Bienvenue à la 70e réunion du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international.
La réunion d'aujourd'hui se déroule en mode hybride, conformément à l'ordre de la Chambre adopté le 23 juin 2022. Certains députés sont présents dans la salle et d'autres participent à distance au moyen de l'application Zoom.
J'aimerais maintenant faire quelques observations à l'intention des membres du Comité.
Veuillez attendre que je vous nomme avant de prendre la parole. Si vous participez par vidéoconférence, cliquez sur l'icône du microphone pour activer votre micro, et veuillez le désactiver lorsque vous ne parlez pas. Pour ceux qui sont sur Zoom, l'interprétation se trouve au bas de l'écran. Vous avez le choix entre la transmission du parquet, l'anglais ou le français.
Conformément à l'article 108(2) du Règlement et à la motion adoptée par le Comité le mercredi 21 septembre 2022, le Comité reprend son étude du régime de sanctions du Canada.
Nous avons le privilège d'accueillir trois témoins distingués. Nous recevons la sénatrice Andreychuk, qui n'a pas besoin d'être présentée à qui que ce soit à Ottawa. Elle est une juriste émérite, une diplomate accomplie et une sénatrice. Tous ceux qui s'intéressent aux affaires étrangères la connaissent très bien. De plus, nous recevons aujourd'hui M. Cardwell — nous vous en sommes très reconnaissants, monsieur Cardwell — et M. Benjamin Schmitt, qui a déjà comparu devant nous et qui est agrégé supérieur au Département de physique et d'astronomie, ainsi qu'au centre Kleinman des politiques énergétiques, à l'Université de Pennsylvanie.
Vous disposerez chacun de cinq minutes pour faire votre déclaration préliminaire, après quoi nous passerons aux questions des députés.
Si je comprends bien, monsieur Cardwell, vous serez le premier à prendre la parole, suivi de M. Schmitt et de la sénatrice Andreychuk.
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Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Comité, merci de m'avoir invité à prendre la parole. C'est un grand honneur pour moi d'être à Ottawa avec vous aujourd'hui.
Si vous me le permettez, je vais d'abord décrire brièvement mes intérêts de recherche et mon expertise en matière de sanctions. Je suis un universitaire spécialisé en droit de l'Union européenne; mon travail se situe à la jonction du droit et de la politique dans l'Union européenne. Je me concentre plus précisément sur les relations extérieures de l'Union européenne, terme utilisé dans le jargon de l'Union européenne pour désigner ce qu'englobe généralement la politique étrangère d'un État-nation.
Je m’intéresse en particulier aux questions institutionnelles et à la place du droit dans ce qui est généralement considéré comme un domaine politique. Depuis le Traité de Maastricht de 1992, le droit relatif aux relations extérieures de l’Union européenne s'est développé à mesure que l'Union européenne a tenté de se faire davantage entendre dans les affaires internationales. La politique étrangère de l’Union européenne est devenue, en partie, de moins en moins intergouvernementale et de plus en plus supranationale.
Je m’intéresse aux sanctions en tant qu’expression de la politique étrangère de l’Union européenne. J'ai publié, en 2015, un article intitulé « The Legalisation of European Union Foreign Policy and the Use of Sanctions » dans le Cambridge Yearbook of European Legal Studies. J'y faisais valoir que l'Union européenne est loin d'être inefficace en tant qu'acteur de la politique étrangère, contrairement à l'affirmation qui est souvent faite à son propos depuis qu'elle s'est montrée incapable de réagir à l'éclatement de la Yougoslavie au début des années 1990.
La volonté de l'Union européenne de mettre en place des sanctions autonomes démontre sa capacité de faire et de dire des choses, surtout, bien entendu, dans le cas de la Russie, depuis 2014. Le processus d’imposition de sanctions, qui englobe des aspects du marché intérieur de l’Union européenne et, par conséquent, les compétences juridiques fondamentales de ses institutions, combine les aspects juridiques et stratégiques, mais il passe souvent inaperçu. Il ne faut pas non plus sous-estimer les difficultés institutionnelles liées à la tâche de trouver une entente entre 27 États membres. S'il y a entente, l'Union européenne est capable d'être puissante, mais s'il n'y a pas d'entente interne, elle l'est beaucoup moins.
J’ai publié mon article le plus récent en 2022, en collaboration avec Erica Moret, que vous avez rencontrée plus tôt cette semaine. L'article portait sur une tendance, depuis le milieu des années 2000, à inviter les États tiers voisins de l’Union européenne à s’aligner sur les sanctions de l’Union européenne. Il s’agit d’États étroitement intégrés, mais qui ne sont pas membres de l’Union européenne, comme l’Islande, la Norvège et le Liechtenstein; des candidats à l’adhésion à l’Union européenne dans les Balkans occidentaux, comme la Turquie, l’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie; et des partenaires orientaux tels que l’Arménie et l’Azerbaïdjan.
Nous avons étudié plus de 30 régimes de sanctions de l’Union européenne et les centaines de cas où des sanctions ont été imposées ou renforcées. Nous avons constaté qu'en général, 5 à 10 États qui ne sont pas membres de l’Union européenne s’engagent publiquement à s’aligner sur les sanctions de l’Union européenne. Les régimes de sanctions de l’Union européenne englobent donc non seulement les 27 États membres, mais jusqu’à 35 États, voire 40, soit près du tiers des membres de l’ONU.
Mis à part la question clé de savoir si les sanctions ont réellement un effet, la place des sanctions autonomes non imposées par l’ONU entant qu’instrument de politique étrangère par défaut de l’Union européenne démontre leur succès au chapitre de la politique étrangère. Nous avons également constaté que le poids potentiel des sanctions de l'Union européenne offre une occasion de renforcer la coopération avec d'autres pays comme le Canada et des groupes comme la Ligue arabe.
Enfin, en tant qu'universitaire du Royaume-Uni, j'ai dû faire face à la réalité du Brexit, sachant qu'il faut désormais adopter des lois et des politiques indépendamment de l'Union européenne. À l'heure actuelle, le Royaume-Uni n'a pas de cadre officiel institutionnalisé en matière de politique étrangère et de sécurité avec l'Union européenne. Il a son propre régime de sanctions post-Brexit, soit la Sanctions and Anti-Money Laundering Act, adoptée en 2018. D'après les premiers signes, il y a peu de différence, en pratique, entre les sanctions du Royaume-Uni et celles de l'Union européenne en ce qui concerne leur contenu ou leur portée géographique, mais cela pourrait changer à l'avenir.
Je m'excuse à l'avance du fait que mon expertise ne s'étend pas précisément aux lois et aux politiques canadiennes, mais j'espère pouvoir répondre à vos questions concernant mes travaux de recherche.
Je vous remercie.
Je devrais préciser que j'ai un doctorat, mais je ne suis pas professeur, alors merci de m'avoir attribué ce titre.
Bonjour, distingués députés du Parlement canadien. Je vous remercie de me donner l'occasion de vous parler aujourd'hui du besoin impérieux de continuer à élargir et à resserrer les contrôles à l'exportation contre la Fédération de Russie en réaction à son invasion brutale de l'Ukraine, invasion qui est toujours en cours.
Je m'appelle Benjamin L. Schmitt. Je suis un ancien conseiller en sécurité énergétique européenne du département d'État américain. Actuellement, je suis agrégé supérieur à l'Université de Pennsylvanie, chercheur en résilience démocratique au Center for European Policy Analysis à Washington et cofondateur du Space Diplomacy Lab à l'Université Duke.
Nous nous rencontrons aujourd'hui moins de 48 heures après que le Kremlin de Poutine a déclenché la toute dernière terreur inimaginable contre le peuple ukrainien: la destruction du barrage et de la centrale hydroélectrique de Nova Kakhovka dans la région de Kherson, une zone occupée par la Russie. Cet acte a provoqué une insécurité généralisée concernant l'approvisionnement en eau et en électricité et une catastrophe écologique, ce qui a nettement exacerbé le cauchemar humanitaire causé par la Russie partout en Ukraine.
Aussi choquante qu'elle puisse être, la dernière attaque de Moscou contre les infrastructures essentielles ukrainiennes ne devrait pas nous surprendre. Ce n'est que l'exemple le plus récent de sa campagne de frappes cinétiques contre les installations énergétiques ukrainiennes au cours des 16 derniers mois et le prolongement évident de la politique de longue date de la Russie, qui consiste à militariser les approvisionnements énergétiques contre les démocraties européennes.
Nous nous trouvons également ici à un point d'inflexion historique dans la guerre de la Russie en Ukraine, à un moment où les défenseurs héroïques de l'Ukraine en sont déjà aux premières étapes d'une contre-offensive militaire très attendue visant à mettre fin à l'occupation militaire russe sur le territoire souverain internationalement reconnu de l'Ukraine.
Le succès de la contre-offensive ne tiendra pas seulement à la bravoure sans précédent des militaires ukrainiens. Le matériel et l'équipement militaires que nous, les démocraties occidentales, avons pu fournir joueront également un rôle décisif. C'est pourquoi des pays comme le Canada doivent continuer d'améliorer rapidement la fréquence, la quantité et la portée des systèmes militaires envoyés en Ukraine, et veiller à ce que l'augmentation de la capacité technique du Canada en matière de fabrication et d'approvisionnement dans le domaine de la défense constitue une priorité dans la mise à jour très attendue de la politique de défense d'Ottawa.
Toutefois, même s'il est essentiel de soutenir le succès de la contre-offensive militaire de l'Ukraine, les démocraties mondiales qui appuient Kiev ont le devoir de mener leur propre contre-offensive, sous forme de sanctions, pour augmenter davantage les pressions économiques et les pressions exercées sur la chaîne d'approvisionnement afin d'affaiblir la capacité de la Russie de faire la guerre à son voisin démocratique.
Dans cette optique, nous pouvons réfléchir à trois leçons essentielles que nous avons apprises au cours de la dernière année environ au sujet du régime de sanctions contre la Russie.
Premièrement, la réponse à l'éternelle question de savoir si les sanctions russes fonctionnent est oui, mais compte tenu de la vaste gamme de mesures déployées, nous devons également prévoir les délais appropriés pour que ces diverses catégories de sanctions aient l'effet escompté. Par exemple, alors que les restrictions bancaires et les sanctions énergétiques peuvent prendre plus de temps à entraîner des défaillances macroéconomiques générales dans l'économie russe, le contrôle des exportations de technologies pour le matériel militaire et à double usage au niveau des composants et des systèmes ont entraîné des obstacles plus immédiats à la capacité industrielle militaire de la Russie, la forçant à se procurer de l'équipement auprès de pays comme l'Iran. Quoi qu'il en soit, les deux voies de sanctions doivent être renforcées et maintenues en place à long terme afin de respecter l'engagement transatlantique d'augmenter les coûts pour le Kremlin de Poutine en vue de favoriser la victoire ukrainienne.
Deuxièmement, la communauté transatlantique ne peut plus jamais se laisser berner par les stratagèmes douteux du Kremlin et les campagnes de désinformation visant à faire lever les sanctions préventives en vigueur. Au cours de la période précédant l'invasion à grande échelle de l'Ukraine par le Kremlin et durant la première année de cette invasion, les sanctions déjà appliquées ou prévues ont été levées, évitées ou autrement inutilisées. Cela comprend la décision prise par l'administration Biden en juillet 2021 de lever les sanctions pour le gazoduc Nord Stream 2 appuyé par le Kremlin, sanctions qui avaient été légalement imposées par une majorité bipartite écrasante dans les deux chambres du Congrès américain pendant des années.
Cela comprend également la décision prise par l'administration Biden, plus tard en 2021, d'éviter de sanctionner un navire appelé Blue Ship. Ce navire a pris part à des activités passibles de sanctions dans le cadre de la construction du gazoduc Nord Stream 2, mais les sanctions ont été levées, au motif que le propriétaire du navire est une entité appartenant, en partie, au gouvernement de l'État allemand du Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, même si le tout est principalement financé par le consortium Nord Stream 2 de Gazprom, une entité appelée cyniquement « fondation pour la protection du climat ». Le navire et son propriétaire ne sont toujours pas sanctionnés.
Bien entendu, cela comprend aussi la décision prise l'an dernier par le gouvernement canadien de lever les mesures de contrôle des exportations de technologies russes pour un ensemble de turbines à gaz Siemens. Le régime de Poutine avait prétendu à tort que ces turbines étaient techniquement nécessaires pour mettre fin à ses réductions de gaz acheminé par le gazoduc Nord Stream 1, réductions qui étaient plutôt motivées par des considérations politiques. Heureusement, le gouvernement Trudeau a fini par revenir sur sa décision, en partie grâce à l'excellent travail de votre comité.
De telles erreurs stratégiques, ainsi que de nombreux autres exemples, ne serviront qu'à encourager le Kremlin de Poutine à mettre en place des stratagèmes pour miner le consensus sur les sanctions occidentales, et si rien n'est fait pour les corriger, cela pourrait nuire gravement aux vastes programmes de financement élaborés par les démocraties mondiales pour lutter contre les menaces.
Enfin, troisièmement, le simple fait d’annoncer des sanctions sévères sans prévoir des mesures de suivi et d’application tout aussi rigoureuses pour les personnes qui cherchent à se soustraire à ces sanctions ne donnera pas les résultats escomptés. La vaste gamme de sanctions et de mesures de contrôle des exportations russes qui ont été annoncées par le G7, l'Union européenne et d'autres au cours des 16 derniers mois est certes louable, mais le tout doit être rigoureusement renforcé et appliqué jusqu'à ce que le Kremlin renonce à sa guerre de choix contre l'Ukraine. Il n'est pas exagéré de dire que l'ampleur et la portée des sanctions déjà en place contre la Fédération de Russie représentent peut-être le plus important régime de sanctions jamais entrepris dans l'histoire, en grande partie en raison de la superficie, de l'activité économique et des connexions mondiales de la Russie.
Il y a de nombreuses mesures de sanction qui doivent être mises en œuvre immédiatement. Je vous les mentionnerai au cours de cette audience.
En conclusion, la plus grande leçon que nous aurions dû apprendre au cours des 16 derniers mois, c'est qu'il faut briser le cycle des mesures graduelles pour soutenir l'Ukraine, qu'il s'agisse de l'approvisionnement en systèmes d'armes dont Kiev a un besoin urgent ou de mesures de sanction. Le temps du gradualisme est révolu. Une contre-offensive de sanctions occidentales, assorties de restrictions plus strictes et plus larges à l'égard de la Fédération de Russie, peut et doit être déployée immédiatement. Les démocraties mondiales doivent opter pour cette approche, non seulement pour soutenir la résilience future d'une Ukraine libre, mais aussi pour faire comprendre très clairement au bloc réaliste du « ce n'est qu'une entente commerciale » qu'il ne peut pas y avoir un retour au statu quo avec le régime de Poutine. C'est un message essentiel que les régimes autoritaires du monde entier devront entendre également.
Je vous remercie de votre attention, et je serai heureux de répondre à vos questions.
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Merci, monsieur le président. Je compte sur vous pour m'interrompre, car l'horloge est derrière moi et, pour avoir siégé au Parlement, je sais qu'il est dangereux de dépasser le temps imparti.
Je tiens d'abord à remercier le Comité d'avoir accepté de m'entendre à nouveau sur les questions concernant la loi de Magnitski et les sanctions en général. C'est grâce au travail acharné des parlementaires canadiens qui, depuis des années, tentent d'attirer l'attention sur les sanctions et, en particulier, sur les violations des droits de la personne, que la loi de Magnitski a vu le jour. J'étais bien heureuse de présenter ce projet de loi et de voir les deux chambres du Parlement l'adopter à l'unanimité. Il est tout à votre honneur que nous en soyons au moins au stade où nous en sommes aujourd'hui. J'espère que le Comité continuera de faire fond là‑dessus.
Beaucoup de choses ont été dites... Vous pouvez lire ce que j'ai dit au Sénat. J'ai récemment témoigné à l'autre endroit sur le même sujet. Je ne parlerai pas de la Russie — je pense que ce sujet a été suffisamment abordé —, mais j'expliquerai pourquoi la loi de Magnitski était importante.
Nous avions la Loi sur les mesures économiques spéciales, mais elle était vraiment axée sur les violations commerciales et les sanctions économiques, alors qu'en fait, de nombreux Canadiens avaient le sentiment que les droits de la personne devaient être mis sur un pied d'égalité dans la politique étrangère et que les droits de ceux qui doivent défendre leur pays méritaient la même attention que ceux qui travaillent dans le domaine commercial, et c'est ainsi que la loi de Magnitski a vu le jour... Là où je veux en venir, c'est qu'elle visait à faire des droits de la personne un pilier égal à celui de la politique étrangère.
Deuxièmement, cette loi devait être universelle. On parlait déjà beaucoup de la Russie et de la menace qu'elle représentait, mais ceux d'entre nous qui travaillaient dans le domaine de la politique étrangère savaient que les menaces pouvaient venir de n'importe où et à n'importe quel moment et que nous devions être prêts à mettre en place un régime auquel le gouvernement pouvait facilement accéder. L'universalité est donc très importante.
L'objectif était également de soutenir les défenseurs des droits de la personne en général. M. Magnitski en était certainement le meilleur exemple, mais il est un exemple parmi tant d'autres gens dans le monde qui ont sacrifié leur vie, qui ont été emprisonnés et torturés et qui ont subi d'innombrables pertes — et cela comprend aussi leur famille — parce qu'ils ont défendu ce qui était juste et équitable dans leur pays. Ces défenseurs des droits de la personne doivent être soutenus. C'était l'une des autres raisons pour lesquelles nous avons adopté la loi de Magnitski.
L'idée maîtresse de cette loi est de faire en sorte avant tout — et cela se perd à cause de la question de la Russie — que nous ne soyons pas les complices des crimes commis par ces auteurs dans d'autres pays et qu'ils ne se répercutent pas sur nous. Nous ne voulons pas que leur argent soit placé dans des banques au Canada ni dans des biens immobiliers au Canada. Nous ne voulons pas que ces gens se trouvent dans nos pays. La partie qui a été oubliée dans la loi de Magnitski et qui mérite une plus grande attention est le fait que nous pouvons limiter leur accès au Canada. Il y a aussi la question de savoir si cela doit inclure leur famille ou non, mais cela nécessiterait, à mon avis, une enquête plus approfondie.
Ce que nous voulons, comme l'a dit M. Kara-Murza, qui croupit actuellement dans l'une des pires prisons sans bénéficier de l'attention dont il a besoin sur le plan médical et autre, et qui a témoigné devant tous nos comités, c'est... Si nous ne prenons pas ces mesures à l'intérieur de nos frontières, comment pouvons-nous ensuite émettre des sanctions et parler aux autres?
Jusqu'ici, notre régime de sanctions comportait une lacune: nous ne nous sommes pas penchés sur ce que nous faisons dans notre pays pour nous assurer que ces personnes ne se trouvent pas à l'intérieur de nos frontières. Ce serait le premier pas vers la protection des défenseurs des droits de la personne et vers la crédibilité des sanctions.
Je suis d'accord pour dire que les sanctions mettent beaucoup de temps à fonctionner. De plus, je dirais que l'autre raison pour laquelle le projet de loi Magnitsky et le projet de loi sur les mesures économiques spéciales ont été présentés ensemble, c'est qu'il s'agissait d'un compromis. Ils étaient censés être une première étape, et non des faits accomplis. Ce devait être une occasion d'examiner globalement les sanctions et de déterminer la place qu'occuperaient la Loi de Magnitsky et la Loi sur les mesures économiques spéciales dans la panoplie de sanctions, mais aussi une occasion de découvrir les autres mesures dont nous avons besoin dans le domaine des sanctions.
En outre, nous ne devrions pas nous contenter d'imposer des sanctions. Nous disposons de nombreux leviers en matière de politique étrangère que nous devrions utiliser dans ces cas. La manière dont les sanctions s'inscrivent dans ce cadre n'a pas été étudiée autant qu'elle le devrait par moi-même et par de nombreuses autres personnes, mais je pense que nous l'étudierons.
Pour terminer, le gouvernement s'est appuyé sur la Loi sur les mesures économiques spéciales parce qu'elle existe depuis un certain temps. Elle exige que les cas soient définis, mais cette définition est liée à des questions internationales qui ne sont pas aussi précises que celles mentionnées dans la Loi de Magnitsky. Ce que ceux d'entre nous qui ont travaillé dans le domaine des droits de la personne espéraient et demandent toujours au gouvernement, ce sont des politiques et des pratiques connues des Canadiens et des internationalistes, afin que nous puissions travailler avec les autres de façon plus coopérative. Nous serions également prêts à intervenir lorsqu'un problème survient.
Il ne s'agit pas seulement de la Russie. Nous savons que nous vivons dans un monde très intéressant et que des sanctions ou d'autres mesures de politique étrangère sont peut-être nécessaires ailleurs. Si nous procédons à un examen général de la politique étrangère, nous pourrons alors déterminer si nous devons avoir recours à des sanctions ou non, et nous disposerons d'un plan prêt à l'emploi, au lieu d'être à la traîne et d'essayer de rattraper le temps perdu.
Je vous remercie de votre attention
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Merci, monsieur le président.
Par votre intermédiaire, monsieur le président, je tiens tout d'abord à remercier mon ancienne collègue, Mme Andreychuk, d'avoir accepté de comparaître devant notre comité aujourd'hui.
Vous nous manquez au Parlement, tout comme nous manque le travail que vous accomplissez, mais votre legs perdure grâce au projet de loi que vous avez présenté et qui a maintenant force de loi, c'est-à-dire la Loi de Magnitsky. Je vous remercie de votre déclaration préliminaire.
J'aimerais axer mes questions sur l'application de la loi. Il y a trois mois à peine, le New York Times publiait sur ses plateformes de médias sociaux le gros titre suivant: « le Canada est un endroit tellement attrayant pour le blanchiment d'argent qu'il y a même ici un terme particulier pour décrire l'activité: le « blanchiment à la neige ».
Je fais cette observation en guise d'introduction afin que nous puissions nous concentrer sur ce qui est, selon moi, un problème majeur, à savoir le manque d'application de la loi. Nous pouvons annoncer toutes les sanctions que nous voulons, mais si nous ne les appliquons pas, elles ne servent à rien.
Au cours de la dernière réunion, nous nous sommes concentrés sur l'application des sanctions imposées par les États-Unis par l'intermédiaire de l'Office of Foreign Assets Control, au sein du département du Trésor. Cette fois-ci, j'aimerais parler un peu de l'application des sanctions imposées par le Royaume-Uni, car nos systèmes de gouvernement sont très semblables.
Comme le Canada, le Royaume-Uni a annoncé la création d'une agence britannique de lutte contre les crimes financiers. J'aimerais interroger le professeur Cardwell à ce sujet.
Pouvez-vous nous dire quand cette agence sera opérationnelle? Savez-vous quand elle sera mise en place?
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Je commencerai par le milieu. D'entrée de jeu, je pense que toute sanction imposée où que ce soit met du temps à fonctionner, comme on l'a dit. Les sanctions elles-mêmes ne feront pas bouger les choses par rapport à un dirigeant autocratique qui décide de suivre une certaine voie. Il convient de noter qu'il est possible de mener des interventions militaires et des interventions sous forme de sanctions, mais les interventions les plus importantes viennent de l'intérieur du pays.
Pour poursuivre sur cette lancée, je dirais que les sanctions ont été efficaces dans la mesure où elles ont attiré l'attention sur les défenseurs des droits de la personne en Russie et sur le sort qui leur a été réservé. À mesure que la guerre évolue, on peut voir que la pression se fait de plus en plus forte, mais c'est là le risque pour ceux qui veulent que la guerre s'arrête de l'intérieur. Je ne m'étendrai pas davantage sur ce sujet.
Au Canada, j'estime que nous devrions nous pencher sur les sanctions. Les sanctions sont les mesures que l'on prend à l'encontre d'un autre pays. Mais comme l'a souligné M. Chong, toutes sortes d'activités peuvent entraîner des sanctions, comme les problèmes liés à l'argent illicite qui entre au Canada et à la traite des personnes. Si vous travaillez dans le domaine des affaires, il y a aussi la confusion qui règne lorsque vous traitez avec certains de ces acteurs étrangers: comment pouvez-vous savoir s'ils respectent ou non les règles? Comment pouvez-vous les respecter vous-même?
C'est pourquoi l'attention du gouvernement doit vraiment se porter sur l'élaboration de politiques ou de principes génériques — et j'utilise le terme au sens large — qu'il suivra lorsqu'il envisage d'imposer des sanctions, de manière à ce que ces principes ne ciblent pas un pays particulier, mais qu'ils revêtent plutôt une certaine pertinence dans n'importe quelle situation.
Alors, sur quoi se fondent les sanctions? Des preuves. Il faut donc que les éléments suivants soient mis en place. Vous avez besoin d'une agence responsable, mais vous devez travailler avec vos services de renseignement, et vous devez aussi consulter vos citoyens. Certains des meilleurs renseignements présentés au sujet des sanctions proviennent de groupes ou d'individus qui connaissent les pays en question. Vous avez cité l'Ukraine, mais je connais aussi la Russie, le Belarus, etc. Vous pouvez évaluer ce qui fonctionnerait, ce qui ne fonctionnerait pas, et vous pourriez être en mesure de fournir des preuves.
L'utilisation des ressources de la communauté, qui sont importantes... En particulier dans un pays comme le Canada, tout le monde a des liens quelque part — nous sommes mobiles; nous voyageons et nous obtenons des informations. Toutefois, nous avons beaucoup d'ONG, de groupes professionnels et d'entreprises qui travaillent dans le monde entier et qui ont besoin d'être informés. Ils ont besoin de savoir ce qui est légal ou non.
Au cours d'une des audiences précédentes, quelqu'un a dit qu'il fallait qu'on nous communique les règles et qu'on les clarifie parce que lorsque nous traitons avec une entreprise étrangère, nous devons savoir si nous respectons les limites ou non. Par exemple, en tant qu'avocat, on donne des conseils. C'est ce que l'on fait, mais on doit savoir comment les sanctions vont être mises en œuvre. Si nous ne le savons pas, nous courons un risque. De nombreuses voix se sont élevées pour réclamer davantage d'échanges et de dialogue, mais aussi la mise en place de conditions qui seront comprises et d'un service où demander conseil.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins d'être ici aujourd'hui.
Je vais commencer par vous, madame la sénatrice Andreychuk.
Si je comprends bien, vous êtes une des personnes qui ont fait la promotion de la loi Magnitski. Vous y avez beaucoup travaillé. Cette loi n'a pas été utilisée par le Canada depuis 2018. Dans votre témoignage au comité sénatorial sur l'étude des sanctions, vous avez indiqué que le gouvernement devrait expliquer son faible recours à cette loi. Vous avez ajouté que, si on ne l'utilise pas assez, c'est parce qu'on ne dispose pas des renseignements nécessaires pour la mettre en application.
Je vous pose cette question: la reddition de comptes du Canada est-elle assez transparente quant à l'efficacité des sanctions? Je vous avoue avoir été assez surpris, parce que ce sont quand même des choses qui peuvent se mesurer. Or, lorsqu'on en cherche, on trouve très peu de mesures de l'efficacité.
Ne trouvez-vous pas cela troublant?
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Pour répondre directement à votre question, je dirais qu'à mon avis, on étudie la possibilité de le faire. C'est le domaine que moi et d'autres personnes commençons à examiner afin de déterminer comment nous pouvons nous assurer que des comptes sont rendus. Je voudrais rappeler à tout le monde que dans certains des projets de loi originaux qui ont été présentés mais non adoptés, il y avait un mécanisme de reddition directe de comptes au Parlement — divulgation et participation. Les sanctions ne fonctionneront pas si tous les Canadiens, et en particulier tous les parlementaires, ne participent pas à leur application. Le projet de loi a reçu le soutien de tous les parlementaires, mais je pense qu'il est nécessaire de faire preuve de plus de transparence — un mot que nous utilisons souvent ces jours-ci — et d'ouverture pour partager l'expérience.
Nous devons savoir comment nous pouvons mieux soutenir le gouvernement, comment nous pouvons obtenir l'information nécessaire, à qui nous devons parler et comment nous pouvons nous assurer que ceux qui nous parlent ne sont pas pris pour cible, car c'est un autre facteur à prendre en considération. Vous avez mis le doigt sur le problème: ce dont nous avons besoin, c'est de plus d'informations au profit du gouvernement. J'irai même plus loin en disant que le gouvernement devrait mettre en place certains aspects de la gestion des sanctions qui seraient génériques et que nous devrions tous connaître.
Enfin, je pense qu'il est plus facile de trouver des preuves dans le cadre de l'application de la Loi sur les mesures économiques spéciales. J'ai remarqué que toutes les preuves liées à la Russie traitent de ruptures « de la paix et de la sécurité internationales ». C'est une expression qui doit être mieux définie. Alors que dans le cas de la Loi de Magnitsky, nous recherchons des violations des droits de la personne internationalement reconnues. La corruption est mieux définie. En ce sens, je pense qu'il aurait été plus facile pour le gouvernement de s'attaquer à ce problème, en particulier lorsqu'il est question de confiscation, une mesure qui présente un degré de difficulté tout à fait différent et qui n'a pas encore été testée. Si vous vous lancez dans la confiscation, où sont les preuves, comment sont-elles appliquées, et utilisez-vous uniquement vos propres compétences en tant que ministre des Affaires étrangères et celles de votre gouvernement, ou essayez-vous réellement d'établir une coalition pour ceux qui veulent respecter les droits de la personne?
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Lorsque le projet de loi Magnitsky a été présenté — je vais réexaminer cette période, mais je ne suis pas psychologue —, je sais qu'il a rencontré une certaine résistance, parce qu'il s'agissait d'un tout nouveau sujet, d'un tout nouveau domaine qui devait être étudié. On hésite à se lancer dans de nouvelles entreprises.
C'est pourquoi le projet de loi... Toutes les personnes qui m'ont aidée se sont réunies et ont déclaré qu'il s'agissait d'un point de départ. Nous savons ce que nous voulons accomplir: nous voulons stopper les agresseurs. Nous ne voulons pas d'eux au Canada, mais nous ne voulons pas d'eux... Nous voulons que les messages qui conviennent soient envoyés à nos partenaires, à la communauté au sens large et à ceux qui souffrent réellement sur le terrain, dans d'autres pays. J'ai dit que c'était la partie que nous connaissions. La manière d'appliquer la loi est du ressort des fonctionnaires ou du gouvernement. Il est certain qu'avec l'intelligence et les compétences qu'ils possèdent, ils pourraient nous dire comment ils pourraient atteindre les objectifs que nous visons.
Ils le font peut-être déjà dans une certaine mesure, et je pense que c'est le cas, mais ils pourraient faire davantage pour relayer ces informations au grand public, parce que les informations de ce genre ne sont pas confidentielles. Dans certains cas, elles peuvent l'être, s'il s'agit de blanchiment d'argent ou d'autre chose; mais dans d'autres cas, nous avons parlé de ce que nous voulons faire pour promouvoir les droits de la personne, et nous pourrions le faire ici. Nous devons rédiger un rapport et faire participer le Parlement.
En gros, ce que nous voyons de plus en plus, c’est un effort pour trouver qui il convient de sanctionner, comment cela doit être fait et ce sur quoi les sanctions doivent porter. On essaie en outre de se pencher sur les cas de figure portés à notre attention où certaines choses ont pu passer entre les mailles du filet. Les derniers messages de la Commission européenne montrent clairement qu'il faut revenir à ce que nous disions il y a un instant. Il faut commencer à insister sur l'application des sanctions au sein des États membres.
Encore une fois, l'un des problèmes lorsque vous essayez d'intensifier les sanctions et que vous avez besoin de cette attention politique pour garder les populations européennes de votre côté, c'est que dans le contexte de cette organisation multinationale — où des élections sont annoncées dans certains États, ce qui pourrait changer un peu l'équilibre —, vous devez vous assurer que l'Union européenne continue à réagir et à poser des gestes, ce qui signifie trouver ceux qui doivent être sanctionnés…
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Très brièvement... Si vous le voulez, je pourrais vous en dire plus long par écrit, ultérieurement.
Cela donne lieu à plus de questions que de réponses.
Sur un seul point — la coordination de tout cela —, nous devons garder à l'esprit qu'en ce qui concerne les sanctions, certaines des activités et certains des acteurs ne sont pas comme la Russie et l'Ukraine. Ce sont des acteurs qui sont aussi au sein de nos propres États. C'est pour cette raison que la loi de Magnitski est importante. Je pense qu'elle demande une plus grande attention de la part du gouvernement, et c'est de là que devrait venir la coordination.
Le deuxième aspect, sur lequel je ne pense pas que nous nous soyons penchés, c'est qu'il y a dans d'autres régions une vaste communauté qui, pour diverses raisons, n'est pas concernée par ces sanctions. Or, mon objectif a toujours été l'universalité. Nous devons réfléchir à la manière dont nous abordons les sanctions et à la manière dont nous abordons...
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Absolument. Il ne faut pas oublier l'existence de restrictions relatives au contrôle des exportations de technologies pour les composants, des technologies entrant dans les systèmes et d'une large gamme de logiciels de développement technologique. Les plateformes de dessin assisté par ordinateur, ou DAO, de cartographie assistée par ordinateur, ou CAO, et de modélisation des données du bâtiment, ou MDB, doivent être renforcées, en particulier celles qui peuvent être utilisées directement ou indirectement dans la campagne militaire russe. L'objectif des démocraties occidentales doit être de mettre à mal les secteurs militaire, aérospatial et spatial russes.
Pour ce qui est de la manière de repérer les attributs de ces secteurs, je pense que le Canada peut apporter une aide précieuse en collaborant avec son secteur spatial privé et les acteurs du secteur spatial privé dans le monde entier afin de diffuser plus rapidement des données d'imagerie géospatiale par satellite, ce qui devrait aider à résoudre le problème des « navires fantômes ». Nous pouvons le faire en utilisant des données provenant de longueurs d'onde multiples pour trouver les navires qui échappent aux sanctions, ainsi que les transferts de pétrole de navire à navire et d'autres choses de ce genre. Il s'agit d'utiliser non seulement l'imagerie spatiale optique à source ouverte du secteur commercial, mais aussi des radars à synthèse d'ouverture, des radiofréquences, etc.
Cela sera vraiment utile et permettra de renforcer les capacités. Comme ces jeux de données sont tous en libre accès, la société civile, les ONG, les universitaires et la communauté des journalistes d'enquête pourront contribuer au renforcement des capacités et ils seront ensuite en mesure d'indiquer aux États — comme le Canada — qui doit faire l'objet d'un contrôle accru et la façon d'y arriver.
Je dois dire que trois minutes, ce n'est pas beaucoup de temps pour poser des questions.
Bienvenue, sénatrice Andreychuk. Je ne vous ai pas vue depuis longtemps. Je tiens certes à vous remercier de votre travail sur la loi de Magnitski, mais j'aimerais aussi vous poser une question très importante.
Les sanctions visent à accomplir trois choses: changer les comportements, créer des contraintes pour tout type de comportement futur et permettre l'examen des violations des droits de la personne. Diriez-vous que les sanctions arrivent à nuire à la Russie?
Même si elles ont permis de modifier les comportements et de s'attaquer au commerce — nous avons envisagé des sanctions économiques —, la Russie continue d'enlever des enfants à l'Ukraine, et il s'agit en fait presque d'un génocide culturel. Des enfants subissent un lavage de cerveau pour devenir des citoyens russes. Il s'agit là d'une énorme violation des droits de la personne. Le viol des femmes en sol ukrainien est une autre violation des droits de la personne.
Pouvons‑nous dire que les sanctions font leur travail? Que devons-nous faire pour les amener aussi loin que vous aimeriez les amener, surtout lorsque l'on considère qu'il y a présentement des États voyous de la région comme la Chine, le Bélarus, l'Inde et l'Iran qui soutiennent l'influence de la Russie en ayant des échanges commerciaux avec elle?
Vous avez dit que cela prend du temps — et j'en conviens —, mais dans l'intervalle, pendant que nous laissons le temps faire son travail, que devrions-nous faire?
Je regarde l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe — l'OSCE —, qui compte 57 États-nations, dont la Russie et le Bélarus. Comment devons-nous traiter les pays d'Asie centrale qui font partie de l'OSCE? Ils restent silencieux parce qu'ils dépendent de la Russie pour leur bien-être et, en fait, pour leur économie.
Que pouvons-nous faire à propos de certaines de ces choses? Pouvez-vous me dire comment nous devrions aborder ces conjonctures?
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Merci, docteure Fry, et merci d'avoir dit que nous sommes de vieilles amies...
L'hon. Hedy Fry: Je suis désolée.
L'hon. Raynell Andreychuk: ... je viens de prendre ma retraite du Sénat.
Il n'y a pas de réponse facile. Quelle que soit la situation, vous pouvez avoir une influence, y compris sur les gens, et tout ce qui reste en deçà d'une intervention militaire doit être envisagé. Vous voulez utiliser tous les leviers dont vous disposez pour faire comprendre à ceux qui commettent ces violations qu'ils doivent s'amender. Cependant, si vous ne pouvez pas les arrêter, vous devrez vous rabattre sur l'obligation de rendre des comptes, et cela intervient après les faits.
L'une des affaires que je suis de très près est celle des enfants qui ont été emmenés en Russie. Nous ne savons même pas combien ils sont. Nous ne savons pas ce qui leur arrive. Nous n'avons que quelques bribes d'informations, mais la Cour pénale internationale s'est déjà penchée sur cette question, de sorte que les sanctions ne sont pas seules à agir. C'est l'ensemble de nos leviers qui font pression sur un gouvernement ou des individus pour qu'ils mettent fin à leurs agissements. Nous espérons que les résultats arriveront à temps, mais il n'y a aucune garantie à cet égard. Nous devons simplement continuer à avancer.
La question de l'apartheid et des sanctions qui ont été prises à cet égard nous a permis de tirer une bonne leçon. Nous avons imposé des sanctions. Le Canada a été une figure de proue de ce mouvement en étant là de façon continue. La persévérance est importante, mais il faut aussi imaginer de nouveaux leviers, pas seulement des sanctions, pas seulement la Cour pénale internationale. Que pouvons-nous faire d'autre?
À mon avis, je dirais qu'il faut sensibiliser une plus grande partie des nations au sujet des conséquences que cela peut avoir sur elles.
Je vous remercie.
Je pense que la différence entre l'Union européenne et le Canada est effectivement la taille, et c'est aussi ce qui rend difficile, pour l'Union européenne, de parvenir à un accord entre ses 27 États membres pour mettre en place des sanctions, puisque ces États ont forcément des intérêts très différents.
La difficulté est aussi de maintenir les sanctions une fois qu'elles sont en place. Comme je l'ai dit plus tôt, cette difficulté provient parfois de facteurs intérieurs. Par exemple, un gouvernement nouvellement élu dans un État membre pourrait ne pas être totalement en faveur du maintien des sanctions.
Je pense que c'est le risque encouru par l'Union européenne en tant qu'organisation internationale, à la différence d'un État.
Ce que je veux dire par là, c'est que nous avons pris des mesures, mais nous aurions pu aller beaucoup plus vite en ce qui concerne les sanctions. Encore une fois, il ne s'agit pas seulement d'annoncer les politiques sur les sanctions; il faut aussi les mettre en œuvre. Comme je l'ai dit précédemment, la technologie spatiale peut vraiment être utile en haute mer.
En ce qui concerne les actions qui peuvent, devraient et doivent être prises, nous devons en imposer à l'endroit des compagnies d'hydrocarbures russes ainsi que contre Gazprombank, et en créer d'autres pour encourager le désinvestissement total des fournisseurs de services technologiques occidentaux qui opèrent encore dans la Fédération de Russie, ce qui est tout à fait inacceptable.
Dans le secteur financier, nous devons imposer des sanctions aux 10 plus grandes banques et fixer des délais en vertu desquels les banques étrangères encore présentes en Russie devront quitter le pays. Enfin, compte tenu des événements de cette semaine — soyons clairs —, nous devons désigner la Russie comme étant un État qui soutient le terrorisme ou qui est lui-même un État terroriste. C'est quelque chose qui aurait dû être fait depuis longtemps. Ça fait plus d'un an que cela a été demandé.
En outre, nous devons transférer les quelque 300 milliards de dollars d'actifs gelés de la banque centrale russe détenus par l'Occident et utiliser cet argent pour soutenir l'effort militaire ukrainien et financer la future reconstruction de l'Ukraine.
Les avoirs de la Russie de Poutine devraient être utilisés pour aider l'Ukraine. Le financement de cette aide ne devrait pas incomber uniquement aux contribuables des démocraties occidentales, car l'auteur du crime doit payer pour ses méfaits.
C'est tout le temps que nous avions.
Merci beaucoup, professeur Cardwell. Nous vous sommes très reconnaissants d'avoir été là.
Sénatrice Andreychuk, c'est toujours un plaisir de vous voir.
Monsieur Schmitt, merci beaucoup de votre expertise.
Je suis certain que toutes vos observations se retrouveront dans notre rapport définitif. Je vous remercie.
Nous allons suspendre la séance pendant environ trois ou quatre minutes.
Nous allons maintenant reprendre notre étude du régime de sanctions du Canada.
Pour la deuxième heure, j'ai le grand plaisir d'accueillir deux témoins.
Tout d'abord, du National Resistance Front of Afghanistan — le front de résistance nationale de l'Afghanistan —, nous sommes heureux d'accueillir M. Ali Maisam Nazary. Certains d'entre vous le connaissent. Il vient à Ottawa, mais malheureusement, aujourd'hui, il se joint à nous par vidéoconférence.
Notre autre témoin est Kelsey Gallagher, de Project Ploughshares.
Monsieur Nazary, nous allons commencer par vous. Vous disposez de cinq minutes pour votre déclaration liminaire. Dès que votre temps de parole sera écoulé, je brandirai ce signal. Nous vous serions reconnaissants de mettre fin à votre déclaration à ce moment‑là. Nous passerons ensuite à la déclaration de notre deuxième témoin.
Monsieur Nazary, vous avez la parole. Vous disposez de cinq minutes.
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Merci, honorable président Ehsassi.
Honorables membres du Comité, c'est vraiment un plaisir et un honneur pour moi de participer à votre réunion d'aujourd'hui.
Je me présente devant vous avec un sentiment de gratitude profonde à l'endroit du Canada qui, depuis des décennies, n'a pas cessé d'apporter son soutien et son aide à l'Afghanistan. Le Canada a été l'un des partenaires et des donateurs les plus importants pour l'Afghanistan jusqu'à la chute malheureuse de notre république démocratique.
Les sanctions rigoureuses imposées par votre pays aux talibans témoignent bien de votre engagement envers la justice et la liberté ainsi que de la position ferme que vous avez adoptée contre le terrorisme. Nous tenons à remercier et à applaudir sincèrement le Canada pour son refus de reconnaître et de légitimiser les talibans, un groupe qui a instauré un règne de la terreur, de la tyrannie et du chaos en Afghanistan.
Ces sanctions ne sont pas seulement des mesures punitives. Ce sont aussi des outils puissants pour contrer la barbarie des talibans qui, depuis leur prise du pouvoir il y a deux ans, sont à l'origine de toutes sortes de crises sur les plans politique, humanitaire, sécuritaire, économique et social.
C'est avec une détermination féroce que les talibans s'en sont pris à nos institutions étatiques pour les annihiler et les détruire, et non pour les rebâtir et les renforcer comme devraient le faire les têtes dirigeantes d'un pays. Leur incapacité à gouverner a plongé l'Afghanistan dans un tourbillon de dissension qui morcelle le pays en fiefs, qui déplace le centre politique à Kandahar, qui monopolise les pouvoirs entre les mains d'une poignée d'extrémistes et d'ecclésiastiques peu instruits ne représentant que quelques tribus au sein d'un seul groupe ethnique, et qui exacerbe les luttes intestines. Qui plus est, leur règne nous a valu un terrifiant spectacle de tyrannie, de violation des droits de la personne et d'oppression, alors qu'on fait disparaître impitoyablement les femmes de la vie publique en les dépouillant de leurs droits fondamentaux. Outre cet apartheid sexiste, les talibans en ont aussi créé un s'inspirant de considérations ethniques en persécutant activement les groupes ethniques de l'Afghanistan dans une volonté d'éradiquer notre diversité culturelle, religieuse et linguistique.
Le rapport rendu public hier par Amnistie internationale au sujet des crimes de guerre commis par les talibans dans le Panjshir s'ajoute à nos propres rapports s'appuyant sur une mise en commun des renseignements avec des organisations internationales comme les Nations unies pour mettre en lumière les crimes de guerre et les atrocités que les talibans s'acharnent à commettre dans de nombreuses provinces, y compris celles de Panjshir, de Baghlan, de Badakshan et de Daykundi. Ces actes de violence et de persécution ont entraîné des déplacements massifs de population, un nettoyage ethnique et une crise humanitaire grave.
Bien que nous soyons reconnaissants envers la communauté internationale pour les efforts qu'elle déploie afin d'offrir de l'aide humanitaire en Afghanistan, il faut absolument prendre conscience du fait que cette aide à elle seule ne permettra pas d'atténuer cette crise. et encore moins de la régler. Les talibans, qui font toujours passer leurs intérêts en premier, manipulent la distribution de l'aide pour assurer la survie de leur régime pendant que des millions de personnes souffrent de la faim. Leurs pratiques discriminatoires fondées sur l'ethnicité, l'appartenance régionale et les affiliations politiques font en sorte que la plus grande partie du pays est privée d'une assistance cruciale. La seule solution plausible pour régler la crise humanitaire et sauver le peuple afghan est de mettre un terme au régime d'oppression des talibans.
Leur reprise du pouvoir en août 2021 a de plus compromis notre intégrité territoriale et notre souveraineté nationale en transformant l'Afghanistan en une pépinière et un carrefour pour 21 groupes terroristes régionaux et internationaux et plus de 13 000 combattants étrangers. Cette conjoncture fait peser une lourde menace sur la sécurité régionale et mondiale.
Pour toutes ces raisons, nous préconisons le maintien et le durcissement des sanctions imposées aux talibans et aux autres groupes terroristes. Ces mesures les mettent sous pression, affaiblissent leur emprise sur le pouvoir et pavent la voie à leur éventuelle destitution. Les Afghans, et tout particulièrement les forces démocratiques et les combattants pour la liberté au sein du Front pour la résistance nationale, comptent sur des partenaires comme le Canada pour continuer à défendre fermement nos valeurs communes que sont l'humanité, la démocratie, le pluralisme, la liberté et la justice.
Nous gardons espoir, malgré les difficultés que nous connaissons actuellement, et nous implorons le Canada et le reste de la communauté internationale à continuer à nous appuyer en se portant au secours du peuple afghan.
Merci de nous prêter main-forte, de nous écouter aujourd'hui et de défendre sans relâche la paix, la justice et les droits de la personne.
Merci.
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Merci, monsieur le président.
Je vous remercie de m'avoir invité à témoigner aujourd'hui.
Je m'appelle Kelsey Gallagher et je suis chercheur pour Project Ploughshares, où je m'intéresse surtout aux exportations militaires canadiennes et au commerce international des armes. Mon intervention d'aujourd'hui portera sur les lacunes en matière de transparence et de réglementation qui touchent les exportations canadiennes de technologies à double usage et de biens militaires.
L'invasion de l'Ukraine par la Russie en 2022 a démontré la nécessité d'une réglementation efficace sur les transferts de marchandises à double usage. Malgré les efforts des États occidentaux, les marchandises à double usage ont été intégrées à de nombreux systèmes d'armes que la Russie a déployés dans le cadre de ses attaques incessantes contre l'Ukraine. Une firme norvégienne d'experts-conseils en gestion des risques a récemment découvert que, depuis février dernier, des produits sanctionnés d'une valeur de 8 milliards d'euros sont entrés en Russie après avoir été réacheminés via d'autres pays. Dans la plupart des cas, il s'agissait de marchandises à double usage.
En février 2022, le Canada a révoqué les licences d'exportation et de courtage vers la Russie pour les marchandises contrôlées, y compris les armes conventionnelles, les marchandises à double usage et toutes les autres catégories de technologies figurant sur la liste des marchandises et technologies d'exportation contrôlée du Canada.
Même s'il n'est pas parfait, le bilan du Canada en matière de rapports sur les exportations d'armes témoigne d'une certaine transparence. Cependant, nous ne publions presque aucune information sur nos exportations de marchandises à double usage, contrairement à ce que font différents États aux vues similaires.
L'exportation par le Canada de marchandises à double usage exige une surveillance et une transparence accrues. À cette fin, Affaires mondiales Canada devrait commencer à publier des données exhaustives sur les exportations canadiennes de biens à double usage, comme il le fait pour d'autres biens militaires. L'information ainsi publiée devrait à tout le moins inclure la valeur de ces exportations, la description des marchandises et leurs utilisateurs finaux autorisés. L'accès à de tels renseignements, surtout concernant les transferts vers des destinations permettant de contourner les contrôles à l'exportation, nous donnerait une meilleure idée des risques de prolifération de technologies canadiennes stratégiques à l'étranger.
Un examen de l'application extraterritoriale des sanctions canadiennes pourrait également révéler d'autres faiblesses dans le régime de réglementation du Canada. Il est particulièrement intéressant dans ce contexte de s'arrêter sur le non-respect présumé des sanctions par des entreprises ayant des racines canadiennes profondes qui mènent également des activités à l'étranger.
STREIT Group, un fabricant de véhicules blindés établi à Toronto dans les années 1990, est peut-être le fournisseur d'armes le plus controversé au Canada. L'entreprise prétend maintenant être l'un des plus grands fabricants privés de véhicules blindés au monde.
Tout en conservant un siège social canadien à Innisfil, en Ontario, l'entreprise a établi des usines de fabrication parallèles dans plusieurs pays dont le régime de contrôle des exportations est déficient. La plus importante de ces usines se trouve aux Émirats arabes unis. On a laissé entendre que STREIT Group cible les pays qui sont des paradis pour le contrôle des exportations et s'en sert pour fournir des biens militaires à ses clients les plus problématiques en évitant les embargos sur les armes.
STREIT Group a ouvertement contrevenu à ces embargos en expédiant des armes en Libye, au Soudan et au Soudan du Sud. En 2020, ses véhicules ont été utilisés par les services de sécurité biélorusses pour réprimer les manifestations pour la démocratie. Elle a exporté des biens militaires à une foule d'autres endroits problématiques.
Les activités de la société ont fait l'objet d'un examen minutieux et ont donné lieu à des enquêtes menées par le département du Commerce des États-Unis et les Nations unies. Bien qu’une enquête de la GRC aurait été lancée en 2016 à la suite d’allégations de non-respect des sanctions, aucune conclusion n’a été rendue publique et aucune mesure subséquente n'a été annoncée.
Selon une publication de 2017 de l'Institut Rideau, « il ne fait aucun doute que la vente de véhicules blindés par STREIT Group au Soudan n'a pas respecté les sanctions canadiennes » et que « le propriétaire canadien de STREIT Group, Guerman Goutorov, aurait dû faire l'objet d'une enquête et — si des preuves suffisantes avaient été mises au jour — de poursuites en vertu de la Loi sur les Nations Unies ».
L'exemple de STREIT Group montre bien à quel point le régime canadien de contrôle des exportations peut être déficient. Tout indique que les entreprises souhaitant contourner les sanctions n'ont qu'à établir des voies d'approvisionnement dans des États tiers, tout en se contentant d'affirmer qu'il n'y a aucun lien entre leurs installations canadiennes et étrangères.
Cette étude de cas illustre un problème important qui doit être réglé, et ce problème ne se limite pas à un endroit ou à une entreprise en particulier. Comme STREIT Group a su faire fi à répétition des sanctions canadiennes, elle devient le modèle à suivre pour d'autres fournisseurs d'armes désirant contourner les contrôles et les sanctions à l'exportation du Canada.
Le gouvernement du Canada doit redoubler d'efforts pour lutter contre la délocalisation de la production et de l'entretien des armes, un phénomène qui permet la libre circulation des armes vers des États et des acteurs sanctionnés. On pourrait notamment chercher à déterminer l'ampleur de ce problème. Une autre recommandation serait de mener un examen de l'application des contrôles du courtage au Canada, lesquels ont été intégrés à la Loi sur les licences d'exportation et d'importation en 2018. Ces contrôles visent à réglementer le commerce et le transfert extraterritoriaux d'armes conventionnelles par des Canadiens et des entités canadiennes.
Je serai heureux de répondre à vos questions. Merci beaucoup.
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Merci beaucoup à nos témoins.
Il est vraiment important de rappeler que le Canada doit maintenir son engagement en faveur de la liberté et de la démocratie en Afghanistan, aussi bien pour honorer les sacrifices de tous ces Canadiens qui ont combattu et trouvé la mort dans ce pays, que pour appuyer ceux qui continuent à se battre pour que l'Afghanistan redevienne un pays libre.
Monsieur Nazary, merci d'être des nôtres aujourd'hui. J'ai pour vous trois questions très précises auxquelles je vous demanderais de bien vouloir répondre par la suite.
Premièrement, comment pouvons-nous continuer de travailler pour l'avancement de la liberté et de la démocratie en Afghanistan? Je crains fort que la conjoncture rende bon nombre de Canadiens un peu pessimistes. Peut-être pourriez-vous raviver un peu l'espoir — sans sombrer dans l'optimisme aveugle — en nous suggérant quelques mesures concrètes que nous pourrions prendre pour tendre vers cet objectif.
Deuxièmement, pourriez-vous nous en dire davantage au sujet du Front national de résistance? Y aurait‑il des façons pour nous de vous offrir un soutien plus direct?
Troisièmement, nous sommes actuellement saisis du projet de loi qui vise notamment à faire en sorte que l'aide humanitaire puisse être offerte au peuple afghan sans que l'on n'appuie ainsi d'aucune manière les talibans. Comment pouvons-nous nous attaquer à la crise humanitaire qui sévit en Afghanistan et dispenser au peuple afghan l'aide dont il a besoin dans l'immédiat tout en intensifiant les sanctions et les conséquences pour le régime des talibans en réponse aux exactions qu'il fait subir à ce peuple?
Je vous laisse maintenant répondre. Merci encore une fois.
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Merci, monsieur le président.
Pour répondre à votre première question quant au soutien à offrir aux Afghans qui vivent les moments les plus sombres de l'histoire de leur pays, je crois qu'il faut surtout éviter de les abandonner à leur triste sort, une tendance que je suis à même d'observer ces jours‑ci au sein de la communauté internationale. Ce ne sont pas les Afghans et les Afghanes qui ont porté ces terroristes au pouvoir. Ils n'exerçaient aucun contrôle sur la situation et n'ont eu aucun rôle à jouer dans les événements d'août 2021 qui ont mené à la chute de la république et à la prise en charge par les talibans.
Le peuple afghan se bat encore pour sa liberté. Il continue à lutter pour la démocratie, et ce, même si la communauté internationale, et surtout l'OTAN, a quitté le pays. Cette détermination s'est manifestée de différentes manières. Il faut notamment souligner la bravoure dont ont fait preuve les Afghanes dans les rues de Kaboul et des autres villes du pays. C'est maintenant sur des tribunes internationales que ces femmes se battent pour leur liberté et pour le respect de leurs droits en tant qu'êtres humains et que citoyennes de l'Afghanistan. Parallèlement à cela, il convient de noter les efforts de résistance politique déployés par le peuple afghan depuis août 2021, notamment en gardant les portes des ambassades ouvertes, sans aucun soutien ni aucune aide matérielle de qui que ce soit. Nous avons vu des diplomates résister aux talibans. Ils ont tenu à garder ouvertes les portes de leurs ambassades pour qu'au moins une partie de l'Afghanistan demeure exempte de terrorisme et pour assurer une représentation à l'Afghanistan sur la scène internationale.
Je passe à votre deuxième question pour vous dire que le Front national de résistance est aussi bien présent depuis la chute de la république et la fin de la présence de l'OTAN en Afghanistan, le 15 août 2021. Des milliers de militaires afghans — ceux‑là mêmes qui, comme vous l'avez indiqué, ont combattu aux côtés des Canadiens et des forces de l'OTAN — qui ont été entraînés et conseillés par la communauté internationale pendant 20 ans, ont poursuivi leur combat pour la démocratie, les droits de la personne, le pluralisme, la justice et tout le reste. Ils le font sous un nouvel étendard, celui du Front national de résistance.
Depuis lors, le Front national de résistance a su prouver que la communauté internationale avait tort de prétendre que le peuple afghan en a assez de lutter pour la liberté et la démocratie, et en a pour ainsi dire marre…
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Je veux remercier nos témoins d'être des nôtres aujourd'hui et de nous aider à améliorer notre régime de sanctions.
Comme nous le savons, il y a trois principaux mécanismes nous permettant d'intervenir en imposant des sanctions. Premièrement, nous pouvons appliquer ici les sanctions prévues par les Nations unies qui peuvent être multilatérales. Deuxièmement, nous pouvons avoir recours depuis un bon moment déjà aux mesures économiques spéciales. Troisièmement, il y a les sanctions prévues par la loi de Magnitski qui permettent notamment l'imposition de mesures économiques spéciales dans une optique tenant également compte des droits de la personne.
Cela dit, monsieur Nazary, je sais que vous participez à l'effort d'aide humanitaire en Afghanistan. Chose importante, vous nous avez parlé de la situation actuelle dans ce pays en vous disant favorable à des sanctions sévères à l'encontre du régime des talibans.
Compte tenu de ce travail humanitaire que vous accomplissez, je ne sais pas si vous pourriez nous parler des répercussions que peuvent avoir ces sanctions sur le peuple aghan, si répercussions il y a. Autrement dit, pouvez-vous nous dire si les sanctions que nous avons mises en place atteignent vraiment leur cible?
Je vais d'abord m'adresser à vous, monsieur Nazary. Comme mon collègue du NPD, je vous demanderais d'être bref, puisque nous avons un peu moins de temps.
Le Canada impose des sanctions au régime taliban en vertu du Règlement d'application des résolutions des Nations Unies sur le Taliban, EIIL (Daech) et Al‑Qaïda. Nous savons qu'il y a des pays qui sanctionnent le régime taliban indépendamment des mesures prises par l'ONU. Ma question est en deux temps.
D'abord, quelle est l'efficacité des mesures prises en vertu des résolutions de l'ONU?
Ensuite, le Canada pourrait-il suivre l'exemple d'autres pays, qui décident d'appliquer des sanctions indépendamment, selon des mécanismes de déclenchement différents?
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Bien sûr, je crois que les sanctions sont un outil très important à utiliser contre les talibans et les autres groupes terroristes actifs en Afghanistan, parce qu'il ne faut pas oublier qu'il n'y a pas que les talibans.
Ces sanctions créeront le levier dont les divers pays et la communauté internationale ont besoin pour lutter contre les talibans et les autres groupes terroristes, juste au moment où la communauté internationale a quitté le pays, laissant là‑bas des armes et de l'équipement d'une valeur de 7 milliards de dollars, ouvrant ainsi la porte à diverses violations des droits de la personne. La moitié de la population, c'est‑à‑dire les femmes, est effacée de la vie publique, et bien d'autres atrocités sont commises. Comme je l'ai mentionné, le rapport d'Amnistie internationale a été publié hier. Il doit y avoir des moyens de pression contre ce groupe terroriste.
Si nous laissons tomber ce moyen de pression, quels seront les leviers des divers pays et de la communauté internationale contre ce régime oppressif, ce groupe terroriste, qui a pris tout le pays en otage, ce régime oppressif et tyrannique?
Il est très important de renforcer le régime de sanctions, à l'ONU comme dans les divers pays, individuellement, tant et aussi longtemps que les talibans agiront d'une façon qui n'est pas dans l'intérêt du peuple afghan ni de la communauté internationale.
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Bien sûr, nous croyons qu'il faut offrir de l'aide internationale à l'Afghanistan. Des millions de personnes, pratiquement les trois quarts de la population du pays, ont besoin d'aide internationale.
Ces deux dernières années, des milliards de dollars ont été injectés en Afghanistan. Nous n'avons toutefois pas vu la crise humanitaire s'atténuer; elle s'est plutôt aggravée. Il y a un problème dans la façon dont l'aide internationale est distribuée.
Les talibans, bien sûr, ont un rôle à jouer dans la distribution de l'aide. Nous avons vu des politiques discriminatoires mises en place, de sorte que l'aide ne se rend pas à tous les groupes de la population qui en ont besoin. Cela permet aux talibans d'exploiter l'aide, comme en attestent de nombreux rapports du Congrès américain, dont celui de l'inspecteur général spécial pour la reconstruction de l'Afghanistan, le SIGAR. Nous constatons que l'aide ne se rend pas aux groupes qui en ont besoin.
Le Front national de résistance, en particulier, tente de s'acquitter de cette responsabilité depuis deux ans, parce que la communauté internationale n'arrive pas à acheminer l'aide à toutes les collectivités qui en ont besoin. Nous avons ainsi fourni de l'aide à plus de 200 000 personnes au pays, à des endroits où les programmes d'aide ne se rendent pas, à des personnes qui en sont essentiellement privées. Même pour les ONG présentes en Afghanistan, il y a des mécanismes problématiques en place.
Nous croyons qu'il faut continuer d'offrir de l'aide internationale, mais qu'il devrait y avoir de meilleurs mécanismes pour empêcher les groupes terroristes d'exploiter l'aide qui arrive et pour que l'aide soit distribuée de façon équitable à l'échelle du pays.
Monsieur Gallagher, je vais essayer de vous poser trois questions très rapidement.
Dans votre exposé, vous avez dit que le Streit Group, de propriété canadienne, contourne les sanctions au Soudan du Sud et en Libye. Des groupes d'experts des Nations unies chargés de surveiller les sanctions condamnent le Streit Group pour cela. Sous le règne du précédent gouvernement conservateur, Affaires mondiales leur a accordé un contrat à fournisseur unique. Lorsque les néo-démocrates ont déploré une application déficiente de la loi pendant l'étude menée en 2017 par le Comité, la GRC n'a pu ni confirmer ni infirmer la tenue d'une enquête.
Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet? Y a‑t‑il des lacunes dans l'application de sanctions par le Canada ou dans la façon dont nous appliquons le Traité sur le commerce des armes quand une entreprise canadienne contribue clairement à l'insécurité internationale et contourne les sanctions?
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Pour commencer, en ce qui concerne la GRC, il s'agit clairement d'un autre exemple où il n'y a pas assez de transparence. Je suppose que nous parlons de la même enquête de la GRC sur cette entreprise. Si ma mémoire est bonne, ce n'est que par la presse que nous en avons été mis au courant. Il devrait vraiment y avoir un plus grand degré de transparence lorsque les fonctionnaires canadiens enquêtent sur d'éventuelles violations des sanctions, comme d'autres témoins l'ont souligné dans le cadre de cette étude.
Pour ce qui est des sanctions prises en vertu du Traité sur le commerce des armes, ce traité dicte que les parties ne peuvent pas transférer de systèmes d'armes. L'article 6 interdit les transferts vers un État soumis à un embargo de l'ONU sur les armes, donc à une sanction, évidemment.
C'est là que les choses se compliquent: cette entreprise, le Streit Group, a réussi à se soustraire à la réglementation canadienne en matière d'exportation, semble‑t‑il, parce que le gouvernement canadien est soit incapable de faire quelque chose pour l'en empêcher, soit réticent à le faire.
C'est pourquoi nous attirons l'attention sur les contrôles du courtage. C'est un cas où... La réglementation visant à sévir contre les contrevenants qui exploitent des paradis d'exportation à l'étranger est très nouvelle. Si les outils actuels ne fonctionnent pas, il faut les changer. Nous pensons que c'est un domaine où le Canada pourrait faire preuve d'innovation en examinant comment des mécanismes comme les contrôles de courtage pourraient s'appliquer.
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Les marchandises à double usage sont vraiment un sujet d'actualité. C'est à cause de la guerre contre l'Ukraine. La Russie et d'autres États cherchent à mettre la main sur des marchandises à double usage parce que leurs chaînes d'approvisionnement ont été coupées.
Pour revenir à nos recommandations... Nous ne connaissons pas vraiment l'ampleur du problème, car il n'y a presque aucune transparence sur les exportations canadiennes de marchandises à double usage. La seule information que nous avons, c'est la date à laquelle Affaires mondiales Canada a autorisé les permis d'exportation pour ces marchandises à double usage. Cependant, nous n'en connaissons pas l'utilisateur final; nous n'avons pas de valeurs. Le seul renseignement précis que nous avons sur les permis d'exportation de marchandises à double usage, c'est la date à laquelle ils ont été refusés.
Nous savons que l'an dernier, le Canada a refusé 22 permis à la Russie après l'invasion de l'Ukraine, alors qu'un seul lui avait été refusé au cours des cinq années précédentes, ce qui laisse entendre qu'il y avait effectivement des marchandises à double usage qui étaient acheminées vers la Russie. Évidemment, nous ne pouvons pas l'affirmer avec certitude, mais c'est ce que les données laissent entendre.
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Merci, monsieur le président.
Monsieur le président, j'aimerais me concentrer sur l'application de la loi en ce qui concerne l'appareil gouvernemental.
Actuellement, comme vous le savez, les demandes de licences en vertu de la Loi sur les licences d'exportation et d'importation sont faites par une unité particulière au sein d'Affaires mondiales Canada, l'unité de la Loi sur les licences d'exportation et d'importation — je ne connais pas le titre exact.
Ensuite, il y a la Direction du droit pénal, de la sécurité et du droit diplomatique d'Affaires mondiales Canada, qui s'occupe des permis ou des certificats en vertu de la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus et d'autres lois.
Certains ont proposé que ces deux entités soient regroupées en une seule unité au sein d'Affaires mondiales. Qu'en pensez-vous?
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Bien sûr, monsieur le président. Merci.
En raison de notre évaluation selon laquelle les talibans n'ont pas été en mesure de créer des institutions d'État, n'ont pas été en mesure de subvenir aux besoins de la population et n'ont pas été en mesure d'assurer la sécurité et la stabilité dans le pays, nous prévoyons que leur désintégration se produira beaucoup plus tôt que prévu. Une fois que cela se produira, il y aura des vides de pouvoir partout au pays. Il est très important que nous commencions à nous préparer politiquement pour l'avenir, à unir politiquement l'opposition, les forces démocratiques, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur de l'Afghanistan, et à créer le consensus politique apte à mener à une solution de rechange démocratique pour combler le vide du pouvoir qui se produira au cours de la prochaine année ou des deux prochaines années, ou à un moment donné dans un avenir prévisible.
Donc, à Vienne, en Autriche, nous avons entrepris un processus politique pour unir l'opposition. Nous avons eu notre deuxième rencontre le mois dernier, et nous sommes en bonne voie de trouver une solution de rechange démocratique pour l'avenir de l'Afghanistan.
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Je me pencherais sur les moyens de faire respecter les contrôles existants. Nous savons qu'il y a des entreprises canadiennes, ou des entreprises ayant des liens au Canada, qui violent avec sans-façon les sanctions. Un régime efficace de contrôle des exportations exploiterait tous les moyens possibles pour mettre fin à ces violations des sanctions.
Le courtage pourrait être un moyen d'y arriver. Il s'agit d'une nouvelle mesure de contrôle parmi les outils dont dispose le Canada. Honnêtement, nous ne comprenons pas très bien comment cela fonctionne. Nous avons fait un suivi auprès des fonctionnaires canadiens à plus d'une reprise. Nous avons même nommé l'entreprise mentionnée dans ma déclaration préliminaire, et nous n'avons toujours pas de vue d'ensemble de la façon dont les contrôles de courtage canadiens fonctionnent actuellement et de la raison pour laquelle ils ne donnent pas les résultats escomptés dans le cas des entreprises qui, nous le savons, contournent sciemment les sanctions en fournissant des armes aux pays frappés d'un embargo.
Je dirais qu'il faut investir des ressources dans les outils dont nous disposons déjà pour accroître leur efficacité. Il faut examiner les autres États parties aux traités multilatéraux comme le TCA et d'autres traités sur le contrôle des armes, comme l'Arrangement de Wassenaar, pour trouver des pratiques exemplaires dans l'application de la réglementation existante. Nous adhérons à ces traités pour une raison. Nous avons signé le Traité sur le commerce des armes pour mettre fin aux violations des droits de la personne causées par le commerce international des armes.
Nous devrions chercher à rendre les outils à notre disposition aussi efficaces que possible.
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Merci, monsieur le président.
Monsieur Gallagher, je reviens à vous.
En matière de relations internationales, certains de nos partenaires ont des points de vue similaires à ceux du Canada. Ils ont développé des régimes de sanction adaptés à certains défis particuliers, dont les armes de destruction massive et la cybersécurité, par exemple. Ces partenaires ont aussi intégré d'autres éléments déclencheurs dans leur législation équivalant à la Loi sur les mesures économiques spéciales du Canada.
Dans un monde où il faut souvent agir vite et où les circonstances sont imprévisibles, les éléments déclencheurs prévus dans la législation canadienne en matière de sanctions sont-ils suffisamment larges et flexibles pour nous permettre d'atteindre rapidement nos objectifs sur le plan de la politique étrangère?
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Je dirais que oui, lorsqu'il y a une volonté politique de le faire...
Le Canada a annoncé sa position très peu de temps après l'invasion de l'Ukraine par la Russie en 2022. D'après ce que je comprends, aucune disposition législative n'a été prise dans ce sens. Il ne s'agissait pas d'un règlement, mais d'une nouvelle posture selon laquelle les fonctionnaires canadiens allaient immédiatement mettre fin à la délivrance de nouvelles licences d'exportation de toute marchandise contrôlée vers la Russie et, en fait, retirer les licences existantes. En général, nos fonctionnaires ne vont pas plus loin en ce qui concerne les contrôles à l'exportation. Cela s'est fait en quelques jours, je dirais.
Lorsque quelque chose se produit, il y a certainement des mécanismes pour empêcher la fourniture d'armes à l'avenir et annuler les licences déjà approuvées pour les exportations d'armes.
Cela s'est également produit dans le cas du Bélarus en 2019, ainsi que de la Turquie en 2019 et encore en 2021.
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C'est clair que les sanctions étaient nécessaires dans bien des cas où le Canada les a imposées. Or, dans d'autres cas, le Canada n'a pas imposé de sanctions et a continué à vendre de grandes quantités de systèmes d'armes à des pays qui en font un usage détourné. L'exemple par excellence serait l'Arabie Saoudite, qui continue d'être le deuxième acheteur d'armes canadiennes, juste derrière les États-Unis.
En utilisant le terme « sanctions » de façon générale, je crois qu'il faudrait sanctionner la vente d'armes à l'Arabie Saoudite, car le fait de maintenir nos exportations constitue une violation du Traité sur le commerce des armes et de la Loi sur les licences d'exportation et d'importation. Voilà un commentaire général sur les sanctions. D'autres pays sont certainement…
M. Matthew Green: Pouvez-vous nous en donner des exemples?
M. Kelsey Gallagher:Les Émirats Arabes unis. Les Émirats ont affiché leur indifférence totale pour la vie humaine tout au long de leur campagne de bombardement au Yémen.
Le dernier rapport annuel sur les exportations militaires a été publié la semaine dernière, soit le 31 mai. Nous disposons donc des données les plus récentes sur les exportations du Canada de marchandises militaires de l'année dernière. Le rapport contient une liste de pays qui devraient faire l'objet d'embargos.
Monsieur Nazary, pourriez-vous s'il vous plaît soumettre vos réponses à ces deux questions, puisque nous n'avons presque plus de temps?
La dernière intervenante sera Mme Bendayan.
Madame Bendayan, vous avez la dernière question. Vous n'avez pas vos écouteurs?
[Difficultés techniques]
Y a‑t‑il des députés libéraux qui veulent prendre la parole?
Oui, monsieur Sidhu. Vous avez quatre minutes.