:
Je déclare la séance ouverte.
Bienvenue à la 69e réunion du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international.
La séance d'aujourd'hui se déroule en format hybride, conformément à l'ordre de la Chambre adopté le 23 juin 2022. Les députés participent en personne dans la salle, ainsi qu'à l'aide de l'application Zoom.
J'aimerais faire quelques remarques à l'intention des témoins et des députés.
Veuillez attendre que je vous nomme avant de prendre la parole. Les gens qui participent par vidéoconférence doivent cliquer sur le symbole de microphone pour l'activer. Veuillez le mettre en sourdine si vous ne parlez pas.
Vous pouvez sélectionner l'interprétation au bas de l'écran sur Zoom. Vous pouvez choisir le parquet, l'anglais ou le français. Pour ceux qui sont dans la salle, vous pouvez utiliser l'oreillette et sélectionner le bon canal.
Conformément à notre motion de régie interne, je vous informe que tous les témoins ont fait les tests de connexion requis.
Conformément à l'article 108(2) du Règlement et à la motion adoptée par le Comité le mercredi 21 septembre 2022, le Comité reprend son étude du régime de sanctions du Canada.
J'accueille avec grand plaisir les témoins. Brandon Silver, directeur de la politique et des projets, Centre Raoul Wallenberg pour les droits de la personne, se joint à nous par vidéoconférence. Je présume que vous le connaissez tous très bien. Stephen Alsace, responsable mondial des sanctions économiques à la Banque Royale du Canada, représente l'Association des banquiers canadiens, de même qu'Angelina Mason, avocate en chef et vice-présidente principale, Affaires juridiques et risque.
Vous disposerez de cinq minutes chacun pour votre exposé, puis les députés pourront vous poser des questions.
Nous allons commencer par M. Silver.
Vous avez cinq minutes. Vers la fin, je lèverai ce carton. Nous vous serions reconnaissants de faire de votre mieux pour conclure votre exposé à ce moment.
Monsieur Silver, vous avez la parole.
:
Je vous remercie, monsieur le président Ehsassi.
Honorables députés, c'est un plaisir et un privilège de me trouver parmi autant d'amis et de visages familiers. Je vous transmets les salutations chaleureuses d'Irwin Cotler. Le professeur regrette de ne pas pouvoir être parmi nous aujourd'hui, mais il appuie sans conteste le contenu de notre allocution.
[Français]
Je vous remercie de me donner l'occasion de me joindre à vous aujourd'hui. Cela me fait plaisir de témoigner en tant qu'avocat et directeur des politiques et des projets au Centre Raoul Wallenberg pour les droits de la personne.
Notre organisme est très engagé dans l'élaboration des systèmes de sanctions canadiens ainsi que dans leur mise en oeuvre. Nous gérons aussi une coalition mondiale de presque 400 organismes de la société civile qui agissent pour demander des sanctions et promouvoir les droits de la personne.
[Traduction]
Le Canada peut être un chef de file mondial de la sauvegarde de la dignité et de la démocratie en favorisant l'emploi accru de sanctions ciblées. Votre étude présente une excellente occasion de tracer la voie.
Votre étude tombe à point nommé, puisque l'agression illégale et injustifiée de Poutine contre l'Ukraine est l'expression violente d'un vaste assaut autoritaire contre l'ordre fondé sur les règles et ceux qui cherchent à le défendre.
Les sanctions ciblées ont montré qu'elles étaient un outil puissant pour repousser les assauts. Les sanctions telles les interdictions de visas, la saisie d'actifs et les interdictions de transactions isolent les architectes de la répression, en faisant d'eux des parias mondiaux et en coupant les flux financiers qui alimentent leur oppression.
Les sanctions protègent aussi la souveraineté canadienne contre les effets corrosifs des capitaux étrangers corrompus et contre les atteintes aux droits venant de ceux qui cherchent à s'unir pour miner notre démocratie et nos établissements financiers. Ces sanctions garantissent ainsi que nos marchés et notre économie ne contribuent pas aux abus ou aux agressions à l'étranger.
Honorables députés, toutes ces sanctions constituent des succès mesurables. En effet, l'adoption de la loi de Magnitski en 2017 par le Canada a changé la donne. Cette loi a abaissé le seuil d'imposition de sanctions autonomes, qui était une « rupture sérieuse de la paix et de la sécurité internationales qui est susceptible d'entraîner ou a entraîné une grave crise internationale » afin de permettre aussi l'application de la loi lorsque sont perpétrés des violations graves et systématiques des droits de la personne et des actes de corruption.
Ainsi, notre centre emploie le terme « sanctions de Magnitski » pour renvoyer aux mesures prises à partir de ces seuils plus bas depuis 2017 en vertu de la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus et de la Loi sur les mesures économiques spéciales.
D'après ces nouveaux seuils, plus de 2 000 sanctions ciblées ont été prises depuis l'adoption de la loi de Magnitski en 2017. Parmi celles‑ci, 482 sont des sanctions de type Magnitski en raison de violations des droits de la personne et de corruption. Parmi les quelque 35 pays qui ont une loi de ce type, le Canada est un chef de file dans la mise en œuvre de sa loi de Magnitski. Il arrive tout juste derrière les États‑Unis et loin devant tous les autres pays. C'est d'autant plus admirable que nous n'avons qu'une fraction de leurs ressources.
Cependant, les décisions découlant de lois de Magnitski sont très majoritairement prises unilatéralement et sans coopération structurée entre les alliés, malgré nos intérêts et nos valeurs partagés, malgré les menaces auxquelles nous pourrions tous vouloir réagir. Concrètement, une telle pratique peut mener un individu sanctionné à blanchir ses gains mal acquis et à faire des affaires dans un autre pays quand il est sanctionné par le Canada. La décision peut perdre de son poids et le pays risque de voir sa réputation entachée si les sanctions sont perçues comme une aberration parmi les autres démocraties, jugées plus raisonnables, au lieu d'être vues comme une réussite dans la quête de justice et de reddition de comptes.
Par conséquent, le Centre Raoul Wallenberg propose de mettre sur pied un groupe contact de pays qui appliquent leur loi de Magnitski. Un tel groupe aiderait grandement à coordonner les sanctions et à leur donner un caractère multilatéral, en plus de créer un forum de partage sur les pratiques exemplaires.
Par ailleurs, le Canada devrait prendre une approche pangouvernementale pour imposer des sanctions et créer un point de convergence pour garantir la coopération entre les ministères et avec les alliés internationaux. Il existe à ce propos des précédents bien établis. Aux États-Unis, il y a le Treasury Department's Office of Foreign Assets Control. Au Royaume‑Uni, il s'agit du State Department's Special Envoy on Sanctions. Je pense qu'il existe nombre d'excellents modèles internationaux dont nous pouvons nous inspirer pour rester en tête.
Nous pourrions jouer un rôle unique de leader en réunissant nos alliés internationaux pour que nos politiques en matière de sanctions contribuent à l'avancement de nos priorités de politique étrangère. Par exemple, nous pourrions employer des sanctions pour donner du mordant à notre leadership dans la mise en œuvre de la Déclaration contre la détention arbitraire dans les relations d'État à État et ainsi changer la donne en matière de prise d'otages.
À une époque où l'ordre mondial fondé sur les règles est attaqué et où les institutions multilatérales sont compromises, nous pourrions employer notre régime de sanctions pour montrer notre confiance envers ces institutions et la force exécutoire des normes internationales en utilisant les décisions découlant de procédures spéciales des Nations unies, notamment celles du Groupe de travail sur la détention arbitraire, ou encore les mécanismes de surveillance des traités internationaux, comme le Comité contre la torture, pour justifier l'application de sanctions.
En terminant, honorables députés, je signale qu'il est particulièrement important d'améliorer notre régime de sanctions grâce à la surveillance essentielle que chacun de vous exerce ici. Au bout du compte, certaines des politiques les plus marquantes ont germé dans la société civile avant d'être portées par le Parlement. On ne pourrait que renforcer cette relation en l'officialisant.
Notre mémoire rédigé à l'intention de votre comité présente ces propositions plus en détail, en particulier la dernière, qui met de l'avant le précédent parlementaire, en plus d'usages comme les questions à inscrire au Feuilleton, le dépôt de pétitions d'intérêt public et d'autres procédures du genre. Nous en discuterons avec vous avec plaisir durant la période de questions ou plus en profondeur dans un autre contexte que la présente audience.
Merci à tous du rôle important que vous jouez pour orienter la politique étrangère du Canada. Je vous remercie de l'occasion et du privilège qui nous ont été donnés de témoigner devant vous aujourd'hui.
Merci.
:
Je vous remercie d'avoir invité l'Association des banquiers canadiens et la Banque Royale du Canada à comparaître ce matin pour participer à l'examen du régime de sanctions du Canada.
Je m'appelle Angelina Mason et je suis avocate générale et vice-présidente principale, Affaires juridiques et risques, à l'ABC. Je suis accompagnée aujourd'hui de Stephen Alsace, responsable mondial des sanctions économiques à la Banque Royale du Canada.
Les changements législatifs proposés récemment et le budget accordé par le gouvernement fédéral dans le domaine des sanctions soulignent l'engagement continu du gouvernement fédéral à l'égard des objectifs stratégiques méritoires qui sous-tendent le régime, à savoir la défense des droits de la personne, la lutte contre la corruption répandue et le maintien de la paix et de la sécurité internationales.
Les banques ayant des activités commerciales au Canada ont consenti énormément d'efforts pour se conformer au régime qui continue d'évoluer et, par le fait même, le soutenir. Nos membres travaillent en étroite collaboration avec Affaires mondiales Canada et la GRC en vue d'être conformes aux exigences en matière de sanctions. Par ailleurs, elles ont mis en place des systèmes et des procédures pour gérer les risques liés aux sanctions et elles vérifient régulièrement les listes de sanctions.
L'aide fournie par le gouvernement nous est d'un soutien précieux dans notre travail. Nous reconnaissons l'utilité de la Liste consolidée des sanctions autonomes canadiennes d’AMC. Nous soulignons également la volonté croissante des responsables d’AMC de collaborer avec les intervenants, dont nos membres, sur les questions relatives aux sanctions, ainsi que leurs efforts de sensibilisation du public. De plus, l’annonce par le gouvernement fédéral d’un investissement de 76 millions de dollars pour la création d’un bureau de sanctions spécialisé au sein d’AMC et un soutien supplémentaire à la GRC constitue un premier pas important en vue de doter le régime en expansion des ressources nécessaires à son fonctionnement efficace.
Compte tenu de leur rôle dans le système financier mondial, nos membres ont noté plusieurs façons dont le régime de sanctions du Canada doit poursuivre son évolution. Essentiellement, à mesure que le régime continue d'évoluer et de devenir plus complexe — y compris avec la récente proposition de dispositions sur le contrôle réputé qui contiennent des éléments hautement subjectifs dans le projet de loi —, il faudra des lignes directrices écrites et accessibles au public.
Ce besoin est parfaitement compris. Il a été souligné dans le rapport publié par votre comité en 2017, de même que dans le récent rapport du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international à l'issue de son étude du régime. Il s’agit également d’une pratique courante des autorités responsables de l’application des sanctions dans d’autres pays, comme le Royaume-Uni et les États-Unis, ainsi que dans d’autres contextes réglementaires au Canada.
Pour répondre à ce besoin et s’aligner sur les pratiques exemplaires nationales et internationales, nous encourageons Affaires mondiales Canada à élaborer ces lignes directrices écrites en consultation avec les parties prenantes. Les lignes directrices fourniront de la clarté et de la transparence aux parties prenantes — en particulier à celles qui n’ont pas ou ne peuvent pas se permettre l’accès à des ressources coûteuses pour soutenir leurs activités — afin d’atténuer les risques opérationnels et réglementaires qui peuvent découler de l’opacité réglementaire lorsqu’elles font des affaires à l'étranger. Les lignes directrices contribueront également à garantir que la Loi de Sergueï Magnitsky et la LMES seront mises en œuvre comme prévu et que leurs objectifs seront atteints efficacement.
En plus de fournir des lignes directrices écrites — comme le recommande le rapport du comité sénatorial —, le gouvernement devrait également sensibiliser la population canadienne à la nature des lois canadiennes sur les sanctions, ainsi qu'à leur raison d'être et leurs répercussions. Dans le contexte actuel, les entités du secteur privé, comme nos membres, sont souvent tenues de répondre aux questions et aux préoccupations de leurs clients. Nous pensons que le gouvernement fédéral est le mieux placé pour répondre à ces questions, car nos membres et d'autres intervenants essaient toujours de comprendre les répercussions de la loi sur leurs propres entreprises, et le public a besoin de renseignements exacts, à jour et cohérents.
Nous voyons aussi la possibilité d'améliorer l'efficience et l'efficacité des rapports sur les sanctions. Plus précisément, nos membres fournissent actuellement des rapports sur les sanctions à divers organismes gouvernementaux. Les amendements au projet de loi proposés récemment par le gouvernement et visant à créer des exigences supplémentaires en matière de déclaration au CANAFE ouvrent la voie à un échange utile entre l'organisme de réglementation et l'industrie. Ils apportent des précisions quant aux exigences en matière de déclaration afin que celles‑ci soient conformes à l'esprit des amendements législatifs.
De plus, il faudrait que le gouvernement fédéral se penche sur le fonctionnement du système de permis. Nous savons que d'autres pays ont mis en place des mécanismes simplifiés pour les permis ou certificats afin d'autoriser certaines activités ou transactions précises qui sont par ailleurs interdites. Par exemple, les États-Unis ont des dispositions relatives aux licences générales qui autorisent certains types de transactions pour une catégorie de personnes, sans qu'il soit nécessaire de demander une licence particulière. Cette catégorie générale n'a pas été retenue au Canada, bien qu'elle soit possible aux termes de la loi.
Nous croyons savoir qu'AMC a été inondé de demandes de permis en raison du manque d'orientation et de clarté de la loi. Il semble que ce volume accru ait créé un arriéré de demandes, ce qui fait que les Canadiens attendent des réponses officielles dans des délais incertains. Ces permis ne sont pas toujours demandés par les grandes entreprises. Souvent, ce sont des Canadiens ordinaires qui demandent ces permis, comme des clients des services bancaires de détail qui tentent de faire un virement à des membres de leur famille dans les pays touchés par les sanctions.
Nous suggérons qu'AMC s'aligne sur l'approche adoptée dans d'autres pays. De plus, nous recommandons également à AMC de recruter des employés qui s’occuperont spécifiquement des demandes de permis et, idéalement, seront mandatés de répondre à toutes les demandes de permis dans un délai raisonnable.
Enfin, comme le recommande le rapport du Sénat, il faut investir suffisamment dans le Bureau des sanctions d'AMC et dans les autres ministères fédéraux qui participent au régime. Nous saluons et appuyons les engagements budgétaires précédents du gouvernement pour AMC et comprenons que le gouvernement envisage de confier à d'autres organismes gouvernementaux un rôle dans le régime des sanctions.
Compte tenu de la complexité du régime, il est essentiel que tout ministère ou organisme gouvernemental qui participe au régime, y compris AMC, dispose des ressources nécessaires et que le personnel reçoive une formation approfondie sur cet aspect très technique de la loi et en ait une connaissance suffisante.
Cette approche contribuera à faire en sorte que la surveillance soit adaptée et reflète le caractère unique du régime et qu'elle ne soit pas confondue avec d'autres domaines législatifs, comme la lutte contre le blanchiment d'argent au Canada...
:
Je vous remercie de vos bons mots et de vos questions importantes, monsieur Hoback.
En ce qui concerne la multilatéralisation et la loi de Magnitski, l'idée, c'est que lorsqu'il s'agit de l'imposition de sanctions, de gels d'avoirs et d'interdictions de visa, le tout devrait idéalement se faire de façon coordonnée entre plusieurs pays ayant des lois semblables. Si le Canada sanctionne un individu et qu'il est le seul pays à le faire, il peut facilement utiliser des systèmes bancaires parallèles — les mêmes services et droits que l'on cherche à refuser à ses compatriotes — et jouir de ces droits à l'étranger.
Selon les statistiques canadiennes, 79 % des sanctions qui sont imposées par notre pays constituent un effort unilatéral. Cela signifie que pour la plupart des sanctions que nous prenons, il y a des éléments importants consistant à nommer et à dénoncer les individus et à protéger nos systèmes financiers nationaux et notre démocratie contre les pratiques abusives d'entités ou de ressortissants étrangers qui ont un comportement malveillant. Or, cela signifie également que les sanctions sont moins efficaces parce qu'ils peuvent aller au Royaume-Uni, aux États-Unis, dans des pays membres de l'Union européenne ou dans l'un de quelque 30 autres pays qui ont une loi de Magnitski.
En ce qui concerne les 21 % de sanctions canadiennes qui constituent un effort multilatéral — c'est‑à‑dire qui ne sont pas imposées que par nous —, nous collaborons généralement avec un seul partenaire, de sorte qu'elles n'ont pas un caractère multilatéral. Lorsque nous disons que nous n'entreprenons pas quelque chose unilatéralement, nous le faisons généralement bilatéralement, c'est‑à‑dire que le Canada fera une annonce avec le Royaume-Uni, les États-Unis ou l'Union européenne. Sur ces 21 % de sanctions prises de façon multilatérale, 14 % constituent un effort bilatéral, ce qui signifie que seul un faible pourcentage des sanctions imposées par le Canada ont une portée véritablement internationale.
Il y a ici en quelque sorte un lien avec notre recommandation de créer ce groupe de coordination diplomatique. Si le Canada participe à un effort concerté et coordonné pour la communication de renseignements, la mise en œuvre de la loi de Magnitski et la prise de mesures diplomatiques avec des États aux vues similaires, nous pouvons vraiment serrer la vis aux auteurs de violations des droits et augmenter la pression exercée sur eux, à la fois sur le plan de la réputation et de la rhétorique — parce que différentes démocraties les sanctionneraient —, et de façon concrète, en les privant de la possibilité d'accéder aux lieux de vacances ou aux universités où leurs familles veulent souvent à aller, ainsi qu'au secteur bancaire, aux marchés et aux économies du Canada, des États-Unis et du Royaume-Uni. Si nous agissons de manière concertée, nous pouvons avoir une bien meilleure incidence.
:
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie les témoins d'être avec nous aujourd'hui.
Le Canada et ses alliés ont imposé des sanctions sans précédent à la Russie, et elles touchent presque tous les aspects de son économie. Notre objectif est très clair: limiter l'accès de la Russie au financement.
Il y a une sanction que je trouve très intéressante: on a retiré les principales banques russes du réseau international de transfert financier SWIFT. J'aimerais avoir les commentaires des témoins, surtout ceux de l'Association des banquiers canadiens, sur ce point en particulier.
[Traduction]
Madame Mason, j'aimerais peut-être que vous interveniez d'abord sur la question des sanctions liées au réseau SWIFT que le Canada a imposées avec ses alliés. M. Silver vient de souligner qu'il est important de travailler avec de nombreux alliés. Dans le cas de SWIFT, nous avons collaboré avec un certain nombre d'alliés importants à cet égard. Je me demande si vous pourriez nous parler un peu de votre point de vue sur l'efficacité de ces sanctions liées à SWIFT.
Monsieur le président, mesdames et messieurs, en effet, nous retirons de SWIFT certaines des plus grandes banques russes. Par conséquent, toutes les transactions ont été bloquées. La plupart des banques canadiennes n'ont plus d'accès direct à la Russie pour simplifier les paiements. La mesure a eu un effet positif en ce sens qu'elle a empêché certaines des plus grandes banques, comme la VEB, la VTB et la Sberbank, d'accéder aux capitaux occidentaux, mais elle a eu des conséquences inattendues pour des Canadiens ordinaires, et c'est en partie la raison pour laquelle Affaires mondiales Canada a reçu un grand nombre de demandes de permis.
Les Canadiens ordinaires ne sont plus en mesure d'envoyer facilement de l'argent en Russie — par exemple pour payer la pension alimentaire d'un enfant — ou de recevoir des paiements de pension. Ou, dans le cas de hockeyeurs qui jouent en Amérique du Nord, s'il se trouve que leur employeur est la propriété d'une entité sanctionnée, la paie a été coupée. C'est l'une des conséquences de la situation.
Un autre point que j'aimerais soulever par rapport aux observations de M. Silver, c'est que, bien que nous soyons très favorables à l'imposition de sanctions de Magnitski et que nous convenions qu'il est important d'améliorer la coordination entre les pays, la plupart des grandes banques canadiennes ont des activités à l'étranger. Dans notre cas, par exemple, nous devons nous conformer aux exigences en matière de sanctions qui s'appliquent aux États-Unis, dans les pays de l'Union européenne, au Royaume-Uni et dans d'autres pays. Bien que ce ne soit pas inscrit dans nos lois ici, au Canada, nous respectons également les autres pays dans lesquels nous menons des activités.
:
Merci de la question, monsieur le député Garon. C'est un point important.
Les données que notre centre a soumises au Comité résultent des modifications apportées à la Loi sur les mesures économiques spéciales, dans le cadre des droits de la personne et de la lutte contre la corruption.
La loi Magnitski a été utilisée un peu plus de 60 fois. Cependant, les modifications que cette loi a entraînées à la Loi sur les mesures économiques spéciales ont fait en sorte que notre système de sanctions peut être utilisé de manière beaucoup plus claire et définitive pour lutter contre la violation des droits de la personne et la corruption.
[Traduction]
Les données que nous avons soumises, les 482 sanctions, correspondent à celles qui n'auraient été possibles qu'après 2017. Avant cette date, le seuil d'imposition des sanctions était une rupture sérieuse de la paix et de la sécurité internationales susceptible d'entraîner ou ayant entraîné une crise internationale. Ce changement relatif au seuil a conduit à une utilisation beaucoup plus étendue des sanctions qui, selon nous, arrive à point nommé compte tenu de la résurgence de l'autoritarisme, du populisme néolibéral et des actes d'agression dans le monde. Le fait que ces lois aient été modifiées en conséquence est quelque chose d'extrêmement important.
La désuétude de la loi de Magnitski telle qu'elle est, par rapport aux seuils inférieurs prévus par la Loi sur les mesures économiques spéciales, est une question intéressante que nous explorons plus en profondeur dans les observations écrites que nous avons soumises au Comité. Nous affirmons qu'il s'agit d'une question de rhétorique plutôt que de substance. Les lois sont en grande partie équivalentes. Il existe quelques distinctions mineures entre elles — vous savez, la possibilité de sanctionner des entités en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales, mais seulement des individus en vertu de la loi de Magnitski —, mais dans l'ensemble, nous demandons en fait, pour cette raison, un changement dans l'utilisation des termes afin de favoriser une meilleure coordination entre nos alliés et d'utiliser la résonance importante qu'a le mot « Magnitski », de sorte que nous appelons « lois de Magnitski » à la fois la Loi sur les mesures économiques spéciales et la mise en œuvre de la loi de Magnitski pour la défense des droits de la personne et la lutte contre la corruption.
:
C'est exactement ce que nous envisageons, madame McPherson, et nous l'avons quelque peu expliqué dans nos observations écrites.
Dans d'autres pays, il y a un organisme qui a une responsabilité interorganisationnelle en matière de coordination, comme le Bureau de contrôle des avoirs étrangers aux États-Unis, ou le nouveau bureau qui a été établi au Royaume-Uni. Le Canada a la possibilité de faire de même.
Dans le cadre de la loi d'exécution du budget, le gouvernement a annoncé l'affectation de 75 millions de dollars... la création d'un groupe de travail sur les crimes financiers. Il y a là une occasion, peut-être, pour ce groupe de travail, d'assurer non seulement une coordination interministérielle, mais aussi une coordination à l'échelle internationale. Lorsque nos alliés s'adressent à nous pour des questions de sanctions, il semble que ce soit en grande partie de façon ponctuelle et pour un sujet spécifique, plutôt que de manière globale et multilatérale.
Disposer d'un point de convergence peut contribuer à renforcer cette coordination et favoriser la coordination entre les nombreux ministères et organismes gouvernementaux qui sont souvent malheureusement dissemblables et isolés les uns des autres, qu'il s'agisse du CANAFE, de la GRC, du SCRS, du ministère de la Justice, d'Affaires mondiales Canada et d'autres organismes de ce type. Le fait de disposer d'un point de convergence, tant au sein du Canada que pour nos alliés à l'étranger, peut contribuer à simplifier les choses et à résoudre certains des problèmes.
Des représentants de l'Association des banquiers canadiens ont parlé de ces questions et, en particulier, en raison du caractère diffus des engagements, c'est la société civile qui a fait la collecte de données. Au début de ma déclaration préliminaire, j'ai mentionné que nous coprésidions un groupe d'environ 400 grandes ONG internationales qui agissent en ce qui concerne les sanctions, et les données et les indicateurs dont je vous ai parlé tout à l'heure ont été en grande partie colligés par la société civile, parce que nous avons dû combler le vide qui devrait être essentiellement comblé par le gouvernement. Le gouvernement devrait recueillir ces chiffres et les utiliser pour améliorer ses mesures.
Si vous le permettez, madame McPherson, j'utiliserai le reste de mon temps pour parler du cas de Vladimir Kara-Murza, car vous avez joué un rôle de premier plan dans cette affaire, tous partis confondus. Je sais que M. Garon et son collègue, , ont demandé de concert la libération de Vladimir Kara-Murza. Je disais tout à l'heure dans ma réponse que c'était un bon exemple de situation où, parfois, nous ne pouvons pas agir de façon coordonnée avec nos alliés, mais où nous prenons les devants. Le Canada a sanctionné toutes les personnes liées à cette affaire et a demandé à ses alliés de faire de même. C'est l'un des rares cas où le département du Trésor américain et le Royaume-Uni ont tous deux imposé des sanctions à des gens liés à l'affaire Kara-Murza, et tous deux ont déclaré publiquement qu'ils suivaient l'exemple du Canada.
C'est l'un des exemples où une mesure unilatérale a été utile, combinée à des efforts multilatéraux de défense des droits. Le Canada a pris l'initiative et tous nos alliés l'ont suivi.
:
Bien sûr, j'ai été très honorée de faire partie de ce groupe de travail et de continuer à faire pression pour que l'on accorde à Vladimir Kara-Murza la citoyenneté honoraire.
Je comprends le point que vous soulevez, cependant, lorsque vous parlez du fait que les choses se font de façon ponctuelle. C'est ce que nous a dit l'ASFC. La GRC nous l'a dit lors de la dernière réunion, soit que l'on ne coordonne pas les efforts, ce qui rend les choses très difficiles. En fait, j'ai fait inscrire des questions aux Feuilleton auxquelles je n'ai pas reçu de réponses satisfaisantes, parce que je ne pense pas qu'il y ait des mécanismes en place.
Pour la dernière minute qu'il me reste, je demanderai peut-être à Mme Mason d'en dire un peu plus sur le fait qu'Affaires mondiales Canada est débordé. Il y a du retard et de la confusion.
Pourriez-vous nous dire de quelle manière le problème peut être corrigé, à votre avis? Comment pourrait‑on y remédier?
:
Il s'agit d'une question extrêmement importante. Nous sommes au Parlement pour demander que l'on accorde la citoyenneté honoraire à M. Kara-Murza, parce que nous croyons que cela pourrait lui sauver la vie.
Il a écrit de la prison pour dire que... soit dit en passant, cela démontre l'efficacité des sanctions ciblées. Ses geôliers sont les mêmes qui ont essayé de l'assassiner à deux reprises. Il a survécu, par miracle, et ils n’ont pas essayé de l’assassiner une troisième fois, parce qu’ils savent que le monde les regarde et se soucie de lui. Ces sanctions ont été utiles dans ce cas.
Il est possible que cette attention s'étiole. Les actes d'agression et les crises mondiales peuvent évoluer. Nous devons montrer que nous continuons d'appuyer l'expression des valeurs canadiennes envers quelqu'un qui a témoigné devant ce comité et qui a contribué à rendre la politique étrangère de notre pays plus efficace et plus humaine. En adoptant les sanctions dont nous discutons aujourd'hui, nous faisons preuve de solidarité et affichons notre soutien — ce que M. Kara-Murza mérite — au nom de nos valeurs communes. Il ne faut pas oublier qu'il s'agit de mesures qui lui sauveront la vie.
Les gardiens de sa prison lui ont souvent dit, et il a écrit à ce sujet depuis la prison, qu'il devait s'assurer qu'ils ne seraient pas visés par les sanctions Magnitski et qu'on ne parlerait pas d'eux dans les déclarations internationales. Ceux qui tiennent sa vie entre leurs mains regardent ce que fait le Parlement. L'adoption d'une motion par consentement unanime à la Chambre pour lui accorder la citoyenneté honoraire pourrait très bien lui sauver la vie et refléterait certainement ce que le Parlement défend.
:
Bienvenue à tous. Nous poursuivons notre étude du régime de sanctions.
Je suis très heureux d'accueillir plusieurs témoins au Comité. Nous accueillons, à titre personnel, Me Anaïs Kadian, avocate; Mme Erica Moret, recherchiste en chef et coordinatrice au Sanctions and Sustainable Peace Hub du Geneva Graduate Institute; et M. Zaw Kyaw, porte-parole du Gouvernement en exil de la République de l'Union du Myanmar.
Chers témoins, je tiens à préciser que vous disposerez de cinq minutes chacun pour vos déclarations préliminaires. Après vous avoir entendus, nous passerons aux questions des membres du Comité.
Maître Kadian, nous allons commencer avec vous. Vous disposez de cinq minutes.
:
Merci, monsieur le président.
Honorables membres du Comité, bonjour. Je vous remercie de m'avoir invitée à comparaître devant vous aujourd'hui.
Je m'appelle Anaïs Kadian. Je suis avocate en litige civil et commercial à Montréal. J'ai également un baccalauréat en études internationales. Plus récemment, je me suis prononcée avec d'autres avocats et professionnels en faveur des droits de la personne dans les dossiers relatifs à la situation désolante des Arméniens du Haut‑Karabakh.
Il n'y a pas si longtemps, deux de nos mémoires ont été soumis au Comité. L'un porte sur l'examen des permis d'exportation vers la Turquie et l'autre concerne le statut du Haut‑Karabakh en vertu du droit international.
[Traduction]
Aujourd'hui, je voudrais parler du rapport préparé par le réseau de la société civile Hayren Partners for Humanity, qui a été soumis à ce comité. Ce rapport traite de l'occasion importante qui est donnée au Canada de répondre concrètement à la crise des droits de la personne créée au Haut-Karabakh à l'aide de sanctions économiques ciblées contre le régime azerbaïdjanais.
Puisque la motion de ce comité était d'« examiner la nécessité de formuler de nouvelles recommandations... découlant de la réponse du Canada à la situation en Ukraine et autres situations depuis 2017 », je vous soumettrais que le Haut-Karabakh est l'une de ces autres situations pour lesquelles de nouvelles recommandations devraient être formulées quant à la réponse du Canada.
De fait, l'absence de mesures concrètes, telles que des sanctions, n'a malheureusement servi qu'à enhardir le régime autoritaire azerbaïdjanais à continuer de violer le droit international et les droits de la personne, et ce, sans entrave.
Parmi les exemples récents, citons la capture et la torture de prisonniers de guerre arméniens à l'automne 2022, comme l'a rapporté Human Rights Watch; la détention de plus de 100 prisonniers de guerre et leur soumission à des traitements inhumains; les attaques et les meurtres de civils dans les villages frontaliers et au Karabakh presque toutes les semaines; l'attaque illégale de l'Arménie l'automne dernier, qui a entraîné des centaines de morts et la saisie de 140 kilomètres carrés de territoire souverain; et le blocus illégal du corridor de Latchine, qui isole 120 000 Arméniens ethniques autochtones du reste du monde depuis décembre dernier.
Le Genocide Watch a qualifié le blocus du corridor de Latchine de « tentative évidente du gouvernement azerbaïdjanais d'affamer, de bloquer et finalement d'expulser les Arméniens du Haut-Karabakh. »
Le Lemkin Institute for Genocide Prevention a émis un signal d'alerte au sujet du génocide, déclarant que « seul l'État azerbaïdjanais, et particulièrement le régime du président Ilham Aliyev, est responsable de cette crise humanitaire. »
En février 2023, la Cour internationale de justice a ordonné à l'Azerbaïdjan de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir une circulation sans entrave dans le corridor de Latchine. L'Azerbaïdjan a ignoré cette ordonnance. Il reste à ce jour en violation flagrante des décisions de la Cour internationale de justice.
Ces violations des droits de la personne et du droit international sont directement visées par l'article 4 de la Loi sur les mesures économiques spéciales du Canada et justifient également l'application de la loi de Magnitski du Canada.
L'appel à des sanctions contre l'Azerbaïdjan a également été lancé récemment par les organismes gouvernementaux et les fonctionnaires suivants: le Parlement européen, en mars 2023, qui a demandé au Conseil d'imposer des sanctions ciblées contre les dirigeants azerbaïdjanais pour ne pas avoir respecté l'ordonnance de la Cour internationale de justice; le président du Comité des relations étrangères du Sénat américain, en mai; le Sénat français et l'Assemblée nationale française; et l'ambassadeur de l'Arménie au Canada, qui a témoigné devant ce comité en janvier. Le Genocide Watch et le Lemkin Institute ont également réclamé que des sanctions soient prises contre les représentants du régime azerbaïdjanais.
De même, ce comité devrait recommander l'imposition de sanctions ciblées contre le régime azerbaïdjanais afin de faire respecter les droits de la personne, le droit international et la justice. Les lois du Canada lui permettent d'appliquer des mesures précises de façon équilibrée, tout en maintenant des relations diplomatiques. Sans reddition de comptes, il n'y a pas de justice, et sans justice, il ne peut y avoir de paix.
[Français]
Le Canada a affirmé à plusieurs reprises son engagement à promouvoir la justice internationale et le respect des droits de la personne. Je pense que les Canadiennes et les Canadiens s'attendent à ce que le Canada donne l'exemple afin de protéger les droits des Arméniens du Haut‑Karabakh et de l'Arménie, comme il le fait dans des contextes similaires.
Je salue le travail difficile, mais si crucial de ce comité, qui s'est engagé à étudier ces questions parmi tant d'autres afin de réviser l'application par le Canada du régime de sanctions.
Je vous remercie de votre attention et je demeure à votre disposition pour toute question.
:
Je vous remercie, monsieur le président.
Monsieur le président, messieurs les vice-présidents, honorables membres du Comité, je m'appelle Zaw Kyaw. Je suis un Canadien originaire du Myanmar qui vit au Canada depuis 1991.
Durant la brève période de démocratisation du Myanmar, j'ai été président-directeur général de la zone économique spéciale qui a connu le plus de succès au Myanmar. À l'heure actuelle, j'agis à titre de porte-parole du gouvernement d'unité nationale du Myanmar.
Je suis honoré d'avoir l'occasion de témoigner dans la cadre de l'étude du Comité sur le régime de sanctions du Canada, en ce qui concerne particulièrement le Myanmar, ou Birmanie.
Le 1er février 2021 au matin, l'armée du Myanmar a lancé une tentative de coup d'État contre le gouvernement élu démocratiquement, mettant fin à la fragile transition du pays vers la démocratie.
Dans la foulée de ce coup d'État, le peuple du Myanmar a envahi les rues pour faire d'immenses manifestations pacifiques. L'armée a répliqué par la violence, tuant de nombreuses personnes et imposant une campagne de terreur en investissant des demeures et en arrêtant quiconque était soupçonné de soutenir la démocratie.
Face à une résistance et à une opposition généralisées, l'armée n'a pu consolider son contrôle du pays. Elle s'est livrée à une violence de plus en plus brutale pour écraser l'opposition, mais la résistance du peuple demeure forte et prend de l'ampleur.
Depuis le coup d'État de l'armée, plus de 3 600 civils ont été tués, près de 23 000 citoyens ont été arbitrairement arrêtés et plus de 60 000 propriétés, dont des établissements religieux, des hôpitaux et des écoles, ont été brûlés. Il y aurait plus de 1,7 million de personnes déplacées au pays.
Le Canada n'a pas hésité à sévir contre l'armée du Myanmar. En décembre 2007, le Règlement sur les mesures économiques spéciales visant la Birmanie est entré en vigueur en réaction à la crise humanitaire et à la situation des droits de la personne au Myanmar, ou Birmanie. Les sanctions du Canada formaient à l'époque un des régimes de sanctions les plus sévères.
La situation s'étant améliorée au Myanmar, le Canada a relâché ses sanctions économiques en avril 2012, tout en maintenant ses sanctions contre une liste de personnes et d'entités et son embargo sur les armes.
Le règlement a été amendé en 2018 pour ajouter sept hauts gradés de l'armée qui occupaient des postes d'autorité pendant les opérations de nettoyage contre les Rohingyas de l'État de Rakhine.
Le Canada a été un des premiers pays à imposer de nouvelles sanctions à la suite du coup d'État du 1er février 2021. Depuis lors, il a imposé des sanctions supplémentaires à six reprises, prenant ainsi des mesures contre 95 personnes et 63 entités. Le Canada est le premier pays à imposer des sanctions aux fournisseurs de carburant des jets militaires du Myanmar.
Malgré les sanctions prises par le Canada et l'Occident, l'armée est encore capable d'accroître sa campagne de terreur contre les civils. Ses partenaires étrangers et les nouvelles sociétés-écrans peuvent aisément éluder les nouvelles sanctions.
En septembre 2022, la junte du Myanmar a fermé l'accès public au registre d'entreprises de Myanmar Companies Online, ou MyCO, afin de cacher les renseignements sur les actionnaires et les nouvelles sociétés-écrans. Voilà qui montre qu'il faut renforcer le régime de sanctions actuel.
Même si je pense que les sanctions constituent un outil utile pour exercer de la pression sur l'armée brutale, il est possible d'améliorer le régime de sanctions du Canada contre le Myanmar afin de le rendre plus sévère et plus efficace.
Hier, Nikkei a publié un rapport indiquant que des pièces de tanks et de missiles, rachetées aux Russes et exportées au Myanmar et en Inde, seraient utilisées par la Russie en Ukraine. L'armée du Myanmar est maintenant une menace à la sécurité mondiale. Le Canada et l'Occident doivent se coordonner pour cibler les fournisseurs et les courtiers en armement.
Le Canada doit cibler les fournisseurs de carburant d'aviation et coordonner ses interventions avec ses alliés pour empêcher les groupes de protection et d'indemnisation d'offrir des assurances pour les navires qui transportent du carburant d'aviation jusqu'aux ports du Myanmar.
Le Canada et les pays démocratiques pourraient renforcer les sanctions pour couper les vivres au régime militaire en ciblant les sources de revenus étrangères de la junte, comme la Myanma Foreign Trade Bank, ou MFTB, et la Myanma Oil and Gas Enterprise, ou MOGE.
Je suis très préoccupé par l'achat de la participation de Chevron dans le gaz extracôtier de Yadana, dont Chevron est propriétaire à 41 %, par la filiale canadienne de MTI Energy, une société peu connue appelée Et Martem Holdings. Soit dit en passant, le champ gazier de Yadana est le plus grand champ gazier du Myanmar.
Je me ferai un plaisir d'en discuter davantage. Merci beaucoup de m'avoir offert l'occasion de témoigner.
Merci, monsieur le président.
Monsieur le président et distingués membres du Comité, je vous remercie de me donner l'occasion de témoigner aujourd'hui.
J'étudie les sanctions multilatérales et autonomes depuis une vingtaine d'années. Au cours de cette période, j'ai examiné les questions relatives aux effets, à l'efficacité et à la coordination des régimes de sanctions, comme ceux qui ciblent la Russie, la Syrie, l'Afghanistan, l'Iran, la Corée du Nord et d'autres pays.
J'ai également effectué des recherches sur les sanctions dans des domaines comme le recours aux armes chimiques, la non-prolifération des armes nucléaires, la cybersécurité, l'esclavage moderne et la traite des personnes, et les considérations humanitaires. Je coordonne également plusieurs initiatives multipartites sur les sanctions au nom de l'Union européenne, du ministère des Affaires étrangères de la Suisse et des Nations unies. Au cours des dernières années, j'ai également témoigné au sujet des sanctions devant le Congrès américain, les deux Chambres du Parlement du Royaume-Uni, le Sénat canadien et le Parlement européen.
En 2020, j'ai fourni des recherches et des conseils stratégiques à la nouvelle unité des sanctions d'Affaires mondiales Canada, lui remettant notamment une liste de sanctions proposées et des suggestions sur les domaines où le Canada pourrait jouer un rôle de leadership positif en matière de sanctions sur les forums mondiaux, en tirant parti de sa position unique dans le monde. Je m'inspirerai aujourd'hui de ce travail et du témoignage que j'ai livré au Sénat canadien en décembre 2022.
J'aimerais vous faire part aujourd'hui de mes réflexions sur deux domaines clés dont je me sens particulièrement qualifiée pour parler et qui ont un lien avec les recommandations que le Comité a formulées en avril 2017 dans le cadre de l'examen parlementaire des sanctions canadiennes, à la suite duquel Affaires mondiales Canada s'est vu accorder plus de capacités et de souplesse sur le plan des sanctions autonomes.
Dans le premier domaine, la recommandation propose de « réformer les structures chargées des régimes de sanctions [du Canada] et leur accorder des ressources adéquates. »
On a critiqué plus tôt le fait que le gouvernement canadien n'avait pas les ressources adéquates pour mettre en œuvre et appliquer un régime de sanctions efficace ou pour assurer une surveillance indépendante des procédures de sanctions du Canada. Des mesures importantes semblent avoir été prises dans la bonne direction au cours des dernières années grâce à la création de la Division de la coordination des politiques et des opérations des sanctions, à l'augmentation des ressources et aux réformes législatives. D'après mon expérience, cette division est composée d'employés extrêmement dévoués, experts et travaillants, qui se sont bien adaptés à l'évolution rapide du contexte des sanctions mondiales.
En réponse aux critiques formulées plus tôt sur le fait qu'il est difficile de naviguer entre les listes de sanctions, Affaires mondiales Canada a maintenant regroupé les listes de sanctions autonomes et celles de l'ONU sur son site Web, et d'autres sites, comme celui du Parlement du Canada, fournissent également des renseignements utiles sur les ressources en matière de sanctions. D'après ce que je comprends, des examens réguliers sont effectués, et le Canada a également contribué à un certain nombre d'études détaillées et à la conception d'outils qui facilitent l'élaboration de sanctions, tant au Canada qu'à l'échelle mondiale.
Un autre changement notable a été la montée en grade du Canada sur le plan de la pratique des sanctions autonomes, en étroite collaboration avec l'Union européenne, le Royaume-Uni et les États-Unis, ainsi que d'avec d'autres pays. Je vois cela comme un progrès positif qui va dans le sens des recommandations selon lesquelles une collaboration plus étroite était nécessaire. L'officialisation et la rationalisation de ce genre de collaboration sont attribuables à la participation du Canada, à mon avis.
Grâce à cette collaboration étroite avec des partenaires internationaux, je dirais que l'utilisation des sanctions par le Canada est de plus en plus « multilatérale », pour emprunter le terme de l'Organisation mondiale du commerce, et vraiment pas particulièrement unilatérale, comme l'ont indiqué certaines critiques des sanctions autonomes, puisque de 30 à 40 pays travaillent ensemble. Vu l'impasse dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui au chapitre des sanctions au Conseil de sécurité de l'ONU, cette collaboration permet au Canada de s'unir à ses alliés pour lutter contre les violations du droit international et de jouer en quelque sorte un rôle de chef de file dans le domaine de la politique étrangère internationale et de la politique de sécurité. Cela sert aussi, bien sûr, de multiplicateur de force puisqu'on travaille ensemble.
Il y a aussi l'officialisation et d'autres genres de collaboration, en passant par exemple par l'entremise du groupe de travail sur les élites, les mandataires et les oligarques russes, qui est un effort multilatéral qui utilise l'échange de renseignements et la coordination pour cibler des personnes et les entités russes sanctionnées et exercer des pressions sur elles. Bien entendu, le Canada en est membre, tout comme un certain nombre d'autres pays et la Commission européenne.
Une augmentation des effectifs, de la formation, de la capacité et des ressources semble justifiée, du moins à mon avis, non seulement au Canada, mais aussi ailleurs, compte tenu de la montée en flèche des sanctions dans le monde aujourd'hui, plus particulièrement à la suite de l'invasion massive de l'Ukraine par la Russie en 2022.
Si nous prenons quelques exemples d'autres pays, l'unité des sanctions du Royaume-Uni a connu une croissance spectaculaire ces derniers temps et compte maintenant environ 160 personnes. Les Pays-Bas viennent de créer et d'étoffer leur propre unité des sanctions. Cette tendance s'observe ailleurs également. Voilà qui illustre la nécessité de disposer de ressources adéquates dans tous les domaines.
Je vais conclure très rapidement en parlant de la recommandation voulant qu'Affaires mondiales Canada fournisse aux secteurs public et privé des directives écrites complètes et accessibles au public concernant l'interprétation de la réglementation sur les sanctions afin d'optimiser la conformité.
Bien entendu, le Canada n'a pas d'organisme d'enquête ou d'application de la loi comme le Bureau de contrôle des avoirs étrangers du Trésor américain. Par ailleurs, nous savons que la Russie et d'autres acteurs utilisent des techniques poussées d'évasion et de contournement en coordination avec d'autres pays ciblés par des sanctions, comme la République populaire démocratique de Corée, l'Iran et d'autres États, de sorte que l'application de la loi est maintenant le nœud du problème. Je pense que nous pouvons tirer des leçons de ce que font les autres pays.
Nous avons vu le Trésor américain collaborer avec celui du Royaume-Uni pour élaborer des approches communes au chapitre des pouvoirs d'application de la loi et d'enquête. Nous voyons aussi l'Union européenne et les États-Unis...
Je vais m'adresser à un autre témoin, mais vous pourriez peut-être fournir plus tard par écrit des informations supplémentaires telles que des noms et d'autres détails sur l'identité des individus et des institutions qui devraient être sanctionnés pour ce motif.
Monsieur Kyaw, votre témoignage indique clairement que les sanctions imposées jusqu'à présent contre la Birmanie sont inefficaces.
Je me demandais si vous étiez d'accord avec cette constatation et si vous aviez quelque chose à suggérer sur la manière de combler les lacunes de notre régime de sanctions.
De plus, si le temps le permet, pourriez-vous parler de la collaboration entre la junte militaire et la Russie? J'aimerais aussi que vous nous décriviez comment les lacunes des sanctions peuvent servir de mécanismes permettant de faire passer en Russie des équipements qui sont par la suite utilisés pour l'invasion de l'Ukraine.
:
Je voudrais souligner que le GUN n'est pas un gouvernement en exil. En fait, le président par intérim, le premier ministre et un bon nombre de ministres se trouvent au Myanmar. De plus, le GUN... Le GUN est formé d'anciens députés, mais il comprend également des représentants de minorités. Environ 46 % des membres du GUN sont d'anciens députés et plus de 50 % sont des représentants de groupes ethniques. Il y a aussi des ONG.
Le président par intérim est membre de la minorité ethnique Kachin et le premier ministre est membre de la minorité Karen.
Pour répondre à vos questions, le ministre des droits de la personne du GUN a présenté un document au Conseil des droits de l'homme des Nations unies. Le GUN a également diffusé un document de politique sur les Rohingyas qui reconnaît clairement le droit des Rohingyas à la citoyenneté et le droit de retourner dignement dans leur village et dans leur maison.
La représentation rohingya au GUN s'agrandit petit à petit. Un autre point à soulever est la loi sur la citoyenneté, qui est discriminatoire envers les Rohingyas et envers d'autres minorités ethniques. Le GUN a décidé de l'abolir et de la remplacer par une loi plus démocratique et plus acceptable selon les normes internationales.
Quelques grands dossiers occupent le GUN en ce moment. Il y a par exemple le cyclone Mocha qui a gagné l'État de Rakhine et dont les victimes sont pour la plupart des réfugiés rohingyas. De plus, nous soutenons les réfugiés en collaboration avec la société civile locale. Voilà comment notre gouvernement veut instaurer l'égalité et l'autodétermination, y compris pour les Rohingyas.
:
Merci beaucoup, monsieur le président. Merci aux témoins de leur présence parmi nous.
Madame Moret, je vais poursuivre avec les questions que mon collègue vient de vous poser.
Nous avons ajouté plusieurs noms à la liste des sanctions. Comme vous l'avez mentionné dans votre témoignage, l'utilisation de mécanismes de sanctions a monté en flèche à l'échelle mondiale. De toute évidence, cette augmentation est due aux événements en Ukraine. L'ajout de noms et l'application des sanctions sont deux choses. Sans mécanismes d'application, les listes ne sont pas aussi utiles qu'elles le devraient.
Au Canada, la GRC rapporte environ 136 millions de dollars en actifs gelés et 292 millions de dollars en opérations financières bloquées.
J'aimerais connaître votre point de vue. Comment évaluez-vous l'efficacité du Canada lorsque vient le temps d'appliquer ses sanctions? Quelles sont les mesures exactes que nous devrions prendre pour que l'application des sanctions soit proportionnelle à l'ajout de noms sur la liste de sanctions?
:
Je pense que cet aspect est un défi énorme dans d'autres pays, pas seulement au Canada.
Tout d'abord, le Canada ne dispose pas des mêmes capacités d'enquête ou d'application des sanctions que l'Office of Foreign Assets Control du Trésor américain. Aux États-Unis, des centaines d'agents emploient des techniques qui sont peaufinées depuis de nombreuses années.
Je pense que c'est le premier point à soulever. Il est essentiel d'avoir la capacité de mener des enquêtes et d'appliquer les sanctions. Pour l'heure, je crois que tout ce travail — les décisions sur les nouvelles sanctions et les activités liées aux enquêtes sur le secteur privé — est exécuté par une petite équipe au sein d'Affaires mondiales Canada. Cette équipe ne peut tout simplement pas tout faire. Si quelque chose devait changer, il faudrait selon moi réclamer des capacités plus spécialisées.
Un autre point à retenir est l'importance de travailler avec des partenaires. Ce n'est pas pour rien que les envoyés spéciaux des États-Unis et de l'Union européenne, Jim O’Brien et David O’Sullivan, travaillent ensemble pour encourager les pays tiers à sévir contre le contournement, ou au moins à ne pas soutenir l'évasion et ainsi de suite. Il est capital également de collaborer avec des partenaires internationaux.
Je dirais en dernier lieu que la capacité des pays tiers est un élément primordial. Certains pays dont on pourrait espérer qu'ils aident à remédier aux lacunes ou au moins à appliquer les sanctions manquent cruellement de capacités. Il en manque non seulement dans les ministères, mais aussi dans les douanes, les services de renseignement, les forces policières et ainsi de suite.
Il faut vraiment que des efforts considérables de renforcement des capacités à l'étranger soient déployés collectivement avec d'autres partenaires.
:
Merci, monsieur le président, et merci aux témoins de leur présence.
Je suis particulièrement préoccupée par les observations de Mme Moret, malgré les défis. Pour que les sanctions portent des fruits, avons-nous... Nous ne pouvons pas en évaluer les effets. Au Myanmar, les sanctions semblent n'avoir rien donné. Au contraire, la situation a empiré.
Y a‑t‑il des indicateurs dont nous pouvons nous servir, par exemple, pour mesurer et évaluer les progrès réalisés par rapport à nos objectifs? Qu'arrive‑t‑il si l'on impose des sanctions à un pays, et ce pays continue notamment à intensifier ses attaques contre les droits de la personne? Si tel est le cas, comment le savons-nous? Comment pouvons-nous corriger les failles, par exemple? Si nous n'avons ni indicateurs ni mesures, il se peut que nous dépensions une fortune en vaines tentatives.
Connaissez-vous un pays ayant établi un ensemble d'indicateurs ou de mesures de référence dont nous pourrions nous servir pour évaluer, ne serait‑ce qu'approximativement, les effets de nos efforts?
:
Certainement. C'est le point focal d'une grande partie de mon travail.
Premièrement, il faut des échanges réguliers dans un forum de confiance où l'on emploie un langage commun, car il faut du temps. D'après mon expérience, il peut falloir plusieurs années pour bâtir la confiance nécessaire à la communication efficace entre différents secteurs sur ces enjeux délicats. C'est le premier élément. Des représentants d'ONG peuvent aussi contribuer à la rationalisation des échanges. Il en va de même, bien entendu, pour les banques et l'ensemble du secteur privé en ce qui touche les questions relatives au commerce, aux chaînes d'approvisionnement mondiales et plus encore, domaines dans lesquels le Canada joue un rôle.
Deuxièmement, il faut tirer parti de la technologie. Le Canada est réputé pour son secteur de la technologie financière et ses idées novatrices. Beaucoup de mesures peuvent être prises pour tirer parti des aspects positifs de la technologie afin de réduire les obligations de vigilance, d'améliorer la transparence, de faciliter le transfert de fonds d'aide humanitaire, etc.
Troisièmement, il faut désigner un point de contact auquel les ONG, la société civile et tous les autres peuvent poser leurs questions. Les groupes comme les banques doivent aussi avoir un endroit vers lequel se tourner lorsqu'ils ont des questions sur la nature des activités donnant droit à commission, sur les libellés et plus encore.
:
Voilà qui met fin à la période de questions.
Permettez-moi de remercier Me Kadian, M. Kyaw et Mme Moret pour leur expertise. Comme les membres du Comité l'ont bien montré, vos témoignages nous seront très utiles.
Avant de lever la séance, je souligne, pour les membres du Comité, que nous allons laisser tomber les 10 minutes consacrées aux travaux du Comité, car il y a consentement unanime pour apporter des changements à l'horaire.
Tous les membres du Comité ont convenu de consacrer le reste des réunions de la session au régime des sanctions, à l'exception de la réunion de mardi prochain. Mardi prochain, durant la première heure, nous aurons une discussion sur le Groupe Wagner avec des représentants d'Affaires mondiales Canada; ensuite, durant la deuxième heure, nous recevrons le sous-ministre des Affaires étrangères de la Lituanie dans le cadre de notre étude sur l'Ukraine.
Aussi, étant donné les changements apportés à l'horaire, nous avons reporté l'échéance pour recommander des témoins pour l'étude sur le Groupe Wagner à mardi prochain, avant la fin de la journée.
Avez-vous des questions? Est‑ce que tout est beau?
La séance est levée.