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Conformément à l'article 108(2) du Règlement et à la motion adoptée par le Comité le mercredi 21 septembre 2022, le Comité reprend son étude de la sécurité aux frontières entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie.
J'ai quelques consignes à donner aux députés et aux témoins.
Avant de prendre la parole, veuillez attendre que je vous nomme. Vous pouvez vous exprimer dans la langue officielle de votre choix. Des services d'interprétation sont à votre disposition.
Conformément à la motion de régie interne adoptée par le Comité, j'informe le Comité que tous les témoins qui se joignent à nous de façon virtuelle aujourd'hui ont effectué un essai de connexion avant la réunion.
J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à nos trois témoins.
Tout d'abord, nous accueillons Audrey Altstadt, professeure d'histoire à la University of Massachusetts Amherst. Elle se joint à nous virtuellement. Nous sommes également reconnaissants à Mme Jennifer Wistrand, directrice adjointe de l'Institut Kennan, au Woodrow Wilson International Center for Scholars, qui est présente en personne. Enfin, nous accueillons M. Zaur Shiriyev, analyste à l'International Crisis Group pour la division du Caucase du Sud.
Vous disposez chacun de cinq minutes pour votre déclaration préliminaire, après quoi nous passerons aux questions des membres. Lorsque votre temps sera sur le point d'être écoulé, je vous ferai signe afin de vous signifier de conclure dans les 10 à 15 secondes.
Bon, étant donné que Mme Wistrand est ici en personne avec nous, nous allons commencer par elle. Nous passerons ensuite à la professeure Altstadt, puis à M. Shiriyev.
Madame Wistrand, vous disposez de cinq minutes pour votre déclaration préliminaire.
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Chers députés, je vous remercie de m'avoir invitée à témoigner devant vous aujourd'hui pour discuter de questions liées à votre étude en cours sur la sécurité aux frontières entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie.
Dans ma déclaration préliminaire, je vais brièvement souligner certains points qui me semblent importants. Je reviendrai volontiers sur ces points, ainsi que sur d'autres points qui vous intéressent, pendant la période de questions qui suivra.
Depuis l'offensive militaire lancée par l'Azerbaïdjan le 19 septembre dans le Haut‑Karabakh, qui a entraîné la capitulation du gouvernement de facto de la région séparatiste, les dirigeants de l'Azerbaïdjan et de l'Arménie, le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev et le premier ministre arménien Nikol Pashinyan, discutent sérieusement des conditions nécessaires à l'instauration d'une paix durable entre les deux États.
Une paix à long terme est possible. Toutefois, il est prématuré de penser qu'un accord de paix global peut ou doit être élaboré à l'heure actuelle. Une série de négociations préalables ou d'accords de paix partiels portant sur des questions précises en matière de sécurité, d'aide humanitaire et autres, jetterait les bases nécessaires pour que les deux parties soient en mesure d'élaborer un accord de paix global auquel pourraient se rallier les élus des deux pays ainsi que les Azerbaïdjanais et les Arméniens, à qui l'on a appris, au cours des 30 dernières années, que « l'autre » était leur ennemi existentiel.
Parmi les questions de sécurité, d'ordre humanitaire et autres qui doivent être abordées dans les accords préliminaires élaborés, citons l'échange de tous les prisonniers azerbaïdjanais et arméniens; la reconnaissance mutuelle de toutes les frontières territoriales entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie; le soutien aux Arméniens qui ont quitté le Haut‑Karabakh en tant que réfugiés à la suite de l'offensive militaire du 19 septembre et qui souhaitent rejoindre l'Arménie; le soutien aux Azerbaïdjanais qui sont devenus des personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays à la suite de la guerre de 1992‑1994 et qui souhaitent retourner dans le Haut‑Karabakh; la protection des Arméniens qui souhaitent rester ou retourner dans le Haut‑Karabakh pour jouir de droits ethniques, religieux et linguistiques en tant que minorité; la protection des sites du patrimoine culturel arménien dans le Haut‑Karabakh; et une terminologie officielle commune pour toutes les unités administratives du Haut‑Karabakh.
Par ailleurs, un médiateur acceptable pour les deux parties est nécessaire. Entre 1992 et 2022, le Groupe de Minsk de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, ou l'OSCE, coprésidé par les États‑Unis, la France et la Russie, a régulièrement rencontré ses homologues azerbaïdjanais et arméniens, mais ses succès ont été limités. Par exemple, l'entité qui a réussi à négocier le cessez-le-feu entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie en novembre 2020 n'était pas le Groupe de Minsk de l'OSCE, mais plutôt la Russie. La Russie a été le seul pays à envoyer par la suite des troupes de maintien de la paix dans la région. Depuis 2022, le Conseil européen, sous la direction de Charles Michel, a entamé des négociations entre le président Aliyev et le premier ministre Pashinyan.
Malheureusement, il n'existe pas de groupe, de conseil ou de pays qui soit le mieux placé pour servir de médiateur. Les États‑Unis, la France et la Russie comptent d'importantes diasporas arméniennes, ce qui les rend potentiellement partiaux aux yeux de l'Azerbaïdjan. La décision de la France d'accroître son soutien militaire à l'Arménie à la suite de l'offensive militaire du 19 septembre semble justifier les inquiétudes de l'Azerbaïdjan.
L'Arménie et la Russie ont toujours entretenu des relations étroites. Cela a amené l'Azerbaïdjan à mettre en doute la capacité de la Russie à jouer un rôle d'arbitre impartial. Cependant, l'incapacité des troupes russes de maintien de la paix à maintenir le corridor de Latchine entre l'Arménie et le Haut‑Karabakh, à partir de décembre de l'année dernière, ainsi que leur incapacité à empêcher l'offensive militaire du 19 septembre, ont fait naître en Arménie des doutes sur les interventions de la Russie.
L'absence de relations diplomatiques entre l'Arménie et la Turquie, alors que l'Azerbaïdjan et la Turquie entretiennent des relations étroites, élimine la possibilité d'un médiateur turc. La Géorgie abrite à la fois des minorités azerbaïdjanaise et arménienne et, depuis 30 ans, elle sert de terrain neutre aux Azerbaïdjanais et aux Arméniens qui souhaitent surmonter leurs différences. La Géorgie pourrait négocier entre ses voisins, mais ses différends territoriaux non résolus avec la Russie au sujet de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud pourraient influencer son point de vue.
Le Canada pourrait jouer le rôle de médiateur. Les diplomates canadiens ont la position et les compétences nécessaires pour le faire. Toutefois, tout comme les États‑Unis, la France et la Russie, le Canada compte une importante diaspora arménienne. Il pourrait être mieux placé pour apporter une aide humanitaire et un soutien au développement aux réfugiés arméniens et aux personnes déplacées azerbaïdjanaises, tant en Arménie qu'en Azerbaïdjan.
Plus vite les pays seront perçus comme ayant cessé de favoriser un camp plutôt que l'autre dans ce conflit, plus vite l'Azerbaïdjan et l'Arménie seront prêts à élaborer un accord de paix global qui pourra tenir.
Merci.
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Je vous remercie, monsieur le président.
Je suis ravie d'être ici. Merci de l'invitation.
Mesdames et messieurs, le conflit du Haut‑Karabakh dont nous discutons maintenant est principalement un problème du XXe siècle. Il découle précisément de la délimitation des frontières de l'Union soviétique par ses premiers dirigeants, dont Staline.
Dans mes observations préliminaires, j'aborderai trois éléments importants.
Premièrement, les Arméniens et les Azerbaïdjanais considèrent la région du Karabakh comme un patrimoine historique. Par conséquent, chacun rejette les revendications de l'autre. La région a une population mixte depuis des siècles, et on y trouve des monuments culturels et des cimetières des deux peuples.
Deuxièmement, l'entente initiale, au début des années 1920, concernant des revendications conflictuelles dans la région aujourd'hui connue sous le nom de Haut — ou montagneux — Karabakh, a été conclue à ce moment‑là entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan dans le cadre d'un différend territorial plus vaste portant sur trois régions, qui remonte à leur période d'indépendance de 1918 à 1920. Sous le régime soviétique, les trois régions ont été réparties entre les deux républiques.
De l'ouest vers l'est, il y avait d'abord le Nakhitchevan, à l'extrême ouest, en bordure de la Turquie. Cette région est allée à l'Azerbaïdjan. Ensuite, la région de Zanguezour, qui fait maintenant partie de l'Arménie, a été attribuée à l'Arménie et sépare ainsi le Nakhitchevan du reste de l'Azerbaïdjan. Enfin, la région montagneuse du Karabakh a fait l'objet de la création d'un oblast — ou d'une région — autonome du Haut‑Karabakh qu'on appelle l'OAHK. Il a été créé à l'intérieur de l'Azerbaïdjan, mais il assure l'autonomie culturelle des Arméniens qui y vivent.
Toutes les parties étaient mécontentes de cet arrangement, mais on a créé l'OAHK, comme d'autres régions autonomes, particulièrement — je crois — pour s'assurer que les parties locales se disputent entre elles plutôt que contre Moscou.
Troisièmement, la première guerre du Karabakh, qui a eu lieu de 1988 à 1994, a été précédée d'un mouvement du Karabakh en Arménie. Les dirigeants de ce mouvement ont profité de l'occasion qu'ils percevaient sous Gorbatchev pour tenter de transférer l'OAHK de l'Azerbaïdjan à l'Arménie. Les manifestations à Erevan ont été suivies par des combats locaux dans la région du Karabakh, puis des assassinats ciblés et des expulsions de populations ont eu lieu dans les deux républiques. Avec la dissolution de l'URSS en décembre 1991, les combats se sont intensifiés et sont devenus officiellement une guerre entre deux États souverains plutôt qu'un conflit soviétique interne.
Au moment du cessez‑le‑feu de 1994, les forces arméniennes avaient réussi à prendre le contrôle de la création soviétique qu'était l'OAHK, ainsi que de la région située entre cet oblast et la frontière arménienne, à l'ouest, une partie du territoire s'étendant au sud de l'OAHK jusqu'à la frontière iranienne et une partie du territoire à l'est. Les forces arméniennes détenaient au total 14 % du territoire de l'Azerbaïdjan. Les forces azerbaïdjanaises ont été vaincues, évidemment, et humiliées. Des sources s'entendent pour dire que l'Azerbaïdjan a perdu le plus grand nombre des 30 000 victimes de ce long conflit et environ les trois quarts du million de civils déplacés.
Malgré ces pertes catastrophiques, les Azerbaïdjanais disaient en privé, s'ils ne le faisaient pas publiquement, que les gouvernements occidentaux et les groupes de défense des droits de l'homme n'avaient pas dénoncé à ce moment‑là le fait que des Azerbaïdjanais avaient été déplacés ou le nettoyage ethnique et qu'ils n'avaient pas non plus fourni d'aide à l'Azerbaïdjan pour les personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays à ce moment‑là, alors qu'il était encore un pays pauvre.
Par la suite, tous les partis de l'échiquier politique de l'Azerbaïdjan — et certainement toutes les personnes que j'ai rencontrées — voulaient reprendre ces terres, ramener les citoyens dans leurs foyers et rétablir une partie de la dignité nationale perdue dans cette guerre. L'Azerbaïdjan allait tenter de les récupérer. C'était prévisible. Ce n'était qu'une question de temps.
Lors de l'indépendance post-soviétique, le gouvernement azerbaïdjanais a conclu des alliances avec la Turquie et Israël, deux pays qui lui vendaient des systèmes d'armes. La Turquie lui a également fourni un entraînement militaire intensif au fil des ans, et l'Azerbaïdjan avait les revenus pétroliers nécessaires pour tout payer.
Aujourd'hui, des gouvernements et des organismes internationaux soulèvent des inquiétudes quant aux droits de la personne relativement à la reprise du Haut‑Karabakh par l'Azerbaïdjan, comme ils le devraient et le doivent. En même temps, les gouvernements et les organismes occidentaux savent que le gouvernement azerbaïdjanais a un bilan épouvantable en matière de droits de la personne à l'égard de ses citoyens azerbaïdjanais. Cependant, les entités occidentales continuent de faire affaire avec Bakou et de reléguer les droits de la personne et la démocratie au second plan.
Les Azerbaïdjanais qui s'opposent au gouvernement d'Ilham Aliyev diront que l'Occident a deux poids, deux mesures. Il se préoccupe davantage de la répression des Arméniens que de celle des Azerbaïdjanais sous le même gouvernement. Même les militants des droits de la personne en Azerbaïdjan ne voient pas l'espoir venir de l'Occident.
Je voudrais soulever la possibilité de souligner toutes les violations des droits de la personne qui ont lieu dans la région et ainsi donner de l'espoir aux défenseurs des droits de la personne de toutes les nationalités.
Merci, monsieur le président.
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Bonjour, monsieur le président Ehsassi et distingués membres du Comité. Je suis très honoré d'avoir la possibilité de m'adresser à vous et de discuter des problèmes qui opposent actuellement l'Azerbaïdjan et l'Arménie.
Les dirigeants des deux pays font des déclarations publiques positives indiquant qu'ils sont prêts à conclure un traité de paix et laissent entendre qu'un accord est sur le point d'être conclu. Les principales pierres d'achoppement dans les négociations sont maintenant beaucoup moins prévalentes, d'autant plus que la reprise par l'Azerbaïdjan du Haut‑Karabakh semble mettre fin au conflit qui dure depuis des décennies au sujet de l'enclave. Cependant, même si le Karabakh était l'enjeu le plus litigieux entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, ce n'est pas le seul. D'autres problèmes, comme la connectivité et la délimitation de la frontière, restent à régler, ce qui nécessitera la reprise des pourparlers.
Tout d'abord, bien que les deux parties soient prêtes à signer un accord de paix bientôt, les pourparlers n'ont pas encore repris. Bien que nous ne puissions pas prétendre qu'il n'y a pas de processus — puisque les deux parties s'échangent des ébauches de l'accord de paix, et l'Arménie a communiqué à Bakou sa réponse à l'ébauche le 21 novembre —, on s'attend à une réponse de Bakou. Cet échange maintient l'élan de paix, mais d'autres mesures sont nécessaires. Les ministres des Affaires étrangères responsables des détails de l'accord doivent s'engager plus visiblement. Comme nous le savons, l'intérêt décroissant de Bakou à l'égard des plateformes de négociation occidentales est perceptible. L'Azerbaïdjan préfère des pourparlers bilatéraux sans médiation par une tierce partie, surtout après des tensions avec Washington et l'Union européenne. Une forte pression est nécessaire pour que les pourparlers reprennent et que l'accord de paix soit parachevé.
En second lieu, les liaisons sont un enjeu litigieux qui suscite diverses conjectures selon lesquelles l'Azerbaïdjan pourrait établir de force une liaison par le territoire arménien. Bakou a nié ces accusations à maintes reprises. À l'heure actuelle, il semble que des progrès soient réalisés grâce à la définition des principes relatifs aux liaisons, qui comprennent le respect de la souveraineté, de la compétence, de l'égalité et de la réciprocité. Ces éléments pourraient être intégrés dans l'accord de paix, mais il faudra un accord entre les États pour qu'il soit possible de travailler sur les liaisons et leur mise en œuvre pratique.
De plus, on ne peut pas négliger les intérêts des acteurs régionaux. Dans les pourparlers entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie, les influences extérieures compliquent souvent les choses. La Russie interprète l'accord de cessez‑le‑feu de 2020 et cherche à exercer un contrôle sur les itinéraires de liaison arméniens, auxquels Erevan s'oppose parce qu'ils empiètent sur sa souveraineté. Pendant ce temps, l'Iran s'oppose aux liaisons entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie par les frontières méridionales de l'Arménie.
Un autre enjeu, ce sont les problèmes de sécurité non réglés à la frontière de l'État, qui n'est pas délimitée et qui demeure une véritable ligne de front truffée de nombreux postes militaires, souvent situés à quelques mètres seulement les uns des autres. Bien qu'il soit entendu que la délimitation de la frontière sera un processus à long terme, il est essentiel que l'on s'entende sur les principes, que l'on résolve les enjeux litigieux comme les enclaves et que l'on parvienne à un consensus sur les questions de procédure et sur l'utilisation de cartes.
Même s'il est crucial que l'on se concentre sur ces enjeux clés, je crois aussi qu'avant et pendant le processus de signature d'un accord de paix, les gouvernements respectifs doivent prendre d'autres mesures pour régler les problèmes humanitaires et autres. La libération des détenus des deux côtés — 2 Azerbaïdjanais en Arménie et plus de 30 Arméniens en Azerbaïdjan — serait un point de départ. Dans ce cadre, le fait de rendre prioritaire le problème des personnes disparues devrait être au cœur de la collaboration entre les parties.
Les mines terrestres sont un autre problème humanitaire. Elles touchent les deux parties à divers degrés, mais le problème est plus grave en Azerbaïdjan, où la majorité des mines empêchent le retour en toute sécurité des Azerbaïdjanais déplacés dans leurs demeures. À cet égard, les deux parties doivent agir. La première chose à faire serait d'adhérer à la Convention d'Ottawa. En même temps, la communauté internationale devrait offrir une aide internationale importante afin de les inciter à adhérer à cette convention.
Le dernier élément est le fait que, dans le cadre des discussions sur cet accord de paix, il y a aussi la nécessité de mettre fin aux guerres diplomatiques, médiatiques et judiciaires entre les parties. La signature d'un accord de paix est cruciale, mais la poursuite des guerres diplomatiques et médiatiques est problématique. L'arrêt des poursuites judiciaires en cours et la promesse de ne pas en intenter contre l'autre à l'échelon de l'État devraient faire partie intégrante de l'accord de paix.
Enfin, la communauté internationale devra inciter les deux parties à la paix. Comme la région connaît mal la paix comme voie vers la prospérité, la première étape devrait consister à redéfinir la paix comme équivalant à la prospérité pour les deux populations en l'associant à une aide financière. De toute évidence, il faudra organiser une conférence des donateurs dès la signature de l'accord de paix.
Mon dernier élément est la nécessité que nous reconnaissions la longue histoire du conflit, qui résonne encore dans la pensée des parties aujourd'hui. La solution exigera une série d'étapes graduelles, à commencer par un accord de paix. Cet accord devrait faire en sorte que la plupart des gens se sentent en sécurité en tenant pour acquis qu'une autre guerre est hors de question, ce qui constituera le premier pas vers une coexistence pacifique dans un environnement régional souverain et sûr.
Je vous remercie, monsieur le président et distingués membres du Comité.
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L'Observatoire des situations de déplacements internes estime qu'à la fin de l'année dernière, 659 000 Azerbaïdjanais étaient des personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays.
Encore une fois, si vous sondez les gens, ou si vous leur posez simplement la question, comme je l'ai fait, bon nombre d'entre eux diront: « Oui, je veux revenir », mais je pense que c'est aussi une question générationnelle. Je suis certaine que, si on a été déplacé personnellement, il y a plus de chances que l'on veuille y retourner que si on est un enfant né, disons, en périphérie de Bakou et que l'on n'a jamais connu le Karabakh.
Je pense qu'il est très difficile, lorsque l'on demande à quelqu'un... sur le plan émotif, par rapport à ce que la personne ferait réellement.
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Mme McPherson et moi-même avons eu le privilège de nous rendre en Arménie récemment et de rencontrer un certain nombre de réfugiés provenant du Haut‑Karabakh. De façon unanime, le souhait des personnes que nous avons rencontrées était de retourner dans le Haut‑Karabakh. Dans l'intervalle, il y a trois choses préoccupantes.
D'abord, comment assure-t-on la protection des sites culturels et patrimoniaux d'ici à ce qu'un traité de paix soit conclu?
Ensuite, comment s'assure-t-on que les résidences de ces gens ne seront pas occupées, ce qui rendrait leur retour impossible?
Finalement, comment permet-on à ces réfugiés de revenir momentanément chez eux pour récupérer un certain nombre de documents importants ou leurs animaux de compagnie, par exemple, qu'ils ont dû laisser derrière eux dans la précipitation du départ?
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Ce sont toutes d'excellentes questions.
En ce qui concerne les sites culturels, je pense que les deux parties — l'Azerbaïdjan et l'Arménie — seraient d'accord pour dire qu'ils doivent être protégés. Depuis 30 ans, les Azerbaïdjanais veulent s'assurer que leurs sites culturels à Chouchi et dans d'autres régions sont protégés, alors je pense que la protection des sites culturels arméniens serait quelque chose qui serait tout à fait maintenu.
En ce qui concerne la possibilité pour les résidants de retourner chez eux et de récupérer leurs effets personnels, encore une fois, je pense que l'Azerbaïdjan le souhaiterait, parce que ce n'était pas le cas lorsque cela s'est produit, comme l'a mentionné Mme Altstadt, il y a 30 ans, lorsque 659 000 personnes ont été expulsées. Ils n'ont pas pu récupérer leurs effets personnels. Il faut donc insister sur le fait que, oui, les Arméniens devraient être autorisés à le faire et que cette possibilité devrait faire partie de tout accord de paix négocié, certainement avec des documents.
La question la plus délicate concerne le logement. Les Azerbaïdjanais ont été expulsés il y a 30 ans. Beaucoup d'entre eux aimeraient retourner dans le Haut-Karabakh. Il y a maintenant des Arméniens qui voudraient y retourner. Que va‑t‑on faire si deux groupes de personnes revendiquent le droit de vivre au même endroit? C'est à ce moment‑là qu'il faudra beaucoup plus de temps pour conclure un accord de paix, mais, pour ce qui est de l'immédiateté des documents — absolument — et des sites culturels, il sera possible d'en attester plus rapidement.
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Je m'excuse de ne pas avoir mis mon écouteur assez vite lors de la première question.
Oui, le discours concernant l'agrandissement de l'Azerbaïdjan occidental pourrait compliquer les accords de paix. Toutefois, je pense que nous devons nous rappeler, si nous voulons examiner les deux côtés et être justes envers les deux parties, que l'Arménie parle depuis longtemps d'une Arménie élargie, qui s'étendrait non seulement dans l'Azerbaïdjan, mais aussi dans divers États.
Encore une fois, en ce qui concerne la médiation, c'est là que la Géorgie pourrait être très efficace pour ce qui est de mettre en garde l'Azerbaïdjan en disant: « Ne parlez pas d'un Azerbaïdjan occidental. Établissons les frontières, mais n'allons pas au‑delà de celles que nous jugeons appropriées. »
Je voudrais remercier tous les témoins de comparaître virtuellement et en personne. Il s'agit d'une étude importante à entreprendre pour le Comité. Malheureusement, je ne suis pas allée en Arménie avec vous. J'aurais bien aimé y être, mais je n'ai pas pu m'y rendre. C'est plutôt ma collègue, Mme Mathyssen, qui y était.
Je pense que c'est une étude qui serait très utile si le Comité pouvait visiter la région. En ce qui concerne le rôle que le Canada pourra jouer dans ce conflit, le pays a montré... Nous avons une nouvelle ambassade. Il y a du travail diplomatique qui se fait.
J'aimerais avoir une idée de ce que le Canada peut faire de plus, et j'aimerais me concentrer sur les rôles humanitaires et diplomatiques.
Tout d'abord, je poserais la question suivante. Nous avons entendu dire qu'une contribution financière de 3,9 millions de dollars sert à faire face à la crise humanitaire découlant du conflit. Cette somme est-elle suffisante? Si vous pouviez nous dire ce qui en résulte, ce serait formidable.
Je voudrais commencer par Mme Wistrand, puis passer à nos collègues en ligne.
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Je tiens à féliciter encore une fois le Canada de s'intéresser à la situation et de vouloir y consacrer des ressources.
Je ne peux pas me prononcer personnellement sur la façon dont les 3,9 millions de dollars sont dépensés. Tout ce que je peux recommander, comme je l'ai mentionné à la fin de ma déclaration, c'est que je crois que les pays ont tendance à prendre parti à cet égard. Si le Canada devient un nouveau joueur, je dirais que le besoin le plus immédiat est de faire face à la crise humanitaire chez les Arméniens qui sont arrivés en Arménie. Je pense qu'il s'agit d'un ensemble de circonstances.
Cependant, après avoir observé pendant 15 ou 20 ans la situation des personnes déplacées à l'intérieur de l'Azerbaïdjan, nous savons que certaines d'entre elles vivent encore dans des conditions qui ne sont pas les meilleures. Si le Canada décidait d'intervenir en disant qu'il ne s'agit plus d'une situation humanitaire et que c'est une situation de développement à long terme, je pense que nous pourrions examiner les circonstances et nous demander, dans le cas des personnes qui veulent retourner au Karabakh, quelle est la meilleure façon de procéder et quel type d'interactions immédiates, de personne à personne, sont nécessaires.
Je pense qu'il y a plusieurs angles, mais que l'on mènerait des projets distincts.
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Tout comme Mme Wistrand, je ne suis pas en mesure d'évaluer la somme d'argent et de savoir où l'argent irait, ce dont on a besoin. Je suggère une surveillance et une reddition de comptes très prudentes, naturellement, compte tenu de la situation.
Il serait très difficile d'associer le genre d'aide dont il est question pour les personnes déplacées… techniquement, des gens qui ont fui l'Azerbaïdjan à destination de l'Arménie et qui sont donc considérés comme des réfugiés, et la population précédemment déplacée à l'intérieur du pays qui reste dans la région est de l'Azerbaïdjan, qui vivait auparavant dans le Haut-Karabakh ou dans les territoires environnants. Il serait difficile d'associer cette aide à certains des problèmes touchant les droits de la personne, parce que les enjeux liés aux droits de la personne sont en fait une question d'observation du système de justice, de maintien de l'ordre, d'appels pour ces personnes relativement à l'accès aux visiteurs, et ainsi de suite. Je pense qu'en réalité, ils ne sont pas étroitement liés.
L'idée est que les gouvernements occidentaux devraient — et je plaide pour qu'ils le fassent — prêter attention à ces deux types de répression possibles de la part, dans ce cas‑ci, du gouvernement azerbaïdjanais, mais de la part des gouvernements en général.
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Je vous remercie, monsieur le président.
Merci aux témoins.
Concernant la paix durable, je vais commencer par vous, madame Wistrand. Il semble qu'au cours des 100 dernières années, la partie qui a eu le dessus a manifestement dominé le territoire, puis provoqué des flux migratoires. Dans votre témoignage, vous avez décrit certaines étapes, du moins des étapes provisoires, pour tenter d'en arriver à celle des discussions sur une paix durable.
J'ai une question à deux volets. À quand remonte la dernière fois où il y a eu de la stabilité ou une paix durable?
Je sais qu'il y avait peut-être de la stabilité à l'époque soviétique, mais une tierce partie plus forte la faisait-elle respecter?
Y a‑t‑il eu une période de stabilité avant les années 1920, et sur quoi était-elle fondée, un territoire ou des peuples? Une paix durable viendra-t-elle du choix d'un moment... parce que les migrations de masse ont forcé le déplacement de personnes à l'intérieur de leur propre pays des deux côtés des conflits?
Je cherche une vision de la paix durable. Quelle en sera la base: le territoire ou les peuples? Par « peuples », je veux dire « ethnie ». Je reconnais que ces deux éléments sont interreliés.
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Oui, c'est une très bonne question et une question très difficile.
Concernant ce qui, selon moi, permettrait d'obtenir une paix durable, je vais vous donner un exemple tiré de mon expérience personnelle de deux ans passés à vivre dans le pays, de 2006 à 2008, lorsque je faisais de la recherche pour ma thèse de doctorat, que je passais du temps à l'école et que j'étais littéralement assise en classe durant mes cours d'histoire, de civisme et de constitution. C'était du côté de l'Azerbaïdjan.
Il y a le problème qui se pose, comme partout ailleurs dans le monde, où deux populations ont appris à considérer l'autre comme étant « autre ». Si l'on ne défait pas cette façon de penser, ce qui exigera un contact d'humain à humain, on ne parviendra pas à une paix durable. Si on veut que les gens retournent dans le Haut-Karabakh et vivent ensemble, de toute évidence, il faut d'abord que les droits en matière de sécurité soient garantis, de sorte qu'il ne se passe rien. Deuxièmement, il faut amener les gens à vouloir se faire de nouveau confiance.
Oui, la première étape consistera à délimiter les frontières. Deuxièmement, il faut instaurer la sécurité, mais, en troisième lieu, il faudra mettre en place des programmes comme les échanges entre jeunes, les amener à se faire confiance. Je crois sincèrement que c'est ce qu'on va devoir faire pour parvenir à une paix durable.
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Étant donné qu'ils ont des médias sociaux et que les jeunes des deux pays peuvent avoir accès à n'importe qui et communiquer avec n'importe qui, je pense que ce travail va se faire dans les deux pays. Je crois vraiment qu'il s'agit d'une perspective pansociétale.
Simplement pour revenir à la question que vous avez posée plus tôt afin de savoir quand ils ont eu une période de paix, je m'en remets à ma collègue, madame Altstadt, l'historienne. Toutefois, si on regarde dans le passé, comme elle l'a souligné — et j'ai regardé des cartes datant d'il y a 150 ans, produites par des Allemands, des Britanniques, des Américains, tous ces divers types de cartographes —, si vous regardez les noms de lieux, la majorité sont arméniens, mais il y a des endroits où il y a des communautés azerbaïdjanaises permanentes.
Historiquement, les deux groupes ont vécu ensemble dans le passé, et ils n'étaient pas en guerre. Par conséquent, je pense que cette délimitation des frontières et le durcissement des identités ethniques au XXe siècle ont créé les conditions préalables aux problèmes qui se posent.
Selon moi, c'est plus de personne à personne, mais le travail ne se fera pas seulement du côté de l'Azerbaïdjan. Ce sera aussi du côté arménien.
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Les mines terrestres sont un problème grave et important entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie. Que peut faire le Canada? L'Azerbaïdjan est réticent à adhérer à la Convention d'Ottawa; il prétend et estime que cette convention n'attirera pas beaucoup l'attention de la communauté internationale et n'encouragera pas financièrement les initiatives de déminage.
Ma recommandation, qu'on peut aussi décrire comme en étant une du Crisis Group, est que, premièrement, on devrait adresser davantage de recommandations aux deux parties d'adhérer à la Convention d'Ottawa. Étant donné que le Canada est à l'avant-garde et qu'il a une position de chef de file dans le dossier du déminage, il peut aussi offrir un soutien important. La définition de cette zone attirera également l'attention de la communauté internationale sur le déminage.
Combien de mines? L'Azerbaïdjan affirme qu'il y a 1,5 million de mines terrestres. Certaines sont là depuis les années 1990, mais il y en a aussi de nouvelles qui ont été installées dans ces régions. Je pense qu'il est important que la communauté internationale accorde une attention considérable à ce problème humanitaire.
En même temps, un problème commun se pose à la frontière azerbaïdjanaise-arménienne, qui est très minée. De fait, cela réduit la possibilité pour les gens de faire du travail agricole, qui est une source de revenus importante. Voilà pourquoi il pourrait s'agir d'une mesure efficace de renforcement de la confiance entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie, s'ils décident d'aborder ce problème et de travailler ensemble.