Bienvenue à la 79e réunion du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international de la Chambre des communes.
Conformément au Règlement, la réunion d'aujourd'hui se déroule sous forme hybride et les membres participent donc en personne dans la salle ou virtuellement en utilisant l'application Zoom.
Je ferai quelques observations à l'intention des témoins et des membres du Comité.
Veuillez attendre que je vous nomme pour prendre la parole. Vous pouvez vous exprimer dans la langue officielle de votre choix. Des services d'interprétation sont proposés. Bien que cette salle soit équipée d'un système audio performant, des effets Larsen sont possibles. Ils peuvent être très dangereux pour les interprètes et causer de graves lésions. Je rappelle aux membres que la cause la plus courante de l'effet Larsen est une oreillette placée trop près d'un microphone.
En ce qui concerne la liste des intervenants, la greffière du Comité et moi-même ferons de notre mieux pour suivre un ordre d'intervention combiné de tous les membres, qu'ils participent virtuellement ou en personne. Conformément à la motion ordinaire du Comité relative aux tests de connexion des témoins, j'informe les membres du Comité que tous les témoins qui comparaissent virtuellement ont effectué les tests de connexion avant notre réunion.
Conformément à l'article 108(2) et aux motions adoptées par le Comité le mercredi 21 septembre 2022 et le mercredi 18 janvier 2023, le Comité reprend son étude de la sécurité aux frontières entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie.
Je vais maintenant accueillir les témoins.
Nous sommes très privilégiés et heureux d'avoir parmi nous, du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement, par vidéoconférence, Son Excellence Andrew Turner, premier ambassadeur du Canada en Arménie.
De plus, nous recevons, dans la salle, Robert Sinclair, haut représentant pour l'Arctique et directeur général, Affaires de l'Arctique, de l'Eurasie et de l'Europe.
Soyez le bienvenu, monsieur l'ambassadeur. C'est un grand honneur de vous compter parmi nous aujourd'hui.
Vous disposez de cinq minutes pour vos observations préliminaires.
Vous avez la parole. Ensuite, les membres vous poseront des questions.
Je vous remercie.
:
Je vous remercie, monsieur le président.
C'est un immense honneur de vous parler en tant que premier ambassadeur résident du Canada en République d'Arménie. Je remercie le Comité de me permettre de comparaître devant lui virtuellement, étant donné que je ne suis arrivé que récemment à Erevan et qu'il y a tellement de travail à faire sur le terrain à un moment aussi important.
Ayant débuté ma carrière dans la fonction publique comme page parlementaire, je félicite le Parlement de la possibilité que ce programme offre aux jeunes Canadiens.
Affaires mondiales Canada suit de près la situation dans le Haut-Karabakh et demeure très préoccupé par la détérioration rapide de la situation humanitaire causée par les événements de l'année écoulée, y compris le blocus qui dure depuis 10 mois, l'opération militaire menée par l'Azerbaïdjan le 19 septembre et le déplacement massif et forcé de la population du Haut-Karabakh.
[Français]
C'est le 19 septembre 2023 que l'Azerbaïdjan a lancé une opération militaire contre les militaires séparatistes dans la région du Haut‑Karabakh. Le 20 septembre, les autorités de facto du Haut‑Karabakh ont annoncé qu'elles acceptaient une proposition de cessez-le-feu présentée par les forces de maintien de la paix russes et basée sur les objectifs maximalistes de l'Azerbaïdjan.
[Traduction]
L'opération militaire a entraîné l'exode de masse en Arménie des Arméniens qui vivaient au Haut-Karabakh et avaient peur d'y rester, après 30 années de conflit et le blocus des 10 derniers mois. D'après la dernière mise à jour du HCR sur la situation d'urgence, 100 632 personnes sont arrivées en Arménie, autrement dit, presque toute la population arménienne du Haut-Karabakh, qui était estimée à 120 000 personnes. Nous rendons hommage au gouvernement arménien pour son efficacité face à cet afflux de réfugiés, dont plus de 80 % sont maintenant placés temporairement dans des communautés d'accueil dans tout le pays.
[Français]
Les agences des Nations unies ont lancé un appel pour une somme de 97 millions de dollars afin d'aider 231 000 personnes, y compris les réfugiés et les communautés d'accueil qui les soutiennent. Les premières interventions se sont concentrées sur les besoins les plus immédiats des réfugiés, notamment en matière d'hébergement, mais l'accent est désormais mis sur les besoins à long terme.
[Traduction]
En appui à ces efforts, le Canada s'est associé à la communauté internationale pour répondre à l'appel à l'aide du gouvernement arménien. Le Canada a annoncé une aide humanitaire combinée de 3,9 millions de dollars en soutien aux réfugiés du Haut-Karabakh qui sera apportée par le CICR, le HCR et d'autres organisations.
Le 26 octobre, le premier ministre Pachinian a déclaré espérer qu'un accord de paix négocié et l'établissement de relations avec l'Azerbaïdjan pourraient se concrétiser dans les prochains mois. Aujourd'hui, il a de nouveau déclaré, devant l'Assemblée nationale, que la paix et la normalisation des relations avec l'Azerbaïdjan, ainsi que la normalisation des relations avec la Turquie sont les objectifs vers lesquels il tend.
Le Canada soutient ces objectifs. Le Canada a toujours appelé à une cessation permanente des hostilités et demandé à toutes les parties d'engager un dialogue véritable afin de parvenir à un traité de paix négocié global. Le Canada promeut les principes de non-recours à la force, d'intégrité territoriale des deux pays et d'autodétermination. Un accord de paix doit également garantir le droit de la population déplacée de rentrer au Haut-Karabakh et garantir le respect de ses biens et de ses droits.
[Français]
Afin de contribuer à parvenir à un accord de paix, diverses initiatives de médiation ont été prises ces dernières années. Cependant, après la deuxième guerre du Karabakh, en 2020, les efforts du Groupe de Minsk de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe ont pris fin.
Depuis lors, plusieurs processus non officiels ont été lancés pour soutenir les discussions de paix entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, notamment ceux menés par la Russie, l'Union européenne et les États‑Unis. Plus récemment, le 5 octobre, une réunion s'est tenue à Grenade entre l'Arménie, le Conseil européen, la France et l'Allemagne. Le 23 octobre, les ministres des Affaires étrangères de l'Iran, de la Russie, de l'Arménie, de l'Azerbaïdjan et de la Turquie se sont réunis à Téhéran, dans le cadre du format 3+3, pour discuter des développements dans le Caucase du Sud.
[Traduction]
Avec l'ouverture officielle de l'ambassade du Canada à Erevan par la le 25 octobre, le Canada est maintenant mieux placé pour dialoguer avec le gouvernement arménien et les communautés arméniennes, et pour contribuer utilement aux efforts internationaux déployés pour promouvoir la démocratie, la paix et la stabilité dans la région.
Pendant sa visite, la a également réitéré le soutien du Canada à l'Arménie face à cette crise. Elle a annoncé une aide humanitaire supplémentaire, rendu visite à la mission d'observation de l'Union européenne, rencontré le gouvernement arménien, notamment le premier ministre Pachinian, rencontré la société civile, et rencontré directement des personnes qui ont dû fuir le Haut-Karabakh afin d'entendre leur histoire.
La ministre était accompagnée de membres des partis d'opposition, autre gage du large soutien à l'Arménie en ces temps difficiles. Tous nos interlocuteurs arméniens et nos partenaires d'optique commune se réjouissent du soutien continu du Canada et de sa décision d'ouvrir une ambassade à Erevan.
Il sera important pour l'ambassade de continuer de suivre l'évolution de la situation concernant le Haut-Karabakh, les relations entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan et la situation régionale plus générale.
Mon équipe et moi-même restons à la disposition du Comité, et je ferai de mon mieux pour répondre à vos questions.
Je vous remercie, monsieur le président.
:
Je vous remercie, monsieur le président.
Je vous remercie, monsieur l'ambassadeur.
Je ne saurai dire combien votre présence parmi nous depuis Erevan est importante. Il y a une dizaine d'années ou plus, je me suis rendu en Arménie et, à mon retour, j'ai rédigé un rapport demandant au gouvernement conservateur d'ouvrir une ambassade à Erevan. Il a aussi fallu du temps à l'actuel gouvernement pour en ouvrir une. Je suis heureux que cette ambassade ait enfin vu le jour. Je suis heureux de vous y voir, personnellement.
Je mentionnerai également à Erika, notre ancienne greffière, qu'il faudrait que vous rencontriez les pages à un moment donné. Je suis certain que nombre d'entre eux adoreraient savoir qu'ils pourraient aussi devenir ambassadeurs un jour. C'est très important.
J'ai quelques questions à vous poser.
La première concerne la situation humanitaire en Arménie. Cent mille personnes arrivent dans le pays. Vous dites que le pays passe de problèmes d'hébergement immédiat à des problèmes d'hébergement à plus long terme.
Selon vous, quel rôle le Canada pourrait‑il jouer dans ce domaine?
:
Merci, monsieur le président.
Je commencerais par faire écho aux propos de mon collègue M. Oliphant, qui a parlé non seulement de l'importance d'avoir une représentation et de vous avoir présent à Erevan, Votre Excellence, mais également de l'importance de l'ouverture d'une ambassade canadienne à Erevan. Selon moi, cette ouverture a beaucoup trop tardé, mais l'ambassade est enfin ouverte et j'en suis très heureux. Je félicite le gouvernement d'être finalement allé de l'avant et d'avoir ouvert cette ambassade.
Votre Excellence, je suis très heureux de vous retrouver. Nous avons passé un peu de temps ensemble, mais ce n'est que ce matin que j'ai appris que vous aviez été page à la Chambre des communes. Je n'ose pas demander si vous l'étiez à l'époque de mon premier passage comme député fédéral.
Monsieur Sinclair, merci infiniment d'être des nôtres également.
En décembre 2022, en contravention des dispositions de l'accord de cessez-le-feu conclu après la guerre de 2020, l'Azerbaïdjan a permis, voire organisé, le blocage du corridor de Latchine, ce qui a provoqué une famine dans la population du Haut‑Karabakh. L'objectif inavoué de ce blocage était de vider le Haut‑Karabakh de sa population.
Pensant probablement que les choses n'allaient pas assez rapidement, l'Azerbaïdjan a décidé d'intervenir, le 19 septembre dernier, en envahissant le Haut‑Karabakh, ce qui a provoqué un exode massif de la population: plus de 100 000 habitants du Haut‑Karabakh sont partis vers l'Arménie. Cela a mené l'ambassadeur et représentant permanent du Canada auprès des Nations unies, M. Bob Rae, à décrire la situation comme étant « un échec total de la diplomatie mondiale face au nettoyage ethnique ».
J'imagine que la communauté internationale ne peut pas demeurer insensible et inactive face à une opération de nettoyage ethnique reconnue comme telle par notre représentant permanent aux Nations unies.
Lors d'une conférence de presse, la , en compagnie de son homologue arménien, a expliqué que toutes les options étaient sur la table concernant l'Azerbaïdjan.
Quelles sont ces options, Votre Excellence? Cela inclut-il d'éventuelles sanctions?
:
Je vous remercie, Votre Excellence, d'avoir rappelé les raisons pour lesquelles nous avons imposé des sanctions contre la Russie à la suite de l'invasion de l'Ukraine.
Cela dit, vous n'êtes pas sans savoir qu'en 2020, et de nouveau plus récemment, au cours des derniers mois, l'Azerbaïdjan a envahi des parcelles du territoire souverain de l'Arménie. D'ailleurs, il occupe toujours ce territoire. L'Azerbaïdjan ne s'est donc pas contenté d'agresser le territoire autonome du Haut‑Karabakh, qui est situé sur son territoire, mais a également envahi des parcelles du territoire de l'Arménie. Je pense que cela requiert une action de la part de la communauté internationale, surtout devant ce que l'ambassadeur Bob Rae a reconnu comme étant un nettoyage ethnique. Nous nous devons d'agir.
Votre Excellence, vous avez beaucoup d'espoir, bien sûr, qu'on en arrivera à un accord de paix entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, et entre l'Arménie et la Turquie. J'aimerais partager votre espoir et votre optimisme. Dans l'intervalle, devant l'éventualité d'un accord de paix, comment s'assure-t-on que des familles azerbaïdjanaises ne s'installeront pas dans des maisons d'Arméniens dans le Haut‑Karabakh? Autrement, on se retrouvera dans une situation gelée ou coulée dans le béton et qui ne permettra pas le retour éventuel des familles dans le Haut‑Karabakh.
C'était ma première question.
Deuxièmement, quelle garantie a-t-on, de la part de l'Azerbaïdjan, que les biens culturels datant de plusieurs siècles présents dans le Haut‑Karabakh seront protégés?
:
Je vous remercie, monsieur le président.
Je vous remercie, Votre Excellence, d'être des nôtres aujourd'hui. Il est très important pour nous d'avoir votre témoignage, et il est encourageant de savoir que vous vous trouvez sur place, sur le terrain, et que l'ambassade est ouverte.
Mon collègue M. Bergeron vous a posé une question sur les sanctions, et j'ai une question très similaire à vous poser.
Le 22 septembre, j'ai écrit à la , ministre des Affaires étrangères, pour demander que des sanctions ciblées soient prises immédiatement contre les Azerbaïdjanais et les entités azerbaïdjanaises qui sont responsables de violations du droit international et d'atteintes aux droits de la personne. Je n'ai pas obtenu de réponse.
Je suis curieuse. Vous dites que des sanctions sont sur la table. Vous avez dit à mon collègue que le gouvernement envisage des sanctions. Sachant ce qui s'est passé il y a un peu plus d'un mois, quand le Canada les considérera‑t‑il sérieusement comme faisant partie des mesures qu'il peut prendre?
:
Les dispositions exactes devront manifestement être négociées entre les deux États.
Cependant, les questions généralement qui sont examinées concernent quelques-uns des principes clés exposés depuis des décennies, dans certains cas, mais en tout cas rappelés dans de récentes déclarations, y compris à Grenade. Il s'agit de la reconnaissance mutuelle, par les deux parties, de la souveraineté et de l'intégrité territoriale, de l'autodétermination et du non-recours à la force.
Il faudra, évidemment, dans ce processus s'entendre sur un processus pour délimiter la frontière entre les deux pays et pour régler les différends territoriaux découlant du tracé même de la frontière.
Il faudra également trouver un mécanisme pour régler les demandes d'indemnisation pour les pertes subies par les victimes, très probablement depuis les conflits des années 1990 jusqu'à ces dernières semaines.
:
Merci, monsieur le président.
Votre Excellence, je pense que vous avez utilisé le terme « prétexte » pour justifier le fait que l'Azerbaïdjan a décidé de se retirer d'une rencontre devant mener à la conclusion d'un traité de paix. Je pense que cela doit nous amener à nous interroger sur la réelle volonté de l'Azerbaïdjan d'en arriver à une paix durable dans la région.
Par ailleurs, je trouve un peu particulier qu'on pointe ainsi du doigt la France, qui a été le seul soutien réel de l'Arménie durant ces derniers mois, soulevant la question au Conseil de sécurité des Nations unies, établissant une mission diplomatique dans ce qui serait le couloir entre l'Azerbaïdjan et le Nakhitchevan, puis offrant à l'Arménie des armes, de manière à rétablir un certain équilibre et à dissuader toute intervention ultérieure de la part de l'Azerbaïdjan, qui pourrait être encouragé par ses derniers succès militaires. Ces derniers, je me permets de le rappeler, ont été rendus possibles grâce à la technologie canadienne utilisée dans les drones Bayraktar que la Turquie a fournis à l'Azerbaïdjan sans même en informer le Canada.
Je ferme la parenthèse à cet égard et je reviens sur la position politique du gouvernement présentement en place en Arménie.
Votre Excellence, vous n'êtes pas sans savoir que le gouvernement du premier ministre Nikol Pachinian fait l'objet d'énormes pressions. En réponse à mon collègue M. Aboultaif, vous parliez de désinformation. Je pense qu'il y a énormément d'opérations de désinformation visant à déstabiliser le gouvernement du premier ministre Pachinian.
Qu'en dites-vous?
:
Bienvenue à toutes et à tous. Nous reprenons notre réunion sur l'étude de la sécurité aux frontières entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie.
Je souhaite la bienvenue aux quatre témoins, dont deux se trouvent avec nous dans la salle et deux sont des nôtres virtuellement.
Nous recevons le professeur Jean‑François Ratelle, de l'Université d'Ottawa. Nous recevons également le professeur Jeff Sahadeo, de l'Université Carleton. Nous recevons le professeur Christopher Waters, de la faculté de droit de l'Université de Windsor. Enfin, Mme Olesya Vartanyan se joint à nous aujourd'hui en qualité d'analyste principale, spécialiste du Caucase du Sud.
Chacun de vous disposera de cinq minutes pour présenter ses observations préliminaires. Toutefois, comme nous entendons quatre témoins, le temps sera compté.
Cela dit, nous donnerons la parole en premier au professeur Ratelle, qui dispose de cinq minutes.
:
En septembre 2023, l'Azerbaïdjan a lancé une nouvelle offensive militaire visant à reprendre la région séparatiste du Haut-Karabakh. Tout en contrevenant à l'accord de cessez-le-feu conclu en 2020, cette opération avait pour but de reprendre la région en profitant du fait que la Russie demeurait embourbée en Ukraine et peu intéressée à remplir son mandat de garant de la paix. Après une rapide victoire militaire de l'Azerbaïdjan sur les séparatistes arméniens, 120 000 Arméniens de souche ont fui la région, craignant pour leur vie.
Par son envergure et sa rapidité, ce possible nettoyage ethnique évoque ce qu'a connu l'ex‑Yougoslavie dans les années 1990. Au lieu d'être motivée par des exterminations massives, la situation est l'aboutissement de longues années de méfiance et de crainte entre les deux communautés ethniques et le gouvernement azerbaïdjanais. Certains cas possibles de crimes de guerre, notamment des exécutions extrajudiciaires et la destruction de sites patrimoniaux et de biens civils, ont été recensés durant l'opération militaire de 2023. Le nettoyage ethnique est essentiellement le résultat de l'horrible choix que les Arméniens de souche ont dû faire dans le chaos de l'opération militaire azerbaïdjanaise: survivre en Arménie ou quitter leur territoire ancestral.
Même si le gouvernement azerbaïdjanais a garanti que les Arméniens pouvaient retourner en toute sécurité au Haut-Karabakh à titre de citoyens azéris, le retour au statu quo ante semble presque impossible.
Tout d'abord, en tant que minorité ethnique, les Arméniens craignent les possibles violences et la haine ethnique des forces de sécurité et des citoyens locaux de l'Azerbaïdjan nouvellement réinstallés. Les années de tensions ethniques qui ont eu cours dans la région ont radicalement transformé les relations entre Azerbaïdjanais et Arméniens.
Deuxièmement, l'Azerbaïdjan est loin d'être une démocratie libérale fonctionnelle, avec son approche très répressive envers les forces d'opposition et la presse en général. La règle de droit qui pourrait théoriquement étayer la protection des Arméniens demeure institutionnellement faible, voire inexistante.
En outre, depuis quelques années et même plus longtemps, le gouvernement Aliyev est peu enclin à protéger les Arméniens. Avant l'opération militaire de 2023 visant à reprendre le Haut-Karabakh, le gouvernement azerbaïdjanais a imposé un blocus du corridor de Latchine, unique route menant à l'enclave arménienne après le cessez-le-feu de 2020. Ce blocus de facto a affamé la population arménienne et l'a privée pendant plusieurs mois du droit de survivre au Karabakh.
L'absence de réaction et d'intervention de la communauté internationale après la guerre de 2020 et l'opération militaire de 2023 a enhardi le gouvernement azéri. Au lieu d'une quête de paix, on craint que le conflit militaire s'étende à l'Arménie, vraisemblablement dans la province de Syunik dans le sud du pays. L'occupation militaire du corridor de Zangezur créerait un pont terrestre reliant le Haut-Karabakh nouvellement contrôlé et le Nakhitchevan.
Quand on discute des processus de paix dans la région, on discute du risque d'escalade qui mènerait à une guerre de conquête et une guerre d'agression du côté de l'Azerbaïdjan, et possiblement à une alliance entre Ankara et Bakou.
Je souhaite formuler au gouvernement canadien quelques recommandations sur la conduite à adopter.
Le gouvernement du Canada devrait appuyer la ratification par l'Arménie de son statut, ce qui aiderait à protéger les minorités arméniennes et à faire enquête sur ce qui s'est passé dans le Haut-Karabakh.
Le rôle de la Cour pénale internationale, ou CPI, consisterait à sanctionner les actions criminelles commises au Nagorny-Karabakh, comme on l'a fait ces dernières années pour le Bangladesh et le Myanmar. Même si l'Arménie et l'Azerbaïdjan ne font pas partie de la CPI et n'ont pas ratifié le statut de la CPI, la situation des réfugiés en Arménie pourrait tomber sous la juridiction de la CPI si l'Arménie ratifiait son statut durant l'année à venir. Ce geste pourrait mener à un renvoi à la CPI du dossier du nettoyage ethnique mené dans le Haut-Karabakh, advenant que l'Azerbaïdjan ne veuille pas ou ne puisse pas entamer des poursuites pour les crimes commis.
Nous avons déjà discuté de la possible imposition de sanctions à l'Azerbaïdjan si le pays viole l'intégrité territoriale de l'Arménie dans le sud ou entrave le retour de la population arménienne.
Enfin, il nous semble essentiel que le Canada veille à la protection des lieux historiques, des symboles nationaux et des sites religieux, y compris les monastères et les villages, qui sont actuellement détruits en Azerbaïdjan par des acteurs locaux et par les forces azerbaïdjanaises.
Merci de votre attention.
:
Merci de votre invitation. Je qualifierai d'extrêmement fluide et imprévisible la situation dans le Caucase du Sud, et la suite des choses dépendra en bonne partie de ce que feront les plus importantes puissances dans la région — à savoir la Russie et l'Iran, mais surtout la Turquie — et de la manière dont elles estiment que leurs intérêts sont servis par les relations entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan.
Je pense que les pays occidentaux n'ont pas d'intérêt soutenu à favoriser une solution durable pour la région, et s'ils ont actuellement le moindre intérêt dans le Caucase du Sud, c'est principalement envers les réserves de gaz azerbaïdjanais. L'Azerbaïdjan fournit environ 3,5 % du gaz de l'Union européenne — une proportion qui, sans être énorme, est certainement conséquente — , et beaucoup plus à certains pays d'Europe de l'Est, et aucune sanction n'a été réclamée. L'Union européenne n'a mené aucune action soutenue pour soutenir l'Arménie, à l'exception de la France, mais toute fourniture d'armement français prendra des années avant d'arriver en Arménie.
L'ouverture de l'ambassade du Canada à Erevan est bien accueillie, car de nombreux Arméniens entretiennent des sentiments positifs à l'égard de l'Occident. Cette situation peut nous permettre de jouer un rôle humanitaire sur le terrain. Cependant, nous devrions maintenant nous concentrer à court terme sur quelque chose qui offre maintenant une occasion favorable à l'Arménie, soit commencer à construire une démocratie durable, à bâtir un État qui compte des ONG actives, qui soutient la règle de droit, qui possède une branche judiciaire indépendante et qui respecte les droits des LGBTQ et les droits de la femme. Je pense que l'ambassade peut jouer de tels rôles.
Je reconnais avec monsieur l'ambassadeur que le gouvernement arménien a le très grand mérite d'avoir accueilli quelque 100 000 réfugiés. Pour un pays de trois millions d'habitants, ce n'est pas un chiffre négligeable, mais il faut par ailleurs souligner que de nombreux villages arméniens sont aujourd'hui dépeuplés. Beaucoup de jeunes ont quitté pour la Russie ou l'Occident et la guerre a fait de nombreux morts, surtout en 2020; l'Arménie a besoin de notre soutien économique et de notre aide pour mettre en place un État durable, nonobstant ce qui se passe au Karabakh et dans le sud.
Comme l'a signalé M. Ratelle, il reste à savoir ce que l'Azerbaïdjan fera du soutien de la Turquie. Des appels ont été lancés au sein de l'Azerbaïdjan. De plus, de nombreux nationalistes azerbaïdjanais parlent maintenant de l'Arménie comme de l'Azerbaïdjan occidental, et le corridor de Zangezur dont M. Ratelle a parlé continue de soulever un grand intérêt, puisqu'il constituerait un lien terrestre entre la Turquie et l'Azerbaïdjan, un lien entre la mer Noire et la mer Caspienne, qui raffermirait la position stratégique de la Turquie dans le commerce régional et, éventuellement, l'amènerait à jouer un rôle d'intermédiaire dans l'initiative Route et Ceinture menée avec la Chine. On voit donc que la Turquie a dans la région des intérêts substantiels qui surpassent vraiment les intérêts de la plupart des autres puissances régionales.
L'Arménie, malheureusement mais de manière compréhensible, s'est placée sous le bouclier protecteur de la Russie, et en raison de l'étiolement des intérêts de la Russie dans la région — un étiolement qui ne manquera certainement pas de se poursuivre, vu la situation actuelle en Ukraine —, on ne peut pas compter sur la Russie pour jouer un rôle actif dans la région. Sous un certain angle, cela pourrait manifestement être une bonne chose, mais la Russie a renoncé aux engagements que lui confère l'Organisation du traité de sécurité collective.
Je crois que le premier ministre Pashinyan restera au pouvoir. Certains indices laissent penser qu'une quelconque force pro-russe pourrait organiser une sorte de gouvernement de substitution. La plupart des gouvernements arméniens ne pensaient pas pouvoir survivre à la perte du Haut-Karabakh, mais les options de rechange actuelles, tant pour l'opposition arménienne que pour l'Arménie sur le plan géopolitique, sont très limitées.
Le premier ministre Pashinyan a proposé un plan de paix basé sur l'intégrité territoriale et sur l'ouverture de canaux de communication, et il a bon espoir que le plan de paix satisfera l'Azerbaïdjan et la Turquie s'il autorise ces deux pays à établir des voies de communication et de transport dans le corridor sud, mais comme nous l'avons entendu, l'Azerbaïdjan s'est retiré des pourparlers de paix internationaux. À mes yeux, il est assez clair que l'Azerbaïdjan a des visées sur le corridor de Zangezur et éventuellement sur le sud de l'Arménie, avec l'aide de la Turquie.
Par conséquent, je pense que notre principal objectif géopolitique devrait être de collaborer avec la Turquie afin qu'elle devienne un partenaire pour la paix au lieu de soutenir l'invasion de l'Arménie du Sud par l'Azerbaïdjan. De même, nous devrions travailler avec le gouvernement arménien pour soutenir une évolution démocratique en vue d'intégrer ces réfugiés.
Je vous remercie.
Merci monsieur le président.
Il convient de féliciter le Canada d'avoir ouvert son ambassade en Arménie, et je souhaite tout le succès possible à l'ambassadeur Turner.
Le Canada est intervenu de plusieurs autres façons pour soutenir ce que l'envoyé spécial Dion a qualifié à juste titre de « démocratie fragile », notamment par sa participation à la mission de surveillance de l'Union européenne, par la récente visite de la la semaine dernière et par la fourniture d'une aide humanitaire aux réfugiés, comme discuté.
Je tiens également à remercier ce comité pour l'attention soutenue qu'il porte au conflit. Pendant que les yeux du monde sont tournés vers la désastreuse situation humanitaire au Moyen-Orient, il importe de ne pas détourner les yeux de ce conflit et des autres conflits où le Canada peut apporter son éclairage et son leadership.
La a déclaré à quelques reprises au moins qu'au sujet du conflit, toutes les options sont sur la table. Le message que je tiens à vous livrer, monsieur le président, ainsi qu'à vos collègues, c'est que le moment est venu d'imposer des sanctions ciblées à l'Azerbaïdjan, et ce pour trois raisons.
Tout d'abord, parce que le nettoyage ethnique des Arméniens du Haut-Karabakh par le blocus ne doit pas rester sans réponse. Nous avons été témoins l'automne dernier de scènes déchirantes, où les Arméniens fuyant le Haut-Karabakh devaient laisser derrière eux maisons, fermes, villes, églises séculaires et autres symboles de leur patrimoine culturel.
Les sanctions ne constitueraient pas simplement un outil punitif ou un moyen d'exprimer notre consternation; elles lanceraient un avertissement indiquant que le Canada s'attend de l'Azerbaïdjan qu'il protège le patrimoine culturel, qu'il assure la sécurité des quelques Arméniens de souche restants, qu'il préserve la possibilité d'un droit au retour des individus qui ont fui, qu'il garantisse un traitement équitable aux dirigeants civils détenus par le régime sous prétexte qu'ils sont des terroristes, et qu'il prenne au sérieux les pourparlers de paix.
La deuxième raison pour laquelle j'estime qu'il y a lieu d'imposer des sanctions ciblées, et de les imposer maintenant, est que l'Azerbaïdjan a violé et continue de violer les frontières internationalement reconnues de l'Arménie. Il est difficile de savoir avec précision l'étendue du territoire arménien sous contrôle azéri. Selon une estimation de l'armée arménienne, on parlerait de 19 000 acres. Je n'en sais rien, je ne suis pas sur le terrain. Il est probable que la mission d'observation de l'UE dispose de cette information, mais il est clair que l'Azerbaïdjan occupe certaines parties du territoire souverain de l'Arménie, y compris des hauteurs stratégiques situées dans le sud et l'est. Il est également clair que l'intégrité de la frontière est régulièrement mise à l'épreuve par la force.
De plus, le président autoritaire de l'Azerbaïdjan, Ilham Aliyev, n'a pas caché ses ambitions territoriales. Il a qualifié l'Arménie d'Azerbaïdjan occidental et a appelé à la création d'un « corridor du Zangezur » traversant le territoire arménien souverain. Il a déclaré en janvier dernier que ce corridor était une « nécessité historique », et qu'il serait créé que l'Arménie le veuille ou non.
Troisièmement, malgré les initiatives de paix, on ne peut tout simplement pas avoir confiance que le régime Aliyev agisse correctement, comme en témoignent sa violation de l'accord trilatéral de cessez-le-feu de 2020 et sa violation de l'ordonnance provisoire du 22 février 2023 de la Cour internationale de justice, qui demandait à l'Azerbaïdjan d'autoriser le libre passage dans le corridor de Latchine.
Ces violations d'engagements internationaux ont comme toile de fond un régime autoritaire. Pour citer Human Rights Watch, « le gouvernement azerbaïdjanais continue de traiter hostilement les voix dissidentes ». Les violations s'inscrivent également dans un contexte d'arménophobie. Comme le décrit l'Institut Lemkin pour la prévention des génocides, l'arménophobie génocidaire représente en Azerbaïdjan une idéologie d'État qui est pérennisée par le système éducatif et l'instruction militaire. Le président Aliyev et ses hauts fonctionnaires ont qualifié les Arméniens de « rats », de « chiens », de « bêtes sauvages » et de « chacals », des qualificatifs qui ont pris la forme de représentations physiques grotesques d'Arméniens, notamment au Parc central de Bakou.
En conclusion, le temps des sanctions est venu. L'imposition de sanctions ciblées pourrait signaler de manière tangible les préoccupations du Canada et contribuer à pousser l'Azerbaïdjan vers la conclusion d'un accord de paix que nous souhaitons tous. L'Azerbaïdjan a prouvé que l'inaction ne ferait que l'enhardir davantage, au lieu de chercher la paix.
Enfin, compte tenu de ce qui est arrivé durant la guerre du Karabakh de 2020, le Canada a une attitude extrêmement vigilante. Des capteurs de fabrication canadienne, dont vous connaissez bien les excellentes capacités de détection, ont été installés sur des drones azerbaïdjanais transférés par la Turquie à son État client, avec de grandes conséquences.
Merci, monsieur le président.
:
Bonjour, monsieur le président, messieurs les vice-présidents Bergeron et Chong, distingués membres du Comité.
C'est pour moi un très grand honneur de prendre la parole de nouveau devant le Comité. Lorsque nous nous sommes rencontrés en janvier, nous avons discuté surtout du blocus dans le Haut-Karabakh. Je vous avais alors parlé des préoccupations de mon organisme, l'International Crisis Group, concernant l'aggravation des tensions et l'instabilité générale dans la région. Je suis désolée d'avoir à dire que notre analyse s'est révélée juste à maints égards. En septembre, l'Azerbaïdjan a lancé une opération militaire d'une journée qui a provoqué l'exode de la quasi-totalité des Arméniens de souche du Haut-Karabakh et mis fin abruptement à 30 ans d'autonomie gouvernementale de facto dans l'enclave.
Je me trouve actuellement en Arménie, où je rencontre souvent des gens qui ont été déplacés de l'enclave. Ils sont nombreux à s'être enfuis du Haut-Karabakh à la hâte et à avoir laissé leurs effets personnels derrière. Le gouvernement arménien a distribué de l'argent et il a fait de son mieux pour leur trouver un toit. Cependant, à l'approche de l'hiver, il reste beaucoup à faire pour leur trouver à tous un logement convenable. Le Canada figure parmi les premiers États étrangers à avoir annoncé qu'il verserait une aide financière à l'Arménie, mais elle continuera d'avoir besoin de soutien au cours des prochains mois.
Aucune des personnes déplacées que j'ai rencontrées un peu partout en Arménie n'envisage un retour au Haut-Karabakh prochainement. Leur foyer leur manque énormément, et les épreuves quotidiennes ne font rien pour soulager ce manque. Cependant, l'offensive militaire de l'Azerbaïdjan après trois décennies de conflits leur enlève toute confiance envers le régime de Bakou. Ces gens ont très peur de rentrer chez eux, et ils ne sont pas prêts à accorder leur confiance aux gardiens de la paix russes, qui selon ce que d'aucuns m'ont décrit n'ont rien tenté pour répondre aux tensions, aux attaques répétées, au blocus et à la guerre récente.
Comment inciter les Arméniens du Haut-Karabakh à envisager un retour? La question reste ouverte. Des États étrangers ont proposé une mission multinationale de surveillance sur le terrain, ce qui pourrait être une possibilité. Toutefois, malgré les pressions considérables des pays occidentaux, rien n'indique que l'Azerbaïdjan est disposé à considérer cette proposition.
On pourrait commencer par des mesures pour renforcer la confiance. Par exemple, l'Azerbaïdjan pourrait permettre aux gens de se rendre à leur domicile et de se recueillir sur les sépultures des membres de leur famille. C'est quelque chose qui pourrait se faire dès maintenant, éventuellement avec le soutien du Comité international de la Croix-Rouge et des organismes des Nations unies présents dans la région. Les personnes qui sont parties du Haut-Karabakh les mains vides pourraient aussi être autorisées à récupérer des effets personnels, des documents et leurs économies.
Cependant, la reprise des pourparlers de paix entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan demeure la grande priorité. La chute du Haut-Karabakh n'a pas réglé tous les problèmes entre ces pays limitrophes du Caucase du Sud. L'Arménie et l'Azerbaïdjan n'ont jamais noué de liens diplomatiques, ils n'ont pas d'échanges commerciaux et leurs citoyens ne peuvent pas circuler librement entre les deux pays. Leurs frontières communes sont tapissées de postes militaires sur des kilomètres et, depuis trois ans, elles sont le théâtre d'affrontements qui ont fait plus de victimes que les combats sur le territoire du Haut-Karabakh.
Les pourparlers qui ont eu lieu au cours de la dernière année ont porté sur de nombreux sujets névralgiques, et notamment sur les délimitations de la frontière et l'aspiration de Bakou à mettre en place un corridor routier vers son exclave à la frontière de la Turquie qui passerait par le sud de l'Arménie. Ces deux foyers de tension ont été trop longtemps négligés.
Les États-Unis et l'Union européenne sont à l'avant-poste pour relancer les pourparlers. Il y a plus d'un an, les pays occidentaux ont pris les commandes dans les efforts de médiation diplomatique parce que la Russie était embourbée dans sa guerre contre l'Ukraine et ne pouvait plus mobiliser les ressources politiques et militaires nécessaires pour jouer le rôle de médiateur étranger principal. Le processus a été très complexe, mais c'était la première fois depuis plus de 20 ans que des rencontres plus fréquentes avaient lieu entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan et que les pourparlers sur les questions de fond faisaient de réels progrès.
En conclusion, je tiens à féliciter le Canada d'avoir été le premier pays non européen à dépêcher des représentants dans le cadre de la mission de l'Union européenne en Arménie. Cette mission joue un rôle crucial de surveillance dans les régions proches des lignes de front le long des frontières nationales entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan. Le Canada fera dorénavant partie des pays qui sont régulièrement informés de la situation sur le terrain. Il est à espérer qu'il va en profiter pour appuyer les efforts déployés pour obtenir la coopération de l'Azerbaïdjan avec la mission. Cette coopération est essentielle pour stabiliser la situation sur le terrain, mais aussi pour promouvoir la coopération à propos des ressources communes qui font fi des frontières.
Par ailleurs, la coopération de l'Azerbaïdjan avec la mission traduirait sa volonté d'éviter les tensions avec l'Arménie.
Je serai heureuse de discuter avec vous de ces idées durant la période des questions.
Merci encore de m'avoir invitée à participer à votre réunion.
:
Madame Vartanyan, nous avons des problèmes avec l'interprétation. Pouvez-vous nous donner quelques secondes, s'il vous plaît?
Madame Vartanyan, les interprètes nous signalent qu'ils vous entendent très mal. Je crois qu'il y a des problèmes de connexion du côté de l'Arménie, d'où vous nous joignez. Vous pouvez rester avec nous, mais j'ai bien peur que les députés ne puissent pas vous poser leurs questions.
Cela dit, comme une question vous a déjà été posée, pourriez-vous nous transmettre votre réponse par écrit? Nous nous ferons un devoir d'en prendre connaissance.
Je vous remercie. Je suis sincèrement désolé de ces difficultés techniques.
Monsieur Hoback, il vous reste quatre minutes.
:
Merci, monsieur le président.
Tout d'abord, c'est important de souligner que la France a pris des mesures énergiques. Elle n'a pas imposé de sanctions, mais elle ne s'est pas limitée à la vente d'armes. La France a notamment dépêché un attaché militaire à son ambassade d'Erevan et elle a renforcé de manière importante la coopération en matière de défense.
Concernant l'Union européenne, j'ai mentionné que le Parlement s'est prononcé en très forte majorité en faveur de l'imposition de sanctions. Il n'y a pas eu d'échos à l'échelon de la branche exécutive, même si elle a condamné les actes posés. Dans une déclaration commune, le président du Conseil européen, le président français et le chancelier allemand ont exprimé leur soutien indéfectible à l'égard de la souveraineté indépendante et de l'intégrité territoriale de l'Arménie. Cette condamnation ne s'est pas encore traduite en sanctions, en bonne partie parce que l'Union européenne considère l'Azerbaïdjan comme une source fiable de gaz.
Ce n'est pas le cas du Canada, qui n'a pas besoin du gaz de l'Azerbaïdjan. C'est pour cette raison qu'à mon avis, il pourrait agir comme leader et rallier les appuis d'autres parlementaires dans le monde, y compris celui d'au moins une centaine de membres du Congrès qui ont réclamé des sanctions.
:
Merci, monsieur le président.
Je crois que Mme Vartanyan a la main levée. Je ne sais pas comment vous allez gérer cela, monsieur le président.
Ma question s'adresse à MM. Waters et Sahadeo, mais j'invite Mme Vartanyan à y répondre par écrit et M. Ratelle à ajouter des commentaires.
Il faut comprendre à quel point l'Arménie est isolée présentement. D'un côté, elle a été abandonnée par son allié russe et, de l'autre, elle a fait face à l'indifférence de la communauté internationale, plus particulièrement des pays occidentaux, et ce, pour une foule de raisons. Nous avons observé passivement la fermeture du corridor de Latchine et le fait qu'on affamait littéralement sa population. Nous avons assisté passivement à des incursions azerbaïdjanaises sur le territoire arménien. Nous avons assisté passivement à l'invasion du Haut‑Karabakh et à la fuite de plus de 100 000 personnes. Comme on l'a dit, c'est notamment en raison de l'importance stratégique que représente l'Azerbaïdjan, compte tenu des difficultés d'approvisionnement en pétrole de l'Union européenne. On invoque même le fait qu’il y a un accord de sécurité avec la Russie pour expliquer qu'on ne veuille pas aller plus loin pour soutenir l'Arménie. L'Arménie est donc dans la pire de toutes les situations, puisqu'elle ne peut compter sur l'appui de quiconque, sinon de la France.
Une telle attitude de la part de la communauté internationale, et plus particulièrement de la part des pays occidentaux, est-elle conforme au message lancé par les présidents Biden et Zelensky lors de la dernière Assemblée générale des Nations unies, c'est-à-dire que, si on laisse ce genre de truc arriver, il y en aura d'autres?
[Traduction]
C'est un fait que l'Arménie se retrouve dans une situation difficile sur le plan géopolitique. Sa situation a été difficile tout au long de son histoire, en tout cas pour ce qui est des XIXe et XXe siècles. Cela n'a rien de nouveau.
Les interventions du Canada ont été importantes à maints égards, mais je pense qu'il doit pousser un cran plus loin et continuer d'exercer un leadership moral, comme je l'ai dit, pour mobiliser ses alliés aux vues similaires. Je répète une fois de plus que les alliés aux vues similaires d'un comité de parlementaires sont les membres du Parlement européen et ceux du Congrès qui exhortent nos autorités à faire ce qui s'impose et à prendre des mesures énergiques.
Je constate une certaine incohérence. De toute évidence, la situation géopolitique est importante, mais je pense qu'il est impérieux d'agir rapidement si nous voulons rétablir une paix réelle et durable. Je pense notamment à l'initiative Carrefour de la paix, qui vise à débloquer des couloirs de transport dans la région. Nous pourrions à tout le moins appuyer ce genre d'initiatives. C'est le minimum, et nos alliés devraient faire de même. N'empêche, tant qu'il n'y aura pas de volonté manifeste d'intervenir concrètement contre les incursions territoriales ou les violations du droit international, un accord de paix ne vaudra même pas le papier sur lequel il est rédigé.
Merci.
:
Je suis d'accord avec M. Waters, et je suis d'accord avec ce que vous avez avancé dans votre question. S'il n'y a pas d'intervention ferme, l'Azerbaïdjan risque de se faire à l'idée que les régions au sud de l'Arménie sont à portée de main. Je ne crois pas qu'Azerbaïdjan ferait cavalier seul. C'est pourquoi j'ai parlé de la Turquie dans mon exposé. L'armée de l'Azerbaïdjan est plus puissante que celle de l'Arménie, mais ce n'est pas vraiment une puissance militaire.
Je ne crois pas que c'est vraiment dans les plans, mais c'est maintenant que des mesures internationales fermes sont nécessaires. Par exemple, l'Union européenne pourrait renforcer sa présence sur le terrain si les pays occidentaux le souhaitent vraiment. Ce n'est pas le cas actuellement. Pour l'instant, toute leur attention est centrée sur la situation au Moyen-Orient.
Le Canada pourrait peut-être jouer un rôle de leader, mais je ne pense pas qu'il réussira à rallier d'autres pays à l'idée d'une intervention militaire assez musclée pour renverser la situation sur le terrain. La coopération avec ces pays, et surtout avec la Turquie, un allié de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord, l'OTAN, serait probablement le meilleur moyen pour y parvenir, pour établir le plan dont M. Waters vient de parler, ce carrefour de la paix. Ce plan vise à débloquer des corridors régionaux et éventuellement à mettre en place un corridor qui permettra à la Turquie et à l'Azerbaïdjan de revendiquer une forme quelconque de contrôle sur une petite partie de ce territoire. Bien entendu, cela ne permettrait pas [inaudible].
:
Merci beaucoup, monsieur le président.
Madame Vartanyan, c'est vraiment dommage que vous ne puissiez pas intervenir. C'est très décevant. Comme vous faites partie des témoins que nous voulions vraiment entendre, pour des raisons évidentes, je vais quand même vous poser quelques questions. Je sais que vous ne pouvez pas y répondre de vive voix, mais si vous aviez l'obligeance de faire part de vos perspectives par écrit au Comité afin que nous puissions en tenir compte dans notre rapport, ce serait fort utile.
Tout d'abord, j'aimerais vous demander comment des organismes internationaux, comme le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et le Comité international de la Croix-Rouge, viennent en aide aux personnes qui ont pris la fuite. J'aimerais aussi en savoir davantage sur les conditions humanitaires actuelles sur le territoire. Si vous pouvez nous répondre par écrit, ce serait formidable.
Pour ce qui est des autres témoins que nous accueillons aujourd'hui, ce que M. Ratelle a dit au sujet de la CPI a piqué mon intérêt. Je voudrais comprendre ce qu'il en est au juste et je vais donc adresser ma question à tous les témoins.
Je vais commencer avec vous, monsieur Ratelle, puis je vais demander leur réponse aux autres témoins. Pouvez-vous nous donner un aperçu des recours et des possibilités offerts sur le plan juridique, et de ce que le Canada devrait préconiser et appuyer pour que les Arméniens de souche obtiennent justice? Il a été question de la CPI mais, outre ce mécanisme, pouvons-nous envisager d'autres recours que nous pourrions préconiser, séparément ou conjointement, pour que justice soit faite?
Monsieur Ratelle, si vous le voulez bien, je vous demanderais de répondre en premier.
:
Oui, merci de cette question.
Je pense qu'actuellement, la CPI offre probablement le meilleur mécanisme juridique. Certes, l'Arménie n'a pas encore ratifié le Statut de Rome mais, quand elle le fera, les conditions de vie des réfugiés en Arménie pourraient être assimilées, sous certains aspects, à un autre crime contre l'humanité lié à un potentiel nettoyage ethnique.
C'est une stratégie que la CPI a suivie pour le nettoyage ethnique et, potentiellement, le génocide au Myanmar. Le Myanmar n'a pas ratifié le Statut de Rome, mais le Bangladesh l'a ratifié, de sorte que les conditions de vie des réfugiés dans ce pays, qu'ils soient rohingyas ou membres d'autres groupes déplacés, peuvent être assimilées à un crime contre l'humanité perpétré par le gouvernement du Myanmar.
Cette stratégie permettrait au Canada de renvoyer la cause devant la CPI une fois que le Statut de Rome sera ratifié, et nous pourrions ajouter ce crime à celui de guerre d'agression… Ce renvoi serait toutefois difficile parce qu'Azerbaïdjan n'a pas ratifié le Statut de Rome. À tout le moins, des mesures liées à la Cour internationale de Justice pourraient être prises, et un tribunal spécial pourrait être constitué par le Conseil de sécurité ou une autre instance juridique de l'Europe ou du Canada, ou sous l'égide de l'Assemblée générale des Nations unies.
:
Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins pour leurs précieux éclairages.
En écoutant les témoignages, je ne peux pas m'empêcher de me demander ce qu'il faudra mettre en place pour instaurer une paix durable. La communauté internationale plaide pour qu'il y ait des négociations sur un processus de paix, mais il faut replacer les événements de septembre dans le contexte des 30 dernières années, au moins. Il faut remonter à la chute de l'Union soviétique et, comme un témoin l'a mentionné, prendre en compte les conflits ethniques qui durent depuis deux siècles.
Il semble évident que le contrôle territorial change de mains en fonction de la puissance relative des deux parties, l'Azerbaïdjan et l'Arménie, et notamment de leurs alliés et de leurs adversaires respectifs à l'échelle internationale.
Je vais adresser mes premières questions à M. Waters.
Vous avez affirmé que le moment est venu pour le Canada d'imposer des sanctions pour donner l'exemple à nos partenaires aux vues similaires. Quel forum serait le plus adéquat pour réunir ces partenaires aux vues similaires afin qu'ils réfléchissent à un plan de paix durable? Bien entendu, la communauté internationale ne peut pas imposer la paix. Les deux parties impliquées doivent être présentes. Toutefois, sans un front commun de la communauté internationale, la paix semble un objectif difficilement atteignable. Quel est le forum adéquat pour favoriser des pourparlers qui incluraient la Russie, l'Iran et la Turquie en plus de l'Union européenne et des États-Unis?
:
L'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l'OSCE, par l'intermédiaire du Groupe de Minsk, a joué un rôle important à un certain moment. Ce n'est malheureusement plus le cas.
Le Canada pourrait s'associer à ses alliés aux vues similaires pour prendre des mesures visant le Caucase du Sud. Le Canada pourrait notamment prendre part à la mission de surveillance de l'Union européenne, que je salue. Par ailleurs, le Canada entretient des relations officielles et très solides avec le Conseil de l'Europe et l'Union européenne et, bien évidemment, notre plus important allié se trouve au sud de la frontière. En fait, depuis Windsor, il est un peu au nord, mais vous voyez ce que je veux dire.
Des forums internationaux… La Turquie étant un pays allié de l'OTAN, il est devenu plus difficile d'avoir un dialogue avec l'Iran. Or, l'Iran joue un rôle clé dans la région qui devra un jour être reconnu comme un acteur incontournable. Ce n'est pas facile, et ce n'est pas évident de savoir quel forum international pourrait aller dans ce sens.
Monsieur le président, si vous me le permettez, je me suis trompé…
:
De toute évidence, l'intérêt de la Russie a faibli. Quand Nikol Pashinyan est arrivé au pouvoir en 2019 et qu'il a évoqué une posture pro-occidentale, la Russie s'est rebiffée. C'est peut-être une des explications de sa non-intervention au Haut-Karabakh en 2020 et en 2022. Il ne faut pas oublier le conflit avec l'Ukraine, bien entendu.
La Russie est restée impliquée. Elle a condamné la décision de l'Arménie de ratifier le statut de la CPI. L'Arménie se retrouve coincée. L'Iran est probablement l'allié géopolitique le plus proche dans la région.
La Russie pourrait être dangereuse. Actuellement, son attention est tournée vers la Géorgie, mais nous devons nous méfier de ce désintérêt apparent. Les Russes sont encore présents, prêts à intervenir, mais leur attention a été détournée. C'est pourquoi les gestes de la Turquie… Nous pensons que la Turquie n'aurait pas agi de cette façon et appuyé l'Azerbaïdjan si la Russie s'y était opposée de manière plus ferme à titre d'alliée de l'Arménie et de membre de l'Union économique eurasienne et de l'Organisation du traité de sécurité collective.
Pour revenir à la question précédente à propos du corridor de Zanguezour, la Turquie pourrait joindre la mer Noire et la mer Caspienne afin de circuler sur le corridor euroasiatique. Elle ne va certainement pas laisser échapper cette possibilité. C'est un enjeu névralgique et nous devons trouver une issue pacifique.
C'est ce que le président Pashinyan tente de faire actuellement. C'est l'élément central de son plan de paix: mettre en place ces corridors de transport en laissant le contrôle souverain à ces pays, étant entendu qu'ils sont accessibles. Est‑il possible de convaincre les Turcs d'accepter cette proposition? Est‑il possible de convaincre les Azerbaïdjanais d'aller dans ce sens? À mon avis, c'est cette question qui doit être réglée actuellement.
Pour la gouverne de l'ensemble des députés, je vous informe que nous allons reprendre notre étude sur les aliments et les combustibles ce mercredi.
Le lundi suivant, durant la première heure, nous allons enfin rencontrer l'ambassadrice du Canada en Ukraine. La deuxième heure sera de nouveau réservée à l'étude sur les aliments et les combustibles.
Les deux heures de la réunion du mercredi seront consacrées à l'étude sur l'alimentation et les combustibles. Comme vous vous en souviendrez, lors de notre première réunion dans le cadre de cette étude, nous avons pu entendre seulement deux témoins. Ensemble, vous avez proposé 49 témoins à convoquer, si je ne m'abuse, et nous voulons nous assurer d'en recevoir le plus grand nombre possible.