:
Bonjour, chers collègues.
Je déclare la séance ouverte.
Bienvenue à la vingtième réunion du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international.
[Traduction]
Conformément à la motion adoptée le 31 janvier, le Comité se réunit aujourd'hui dans le cadre de son étude de la situation dans le détroit de Taïwan.
[Français]
Comme d'habitude, des services d'interprétation sont offerts pendant cette réunion. Il suffit de cliquer sur l'icône illustrant un globe, au bas de votre écran.
Pour les députés qui participent à la réunion en personne, veuillez garder à l'esprit les directives du Bureau de régie interne sur le port du masque ainsi que sur les protocoles en matière de mesures sanitaires.
[Traduction]
Je voudrais prendre un moment pour rappeler aux participants que les captures d'écran et les photos d'écran ne sont pas autorisées.
[Français]
Avant de prendre la parole, veuillez attendre que je vous nomme. Lorsque vous avez la parole, veuillez parler lentement et clairement. Lorsque vous ne parlez pas, je vous demande de mettre votre micro en sourdine.
Je vous rappelle également que toutes les observations des députés et des témoins doivent être adressées à la présidence.
[Traduction]
Distingués collègues, je voudrais maintenant souhaiter la bienvenue à notre premier groupe de témoins et remercier ces derniers d'avoir accepté de revenir.
Nous accueillons aujourd'hui M. Kerry Brown, professeur d'études chinoises et directeur du Lau China Institute, au King's College de Londres, et le professeur Steve Tsang, professeur à l'Université SOAS de Londres.
Messieurs, soyez les bienvenus au Comité.
[Français]
Nous recevons également le professeur André Laliberté, de l'Université d'Ottawa. Il sera présent pendant les interventions du premier groupe de témoins, mais il ne nous offrira son témoignage qu'à la deuxième heure.
Bienvenue, professeur Laliberté.
[Traduction]
Sur ce, nous allons passer aux déclarations liminaires du professeur Brown et du professeur Tsang, dans l'ordre. Messieurs, vous avez cinq minutes chacun.
Professeur Brown, la parole est à vous. Veuillez commencer, je vous prie.
Merci de m'avoir invité aujourd'hui.
Je présume que le conflit entre la Russie et l'Ukraine a amené les gens à réfléchir avec un peu plus d'empressement à ce que pourrait être le point de vue de la République populaire de Chine sur une sorte de résolution au sujet de la République de Chine, c'est‑à‑dire Taïwan. C'est un enjeu auquel on craint de s'attaquer depuis longtemps.
Sous la direction de l'actuel dirigeant, Xi Jinping, je crois que l'idée qui veut que la Chine soit rendue à un jalon important de son histoire s'est beaucoup raffermie. Selon cette idée, la Chine suit ce parcours particulier de son histoire et ce parcours comprend la notion d'unification, à savoir que la Chine n'est pas complète et entière, et qu'elle doit donc se réapproprier ce qui lui a déjà appartenu. C'est le récit historique, bien sûr, mais il est grandement contesté, et je suis certain que nous pourrons en parler plus tard, si les gens le souhaitent.
Depuis 2014, Xi Jinping soutient de façon très directe que le cadre consistant à parler de collaboration économique, de ce type de collaboration sociétale plus douce entre les deux côtés du détroit ne saurait suffire. En 2014, je crois, il y a dit à un ancien dirigeant politique taïwanais en visite qu'il ne pouvait pas continuer à repousser cette question et qu'il faudrait un jour ou l'autre en arriver à une résolution.
En 2015, lorsque le précédent président de Taïwan, Ma Ying-jeou, était en poste, Xi Jinping a effectivement organisé une réunion bilatérale entre les dirigeants des deux États, la première depuis 1949. Il semblait y avoir une sorte d'élan politique vers quelque chose, mais la dynamique a changé lorsque Tsai Ing‑wen a été élue 18 mois plus tard, parce qu'elle représente le parti démocratique et progressiste et qu'on la considère comme étant un peu plus réfractaire aux visées de la Chine et plus encline à préconiser l'indépendance vis‑à‑vis de Pékin. Il ne fait aucun doute que le dialogue entre la Chine et Taïwan est devenu beaucoup plus difficile.
Cela est dû en partie à la situation internationale et, entre autres choses, au durcissement des relations entre la Chine et les États-Unis. On pourrait également blâmer la détérioration de la situation depuis le début de la COVID, même si, d'une certaine manière, cela a eu des répercussions sur tout. Enfin, je présume que l'on pourrait évoquer la consolidation, sous le leadership de Xi Jinping, d'une sorte de noyau nationaliste.
Auparavant, nous pensions qu'en Chine, tout était une question d'économie — « c'est l'économie, imbécile! » —, mais je crois qu'il vaudrait mieux dire « c'est l'identité, imbécile! ». L'identité est une question vraiment névralgique. Étant donné ces questions culturelles en matière d'identité et le fait que la Chine soit un grand pays, puissant et fort sur la scène mondiale, la question de Taïwan est devenue plus importante sur le plan intérieur pour les dirigeants de Pékin.
Enfin, en ce qui concerne l'invasion de l'Ukraine par la Russie, les scènes épouvantables auxquelles nous avons assisté au cours des deux derniers mois et ce que cela signifie pour la question des relations entre les deux rives du détroit, on peut présumer que, d'une certaine manière, cela a probablement rendu les dirigeants de Pékin beaucoup plus circonspects à l'égard des conséquences d'une invasion et de ce que sont les actions militaires. Il ne faut pas oublier que la Chine n'a pas eu d'expérience de combat à proprement parler depuis de nombreuses décennies. Il y a eu le Vietnam en 1979, mais de façon très limitée. Avant cela, il faut probablement remonter à la guerre de Corée, il y a 70 ans.
La Chine dispose d'une grande armée, mais elle ne l'a pas vraiment utilisée au‑delà de ses frontières. Alors, quand elle voit un acteur relativement expérimenté comme la Russie — l'Union soviétique a été en Afghanistan pendant presque 10 ans — avoir des problèmes aussi importants en Ukraine, je suppose que ses dirigeants doivent être en processus de réévaluation. Un débarquement amphibie n'est pas chose facile. Je crois que le dernier a eu lieu pendant la Seconde Guerre mondiale. C'est une entreprise énorme.
La deuxième chose, c'est que les Chinois vont regarder cela et penser à la question des « cœurs et des esprits », c'est‑à‑dire au fait que 23 millions de Taïwanais ne se considèrent absolument pas comme ayant une identité entièrement chinoise — les sondages l'ont prouvée à maintes reprises — et au fait qu'ils seront confrontés à un problème énorme même s'ils devaient, Dieu nous en garde, envisager des options militaires.
La dernière remarque que je ferai sur cette dynamique nationaliste est que l'on ne voit pas trop comment elle pourrait disparaître. Si les dirigeants ont fait autant pour miser sur l'identité en tant qu'élément clé, alors l'échéance de 2049 est bien réelle. L'idée de ce que la réunification pourrait signifier dans l'abstrait, et je souligne « dans l'abstrait » s'impose par son aspect d'urgence. Il est peu probable que ces dirigeants changent radicalement d'avis sur l'idée de 2049, qui marquera le 100e anniversaire de la fondation de la République populaire de Chine. C'est une date névralgique, bien entendu, et elle doit être soulignée d'une manière extrêmement importante, et il est évident que Taïwan fera partie de cela.
Je ne pense pas que cette question va disparaître. Il y a de nombreuses façons de parler de ce qui serait possible dans le cadre des paramètres de la réunification, mais je pense que politiquement, l'engagement envers la réunification dans l'abstrait ne disparaîtra pas à Pékin, même s'il devient de plus en plus difficile d'imaginer la forme que cela prendra. En effet, du point de vue de Taïwan, on ne voit pas vraiment comment les choses pourraient aller autrement qu'un rejet complet de la réunification.
Merci beaucoup.
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Tout d'abord, je vous remercie beaucoup de m'avoir invité.
Permettez-moi de commencer par dire que la situation dans le détroit de Taïwan est effectivement très tendue, mais que je ne vois pas une guerre comme quelque chose d'imminent. La guerre en Ukraine est un sujet extrêmement important pour Taïwan, et même pour Pékin. Les deux capitales observent ce qui se passe en Ukraine et en périphérie pour tirer des leçons, voir quelles leçons l'autre partie en tire et tenter subséquemment d'élaborer leur propre politique en fonction de cela.
Permettez-moi de commencer par le côté taïwanais. Les Taïwanais veulent voir comment se déroule le soutien de l'Occident à l'Ukraine et quelles leçons la Chine en tirera. Ici, je pense qu'il faut examiner à la fois les aspects militaires et économiques. En ce qui concerne la question militaire, la manière incroyablement imaginative dont les Ukrainiens ont procédé, ainsi que l'aide et le soutien que les pays occidentaux ont apportés à l'Ukraine se sont révélés très importants et très utiles puisqu'ils ont amené les Taïwanais à réfléchir à ce qu'ils devraient faire.
Les Taïwanais réfléchissent également aux leçons que tirent les Chinois. Je pense que pour ces derniers, la leçon évidente sur le plan militaire est que les Russes sont entrés dans le pays sans planification ni préparation appropriées. Les Chinois vont s'assurer de ne pas commettre la même erreur. Cela ne signifie pas pour autant que les Chinois vont revoir leur détermination à l'égard de Taïwan.
En ce qui concerne l'aspect économique, la leçon importante que les deux parties tirent ici est celle de l'unité dont les nations occidentales ont fait preuve dans leur réponse à l'Ukraine. Les questions sont donc les suivantes: l'Occident, dirigé par les États-Unis, serait‑il capable de réagir de manière similaire en cas de crise dans le détroit de Taïwan? Les sanctions occidentales à l'encontre de la Russie, notamment en ce qui concerne la réserve de change russe, pourraient-elles être appliquées à la Chine? Si l'on envisageait d'appliquer à la Chine des sanctions similaires à celles que l'on a prises à l'endroit de la Russie, quels seraient les dommages causés aux deux parties? Ces sanctions pourraient-elles exercer un quelconque pouvoir dissuasif sur la Chine?
Très rapidement, du côté chinois, je pense que la principale leçon est la suivante: sur le plan militaire, nous pourrons nous en tirer. Il nous suffira de nous préparer beaucoup mieux que les Russes l'ont fait.
Sur le plan économique, le problème est beaucoup plus grave. Il est encore trop tôt pour savoir si l'unité occidentale tiendra. Si elle ne tient pas, les leçons que les deux parties tireront seront très différentes. Si la finalité de l'Ukraine est essentiellement eurocentrique, les Chinois en tireront une série d'enseignements. S'ils considèrent la finalité de l'Ukraine comme étant une question qui va au‑delà des frontières européennes, ils en tireront des conclusions très différentes. Cela pourrait les dissuader.
Je vais m'arrêter là.
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Professeur Tsang, merci beaucoup de votre exposé.
Chers collègues, juste avant d'entamer notre première série de questions, je tiens à rappeler à nos témoins, et à vous également, la méthode que nous utilisons pour faciliter le suivi du temps de parole. C'est une méthode très simple, mais efficace. J'ai ici une carte que je brandirai à la fois dans la salle et devant la caméra quand il ne restera plus que 30 secondes à votre temps de parole ou à vos questions. Les allocations de temps sont très soigneusement négociées entre les whips et, dans certains cas, elles ne dépassent pas deux minutes et demie.
Si les témoins et les membres du Comité pouvaient garder un œil sur l'heure, cela faciliterait grandement la conversation.
Nous allons commencer la première série de questions par des segments de six minutes.
Notre premier intervenant est M. Chong. Allez‑y, je vous prie.
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Si je puis me permettre, je pense que la nature, la rapidité et l'ampleur des sanctions imposées, notamment par l'Amérique du Nord et l'Europe — mais aussi par le Japon, la Corée du Sud, l'Australie et la Nouvelle-Zélande —, ont pris la Chine par surprise. Je pense que cela va la faire réfléchir un peu.
Nous ne devons pas oublier que ces sanctions n'ont pas été cautionnées par l'Afrique, l'Amérique latine, le Moyen-Orient et de nombreux autres pays. Cela a eu pour effet de souligner à gros traits les divisions géopolitiques qui existent entre ce que nous pourrions appeler « l'Occident et le reste ».
Je présume également que la Chine ne sera pas la bienvenue... Bien sûr, lorsque Xi Jinping a rencontré Poutine le 4 février dernier, ils ont publié un communiqué commun. Si vous regardez le libellé de ce communiqué, vous constaterez qu'il est très chinois au chapitre de la coopération conjointe, et très abstrait. Ce que Poutine et Xi Jinping se sont dit et ce que Poutine a dit à Xi Jinping au sujet de ses intentions en Ukraine ont soulevé une pléthore de questions. Or, le consensus semble être que Poutine ne lui a pas dit grand-chose.
Bien que la Chine ait été neutre, mais tout de même très amicale à l'endroit de la Russie, je ne pense pas que la situation en Ukraine soit bonne pour elle. Elle ne veut pas de ce genre de problème, car cela a un effet déstabilisant. Du reste, son impact sur l'économie mondiale est malvenu.
D'un autre côté, je suis convaincu qu'elle n'est pas mécontente de voir l'Occident se faire piéger et distraire par cette question. Cela renforcera probablement l'idée que la Chine est sur la voie de la victoire, que l'Occident est simplement occupé à se battre contre lui-même et que l'Europe est occupée à tuer les siens. C'est une interprétation que ces événements viennent renforcer.
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Je vous remercie, monsieur le président.
Je remercie également les témoins de leurs témoignages.
[Traduction]
Je suis très heureuse que vous soyez ici à notre comité aujourd'hui. Je commencerai par dire que c'était un honneur d'assister à la soirée de Taïwan hier aux côtés de nombreux amis, dont le représentant Chen. Bien entendu, beaucoup d'entre nous étaient là pour exprimer leur solidarité envers Taïwan et le peuple taïwanais, plus particulièrement à la lumière de ce que nous avons vu aujourd'hui dans les nouvelles concernant les exercices militaires en cours.
Je vais vous expliquer, monsieur Tsang. Le 6 mai de cette année, 18 aéronefs, si je ne m'abuse, y compris des avions de chasse et des bombardiers, ont pénétré dans la zone de défense aérienne de Taïwan, ce qui a entraîné le brouillage de nombreux avions à réaction taïwanais. Cette semaine, le 10 mai, je crois, le directeur du renseignement national des États-Unis a déclaré devant le Comité des forces armées du Sénat ce qui suit:
Nous pensons que [les Chinois] travaillent dur pour se mettre dans une position où leur armée serait capable de prendre Taïwan sans notre intervention.
Messieurs, je me demande si vous pourriez parler de cet effort en cours. Pas plus tard qu'aujourd'hui, le National Post a mentionné que d'autres exercices militaires avaient été menés dans les régions du Sud-Est de l'île.
Monsieur Tsang, vous avez fait un parallèle avec l'invasion de l'Ukraine par la Russie, en disant que la Chine surveille de près la situation et ne commettrait pas la même erreur que la Russie en ne planifiant pas soigneusement une invasion.
Je vais vous poser la question de cette façon. Ne voyez-vous pas que les exercices militaires sont une forme de planification?
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Xi Jinping fera tout ce qu'il faut pour prendre Taïwan. En raison de la manière dont il utilise ses discours et de sa mauvaise compréhension de l'histoire... Xi Jinping est quelqu'un qui ne sait pas que le Parti communiste chinois a été, historiquement, l'un des plus fervents et des plus anciens défenseurs de l'indépendance de Taïwan. Si vous dites cela, il vous mettra en prison pour avoir commis un crime de nihilisme historique.
Maintenant, que fera-t‑il réellement? Il va constituer la force qu'il pense nécessaire pour prendre le contrôle de Taïwan et dissuader les États-Unis d'intervenir, mais en calculant que les Américains ne pourront peut-être pas être dissuadés et qu'ils devront donc éliminer des forces américaines importantes pour les repousser.
Je pense qu'il aime parler beaucoup plus simplement de l'unification nationale, mais Taïwan est bien plus importante que la question de l'unification nationale. Taïwan est stratégiquement critique pour la stratégie globale de la Chine. Taïwan se trouve en plein milieu de la première chaîne d'îles, et elle ne peut être prise qu'en dissuadant les Américains ou en les vainquant. Si cela se concrétise, les Américains seront effectivement repoussés au milieu de l'océan Pacifique, réalisant ainsi ce que Xi Jinping a dit au président Obama en 2013 à Sunnylands, à savoir que l'océan Pacifique est très grand et qu'il est assez grand pour deux — restez de votre côté et je resterai du mien.
Dans ce scénario, nous assistons à un changement fondamental dans la politique de la région indo-pacifique. Les 10 États membres de l'Association des nations de l'Asie du Sud‑Est, l'ANASE, devront tous conclure des accords avec la Chine, de même que la Corée du Sud. Le Japon devra soit opter pour le nucléaire, soit conclure un accord avec la Chine, car il ne pourra plus compter sur le traité de défense entre les États-Unis et le Japon.
Cela établira fondamentalement l'hégémonie chinoise dans cette partie du monde et fera disparaître les États-Unis en tant que chef de file mondial efficace. C'est...
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Je vous remercie, monsieur le président.
Je remercie les témoins d'être des nôtres et de nous faire part du fruit de leur expérience et de leurs recherches.
Dans les lettres de mandat qui ont été produites pour la , le lui demande ceci: « Élaborer et mettre en œuvre une nouvelle stratégie indopacifique exhaustive pour renforcer les partenariats en matière de diplomatie, d’économie et de défense, ainsi que l’aide internationale dans la région [...] ». Or nous savons pertinemment que Taïwan joue un rôle très important, qui est inextricablement imbriqué dans l'économie internationale. Taïwan est le 11e partenaire commercial du Canada et le 5e en Asie.
Le gouvernement du Canada négocie actuellement avec Taïwan un accord sur les investissements, et il a dit qu'il allait favoriser l'adhésion de Taïwan à nombre d'organisations internationales. Il s'est déjà prononcé en faveur de son adhésion, en tant que membre observateur, à l'Organisation mondiale de la santé, ou OMS, et à l'Assemblée mondiale de la santé. Or, au Comité permanent des transports, de l'infrastructure et des collectivités, les députés libéraux se sont opposés à l'adhésion de Taïwan à l'Organisation de l'aviation civile internationale, ou OACI, alors que Taïwan constitue une plaque tournante importante de l'aviation dans la région de l'Asie‑Pacifique et que, bien que cet État ne soit pas membre de l'OACI, il applique les règlements édictés par celle-ci.
Premièrement, comment expliquer cette attitude du gouvernement fédéral, qui souffle le chaud et le froid quant à l'adhésion de Taïwan à certaines organisations internationales?
Deuxièmement, la République populaire de Chine et Taïwan ont demandé, à une semaine d'intervalle, leur adhésion à l'Accord de partenariat transpacifique global et progressiste, ou PTPGP, à la fin de septembre 2021. Puisque nous savons que la République populaire de Chine est un joueur moins loyal en ce qui a trait au respect des règles internationales et que, d'autre part, Taïwan se verrait éternellement exclue, pour ainsi dire, du partenariat si la République populaire de Chine devait y accéder d'abord, n'y a-t-il pas lieu de favoriser l'entrée de Taïwan dans un premier temps?
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Il semble que le premier point concerne en fait des questions internes au Canada. Taïwan souhaite adhérer aux organisations internationales depuis un certain temps, et il y a eu une brève période sous la présidence de Ma Ying-jeou, il y a environ 10 ou 12 ans, où la Chine était un peu plus souple, mais cette période est révolue. La Chine est certainement de plus en plus énergique pour montrer que Taïwan n'a pas d'espace international, et c'est sa stratégie.
Ma seule réponse à la deuxième question est que chaque pays doit faire face à un dilemme. Il faut décider de l'importance de l'économie et du marché chinois et de la mesure dans laquelle on veut les mettre en péril, car la Chine est plus disposée à repousser et à dire non à ses partenaires si l'on veut s'engager avec Taïwan. C'est une affaire très risquée, et ce n'est pas une décision facile à prendre, car sous la présidence de Xi Jinping, je pense qu'il y a plus de clarté. Il n'y a plus d'ambiguïté maintenant. Vous ne pouvez pas vous abstenir de prendre position. Vous devez choisir entre les deux. Je pense que stratégiquement, c'est probablement ce que Péquin est le plus susceptible de faire — bloquer la position de Taïwan et lui rendre la tâche plus difficile au sein de la communauté internationale. Il dispose des instruments pour le faire.
Il est possible que les gens disent qu'ils se rangeront du côté de Taïwan, mais je suppose que la seule chose qu'ils doivent prendre en considération est que cette prise de position est assortie d'un coût élevé, non seulement sur le plan de la sécurité, mais aussi sur le plan économique. Je ne serais pas blasé à ce sujet, parce que, évidemment, sur le plan économique, le monde est dans une position très difficile actuellement. C'est la seule chose que je soulignerais vraiment. Oui, vous pouvez faire ces choix et dire que vous vous rangerez du côté de Taïwan plutôt que du côté de la République populaire de Chine, mais il y aura des coûts de plus en plus élevés pour cela, et ils ne devraient pas être occultés.
Je n'ai pas entendu une partie de la première question, car j'ai mis du temps à trouver le canal anglais.
Je pense que les deux questions portent en réalité sur le même enjeu, qu'il s'agisse du PTPGP ou des organisations internationales auxquelles Taïwan doit participer. Il y a deux problèmes ici. Le premier est que le gouvernement chinois utilisera son influence économique pour que d'autres pays suivent ce qu'il veut faire à propos de Taïwan. Autrement dit, les Chinois viendront vous intimider s'ils peuvent s'en tirer à bon compte, et je pense que ce sera le cas.
La deuxième question qui se pose donc est la suivante: comment peut‑on réagir efficacement à une telle situation? À part les États-Unis d'Amérique, je ne pense pas qu'il y ait un seul pays qui soit actuellement assez fort et assez puissant pour pouvoir, à lui seul, tenir tête au gouvernement chinois et ne pas être puni. Les États-Unis peuvent le faire parce que la Chine ne peut pas encore se permettre d'intimider les États-Unis. Si le Canada peut s'unir ou se concerter avec un nombre important d'économies commerciales qui croient en votre système de valeurs et en la nécessité de faire ce qui est juste, alors c'est possible, car collectivement, vous êtes plus grands que la Chine, et elle ne peut pas vous punir.
Collectivement, vous pouvez le faire. Jusqu'à ce que vous puissiez le faire...
:
Merci, monsieur le président.
J'aimerais remercier nos témoins d'être ici. Ce sont des témoignages très fascinants et intéressants.
Je vais peut-être revenir sur certaines des observations que M. Bergeron a formulées avant moi et donner à M. Tsang un moment pour terminer ses remarques.
Les néo-démocrates ont également plaidé en faveur de l'inclusion et de la pleine participation à plusieurs institutions et réunions multilatérales, y compris, bien entendu, l'Assemblée mondiale de la santé et l'Organisation de l'aviation civile internationale. La raison pour laquelle j'ai plaidé en faveur de cela, c'est que je crois que Taïwan a ces expériences inestimables qu'il peut apporter à des secteurs de la santé mondiale, plus particulièrement dans la façon dont la pandémie a été gérée, de même que dans les secteurs de la sécurité aérienne. M. Bergeron a mentionné l'importance de l'aviation et Taïwan.
J'aimerais beaucoup entendre d'autres commentaires de votre part, en particulier de M. Tsang pour commencer, puis de M. Brown, si possible. Vous parlez de l'intimidation de la Chine et de la nécessité de travailler avec des alliés. Vous parlez de la nécessité pour nous de travailler collectivement. Ce que j'en retiens, c'est que le Canada devrait se concerter davantage avec certaines de ces autres économies pour prendre ces décisions en collaboration.
Pouvez-vous parler un peu de l'autre côté de ce qu'il y a à gagner si Taïwan est en mesure de participer à ces institutions et réunions multilatérales?
Je pense que Taïwan a énormément à apporter à la communauté internationale. Si l'on examine simplement la santé et la pandémie de la COVID, Taïwan a été l'un des tout premiers gouvernements à tirer la sonnette d'alarme. Si nous l'avions écouté, nous aurions peut-être pu contenir la pandémie dès le début. Nous ne l'avons pas fait. Le reste appartient à l'histoire, comme on dit.
Nous parlons d'une puissance moyenne très importante. Si nous utilisons les pays européens comme point de comparaison, Taïwan se situe juste au milieu des pays de l'Union européenne pour ce qui est des capacités et de la portée de l'innovation et du changement, et elle est un citoyen international tout à fait crédible, alors il y a toutes les raisons de le faire.
Je pense qu'il y a quelque chose d'encore plus important pour cela, à savoir que, malgré tous les problèmes de l'ordre libéral international, c'est fondamentalement un ordre fondé sur des règles qui répond davantage aux types de valeurs auxquelles nous croyons en tant que démocraties. Le gouvernement chinois s'efforce de changer cela et, en obligeant les gouvernements à respecter les règles chinoises, il modifie également le fonctionnement des organisations internationales, y compris les Nations unies. Ce n'est pas une direction que nous souhaitons voir prendre.
Je vais m'arrêter ici et vous céder la parole.
Je veux remercier les témoins d'être venus et de nous donner des réponses très franches et éclairées.
La question que je veux poser est la suivante: avec le Japon qui dit clairement qu'elle s'inquiète pour Taïwan et ce qui se passe dans la partie du détroit, et l'Australie qui défend... Taïwan a perdu de nombreux alliés, des gens qui faisaient du commerce avec lui et qui le défendaient. Il ne reste plus que 14 pays qui essaient encore de travailler avec Taïwan.
Pensez-vous que les choses vont changer, étant donné que 24 nations européennes ont soutenu le Canada dans l'affaire Michael Spavor et Michael Korvig? Ils sont venus se présenter devant le tribunal et se sont exprimés sur cette affaire. Pensez-vous que l'Europe, en voyant les liens entre l'Ukraine et Poutine à l'heure actuelle, commencera à prendre conscience de ce qui pourrait survenir et à écouter le Japon, qui est un pays du G7 et qui pourrait être très préoccupé par ce qui se passe là‑bas pour son propre bien?
C'est ce que je me demande. Pensez-vous que ces éléments amènent les gens à se concentrer un peu plus discrètement sur ce qui se passe? Le bourdonnement des navires et des avions dans le détroit entourant Taïwan est aussi quelque chose que la Russie a fait lorsqu'elle est entrée en Crimée et a commencé à se livrer à toutes ces manœuvres, etc. Il se peut très bien que ce soit un message que la Chine envoie.
Ma question est la suivante: que va‑t‑il se passer avec la région indo-pacifique? Où l'Inde ira-t-elle? Où la Corée du Sud ira-t-elle lorsque nous commencerons à nous rallier et à former des alliances, si quelque chose commence à se produire là‑bas?
:
Merci beaucoup, monsieur Sarai.
Chers collègues, permettez-moi, en notre nom à tous, de transmettre nos remerciements aux deux témoins.
Merci d'avoir été des nôtres à une heure si tardive pour vous, de même que pour votre témoignage important. Nous vous en sommes très reconnaissants. Vous êtes maintenant priés de vous débrancher.
Chers collègues, je me demande si nous ne pourrions pas traiter rapidement de la question administrative que j'ai soulevée, soit que la motion sur les besoins du Comité en matière de déplacement soit déposée demain devant le SBLI. Est‑ce que les membres acceptent le budget tel que reçu? Y a‑t‑il consentement à son adoption?
Allez‑y, monsieur Bergeron.
:
Madame la greffière m'indique que c'est le cas.
[Traduction]
Chers collègues, avez-vous d'autres remarques à faire sur le budget? Si non, je vous prie de confirmer votre approbation, ou à tout le moins votre objection, soit virtuellement ou dans la salle.
Puisque je ne vois aucune objection, madame la greffière, le budget est approuvé. Je serai heureux de transmettre demain le message que le Comité approuve à l'unanimité ces plans de voyage. Merci beaucoup.
Sur ce, chers collègues, nous accueillons maintenant le deuxième groupe de témoins de l'après-midi.
[Français]
Nous recevons M. André Laliberté, professeur titulaire à l'École d'études politiques, de la Faculté des sciences sociales, et titulaire de la Chaire de recherche en études taïwanaises, à l'Université d'Ottawa.
[Traduction]
Se joint également à nous Joseph Wong, professeur d'innovation Roz and Ralph Halbert, à la Munk School of Global Affairs & Public Policy, et professeur de sciences politiques, à l'Université de Toronto.
Bienvenue à vous deux. Vous aurez chacun cinq minutes pour faire votre déclaration liminaire au Comité avant d'échanger avec les membres.
[Français]
Professeur Laliberté, je vous invite maintenant à prononcer vos remarques d'ouverture.
:
Je vous remercie, monsieur le président.
Je voudrais commencer par saluer le travail de M. Weldon Epp, directeur de la Direction générale de l'Asie du Nord et Océanie, et de M. Jordan Reeves, directeur du Bureau commercial du Canada à Taïpei, qui représentent très bien nos intérêts en Asie dans un contexte difficile.
J'ai écouté attentivement les travaux de la réunion de février. Je suis attristé de constater que les situations évoquées à ce moment sont devenues réalité aujourd'hui, compte tenu de l'agression russe en Ukraine, déjà vieille de plus de deux mois.
Je comprends que les hauts fonctionnaires qui mettent en œuvre nos politiques n'aiment pas faire des hypothèses, mais, lorsqu'il est question d'élaborer des politiques, il faut explorer des scénarios. Celui qui nous préoccupe aujourd'hui est celui d'une agression contre Taïwan par la République populaire de Chine. Je tiens à souligner ici l'importance de la terminologie. Il ne s'agit pas de réunification, comme l'affirme le gouvernement chinois, mais d'une pure et simple revendication irrédentiste pour subjuguer un État souverain, puisque Taïwan n'a jamais fait partie de la République populaire de Chine.
L'intervention militaire contre Taïwan déstabiliserait profondément la chaîne de valeur dans le secteur névralgique des semi-conducteurs et toucherait à coup sûr l'économie mondiale. Une telle attaque menacerait gravement les régimes démocratiques d'Asie et changerait les équilibres stratégiques de manière imprévisible et difficile à gérer.
Il s'agit de ne pas être exposé à ce risque et de le prévenir en faisant savoir le plus clairement possible qu'une telle action serait illégale en vertu du droit international, nonobstant la loi anti-sécession adoptée par l'Assemblée nationale populaire en Chine. J'espère que le Canada se montrera aussi empressé à montrer sa solidarité envers le droit des Taïwanais à disposer d'eux-mêmes qu'il le fait, à juste titre, pour l'Ukraine.
Pour certains, cette comparaison peut sembler peu valide, parce que Taïwan ne bénéficie pas, comme l'Ukraine, d'une reconnaissance diplomatique de la communauté internationale. Je voudrais faire remarquer à ce sujet que Taïwan est un État souverain selon les critères de la Convention de Montevideo, soit une occupation permanente, un territoire clairement défini, un gouvernement et la capacité à entretenir des relations diplomatiques.
Premièrement, Taïwan a été habitée de façon permanente par des peuples autochtones, longtemps arrivés avant les premiers colons d'origine chinoise, qui sont arrivés au moment même où des Européens arrivaient ici, à l'Île de la Tortue.
Deuxièmement, non seulement Taïwan contrôle le territoire, mais elle a su le mettre en valeur pour en faire la 25e puissance économique du monde. Elle s'est donné les moyens de se défendre en se dotant d'un budget militaire considérable, le 22e en importance sur la planète.
Troisièmement, Taïwan est non seulement dotée d'un gouvernement fonctionnel, mais ce dernier jouit d'une légitimité incontestable, ce que l'on ne peut pas dire de l'État qui lui fait face. Le gouvernement est choisi par des élections compétitives dans ce qui est considéré depuis plusieurs années comme le plus démocratique régime d'Asie.
Finalement, Taïwan a fait la démonstration de sa capacité à entrer en relation avec d'autres États par le travail inlassable de ses représentants, lesquels ont fait preuve au fil des années d'un professionnalisme exceptionnel quant aux efforts soutenus de la Chine pour obliger le reste du monde à ne pas reconnaître le pays qu'elle représente.
La prémisse à toutes nos réflexions sur les relations entre la Chine et Taïwan, c'est que la paix repose sur le dialogue entre les deux parties. Taïwan a entamé ce dialogue en 1991, lorsque le président Lee Teng‑Hui avait déclaré que la République de Chine à Taïwan renonçait à toute revendication sur le territoire gouverné par la République populaire.
La présidente Tsai Ing‑wen, qui, depuis son arrivée au pouvoir, a fait montre du même pragmatisme, a repris à son compte cette démarche. Depuis le début, c'est le Parti communiste chinois qui s'est refusé à tout dialogue en imposant ses conditions.
Peu importe les scénarios qui, à moyen terme, sont envisagés sur le plan politique à Taïwan, une chose est sûre, c'est que ses citoyens et citoyennes ne croient plus aux promesses associées à « un pays, deux systèmes ». Les sondages démontrent clairement que la majorité de la population se reconnaît dans son identité taiwanaise, et non pas chinoise ou encore moitié-moitié.
Il y a un risque important que le déni continu de la reconnaissance juridique de la nation taïwanaise fragilise la validité du droit international lorsque l'on s'incline devant le résultat d'un rapport de forces plutôt que de respecter les principes sur lesquels ce droit doit s'appuyer.
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Merci beaucoup. C'est un véritable honneur et un privilège de pouvoir prendre la parole devant ce comité.
Je me joins à vous d'Accra, au Ghana, grâce à Zoom, donc vous devrez m'excuser si la connexion est parfois un peu instable. Je vais faire de mon mieux.
J'aimerais d'abord préciser qu'il ne fait aucun doute que Taïwan et ce qu'il en adviendra sont au cœur de l'exercice de légitimation du régime autoritaire de Pékin. Comme l'ont souligné MM. Brown et Tsang plus tôt, l'avenir même de Taïwan et la capacité du Parti communiste chinois à se l'approprier et, éventuellement, à unifier Taïwan et la Chine continentale sont absolument essentiels à l'exercice de légitimation de ce régime. Bref, comme l'a signalé M. Brown, la politique identitaire l'emporte souvent sur la politique économique.
La position de Taïwan est donc très précaire et j'avancerais même que cela s'aggravera au fil du temps, car, d'une part, Taïwan a de moins en moins de marge de manœuvre sur la scène internationale, puisque l'on a vu le régime de Pékin déployer des efforts imposants pour la limiter.
Toutefois, j'avance que cela se produit exactement au moment où le soutien international pour Taïwan n'a jamais été aussi grand. Il y a environ 10 ans, je me souviens que Charles Glaser a pondu un article très influent publié dans diverses revues de politique étrangère aux États-Unis et dans lequel il avançait que le temps était peut-être venu pour les États-Unis de renoncer à Taïwan, qui devenait un problème de plus en plus épineux pour la politique étrangère américaine. C'était il y a 10 ans, et cette vision de Taïwan vieillit de plus en plus mal.
En effet, j'estime que Taïwan se montre à la face du monde comme un modèle démocratique. C'est le leader régional de la participation des femmes en politique, elle qui a notamment accordé à une femme deux mandats à la présidence. Taïwan est un modèle pour le monde industrialisé en matière de politiques sociales. Son programme national d'assurance-santé devrait être repris par tous, sans compter ses politiques progressistes visant la communauté LGBTQ et ainsi de suite.
Je crois également que Taïwan, qui a tiré des leçons de ses relations avec les peuples autochtones, a beaucoup à nous apprendre dans ce dossier, et que le Canada peut se prévaloir de maintes possibilités de collaboration avec Taïwan à cet égard.
Bien sûr, Taïwan est une économie extraordinaire, et nous voyons que tout blocage dans la chaîne d'approvisionnement mondiale, et plus particulièrement dans le secteur des semiconducteurs, peut être débilitant. Sa valeur stratégique est actuellement sans précédent.
Toutefois, je le précise d'ailleurs pour illustrer que Taïwan a de moins en moins de marge de manœuvre, la valeur de Taïwan et son avenir n'ont jamais été autant menacés que maintenant, ce qui signifie la possibilité d'un conflit, dont les risques sont encore plus sinistres.
La question sur laquelle je souhaite me pencher est donc la suivante: que faire de la Chine? Accroître les perspectives d'avenir de la Chine et, dans le cas du régime chinois, aspirer à une transition démocratique m'apparaissent être une façon de s'extirper de cette épineuse situation.
Permettez-moi de formuler quelques réflexions à cet égard. M. Laliberté, il me semble, nous a décrit de façon extraordinaire la situation à Taïwan. Je souhaite pour ma part parler un peu de la Chine.
Nos théories de la transition démocratique veulent traditionnellement que les démocraties naissent des cendres de régimes qui se sont effondrés, que nous attendions et désirions que les régimes s'effondrent sous le poids de leur illégitimité et qu'ils donnent ainsi naissance à la démocratie. C'est en effet l'une des façons dont la démocratie s'est installée dans une bonne partie du monde.
Toutefois, en Asie, la voie qui s'impose en matière de transition démocratique n'est pas une naissance à partir des cendres d'un régime déchu, mais plutôt l'émergence d'une démocratie grâce au leadership de solides partis politiques. En effet, Taïwan en est le meilleur exemple. Le Kouo-Min-Tang ou KMT est un régime qui a procédé à la démocratisation à la fin des années 1980 jusqu'au début des années 1990, à l'époque même où il était en déclin, mais encore un parti politique très puissant. C'était un parti fort confiant. Bref, la démocratie offrait à ce régime autoritaire des incitatifs qui lui convenaient.
C'est un paradoxe, car ce que j'avance essentiellement c'est que, au moment même où un régime est fort et a peu de raisons d'opter pour la démocratisation, c'est là qu'il est le mieux placé pour envisager une transition démocratique, car elle va probablement mener à sa forme la plus stable. Tout le monde convient que, peu importe ce que l'on pense du régime de Pékin, personne ne souhaite qu'il s'effondre, car les répercussions d'une telle débandade entraîneraient la souffrance de quelque 1,4 milliard de personnes.
Voilà le paradoxe. Il faut ensuite réfléchir à ce que cela implique, surtout en ce qui a trait à notre politique étrangère et à notre vision de la Chine.
Premièrement, nous ne devrions pas souhaiter que la Chine ou le régime du Parti communiste chinois s'effondre. Je pense que cela serait désastreux pour une bonne partie de l'humanité.
Deuxièmement, il me semble que l'isolement ne va en aucun cas fournir au régime chinois le genre d'incitations ou d'encouragements à envisager une transition démocratique. En fait, nous savons que l'isolationnisme va probablement renforcer les mesures autoritaires employées par le régime.
Troisièmement — et c'est le point plus important —, nous devrions considérer que les possibilités de démocratie en Chine découleront d'incitations stratégiques de la part du reste de la communauté internationale. Et nous devons reconnaître le fait que la démocratie est effectivement compatible avec le régime autoritaire et que la démocratisation du régime n'entraînerait pas l'effondrement de la Chine...
C'est ainsi que nous pourrons rendre la sphère politique plus réceptive aux moyens qui pourraient nous permettre de continuer à reconnaître Taïwan comme la démocratie souveraine qu'elle est.
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Je vous remercie, monsieur le président.
Je remercie nos témoins d'être parmi nous aujourd'hui. Je les remercie aussi de leurs commentaires fort éclairants.
Je voudrais juste apporter une petite précision concernant le soi-disant désintérêt européen à l'égard de Taïwan qui a été évoqué par Mme Fry. Je veux simplement signaler qu'en novembre 2021, une délégation européenne s'est rendue à Taïpei. J'interprète cela comme une certaine manifestation d'intérêt de la part des Européens pour Taïwan.
Professeur Laliberté, je dois dire que je me suis délecté de vos propos lorsque vous évoquiez les conditions contenues dans la Convention de Montevideo pour définir les caractéristiques d'un État souverain. Je me disais que le Québec répondait à toutes ces caractéristiques, et nous aurons probablement l'occasion d'en discuter une autre fois.
J'ai été fasciné par vos propos sur l'engagement qu'a pris Taïwan de ne plus représenter l'ensemble de la chine. Des sondages indiquent que les Taïwanais se sentent maintenant davantage taïwanais que Chinois.
Avant de vous poser ma question, je vais vous faire part d'une anecdote, si vous me le permettez.
Me trouvant dans un aéroport aux États‑Unis, je tombe sur un groupe de gens qui sont manifestement Chinois, à entendre les conversations entre eux, mais je réalise, au bout d'un moment, qu'il y a deux groupes dans ce groupe et qu'ils ne s'adressent littéralement pas la parole. J'essaie de comprendre ce qui se passe. Vous me direz qu'il se passe à peu près la même chose entre les Parisiens et les autres Français. Quoi qu'il en soit, dans le cas qui nous intéresse, j'ai réalisé qu'une partie de ce groupe avait des passeports de la République populaire de Chine, alors que l'autre groupe avait des passeports de la République de Chine.
Cela m'amène à la question que je veux vous poser.
Il y a une espèce de fiction juridique qui existe depuis que le leader nationaliste Tchang Kaï‑chek a trouvé refuge sur l'île de Formose, où le gouvernement de Taïwan prétendait représenter l'ensemble de la Chine, tandis que, de l'autre côté, en Chine occidentale, la République populaire de Chine prétendait et prétend toujours représenter l'ensemble de la Chine.
Considérant le fait que les Taïwanais se sentent de moins en moins Chinois et de plus en plus Taïwanais, comment réconcilier l'abandon de cette prétention de Taïwan qu'il représente l'ensemble de la Chine avec le fait que le pays s'appelle toujours officiellement « République de Chine »?
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Je précise, professeur Laliberté, que je n'ai jamais prétendu que la République de Chine était une fiction juridique. La fiction juridique à laquelle je faisais allusion, c'est cette curieuse situation, unique dans l'histoire de l'humanité, où un pays prétend représenter une entité plus large et où un autre pays prétend représenter exactement la même entité plus large.
Je comprends très bien ce que vous me dites. J'en discutais hier avec des gens de Taïwan. Je comprends que le changement du nom serait un prétexte suffisant pour déclencher un conflit armé.
Cela étant dit, comment réconcilier, d'une part, l'abandon de la prétention de Taïwan de représenter l'ensemble de la Chine et le sentiment des Taïwanais d'être de moins en moins chinois et de plus en plus taïwanais, et, d'autre part, le fait que le nom de l'État contient encore officiellement le mot « Chine »?
Le nom ne peut pas être changé, mais comment les autorités taïwanaises composent-elles avec ce paradoxe, si je peux dire?
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Merci, monsieur le président.
Quelle conversation fascinante! Je remercie infiniment les témoins d'avoir permis qu'elle ait lieu.
J'aimerais commencer par interroger M. Laliberté.
Au sujet de la stratégie américaine d'ambiguïté intentionnelle, vous avez dit à mon collègue que ce n'était pas une bonne stratégie à adopter en ce moment et que le Canada devrait opter pour une position claire.
Vous nous avez dit tous les deux qu'il s'agissait d'une politique d'identité pour la Chine. Il y a une idéologie derrière cette politique. Comme nous le savons tous, il est presque impossible d'inciter quelqu'un à abandonner une idéologie. Par conséquent, nous avons un peu l'impression d'être dans une situation où vous affirmez que nous devons adopter une position claire à l'égard de Taïwan, alors que notre position ne fera jamais changer d'idée la Chine. Elle ne sera pas en mesure de concilier toute action que nous prendrons.
J'ai du mal à comprendre comment je dois interpréter vos propos. Pourriez-vous nous fournir des précisions, en particulier en ce qui concerne la position du Canada?
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Que voilà une excellente question.
Je voudrais, avec votre permission, revenir brièvement à la question de l'ambiguïté stratégique. Ce concept a très bien fonctionné pendant un temps, car c'était en fait un moyen de parler d'engagement stratégique. Quand l'ambiguïté stratégique a initialement émergé dans les cercles de la politique étrangère aux États-Unis, il s'agissait d'une double mission somme toute aisée consistant à nouer des liens avec la Chine, notamment du point de vue économique, tout en entretenant l'espoir d'encourager une sorte de transformation. C'était ce genre d'ambiguïté dont on faisait preuve. Je pense que si cette ambiguïté fonctionne moins bien ces jours‑ci, c'est parce que la Chine a durci son point de vue au sujet de l'ambiguïté stratégique et a clairement fait comprendre qu'elle vit dans un univers binaire divisé entre le monde autocratique et le monde démocratique. Elle nous a donc coupé l'herbe sous les pieds.
Ce que je tente de faire comprendre, c'est qu'il ne faut pas penser que la démocratie et le fait d'en parler, que ce soit à Taïwan ou peut-être en Chine, ont nécessairement un effet antagoniste. Si nous pouvons rétablir l'équilibre, en fait, nous pouvons renouer avec le genre d'ambiguïté stratégique qui nous a bien servis pendant longtemps.
En ce qui concerne la démocratie à Taïwan, je pense qu'il s'agit en fait d'une des principales manières dont le Canada peut continuer de soutenir Taïwan. Quand je parle aux fonctionnaires taïwanais, particulièrement à ceux du service extérieur, je fais continuellement remarquer que c'est dans les domaines des objectifs de développement durable et de la santé publique qu'ils peuvent collaborer avec le Canada. Ont‑ils tiré des leçons qu'ils pourraient nous transmettre afin de nous préparer aux pandémies? Nous savons que Taïwan a accompli des pas de géant dans la foulée du SRAS et communique en fait de formidables enseignements au reste du monde.
Ici encore, j'ai parlé à nos collègues de Taïwan afin de collaborer davantage au chapitre des questions autochtones, de la réconciliation, de la Commission de vérité et de réconciliation et de questions connexes. Ce sont de sujets qui permettront au Canada et à la société taïwanaise de nouer des liens plus solides, de manières qui, à dire vrai, contribueront à renforcer la démocratie et à la rendre plus résiliente à Taïwan au fil du temps.
Je vous remercie.
Je pense qu'il y a huit ans, j'aurais pensé... En lisant dans les feuilles de thé à l'époque, on constatait certainement la présence d'une école de pensée qui considérait, en observant Xi Jinping et sa concentration du pouvoir, que c'était le préambule de ce qui serait potentiellement une sorte de libéralisation politique comme celle qui s'est produite à Taïwan, en Corée, dans les années 1980 et dans le Japon d'après-guerre.
Je considère de moins en moins que c'est le cas, justement parce que les nombreuses questions qui ont émergé en Chine sont fondamentales pour la légitimation du Parti communiste chinois. Cela me préoccupe, cependant, car alors que nous cherchons des failles dans ce régime et en entrevoyons la chute potentielle, il fera certainement en sorte que la démocratie ne s'instaure pas, ce qui sera potentiellement désastreux.
Je pense qu'il est encore possible de tenter de faire comprendre, en formulant des arguments positifs, que la démocratie n'est pas incompatible avec le Parti communiste chinois, comme l'a démontré le KMT à Taïwan, en fait. Ce parti s'est démocratisé et a remporté les élections, se maintenant au pouvoir pendant environ une décennie. Il a cédé le pouvoir quand il a perdu les élections, comme tout autre parti démocratique. Taïwan continue d'être stable.
Si cette possibilité pouvait être présentée à nos collègues et à certains penseurs progressistes en Chine, je pense que ce n'est pas impossible. Je l'espère, simplement en raison de la manière dont nous agissons actuellement. Comme je l'ai indiqué dans ma préface, l'étau se resserre autour de Taïwan. Les enjeux y sont de plus en plus élevés. Le risque de conflit est donc plus grand.
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Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.
Professeur Laliberté, d'abord, je vous remercie d'être parmi nous aujourd'hui. J'ai écouté votre témoignage avec beaucoup d'intérêt. Comme les autres membres de ce comité, je vous suis reconnaissante d'avoir attiré notre attention sur les termes que nous devrions utiliser.
Dans le même ordre d'idées, j'aimerais aborder la façon dont la Chine fait allusion au principe constitutionnel « un pays, deux systèmes » pour apaiser les craintes de Taïwan, qui redoute, avec raison selon moi, que son système démocratique et ses traditions ne puissent pas survivre sous le contrôle de la Chine.
Nous sommes tous au courant de ce qui se passe à Hong Kong en ce moment. Nous avons vu la répression chinoise quant au processus démocratique et à la liberté d'expression, entre autres choses.
Selon vous, quelles sont les répercussions des événements qui ont eu lieu à Hong Kong sur la situation entre la Chine et Taïwan?
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Je vous remercie beaucoup de la question.
D'une part, ce n'est pas un principe constitutionnel. La formule « un pays, deux systèmes », c'est une déclaration politique. C'est une déclaration politique que Xi Jinping a simplement décidé de rejeter. Il renonce à ce principe parce que ce n'est plus son objectif. Maintenant, l'annexion de Taïwan est vraiment le but.
D'autre part, si Taïwan est annexé, ce n'est pas pour que Taïwan soit une région autonome avec un régime différent, un régime démocratique. En fait, c'est pour que Taïwan devienne une autre province chinoise.
Comme mon collègue Joseph Wong, je suis très pessimiste à cet égard.
Si nous étions dans une autre réalité, c'est-à-dire si Xi Jinping démissionnait, s'il ne retournait pas à la tête du Parti communiste, il y aurait lieu de se demander si cela donnerait lieu à un processus de réforme dans le Parti. Ce serait le scénario idéal, mais les possibilités sont minimes.
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Je vous remercie beaucoup, professeur Wong.
Je vous remercie, madame Bendayan. Votre temps de parole est écoulé.
Chers collègues, permettez-moi de remercier les témoins experts d'avoir comparu devant le Comité cet après-midi.
Professeurs Laliberté et Wong, nous vous remercions de vos témoignages et de nous avoir fait part de votre expertise.
[Traduction]
Nous vous remercions beaucoup d'avoir témoigné. Nous vous laissons maintenant vous déconnecter.
Chers collègues, il y a une main levée. Quelqu'un invoque le Règlement.
Vous pouvez intervenir brièvement, madame Sudds.