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Bienvenue à la 53
e réunion du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international.
La réunion d'aujourd'hui se déroule en format hybride, conformément à l'ordre de la Chambre adopté le 23 juin 2022. Des députés sont présents dans la salle et d'autres participent à distance à l'aide de l'application Zoom.
J'aimerais faire quelques observations à l'intention des députés et des témoins.
Veuillez attendre que je vous nomme avant de prendre la parole. Pour ceux qui participent par vidéoconférence, veuillez cliquer sur l'icône du microphone pour l'activer et veuillez le mettre en sourdine lorsque vous ne parlez pas. En ce qui concerne le service d'interprétation, les participants sur Zoom ont le choix, au bas de leur écran, entre le parquet, l'anglais ou le français. Pour ce qui est des personnes dans la salle, vous pouvez utiliser l'écouteur et sélectionner le canal souhaité.
Conformément à notre motion de régie interne, comme le veut l'usage, j'informe le Comité que tous les témoins ont complété les tests de connexion requis avant la tenue de la réunion.
Conformément à l'article 108(2) du Règlement et à la motion adoptée par le Comité le lundi 20 juin 2022, le Comité reprend son étude sur la santé et les droits sexuels et reproductifs des femmes dans le monde.
C'est maintenant avec grand plaisir que je souhaite la bienvenue à Mme Maria Cristina Rodriguez Garcia, qui est conseillère de recherche à l'Association nationale civique des femmes. Elle participe par vidéoconférence.
Nous accueillons également, de Oxfam Canada, Mme Lauren Ravon, directrice exécutive, et Mme Béatrice Vaugrante, directrice générale chez Oxfam-Québec. Elles participent en personne.
Chaque témoin disposera d'un maximum de cinq minutes pour sa déclaration préliminaire après laquelle nous passerons à la période de questions avec les membres du Comité.
Je vous aviserai lorsqu'il ne vous restera plus que 30 secondes, soit pour votre déclaration liminaire, soit pour les interventions pendant la période de questions. Je vous serais reconnaissant de bien vouloir conclure 20 à 30 secondes après que je vous aurai fait signe.
Chaque témoin disposera de cinq minutes pour sa déclaration préliminaire. Nous allons commencer avec Mme Garcia.
Madame Garcia, vous avez cinq minutes.
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Merci, monsieur le président. Je vous remercie de l'honneur que vous me faites en me permettant de m'adresser au Comité.
Je suis chercheuse et conseillère de recherche sur les récits politiques et les affaires féminines. J'ai mené des études nationales dans mon pays sur le harcèlement sexuel et les déclarations internationales dans le cadre des systèmes de droits de la personne. J'ai aussi travaillé à l'échelle locale et nationale en tant que défenseure des droits des femmes pendant 10 ans.
Je représente l'Association civique nationale des femmes, une organisation qui travaille depuis près de 50 ans au développement intégral des femmes afin de promouvoir leur participation citoyenne au Mexique et dans le monde. L'Association offre également des services de consultation aux Nations unies.
Je parlerai de trois sujets. Tout d'abord, je fournirai une analyse de l'encadrement de la santé sexuelle et des droits reproductifs. Ensuite, je parlerai de ce que nous avons appris récemment au sujet de la violence sexuelle et des droits sexuels et reproductifs, un sujet qui n'est pas abordé. Enfin, je formulerai quelques recommandations pour cette étude à la lumière de notre expérience à l'échelle locale et internationale.
Le premier élément que j'aimerais soulever concerne l'encadrement des droits sexuels et reproductifs. Les droits sexuels et reproductifs reposent sur l'idée que la sexualité est un élément essentiel du développement humain. L'encadrement des droits en matière de santé sexuelle et de reproduction repose sur trois mots-clés: accès, décision et jouissance. Ces trois aspects sont orientés vers la prise de contrôle et d'autonomie et la poursuite d'une vie sans violence. Mais quels sont les indicateurs dont nous tenons habituellement compte dans l'application locale des politiques, des programmes et des engagements pris à l'échelle internationale?
Il existe tout d'abord les indicateurs qui se concentrent sur des comportements précis, comme l'utilisation d'un préservatif ou d'une méthode contraceptive, l'accès à l'avortement et la collecte de données relatives à la vie sexuelle. Ces données sont nécessaires, mais elles présentent des limites préoccupantes. On a beau vouloir des politiques et des programmes clairement définis, nous savons qu'il faut replacer les comportements dans leur contexte. La plupart des mesures dans le domaine de la santé sexuelle et des droits reproductifs ont trait aux organes génitaux. Cependant, la réalité nous montre que la sexualité va bien au‑delà de ce qui concerne les organes génitaux et comprend des aspects tels que l'affectivité, le désir de transcendance, les liens affectifs et les expériences passées de traumatismes et de violence.
De plus, ces comportements se manifestent à différentes étapes de la vie. Ainsi, il ne faut pas examiner les comportements en vase clos, comme si le moment auquel ils surviennent, leur façon de se manifester ou ce qui les explique n'avait pas d'importance. D'après l'expérience que j'ai acquise en travaillant avec des enfants et des adolescents pour prévenir les grossesses chez les adolescentes, en découvrant les approches adoptées par différents pays et en élaborant des politiques publiques, j'ai réalisé que l'accent mis sur l'acte sexuel ne tenait pas compte des attentes culturelles, du stress émotif et du manque d'éducation qui permet de reconnaître ce qui constitue une saine relation. Il s'agit de plusieurs facteurs qui entravent la capacité des gens à faire des choix qui auront une incidence à long terme sur leur bien-être. Par exemple, une femme pourra être victime de violence même si elle utilise un préservatif ou a accès à des moyens de contraception. Ce genre d'autonomie que l'on préconise s'apparente à de l'indifférence, et laisse entendre que nous nous soucions peu de qui sont les gens et de ce qui leur arrive, tant qu'ils utilisent un préservatif.
Deuxièmement, la conception de la santé sexuelle et des droits reproductifs se concentre sur des facteurs internes comme le désir, le consentement, l'autonomie et l'identité. Sans minimiser l'importance de ces éléments, nous devons reconnaître qu'ils ne font qu'effleurer la surface du sujet qui nous occupe. Ces facteurs doivent être examinés à travers le prisme des structures culturelles et des dynamiques de pouvoir, y compris les coutumes, les croyances et les stéréotypes. Nous parlons de contrôle, d'autonomie et d'émancipation de façon superficielle, sans approfondir notre compréhension des contraintes internes et externes qui pèsent sur la liberté. Par exemple, une femme peut consentir à son exploitation sexuelle même si cela lui cause du tort.
En ce qui concerne les droits reproductifs, il est absolument nécessaire de parler d'affectivité, de relations saines et de résolution pacifique des conflits. Ces aspects font également partie de la sexualité, et ils aident les gens à prendre de bonnes décisions en la matière.
Enfin, en mettant l'accent sur le résultat plutôt que sur l'expérience humaine, nous perdons de vue d'autres besoins non comblés dont nous devons tenir compte. Il existe par exemple des besoins non comblés en matière de contraception. Quel est le véritable besoin que nous oublions? Sur les médias sociaux, par exemple, nous trouvons des milliers de témoignages de femmes qui utilisent des moyens de contraception et qui sont malheureuses. Elles s'inquiètent des changements que les méthodes contraceptives apportent à leur corps et à leur bien-être général, mais elles demeurent peu informées quant au fonctionnement de leur corps, comme le montre l'étude.
Ces observations m'amènent au deuxième point de cette présentation.
De quoi ne parlons-nous pas? Nous ne parlons pas des traumatismes et de l'éclatement intérieur des femmes. Les survivantes de violence et d'exploitation sexuelles nous ont appris que de nombreuses femmes naissent dans des conditions déjà vulnérables qui peuvent conduire à une série de choix défavorables, qui, à leur tour, finissent par les mener à l'exploitation sexuelle. La société brise les femmes. C'est‑à‑dire qu'elle produit une rupture entre leur corps et leur esprit, et crée ensuite des industries qui exploitent leurs vies détruites. Nous devons inclure cet aspect dans les études sur les droits sexuels et reproductifs.
Bref, les femmes ne disposent pas de toutes les connaissances ni de tous les outils dont elles ont besoin. Elles se heurtent à beaucoup de situations nuisibles, de ruptures et de traumatismes tout au long de leur vie. Nous disons qu'elles jouissent de droits sexuels et reproductifs parce qu'elles ont un préservatif dans leur poche. Nous devons reconnaître l'éclatement associé à leurs traumatismes et aux conséquences qui en découlent, et relier tout cela à leur vulnérabilité.
Me reste‑t‑il un peu de temps?
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Merci, monsieur le président.
Je vous remercie de m'avoir invitée et d'avoir mis le sujet de la santé et des droits sexuels et reproductifs à l'ordre du jour de votre comité.
Oxfam‑Québec et Oxfam Canada sont membres de la confédération Oxfam, qui veut combattre les inégalités pour mettre fin à la pauvreté, particulièrement par le pouvoir des femmes, pour des solutions durables.
Nous pensons que la justice reproductive est liée à la justice sociale et que la justice de genre ne peut être atteinte sans l'autonomie corporelle et les droits sexuels et reproductifs. Les chiffres parlent: 7 millions de femmes sont hospitalisées chaque année en raison d'un avortement insalubre, et beaucoup trop en meurent.
Selon l'Organisation mondiale de la santé, les complications liées à la grossesse et à l'accouchement constituent l'une des principales causes de décès des jeunes filles. La grossesse chez les adolescentes comporte un risque plus élevé que chez les adultes. Cela a un impact important sur leur vie, leur avenir, leur éducation et leur autonomie.
Oxfam‑Québec et Oxfam Canada mènent deux grands projets sur la santé et les droits sexuels et reproductifs, qui se déploient dans différentes régions du monde. Le financement d'Affaires mondiales Canada et de nos donateurs permet à nos organisations de mettre en œuvre ces projets, lesquels visent principalement les adolescentes et les jeunes femmes, particulièrement celles qui sont les plus marginalisées, sous le leadership des premières concernées.
De nombreux obstacles entravent la réalisation des droits en matière de sexualité et de procréation, mais c'est la discrimination envers les femmes et les groupes marginalisés qui sous-tend ces problèmes. Garantir les droits sexuels et reproductifs est une voie critique pour non seulement rendre tangibles les droits des femmes, mais aussi permettre aux femmes de bâtir des communautés résilientes et une autonomie économique et de participer à la résolution de crises et de conflits.
Au lendemain d'une pandémie qui a exacerbé les inégalités, et dans un contexte mondial fragilisé par des « polycrises » et des lois plus contraignantes pour les droits sexuels et reproductifs, ce domaine est de moins en moins une priorité budgétaire pour les gouvernements et les donateurs, alors qu'il fait partie des solutions critiques.
Sans effort collectif, nous continuerons d'assister à un accès de plus en plus entravé, voire impossible, aux services et aux droits en matière de santé sexuelle et reproductive, ce qui conduit à une augmentation des grossesses non désirées, des décès, des avortements à risque, des cas de violence basée sur le genre et des répercussions sur la santé physique et mentale ainsi que sur l'éducation des filles et des jeunes femmes.
Oxfam‑Québec a commencé la mise en œuvre de Pouvoir Choisir, un programme de sept ans en matière de droits sexuels et reproductifs qui est soutenu par des partenaires comme la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada. Ce programme comporte un volet au Québec et repose sur des partenariats avec des organisations locales basées au Honduras, au Ghana, en Bolivie, en République démocratique du Congo, en Jordanie, au Liban et dans les territoires palestiniens occupés.
[Traduction]
Dans le cadre du projet Son avenir, son choix, Oxfam Canada et ses partenaires s'efforcent de faire progresser des approches exhaustives en matière de droits sexuels et reproductifs en Éthiopie, au Malawi, au Mozambique et en Zambie.
Les deux projets répondent aux inégalités entre les sexes et aux violations des droits des femmes en s'attaquant directement aux obstacles qui entravent l'accès aux droits sexuels et reproductifs dans les communautés visées par les programmes et dans les espaces communautaires fragiles et empreints de restrictions. Ces obstacles incluent les normes sociales préjudiciables, des pratiques traditionnelles, les tabous sur le genre et la sexualité, le manque d'accès à l'information et aux services d'éducation en matière de santé sexuelle et reproductive, ainsi que l'absence de pouvoir décisionnel significatif des adolescentes et des jeunes femmes à propos de leur propre santé et sexualité.
Le Canada a contribué de manière importante au soutien de la santé sexuelle et des droits reproductifs à l'échelle internationale. Nous devons continuer à être un chef de file parmi les pays donateurs. Le gouvernement devrait demeurer résolu à respecter son engagement de 700 millions de dollars pour la santé sexuelle et reproductive, en mettant l'accent sur les domaines négligés, et à assurer le suivi de ses investissements. La situation actuelle est que le gouvernement devra rapidement augmenter le financement dans ces domaines s'il veut atteindre son objectif d'ici l'échéance de 2024.
[Français]
Cet investissement doit aussi couvrir le renforcement de la couverture sanitaire universelle pour assurer la continuité des services en santé sexuelle et reproductive, notamment dans les contextes d'urgences et de crises sanitaires, qui, comme on le sait, sont croissantes. Il devrait également soutenir et inclure les organisations locales de jeunes et de femmes ainsi que les organisations LGBTQ+ dans les espaces décisionnels afin de garantir une mobilisation efficace et pérenne, même dans les espaces civiques restreints.
Le Canada doit financer des programmes transformateurs en genre et les recherches intersectionnelles liés à la santé des adolescentes, des femmes et des personnes issues de la diversité, et ce, avec une budgétisation souple et à long terme.
Merci de votre écoute. Nous serons heureuses de répondre à vos questions.
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Je vous remercie beaucoup de cette intéressante question.
Je pense que le Canada peut étendre la portée de ce que constituent la santé et les droits sexuels et reproductifs essentiels, en élargissant le concept, le cadre qui limite ce que signifie la sexualité planifiée. À un moment donné, ce qui est possible, ce qui peut être inclus dans votre étude ou dans vos politiques, ce sont des indicateurs. Je pense que nous pouvons créer des indicateurs. Le Canada est un pays qui, comme vous l'avez mentionné, a beaucoup contribué au développement dans d'autres pays.
Certains indicateurs peuvent être utilisés pour évaluer les contextes émotionnels, sociaux et culturels dans lesquels l'enfant, l'adolescent ou l'adulte doit prendre des décisions en matière de sexualité. Ils peuvent servir à analyser les traumatismes, la violence, la dissociation et les liens malsains qui ont été vécus, ainsi que leur lien avec les décisions en matière de sexualité et de reproduction. Ils peuvent appuyer la recherche et révéler les critères utilisés par les jeunes pour prendre des décisions en matière de sexualité, et cela peut comprendre des indicateurs liés à l'affectivité et au bien-être émotionnel. Ils peuvent servir à déterminer si les services et les programmes offerts par les pays sont liés à des services complets de santé et de développement.
Je pense que si le Canada proposait d'étendre le champ d'application en fonction d'une meilleure vision de la sexualité, d'une vision complète de la sexualité, cela pourrait beaucoup aider des pays comme le mien, qui sont confrontés à un machisme prononcé et aux blessures de la féminité et de la masculinité à un niveau structurel.
Je vous remercie.
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Je vous remercie pour la question.
[Traduction]
Je pense que nous savons tous que les progrès réalisés concernant les droits des femmes ne sont pas linéaires. Quand il y a des avancées, il y a souvent des réactions négatives. À Oxfam, je dirais que, dans une certaine mesure, les pays où nous constatons le plus de réactions négatives sont également ceux où les mouvements féministes ont été renforcés et soutenus et où des progrès ont été réalisés en matière de droits des femmes. C'est ce qui donne souvent lieu à de tels mouvements de rejet. Depuis que les acteurs anti-droits et anti-choix se sont enhardis à la suite de ce qui s'est passé de l'autre côté de la frontière, aux États-Unis, avec l'annulation de Roe v. Wade, je pense que nous avons constaté dans le monde entier une réaction en chaîne qui remet en cause certains gains durement acquis.
Lorsque nous parlons de réaction négative, il n'est pas uniquement question de la situation générale, à savoir le refus de reconnaître les droits des femmes. Il peut s'agir de n'importe quoi, par exemple, d'un enseignant qui refuse de laisser une jeune fille revenir en classe parce qu'elle est enceinte ou parce qu'on sait dans la communauté qu'elle s'est faite avorter. Il y a des contrecoups à tous les niveaux, du milieu familial au milieu politique.
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Merci, monsieur le président.
J'aimerais d'abord signaler que je partagerai mon temps de parole avec ma collègue de .
Mesdames les témoins, merci de vos présentations.
Mesdames les représentantes d'Oxfam Canada, vous avez bien démontré que le manque d'accès sûr à des services d'avortement ne réduisait pas le nombre d'avortements, mais augmentait celui des avortements insalubres.
En 2021, le site Web de l'Organisation mondiale de la santé a publié un article portant sur l'avortement. On y explique ce qui suit: « Parmi les obstacles à un accès sûr et respectueux à l'avortement figurent les coûts élevés, la stigmatisation à l'égard des femmes souhaitant avorter et des personnels de santé, ainsi que le refus des agents de santé de pratiquer un avortement du fait de leur conscience personnelle ou de leurs croyances religieuses. »
Au cours de votre présentation, nous avons appris que, par le truchement de deux programmes, vous opérez dans des pays comme le Honduras, la Bolivie, le Ghana, la République démocratique du Congo, la Jordanie, le Liban, les territoires palestiniens occupés, l'Éthiopie, le Malawi, le Mozambique et la Zambie. Or, cette semaine, le Comité a eu droit à deux témoignages nous indiquant que le soutien occidental à des avortements salubres et respectueux constituerait une forme de néocolonialisme qui irait à l'encontre des valeurs culturelles des pays auxquels nous nous adressons.
D'après votre expérience dans tous ces pays que je viens d'évoquer, quel est le type de résistance que vous rencontrez sur le plan culturel et qui vous empêche de faire convenablement votre travail?
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Merci de la question. Si cela ne vous embête pas, j'y répondrai en anglais.
[Traduction]
L'aide fournie par le Canada s'adresse à des pays indépendants, qui disposent de leurs propres mouvements sociaux et de perspectives variées au sein de leur propre communauté. Nous ne disons pas que tous les habitants de ces pays veulent avoir accès à ces services. Ce que nous disons, c'est qu'il y a une demande. Il existe un besoin non satisfait, qu'il s'agisse de planification familiale, de contraception ou d'avortement sans risque, et les personnes qui le souhaitent devraient pouvoir y avoir accès.
Je sais que la première question portait sur la manière dont nous influençons la politique et la culture dans ces pays. Ce n'est pas notre rôle; notre rôle est d'aider les acteurs de la société civile et les gouvernements locaux à faire des choix pour leurs propres communautés.
Ce que nous constatons, en revanche, c'est que dans tous les pays du monde, les femmes tombent enceintes alors qu'elles ne le souhaitent pas et cherchent un moyen d'avorter. Que ce soit illégal, sûr ou non, c'est ce qui se passe. Ce qu'il faut se demander, c'est ce qu'il faut faire pour que cela ne reste pas dans l'ombre. Le but est d'offrir des services et des options médicales sûres aux femmes dans tous les pays du monde, sans exception.
Je voudrais également ajouter quelque chose sur la question de l'avortement sans risque. Nous savons que c'est essentiel pour vivre dans la dignité. Nous connaissons le nombre de femmes qui meurent chaque année lors d'avortements pratiqués dans des conditions dangereuses. Nous avons parlé de l'augmentation de l'investissement du Canada dans la santé et les droits sexuels et reproductifs dans le monde, mais, au cours de la première année de référence du nouvel engagement du Canada, moins de 2 millions de dollars ont été consacrés au soutien de services d'avortement sûrs. Vous savez ce que coûtent les soins de santé. Il s'agit donc d'un domaine dans lequel nous aimerions que le Canada intensifie son action, car la plupart des donateurs n'investissent pas dans ce domaine.
Quand nous parlons d'avortement sans risque, nous parlons aussi de soins post-avortement. J'ai travaillé dans des pays comme le Kenya, où les salles d'urgence sont inondées de femmes ayant subi des avortements à risque, ce qui fait peser un poids énorme sur le système de santé publique et sur les hôpitaux. En outre, l'avenir de ces femmes est compromis. Elles risquent de ne pas pouvoir avoir d'enfants plus tard, quand elles en voudront, ou d'avoir des problèmes de santé pour le reste de leur vie; c'est donc vraiment un domaine dans lequel le Canada peut investir.
J'aimerais ajouter une dernière chose. Il faut également soutenir les mouvements sociaux et les organisations de défense des droits des femmes qui jouent un rôle important dans l'évolution des normes, des attitudes et des comportements. Ces organisations s'adressent aux communautés et font évoluer les mentalités autour de la sexualité des femmes, de leur pouvoir et de leurs choix. Ce que nous aimerions également voir à Oxfam, c'est que davantage de fonds canadiens aillent directement à la société civile et aux organisations de défense des droits des femmes, et non pas exclusivement à de grands programmes multilatéraux et à des agences gouvernementales.
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Je tiens à souligner que nous avons constaté des changements dans la manière dont l'aide canadienne est acheminée. Nous ne parlons plus tellement de projets de deux ou trois ans. Nous avons maintenant des calendriers de projets de cinq ou sept ans, ce qui représente un grand progrès.
Ce que nous souhaitons, c'est une plus grande continuité. Parfois, je pense que la meilleure innovation consiste à faire la même chose avec plus de ressources, et ce, plus longtemps. Nous n'avons pas besoin de constamment réinventer la roue. La mise en place de systèmes de santé est une entreprise qui s'étend sur des décennies, mais il faut aussi bien des années pour mettre en place des mouvements de femmes. Du côté d'Affaires mondiales Canada, nous aimerions mieux des investissements à long terme dans le soutien aux mouvements sociaux. Nous ne parlons pas seulement de 5 ou 7 ans, mais de 10 ou 20 ans. Ensuite, pour les systèmes de soins de santé, il faut par exemple instaurer un programme national d'éducation sexuelle. Ce sont des mesures pour lesquelles un horizon de cinq ans ne suffit pas. Il en va de même pour le soutien aux sages-femmes à l'échelle du pays, pour la mise en place de programmes de sages-femmes et de services d'avortement sûrs dans les centres de santé ruraux. Ce sont des choses qui ne peuvent pas se faire à brève échéance.
En ce moment, ce sont environ les deux tiers des fonds canadiens qui vont au gouvernement du pays ou à des organisations multilatérales, et moins d'un tiers aux initiatives de la société civile. C'est là que nous aimerions voir un meilleur équilibre, parce que nous savons — vous êtes tous des politiciens et vous le savez aussi — que les politiciens agissent lorsqu'ils sentent un intérêt, une pression, une demande de la part du public. C'est la société civile qui soutient cette demande, ce qui signifie qu'il faut une société civile forte pour défendre les droits et garantir ce contrepoids. On peut voir des gouvernements investir dans la planification familiale et la contraception un jour, puis ne pas le faire le lendemain parce qu'ils ne perçoivent pas le besoin ou la demande sur le terrain. Ce sont les organisations de la société civile, en particulier les organisations de défense des droits des femmes, les organisations locales de base...
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Je vous remercie, monsieur le président, et je remercie les témoins. Ayant travaillé dans le secteur, je sais que nous réclamons ces mesures depuis très longtemps. Je suis très contente de vous entendre le dire et de savoir que cela va figurer au compte rendu.
Pour moi, cette étude est très importante, car nous savons que les femmes — en raison des conflits, de la COVID‑19, des changements climatiques — subissent un fardeau disproportionné à l'heure actuelle et en ressentent de nombreux effets. Comme ma collègue, Mme Bendayan, l'a souligné, un jour s'est écoulé depuis que la Journée internationale des droits des femmes a été célébrée, et il semble que le moment soit bien choisi pour nous interroger sur la manière dont le Canada peut en faire davantage pour soutenir les femmes dans le monde entier.
Toutes mes questions porteront sur ce que nous attendons du gouvernement du Canada. Quelles sont les recommandations que vous souhaitez voir figurer dans notre rapport à l'intention du gouvernement du Canada?
Pour commencer, pouvez-vous me parler un peu du cadre de responsabilisation d'Affaires mondiales Canada, de ce que vous en pensez, de ce que vous pensez du premier rapport qui a été publié, et de ce que vous pensez de notre engagement à consacrer 700 millions de dollars à la santé et aux droits sexuels et reproductifs, alors que nous sommes très loin du compte, à ce jour, et que le temps file? Pourriez-vous nous expliquer un peu cela?
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Bien sûr. Je serai ravie de parler de ce rapport.
Je dirais tout d'abord que l'engagement qui a été pris est historique. Il est fantastique, et il faut maintenant faire les choses correctement. De plus, l'engagement à établir ce rapport de responsabilisation est une chose formidable, non seulement parce que nous pouvons suivre ce qui se passe, mais aussi parce que nous pouvons faire des ajustements au fur et à mesure. J'applaudis vraiment le gouvernement pour cela.
Je pense que la première année a peut-être été un test dans une certaine mesure, ce qui nous donne l'occasion de façonner les choses différemment. Je pense qu'il y a un manque évident d'investissements dans les quatre domaines négligés de la santé et des droits sexuels et reproductifs pour lesquels nous voulons plus d'investissements. Je précise qu'il s'agit des avortements sûrs; de la contraception et de l'accès à une contraception complète; de l'éducation sexuelle, en particulier pour les adolescents et les jeunes; et de la défense en matière de santé et de droits sexuels et reproductifs. Deux de ces quatre domaines — l'éducation sexuelle et l'avortement — n'ont pratiquement reçu aucun financement au cours de la première année. Nous pensons que c'est en partie parce que les partenaires de la société civile et les organisations de défense des droits des femmes n'ont pas reçu suffisamment de fonds. Cela peut aider à équilibrer les choses.
J'ai bon espoir que nous pourrons nous engager sur la bonne voie, mais cela signifie aussi qu'il faut multiplier les différents types de partenariats. Si vous travaillez toujours avec les mêmes acteurs de la même manière, vous n'obtiendrez pas de nouveaux résultats. Cela représente un véritable changement dans le mode de financement de l'aide canadienne. Il s'agit de miser sur le travail effectué dans le domaine de la santé des mères et des nouveau-nés, mais c'est une nouvelle approche, et il faut donc de nouveaux partenariats. Établir davantage de partenariats avec des acteurs progressistes de la défense des droits des femmes peut contribuer à faire grimper les chiffres.
Je trouve encourageant ce qui se passe dans le domaine de la défense des droits, où des sommes ont été investies. C'est une tendance prometteuse que le rapport fait ressortir, et nous aimerions que cette tendance s'accentue.
On a répété à maintes occasions dans cette pièce qu'idéalement, l'aide au développement doit être prévisible, durable et, bien sûr, croissante, mais je comprends ce que vous dites au sujet de l'importance qu'elle soit aussi adaptable.
Oxfam compte parmi les 77 groupes qui ont écrit à la pour demander au gouvernement de respecter l'engagement qu'il a pris d'augmenter l'aide publique au développement.
Pouvez-vous nous parler brièvement de l'incidence des hauts et des bas pour les groupes comme Oxfam et les autres organisations canadiennes de la société civile? On le voit plus aux États-Unis, où les changements de gouvernement entraînent des écarts de financement, mais c'est également une réalité au Canada. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet aussi, s'il vous plaît?
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Si nous demandons un financement accru, c'est notamment parce que nous nous trouvons dans une situation inédite: aux défis en matière de développement s'ajoutent maintenant des urgences climatiques majeures suivies de crises humanitaires. Cette réalité complique notre travail et le rend encore plus coûteux.
L'inflation a une incidence sur tout, y compris sur le développement de qualité; il y a donc des répercussions. Même si le Canada maintenait le budget alloué à l'aide internationale au niveau actuel, ces fonds perdraient de la valeur à l'échelle mondiale. Voilà pourquoi nous demandons une augmentation du financement.
En ce qui concerne l'effet des perturbations sur nos partenaires, une chose que nous avons constatée — et ce n'est pas propre au Canada —, c'est que le milieu de l'aide a de la difficulté à continuer de se concentrer sur les activités essentielles de lutte contre la pauvreté et de travail humanitaire. Par exemple, un grand soutien a été accordé en réponse à la guerre en Ukraine. Bien entendu, ce soutien était fort nécessaire, mais il a aussi perturbé le financement de l'aide apportée à nombre d'autres pays. Nous échangeons avec des collègues dans la Corne de l'Afrique et en Afrique de l'Est, des régions qui font face à des famines épouvantables et à l'écroulement des systèmes de soins de santé. Dans de telles situations, les défis liés à la santé maternelle et à la santé des femmes sont nombreux. Or la population de ces pays voit que les yeux du monde entier sont rivés ailleurs pendant qu'elle vit l'une des pires crises du siècle.
Le Canada doit demeurer constant. Il a adopté une politique d'aide internationale féministe et il doit continuer à respecter ses engagements en ce sens. Nous nous sommes engagés à venir en aide aux groupes les plus touchés par les changements climatiques. Poursuivons nos efforts dans ce domaine. Cela ne nous empêche pas de faire preuve de solidarité quand un tremblement de terre frappe une autre région ou quand une guerre éclate ailleurs. Continuons à respecter nos engagements, car la perte soudaine de financement d'un organisme causée par l'épuisement des fonds consacrés à l'aide peut littéralement être une question de vie ou de mort.
Oui, j'aimerais parler des mesures à prendre à l'égard de la législation sur l'avortement, un sujet dont il a été question précédemment. Dans mon pays, la discussion sur l'avortement ne laisse aucune place aux enjeux liés à la vulnérabilité et à l'exploitation des femmes. Chez moi, les années de pauvreté et de violence ont mené à l'exclusion des femmes. Nous trouvons simplement les solutions que beaucoup de fonds... et les mesures que prennent certaines organisations ne sont qu'une forme de résignation politique à la violence. Pourquoi? Parce que le lien avec les traumatismes subis par les femmes provoque une dissociation. Cette dissociation rend les femmes vulnérables, et leur vulnérabilité les expose à l'exploitation. La vulnérabilité des femmes a donné lieu à des industries d'exploitation, même dans le domaine de l'avortement.
Si je le dis, c'est parce que dans mon pays, nous n'avons pas de données, par exemple, sur les raisons pour lesquelles les femmes se font avorter. Nous ignorons combien de ces femmes sont victimes de traite ou de violence. Nous n'avons certainement pas de données sur le nombre de femmes qui réintègrent des milieux où elles risquent de subir des traumatismes et de la dissociation.
Un cercle d'affirmation politique de la vulnérabilité rend les femmes les plus vulnérables invisibles dans tous les programmes et toutes les politiques. L'interprétation limitée de leur autonomie dissimule l'exploitation, la douleur, la souffrance et les traumatismes dont les femmes sont victimes et qui ont un effet sur toutes leurs décisions. Parfois, elles choisissent le trafiquant et la violence...
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Certainement. Je pourrais répondre de deux façons.
D'abord, les organismes comme Oxfam ne prennent pas des décisions ici à Ottawa, pour ensuite imposer des mesures aux communautés locales. Nous faisons tout notre travail en collaboration avec les communautés et les partenaires locaux. Nous travaillons avec des organisations de défense des droits des femmes dans des pays comme le Mexique et partout dans le monde. Ce sont elles qui tiennent les rênes. Nous avons le privilège de servir d'intermédiaire entre le gouvernement canadien et les fonds publics et le travail qu'elles font pour soutenir leurs communautés. Ce n'est pas nous qui menons. Tous les pays avec lesquels nous collaborons comptent de fortes organisations de défense des droits des femmes. Ce ne sont pas les organisations communautaires qui manquent sur le terrain.
Pour revenir à la question précédente, je ne vais pas me prononcer précisément sur le FNUAP, mais ce que nous savons, c'est qu'au Mexique — je vais parler de cette situation parce que ma famille vit dans le Sud du Mexique —, ce sont les femmes autochtones qui ont mené la charge pour la légalisation de l'avortement dans les provinces les plus pauvres du pays, en commençant par Oaxaca. Les femmes autochtones ont milité pour l'avortement parce qu'elles savent que ce sont elles qui subissent les conséquences des avortements non sécuritaires et du manque de services publics.
Il ne s'agit pas d'une mesure imposée par un agent étranger ou les Nations unies. C'est grâce à une impressionnante campagne de mobilisation populaire qu'un pays a changé ses lois très contraignantes sur l'avortement, une campagne dirigée par des groupes communautaires et ruraux formés de femmes autochtones. Ces femmes sont les dirigeantes que nous pouvons soutenir. Les changements n'ont pas été imposés de l'extérieur.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Mesdames Ravon et Vaugrante, merci d'être des nôtres aujourd'hui, en ce lendemain du 8 mars, Journée internationale des femmes, durant laquelle nous avons parlé de l'importante nécessité de défendre, encore et toujours, les droits des femmes. Ce qui me marque cette année, c'est que, d'après ONU Femmes, il faudrait encore 300 ans au rythme actuel pour atteindre l'égalité entre les hommes et les femmes. C'est un chiffre qui sonne l'alarme pour moi et me rappelle que le combat doit continuer.
Madame Vaugrante, dans votre allocution, vous avez parlé de la question des violences sexuelles faites aux femmes. Pourriez-vous nous en dire davantage sur le lien qui existe entre, d'une part, ces violences fondées sur le genre et, d'autre part, toutes les questions de santé telles que l'avortement et les grossesses non désirées?
En matière de coopération internationale, il est important d'améliorer les systèmes de santé, mais pourriez-vous nous parler du travail à faire pour diminuer les violences fondées sur le genre et faites aux femmes en particulier?
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Je vais commencer à répondre à votre question, et je vais laisser Mme Ravon continuer.
Nous en avons parlé en répondant à différentes questions. Nos interventions ne sont jamais techniques. Le but premier est d'accompagner les groupes qui sont déjà sur le terrain. Quand il s'agit de formation sur la santé sexuelle et reproductive, nous parlons d'une formation complète. Notre approche ne porte donc jamais simplement sur la partie technique de la santé. Elle est complète et porte sur l'ensemble des droits sexuels et reproductifs des femmes et sur les moyens de combattre les violences dont elles font l'objet.
Les contextes sont de plus en plus fragilisés par les conflits et les catastrophes naturelles, qui augmentent de plus en plus le danger de violence contre les femmes et les filles. Il est prouvé que les contextes où les espaces démocratiques sont de plus en plus restreints et où les conflits sont de plus en plus nombreux peuvent conduire à de la violence sexuelle.
Nous travaillons donc avec les dirigeants communautaires et nous parlons aussi des avantages d'avoir des femmes qui ne souffrent pas de violence sexuelle et qui jouissent de leurs droits, et qui peuvent ainsi participer à l'économie de la communauté et contribuer aux solutions. C'est important.
Je cède la parole à Mme Ravon.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je vous remercie encore une fois pour vos témoignages. Vous avez parlé du travail que vous faites en partenariat avec les femmes. J'ai rencontré des gens d'Oxfam et des partenaires sur le terrain au Nicaragua.
J'aimerais vous donner la possibilité d'aborder deux sujets très rapidement. Le premier, c'est le fait que vous travaillez très étroitement avec vos partenaires et que vous permettez aux personnes — aux femmes — sur le terrain de faire ce qu'elles ont à faire. Vous leur fournissez le soutien dont elles ont besoin. Par ailleurs, il a été question de la capacité du secteur canadien de l'aide de modifier ses objectifs. Il va sans dire que les séismes dévastateurs qui ont secoué la Syrie et la Turquie et l'horrible guerre qui fait rage en Ukraine ont détourné une grande partie de notre attention. Bien entendu, le Canada doit faire tout ce qu'il peut pour venir en aide aux populations de la Turquie, de la Syrie et de l'Ukraine, notamment pour les femmes ukrainiennes, qui subissent beaucoup de violence sexuelle.
Pouvez-vous nous parler brièvement de l'importance d'offrir du soutien en plus de, et non à la place de, l'aide financière au développement?
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Merci, monsieur Genuis.
Madame Garcia, à ce stade-ci, il n'est plus permis aux témoins de commenter davantage, mais si vous voulez ajouter des observations qui pourraient, à votre avis, aider le Comité à élaborer des recommandations, veuillez les envoyer par écrit.
Merci de m'avoir permis de faire la précision.
Sur ce, j'aimerais vous remercier toutes d'avoir pris le temps de faire valoir votre point de vue.
Nous prenons quelques minutes pour passer au deuxième groupe de témoins. Les personnes sur Zoom n'ont rien à faire. Nous reprendrons dans deux minutes.
Merci.
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Nous reprenons la séance.
Conformément à l'article 108(2) du Règlement et à la motion adoptée par le Comité le lundi 20 juin 2022, le Comité reprend son étude sur la santé et les droits sexuels et reproductifs des femmes dans le monde.
J'ai le grand plaisir d'accueillir parmi nous la directrice exécutive et sous-secrétaire générale des Nations unies, la docteure Natalia Kanem, du Fonds des Nations unies pour la population.
Nous accueillons également des témoins tout aussi distinguées de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada. Bienvenue à la Dre Diane Francœur et à Mme Jocelynn Cook.
Chers témoins et membres du Comité, veuillez vous assurer que je vous nomme avant de prendre la parole. Nous accordons cinq minutes à chacune des témoins pour des remarques liminaires, avant de passer aux questions des membres du Comité. Je vous ferai signe lorsqu'il vous restera 30 secondes environ et vous serais reconnaissant si vous pouviez conclure à ce moment. Cette directive vaut pour les déclarations préliminaires et pour les questions des députés.
Permettez-moi maintenant de souhaiter la bienvenue à la Dre Kanem.
Madame Kanem, vous avez cinq minutes.
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Merci, monsieur le président, messieurs les vice-présidents et honorables membres du Comité.
Je vous remercie d'avoir invité le Fonds des Nations unies pour la population, ou FNUAP, qui est l'agence des Nations unies pour la santé sexuelle et reproductive, à s'adresser à vous aujourd'hui. Le Fonds remercie également le Canada pour son soutien constant et généreux. Nous sommes ravis que le Canada soit à nouveau membre du conseil d'administration du FNUAP jusqu'en 2024, et nous nous réjouissons de pouvoir compter sur vos conseils au cours de cette période. Le soutien de nos partenaires fait la différence entre la vie et la mort pour des millions de femmes et de filles dans le monde chaque année.
Il peut y avoir des moments de grande joie au cœur d'une période d'immense souffrance, comme nous l'avons constaté le mois dernier, à la suite du tremblement de terre dévastateur en Syrie, quand Khawla Hassan Al‑Ali a pu donner naissance par césarienne, en toute sécurité, à quatre bébés en bonne santé — des quadruplés —, dans une clinique soutenue par le FNUAP, dans le Nord-Ouest du pays.
Nasreen Faroug Balla, une jeune Soudanaise, était dans un état critique lorsqu'elle a enfin atteint un hôpital de campagne du FNUAP dans un camp de réfugiés éthiopiens, après avoir été portée pendant trois kilomètres sous la pluie et dans la boue. Elle souffrait de pré-éclampsie. La pression artérielle de Nasreen a brusquement augmenté et elle s'est évanouie. Heureusement, les médecins ont pu lui faire une césarienne d'urgence. Son bébé — un garçon — et elle ont survécu et reçu les soins nécessaires à leur rétablissement.
Évidemment, toutes les histoires ne connaissent pas un dénouement aussi heureux. Toutes les deux minutes, une femme meurt pendant sa grossesse ou son accouchement — 287 000 femmes en 2020, selon l'estimation d'un récent rapport du FNUPA et de ses partenaires des Nations unies. Très souvent, cette femme qui meurt est mineure.
La plupart de ces morts sont évitables. L'une des façons les plus rentables d'éviter la mortalité maternelle est la formation et le déploiement de sages-femmes, qui peuvent fournir 90 % des services essentiels de santé sexuelle et reproductive et des soins aux mères et aux nouveau-nés. Il manque toutefois actuellement 900 000 sages-femmes dans le monde. Grâce au soutien du Canada et d'autres partenaires, le FNUPA œuvre à combler cette lacune en constituant un corps de sages-femmes bien formées.
Il est également essentiel de réduire le nombre de grossesses non intentionnelles, qui se terminent trop souvent par un avortement pratiqué dans des conditions dangereuses — l'une des causes principales de mortalité maternelle. Les études du FNUPA démontrent que près de la moitié des grossesses ne sont pas intentionnelles. Toujours selon ces études, on lutte efficacement contre ce problème en élargissant l'accès à un éventail de moyens de contraception de qualité; en approfondissant l'éducation à la sexualité offerte aux jeunes; et en protégeant le droit des femmes de décider si elles souhaitent avoir des enfants et, le cas échéant, quand et avec qui elles désirent en avoir.
Il nous faut également nous attaquer aux normes et aux pratiques nocives qui minent les droits des femmes et des filles, leur autonomie à disposer de leur corps et leur accès à des soins de santé relatifs à la maternité. Pourquoi? Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Une femme sur trois subit des violences physiques ou sexuelles au cours de sa vie. Une fille sur cinq est mariée ou dans une union forcée avant l'âge de 18 ans. Plus de quatre millions de filles sont à risque de subir une mutilation génitale féminine cette année. Seulement 56 % des femmes en couple peuvent décider elles-mêmes si elles veulent avoir des relations sexuelles, utiliser un moyen de contraception ou obtenir des soins de santé.
Nous savons que, pour changer cette situation, il faut établir des partenariats, d'abord et avant tout avec les communautés, avec les organismes de la société civile, avec les chefs religieux et traditionnels et, plus essentiel encore, avec les hommes et les garçons.
Les avantages à tirer de ces partenariats sont énormes pour les personnes et les sociétés. D'après les études du FNUPA, chaque dollar investi pour mettre fin aux décès maternels évitables et pour répondre aux besoins non comblés en matière de planification familiale d'ici l'an 2030 permettrait de générer des avantages économiques de 8,40 $ d'ici 2050.
Le Fonds des Nations unies pour la population se réjouit certainement de l'approche féministe du Canada en matière d'aide internationale. Votre leadership est une lueur d'espoir en cette ère où l'égalité des sexes et les droits des femmes et des filles sont de plus en plus bafoués.
Le FNUAP considère le Canada comme un allié solide de la lutte pour des changements profonds en matière d'égalité des sexes, pour éradiquer les écarts, la discrimination et les inégalités, et pour défendre les droits et les choix de toute personne, dans toute sa diversité.
Je termine en disant que nous sommes impatients de poursuivre notre collaboration pour un monde où chaque grossesse est intentionnelle, où chaque accouchement est sûr et où chaque femme et chaque jeune peut choisir l'orientation de sa vie, transformer sa communauté et participer à bâtir un avenir plus équitable, plus prospère et plus durable.
Merci beaucoup.
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Mesdames et messieurs, bonjour.
Mon nom est Diane Francœur et je suis directrice générale de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada, ou SOGC. Aujourd'hui, je suis accompagnée de la Mme Jocelynn Cook, qui est notre directrice scientifique en chef.
Nous vous remercions de l'occasion qui nous est donnée aujourd'hui de vous parler de la santé et des droits sexuels et reproductifs des femmes dans le monde. La SOGC compte plus de 4 000 membres, notamment des obstétriciens-gynécologues, des médecins de famille, des infirmières, des sages-femmes, des chercheurs et d'autres professionnels de la santé qui œuvrent dans notre domaine. Notre mission est de guider l'amélioration de la santé des femmes par l'excellence et la pratique professionnelle collaborative. Notre vision est donc la suivante: des femmes en bonne santé, des professionnels en bonne santé et d'excellents soins.
Notre organisation et nos membres sont très engagés dans la santé et les droits sexuels et reproductifs des femmes, qu'elles vivent au Canada ou ailleurs. La SOGC se démarque depuis plusieurs années comme l'organisation de référence pour les professionnels de la santé et les femmes lorsqu'il s'agit de trouver rapidement les dernières recommandations fondées sur des données probantes. Nos membres, qui participent à l'élaboration des lignes directrices, font partie des meilleurs experts canadiens et, fait exceptionnel compte tenu du fait qu'il y a 17 facultés de médecine au Canada, réussissent à parler d'une seule voix lorsqu'il s'agit de changer nos pratiques pour améliorer les soins offerts aux femmes.
Aujourd'hui, nous vous ferons part de nos recommandations ainsi que de quelques réflexions sur des solutions fondées sur des données scientifiques pour répondre aux besoins actuels des femmes et de ceux qui les soignent, puisque eux aussi méritent notre soutien et notre attention pour faire un meilleur travail.
La pandémie nous a laissés avec une pénurie de ressources humaines qui fragilise notre système de santé. Force est de constater que cette pénurie a eu un impact direct sur la santé des femmes en créant un goulot d'étranglement, particulièrement pour les populations mal servies. Les nouvelles immigrantes, les Autochtones et les personnes de diverses identités de genre ont plus que jamais de la difficulté à se retrouver dans notre système surchargé. Comme il est difficile d'obtenir un accès aux cliniques spécialisées et aux services de santé dont elles ont besoin en temps opportun, les conséquences et l'impact d'une prise en charge tardive sur leur état médical seront encore plus importants et parfois, malheureusement, irréversibles.
Citons, par exemple, l'apparition de nouveau-nés séropositifs quand la médication a commencé tardivement chez la mère. Nul ne saurait passer sous silence toutes ces femmes enceintes qui traversent les États‑Unis et qui arrivent par le chemin Roxham au Canada en tant que réfugiées. Même si elles bénéficient d'une couverture médicale par l'entremise du Programme fédéral de santé intérimaire, elles ne savent pas comment naviguer notre système et doivent souvent compter sur leurs enfants ou leurs amis pour traduire leurs problèmes médicaux quand les interprètes ne sont pas disponibles. Comment leur expliquer que leurs droits sexuels seront respectés, alors que nous sommes incapables d'avoir une conversation privée et libre d'influence?
Les cliniques surpeuplées ne sont pas le meilleur endroit pour accueillir les immigrantes et évaluer les risques médicaux et sociaux. En tant que professionnels de la santé, nous avons besoin de temps pour être en mesure d'établir une relation de confiance afin d'aider ces femmes à prendre les meilleures décisions possible concernant leurs problèmes médicaux et sociaux. Malheureusement, leur état médical compliqué dicte souvent la vitesse des interventions nécessaires avant même que ces femmes n'aient le temps de se rendre compte qu'elles vivent maintenant dans un pays où elles auront le droit de choisir.
Les questions liées à l'accès à l'avortement salubre ou illégal, à l'accès à la contraception sans contrainte financière et aux soins particuliers pour la communauté LGBTQ+, y compris les aspects multiculturels de la santé et la gestion des traumatismes subis par chacune, sont des questions et des problèmes encore plus complexes dans les situations de conflit, de pandémie et de guerre pour ces populations mal servies. Elles en subissent les conséquences partout dans le monde, et nous devons être en mesure de comprendre les tendances, les lacunes et les possibilités d'améliorer leur sort lorsqu'elles arrivent chez nous.
La santé et les droits sexuels et reproductifs doivent être une priorité pour toutes les femmes et leur enfant à venir. À cet égard, le Canada doit se démarquer par son engagement envers toutes ses femmes, peu importe qu'elles soient nées ici ou qu'elles viennent d'arriver.
Ainsi, nous pourrons appuyer chaque dollar investi à l'international à notre crédibilité dans nos actions, et non l'inverse.
Le Canada ne dispose pas de données fiables et exactes sur la santé de ses femmes lorsque vient le temps de surveiller les indicateurs et de produire des rapports qui orienteront les investissements et la prise de décisions. Nous observons sur le terrain certaines aberrations, notamment le fait que les femmes de couleur, les femmes autochtones et les Néo-Canadiennes semblent plus susceptibles de mourir pendant l'accouchement au Canada. Cependant, nous ne disposons d'aucune donnée pour appuyer ces observations, puisque ces données ne sont ni mesurées ni communiquées.
Toutefois, la SOGC sait avec certitude comment préparer des outils de formation pour prévenir ces décès. La santé mentale et les opioïdes sont des problèmes observés dans les pays riches, mais, malheureusement, ils sont aussi liés très étroitement à un accès limité aux services offerts.
Depuis plus de 80 ans, la SOGC milite pour améliorer la santé des femmes, offre de la formation et de l'éducation, dirige la recherche et produit des lignes directrices basées sur des données probantes. Nous avons travaillé en partenariat avec plusieurs pays dans le monde pour élaborer des programmes de formation en matière de santé sexuelle et de droits reproductifs destinés à leurs professionnels, avec leurs sociétés savantes et leurs gouvernements. Nous avons ainsi formé plus de 10 000 professionnels de la santé dans des pays à faibles ressources pour optimiser des soins obstétricaux d'urgence fondés sur la philosophie et le respect des droits de chacun.
Nous aimerions vous laisser avec quelques recommandations.
Nous devons soutenir nos équipes de soins en employant des modèles de soins novateurs et sortir des sentiers battus pour améliorer l'accès, réduire la stigmatisation et améliorer les expériences des patientes ainsi que leurs indicateurs de santé. La pénurie de ressources humaines est malheureusement là pour de bon. Il faut donc trouver des solutions qui ne seront pas seulement basées sur la pensée magique voulant qu'on aille chercher les ressources professionnelles d'autres pays, surtout ceux qui sont en voie de développement.
Nous devons transmettre au public et à nos patients de l'information exacte, dans la langue requise, pour les accompagner lors de la prise de décisions concernant leur santé. Nous devons communiquer la même science et les mêmes recommandations aux femmes et aux médecins afin qu'ils puissent parler le même langage.
Enfin, nous devons continuer de recourir aux données fédérales, provinciales et territoriales pour nous assurer de cerner les questions critiques et les tendances, et ce, afin de pouvoir mesurer les répercussions avant qu'il ne soit trop tard pour agir.
Je vous remercie encore une fois de nous avoir invitées aujourd'hui...
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Merci, monsieur le président.
Merci à vous toutes, chères témoins. On l'a déjà dit plus tôt dans cette réunion, nous sommes au lendemain de la Journée internationale des femmes. Nous souhaitons vous dire à quel point nous sommes reconnaissants du travail que vous faites sur le terrain afin de soutenir les femmes.
Docteure Francoeur, je suis très intéressée par les recommandations que vous aurez pour le gouvernement fédéral. Nous savons tous que les soins de santé relèvent de la compétence des provinces, mais j'aimerais entendre vos commentaires sur l'amélioration de l'accès, dont vous avez parlé, ainsi que sur l'importance de communiquer au public la bonne information dans la bonne langue.
Proposez-vous qu'on publie davantage d'informations dans plusieurs langues afin de s'adresser à différentes communautés au Canada? Pouvez-vous nous fournir des précisions sur ce qu'on devrait communiquer aux femmes ici, au Canada?
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Merci pour votre question.
Permettez-moi de préciser que je ne suis pas seulement une directrice générale. Je suis aussi obstétricienne-gynécologue et je travaille dans votre circonscription, au Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, le CHU mère-enfant Sainte-Justine.
Au cours de la dernière année, un très grand nombre d'immigrantes qui ne parlent ni l'anglais ni le français sont arrivées au pays. Lorsque nous rencontrons ces femmes à l'hôpital, nous avons accès à des services d'interprétation, mais, lorsque nous les voyons en clinique ou dans un bureau, il est parfois impossible d'obtenir ces services. C'est vraiment problématique.
La grossesse n'est pas une maladie, mais, lorsque les femmes enceintes sont malades, il est important qu'elles puissent comprendre dans leur langue maternelle les questions qu'on essaie de leur expliquer.
Le CHU mère-enfant Sainte-Justine est un hôpital qui s'occupe des grossesses à risque. Durant la dernière année, nous avons accueilli des femmes très malades, dont une grande partie vient d'Haïti. Or, ces femmes peuvent avoir transité par le Chili ou le Brésil et avoir subi une césarienne. Elles n'ont pas de dossier, ne comprennent pas ce qui s'est passé et arrivent dans un pays où, soudainement, elles doivent faire des choix sans vraiment comprendre qu'elles ont maintenant des droits qui seront respectés. Dans ce genre de situation clinique, les nouvelles arrivantes ne sont toujours pas en mesure de prendre ces décisions.
C'est très difficile lorsqu'il y existe une barrière de langue, en plus de la barrière de culture. Les nouvelles arrivantes ont souvent traversé tous les États-Unis et n'ont pas de dossier. Nous essayons de les aider à y voir plus clair dans les risques réels, mais une grossesse a quand même un délai: après 40 semaines, le bébé doit sortir. Ainsi, nous n'avons parfois pas beaucoup de temps pour aider ces femmes à cheminer dans tout cela.
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Merci. Je vais parler anglais. Ce sera préférable pour vous tous.
Il s'agit à mon avis d'un point essentiel. Actuellement, nous sommes à un moment décisif dans la collaboration entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et territoriaux en matière de données. Nous avons tiré des leçons de la COVID. Il le fallait. Nous avons été forcés d'adopter des pratiques nouvelles que nous pouvons difficilement évaluer sur le plan scientifique, mais nous avons l'intuition qu'elles ont fonctionné et qu'elles nous ont aidés.
Dans notre domaine, nous essayons maintenant, à mon avis, de respirer un grand coup, de prendre du recul et de bien réfléchir aux résultats attendus, aux tendances et aux aspects qu'il nous faut maîtriser, de manière à bien comprendre ce qui se passe. Si nous comprenons bien la situation en nous appuyant véritablement sur les données probantes, nous pourrons commencer à planifier, à prévoir et à évaluer les besoins en matière de sensibilisation du public — les langues de communication, par exemple — et en matière de formation du personnel soignant, qui fait face à une grande variété de circonstances, de contextes et même de populations de patients. Nous pourrons ensuite travailler de concert et décider de nos points d'intervention et de prévention.
À l'échelle nationale et provinciale, notre organisme travaille en collaboration avec d'autres pour obtenir ces données en matière de morbidité maternelle grave et de mortalité maternelle — déjà abordées aujourd'hui et lors de séances précédentes. Par ailleurs, des facteurs vraiment essentiels vont bientôt émerger des données canadiennes, parce que certaines provinces ont des données relatives à la santé mentale et aux conséquences de la santé mentale sur les résultats.
Merci. J'adore les données. C'est un sujet qui me passionne.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie les témoins d'être avec nous aujourd'hui pour cette importante étude sur la santé et les droits sexuels et reproductifs des femmes dans le monde.
Nous avons eu l'occasion, hier 8 mars, de réfléchir à tout le chemin parcouru, mais aussi aux reculs que plusieurs droits des femmes ont subis au cours des dernières années, notamment les droits sexuels et reproductifs. On n'a qu'à penser à ce qui se passe au sud de la frontière, notamment, où les reculs survenus au cours des derniers mois sont vraiment inquiétants.
Madame Kanem, le gouvernement du Canada a pris en 2019 l'engagement de fournir une moyenne de 1,4 milliard de dollars par année pendant 10 ans, à partir de 2023, pour soutenir la santé des femmes, des enfants et des adolescentes dans le monde. De ce montant, 700 millions de dollars devront être consacrés à la santé et aux droits sexuels et reproductifs. C'est un engagement intéressant, mais qui ne doit pas masquer le fait qu'en 2021, le Canada n'a consacré que 0,32 % de son revenu national brut à l'aide publique au développement.
Pouvez-vous nous rappeler quel est l'objectif que doivent viser les pays en matière d'aide au développement, en pourcentage de leur revenu national brut?
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Tout d'abord, il faut se rappeler que nous sommes privilégiés au Canada et que la médication est offerte gratuitement aux femmes. Cela dit, encore faut-il voir ces dernières.
Je travaille au Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, le principal centre mère-enfant pour le sida au Québec. Depuis des années, le taux de transmission était de zéro. Or, pendant la pandémie, les délais entourant les documents d'immigration ont provoqué des retards dans les consultations en clinique spécialisée, lesquelles exigent des papiers en règle parce que la médication contre le VIH est très chère.
Par conséquent, on a malheureusement recommencé à voir des nouveau-nés qui naissaient avec le VIH. C'est une catastrophe dans un pays comme le Canada, parce qu'on peut prévenir ces infections. Pour ces femmes qui arrivent au Canada et qui apprennent qu'elles sont séropositives après avoir subi un test de dépistage, c'est catastrophique. Nous avons souvent dû pratiquer des césariennes lorsque nous intervenions trop tard, afin d'essayer de protéger le petit bébé.
Tous ces problèmes sont des problèmes dont on s'était débarrassé dans les années avant la pandémie. Nous devons donc rapidement remettre sur pied la prise en charge précoce de toutes les immigrantes pour que l'existence et les résultats de ces tests, qui sont souvent ignorés pendant des mois, soient connus.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie tous les témoins d'être parmi nous aujourd'hui et de nous faire part de leur expertise.
L'étude revêt beaucoup d'importance. On parle de l'importance des données et du fait qu'il est crucial que nous y ayons accès. On fait aussi valoir l'importance du financement prévisible, souple et à long terme.
Je vais commencer par vous, docteure Kanem, si vous me le permettez.
Selon le Fonds des Nations unies pour la population, la planification familiale constitue un droit de la personne. Ce droit est « au cœur de l'égalité entre les sexes et de l'affranchissement des femmes, et représente un facteur clé pour réduire la pauvreté. »
Pourriez-vous consacrer un peu de temps à nous expliquer pourquoi il reste encore dans le monde environ 257 millions de femmes dont les besoins en planification familiale ne sont pas comblés?
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Il est vrai que nous savons que près du tiers des femmes dans les pays à faible et moyen revenus vivent leurs premières grossesses pendant l'adolescence, soit à 19 ans ou avant. Ce phénomène comporte des répercussions sur le plan du consentement et sur la façon de vivre leur adolescence en sécurité, souvent sans éducation sexuelle convenable qui pourrait les protéger. On estime à 21 millions le nombre de grossesses, chaque année, chez les filles de 15 à 19 ans dans les pays à faible et moyen revenus; près de la moitié de ces grossesses ne sont pas intentionnelles. Un grand nombre de ces grossesses se terminent par un avortement, et la majorité de ces procédures se font dans des conditions dangereuses.
La corrélation avec la difficulté de fournir des moyens de contraception modernes pour répondre au besoin non comblé est liée en partie à la période de l'adolescence. C'est aussi une question de priorisation, puisque les études ont maintes fois démontré les bienfaits lorsque les femmes comprennent très bien les coûts d'élever des enfants et veulent convenablement espacer leurs grossesses dans le temps. Malgré tout, la capacité de fournir de la contraception sur une base régulière implique qu'il faut garantir des coûts abordables ainsi que, pour des raisons biologiques, la présence de systèmes de logistique pour appuyer les femmes.
Je ne sais pas s'il me reste du temps, mais je veux ajouter rapidement que le Fonds des Nations unies pour la population, ou FNUAP, travaille d'arrache-pied sur un autre enjeu: les budgets nationaux pour la contraception. C'est important dans un pays comme le Niger, par exemple, où le taux de fécondité moyen s'élève à sept enfants par femme. Le gouvernement a une volonté politique, et les systèmes traditionnels, comme les chefs religieux, font preuve d'un leadership robuste pour présenter la planification familiale comme un moyen de sauver des vies. En effet, la prévalence de la mortalité pendant l'accouchement est très élevée dans les pays les moins développés.
Merci.
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Je vous remercie énormément de cette réponse.
Pas plus tard que cette semaine, la Colombie-Britannique, au Canada, a légiféré la gratuité de la contraception. Un mouvement a pris forme en Alberta pour qu'on y reproduise la loi, alors je suis vraiment emballée pour les femmes de notre pays, en tout cas pour celles de la Colombie-Britannique et de l'Alberta.
C'est utile d'entendre de tels témoignages. On l'a entendu maintes fois pendant l'étude, mais il est pertinent de répéter que l'absence de services ne fait diminuer ni le nombre d'avortements ni le nombre de grossesses. À vrai dire, l'absence de services entraîne des grossesses plus dangereuses et nuit terriblement aux personnes concernées.
Pourriez-vous nous décrire les torts infligés aux personnes et peut-être fournir des données à ceux qui sont friands de chiffres dans la salle?
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En fait, le dernier rapport
État de la population mondiale du FNUAP s'est intéressé à l'enjeu des grossesses non intentionnelles et a abordé les circonstances dans lesquelles le manque d'accès peut littéralement être mortel puisque les femmes perdent la vie. Comme je l'ai mentionné plus tôt, nous mettons aussi en lumière le fait que les femmes qui meurent dans bon nombre de ces scénarios ne sont pas du tout des femmes. Ce sont des filles adolescentes qui, à cause de l'ignorance ou du manque d'accès, ou parfois de la coercition, sont tombées enceintes et n'ont pas reçu de soutien.
Je crois également au lien qu'on peut établir avec l'affranchissement des femmes qui sont en mesure de réaliser leurs aspirations, en s'investissant dans le travail ou l'entrepreneuriat, ou encore dans la maternité. L'intention améliore grandement la vie des femmes, et la capacité de planifier sa vie sera de plus en plus essentielle dans un monde technologique évoluant rapidement.
Il a été démontré que, en plus de sauver des vies, la contraception est très rentable étant donné la valeur qu'elle génère en productivité communautaire et économique. À mes yeux, la valeur réelle réside dans le fait que le monde appartient aux filles scolarisées. De leur côté, celles qui ne vont pas à l'école sont non seulement elles-mêmes condamnées à la pauvreté, mais précèdent des générations qui — les données le démontrent — s'en tirent moins bien.
Le vocabulaire de l'affranchissement ne doit pas nous distraire du fait que nous parlons de personnes qui aimeraient vivre leurs vies de façon à améliorer leur sort, celui de leurs communautés et, de surcroît, celui des pays et de la planète.
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Merci, monsieur le président.
Docteure Kanem, votre témoignage pendant la première série de questions m'a percuté. Vous avez dit que le FNUAP n'a pas compétence pour déterminer si la politique chinoise de l'enfant unique violait les droits de la personne. Il me semble que tout être humain a la compétence de déterminer que ces types de politiques bafouent les droits fondamentaux de la personne.
Nous vivons à une époque où ce Parlement a reconnu le génocide des Ouïghours, un génocide impliquant des avortements forcés, des stérilisations forcées et de la violence sexuelle à l'encontre des femmes. Nous devons donc discuter du contrôle démographique coercitif et du besoin de cesser la complicité, soit celle des entreprises qui ont pu faire des investissements pour faciliter le génocide des Ouïghours et celle des organisations qui ne dénoncent pas les politiques coercitives de contrôle démographique et les attaques contre les femmes qui y sont associées.
Le temps nous a manqué pendant mon dernier tour, mais j'avais soulevé certains enjeux: les inquiétudes exprimées par la Commission nationale des droits de l'homme au Mexique sur la complicité du FNUAP dans les politiques coercitives de contrôle démographique; un article de la BBC rapportant des allégations sur les activités du FNUAP en Inde; et d'autres renseignements sur les activités du FNUAP en Chine. Si vous avancez que vous n'avez pas le rôle de trancher des questions de droits de la personne, vous devez en revanche prendre position quant à vos propres participation et complicité au problème.
J'aimerais entendre votre réponse. Merci.
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Je ne suis pas en mesure de commenter certains des éléments que vous avez mentionnés. Ce sont, par exemple, nos États membres qui décident à qui est décerné le prix en matière de population. Ce sont les pays des Nations unies qui tranchent, et non pas l'agence.
Quoi qu'il en soit, je veux affirmer sans équivoque que, en Chine, et dans tout pays, le FNUAP agit de façon à maintenir et aborder les droits enracinés dans le mandat du Caire de 1994, qui encadre maintenant nos activités. Je précise que certains des cas auxquels vous faites allusion pourraient être survenus avant le mandat du Caire de 1994. Le Programme d'action est on ne peut plus clair: le FNUAP doit prioriser le développement des personnes et des femmes. Lorsqu'elles ont fait l'objet d'enquêtes, les allégations visant le FNUAP ont toujours été jugées sans fondement. C'est également vrai pour celles entourant la Chine.
Nous nous attelons avant tout à réduire l'inégalité, à réduire l'iniquité et en fait à rejeter la coercition. Nous croyons qu'un programme pour la santé sexuelle et reproductive complet, axé sur les droits et sensible à la spécificité des sexes protège les femmes. Selon les circonstances, elles n'ont pas toujours la possibilité de s'exprimer à cause des règles gouvernementales, que la FNUAP a l'obligation de respecter... Nous avons réussi, même en Afghanistan, à maintenir des soins qui sauvent des vies en travaillant très prudemment avec des sages-femmes sur le terrain, des femmes et la société civile...
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Merci, monsieur le président.
Je souhaite la bienvenue aux témoins.
J'aimerais aborder deux éléments qui sont liés: d'un côté, la santé maternelle, et de l'autre... Docteure Francœur, vous avez affirmé que les droits sexuels et reproductifs des femmes doivent être respectés. Je veux commencer par ces deux éléments.
La raison pour laquelle j'aborde la santé maternelle avec les trois témoins est que j'ai le bonheur d'avoir trois filles. L'aînée est née à l'hôpital dans les circonstances d'un code rose. Je sais que vous connaissez toutes deux la signification d'un code rose. Elle est en excellente santé, et c'est un des amours de ma vie. Ce n'est pas partout dans le monde que l'on peut déclarer un code rose.
Puis‑je m'enquérir de l'importance de la santé maternelle pour les femmes — pas seulement ici au Canada — et des avantages d'investir des sommes en santé maternelle, ici au Canada ou ailleurs dans le monde?
Si c'est possible, j'aimerais d'abord entendre Dre Kanem, puis Dre Francoeur, pendant 30 secondes chacune.
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Je prenais des éléments en note, pour les ajouter à vos notes, que nous vous transmettrons plus tard.
Nous collaborons avec le FNUAP à certains projets mondiaux sur la santé. En tant qu'organisation professionnelle en santé adhérant à des normes élevées en pratique clinique, nous formons des fournisseurs de soins de santé de diverses professions. Nous comptons de nombreux projets internationaux. Nous travaillons avec des pays — tantôt avec les gouvernements, tantôt avec les dirigeants de leurs propres organisations — pour déterminer ce qu'ils veulent réaliser. Comment coopérer et mettre notre expertise clinique à contribution pour élaborer un programme d'apprentissage et renforcer les capacités pour former les formateurs? Notre système est excellent, et je suis un véritable atout pour aider à réaliser cet objectif.
Ici encore, il s'agit de créer des groupes WhatsApp afin que les participants puissent poser des questions à nos bénévoles qui détiennent l'expertise technique. Il faut compter sur cette dynamique pour la prestation des soins et le travail direct auprès des intervenants sur le terrain. Puis, nous travaillons avec les organisations de professionnels de la santé et parfois avec les PDG des hôpitaux pour déterminer comment ils peuvent favoriser un environnement en appui aux femmes et à leurs droits reproductifs. Par exemple, il suffit parfois de protéger les lits de moustiquaires.
C'est avec plaisir que j'entrerai dans les détails, mais je sais qu'il ne me reste plus de temps.