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Je déclare la séance ouverte.
Bienvenue à la réunion no 129 du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international de la Chambre des communes.
La réunion d'aujourd'hui se tient en mode hybride.
Je vous rappelle, chers collègues, que vous devez attendre que je vous nomme avant de prendre la parole.
Aujourd'hui, nous examinons le projet de loi , Loi sur la responsabilité des auteurs de prises d'otage étrangers. Conformément à l'ordre de renvoi du mercredi 5 juin 2024, le Comité entame l'étude du projet de loi C‑353.
J'aimerais souhaiter la bienvenue à Mme Lantsman au Comité.
Je vous suis très reconnaissant de prendre le temps de vous joindre à nous aujourd'hui. Vous disposez de cinq minutes pour votre déclaration liminaire. Nous passerons ensuite aux questions des députés.
Madame Lantsman, la parole est à vous.
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Merci, monsieur le président. J'ai comme une sensation de déjà‑vu. Je suis ravie de me trouver parmi vous.
Je remercie mes collègues de m'avoir invitée à témoigner. C'est assez inusité d'être assise de ce côté‑ci de la table et de ne pas pouvoir utiliser mon microphone.
Je suis ici aujourd'hui pour vous parler du projet de loi , Loi sur la responsabilité des auteurs de prises d'otage étrangers. Dans ce monde incertain, ce texte sera sûrement un outil précieux pour le Canada.
Depuis que le projet de loi a été déposé, je peux affirmer sans risquer de me tromper que le monde est devenu beaucoup plus dangereux et instable. Plus que jamais, des pays comme la Chine, l'Iran et la Russie tentent de perturber l'ordre mondial et l'équilibre actuel des pouvoirs. Les perturbations prennent la forme d'invasions agressives comme celle de la Russie en Ukraine et celle du Hamas en Israël. Ces situations explosives sont sur le point de se transformer en guerres régionales et mondiales. Les valeurs prisées par le Canada de paix, de liberté et de démocratie sont de plus en plus menacées.
Tout au long de l'histoire des conflits internationaux, la prise d'otage a toujours été employée comme tactique. Elle est en fait de plus en plus utilisée, comme je l'ai mentionné pendant les délibérations sur le projet de loi en Chambre. La prise d'otage a joué un rôle de premier plan lors de l'attaque du Hamas contre Israël. Même des citoyens canadiens ont été touchés. Ces événements survenus après le dépôt du projet de loi sont des raisons de plus de croire que le Canada aurait dû adopter cette mesure depuis longtemps. En cette période de grandes turbulences, il faut tout faire pour protéger les Canadiens qui voyagent à l'étranger contre les États, les groupes et les individus hostiles. Nos lois actuelles comportent des failles. Nous pouvons en faire plus, d'où ma présence ici aujourd'hui.
Lorsque des vies et des moyens de subsistance sont en jeu, on ne saurait surestimer à quel point les lois exhaustives, modernes et à jour peuvent empêcher les prises d'otage et en limiter les dégâts. Le projet de loi renferme des modifications essentielles qui permettront d'actualiser et de corriger, ou au moins de compléter les lois existantes. Les modifications auront un effet dissuasif sur les auteurs de prises d'otage. Elles renforceront notre capacité à atténuer et à résoudre les situations de prise d'otage et de détention arbitraire dans les relations entre États. Elles accroîtront enfin nos pouvoirs concernant l'imposition de sanctions, le soutien aux familles et la coopération internationale.
Le projet de loi permettra aussi de fournir une aide grandement nécessaire aux familles des otages, qui subissent un énorme stress pendant que leurs proches sont en captivité à l'étranger. Ce serait en somme une pièce essentielle de notre arsenal que nous pourrons utiliser pour continuer à protéger les droits des Canadiens à l'étranger et pour soutenir les personnes touchées par la prise d'otage.
Voici à présent ce que le projet de loi ne ferait pas. Contrairement à ce que certains pensent, cette mesure n'encouragerait pas les enlèvements et n'entraînerait pas le paiement de rançons à des groupes hostiles. Il ne confère aucun pouvoir indu à des ministres fédéraux et ne renferme aucune disposition redondante avec les lois actuelles. En somme, le projet de loi a pour objet de combler l'écart entre ce que dit le Canada et ce que peut faire le Canada. Je l'ai déposé dans l'intention d'aider à protéger les droits et la dignité des Canadiens en danger à n'importe quel endroit et à n'importe quel moment.
Depuis que j'ai déposé le projet de loi, je reçois des questions de la part de collègues de tous les partis. Je me plais à penser que cette attitude dénote un intérêt et une attitude constructive. Je suis prête à répondre à ces questions et à toutes les autres que pourrait susciter mon témoignage aujourd'hui.
J'ai reçu le soutien d'un nombre réellement impressionnant de collaborateurs — ces choses ne se bâtissent pas toutes seules —, mais vu les contraintes de temps, je ne vais en nommer que quelques-uns. Je tiens à témoigner ma gratitude à Secure Canada, Iranian Justice Collective, Muslims Facing Tomorrow, Hong Kong Watch, Human Rights Action Group et au Projet de défense des droits des Ouïghours. Chers collègues, j'espère que vous déciderez vous aussi d'appuyer le projet de loi.
Merci, monsieur le président.
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Merci, monsieur le président.
Bonjour, madame Lantsman.
Je voudrais avant tout féliciter l'équipe consulaire canadienne pour le travail qu'elle accomplit chaque jour au pays et ailleurs dans le monde. Les consulats aident au quotidien des centaines de Canadiens aux prises avec des situations difficiles. Je veux aussi mentionner d'emblée que les politiques des services consulaires pourraient être renforcées et améliorées. Je ne doute pas que la tentative pour y parvenir dont nous débattons aujourd'hui est faite en toute bonne foi.
Il y a toujours un dosage à respecter entre les obligations et la souplesse octroyée aux fonctionnaires qui doivent répondre à des situations précises sur le terrain. La question que je me pose au sujet de ce projet de loi est de savoir s'il réussit à trouver ce juste équilibre.
Vous incluez dans votre proposition les personnes protégées admissibles, qui ne sont pas des ressortissants canadiens. Vous ne mentionnez pas les résidents permanents, mais plutôt les « personnes protégées admissibles ». Pourriez-vous m'expliquer comment le Canada sélectionnerait les « personnes protégées admissibles » auxquelles la loi s'appliquerait?
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Merci, monsieur le président.
Madame Lantsman, je vous remercie infiniment de susciter un débat sur cette importante question grâce à votre projet de loi.
Je suis d'accord avec M. Alghabra. Je pense que le personnel consulaire du Canada fait un travail formidable, partout au monde, pour tenter de protéger les Canadiens et les Canadiennes, mais le fait est qu'il y a eu un certain nombre d'exemples, par le passé, de prises d'otages qui auraient fort bien pu mal tourner parce qu'on n'a pas vraiment su comment composer avec la situation. Votre projet de loi présente l'avantage de proposer des avenues pour composer avec des situations de prise d'otages.
Dans votre projet de loi, je vois plusieurs éléments intéressants, mais j'y vois aussi un certain nombre d'éléments qui me préoccupent. Pour reprendre le dicton français « qui trop embrasse mal étreint ». On veut ratisser tellement large que, ou bien on oublie des choses, par exemple en ce qui a trait aux détentions arbitraires, ou bien on risque de ne pas être aussi efficace qu'on le souhaiterait, notamment sur la question des rançons.
Vous avez affirmé, lors de la deuxième lecture, le 1er décembre 2023, que ce projet de loi ne viendrait pas changer la politique de longue date du Canada qui consiste à refuser de payer des rançons. Pourtant, le projet de loi donnerait au ministre des Affaires étrangères le pouvoir d'offrir une récompense pécuniaire à quiconque collabore avec le gouvernement du Canada pour qu'il puisse obtenir la libération des ressortissants canadiens et des personnes protégées admissibles pris en otage ou détenus arbitrairement dans les relations d'État à État à l'extérieur du Canada. Bref, cet élément pourrait laisser entendre qu'on envisagerait la possibilité de payer des rançons et, conséquemment, de mettre un prix, pour ainsi dire, sur la tête des Canadiens et d'encourager la prise d'otages pour recevoir un avantage pécuniaire.
Ne voyez-vous pas là un danger potentiel?
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Je vous remercie de la question.
Écoutez, dans les pays occidentaux, le recours par les organismes d'application de la loi aux incitatifs financiers n'a rien de nouveau. C'est une mesure que les organismes d'application de la loi municipaux, provinciaux et fédéraux utilisent couramment pour aider à résoudre et à prévenir les crimes. C'est ce qui sous-tend Échec au crime. Nous utilisons déjà cette mesure au Canada.
Aux États‑Unis, le programme de récompenses pour la justice existe depuis 40 ans. Il concerne bien plus que les otages; ce projet de loi ne s'attaque qu'à l'un des éléments du programme de récompenses pour la justice, qui a été adopté en 1984. Les incitatifs qu'il propose ont permis de sauver d'innombrables vies. Je le répète, ce pouvoir discrétionnaire est destiné au ministre, s'il veut l'utiliser.
Je pense que l'on peut mettre en place certains éléments pour s'assurer qu'il est utilisé, pour savoir si des cas sont examinés, à quel niveau ils le sont et s'ils sont présentés à un comité comme celui‑ci, ou au Parlement, si jamais une récompense devait être versée.
Il existe de nombreux exemples à ce sujet aux États‑Unis et au sein de nos forces de l'ordre nationales.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je tiens d'abord à faire écho à certains des commentaires formulés par d'autres membres du Comité et à remercier notre personnel consulaire du travail qu'il effectue dans des circonstances très difficiles.
Madame Lantsman, je vous remercie d'avoir présenté ce projet de loi. Je suis d'accord pour dire que le Canada doit en faire plus pour lutter contre les prises d'otages et les cas de détention arbitraire. Nous savons que les familles de gens pris en otage exigent depuis des années une meilleure communication de la part du gouvernement. Elles réclament de meilleures ressources et plus de soutien. Je constate que ce projet de loi tente d'obliger la ministre à fournir des renseignements et une aide en temps opportun aux familles des ressortissants canadiens qui sont pris en otage ou détenus arbitrairement.
Depuis de nombreuses années, le NPD demande au Canada de faire mieux dans le domaine de la détention arbitraire. Bien que la détention arbitraire soit incluse dans ce projet de loi, je ne sais pas trop si le projet de loi s'appliquera à des cas particulièrement graves, dont l'extradition de Canadiens. Je pense notamment aux cas de Maher Arar et de Huseyin Celil, qui est toujours détenu en Chine après de nombreuses années, ou à celui de Canadiens détenus dans le Nord-Est de la Syrie que ce gouvernement a refusé de rapatrier pour qu'ils soient traduits en justice ici.
Selon vous, ce projet de loi s'applique‑t‑il à ces cas‑là? Pourriez-vous nous en dire plus?
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Merci, monsieur le président.
Madame Lantsman, je vous remercie de votre présence.
Je n'ai absolument aucun doute que ce projet de loi est bien intentionné, que vos préoccupations et votre bienveillance à l'égard des personnes qui sont prises en otage sont réelles, et que, en préparant ce projet de loi, vous avez fait preuve de compassion envers ces personnes et vous en êtes souciée.
Je ne vais pas répéter le discours que j'ai prononcé en deuxième lecture à la Chambre, mais je tiens à le porter à l'attention des autres membres du Comité. Dans ce discours, j'ai exposé mes préoccupations personnelles, ainsi que certaines des préoccupations du gouvernement, à l'égard de ce projet de loi.
Il ne suffit pas d'être bien intentionné. Il n'y a pas longtemps, vous avez vous-même déclaré en Chambre:
Ce n'est pas pour rien que le Canada a depuis longtemps pour politique de ne pas négocier avec les terroristes. Négocier avec les terroristes, c'est récompenser la barbarie et, pire encore, c'est encourager la poursuite, voire l'escalade, de cette barbarie.
Je suis d'accord avec cette affirmation. Or, j'ai bien peur que ce projet de loi, dans l'ensemble, comporte de graves lacunes. De fait, il encourage et favorise ce genre de conversation, et il récompense et encourage les comportements criminels. Qui plus est, il n'établit pas une distinction claire entre la prise d'otages — à ce sujet, nous essayons depuis longtemps d'aider les familles à faire face aux enlèvements, par exemple, et la GRC est très douée en la matière dans le monde entier — et le terrorisme parrainé par l'État, c'est‑à‑dire la détention arbitraire de Canadiens.
Il y a aussi le fait de récompenser les organisations criminelles et terroristes. Ce projet de loi — et nous avons reçu de nombreuses analyses juridiques — rend effectivement possible le financement d'organisations terroristes. Cette pratique est illégale au Canada et elle doit le rester.
Commençons par ma première préoccupation. Pouvez-vous nous expliquer quelle est, selon vous, la différence entre la détention arbitraire, qui relève des relations d'État à État, et la prise d'otages, et où elle se situe?
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Je vous remercie de cette réponse.
J'aimerais aussi faire la lumière sur votre compréhension de l'initiative canadienne contre la détention arbitraire et sur notre compréhension des affaires consulaires. En effet, j'ai travaillé à des centaines de dossiers semblables, et j'ai eu affaire à des familles. Comment protégez-vous la vie privée d'une personne dont la situation familiale n'est peut-être pas idéale?
Nos membres du corps consulaire excellent à évaluer la situation. L'objectif premier est d'assurer la sécurité de la personne. Il y a des moments où une famille peut améliorer la situation. D'autres fois, ce n'est pas le cas. Nous avons des familles qui pensent parfois qu'un programme de défense des droits sera utile, parce qu'elles sont très stressées. Je le comprends, parce que je dois composer avec ces gens au quotidien, mais ce n'est pas toujours dans l'intérêt primordial, selon le pays visé.
Nous avons une initiative contre la détention arbitraire. J'oublie le nombre exact, mais elle compte environ 70 signataires, en plus de l'Union européenne. Nous coopérons en fait avec des nations qui ont des conceptions différentes du pays ayant procédé à la détention arbitraire.
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Merci, monsieur le président.
Encore une fois, madame Lantsman, je tiens à vous remercier d'avoir suscité ce débat important sur la réponse du Canada au phénomène des prises d'otages. Je vous en félicite.
J'ose espérer que, quoi qu'il arrive à votre projet de loi, ce débat aura pu faire avancer les choses pour que nous nous montrions toujours plus efficaces dans le traitement de ce genre de situation extrêmement préoccupante.
L'article 5 de votre projet de loi stipule que le gouverneur en conseil serait autorisé à prendre des décrets et adopter des règlements qui interdiraient ou restreindraient certaines activités ou transactions avec un ressortissant étranger, un État étranger ou une entité étrangère si le gouverneur en conseil le juge responsable ou complice de la prise en otage ou de la détention arbitraire d'un ressortissant canadien ou d'une personne protégée admissible à l'extérieur du Canada, ou s'il juge qu'il a substantiellement appuyé une telle prise d'otage ou une telle détention arbitraire.
Ma question est fort simple. Qu'est-ce qui, dans le corpus législatif actuel, empêche le gouvernement de faire exactement ce que prévoit l'article 5 de votre projet de loi?
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Je vous remercie de la question.
Dans une vie antérieure, j'ai travaillé un certain temps au ministère des Affaires étrangères, mais pas directement à des dossiers consulaires, sauf s'ils étaient devenus problématiques pour le gouvernement. J'ai vu des agents consulaires travailler de façon extrêmement prudente et diligente sur certains de ces cas. J'ai vu des familles frapper à la porte du gouvernement, laissant entendre que les agents consulaires ne communiquaient pas avec elles. Ce n'est pas toujours le cas. Je pense que c'est une façon d'attirer l'attention du gouvernement dans certains cas.
J'ai passé du temps avec des familles d'otages à l'étranger qui ont vécu des expériences similaires. Dans certains cas, le gouvernement de l'époque de leur pays était attentif à leurs points de vue et, dans d'autres, les familles frappaient aussi aux portes.
Comme je n'y participe pas directement, il est difficile de savoir ce qu'il en est.
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Nous reprenons maintenant notre étude du projet de loi . Nous sommes très reconnaissants d'avoir devant nous de nombreux témoins qui peuvent répondre aux questions des députés.
J'aimerais souhaiter la bienvenue aux représentants de l'Agence des services frontaliers du Canada: M. Derek Janhevich, directeur de la Politique d'inadmissibilité, et M. Jeff Robertson, gestionnaire des Politiques sur l'interdiction de territoire.
Nous sommes heureux d'accueillir les représentants du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement: Mme Tara Denham, sous-ministre adjointe du Secteur de la gestion des urgences et des affaires juridiques et consulaires; Mme Kati Csaba, directrice générale de la Direction générale des affaires consulaires; et M. Vasken Khabayan, directeur exécutif par intérim, Politiques des sanctions et la sensibilisation, de la conformité et de l’application.
Nous sommes heureux d'accueillir le surintendant principal Denis Beaudoin, directeur général, Police fédérale et Sécurité nationale à la Gendarmerie royale du Canada.
Je crois comprendre, madame Denham, que vous ferez une déclaration préliminaire de cinq minutes au nom de tout le monde.
Je vous souhaite la bienvenue. La parole est à vous. Vous avez cinq minutes. Si vous me voyez brandir cette carte, cela signifie que vous devriez vraiment conclure en 15 à 20 secondes.
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Monsieur le président, je vous remercie de m'avoir invitée à venir discuter de ce sujet.
Permettez-moi de commencer par dire que la détention arbitraire à des fins diplomatiques et la prise d'otages par des acteurs non étatiques sont des violations inacceptables des droits de la personne.
Jusqu'à présent, dans mon rôle de haute fonctionnaire chargée des prises d'otages, j'ai rencontré de nombreuses victimes et leurs proches. Je sais que la souffrance qu'elles endurent à cause de ces pratiques est incommensurable et inhumaine. Les Canadiens et leurs familles qui se trouvent dans ces circonstances horribles doivent savoir que leur gouvernement fait tout en son pouvoir pour les rapatrier et pour assurer leur sécurité lorsqu'ils voyagent, travaillent, étudient ou vivent à l'étranger.
[Français]
Nous devons toujours mettre l'accent sur leur bien-être. Il est donc essentiel que nous disposions des bons outils pour les protéger et les défendre.
En analysant ce projet de loi, nous nous sommes posé deux questions principales.
Nous aidera‑t‑il à assurer le bien-être des victimes? Contribuera‑t‑il à assurer la libération rapide et en toute sécurité des victimes?
[Traduction]
Nous sommes tout à fait d'accord sur l'intention de ce projet de loi. Selon notre évaluation, le fait d'exiger des réponses dans un éventail de situations distinctes comportant des considérations uniques présente toutefois des risques importants, mais imprévus, pour les victimes et leurs familles. Notre évaluation est fondée sur une expérience opérationnelle importante dans la gestion des cas; sur notre compréhension des pratiques exemplaires, élaborée grâce à des échanges d'information réguliers avec des partenaires de confiance et éclairée par des consultations continues avec les survivants et leurs familles; et sur une comparaison avec ce qui a été mis en place au cours des dernières années, en fonction des leçons apprises.
[Français]
Il est important de comprendre que les types de cas dont nous discutons aujourd'hui sont parmi les plus complexes auxquels nous sommes confrontés et qu'ils ont souvent d'importantes implications en matière de droits de la personne, de protection des renseignements personnels, de droit international, de renseignement, de sécurité nationale et de sécurité publique.
[Traduction]
Il n'y a pas deux cas pareils. Il existe des distinctions importantes entre la détention arbitraire par des États, les prises d'otages par des terroristes et les enlèvements en vue d'une rançon par des groupes criminels. Chacun a des motivations et des points de pression différents. Les États sont habituellement plus sensibles aux coûts d'atteinte à la réputation, par exemple au moyen de déclarations, de résolutions, de démarches ou de sanctions coordonnées avec des régimes existants. À l'inverse, les acteurs non étatiques sont beaucoup moins susceptibles d'être influencés par les outils de pression internationale — par exemple, les sanctions — et peuvent être incités à adopter des comportements plus prédateurs lorsqu'on leur présente la possibilité de récompenses en argent ou d'attention médiatique.
[Français]
Nous disposons donc de différents cadres pour traiter ces divers types de prises d'otages.
Nous avons une approche très adaptée et nuancée pour répondre aux différents cas, et nous déployons les outils qui se sont avérés les plus efficaces et les moins susceptibles de nuire aux victimes.
[Traduction]
Nous adoptons toujours une approche centrée sur la victime, ce qui est absolument essentiel et constitue la pierre angulaire de notre travail.
Permettez-moi de vous donner quelques détails sur les considérations liées à ce projet de loi.
Tout d'abord, en ce qui concerne l'aide aux familles, je tiens à répéter qu'il est absolument essentiel de travailler en étroite collaboration avec elles pour gérer efficacement les situations. Nous avons des personnes-ressources spécialisées pour les familles. Nous échangeons autant de renseignements que possible tout en tenant compte de la Loi sur la protection des renseignements personnels et de l'intérêt supérieur de la victime.
[Français]
Les familles s'efforcent de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour que leurs proches puissent rentrer chez eux. Nous faisons de même. Les considérations qui entrent en jeu pour déterminer quand et comment partager les renseignements s'appuient sur notre expérience et sur les leçons tirées.
[Traduction]
L'échange obligatoire de renseignements, comme le propose ce projet de loi, pourrait en fait mettre les victimes en danger, en particulier lorsque les affaires sont en cours. Nous avons vu des situations où des renseignements de nature délicate ont fait l'objet de fuites, notamment par des familles qui ont publié des détails sur les médias sociaux. Les fuites d'information peuvent avoir de nombreuses répercussions, notamment en déclenchant des représailles contre la victime ou en mettant en péril les négociations ou les poursuites.
Le fait d'obliger la divulgation de renseignements personnels ou sensibles peut également porter atteinte au droit à la vie privée des victimes et mener à d'autres traumatismes.
Les dynamiques familiales sont aussi compliquées. Nous avons eu affaire à de nombreux clients consulaires qui sont brouillés avec des membres de leur famille. Ce ne sont donc pas toutes les victimes qui sont à l'aise avec le partage de tous leurs renseignements personnels.
[Français]
Il nous incombe de respecter le droit des victimes à partager leurs renseignements de la façon qui leur convient pour qu'elles se sentent en sécurité et au moment qu'elles choisiront.
[Traduction]
Pour ce qui est de faciliter la communication entre les familles et les ravisseurs, il faut aussi faire attention. Un contact direct pourrait permettre aux ravisseurs de victimiser davantage les membres de la famille. Cela pourrait compromettre des négociations délicates, mettre davantage en danger la victime et sa libération, et même avoir une incidence sur les poursuites futures.
[Français]
En ce qui concerne les offres de récompenses pécuniaires ou les incitatifs à l'émigration, de nombreux ministères ont signalé d'importantes implications sur les plans de la sécurité nationale et de la sécurité publique. Il existe un risque réel que ces programmes incitent à la prise de Canadiens en otage.
[Traduction]
Offrir des récompenses peut également entraîner un afflux de désinformation qui pourrait submerger les enquêtes, nuire aux négociations et soumettre les familles à des escroqueries ou à de faux espoirs. Malheureusement, les personnes les plus susceptibles d'avoir de l'information sur des cas sont souvent celles qui ont des liens avec les groupes terroristes ou criminels qui ont pris des personnes en otage. Nous ne voulons pas, par inadvertance, mettre des fonds publics entre les mains de ces acteurs malveillants. Nous voulons briser le cycle.
Les sanctions, y compris dans les lois existantes, peuvent être des outils puissants, selon les circonstances. Cependant, elles ne sont pas nécessairement utiles dans les cas de prise d'otages et de détention arbitraire. Au contraire, elles pourraient déclencher des représailles contre les victimes ou d'autres Canadiens détenus par les mêmes ravisseurs. L'application de sanctions contre des groupes criminels en particulier rendrait illégale toute transaction financière avec eux par des Canadiens, ce qui entraverait les efforts que les familles pourraient vouloir déployer pour ramener leurs proches à la maison.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Tout d'abord, je remercie les témoins d'être ici avec nous pour discuter de ce sujet très important. Je les remercie également de leur travail.
Je sais que ce n'est pas une situation facile. Je pense aux familles canadiennes qui sont prises dans des situations absolument catastrophiques, alors que des enfants et des membres de leur famille sont à l'étranger.
J'imagine comment je me sentirais si cela arrivait à un membre de ma famille, et j'imagine aussi la pression que j'exercerais sur nos fonctionnaires pour essayer de dénouer cette impasse et ramener les gens qui me sont si chers, ici, à la maison.
Je vous remercie de venir nous parler de la manière dont le Canada pourrait travailler encore plus fort.
Dans votre commentaire d'introduction, vous avez beaucoup parlé de collaboration avec les autres pays, et je pense que c'est un élément clé. La coopération internationale, en matière de terrorisme d'État, est un outil très puissant.
J'ai une question spécifique à vous poser au sujet du projet de loi.
Je me demande ce qui pourrait mener le Canada à une situation où l'argent des contribuables serait versé à des groupes terroristes. Nous en avons beaucoup parlé.
Quelles mesures de ce projet de loi vous préoccupent principalement et pourraient mener à une telle situation?
Est-ce que cela contreviendrait... Je sais que notre alliance avec le Groupe des cinq inclut des politiques qui interdisent aux États, comme le Canada, de verser des paiements à des groupes terroristes.
Pouvez-vous donner plus de précisions sur ce point?
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Je voudrais revenir à une question que vous a posée M. Chong au sujet du partage de renseignements et le soutien aux familles des otages ou des personnes détenues arbitrairement.
Pour l'avoir vécu, il y a de cela un certain nombre d'années, tout de même, je sais que les familles sont parfois tenues dans l'ignorance; parfois, elles ont l'impression que les négociations se font au-dessus de leur tête, sans qu'on les mette dans le coup. Je comprends que, parfois, il est absolument nécessaire qu'il en soit ainsi. Je ne vois aucun problème à cela, mais vous avez évoqué le fait que vous tentiez d'améliorer continuellement la façon de communiquer avec les familles.
En ce qui a trait à la situation que j'ai vécue, dans le cas, par exemple, de William Sampson, au début des années 2000, diriez-vous que nous avons réussi, depuis, à mettre en place une bonne pratique de communication avec les familles, afin de ne pas les laisser dans le brouillard pendant que la vie de leurs proches est en jeu?
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Je vous remercie de votre question.
[Traduction]
En ce qui concerne le partage de renseignements, à des fins d'éclaircissements, nous voulons toujours partager autant de renseignements que possible. Nous ne pouvons qu'imaginer le chagrin qu'éprouvent les familles concernées et nous savons qu'elles souhaitent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour ramener leurs proches à la maison.
Les considérations que nous avons mises en place ne sont pas seulement liées à la sécurité des renseignements et aux liens potentiels que j'ai mentionnés. Nous prenons également soin de déterminer ce qui doit être communiqué et à quel moment, sur le fondement de notre expérience collective des impacts potentiels. Même si je comprends parfaitement qu'une famille veuille savoir tout ce qui se passe, ce n'est pas toujours dans l'intérêt de la personne concernée.
J'ai également mentionné que nous devions respecter la vie privée. Toutes les familles ne sont malheureusement pas égales, et certaines personnes vivent des situations, par exemple des troubles de santé ou des choses qui leur arrivent pendant qu'elles sont dans cette horrible situation, qu'elles ne veulent pas nécessairement divulguer à leur famille. Nous devons les laisser… Nous partons toujours du principe que ces personnes reviendront à la maison. C'est notre point de départ. Je pense que c'est le résultat sur lequel nous devons nous concentrer.
Nous avons également apporté de nombreuses améliorations. Nous assignons une personne-ressource désignée à chaque famille dans chaque cas que nous traitons. Nous nous efforçons d'améliorer la formation que nous offrons. Nous nous demandons constamment, et nous vérifions auprès de nos collègues de l'autre côté de la ville et de nos partenaires internationaux, quels autres types de renseignements nous pourrions communiquer et s'il y a des risques connexes.
Nous voulons toujours communiquer autant de renseignements que possible, mais nous devons faire preuve de prudence et tenir compte de tous ces autres éléments.
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Je vous remercie beaucoup.
Je remercie tous les témoins d'être ici aujourd'hui et de répondre à nos questions.
J'ai quelques questions, car je veux m'assurer de bien comprendre le projet de loi.
Tout d'abord, les familles d'otages ont déclaré qu'on devait faire preuve d'une plus grande souplesse lorsqu'il s'agit du paiement de rançons sans risque de poursuites judiciaires. Cette question a été soulevée dans le cadre d'une étude sur les services consulaires que le Comité a menée il y a plusieurs années.
Depuis ce temps, comment le gouvernement a‑t‑il répondu aux préoccupations des familles au sujet du paiement de rançons sans crainte de poursuites judiciaires? Le projet de loi répond‑il à ces préoccupations ou crée‑t‑il, selon le gouvernement, de nouvelles préoccupations, notamment la possibilité — je pense que nous avons déjà abordé le sujet, mais j'aimerais que vous formuliez des commentaires — d'encourager la prise d'otages par l'entremise d'un mécanisme de rémunération?
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Je suis mère et je suis certaine que nous comprenons tous que nous ferions tout ce qui est en notre pouvoir pour ramener nos proches à la maison. Nous devons donc tenir compte de cela.
Je suis également préoccupée par le processus d'octroi de permis proposé dans le projet de loi, compte tenu des longues périodes d'attente auxquelles les organismes canadiens font face en raison du projet de loi , qui a établi un nouveau processus d'autorisation gouvernementale pour le travail humanitaire et le travail de développement dans des zones contrôlées par des organisations terroristes, par exemple l'Afghanistan sous le régime des talibans. Plus d'un an s'est écoulé depuis l'adoption du projet de loi, et il a fallu un an pour élaborer le processus d'autorisation. Il est si complexe que de nombreuses organisations canadiennes affirment qu'il ne fonctionne tout simplement pas.
Il y a ensuite le processus lié à la liste des personnes interdites de vol. D'après ce que j'ai compris, il faut jusqu'à six semaines pour obtenir un numéro canadien de voyage.
Dans les cas où le temps presse et où une famille présente au ministre une demande de permis en vue de mener une activité précise qui est assujettie à certaines restrictions en vertu de cette loi, quelles seraient les normes en matière de service et comment le gouvernement garantirait‑il la souplesse nécessaire dans les situations urgentes de prise d'otages? Quels renseignements la personne devrait-elle fournir?
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Je dirai quelques mots et mon collègue pourra en dire plus sur les sanctions.
En ce qui concerne la révision de notre cadre consulaire et des lignes directrices que nous communiquons à l'ensemble de notre réseau, c'est une chose que nous faisons régulièrement. Officiellement, la dernière révision a eu lieu en 2019. Nous en effectuons actuellement une autre. Nous le faisons à quelques années d'intervalle, car nous voulons nous assurer que nous intégrons dans nos approches les pratiques exemplaires dont nous entendons parler.
La semaine dernière, j'étais en Nouvelle-Zélande où j'ai discuté avec tous nos collègues du Groupe des cinq. Le but était précisément d'en savoir plus sur les pratiques exemplaires et sur la manière dont nous devons nous adapter. Nous savons que le monde devient de plus en plus complexe et dangereux et nous nous efforçons toujours de comprendre comment d'autres pays ont appliqué les approches et de les intégrer dans notre cadre consulaire et dans les lignes directrices en vigueur.
En ce qui concerne les sanctions, mon collègue voudra peut-être ajouter quelque chose. Dans des cas où des Canadiens sont pris en otage, nous devons prendre en compte de nombreux facteurs. L'application de sanctions à un moment où nous essayons de ramener l'individu chez lui peut en fait aggraver la situation. En particulier, cela pourrait perturber les relations bilatérales, si un pays a pris l'individu en otage, et les groupes criminels peuvent ne pas se soucier des sanctions. Ce sont là quelques-uns des facteurs que nous devons prendre en considération.
Encore une fois, je demanderai à mon collègue de parler plus en détail de cet aspect.
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Oui. J'aimerais faire remarquer deux choses à propos des résidents permanents.
La plus importante est qu'en vertu de la Convention de Vienne sur les relations consulaires, les autres États ne sont pas tenus de nous permettre de fournir des services aux résidents permanents. Cela ne figure pas dans la Convention de Vienne. Par conséquent, en inscrivant cela dans un texte législatif, nous susciterions des attentes qu'il est très peu probable que nous soyons en mesure de satisfaire. De nombreux pays dont nous parlons ne reconnaîtraient pas la capacité du Canada. Nous n'avons pas la capacité d'accéder aux résidents permanents.
Le coût financier serait considérable. J'ai obtenu des chiffres l'autre jour, juste pour avoir une idée. Il y a huit millions de résidents permanents au Canada. Si nous les ajoutons au nombre de personnes à qui nous fournirions des services consulaires, on voit dans quelle mesure cela augmenterait.
Nos professionnels consulaires sont formidables et travaillent fort, partout dans le monde. Cette mesure aurait pour effet de solliciter les équipes des services consulaires, et il faudrait que les équipes de l'ensemble du gouvernement du Canada disposent de ressources suffisantes. Ce serait considérable.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
J'ai deux brèves questions à poser aux représentants de la GRC et de l'ASFC.
Tout d'abord, des spécialistes nous ont fait part de leurs préoccupations quant à la possibilité que l'on utilise de vastes pouvoirs à mauvais escient pour cibler des individus. Nous avons certainement vu de quelle manière d'autres lois relatives à la sécurité ont eu des répercussions disproportionnées sur des communautés minoritaires au fil des ans, en particulier sur les communautés musulmanes et arabes, qui se sont par conséquent senties ciblées par les organismes de sécurité du Canada.
Comment la GRC s'y prendrait-elle pour éviter que la mise en œuvre du projet de loi ne touche certaines communautés de manière disproportionnée ou ne crée des « communautés suspectes »?
Je vais poser toutes mes questions maintenant, et vous pourrez y répondre.
Pour ce qui est de l'ASFC, existe‑t‑il au sein de l'organisation des mécanismes permettant de vérifier l'identité des personnes afin d'éviter que des gens ne soient désignés ou interdits de territoire à tort en vertu du projet de loi? Comment l'ASFC traiterait-elle les situations où des personnes ont été ciblées à tort ou ont besoin d'une résolution accélérée?