants les uns envers les autres, cela pourrait l'aider à démultiplier sa compréhension de l'évolution des différents contextes régionaux et des possibilités que les différentes régions recèlent, à rallier des gouvernements et d'autres partenaires et à tirer parti de leur soutien, et à réaliser ses intérêts nationaux dans des contextes marqués par des possibilités incontestables, mais aussi par des risques, des crises et de l'incertitude.
Merci beaucoup.
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Merci, monsieur le président.
Je tiens d'abord à remercier le Comité permanent des affaires étrangères et du développement international de m'avoir invité à comparaître dans le cadre de son étude concernant l'approche du Canada à l'égard de l'Afrique.
Cette importante réflexion se tient à quelques jours des célébrations de la Journée mondiale de l'Afrique, initialement la Journée africaine de la liberté, qui se tient le 25 mai de chaque année, en mémoire de la fondation de l'Organisation de l'unité africaine.
Durant les 15 dernières années, j'ai travaillé et vécu en Afrique de l'Ouest, en Afrique du Nord et en Afrique de l'Est. Je voudrais mentionner que, même si je suis né en Afrique de l'Est, j'ai grandi et étudié au Canada. C'est dans ce pays qu'on m'a offert mon premier travail après mes études. Il s'agissait d'un projet de renforcement des capacités techniques des femmes palestiniennes à Gaza dans les territoires palestiniens occupés, projet à l'époque financé par l'Agence canadienne de développement international.
Concernant ma participation à cette importante étude sur l'approche du Canada à l'égard de l'Afrique, je voudrais commencer par une réflexion personnelle concernant l'approche recherchée.
L'approche du Canada à l'égard de l'Afrique sera-t-elle affairiste, mercantiliste et condescendante ou sera-t-elle basée sur des valeurs et des principes universels?
Il est important de rappeler que l'Afrique, ce berceau de l'humanité, est un immense continent qui compte aujourd'hui une vaste communauté de nations réparties dans 54 états souverains. Après l'Asie, il est le deuxième continent le plus peuplé du monde et représente un cinquième de la population mondiale, dont plus de 70 % sont des jeunes.
L'Afrique, c'est aussi un continent riche en ressources naturelles, en minerais — il comprend 30 % des réserves minérales mondiales —, ainsi qu'en terres agricoles disponibles. Vu sous cet angle, est-ce l'Afrique qui a besoin du Canada ou le Canada qui a besoin du continent africain?
Certes, le continent africain compte sa part de difficultés, de tragédies et de défis, mais le potentiel qui s'offre au continent est tout aussi impressionnant. En effet, on y retrouve un dynamisme démographique qui favorise la croissance rapide d'une importante classe moyenne, une population de plus en plus éduquée, des ressources naturelles en abondance, un cadre commercial plus ouvert grâce à la toute récente signature par tous les pays africains d'un accord établissant une zone de libre-échange couvrant l'ensemble du continent et un poids diplomatique important dans les instances internationales.
Quelle approche le Canada doit-il donc adopter vis‑à‑vis du continent africain?
Avant de répondre à cette question, permettez-moi de rappeler le rôle que le Canada a joué après la dévastation engendrée par la Deuxième Guerre mondiale. Alors que le monde occidental était en pleine reconstruction et que le continent africain était engagé dans les luttes de libération et d'indépendance, le Canada aurait pu décider de rester dans son coin et de choisir l'isolement. Or, il a plutôt décidé de jouer un rôle primordial dans l'élaboration d'un nouvel ordre mondial. Cette politique audacieuse, qualifiée par beaucoup de diplomatie de l'espoir, était tournée vers la création et le renforcement d'institutions internationales productrices de règles et de normes en mesure de baliser les relations internationales.
Grâce à cette diplomatie de l'espoir, le Canada a pu se construire une identité bien distincte, devenant un médiateur fort apprécié entre le Nord et le Sud, un promoteur du système multilatéral et de la paix, notamment en créant les Casques bleus. Cet activisme diplomatique du Canada lui a été bénéfique. Le pays a été élu six fois membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. De plus, son expertise en matière de désarmement et de maintien de la paix a été sollicitée partout dans le monde et lui a permis de jouer un rôle important sur plusieurs tribunes.
Aujourd'hui, nous vivons une période de changement bien plus importante que celle qui a émergé en 1945. Le monde est en pleine mutation géopolitique, les relations internationales changent de façon très profonde et tendent vers l'instauration d'un monde multipolaire. Dans ce nouveau monde multipolaire, on assiste à l'émergence d'un nouveau rapport de force entre le Nord et le Sud, où les pays du continent africain exigent le respect de leur souveraineté, y compris dans le choix de leurs alliances géopolitiques ou en matière de gouvernance.
Quoi qu'il arrive, une chose est certaine: le Canada ne peut plus se comporter comme le bon missionnaire du siècle passé. C'est cette réalité qui doit façonner la nouvelle approche du Canada vis‑à‑vis du continent africain. Cette conjoncture se prête non pas à l'indifférence actuelle du Canada ou à son retrait, mais plutôt à un engagement audacieux et ambitieux, qui lui permettra de se démarquer des autres puissances économiques.
Pour pouvoir réellement changer les choses sur le continent africain, le Canada devrait adopter une approche qui s'inspire des valeurs universalistes en visant les trois axes suivants: une diplomatie pragmatique et un activisme diplomatique axés sur la réforme des institutions internationales afin de mieux baliser les relations internationales d'un monde multipolaire; une coopération et des échanges plus équitables, où l'expertise et les innovations technologiques du Canada pourraient contribuer à changer la donne, notamment dans les domaines de la culture, de l'éducation, de la santé, des énergies renouvelables ainsi que de l'économie numérique, sociale et circulaire, et ainsi de suite.
Enfin, il faut une plus grande ouverture et plus de transparence de la part du Canada pour augmenter les échanges multidisciplinaires avec les universités africaines et pour avoir une meilleure collaboration avec les centres culturels et sportifs du continent africain, en lien avec la diaspora africaine du Canada.
Je vous remercie de votre aimable écoute.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie également nos deux groupes de témoins. Vos interventions nous sont très utiles.
Mes questions s'adresseront à M. Moyer.
Je veux vous donner un peu de temps pour développer ce que vous avez dit au sujet des partenariats et de l'adaptation de nos modèles d'engagement à ces situations, parce que c'est très important, à mon avis. Si nous passons d'un modèle de développement dominant à un modèle de développement commercial axé sur l'investissement, l'engagement et l'emploi, il y a certaines mesures que le Canada pourrait prendre pour établir ce cadre dans la collaboration.
Je veux vous donner un peu de temps pour réfléchir à ce que le Canada fait bien, aux capacités que nous pourrions renforcer pour améliorer les possibilités d'investissement, d'engagement et d'emploi en Afrique, afin de réduire progressivement l'aide et d'accroître la capacité du peuple et des pays d'Afrique à se nourrir et à nourrir le monde, et à faire d'autres choses.
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Je vous remercie grandement pour votre question. Il y a beaucoup de choses à dire à ce sujet. Je pense qu'il est difficile de faire des choix.
Je vous remercie d'avoir souligné un thème qui, à mon avis, est très important, celui du partenariat. Le partenariat est un concept d'une simplicité trompeuse, surtout lorsque les gens changent d'une organisation à l'autre. Il s'agit de trouver des façons de centrer les décisions que nous prenons, en tant que pays et en tant qu'organisations, sur les intérêts de nos homologues, et pas seulement sur les nôtres. Pour être un partenaire à long terme, il faut comprendre les intérêts des autres. Lorsque nous établissons nos priorités, il faut tenir compte de celles de nos homologues et comprendre leurs besoins.
Sur le plan des politiques, cela représente un autre ensemble de défis dynamiques. Lorsqu'il est question de l'aide que nous pourrions fournir par l'entremise de la Politique d'aide internationale féministe, par exemple, il faut se demander comment nous pouvons la consolider de manière à représenter les intérêts auxquels le gouvernement nous demande d'accorder la priorité. Je crois qu'il y a des façons de marier ces deux considérations. Je pense que l'investissement dans une relation est important au fil du temps. Je pense que nous avons eu une approche de parachutisme en quelque sorte. Nous devons penser différemment. J'ai parlé de coopération volontaire. Où y a‑t‑il des échanges aujourd'hui qui pourraient nous permettre d'aborder les choses sous un angle différent, au sujet des relations à un autre niveau?
Vous avez parlé d'un processus pour passer d'une relation d'aide à une relation fondée sur le commerce. À cette fin, nous devons penser stratégiquement à nos engagements. Où le Canada a‑t‑il déjà des liens et une valeur ajoutée? Comment pouvons-nous renforcer les relations entre les universités dans les domaines où le Canada est déjà fort? C'est le genre de réflexion stratégique qui pourrait avoir une réelle valeur bénéfique à long terme, parce que nous pourrions combiner les intérêts de nos partenaires avec les nôtres.
Je pense que c'est la seule façon de définir les pays ou les thèmes prioritaires, parce que, fondamentalement, il y a tellement de choses différentes à choisir et tellement de tables auxquelles on peut s'asseoir. Je pense que nous savons tous que c'est le plus grand défi auquel le Canada fait face en matière de prise de décisions. En tant que Canadiens, nous voulons être présents à toutes les tables, et à juste titre, mais à bien des égards, nous devons faire ces choix en fonction de ce qui aura la plus grande incidence. Je ne pense pas que l'on doive songer uniquement à nos propres intérêts. Il faut aussi penser à ceux de nos partenaires.
En février dernier, vous avez témoigné devant le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international dans le cadre de son étude sur les intérêts et l'engagement du Canada en Afrique.
J'ai toujours l'impression qu'on est deux coches en arrière du comité sénatorial sur à peu près tous les sujets.
Vous avez fait observer que « malgré une longue période de rapprochement, on peut considérer que le Canada s'est désengagé du continent africain au cours des deux dernières décennies, à tel point que, dans certains pays, son influence a pratiquement disparu ». Vous avez aussi rappelé que « le Canada ne compte des missions diplomatiques que dans les deux cinquièmes des 54 pays africains ».
J'ajouterais, puisqu'on parle d'un nouveau type de partenariat, que le Canada a conclu, au cours des dernières décennies, des accords de libre-échange avec des pays de tous les continents, sauf l'Afrique. Aucun accord de libre-échange n'a été conclu avec un pays africain jusqu'à présent.
Or, on parle beaucoup de l'engagement caractéristique du Canada à l'échelle internationale, et j'ai l'impression que le Canada lui-même ne sait pas trop quelle est son approche par rapport à l'Afrique. Lors de nos discussions avec les fonctionnaires du gouvernement, il a d'abord été question d'une stratégie pour l'Afrique, un peu comme la stratégie pour l'Indo‑Pacifique. Par la suite, il a plutôt été question d'une politique pour l'Afrique, puis d'un cadre pour l'Afrique et, maintenant, on ne sait plus trop comment appeler cela.
Pouvez-vous nous éclairer sur ce qu'est et ce que devrait être l'approche canadienne par rapport à l'Afrique?
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Merci de ces références.
Je dirais que ce n'est pas à moi de décider de l'approche du Canada en Afrique. Cependant, je crois qu'il est très important que le Canada clarifie ses intentions, comme on l'a dit précédemment, et qu'il les maintienne, dans le temps et dans la durée.
C'est vraiment la difficulté qu'on voit aujourd'hui. Les relations se sont développées pendant des années. J'ai vécu en Éthiopie au début des années 2000, et j'entendais souvent une expression qui ressemble vaguement à ceci: « Quand les choses ne vont pas bien ici, heureusement, elles vont bien au Canada. » Il y avait une reconnaissance du drapeau canadien sur des sacs d'aide humanitaire qui étaient distribués. Ce n'est malheureusement pas l'image qu'on veut forcément donner, mais il y avait le développement d'une image de marque et un sentiment que le Canada était présent.
On a perdu cela, qu'on le veuille ou non, avec la disparition de l'Agence canadienne de développement international, ou ACDI. Cela n'a pas été réinventé. Nos compétiteurs potentiels sur la scène géopolitique mettent leur drapeau, si je peux dire, sur des grands travaux d'infrastructure existants, à la demande de ces pays, en Afrique.
Comment pouvons-nous assurer que nous satisfaisons nos propres intérêts, à l'intersection des intérêts de nos partenaires, et que nous avons une visibilité et une crédibilité relativement à ces engagements? Trouver la réponse à cette question pourrait aider à résoudre la situation.
Par ailleurs, je dirais que le Canada possède des plus-values qui lui sont propres en matière d'équité, d'égalité des genres, de droits de la personne et de systèmes de gouvernance. Cela fait absolument partie de notre identité. Le Canada peut aussi être un partenaire pour ce qui est de l'accès à d'autres marchés.
Cela dit, la question est d'accorder la priorité à l'Afrique. Vous l'avez dit vous-même, nous n'avons pas accordé la priorité à l'Afrique. Sommes-nous en mesure de le faire? C'est une question qu'il faut se poser. Je crois que les arguments d'ordre démographique et économique montrent clairement que nous devrions accorder la priorité à l'Afrique. Si le Canada ne le fait pas, c'est qu'il délaisse complètement une future évolution mondiale.
J'espère que j'ai répondu à votre question.
Merci d'être présents aujourd'hui, que ce soit en présentiel ou par vidéoconférence. Vos témoignages sont tous importants pour nous.
Où choisissons-nous d'affecter notre aide? Comment choisissons-nous de nous engager avec l'Afrique? À quoi cela ressemble‑t‑il? Nous avons un projet de loi sur l'aide publique au développement, ou APD, qui stipule que les perspectives des organismes qui reçoivent du financement doivent être prises en compte.
Ce sont des questions qui me taraudent toujours. Il existe une multitude de façons différentes de faire de l'aide au développement. Certaines sont très difficiles. Hier, lors d'un événement organisé par le Caucus de la coopération mondiale, le CCM, nous avons abordé le fait qu'il est plus facile de vacciner des enfants à Nairobi qu'au Soudan, à titre d'exemple.
Lorsque nous réfléchissons à ce que le Canada doit faire, à ce que nous devons prioriser et à la manière dont nous choisissons d'élaborer une feuille de route, que nous n'avons manifestement pas pour l'instant, pour être honnête, comment équilibrer la difficile mais nécessaire mise en place de l'aide au développement?
Ce n'est pas quelque chose que FinDev Canada peut faire. Ce n'est pas quelque chose que nous pouvons faire réaliser par des entreprises privées, car ce n'est pas ainsi qu'un bon développement se produira dans cette région. Il faut être capable, vous savez, de donner la priorité aux choses pour lesquelles nous sommes vraiment doués.
Je commencerai peut-être par vous, monsieur Papoulidis, puis je passerai à vous, monsieur Moyer.
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Généralement, ce sont les pays où la situation est la plus difficile qui ont le plus besoin de la plateforme nationale, car de nombreux acteurs de l'aide se disputent certaines zones, certaines régions et certains projets. Le gouvernement est faible et l'aide est dispersée. Il n'y a pas d'unité.
Il s'agit d'une plateforme qui offre un espace de dialogue et de responsabilité mutuelle à haut niveau. En dessous, il y a des groupes sectoriels dirigés par des ministères qui tentent de réformer la santé, l'éducation et la protection sociale, avec le ministère de la planification comme secrétariat. C'est le modèle de la plateforme.
Cela permettrait au Canada de faire savoir qu'il est particulièrement intéressé d'apporter de l'aide humanitaire à ces régions difficiles d'accès, mais dans une perspective plus holistique de ce que le gouvernement essaie de faire et de ce que d'autres partenaires essaient également de faire.
Ensuite, vous trouvez votre avantage comparatif ou concurrentiel dans cet espace où vous aidez à le définir. Lors de ces réunions, vous dites en fait où le Canada va prendre position, et comment il souhaite s'aligner sur la planification du développement dans un cadre plus général. Il faut travailler de manière plus large, de sorte que cela ne devienne pas un simple projet ou une action ponctuelle. Il s'harmonise en fait avec d'autres types d'investissements réalisés dans le pays, y compris par FinDev Canada au fil du temps.
Il s'agit d'un enjeu particulièrement difficile. La Loi sur la responsabilité en matière d'aide au développement officielle stipule que le Canada doit fournir de l'aide humanitaire aux pays qui en ont le plus besoin, un point c'est tout. Cependant, ce n'est jamais aussi simple, car il est difficile d'atteindre certains des endroits les plus difficiles d'accès. Je pense que c'est la raison d'être de notre aide humanitaire. Elle doit être utilisée dans ce seul but.
En matière de financement pour le développement et de la manière dont nous pouvons avoir un impact, des choix difficiles doivent être faits. Je pense que nous nous trouvons actuellement à un moment charnière par rapport aux moyens financiers dont nous disposons pour faire une différence concrète.
La manière dont ces décisions sont prises n'entre absolument pas dans mes attributions, mais je pense qu'il existe une intersection entre les relations historiques existantes qui pourraient être utiles et l'alignement des intérêts des pays.
Je pense cependant que l'un des vecteurs qui nous permettent de réussir un projet tel que la Loi sur la responsabilité en matière d'aide au développement officielle et de surmonter certains des défis liés à cette question est en fait la manière dont nous pouvons soutenir la société civile locale. Ce sont elles qui sont les plus fortes sur le terrain. Elles connaissent bien la situation et ont elles-mêmes un impact plus important. En devenant capables de répondre aux besoins de leur environnement et de leurs communautés, elles sont en fait à l'origine du changement. Je pense que cela enlève à un gouvernement donateur une grande partie de la responsabilité d'effectuer certains choix.
Comme je l'ai déjà dit, il s'agit d'un sujet complexe.