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Je déclare la séance ouverte.
Bienvenue à la 80e réunion du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international.
La réunion d'aujourd'hui se déroule dans un format hybride, conformément au Règlement. Ainsi, des députés y assistent en personne dans la salle et d'autres y participent à distance à l'aide de l'application Zoom.
J'aimerais formuler quelques observations à l'intention des membres du Comité et des témoins.
Avant de prendre la parole, veuillez attendre que je vous nomme. Vous pouvez vous exprimer dans la langue officielle de votre choix. Des services d'interprétation sont offerts.
Bien que la salle soit équipée d'un système audio puissant, des retours de son peuvent se produire, ce qui peut être extrêmement dommageable pour les interprètes et causer des blessures graves. Le port de l'oreillette trop près d'un microphone est la cause la plus courante de retour de son.
Pour ce qui est de la liste des intervenants, la greffière du Comité et moi-même ferons de notre mieux pour respecter l'ordre d'intervention de tous les membres du Comité, qu'ils participent virtuellement ou en personne.
Conformément à la motion de régie interne du Comité concernant les tests de connexion pour les témoins, j'informe le Comité que tous les témoins qui comparaissent virtuellement ont effectué les tests de connexion requis avant la réunion.
Je voudrais signaler que M. Matthew Hollingworth, du Programme alimentaire mondial, qui se joint à nous depuis Kiev, a quelques problèmes de connectivité. Les spécialistes en TI m'ont assuré qu'ils allaient continuer à essayer d'améliorer la connectivité afin que nous puissions tous entendre le témoignage de M. Hollingworth.
Entretemps, nous allons entendre le témoignage des autres témoins. Espérons que nous aurons de bonnes nouvelles en ce qui concerne M. Hollingworth.
Conformément à l'article 108(2) du Règlement et aux motions adoptées par le Comité le lundi 31 janvier 2022 et le mardi 30 mai 2023, nous reprenons notre étude sur la situation à la frontière entre la Russie et l'Ukraine et les répercussions sur la paix et la sécurité.
J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à nos témoins.
Nous accueillons des représentants du Global Institute for Food Security, soit l'Institut mondial pour la sécurité alimentaire: la présidente du conseil d'administration, Mme Alanna Koch; et le directeur général, M. Steve Webb.
Nous recevons également M. Benoit Legault, directeur général des Producteurs de grains du Québec.
Nous aurons également avec nous M. Hollingworth, qui représente le Programme alimentaire mondial des Nations unies. Nous essayons de nous assurer qu'il dispose d'une bonne connectivité.
M. Steve Webb va commencer, puis ce sera au tour de M. Legault par la suite.
Je demanderais aux témoins de veiller à ne pas dépasser les cinq minutes qui leur sont accordées pour leur déclaration préliminaire. Il en va de même lorsque les membres du Comité posent leurs questions. Lorsque le temps sera presque écoulé, je brandirai cette carte. Ils devront alors essayer de conclure dans les 20 à 30 secondes.
Monsieur Webb, je vous cède maintenant la parole. Vous disposez de cinq minutes pour faire votre déclaration préliminaire.
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Bonjour, monsieur le président. Je vous remercie de m'avoir invité à venir témoigner aujourd'hui.
Comme on l'a déjà mentionné, je m'appelle Steve Webb. Je suis le directeur général du Global Institute for Food Security à l'Université de la Saskatchewan, l'Institut mondial pour la sécurité alimentaire, qui travaille avec des partenaires afin de découvrir, d'élaborer et de fournir des solutions novatrices pour produire des aliments durables à l'échelle mondiale.
Monsieur le président, l'insécurité et le manque de sécurité alimentaire sont très étroitement liés. La sécurité alimentaire est synonyme de sécurité mondiale, et l'insécurité alimentaire est synonyme d'insécurité mondiale. Norman Borlaug disait d'ailleurs qu'on ne peut pas construire un monde pacifique avec des estomacs vides et de la misère humaine.
L'invasion de l'Ukraine par la Russie illustre cette affirmation. Aujourd'hui, je voudrais parler des conséquences qu'a la situation sur la sécurité alimentaire et de la manière dont le Canada peut y répondre de façon efficace.
La première conséquence concerne l'accès à la nourriture. Au moment où le conflit a éclaté, le système alimentaire mondial se remettait à peine de la pandémie de COVID‑19 et sa durabilité a alors été menacée davantage. La guerre en Ukraine a eu des répercussions sur environ 30 % de la production mondiale de blé et d'engrais, ce qui a accru les pressions sur la capacité de l'industrie alimentaire à nourrir une population nombreuse et croissante avec encore moins de ressources. Le monde compte aujourd'hui plus de huit milliards d'habitants. Si, en plus, on est confronté au défi de nourrir cette population avec des ressources limitées, il est clair que nous n'avons pas les moyens de faire face aux menaces qui pèsent sur l'accessibilité et l'abordabilité des aliments et des engrais.
Autre conséquence: nous nous trouvons devant un problème multidimensionnel en ce qui concerne non seulement l'alimentation et l'énergie, mais aussi la nouvelle donne dans les relations à l'échelle internationale. Le conflit engendre le recours à d'autres moyens d'accéder à la nourriture, et pas nécessairement de manière durable. Cette nouvelle donne complique l'intervention du Canada pour nourrir le monde de manière durable.
Une autre conséquence de ce conflit est la pression qui est exercée sur l'approvisionnement, la distribution et le commerce mondial. Les prix des aliments ont grimpé en flèche partout dans le monde et la distribution, les importations et les exportations sont touchées. L'Initiative céréalière de la mer Noire et les incertitudes qui en ont découlé, ainsi que les répercussions de ces incertitudes sur le commerce et la distribution des aliments, en sont un exemple.
L'accès à des aliments sains et nutritifs dans le monde, qui illustre bien la vision audacieuse de l'Institut mondial pour la sécurité alimentaire, est menacé. Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour surmonter les problèmes et aider à rétablir un monde dans lequel la sécurité alimentaire règne.
Je vais maintenant expliquer comment l'Institut mondial pour la sécurité alimentaire conçoit une réponse efficace de la part du Canada, à la lumière des conséquences dont je viens de parler.
Non seulement le Canada est l'un des plus grands producteurs et exportateurs d'aliments au monde, mais il procède d'une manière durable sur les plans économique, environnemental et social. Nous avons besoin de tous les moyens à notre disposition pour répondre à la hausse de la demande qui est causée par divers problèmes, y compris la guerre que mène la Russie en Ukraine. Nous devons donc saisir les occasions d'innover de façon sûre et fiable. Nos pratiques agricoles novatrices et durables ont déjà contribué au succès du Canada et nous ont permis d'obtenir des données simples enviables. Une récente étude qu'a commandée notre institut montre que les pratiques durables adoptées au Canada ont permis de produire une empreinte carbone nette pour le blé non dur inférieure de plus de 120 % à celle des pays concurrents. L'innovation a eu des effets réels et a contribué à faire de notre pays l'un des producteurs d'aliments les plus sûrs et les plus respectueux de l'environnement au monde. Nous devons continuer dans cette voie.
Une autre recommandation que nous faisons consiste à stimuler des investissements majeurs dans les infrastructures, comme dans les télécommunications, la connectivité en milieu rural, les ports et les réseaux ferroviaires. Les investissements dans nos infrastructures permettent au Canada de rester compétitif et de rétablir sa réputation de fournisseur alimentaire fiable.
Monsieur le président, nous recommandons également de créer un cadre réglementaire transparent, prévisible, interactif et habilitant. Toutes les autres recommandations se fondent sur cet élément. Nos secteurs agricole et alimentaire sont touchés par les effets des obstacles réglementaires qui limitent l'accès des producteurs et des consommateurs aux dernières innovations éprouvées. Le projet de loi qu'a proposé le récemment est un exemple d'approche pragmatique visant à garantir que les agriculteurs et les producteurs canadiens aient accès aux dernières innovations afin de rester compétitifs à l'échelle mondiale.
Par exemple, pour les secteurs agricole et alimentaire, les règlements doivent être approuvés par les autorités de l'agriculture, de la santé et de l'environnement. Un cadre réglementaire hautement fonctionnel constitue un avantage concurrentiel pour le Canada, un avantage qui suscite la confiance non seulement chez nous, mais aussi dans le monde entier. Élaborons‑le.
Monsieur le président, je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de témoigner. J'espère que mes observations vous seront utiles. J'attends avec impatience la suite de la discussion.
Je vous remercie, monsieur le président.
Je remercie les membres du Comité de nous recevoir aujourd'hui.
Je m'appelle Benoit Legault, et je suis le directeur général des Producteurs de grains du Québec. Notre organisation représente 9 500 producteurs de grains de toutes les régions du Québec, qui cultivent plus d'un million d'hectares et génèrent un chiffre d'affaires annuel de deux milliards de dollars. De plus, ils créent environ 20 000 emplois au Québec.
Nous sommes toujours heureux que les représentants politiques s'intéressent au point de vue des producteurs de grains de l'Est du Canada, qui représentent tout de même 20 % des ventes de grains au Canada. Plus particulièrement pour le Québec, les producteurs de grains québécois sont à la base d'une série de filières agroalimentaires qui vont de la production de viande à la production de farine, de pain, d'huile, de margarine, de boissons alcoolisées et d'éthanol.
Bien que les producteurs québécois exportent de un demi-million à un million de tonnes de maïs et environ un million de tonnes de soya, leur interaction en matière de production alimentaire et de sécurité alimentaire dépend aussi beaucoup du prix de leurs denrées et de leurs intrants, qui sont en lien direct avec les prix et les marchés internationaux. Pour les intrants, les questions liées au transport font en sorte que des relations efficaces avec les fournisseurs de proximité dans la région de l'Atlantique sont cruciales afin que notre agriculture ici, dans l'Est du Canada, puisse produire des denrées à des coûts concurrentiels.
Comme représentants des producteurs de grains, nous appuyons le principe selon lequel les conflits géopolitiques ne devraient pas nuire au mouvement efficace et à moindre coût des aliments, des denrées agricoles et des intrants agricoles. En ce sens, évidemment, nous croyons que la fin de la relation commerciale avec la Russie va à l'encontre de ce principe. L'Est du Canada reste dépendant des intrants agricoles en provenance de l'étranger, notamment pour l'azote, un élément crucial pour maintenir et augmenter la productivité des cultures. Le réflexe serait de miser sur le développement des capacités pour produire cet azote dans l'Est du Canada, mais, comme vous le savez, le défi est énorme étant donné que la production d'azote est une activité industrielle lourde, qui exige de forts investissements en capital et qui ne répond pas nécessairement à certains objectifs environnementaux au Canada, dans le contexte où elle produit beaucoup de gaz à effet de serre, ou GES. Cette situation présente donc un énorme risque pour la sécurité et notre capacité à produire des denrées dans l'Est du Canada.
Dans un autre ordre d'idées, la sécurité alimentaire passe aussi par la capacité à mieux répondre à la demande internationale. Cette montée du protectionnisme dans un environnement commercial déjà très instable et les diverses barrières commerciales non tarifaires nuisent à l'efficacité du mouvement des denrées agricoles. Le Canada a très certainement un rôle à jouer non seulement dans la normalisation des règles de commerce, mais aussi dans la promotion de ces dernières pour favoriser un mouvement efficace des denrées agricoles.
Il est difficile de mesurer aujourd'hui et de comprendre ce que sera la finalité de cette guerre déclenchée par la Russie. Ce dernier pays change complètement le paysage du commerce et du mouvement des denrées agricoles, alors qu'il déploie de nouvelles stratégies géopolitiques et commerciales, notamment avec la Chine. Ces stratégies sont imprévisibles. Elles chambardent la production et la commercialisation de grains partout dans le monde, notamment au Canada et au Québec.
Les producteurs agricoles croient que cet environnement géopolitique instable, en raison de ses conflits, de ses clivages et du réarrangement des relations entre États, est une réelle menace pour leur capacité de production ici, mais aussi partout dans le monde. Les producteurs, notamment ceux de la relève, sont démotivés et ils se sentent dépassés par cette réalité insaisissable et difficile à caser dans un plan d'affaires.
Comme représentant de producteurs agricoles et de producteurs de grains, notre organisme n'a certainement pas élaboré de vision canadienne quant à la gestion des relations internationales en matière de paix, de sécurité et de sécurité alimentaire. Nous nous tournons tout simplement vers des valeurs sûres, soit celles d'offrir un environnement de production au Canada et au Québec qui permet de maintenir un patrimoine agricole productif et rentable, mais surtout intéressant pour la relève, afin de bien répondre au défi que représente la sécurité alimentaire.
En ce sens, nous estimons qu'il est important de ne pas imposer de mesures qui restreignent le déplacement à moindre coût des denrées agricoles et des intrants agricoles au Canada et vers le Canada; de développer une certaine autonomie de production des intrants nécessaires dans l'Est du Canada; de s'assurer d'une normalisation des règles du commerce international et de toujours promouvoir cette idée à l'échelle internationale; de s'assurer d'avoir des programmes de gestion du risque et un financement de ces derniers qui sont exemplaires et qui permettent de bien affronter les bouleversements géopolitiques, sans oublier les changements climatiques; d'investir de façon exemplaire dans l'innovation et l'accès aux nouvelles technologies; de développer les outils nécessaires pour que l'information nécessaire à une production et à une commercialisation efficaces circule bien entre les acteurs des filières agroalimentaires ici et partout dans le monde; et, finalement, d'avoir une vision de l'agriculture et de l'alimentation qui permet une croissance durable de la productivité agricole.
Ce sont les principaux messages que les productrices et producteurs de grains du Québec m'ont demandé de vous transmettre aujourd'hui concernant la sécurité alimentaire dans le contexte de cette guerre déclenchée par la Russie contre la population ukrainienne.
Je vous remercie de votre attention.
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Merci beaucoup, monsieur Legault.
[Traduction]
Je veux maintenant informer M. Hollingworth de la situation.
Nous avons essayé de rétablir la connexion avec vous. Je sais que vous vous êtes donné beaucoup de mal, mais étant donné que vous vous joignez à nous depuis Kiev, les interprètes nous disent malheureusement qu'il leur est impossible de faire leur travail en raison de la qualité du son.
Évidemment, vous pouvez rester des nôtres. Si vous souhaitez répondre à l'une ou l'autre des questions qui seront posées, nous vous serions reconnaissants de nous soumettre des réponses par écrit afin que nous puissions nous appuyer sur votre expertise et vos idées.
Nous vous présentons nos excuses pour ce problème de connectivité.
Nous passons maintenant aux questions des membres du Comité. C'est le député Hoback qui commence. Vous disposez de six minutes.
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Merci, monsieur le président.
Merci aux témoins.
Monsieur Hollingworth, je me sens mal pour vous. Il est certain que j'aurais vraiment aimé entendre votre témoignage. J'espère que vous pourrez le présenter par écrit et que nous pourrons au moins en faire la lecture.
Je vais commencer par vous, monsieur Webb. Je repense à mes belles années chez Flexicoil et Case New Holland, lorsque DowElanco commercialisait toutes sortes de produits dans l'Ouest canadien.
Le Canada était à l'avant-garde sur le plan des pratiques de culture sans travail du sol, de la réduction de l'utilisation d'intrants et de carburant diésel, etc. Nous avons ensuite apporté cette technologie en Europe, en particulier en Ukraine et en Europe de l'Est.
Compte tenu de ce qui se passe dans le contexte de la guerre, quelles sont les possibilités pour l'Ukraine à l'avenir, à votre avis? Nous avons toujours eu le problème et maintenant nous ne pouvons plus faire sortir les produits de l'Ukraine. La Pologne refuse que les céréales transitent par son territoire parce qu'elle prétend que son marché s'en trouve perturbé.
Selon vous, comment peut‑on résoudre ce problème d'une manière ou d'une autre et comment envisagez-vous l'avenir à cet égard?
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Je vous remercie de la question.
Je suis ravi que vous ayez mentionné l'innovation qui a commencé ici, au Canada, concernant le développement de la technologie sans travail du sol et avec travail minimum du sol. L'une des choses que nous avons constatées ici, au pays, en particulier dans l'Ouest canadien, c'est que les taux d'adoption sont incroyablement élevés — plus de 90 %. Nous n'avons vu rien de tel dans aucun autre pays et c'est l'une des raisons qui expliquent nos chiffres en matière de durabilité.
Pour ce qui est de la situation en Ukraine, elle continue de se détériorer et l'accès à de l'aide pour que les produits ukrainiens soient expédiés vers le marché mondial est restreint, comme vous l'avez mentionné, sur plusieurs fronts. Encore une fois, je ne suis pas un spécialiste de la question, mais je ne vois pas de solution tant que le conflit lui-même ne sera pas résolu ou que des méthodes de rechanges ne seront pas utilisées pour garantir que la production ukrainienne atteigne le marché mondial. Elle produit une part importante d'oléagineux en particulier, comme ceux illustrés sur la photo derrière M. Hollingworth. Il y a une photo de tournesols — et l'huile de tournesol est importante —, et il y a aussi le blé provenant de l'Ukraine.
Je pense que c'est un producteur très important, un grenier, et nous devons encourager l'exportation de sa production vers le marché mondial.
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En fait, l'Est du Canada a accès au gaz naturel de l'Ouest canadien par l'intermédiaire d'un poste situé à Sarnia. Celui-ci reçoit ce gaz du Michigan.
Vous connaissez un peu l'histoire qui circule quant à la viabilité de ce gazoduc pour ce qui est des objectifs politiques et des défis environnementaux liés à l'un des trois Grands Lacs, au Michigan. Cette source existe, mais elle est incertaine.
Il y a déjà eu une tentative visant à construire une usine au Québec le long du fleuve Saint‑Laurent. Le problème n'était pas tellement la matière première, mais plutôt l'ampleur des investissements nécessaires. De plus, au Québec — et je présume que ce serait la même chose en Ontario — beaucoup des défis liés aux contraintes environnementales concernent des projets industriels lourds dans un contexte politique très axé sur la réduction des gaz à effet de serre. Or, ce projet n'était pas nécessairement bien vu, ici, au Québec; il y a eu une initiative très sérieuse, voilà quelques années, qui a pris fin pour les raisons dont je viens de vous parler.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Merci aux témoins d'être parmi nous aujourd'hui.
Monsieur Legault, dans le rapport de l'Organisation de coopération et de développement économiques, ou OCDE, qui s'intitule « Perspectives agricoles de l'OCDE et de la FAO 2022‑2031 », on mentionne, entre autres, que « la productivité agricole globale devra progresser de 28 % dans les dix prochaines années », si on veut assurer une stabilité de la production et obtenir la sécurité alimentaire à l'échelle mondiale. Ce sont, entre autres, les recommandations formulées pour atteindre cet objectif. Cela dit, on n'y est pas encore. Les seuils n'ont pas encore été atteints, et il reste beaucoup de travail à faire.
Selon ce rapport, il faut agir immédiatement et de façon globale, investir dans l'innovation agricole et permettre « le transfert de connaissances, de technologies et de compétences ». Des efforts seraient aussi nécessaires pour « réduire les pertes et le gaspillage alimentaires et limiter la surconsommation de calories et de protéines ».
J'aimerais avoir vos commentaires là-dessus.
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Je ne peux qu'être d'accord sur les constats qui sont faits dans le rapport de l'OCDE.
Je représente les producteurs de grains, une production qui est à la base de plusieurs aliments au Québec. Les défis ne sont probablement pas les mêmes pour le grain que pour la production de viande ou la transformation des grains en produits alimentaires.
Pour les transformateurs, la question de l'innovation est toujours présente. Nous revendiquons chaque année la croissance de la productivité dans le cadre de chaque nouveau partenariat canadien et lorsque nous développons de nouveaux programmes et de nouvelles stratégies. Il a beaucoup été question de l'innovation lors du dernier partenariat conclu au Canada.
Évidemment, nous constatons que les ressources du secteur public ne sont pas au rendez-vous, et c'est l'une de nos préoccupations. Nous le vivons présentement dans le cas des grappes agroscientifiques. Nous avons l'impression qu'on a de la difficulté à garder le rythme sur le plan des investissements publics pour que cette innovation se fasse.
Le Québec est quand même particulier à cet égard. Compte tenu du fait que c'est une petite région, l'innovation est quand même moins importante dans le secteur privé parce que c'est un petit marché pour le développement de ses produits. Nous nous appuyons beaucoup sur le soutien public, qui est donc très important sur le plan de l'innovation pour des régions comme l'Est du Canada, notamment pour le Québec.
L'innovation est présente, et nous observons une croissance quant à plusieurs cultures. Nous commençons cependant à plafonner dans le cas du soya et des céréales à paille. Bien qu'il y ait encore une croissance du côté du maïs, nous voyons aussi un certain ralentissement.
Le degré de croissance dont vous parlez actuellement est énorme. Je ne sais pas si nos rendements ou la productivité végétale du Québec vont réussir à atteindre les chiffres que vous avez mentionnés. Nous devrons certainement faire un pas de géant pour atteindre ce degré de croissance en matière de rendement. Comme je le disais plus tôt, cela nécessite de l'aide exemplaire, de l'innovation de haut niveau et le développement des technologies.
Dans le cadre du Partenariat canadien pour une agriculture durable, je pense que legouvernement a fait de très bons pas avec les provinces. En effet, il a accordé de nouveaux financements de l'ordre de 500 millions de dollars. Je peux notamment mentionner le Programme de paysages agricoles résilients. Selon les recommandations de l'OCDE, c'est vraiment vers cet investissement dans la résilience et dans l'innovation que nous pourrons affronter les changements climatiques qui touchent beaucoup la production agricole.
J'ai pris connaissance de certaines études comparatives portant sur d'autres pays, surtout situés en Europe. Les investissements sont presque le double dans certains pays. Une façon d'investir, c'est peut-être dans la technologie.
Avez-vous constaté certains manques à cet égard, soit en matière de crédits d'impôt pour l'innovation dans les technologies agricoles, soit sur le plan des subventions directes?
Quelles seraient les recommandations de votre association à ce sujet?
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Évidemment, le premier réflexe est souvent de proposer des crédits d'impôt pour encourager l'innovation. Il faudrait que, dans le secteur agricole, compte tenu de la taille des entreprises et du degré de rentabilité des fermes, le crédit d'impôt puisse signifier un certain montant. Le crédit d'impôt peut quand même être limité, d'autant plus que nous entrons dans une période où les marges de profit vont diminuer. C'est ce que nous constatons.
Nous avons connu une assez bonne période au cours des dernières années, mais, avec le revirement de situation, la hausse des coûts de production et la baisse de la valeur marchande, nous nous rendons compte qu'effectivement, il y aura une baisse des marges et des revenus nets des producteurs. Le crédit d'impôt pourrait jouer un rôle, mais probablement de façon moins importante.
Évidemment, les subventions restent un atout important. Je crois que ce sont les pays qui investiront le mieux et le plus qui gagneront probablement la partie. Les producteurs et l'industrie doivent assurément faire leur bout de chemin aussi.
Combien d'argent faut-il investir? C'est difficile à dire aujourd'hui. Le seul constat que nous pouvons faire, c'est que le gouvernement a réduit, en dollars d'aujourd'hui, son investissement en innovation.
Avons-nous besoin de moins de subventions qu'auparavant? Sommes-nous plus efficaces que par les années passées pour ce qui est de développer l'innovation? Je ne suis pas en mesure de vous le dire, mais selon nous, comme producteurs de grains, il est toujours préférable d'investir plus que pas assez — je suis peut-être en situation de conflit d'intérêts ici.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Monsieur Webb, on sait que, en 2022, le Canada a alloué plus de 615 millions de dollars à l'aide alimentaire et nutritionnelle humanitaire. Selon le gouvernement, cette aide a atteint 128,2 millions de personnes souffrant d'insécurité alimentaire, un nombre record. Cela représente un gain de 11 % par rapport à l'année précédente.
Depuis, le Canada apporte de l'aide alimentaire au développement afin de fournir de la nourriture aux personnes vulnérables par l'entremise de programmes alimentaires ou de filets de sécurité nationaux ou infranationaux, tels que le programme d'alimentation scolaire ou le soutien nutritionnel.
Quelles seraient vos recommandations en ce qui a trait à l'aide alimentaire et nutritionnelle du Canada?
Je vous demanderais d'être bref. Vous pourrez nous faire suivre par écrit des compléments à votre réponse, au besoin.
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Je ferai quelques brefs commentaires à ce sujet.
Je pense que cela fait partie du train de mesures que le Canada peut offrir au monde, mais cela va de pair avec notre capacité à être un fournisseur durable et fiable de nourriture, car encore une fois, comme je l'ai mentionné précédemment, le Canada est l'un des rares pays qui sont des exportateurs nets, et nous faisons les choses d'une manière très durable.
Pour revenir aux questions précédentes, l'innovation est absolument essentielle à cet égard. Nos systèmes de production sont plus résistants grâce aux innovations canadiennes qui ont été adoptées par des producteurs au Canada et qui nous ont permis de continuer à accroître notre production. Nous devons continuer à investir dans l'innovation.
Il ne s'agit pas seulement de savoir combien nous investissons dans l'innovation, mais aussi de repenser les investissements et les partenariats entre les secteurs public et privé pour non seulement stimuler l'innovation, mais aussi pour qu'elle soit mise en pratique par les producteurs, ce qui est absolument essentiel.
L'aide alimentaire fait partie d'un ensemble de mesures que le Canada peut offrir au monde. Je pense qu'il s'agit d'un élément important de cet ensemble et il est lié à l'aspect nutritionnel. À l'Institut mondial pour la sécurité alimentaire, nous avons appuyé la production de rations de secours destinées aux réfugiés qui contiennent toutes les vitamines et tous les nutriments nécessaires à un repas quotidien, ainsi que d'autres systèmes alimentaires par l'intermédiaire de nos partenaires de l'Université de la Saskatchewan, afin que le tout puisse être expédié et soit durable. Toutefois, ce n'est qu'un élément. L'approvisionnement alimentaire et la distribution de nourriture sont absolument essentiels.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
J'aimerais remercier les témoins de leur présence.
Je tiens à dire que je suis déçue que nous ne soyons pas en mesure d'entendre le témoignage du représentant du Programme alimentaire mondial. Nous constatons de plus en plus — et la situation touche particulièrement le comité des affaires étrangères, je dirais — que les spécialistes que nous voulons entendre et qui se trouvent à l'extérieur de l'Amérique du Nord ne sont pas en mesure de participer aux réunions. C'est un problème. Nous l'avons constaté au sein de ce comité, du Comité spécial sur la relation entre le Canada et la République populaire de Chine et du Sous-comité des droits internationaux de la personne.
Par conséquent, nous devons trouver un moyen d'entendre les spécialistes qui sont sur le terrain, car, bien sûr, notre étude porte sur les effets de la guerre illégale que mène la Russie en Ukraine et les répercussions qu'elle a sur les produits alimentaires partout dans le monde.
Le fait que nous ne soyons pas en mesure d'entendre des personnes de l'extérieur du Canada me pose problème. Je pense que c'est une question que le Comité, le président et la greffière devront examiner de plus près.
Je voudrais également prendre un moment pour dire que je suis très mécontente et déçue que le Parti conservateur ait choisi ce moment pour tenir un débat d'adoption à la Chambre au sujet de l'Ukraine pendant que nous sommes tous ici en train d'essayer de trouver des réponses dans le cadre de cette étude, qui découle en fait d'une motion qui a été présentée par l'un des membres conservateurs du Comité. Je pense que de telles manigances traduisent vraiment un manque de respect non seulement envers les membres du Comité, mais aussi envers les députés de la Chambre des communes aujourd'hui. Ce n'est pas ainsi qu'il faut procéder.
Je pense que M. Genuis, la personne qui en a fait la proposition, le sait très bien.
J'aimerais poser quelques questions aux témoins. J'avais beaucoup de questions à poser au représentant du Programme alimentaire mondial, car, bien sûr, c'est cet organisme qui est le plus touché par le besoin d'augmenter l'aide alimentaire dans le monde en ce moment.
Je dirai que le Programme alimentaire mondial a déclaré que 345 millions de personnes sont confrontées à des niveaux élevés d'insécurité alimentaire en 2023. Comme l'a souligné M. Webb, la paix, le développement et la durabilité sont impossibles à concrétiser dans une situation d'insécurité alimentaire.
Hier, des représentants du bureau régional pour l'Afrique de l'Est, la Corne de l'Afrique et les Grands Lacs ont rendu visite au Parlement. Ils ont abondé dans le même sens en ajoutant que de nombreux pays étaient confrontés à l'insécurité alimentaire en raison des conflits en cours et du choc climatique.
Monsieur Legault, monsieur Webb, quels sont, selon vous, les pays les plus touchés par l'insécurité alimentaire? Quelles en sont les principales causes? Dans quelle mesure la guerre en Ukraine contribue‑t‑elle à l'insécurité alimentaire dans les pays à faible revenu actuellement?
Monsieur Webb, vous pouvez peut-être commencer.
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Au Forum sur le commerce mondial, j'ai eu l'occasion de présider un groupe de discussion avec l'ancien dirigeant du Programme alimentaire mondial des Nations unies, et la discussion que nous avons eue a été très instructive.
La Syrie demeure un gâchis. L'Afghanistan est un désastre sur le plan de la capacité à fournir de la nourriture. La situation ne résulte pas seulement de conflits. Elle est également attribuable à des catastrophes naturelles qui sont survenues dans ces pays. C'est un problème qui prend de l'ampleur dans toute cette partie du monde et nous y voyons surgir ces difficultés de plus en plus grandes.
Une chose que nous faisons à l'Institut mondial pour la sécurité alimentaire... Je sais que nous sommes ici, en Saskatchewan, mais nous avons des partenariats internationaux pour permettre le transfert et la formation de personnel et de spécialistes dans d'autres pays afin qu'ils puissent utiliser les technologies et les outils les plus avancés. Nous sommes en mesure de contribuer à la formation et au développement des capacités et des infrastructures pour que ces pays puissent accroître leur production alimentaire nationale. Il ne s'agit pas d'un moyen de remplacer les importations, mais plutôt de renforcer la résilience de leurs systèmes.
La semaine dernière, notre institut a organisé un atelier sur l'utilisation de la technologie liée à l'amélioration du taux d'innovation dans la sélection des végétaux, en particulier pour le blé, le riz et le canola au Bangladesh. Il s'agit d'une technologie que nous utilisons et développons ici au Canada, mais nous avons la possibilité de faire de même à l'échelle internationale, et grâce aux partenariats et à la collaboration, nous pouvons voir cela se concrétiser.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins d'être des nôtres.
Avant de commencer, comme le disait Mme McPherson, je trouve très malheureux qu'un député ait proposé un débat d'adoption des rapports de comités pendant les délibérations du Comité. Je ne veux pas dire que les débats d'adoption ne sont pas appropriés, mais les conservateurs ont présenté des centaines de motions d'adoption. Ils auraient pu choisir n'importe quel rapport, mais ils ont choisi le rapport sur l'Ukraine au moment même où nous nous efforçons de bonne foi de poursuivre l'étude sur le carburant et l'alimentation avec un membre conservateur du Comité.
Je trouve très troublant que nous ayons tant de difficulté à réunir tous les membres du Comité. Cette situation affecte surtout les petits partis. M. Bergeron est en Chambre en ce moment pour défendre le point de vue de son parti. Il est là où il doit être, mais c'est injuste pour le Comité et pour notre étude sur l'Ukraine.
Cela étant dit, nous voulons vous remercier, monsieur Webb, de votre témoignage. Honnêtement, je pense que vous êtes un des témoins les plus inspirants que nous ayons entendu en comité parlementaire. Je voudrais passer davantage de temps avec vous. Je vais peut-être communiquer avec vous pour vous demander davantage d'informations.
Nous examinons la toile complexe de problèmes à l'origine de l'insécurité alimentaire. J'essaie encore de démêler tout cela. Il y a la guerre en Ukraine — l'invasion illégale de l'Ukraine par la Russie —, qui a bousculé la production agricole et le transport, ou encore la croissance de la population, les changements climatiques et les récoltes et toutes ces choses qui mettent à risque la sécurité alimentaire de centaines de millions de personnes sur la planète.
Je vais passer outre le sujet de l'exportation de céréales et d'autres denrées. Mes questions vont plutôt porter sur l'exportation des innovations et des technologies, dont vous avez parlé tout à l'heure. Je suis depuis longtemps d'avis que l'Afrique aurait la capacité de se nourrir si elle avait accès aux technologies et aux innovations liées au rendement, à la nutrition et à la sélection des cultures les mieux adaptées au contexte africain et à d'autres endroits dans le monde.
Comment pouvons-nous prendre les innovations du secteur agricole canadien, dont vous êtes fier à juste titre, et les exporter un peu partout dans le monde afin d'accroître la sécurité alimentaire?
Nous, au Global Institute for Food Security, ainsi que nos partenaires de l'Université de la Saskatchewan, notamment Mme Carol Henry, professeure au département de pharmacologie et de nutrition, avons été invités à soumettre à Affaires mondiales Canada une proposition sur les capacités qui pourraient être bâties en Afrique dans le domaine de la production alimentaire et de la nutrition. Encore une fois, les apports en calories sont essentiels pour calmer la faim, mais les calories doivent être assez riches en nutriments pour contrer les retards de croissance et tous les autres problèmes qui entravent le développement des sociétés.
Malheureusement, nos travaux ont été interrompus et n'ont jamais abouti. Les aspects positifs sont d'avoir pu créer des occasions de partenariat avec l'école Davis qui est affiliée à l'Université de la Californie et qui s'intéresse aux cultures orphelines en Afrique et aux techniques de sélection végétale. Ce type de collaboration nous permet de tirer profit des capacités du Canada et de celles de nos partenaires mondiaux.
Une chose hyperimportante — que nous faisons au Bangladesh — est d'aider à bâtir des capacités en capital humain dans des régions données pour que les populations puissent accepter, adopter et appliquer les outils qui leur conviennent. Il faut écouter et prendre le temps de comprendre les différents contextes de même que reconnaître que les solutions canadiennes, même si elles fonctionnent très bien au Canada, doivent être adaptées aux caractéristiques géographiques des endroits où elles sont exportées.
La collaboration avec des partenaires locaux est indispensable pour que les technologies soient adoptées. En leur donnant les meilleurs outils...
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Merci beaucoup, monsieur le président.
On a bien décrit l'aspect inacceptable du débat, à la Chambre et au Comité. Il est aussi bien dommage que le représentant du Programme alimentaire mondial des Nations unies n'ait pas pu témoigner devant notre comité à cause de problèmes techniques. Je vais poser des questions, et j'espère que le Comité va pouvoir recevoir des réponses par écrit.
En ce qui concerne les politiques nationales de plusieurs pays clés, nous avons vu, dans un reportage de Radio‑Canada publié il y a quelques jours, qu'il est de plus en plus difficile pour l'Ukraine d'exporter sa production. La Hongrie, la Slovaquie et même la Pologne bloquent désormais l'accès aux céréales ukrainiennes afin de protéger leurs propres agriculteurs.
Quelles sont vos discussions avec ces pays pour permettre de faciliter le passage terrestre des grains? Le transport terrestre s'était-il montré efficace pour exporter les produits ukrainiens? Est-ce aussi rapide d'exporter de manière terrestre que maritime? Cela reste à voir. Est-ce possible d'exporter du grain ukrainien en passant par la Moldavie et la Roumanie? En septembre, deux navires ukrainiens transportant des grains ont pu traverser la mer en longeant la Moldavie, la Roumanie et la Bulgarie. Est-ce une solution plausible? J'espère que nous pourrons obtenir des réponses à ces questions.
Monsieur Legault, j'espère qu'il n'y a plus de problème technique de votre côté. Dans vos remarques préliminaires, vous avez parlé des liens que nous avons avec l'étranger, notamment pour l'azote.
Quels sont les pays avec lesquels nous avons ces liens concernant les intrants?
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Merci beaucoup, monsieur le président. Merci aux témoins d'être des nôtres aujourd'hui.
Ma question porte sur le décalage entre les prix des aliments et l'inflation du prix des aliments.
L'indice du prix des aliments de la FAO indiquait une hausse record du prix des aliments en 2022, mais a fait état d'un déclin constant de ces prix depuis cette année‑là. Or, aucun repli de l'indice des prix à la consommation n'a été enregistré. Selon la mise à jour la plus récente de la Banque mondiale concernant la sécurité alimentaire, qui date du 12 octobre, l'inflation des prix réels des aliments d'une année à l'autre a dépassé l'inflation générale dans 78 % des 163 pays.
Monsieur Webb, je vais commencer par vous. Pourriez-vous nous expliquer ce décalage entre la diminution des prix des denrées alimentaires et l'inflation persistante du prix des aliments? Pensez-vous que la baisse de l'inflation du prix des aliments se poursuivra dans les prochains mois? Quelle que soit votre réponse, pourriez-vous préciser pourquoi ce serait le cas?
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Bienvenue à tous encore une fois.
Nous reprenons notre réunion sur la situation à la frontière entre la Russie et l'Ukraine et les répercussions sur la paix et la sécurité.
J'aimerais souhaiter la bienvenue au nouveau groupe de témoins.
Nous sommes reconnaissants d'avoir avec nous Paul Hagerman, directeur des politiques publiques à la Banque alimentaire de grains. Nous recevons également Deborah Conlon, directrice des relations gouvernementales à Grain Farmers of Ontario. Enfin, nous accueillons François Dionne, directeur du programme international à SOCODEVI.
Je précise aux témoins qu'ils disposent chacun de cinq minutes pour prononcer leur déclaration préliminaire. Nous passerons ensuite aux questions des membres du Comité.
Lorsque vous vous approcherez de la limite des cinq minutes, je vais lever mon téléphone pour vous signaler que vous devez conclure dans 15 ou 20 secondes. Cela vaut pour votre déclaration préliminaire et pour les réponses que vous donnerez aux questions des députés, car une limite de temps est allouée à chacune des questions.
Sur ce, nous allons commencer par vous, monsieur Hagerman. Vous avez cinq minutes pour votre déclaration préliminaire.
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Merci beaucoup de m'avoir invité à témoigner.
Je vais me concentrer sur les aliments, mais dans d'autres pays que l'Ukraine.
À l'échelle mondiale, nous étions en train de gagner la guerre contre la faim qui était menée depuis des décennies. Le nombre de personnes qui avaient accès à des repas complets était à la hausse, et le nombre de personnes qui souffraient de la faim était à la baisse. Toutefois, vers 2018, nous avons commencé à perdre du terrain. La faim a augmenté en raison des conflits, des changements climatiques et de la COVID. Aujourd'hui, 120 millions de personnes de plus ne mangent pas à leur faim par rapport à la période précédant la pandémie de COVID. Cela nous amène à la guerre en Ukraine.
La guerre en Ukraine freine la lutte contre la faim. Avant le conflit, l'Ukraine et la Russie étaient de grands pays exportateurs d'aliments et d'engrais. Le gros des produits était transporté par bateau sur la mer Noire. Lorsque la guerre s'est déclenchée, le transport maritime de nourriture a dû cesser, et les perturbations n'ont pas cessé depuis. Les prix des denrées et des engrais ont gonflé. Ces prix ont diminué au niveau international, mais ils sont, encore aujourd'hui, plus élevés et plus volatiles qu'avant la guerre. Comme certains l'ont souligné au cours de la dernière heure, les prix à la consommation sont encore très élevés. Ils sont parfois 100 % plus élevés qu'avant la guerre.
Les familles mangent moins, les agriculteurs utilisent moins d'engrais et les familles adoptent ce que nous appelons des stratégies d'adaptation malsaines. Tout cela génère des problèmes plus graves qui se manifesteront plus tard. Les parents retirent leurs enfants de l'école. Les enfants se marient très jeunes et sont forcés d'aller travailler. Les éleveurs sont contraints de vendre leur bétail.
En outre, les pays donateurs délaissent le soutien à long terme qu'ils versaient par exemple dans le secteur agricole pour se tourner vers le soutien à court terme tel que l'aide humanitaire.
Ce que nous voyons aujourd'hui est la répétition de ce que nous avons vu en 2008, pendant la crise alimentaire mondiale. La situation a révélé la grande vulnérabilité des pays importateurs de nourriture, surtout les pays pauvres qui devaient importer des aliments dont le prix avait monté en flèche. Des émeutes liées au prix des aliments ont fait rage dans au moins 14 pays. La faim a d'ailleurs été l'un des principaux déclencheurs du printemps arabe.
Une prise de conscience collective s'est produite. Tout le monde a compris que l'agriculture avait été négligée, surtout les petites exploitations agricoles, qui cultivent la majeure partie des aliments consommés dans les pays en développement. Pour répondre à cette crise, les pays du G7 ont investi massivement dans l'agriculture. Le Canada a doublé son aide destinée à ce secteur. Grâce à ces mesures, des millions d'agriculteurs ont augmenté leur production. Ils s'alimentaient mieux et faisaient plus d'argent. La faim dans le monde est descendue à son niveau le plus bas jamais enregistré.
Nous avons ensuite oublié l'importance de l'agriculture. L'aide fournie par les systèmes alimentaires a diminué et les problèmes de faim ont augmenté. Par la suite, il y a eu la COVID, suivie des catastrophes climatiques et de la guerre en Ukraine. Les choses ne cessent d'empirer depuis.
Votre étude se penche sur les enjeux de paix et de sécurité. Je ne vais pas parler de l'Ukraine en particulier. Je ne possède pas cette expertise. Je vais vous dire toutefois que les prix élevés des aliments et leur volatilité constituent une menace à la paix dans de nombreux pays de même qu'une menace à la stabilité mondiale. Pendant la première heure de la séance, M. Webb a dit que sécurité alimentaire et sécurité mondiale allaient de pair. Il faut le souligner encore une fois.
Plus tôt cette semaine, la a livré un discours dont voici un extrait:
Nous sommes en plein rééquilibrage géopolitique. Des crises de plus en plus fréquentes et complexes ébranlent les fondations du système qui nous a permis de rester en sécurité.
Nous devons tracer la voie vers la construction d'une base solide pour nos enfants. Renforcer le système international qui a apporté la stabilité mondiale. Et le remodeler pour qu'il devienne plus inclusif.
Aujourd'hui, je tiens à vous dire qu'un des moyens de construire la paix et de préserver la stabilité mondiale est de s'assurer que tous peuvent manger à leur faim. Pour ce faire, nous devons investir davantage dans l'agriculture à petite échelle.
Je vais vous expliquer pourquoi au moyen de deux exemples. Dans l'Inde des années 1940, plus de deux millions de personnes sont mortes parce que le pays ne produisait pas assez de nourriture pour nourrir la population. Dans les années 1960, le gouvernement a investi massivement dans l'agriculture. Dans les années 1970, le pays avait atteint l'autosuffisance. À présent, l'Inde est le plus grand exportateur de riz au monde.
Mon second exemple provient de mon organisme, la Banque canadienne de grains. Dans le cadre d'un projet soutenu — je dois le mentionner — par Affaires mondiales Canada, nous avons commencé en 2015 à promouvoir l'agriculture de conservation en Afrique de l'Est. Nous avons travaillé avec 60 000 agriculteurs. J'étais heureux d'entendre le député Hoback mentionner, pendant la première heure, l'agriculture sans travail du sol et les innovations faites au Canada. Le principe est le même partout. Cela fonctionne autant avec les agriculteurs de la Saskatchewan qui ont une superficie de 5 000 hectares qu'avec les agriculteurs éthiopiens qui ne possèdent qu'un demi-hectare. Ce sont les mêmes principes, mais appliqués avec des outils différents, qui ont aidé les agriculteurs à accroître leur productivité et à bonifier la santé du sol.
Ce n'est pas une affaire d'intrants, mais principalement une affaire de gestion. Les 60 000 agriculteurs avec qui nous avons travaillé ont multiplié leur production alimentaire par deux ou trois en moyenne, et au prix de moins d'efforts. Ce projet a récolté un énorme succès.
Pour promouvoir la paix et la stabilité, j'encourage le Canada à renforcer son soutien des systèmes alimentaires partout dans le monde. Ce ne sont pas seulement les petits agriculteurs, ce sont aussi toutes les entreprises du secteur de l'alimentation, en amont et en aval, comme les fabricants d'équipement et les fabricants de produits alimentaires.
Le Canada a réduit considérablement les fonds consacrés à l'aide dans le budget de 2023. En 2024, il faut rétablir ces fonds et il faut faire des systèmes alimentaires une priorité. L'agriculture est un domaine important au Canada. Nous pourrions être reconnus mondialement pour notre travail dans ce domaine.
Merci.
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Merci de m'avoir invitée à m'adresser à vous aujourd'hui. Votre comité examine un dossier important.
Je suis ici au nom des Grain Farmers of Ontario. Nous sommes la plus grande organisation du secteur des produits de base de l'Ontario. Nous représentons 28 000 producteurs de céréales et d'oléagineux. Nous exploitons 7 millions d'acres de terres agricoles. Nos recettes à la ferme s'élèvent à 5 milliards de dollars, et nous employons 90 000 travailleurs. Nous produisons 200 millions de tonnes métriques de grains. Ces grains sont le maïs, le soja, le blé, l'avoine et l'orge. Nous jouons un rôle essentiel dans la production alimentaire pour la population canadienne et pour le monde entier.
La viabilité financière des exploitations agricoles fait partie intégrante du système alimentaire. Ces dernières années, les agriculteurs ont dû surmonter de nombreuses difficultés qui se sont répercutées sur les marchés et sur les prix des intrants. Ces difficultés comprennent l'invasion illégale de l'Ukraine, la réponse à la pandémie, les restrictions sur les importations de soja imposées par la Chine, les interruptions de travail, la grève du CN il y a quelques années et la grève de la voie maritime qui a eu lieu la semaine dernière, au beau milieu de la récolte. Ces situations entraînent des coûts importants pour les agriculteurs, qui ne peuvent pas les transmettre à d'autres: les agriculteurs doivent payer ces coûts de leurs poches.
Les agriculteurs de l'Ontario sont en concurrence directe avec les agriculteurs des États-Unis. Or les États-Unis offrent un soutien financier aux agriculteurs qui font face à des risques et à des obstacles indépendants de leur volonté. De leur côté, les programmes canadiens de gestion des risques de l'entreprise ne répondent pas aux besoins des producteurs de grains de l'Ontario.
Si vous vous reportez à 2022, vous constaterez que nos agriculteurs ont subi les effets des sanctions et des tarifs imposés par le Canada. Pour se protéger contre le choc des cours, les agriculteurs avaient déjà réservé leurs engrais, comme ils ont coutume de le faire. Par conséquent, la décision du Canada de retirer le bénéfice du tarif de la nation la plus favorisée à la Russie et au Bélarus a eu des répercussions. Les agriculteurs canadiens ont été obligés de payer un taux tarifaire de 35 % sur les engrais importés, un coût que leurs homologues américains n'ont pas eu à payer. En outre, l'invasion a provoqué une montée en flèche du prix des engrais à l'échelle mondiale. En plus de perdre leur source d'engrais à bas prix, les agriculteurs de l'Ontario ont dû payer beaucoup plus cher pour remplacer la même quantité d'engrais.
Ce printemps‑là, le soutien du gouvernement pour assurer un approvisionnement en engrais a été le bienvenu. Toutefois, on estime que les coûts supplémentaires encourus par les agriculteurs durant cette saison de croissance ont atteint 200 millions de dollars. Ces dépenses n'ont pas été compensées par des paiements directs, et les programmes de gestion des risques de l'entreprise ne couvrent pas de tels coûts.
Chaque fois que nous subissons des chocs comme ceux que je viens de nommer, nous en examinons les répercussions et nous cherchons des moyens de les prévoir ou d'éviter qu'ils se reproduisent. J'ai deux rapports à présenter au Comité sur la situation des agriculteurs. Le premier porte sur l'approvisionnement en engrais; le second fait une comparaison avec les États-Unis.
Le premier rapport a été rédigé par Josh Linville, une sommité mondiale dans le domaine de l'approvisionnement en engrais. Il est axé sur l'importance d'assurer la stabilité de l'approvisionnement en engrais. Ses recommandations comprennent: collaborer avec des pays clés pour garantir l'approvisionnement mondial; créer des réserves stratégiques pour les situations d'urgence; régler les problèmes logistiques de la chaîne d'approvisionnement; améliorer le transport par chemin de fer et par camion, et en réduire les coûts; trouver des solutions pour améliorer l'entreposage dans les exploitations agricoles et dans les ports, ainsi que les capacités de déchargement — le système est très serré en Ontario et au Québec —; et accorder une exemption de tarifs pour maintenir le flux des échanges commerciaux.
Le second rapport compare les fonds accordés aux agriculteurs des États-Unis et de l'Ontario. Il montre qu'au cours des dernières années marquées par les difficultés, les agriculteurs américains ont reçu plus de soutien par l'intermédiaire des programmes de gestion des risques de l'entreprise. En effet, il y a une différence d'environ 30 % entre l'aide que reçoivent les agriculteurs des États-Unis et l'aide que le gouvernement du Canada fournit aux agriculteurs de l'Ontario.
Par ailleurs, le rapport de M. Linville propose aussi des solutions à long terme, dont la mise en place de mesures incitatives pour renforcer la capacité de production d'engrais dans l'Est du Canada.
L'avenir du marché mondial des engrais et d'autres produits de base s'annonce encore difficile. Il faudra des années pour accroître les capacités logistiques et la production. En adoptant dès aujourd'hui les stratégies proposées, on contribuera à atténuer les problèmes d'approvisionnement de demain.
En attendant, nous recommandons au gouvernement de procéder à une évaluation des risques liés au système. Nous lui recommandons également d'apporter des améliorations aux programmes de gestion des risques de l'entreprise, notamment en bonifiant la protection offerte par le programme Agri-stabilité, qui est censé couvrir de tels risques.
Ces mesures aideront grandement à accroître la résilience du système alimentaire, en plus de permettre aux agriculteurs de l'Ontario de continuer à exploiter leurs terres tout en faisant face aux défis indépendants de leur volonté.
Nous vous remercions de consacrer votre temps et votre attention aux grands problèmes touchant notre secteur et la sécurité alimentaire. Je répondrai volontiers à vos questions.
Merci encore une fois de m'avoir invitée à discuter avec vous aujourd'hui.
Je vous remercie de m'avoir invité à comparaître devant votre comité.
La Société de coopération pour le développement international, ou SOCODEVI, est une organisation canadienne coopérative qui se consacre au développement international depuis sa fondation en 1985. Son objectif principal est de soutenir et de renforcer les coopératives et les entreprises collectives dans les pays en développement. SOCODEVI bénéficie du soutien d'un réseau composé des plus grandes coopératives agricoles, agroalimentaires, forestières et autres du Québec. Présente dans 19 pays, l'organisation réalise une trentaine de projets axés sur le développement économique coopératif et l'entrepreneuriat collectif, en partenariat avec divers acteurs locaux tels que les coopératives, les fédérations et les gouvernements. SOCODEVI est le fer de lance canadien du développement coopératif dans les pays en développement.
SOCODEVI travaille en Ukraine depuis 2008 sur trois projets axés sur la sécurité alimentaire, qui sont financés par Affaires mondiales Canada.
Le premier projet a été mené dans le secteur des grains, où deux coopératives ont été fondées et des chaînes de valeur coopératives ont été consolidées dans la région du Dnipro.
En 2014, un projet de chaînes de valeur du lait frais a été lancé en collaboration avec Agropur, lequel a abouti à la construction d'une usine de transformation laitière inaugurée en juillet 2023.
Le troisième projet, lancé en 2020, visait à revitaliser l'agriculture dans la région du Donbass, touchée par le conflit de 2014.
Cependant, en 2022, le déclenchement de la guerre a contraint les équipes de SOCODEVI à transformer leur travail de soutien aux coopératives en une mission humanitaire. Ils ont aidé les membres des coopératives à se relocaliser dans d'autres régions en toute sécurité. Des décisions ont également dû être prises concernant l'usine de transformation laitière.
Le conflit a généré d'immenses déplacements de population et a touché également de nombreux agriculteurs. Cela a eu des répercussions sur la main-d'œuvre agricole et a entraîné une perte précieuse du savoir-faire dans certaines régions. De plus, les chaînes d'approvisionnement ont été fortement perturbées, ce qui a compliqué l'acquisition des intrants agricoles essentiels tels que les semences, les engrais et les produits phytosanitaires.
Les zones de conflit, particulièrement dans l'Est de l'Ukraine, ont subi d'importants dommages aux infrastructures agricoles, souvent laissées inutilisables en raison de la présence de mines et d'autres dangers. Les agriculteurs dans ces régions doivent faire face à des risques liés à la sécurité, ce qui entrave ainsi leurs activités et l'accès à leurs terres.
En outre, le conflit a eu des répercussions environnementales notables, notamment la contamination des sols et des ressources en eau. Cela a des conséquences majeures sur la viabilité à long terme de l'agriculture dans certaines régions. La reconstruction et la restauration de ces secteurs seront essentielles pour rétablir la stabilité et la prospérité.
Malgré la guerre, SOCODEVI est restée aux côtés des agriculteurs ukrainiens, se distinguant ainsi d'autres organisations d'aide qui ont quitté le pays en période de conflit. En raison de l'insécurité alimentaire croissante et de l'inflation, nous avons adapté le projet du Donbass pour en faire un vaste projet coopératif de sécurité alimentaire dans six nouvelles régions du pays. De plus, nous avons mobilisé les fonds nécessaires à l'achèvement de la construction de l'usine de transformation laitière, et nous avons offert un soutien financier direct grâce à nos propres fonds.
Nous sommes plus que jamais convaincus que l'approche coopérative est une partie essentielle de la solution.
Les coopératives démontrent une résilience quant aux chocs économiques et aux crises, et elles reposent sur des principes de solidarité, de partage des risques et de collaboration entre les membres.
En période de guerre, les coopératives facilitent la mutualisation des ressources entre les agriculteurs, ce qui renforce ainsi leur capacité à surmonter les défis et à maintenir la production alimentaire.
Elles fournissent un mécanisme essentiel pour maintenir la production alimentaire, même dans des conditions difficiles, grâce à leur structure collaborative qui leur permet de surmonter les problèmes d'ordres logistique et technique.
De plus, les coopératives offrent des formations, des conseils techniques et un soutien financier aux agriculteurs, ce qui renforce ainsi leurs compétences et leur capacité à relever les défis, y compris en période de guerre.
En permettant aux agriculteurs de prendre en main leur propre destin en matière de production alimentaire, les coopératives renforcent leur indépendance et leur capacité à relever les défis externes.
Il est vrai que personne ne peut prédire la durée de cette guerre.
Toutefois, nous savons avec certitude que SOCODEVI maintiendra son engagement à soutenir le développement coopératif, la sécurité alimentaire et les communautés pendant le conflit. Lorsque viendra le moment de reconstruire le secteur agricole de ce pays extraordinaire, nous serons déterminés à être présents, quelles que soient les circonstances, pour contribuer à assurer un avenir meilleur.
Je vous remercie de votre attention.
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Merci, monsieur le président.
Par souci de transparence, je tiens à mentionner que je suis un ancien collègue de M. Hagerman et employé de la Banque canadienne de grains. De plus, notre exploitation agricole compte parmi les 28 000 membres des Grain Farmers of Ontario.
Monsieur Hagerman, vous avez fait allusion aux changements de cap. L'ensemble des institutions, des gouvernements, des ONG, des exploitations agricoles et des entreprises sont assujettis à la loi de la rareté. La guerre en Ukraine a des répercussions sur le système alimentaire et elle provoque des crises humanitaires, et pourtant, vous avez parlé du succès des investissements à long terme dans le développement.
Comment la Banque canadienne de grains fait-elle pour maintenir un équilibre? Quels conseils donneriez-vous au gouvernement?
Je veux poser une autre question, cette fois à Mme Conlon.
Avant la guerre, de 660 000 à 680 000 tonnes d'engrais azoté étaient importées dans l'Est et le Centre du Canada. Une partie de l'urée importée de la Russie était utilisée sur notre ferme. Nous avons aussi utilisé de la potasse en provenance du Bélarus pour des raisons économiques. Pourtant, le Canada est riche en gaz naturel.
Vous avez dit, si j'ai bien compris, qu'on devrait pouvoir bâtir des installations de fabrication d'engrais dans l'Est du Canada pour toutes sortes de raisons.
Est‑ce que ce serait rentable? Y a‑t‑il un marché pour ces produits?
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Merci, monsieur le président.
Je remercie tous les témoins de leur présence et de leur explication de la situation extrêmement complexe que nous vivons. Je remercie particulièrement M. Hagerman pour ses propos très clairs.
Les méthodes employées avec succès il y a 10 ans ne fonctionnent plus. Le monde n'est plus ce qu'il était, il s'est complètement transformé, et nous ne pouvons pas régler les nouveaux problèmes avec les anciennes solutions. Je pense que la l'a souligné, comme vous l'avez dit. Nous allons devoir nous lier d'amitié avec des gens qui ne font normalement pas partie de notre cercle d'amis; l'important sera de trouver des points en commun pour atteindre des objectifs donnés. Nous allons devoir changer notre façon de faire.
L'une des questions que je veux poser, c'est... Vous connaissez le proverbe: « Quand un homme a faim, vaut mieux lui apprendre à pêcher que de lui donner du poisson. » Ma question est la suivante: le Canada devrait‑il toujours être celui qui nourrit le reste du monde? Ne devrait‑on pas plutôt apprendre au reste du monde à produire ses propres aliments? Est‑ce que c'est la première question à poser: comment peut‑on aider les agriculteurs dépourvus de l'Afrique et des pays en développement à produire des aliments qu'ils peuvent cultiver et obtenir facilement?
Convient‑il d'avoir recours aux nombreux groupes multilatéraux qui distribuent des aliments pour venir en aide aux populations dans le besoin? Ces groupes compliquent-ils la situation? Créent-ils un déséquilibre? Devrait‑on plutôt travailler directement et individuellement avec les agriculteurs dans les pays que nous cherchons à soutenir? Je sais qu'on le fait déjà, mais le Canada devrait‑il faire appel à ses propres agriculteurs pour aider les populations touchées à produire les aliments essentiels à leur survie?
Le monde ne sera jamais plus comme il l'était avant la pandémie. Ce n'est ni la première ni la seule pandémie. Le nombre de conflits augmente. À cause du cercle vicieux des changements climatiques, il est rendu impossible de produire des aliments dans la majorité des pays du monde. À la lumière de tout cela, comment pouvons-nous trouver de nouvelles solutions, monsieur Hagerman?
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Je pense que vous avez mis le doigt sur le problème: c'est insensé de croire que le Canada peut nourrir la planète entière. Le Canada est un très gros exportateur — il le sera toujours — et nos agriculteurs font un travail remarquable, mais les besoins de la planète sont trop grands.
Une partie du problème, c'est que peu de pays sont de gros exportateurs. Le Canada en est un, l'Ukraine aussi, et d'autres ont été nommés. Or nous dépendons trop fortement de ces pays. Par conséquent, lorsqu'un d'entre eux subit des perturbations, comme l'Ukraine, cela crée des problèmes. Je ne propose pas de retirer le Canada du marché, mais plutôt d'encourager les pays à essayer de produire eux-mêmes une plus grande part de leurs propres aliments.
Nous savons qu'au Canada, les rendements de grains s'élèvent à près de 10 tonnes à l'hectare, alors que dans la plupart des pays d'Afrique, les rendements se situent en moyenne à une tonne à l'hectare. Si nous pouvions faire passer ce chiffre à deux, trois ou quatre tonnes à l'hectare, ce serait une amélioration énorme. Les aliments pourraient être produits localement, ce serait des aliments que la population connaît, et il ne faudrait pas de longues chaînes d'approvisionnement pour les mettre sur le marché. D'après moi, ces objectifs sont tout à fait atteignables. C'est exactement le travail que fait mon organisation, et j'aimerais que le Canada soutienne davantage les efforts en ce sens.
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Merci, monsieur le président.
D'abord, je suis désolé d'être en retard, et je présente mes excuses aux membres du Comité. Ce retard n'était certainement pas prévu, mais nos amis conservateurs ont eu la drôle d'idée de demander l'adoption du rapport sur l'Ukraine au moment même où notre comité siégeait. J'ai donc dû m'absenter quelques instants pour aller faire mon intervention à la Chambre sur un sujet tout autre. C'est curieux, d'ailleurs, qu'ils aient décidé de « s'autofilibuster », car l'étude que nous menons présentement fait suite à une motion du Parti conservateur. C'est pour le moins étonnant que nous nous soyons retrouvés dans cette situation aujourd'hui. De plus, j'en profite pour remercier ma collègue la députée de Shefford de s'être rendue disponible au pied levé en raison de cet imprévu, qui découle de cette manœuvre de nos amis conservateurs.
Cela étant dit, monsieur le président, j'aimerais revenir sur le sujet abordé par Mme Fry. Le Canada se classe au 5e rang des exportateurs de produits agroalimentaires dans le monde, derrière l'Union européenne, les États‑Unis, le Brésil et la Chine. En 2022, le Canada a exporté des produits agricoles et alimentaires d'une valeur de près de 92,8 milliards de dollars.
Je veux bien que nous accompagnions les agriculteurs dans les pays en développement de telle sorte qu'ils puissent accroître leur production alimentaire, mais, compte tenu de la guerre en Ukraine et des changements climatiques, n'est-il pas urgent de venir en aide directement à un certain nombre de pays en développement, d'ici à ce qu'ils soient en mesure d'accroître leur production alimentaire et agricole?
Le cas échéant, le Canada est-il en mesure de venir en aide à ces pays? Je pense que ma question s'adresse à M. Hagerman.
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Merci, monsieur Hagerman.
Madame Conlon, en 2023, le gouvernement a annoncé la promulgation d'un décret concernant le retrait de la Russie du tarif de la nation la plus favorisée en vertu du tarif des douanes. Il a aussi déclaré qu'il appliquerait dorénavant un taux tarifaire de 35 % à pratiquement toutes les importations russes.
Certains groupes agricoles de l'Ontario, du Québec et du Canada atlantique qui dépendent de l'importation d'engrais russes se sont opposés à ce tarif douanier et ont fait remarquer que le Canada est le seul pays du G7 à imposer un tarif douanier sur l'engrais russe, si bien que cette mesure a eu un effet contre-productif, puisque les produits agricoles canadiens étaient moins concurrentiels sur les marchés internationaux que les produits agricoles russes.
Dans les circonstances, dans le budget de 2023, le gouvernement du Canada a promis d'allouer 34,1 millions de dollars sur trois ans à partir de l'exercice 2023‑2024 pour aider les agriculteurs.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie les témoins d'être parmi nous.
Je remercie plus particulièrement M. Hagerman. Je suis heureuse de vous revoir. Je suis vraiment impressionnée, comme toujours, par le travail accompli par la Banque canadienne de grains et par sa façon de collaborer avec le Programme alimentaire mondial et d'autres entités. À vrai dire, j'ai acheté la toile derrière moi en Éthiopie lorsque je suis allé voir un projet de la Banque canadienne de grains il y a de nombreuses années.
La question que je veux vous poser donne suite à celles de mon collègue, M. Bergeron. Nous savons qu'une analyse du Programme alimentaire mondial réalisée en septembre dernier a montré que chaque compression de 1 % dans l'aide alimentaire pousse environ 400 000 personnes supplémentaires vers la famine.
Comme vous le savez, nous avons une politique d'aide internationale féministe. Les femmes sont les personnes les plus touchées par les pénuries alimentaires, par l'insécurité alimentaire.
Pouvez-vous parler un peu de l'incidence de la compression du budget d'aide du Canada sur la sécurité alimentaire mondiale? Nous savons que nous devrions nous situer à 0,7 %. Nous n'avons jamais atteint cette cible au Canada, mais la compression de l'ordre de 15 % dans le dernier budget est très difficile.
Vous pourriez peut-être en parler, monsieur Hagerman.
Vous avez raison de dire que ces compressions ont sans aucun doute des répercussions. Je vais vous donner un exemple très concret.
Mon organisation, la Banque canadienne de grains, obtient un soutien du gouvernement du Canada pour faire un travail humanitaire, et nous en sommes reconnaissants.
Nous avons récemment fait une proposition à Affaires mondiales Canada. Nous avons demandé au ministère plus d'argent pour faire un travail de développement en même temps que ce travail humanitaire. L'idée était essentiellement de compléter ce qui est fait à l'autre extrémité de l'équation, c'est‑à‑dire en matière de développement. Les gens à qui nous avons parlé à Affaires mondiales Canada ont dit: « C'est une excellente idée. Nous serions ravis de soutenir le projet, mais nous sommes désolés; nous n'avons pas d'argent. »
C'est ce que nous disent un certain nombre d'autres organisations comme la nôtre. Elles s'adressent au gouvernement en disant: « Nous avons d'excellentes solutions, d'excellentes propositions, des partenaires de confiance et un bon bilan, et nous savons ce que nous faisons. » On leur répond toutefois sans cesse que l'idée est bonne, mais qu'il n'y a pas d'argent. C'est l'incidence des compressions.
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Je vais passer à ma prochaine question.
Certaines personnes laissent entendre que les sanctions contre des personnes ou des entités russes ciblent des exportations agricoles et alimentaires essentielles — autrement dit, ces sanctions ont des répercussions sur des exportations alimentaires et agricoles essentielles vers des pays en développement, des pays à faible revenu.
Êtes-vous d'accord? Dans l'affirmative, dans quelle mesure les sanctions ont-elles réduit les exportations alimentaires et agricoles russes, ou les exportations alimentaires et agricoles canadiennes, vers des pays en développement?
Merci, monsieur le président.
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Merci, monsieur le président.
Merci aux témoins de s'être joints à nous.
[Français]
Je remercie aussi M. Bergeron de m'avoir appris un nouveau mot, c'est-à-dire « autofilibuster ».
[Traduction]
J'aimerais poser une question à M. Hagerman.
Vous avez formulé des observations vraiment perspicaces au début, quand vous avez commencé par dire que la sécurité alimentaire est une question de sécurité mondiale.
Nous savons que les responsables du Programme alimentaire mondial ont affirmé que 345 millions de personnes sont en situation aiguë d'insécurité alimentaire en 2023. C'est deux fois plus qu'avant.
Pouvez-vous en dire plus sur la façon dont la sécurité alimentaire — lorsque les gens ont de la nourriture et qu'ils n'en sont pas privés pour une raison ou une autre — favorise la sécurité mondiale?
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Je pense qu'il est évident que lorsque les gens ont faim, ils se fâchent et déclenchent une émeute dans la rue. Nous l'avons vu en 2009 et en 2010.
De plus, nous devons souvent composer avec ce que nous appelons la « faim insoupçonnée ». C'est une situation, habituellement chez les enfants, où les personnes consomment assez de calories et ont le ventre plein, mais où elles manquent de nutriments. Ces enfants ont vraiment de la difficulté à l'école. Ils n'obtiendront pas une éducation complète et ne pourront pas réaliser tout leur potentiel sur le marché du travail à l'âge adulte.
Imaginez qu'une proportion de 60 % de la population d'un pays souffre de faim insoupçonnée et ne peut pas réaliser ses pleines capacités. Cela limite vraiment ce que le pays peut accomplir, que ce soit en affaires, en relations internationales ou peu importe. C'est un exemple.
Je vais également donner l'exemple de la République démocratique du Congo. J'ai vu aujourd'hui un rapport selon lequel environ sept millions de personnes ont été déplacées dans le pays à cause d'un conflit, et c'est en grande partie attribuable au manque de nourriture, au manque de terres et aux conflits liés aux ressources. Des gens sont tués et d'autres doivent abandonner leurs terres, et ces conflits se font également sentir au‑delà des frontières.
Ce sont quelques exemples de ce qui se produit lorsque les gens n'ont tout simplement pas accès à assez de nourriture.
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Merci, monsieur le président.
Madame Conlon, j'ai été un peu surpris de votre réponse selon laquelle les 34,1 millions de dollars annoncés par le gouvernement fédéral dans son budget de 2023, dont le versement devait débuter en 2023‑2024, étaient destinés à des améliorations sur le plan environnemental. En parlant de l'objectif, on disait précisément ceci: « Pour aider les agriculteurs comptant le plus sur les importations d’engrais russes [...] ».
De deux choses l'une: soit qu'on a promis des choses, mais sans avoir l'intention de respecter cet engagement, soit que les fonds étaient effectivement destinés à autre chose.
Monsieur Dionne, je ne veux pas vous laisser en reste. J'ai bien entendu la description de ce que vous avez réalisé en Ukraine. J'imagine que ce sont des coopératives qui ont accompli ce travail. J'aimerais donc savoir si, par le fait même, vous avez créé des coopératives en Ukraine pour mener à bien les projets que vous mettiez en avant.
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Je vous remercie de la question, monsieur Bergeron.
Créer des coopératives, c'est notre rôle; c'est ce que nous faisons dans la vie. Nous croyons que c'est le modèle le plus apte à favoriser la sécurité alimentaire et la résilience. Nous parlions tout à l'heure de l'incidence des changements climatiques. Or, avec l'assistance technique dont nous pouvons disposer, c'est assurément le modèle que nous préconisons.
Nous créons donc des coopératives, nous les appuyons et les professionnalisons. Nous avons l'avantage de pouvoir recourir au Réseau COOP du Québec. Je parle ici notamment d'Agropur, de Sollio et de Beneva, qui nous appuient, nous font part de leurs modèles et qui s'adaptent au contexte local, bien entendu.
Comme je l'ai dit plus tôt, le Canada s'est engagé à fournir un certain montant d'aide alimentaire mondiale en 2011, je pense, ou en 2012. Il y a eu un traité international sur l'aide alimentaire. C'est autour de 2012 que le montant a été renégocié pour la dernière fois. Le Canada s'est engagé à fournir un certain montant. Nous n'avons pas bonifié notre engagement depuis.
Les deux autres principaux donateurs sont les États-Unis et l'Union européenne. Entretemps, ils ont tous les deux considérablement augmenter l'aide qu'ils apportent, mais pas le Canada. Comme je l'ai dit, le montant réel offert par le Canada fluctue d'une année à l'autre. Il a tendance à être très généreux, mais rien n'empêche un futur gouvernement de revenir au minimum. Cela nous préoccupe. Nous aimerions que l'engagement du Canada soit lié au prix des aliments, ou il faudrait peut-être une augmentation ponctuelle pour accroître l'aide offerte en fonction de ce que d'autres pays ont fait.