Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Je vous souhaite la bienvenue à la 74e réunion du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international de la Chambre des communes. La réunion d'aujourd'hui se tient selon un format hybride, conformément à l'ordre adopté par la Chambre le 23 juin 2022. Les membres y participent donc en personne, dans la salle, de même qu'à distance, à l'aide de l'application Zoom.
J'aimerais faire quelques commentaires à l'intention des témoins et des membres du Comité.
Veuillez s'il vous plaît attendre que je vous nomme avant de prendre la parole. Les membres qui participent à la réunion avec vidéoconférence peuvent cliquer sur l'icône du microphone pour l'activer. Veuillez s'il vous plaît mettre votre micro en sourdine lorsque vous n'avez pas la parole. Le micro des personnes qui se trouvent dans la salle sera contrôlé par l'agent des délibérations et de la vérification comme à l'habitude.
Vous pouvez vous exprimer dans la langue officielle de votre choix. Les services d'interprétation sont offerts dans le cadre de la réunion. Vous avez le choix, au bas de votre écran, entre le son du parquet, l'anglais et le français. Les personnes dans la salle peuvent utiliser l'oreillette et choisir le canal souhaité. Veuillez nous aviser immédiatement en cas de problème d'interprétation.
La greffière m'informe que, conformément à la motion de régie interne, tous les témoins qui comparaissent devant nous de façon virtuelle ont passé le test de connexion avant le début de la réunion.
Conformément à l'article 108(2) du Règlement et à la motion adoptée le mercredi 21 septembre 2022, le Comité poursuit son étude sur le régime de sanctions du Canada.
Je vais maintenant présenter les témoins.
Nous recevons, à titre personnel, Andrea Charron, professeure à l'Université du Manitoba; Sophie Marineau, doctorante; et Craig Martin, professeur de droit. Nous recevons également Tom Keatinge, qui est directeur du Centre for Financial Crime and Security Studies.
Nos quatre témoins feront chacun une déclaration préliminaire de cinq minutes.
Je vous demande de surveiller l'écran, puisque lorsque le temps prévu pour votre déclaration sera presque écoulé, je lèverai un carton. Nous vous serions reconnaissants de conclure alors en 30 secondes. Il en sera de même lorsque les membres du Comité vous poseront des questions. Ils disposent d'un temps précis. Lorsque nous arriverons à la fin de ce temps de parole, je vais lever le carton.
Nous allons d'abord entendre Mme Andrea Charron, de l'Université du Manitoba.
Je vous remercie de me donner l'occasion de présenter mes recommandations.
J'ai trois recommandations immédiates à faire, qui ont été établies dans plusieurs rapports, notamment le dernier rapport du Sénat, en mai 2023. Je souligne que l'examen actuel est restreint à la législation sur les sanctions autonomes du Canada, mais on recommande de réaliser un examen de la machinerie et de l'architecture de l'ensemble des lois et procédures du Canada en matière de sanctions, pour les situations multilatérales, les sanctions autonomes et la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus, qui s'applique à l'Ukraine et à la Tunisie.
Les trois priorités visent une meilleure coordination avec nos plus proches alliés sur le plan législatif: l'Union européenne et le Royaume-Uni; à faire rapport publiquement sur la mesure des effets et de l'efficacité dans un rapport annuel au Parlement; et à mettre sur pied une formation propre au Canada de même que des lignes directrices proactives.
Premièrement, l'Union européenne et le Royaume-Uni ont des lois autonomes semblables à celles du Canada. Ces lois n'ont pas de portée extraterritoriale, contrairement à celles des États-Unis, et les sanctions visent des motifs similaires à ceux du Canada, mais elles présentent certaines différences. L'Union européenne a jumelé 9 des 11 régimes de la Loi sur les mesures économiques spéciales et a aussi sanctionné certains états qui ne sont pas sanctionnés par le Canada, comme la Bosnie-Herzégovine, mais elle n'impose plus de sanctions au Sri Lanka et les sanctions imposées à la Chine diffèrent de celles du Canada.
Le Canada a récemment adopté la règle de 50 % sur la propriété étrangère, mais elle correspond à la règle des États-Unis, qui vise un taux de 50 % et plus et non un taux supérieur à 50 %, comme l'ont établi l'Union européenne et le Royaume-Uni. De plus, l'Union européenne et le Royaume-Uni offrent des rapports publics sur les activités en matière de sanctions et publient beaucoup plus de renseignements sur les cibles. La recherche d'information est aussi beaucoup plus facile.
Bien que l'on s'attende à ce que les régimes de sanctions varient, il faut accorder une attention particulière aux cibles désignées par certains états et non par d'autres. Une telle situation favorise le non-respect des sanctions, puisque les cibles tendent à exporter, à importer ou à entreposer les actifs dans les états qui n'imposent pas de sanctions, ce qui délégitime la détermination et la coordination de l'Occident. Dans le cadre d'une étude que j'ai réalisée en 2021 avec M. Tilahun et Mme Cherpako, nous avons démontré que seulement huit personnes et une seule entité, sur une liste de plus de 2 000, désignées à titre d'auteurs de violations contre les droits de la personne, étaient les mêmes au Canada et dans l'Union européenne, ce qui représente un taux de congruence de 0,4 %.
Le Canada doit aussi publier et évaluer les mesures des effets et de l'efficacité des sanctions sur les cibles de façon régulière. Depuis trop longtemps, le Canada tente d'accroître l'efficacité des sanctions en créant plus de lois et en ajoutant des exigences, comme la disposition sur l'inadmissibilité obligatoire, pour imposer des sanctions à des milliers de cibles, mais le gouvernement n'arrive pas à répondre à la question suivante: est‑ce que les sanctions sont efficaces?
Parmi les mesures de l'efficacité faciles, on compte les changements en matière d'importation et d'exportation dans l'État cible; le sexe des personnes ciblées; le type d'entité sanctionné, qu'il s'agisse d'une entité publique ou d'une entité privée; le type de biens et de services produits; le nombre de demandes de radiation de la liste et le taux d'approbation ou de rejet; le nombre et le type de sanctions de représailles contre les Canadiens.
Les mesures de l'efficacité visent à répondre aux questions suivantes: les sanctions ont-elles pour but de protester contre des changements non démocratiques à un gouvernement ou de décrier les violations des droits de la personne? Quel est leur objectif? Visent-elles la coercition, la contrainte, la détection ou la stigmatisation? Est‑ce que les cibles sont des élites ou des entités appartenant à l'État?
Le nombre de permis demandés et livrés par Affaires mondiales Canada pour autoriser les activités autrement interdites représente une autre mesure. Qui a fait la demande? Il peut s'agit de particuliers, d'entreprises et d'ONG. Quelle est l'activité visée?
Enfin, qu'en est‑il du nombre d'instances judiciaires, de poursuites et de rejets?
Pour terminer, dans le cadre de la mise sur pied d'un bureau des sanctions spécialisé, le gouvernement du Canada doit veiller à ce que les personnes chargées d'administrer les sanctions du pays reçoivent une formation sur les particularités des régimes de sanctions du Canada et sur la recherche dans le domaine de façon générale.
Je suis du même avis que Lawrence Herman: les Canadiens et les entreprises canadiennes méritent des lignes directrices proactives sur l'application des sanctions. Après tout, ce sont les premiers agents d'application de la loi. La formation et l'orientation amélioreront l'élaboration et l'application des politiques. Plusieurs universitaires sont prêts à aider et à offrir un tel programme dans le cadre de leurs cours sur le droit, les entreprises et les affaires publiques.
L'étude et l'analyse de précédents régimes de sanctions internationales révèlent que les sanctions n'arrêtent pas les guerres. Or, les régimes de sanctions demeurent extrêmement utilisés par les gouvernements occidentaux, même si leurs résultats sont toujours incertains. Si la guerre ne peut constituer une option, la sanction révèle alors que, même sans moyen contraignant, il est possible d'exprimer au moins symboliquement et diplomatiquement un désaccord.
L'imposition de sanctions et un instrument politique relativement peu coûteux, si on le compare à un conflit armé. Il est néanmoins impossible de définir le niveau exact des mesures à prendre pour que celles-ci aient une incidence réelle sur la politique de l'État sanctionné.
Certains facteurs sont cependant déterminants pour influencer l'efficacité d'un régime de sanctions.
Le facteur le plus important est certainement le coût économique imposé à l'État sanctionné. Plus le coût imposé à un État est élevé, plus l'État sera porté à modifier sa ligne politique.
Le deuxième facteur concerne le type de régime politique dans l'État sanctionné. Les sanctions sont nettement plus efficaces lorsqu'elles sont employées contre une démocratie que contre une autocratie.
Le troisième facteur concerne la stabilité. Un État plutôt faible ou souffrant de problèmes économiques sera plus vulnérable à l'application d'un régime de sanctions. Même un autocrate peu soucieux du bien-être de sa population aura de la difficulté à gérer un État au bord du chaos.
Le quatrième facteur a trait au lien entre l'État qui impose les sanctions et l'État sanctionné. Pour que les sanctions soient efficaces, la relation économique entre l'État qui impose les sanctions et l'État sanctionné doit être importante et développée. Si les échanges commerciaux sont importants, l'État sous sanctions perdra une source de revenus plus importante que si les échanges sont limités.
Le cinquième facteur est en lien avec la cohésion internationale. Les sanctions doivent être appliquées par la majorité des partenaires économiques de l'État sanctionné pour maximiser leurs chances de réussite. Lorsqu'il y a un manque de cohésion à l'international, l'État sous sanctions peut trouver d'autres fournisseurs en remplacement de celui ou ceux qui imposent les sanctions.
Par ailleurs, un phénomène comme le rally around the flag est un facteur limitant l'efficacité d'un régime de sanctions. Dans certains cas, si la société civile juge que son pays ne devrait pas être placé sous sanctions, on peut assister au renforcement de la cohésion nationale autour du pouvoir.
Ce phénomène peut également s'opérer dans un tout autre ordre d'idées: si un peuple est trop dépendant de ses dirigeants pour son approvisionnement en nourriture et en biens de première nécessité, la société civile peut se rallier derrière ses dirigeants, car, comme l'explique Andrei Kolesnikov, professeur de droit à l'université de Moscou, « les gens préfèrent soutenir la main qui les nourrit car si elle venait à disparaître, ils pourraient ne plus être nourris du tout ».
Finalement, le temps est aussi une variable importante pour déterminer l'efficacité d'un régime de sanctions. Les sanctions forcent souvent les États sanctionnés à se replier sur eux-mêmes et à développer leurs propres industries pour assurer leur autosuffisance, ou à trouver de nouveaux partenaires économiques pour remplacer ceux perdus en raison des sanctions. À long terme, ce phénomène a pour conséquence de rendre l'État sanctionné plus apte à vivre en autarcie ou moins dépendant des importations et des biens des États qui imposent les sanctions. Les effets des sanctions deviennent alors extrêmement limités.
Dans le cas précis de la Russie, j'aimerais citer l'analyste Perun pour illustrer ce qu'on peut attendre d'un régime de sanctions:
(1645)
[Traduction]
Les sanctions ne stoppent pas la production, mais vous forcent plutôt à dépenser temps et argent pour les éviter. Elles ne sont qu'une petite tape sur les doigts.
[Français]
C'est par l'effet cumulatif de tous ces désagréments que les sanctions trouvent leur efficacité.
Présentement, environ 70 % des actifs des banques russes détenus à l'international font l'objet de sanctions et sont inaccessibles. Parallèlement, environ 20 milliards d'euros d'actifs de plus de 1 500 personnes et entités sanctionnées ont été gelés. Dans la dernière année, les exportations russes ont diminué et les importations ont augmenté. Près d'un tiers du budget russe est maintenant consacré aux dépenses militaires, ce qui a pour effet de ralentir le développement économique russe.
Il est certainement difficile de déterminer isolément quels effets sont attribuables aux sanctions à elles seules, et encore plus aux sanctions canadiennes seulement. Cependant, comme la cohésion internationale est primordiale pour la réussite d'un régime de sanctions, les efforts du Canada doivent être analysés dans une perspective plus globale où les efforts de tous les États partenaires comptent.
Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Comité, de m'avoir invité à témoigner devant vous aujourd'hui. Je suis très honoré d'être ici. J'aimerais d'abord vous féliciter pour votre travail en vue de réaliser cet important examen des lois et politiques canadiennes en matière de sanctions économiques.
Pour vous donner un aperçu de mon travail, je me centre principalement sur les enjeux en matière de droit international associés à la loi de Sergueï Magnitski et à la Loi sur les mesures économiques spéciales. Je crois que j'ai été invité à comparaître en raison du rapport stratégique que j'ai rédigé, qui s'intitule Economic Sanctions Under International Law: A Guide for Canadian Policy, publié en 2021 par l'Institut Rideau et le Centre de recherche et d’enseignement sur les droits de la personne de l’Université d’Ottawa. Je vous recommande de le lire dans le cadre de votre examen, puisque je ne peux rendre justice aux nuances et à la complexité de tous les enjeux qui y sont analysés.
En résumé, je présume qu'il y a une tendance dans le discours canadien sur les sanctions à simplement accepter le fait que les sanctions autonomes — c'est‑à‑dire les sanctions qui ne sont pas autorisées par le Conseil de sécurité des Nations unies ou d'autres organisations juridiques internationales — sont légitimes. On présume que si nos alliés ont des régimes de sanctions similaires, ceux‑ci doivent être légaux et légitimes. En effet, on croit que ces sanctions sont non seulement légitimes, mais aussi vertueuses, et qu'elles représentent la meilleure façon de faire respecter les droits de la personne et autres obligations juridiques internationales de manière pacifique.
Ce point de vue a largement été repris dans le récent rapport du comité sénatorial, et se fondait sur des audiences tenues l'année dernière. Bien que j'approuve certaines des recommandations du rapport en vue d'améliorer le régime de sanctions du Canada, celui‑ci accepte trop facilement cette hypothèse voulant que les sanctions autonomes soient légitimes en vertu du droit international. Cette vision qui n'est pas très critique omet d'importantes questions qui sont posées au sein des institutions internationales, aux fins des bourses en droit international et dans les énoncés et pratiques des états d'autres régions de la communauté internationale au sujet de la légalité de certaines sanctions autonomes. En effet, on se demande si certaines sanctions notamment imposées par le Canada au nom des droits de la personne et de la primauté du droit international ne contreviennent pas aux obligations en matière de droit international de diverses façons.
Premièrement, on se demande par exemple si ces sanctions ne contreviennent pas aux normes et obligations relatives aux droits de la personne, que ce soit par l'entremise des grands embargos qui entraînent la souffrance des populations ciblées, ce qui contrevient aux lois sur les droits de la personne, ou par l'entremise des sanctions ciblées qui peuvent miner le droit à l'application régulière de la loi pour les personnes visées.
Deuxièmement, on se demande si l'imposition de ces sanctions ne représente pas une intervention illégale dans les affaires souveraines des états cibles, ce qui contrevient aux principes de non-intervention bien établis. Troisièmement, on se demande si certaines sanctions ciblées ou secondaires ne contreviennent pas aux principes du droit international en ce qui a trait aux administrations qui interdisent l'application extraterritoriale des lois nationales, ce qui, de façon paradoxale et plutôt ironique, mine la primauté du droit international que les sanctions visent à faire respecter.
Ces questions sont d'autant plus pertinentes depuis que l'on a suggéré récemment que non seulement le Canada bloquait les actifs de certaines personnes ciblées, mais qu'il expropriait également ces biens et les convertissait à des fins de réparation pour les victimes en Ukraine, par exemple, tout cela sans la tenue d'un procès ou le recours à un quelconque processus. Cette façon de faire est perçue par de nombreux experts en matière de droit international comme étant en opposition aux lois internationales bien établies en matière d'expropriation.
Qui plus est, certains des plus vifs arguments critiques au sujet des sanctions sont présentés par les états de l'hémisphère sud, où le Canada tente de défendre la règle de droit et le respect des droits de la personne. Il y a donc des tensions possibles entre les objectifs des lois et politiques canadiennes sur les sanctions en matière de droit de la personne — dont l'efficacité est souvent en question — et la possibilité que ces lois et politiques causent des dommages réels, nuisent aux objectifs généraux du Canada en matière de politiques étrangères, rendent le Canada susceptible d'être accusé d'hypocrisie, et ne correspondent pas aux valeurs constitutionnelles de notre pays.
Pour conclure, je dirais que ma déclaration préliminaire ne se veut qu'un aperçu d'un ensemble très complexe d'arguments et d'analyses. Je serai heureux de répondre en détail aux questions sur l'un ou l'autre de ces enjeux.
Je ne veux pas verser dans l'exagération. Bon nombre des questions que j'ai abordées au sujet de la légitimité des sanctions ne sont pas réglées et sont contestées. Toutefois, en raison de l'incertitude qui plane sur ces questions, il faut faire preuve de prudence. Ce que je veux que vous reteniez, c'est que le gouvernement n'en a pas fait assez pour aborder ces questions publiquement et expliquer comment ses lois et politiques en matière de sanctions respectent les obligations juridiques internationales.
Je crois que, de certaines façons, les lois et politiques canadiennes ne correspondent pas au droit international ou à certaines valeurs canadiennes, et que les doutes au sujet du non-respect du droit par le Canada peuvent miner les efforts du pays pour améliorer les droits de la personne et la primauté du droit international. Par conséquent, à mon avis, les décideurs juridiques et politiques canadiens doivent être plus sensibles aux répercussions sur le droit international, élaborer et mettre en oeuvre des lois et politiques en matière de sanctions qui tiennent pleinement compte des principes pertinents du droit international, et offrir des explications publiques plus exhaustives sur la façon dont les lois et politiques respectent le droit international.
(1650)
Je vous remercie. Je serai heureux de répondre à vos questions.
Je suis désolé. La greffière veut nous dire quelque chose.
Monsieur Keatinge, les interprètes nous disent qu'ils ont du mal à vous entendre. Selon ce que je comprends, vous avez obtenu des écouteurs de la Chambre.
Oui, c'est ce que j'ai dit à la greffière en premier. Toutefois, on nous avise que nous ne pouvons pas entendre votre déclaration préliminaire parce que les interprètes ont de la difficulté à vous entendre. Ce sont les règles. Je suis vraiment désolé, monsieur Keatinge.
Nous aimerions évidemment connaître votre point de vue. Pourriez-vous nous transmettre votre déclaration par écrit, afin que les membres du Comité puissent la lire?
Je vous l'ai déjà transmise hier soir. Je l'ai écrite alors que j'étais en vacances, à la demande de votre greffière. On me fait perdre mon temps. Je n'aime pas cela.
Avec la permission des membres, si nous pouvons tous comprendre ce que dit le témoin en anglais, nous pourrions le laisser faire sa déclaration. Il faut évidemment la permission de tous les membres du Comité.
Monsieur le président, je ne peux pas donner mon accord à cela. Je suis vraiment désolé pour le témoin M. Keatinge, mais nous pourrons sans doute le réinviter au Comité.
C'est prévu dans nos lignes directrices. C'est aussi par respect pour le travail des interprètes. La santé auditive des interprètes est constamment mise à l'épreuve dans un Parlement hybride. C'est d'ailleurs pour cette raison que notre formation politique voulait limiter les réunions hybrides.
Je ne peux donc pas vous donner mon accord et j'en suis sincèrement désolé.
Je suis vraiment désolé, monsieur Keatinge. Ce sont les règles de la Chambre; nous ne pouvons les enfreindre. Toutes nos excuses. Je comprends que des circonstances particulières ont fait en sorte que vous ne receviez pas le casque d'écoute que nous vous avons envoyé, mais malheureusement...
J'ai fait un test avec les interprètes il y a une heure; ils ont approuvé ma participation à la réunion et là, vous m'humiliez devant le Parlement du Canada avec votre décision. C'est terriblement embarrassant.
Je suis profondément désolée. Cela s'est produit dans d'autres comités. Les règles doivent être très strictes maintenant en raison de problèmes de santé des interprètes. Cela n'a vraiment rien à voir avec vous, monsieur Keatinge. Cela concerne en fait la sécurité de nos interprètes. Il existe maintenant une règle, qui a causé des problèmes semblables dans d'autres comités.
Selon ce que j'ai appris, un test technique est effectué, mais pas nécessairement en présence des interprètes qui aident notre comité. J'aime réellement...
J'aime la proposition de M. Perron. Nous voudrions vraiment entendre votre témoignage. Je pense que c'est très important pour le Comité.
Avec votre permission, monsieur le président, je voudrais m'assurer que nous l'invitions de nouveau à un autre moment— avec le bon casque d'écoute —, mais je souhaiterais vraiment que le Comité entende les témoins aujourd'hui.
Monsieur Keatinge, ce n'est pas un imbroglio. Nous aurions tous beaucoup aimé vous entendre, mais la Chambre a instauré cette règle et la situation n'est pas sans précédent. Elle s'est produite dans de nombreux...
D'accord. Voici ce que j'en dis. Permettez-moi d'économiser du temps à tout le monde. Je vais mettre fin à l'appel. Vous pouvez poursuivre votre réunion. Si la greffière veut communiquer avec moi pour me réinviter, nous pourrons organiser quelque chose, si je suis disponible.
Inutile de dire que l'expérience n'a pas été agréable pour quelqu'un qui témoigne d'outre-Atlantique sur un des sujets les plus importants auxquels nous sommes confrontés actuellement au chapitre de la sécurité internationale.
J'aurais cru que vous voudriez entendre le point de vue de l'Europe où, de toute évidence, les sanctions jouent un rôle crucial dans le cadre de la réaction aux agissements de la Russie...
Monsieur le président, la situation est profondément embarrassante. J'espère qu'elle ne se reproduira pas.
Si quelqu'un a dit que le son était correct avant la réunion ou une demie-heure avant, les interprètes auraient dû pouvoir accomplir leur travail. J'ignore ce qu'il s'est passé, mais le témoin n'aurait jamais dû recevoir l'autorisation une demie-heure avant la réunion.
Assurons-nous que cela ne se reproduise pas, monsieur le président, car c'est franchement embarrassant.
J'en conviens. Ce processus existe pour une raison, mais nous pouvons en parler lorsque nous discuterons des travaux du Comité, si tout le monde est d'accord.
Nous laisserons maintenant les membres du Comité poser des questions. Nous effectuerons des interventions de cinq minutes chacun pendant le premier tour.
Monsieur Hoback, vous êtes le premier à intervenir. Vous disposez de cinq minutes.
Je le répète, il est malencontreux que cela se soit produit. Je veux remercier les autres témoins de comparaître cet après-midi ou ce soir, selon l'endroit où ils se trouvent.
Je tiens à souligner que les sanctions prisent contre un pays ou une personne ne sont efficaces que si le pays qui les impose est capable de les mettre en œuvre. Quelles recommandations formuleriez-vous, étant donné que le Canada ne met pas en œuvre ses sanctions? Quelles mesures le Comité devrait‑il envisager afin de mieux respecter et mettre en œuvre les sanctions quand elles sont imposées?
Je commencerai par vous, madame Charron, puis j'entendrai Mme Marineau et M. Martin à la toute fin.
Je pense que de nombreux témoins ont indiqué qu'au bout du compte, ce sont la GRC et les douanes qui sont responsables de la mise en œuvre des sanctions.
Ce n'est toutefois pas entièrement exact. En fait, ce sont les Canadiens — les entreprises et les banques canadiennes — qui sont sur la ligne de front et qui doivent s'assurer de comprendre les sanctions et de ne pas faire affaire avec des entités et des personnes qui figurent sur une liste. Voilà pourquoi je préconise une formation sur les sanctions, qui n'existe pas au Canada. Contrairement à l'Union européenne, au Royaume-Uni et aux États-Unis, nous n'offrons pas d'orientation aux Canadiens.
Par exemple, la Guinée-Bissau est sanctionnée par le Conseil de sécurité des Nations unies. Nous sommes obligés de mettre ces sanctions en œuvre. Or, nulle mention n'est faite de la Guinée-Bissau sur le site Web d'Affaires mondiales.
Il manque de renseignements permettant aux Canadiens et aux entreprises d'accomplir leur travail et d'être sur la ligne de front de la mise en œuvre des sanctions.
Dans les dernières années, on m'a souvent interrogée sur des questions relatives à la clarté des sanctions canadiennes. Souvent, les gens trouvaient que les lois entourant les sanctions étaient assez floues. Cela a été le cas notamment l'an dernier, quand on a retrouvé sur le territoire ukrainien des moteurs de Bombardier dans les drones Shahed construits en Iran et utilisés par la Russie.
Ce n'est pas extrêmement clair pour tout le monde si les entreprises canadiennes respectent bien les sanctions. Même si, dans ce cas précis, le moteur était classé comme un bien à usage civil et non militaire, la différence entre un bien à usage civil et un bien à usage militaire est loin d'être claire pour la majorité des entreprises et de la population. Même la classification qu'on retrouve sur le site du gouvernement canadien est loin d'être précise à ce sujet. Alors, les entreprises doivent faire énormément de recherche pour savoir si leurs propres produits sont visés par des sanctions ou non.
Il y a donc un flou énorme entourant les régimes qu'on impose actuellement.
Monsieur Martin, je suis un peu curieux. Vous avez beaucoup travaillé dans ce domaine à l'échelle internationale. Quand le Canada est considéré comme ne faisant pas sa part du travail quand des sanctions sont imposées, quelles sont les répercussions sur nos relations avec d'autres pays? Sommes-nous pris au sérieux dans le monde quand nous affirmons que nous allons imposer des sanctions, sans les mettre en œuvre au bout du compte?
Je pense que Mme Charron a mis le doigt sur le problème en faisant observer qu'au chapitre de la mise en œuvre, on tend à mettre l'accent sur les poursuites, oubliant en quelque sorte que les sanctions trouvent souvent leur efficacité quand les institutions financières refusent de traiter des transactions, par exemple, ou que des avocats conseillent à leurs clients de ne pas s'adonner à un commerce donné. Les sanctions peuvent en fait avoir un effet très marqué, même sans preuve que les responsables de l'exécution de la loi intentent des poursuites contre quelqu'un pour avoir violé les sanctions. Il faudrait que vous fassiez des recherches beaucoup plus approfondies pour déterminer si les sanctions sont violées de manière à nécessiter des poursuites.
Pour ce qui est de la perception internationale, ce qui a retenu le plus d'attention — selon ce que j'ai observé quand j'ai assisté à des conférences réunissant de savants juristes et des experts du droit et des politiques —, c'est le fait que le Canada propose de commencer à exproprier des actifs au lieu de simplement les geler. Les gens pensent que le Canada est loin devant tout le monde, peut-être pas de la bonne manière, quand il s'agit de repousser les frontières du droit international sur le plan de l'expropriation.
Monsieur Martin, je voudrais discuter davantage de cette partie de la question avec vous, car je pense que c'est une discussion très importante que nous devrions avoir.
On en revient toutefois au fait qu'en l'absence de point de repère, de transparence et de moyen de savoir exactement ce qu'il se passe, comment peut‑on savoir si nous sommes efficaces ou non? Comment savoir si les entreprises obéissent réellement? Vous dites que vous pensez qu'elles le font, mais je ne dispose d'aucun outil ou mesure pour savoir si vous avez raison ou pas.
Je reviendrai peut-être à vous, madame Charron. Quelle sorte de points de repère devraient être mis en place? Comment pouvons-nous nous assurer qu'ils sont établis de manière à obtenir des données valables?
Je pense que vous avez mis le doigt sur le problème. Les témoins ont fourni quantité de données, mais elles ne sont pas colligées et communiquées à la population. Cela devrait devenir une routine. Nos alliés fournissent ces infirmations sous la forme d'un résumé de leurs régimes de sanction pour l'année, dans lequel ils présentent notamment les chiffes et indiquent qui a demandé d'être retiré de la liste. Ce résumé fournit des données qui permettent de déterminer si les sanctions sont efficaces pour le Canada.
À l'heure actuelle, la seule donnée dont nous disposons, c'est sur la longueur des listes.
Je crains que le temps ne soit considérablement dépassé, madame Charron. Je suis désolé de vous interrompre. Je suis certain qu'un autre député vous demandera des éclaircissements supplémentaires.
Nous passons maintenant à M. Zuberi. Vous disposez de cinq minutes.
Je tiens à remercier tous les témoins de comparaître.
Je voudrais commencer avec Mme Charron.
Dans votre mémoire, vous indiquez qu'il serait bon de procéder à un examen annuel des sanctions. Pouvez-vous m'en dire un peu plus sur les bénéfices qu'aurait, selon vous, un examen annuel?
Comme Mme Marineau l'a souligné, l'efficacité globale des sanctions exige que celui qui les impose réagisse aux événements qui se produisent sur le terrain. L'approche du Canada consiste toutefois à les imposer et à les oublier. Nous ajoutons un nom sur la liste, et c'est la dernière fois qu'on en entend parler. Nous savons, par exemple, que le Canada a mis trois ans à lever les sanctions sur la Côte d'Ivoire et le Liberia après que le Conseil de sécurité des Nations unies les eût levées. Nous passons beaucoup de temps à déterminer qui cibler, mais pas beaucoup à examiner l'effet des sanctions sur les cibles et à déterminer si nous devrions peut-être ajuster le tir en nous alignant sur nos alliés et en réagissant aux événements sur le terrain.
Ne pensez-vous pas qu'un examen annuel serait peut-être un peu excessif? Ne proposeriez-vous pas de procéder aux deux ans ou à un rythme semblable? C'est ma première question.
La deuxième est une question ouverte que je vous pose sans vous diriger où que ce soit. Avez-vous quelque chose à dire sur une forme de disposition d'expiration ou quelque chose comme cela, ou d'un mécanisme qui exigerait un renouvellement?
Est‑ce que Mme Charron ou qui que ce soit d'autre aurait quelque chose à dire à ce sujet?
Ce n'est pas excessif, car l'information est facile à obtenir. Il suffit que quelqu'un la collige. Pour ce qui est du format, la première fois sera difficile, mais nous disposons de légions d'étudiants des cycles supérieurs réellement intelligents. Vous pourriez leur confier la tâche et ils vous arrangeraient tout cela facilement. Je pense que c'est possible, mais nous devons déterminer le format dont nous avons besoin.
En ce qui concerne les dispositions d'expiration, cela dépend. D'une part, cela signifie aux cibles qu'elles n'ont qu'à attendre pour s'en sortir sans souci. Elles prendront soin de s'adonner à leurs mauvaises pratiques une fois que la disposition d'expiration aura mis fin à la sanction.
Ce qu'il faut vraiment, ce sont des examens réguliers de concert avec tous les acteurs et les alliés pour réagir aux événements sur le terrain.
Madame Marineau, sur votre réseau social, vous avez fait des commentaires sur les conséquences négatives et involontaires des sanctions. Aimeriez-vous nous en dire davantage?
Sur les médias sociaux, vous avez parlé de quelque chose comme les conséquences négatives et imprévues des sanctions. Pourriez-vous préciser votre pensée à cet égard?
Oui. Vous me direz si j'ai bien compris votre question.
Quand le Canada impose des sanctions, nécessairement, on arrête ou on essaie de limiter un échange commercial entre celui-ci et un pays étranger. Pour arrêter cet échange, il faut que cet échange existe, d'une part. D'autre part, il faut que le pays en question, dans ce cas-ci la Russie, en subisse les conséquences. Cependant, le Canada en subira aussi.
C'est certain qu'une sanction efficace aura des effets sur le pays sanctionné, mais l'État qui impose la sanction peut aussi en subir le contrecoup. Les relations sont bilatérales, parfois multilatérales. Le Canada ou n'importe lequel de ses alliés doivent se priver de ce commerce avec la Russie. Selon qu'il s'agit d'importation ou d'exportation, on se prive de biens ou de revenus. C'est certain que l'économie canadienne subira le contrecoup des sanctions imposées par le Canada ou ses alliés, si elles sont d'une quelconque efficacité.
J'aimerais demander à tous les témoins de me dire quel est l'avantage d'harmoniser nos interventions ou de travailler en cohésion avec d'autres pays au chapitre des sanctions.
Est‑ce que l'un ou l'une d'entre vous voudrait m'en dire plus à ce sujet?
Dans l'étude d'anciens régimes de sanctions, on voit que, lorsqu'il n'y a pas de cohésion à l'international, le pays visé par des sanctions peut rapidement trouver d'autres clients pour remplacer l'État qui le sanctionne. Des sanctions imposées par une organisation internationale comme l'Union européenne, par exemple, avec toute la force de ses partenaires, sont beaucoup plus efficaces que des sanctions imposées par un seul pays. On peut penser à l'embargo des États‑Unis contre Cuba, où Cuba a pu remplacer les Américains par d'autres clients. Alors, plus les clients...
D'abord, je remercie les témoins d'avoir pris de leur temps pour se joindre à nous aujourd'hui.
Madame Marineau, vous avez bien expliqué les facteurs servant à évaluer l'efficacité des mesures. C'est juste dommage que ce ne soit pas utilisé.
En 2022, soit il y a presque un an, on a annoncé des fonds de 76 millions de dollars pour créer un bureau spécialisé en matière de sanctions, mais, aujourd'hui, il n'existe toujours pas.
Considérez-vous que ce délai est normal, compte tenu de la structure à créer? Croyez-vous plutôt qu'on fait preuve de laxisme et qu'on devrait procéder plus rapidement?
Si j'ai bien compris votre énoncé, vous avez aussi mentionné que ce bureau devrait faire rapport à la Chambre de façon régulière. Pouvez-vous clarifier cela, s'il vous plaît?
Selon vos critères, madame Marineau, trouvez-vous normal qu'on n'ait aucune structure de la sorte actuellement, malgré l'annonce de l'année passée? Pensez-vous qu'on devrait, de façon urgente, procéder à la création de ce bureau? Pensez-vous que c'est une recommandation que le Comité pourrait faire au gouvernement à la suite de cette étude, par exemple?
J'estime que c'est une bonne recommandation que le Comité pourrait faire.
C'est certain que, si on met en place des sanctions, il faut avoir des moyens de tester leur efficacité. L'efficacité des sanctions ne peut pas se calculer en quelques jours ou en quelques mois. Le régime de sanctions actuel a été mis en place en 2014 et a été renforcé à plusieurs reprises. Notamment, de nouvelles mesures beaucoup plus strictes ont été mises en place en 2022. Normalement, on devrait avoir des résultats pour les années 2014 à 2020 ou 2021. Prochainement, on devrait sûrement avoir les données nécessaires pour estimer l'efficacité des sanctions et des mesures qu'on a mises en place l'an dernier.
Madame Charron, je pense que c'est vous qui avez mentionné que ce bureau devrait faire rapport à la Chambre de façon régulière. J'imagine que vous êtes d'accord pour dire qu'un an, c'est suffisamment long, et que ce bureau devrait voir le jour très rapidement, n'est-ce pas?
Je ne pense pas qu'on puisse surestimer la difficulté qu'il y a à réunir des gens et à les former. Nous n'avons pas une culture de la certification en matière de sanctions. Les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Union européenne en ont une, et les gens assistent régulièrement à des cours. Cette formation est reconnue à l'échelle mondiale.
Une journée est consacrée au Canada dans le cadre de cette certification dont trop peu de gens se prévalent. Il sera difficile de trouver des gens à engager, puis de les former, car le sujet est très complexe.
Selon vos critères pour évaluer l'efficacité des sanctions, considérez-vous que, globalement, les sanctions imposées par le Canada à la Russie sont efficaces présentement?
Comme je le disais dans mon allocution d'ouverture, les sanctions n'arrêtent pas les guerres. Historiquement, si l'on se fie à l'analyse des récents régimes de sanctions au XXe siècle, on ne peut pas s'attendre à ce que les sanctions contre la Russie arrêtent la guerre. Par contre, on peut s'attendre à ce qu'elles créent en Russie des difficultés économiques assez importantes pour qu'à un moment donné la Russie veuille se joindre à des négociations pour sortir de cette guerre.
Pour ce qui est de savoir si les sanctions sont efficaces, on a vu clairement qu'elles avaient eu des effets, notamment sur le complexe militaro-industriel. En Ukraine, présentement, la Russie est obligée d'utiliser des armes soviétiques. Elle est obligée de dépoussiérer de l'armement et d'anciens chars d'assaut de l'époque de l'URSS. C'est la même chose pour l'aviation. Alors, est-ce que les sanctions fonctionnent? Oui. Elles privent la Russie de biens et de pièces nécessaires au développement de son complexe militaro-industriel.
Je suis content de vous entendre dire que les sanctions fonctionnent, mais qu'il faut aussi qu'il y ait une cohésion internationale. Il faut que plusieurs pays imposent des sanctions en même temps, parce que le poids économique du Canada, à lui seul, ne serait pas suffisant. C'est ce que je comprends de votre allocution.
À propos de cette cohésion internationale, dans vos recherches, vous parlez des chevaliers noirs, c'est-à-dire des pays qui permettent à d'autres d'éviter les sanctions qui leur sont imposées.
Présentement, qui sont ces chevaliers noirs? Qu'est-ce que le Canada pourrait faire pour mettre fin à leurs actions?
Présentement, le principal allié et partenaire économique de la Russie est la Chine, évidemment. Depuis 2014, la Russie se tourne rapidement vers son partenaire chinois, presque au point d'en devenir dépendante sur beaucoup de marchés d'importation et d'exportation.
La majorité des autres partenaires font partie du BRICS, soit des États qui tentent de contester un peu l'ordre international actuel.
Je remercie les témoins de comparaître aujourd'hui. C'est une discussion très intéressante. Comme certains de mes collègues, je voudrais vous interroger très longtemps, mais nous disposons de très peu de temps.
Madame Charron, vous avez témoigné devant le Comité en 2016 concernant l'étude sur les sanctions canadiennes et vous avez longuement parlé de vos préoccupations quant aux pratiques du Canada en matière de sanctions. Dans son rapport, le Comité a formulé une série de recommandations, mais peu d'entre elles ont été suivies. J'ai deux questions à vous poser à ce sujet.
Tout d'abord, comment pensez-vous que le gouvernement a réagi à ce rapport? Dans quelle mesure a‑t‑il suivi les recommandations ou y a‑t‑il réagi?
Je présumerai que vous allez dire que sa réaction était lacunaire, du moins en partie. Pourquoi pensez-vous que ce soit le cas, considérant que les sanctions sont quelque chose d'essentiel et prennent de plus en plus d'importance dans nos politiques internationales et de nos affaires étrangères? Pourquoi pensez-vous qu'il faille si longtemps pour mettre ces recommandations en œuvre?
J'ai en quelque sorte répondu à votre question, là. Je m'en excuse.
Le fait que les mêmes recommandations reviennent encore et encore, qu'elles restent sur la liste et ne semblent pas être biffées montre que nous n'avançons pas.
Je dirais que la tendance ne se limite pas à un parti. C'est un problème de longue date. J'ai commencé à soulever des préoccupations il y a 15 ans.
Nous devons reprendre notre législation en main. Elle est un peu brouillonne et incohérente, et nous sommes au même point. Je pense qu'il est méritoire d'inscrire des noms sur une liste, car pour les Canadiens, nous faisons quelque chose, mais nous constatons maintenant que cela ne suffit pas et que nous devons en fait intégrer et coordonner nos interventions avec nos alliés. Nous devons maintenant nous attacher à évaluer l'effet de ces mesures, car le monde est devenu beaucoup plus complexe.
Pour que vous qualifiiez certaines de nos sanctions de brouillonnes... C'est facile d'inscrire quelqu'un sur une liste quand il n'y a pas de suivi. Au cours de la dernière séance, des témoins nous ont indiqué que les entités que nous sanctionnons se moquent de nous, car elles savent que nos sanctions sont sans effet sur elles et sont un coup d'épée dans l'eau.
D'après vous, les sanctions ont-elles une utilité? Nous avons aussi entendu dire aujourd'hui qu'elles fonctionnent dans le cas de la Russie, mais pensez-vous que la majorité des sanctions ont réellement un effet? Ont-elles seulement une utilité politique en signifiant à d'autres pays notre mécontentement quant à leurs actions?
Nous ne pouvons répondre à cette question à moins d'évaluer l'effet. Je dirai que le Canada emploie certains des meilleurs fonctionnaires du monde, mais ils sont dépassés et manquent de ressources. Nous avons imposé un tsunami de sanctions, mais peut-être devons-nous freiner nos ardeurs et dire que ce n'est pas le nombre d'inscriptions sur a liste qui compte. Examinons la liste pour voir comment nous pouvons faire en sorte que les personnes et les entités visées... Assurons-nous de cibler les bonnes personnes, et il faut pour cela discuter avec nos alliés.
C'est précisément cela, n'est‑ce pas? Si nous avons, comme vous le dites, un tsunami de sanctions brouillonnes, cela ne donne rien. Il vaut mieux avoir des sanctions ciblées qui sont effectivement mises en oeuvre.
À CBC, vous avez précédemment parlé du manque d'enquêteurs et d'experts techniques qualifiés. Aujourd'hui, avec ce groupe‑ci, vous avez évoqué le manque de personnel.
Pour commencer, est‑ce qu'il y a d'autres pays qui font mieux que nous et dont nous pourrions nous inspirer? Je sais que vous avez parlé des États-Unis. J'aimerais que vous nous en disiez un peu plus à ce sujet. Comment pouvons-nous y arriver? Comment pouvons-nous trouver les personnes qualifiées dont nous avons besoin? Quelles sont les prochaines mesures que le gouvernement canadien doit prendre?
Eh bien, je suis sûre que Craig Martin aura aussi des conseils à donner à ce sujet, mais il existe un certain nombre d'associations qui proposent des formations et des certifications en matière de sanctions. Vous passez un examen, lequel porte sur les sanctions de l'Union européenne, du Royaume-Uni et des États-Unis. Souvent, une journée est consacrée au Canada en général, en particulier à nos dispositions législatives de blocage concernant Cuba.
Nous n'avons tout simplement pas une culture de la certification, et je pense que cela vaut aussi pour le blanchiment d'argent. Tous ces éléments sont liés, mais nous ne semblons pas avoir une culture axée sur la formation. Contrairement aux fonctionnaires du bureau du contrôle des avoirs étrangers — Office of Foreign Assets Control — aux États-Unis, nous n'entendons pas les fonctionnaires d'Affaires mondiales manifester le souhait de parler des sanctions les plus récentes, de présenter de l'information de base à leur sujet et de proposer des conseils.
Les choses évoluent et s'améliorent, mais il faudra que les Canadiens, les entreprises et nos alliés suivent une formation adaptée au Canada pour que nous puissions commencer à intégrer et à mieux coordonner nos sanctions, ce qui permettra d'améliorer l'application de la loi.
Elles sont faibles. Le public n'a accès qu'à très peu d'information sur les sanctions. Bien souvent, nous n'obtenons même pas la date de naissance des personnes visées.
Compte tenu de la mosaïque culturelle du Canada et du mystère qui entoure notre régime de sanctions, pensez-vous que le public canadien devrait être au courant des procédures de sanction?
Absolument. C'est une obligation. Il est dit très clairement que si vous vous engagez dans une activité qui contrevient aux sanctions, vous êtes obligé de contacter la GRC, donc oui.
Vous avez mentionné le système de certification en matière de sanctions. Dans quelle mesure insisteriez-vous auprès du gouvernement pour qu'il mette en place un tel système?
Je ne pense pas qu'il incombe nécessairement au gouvernement d'établir ce système, mais il doit informer certaines des associations pour veiller à ce que la bonne formation sur les sanctions canadiennes soit offerte, et pour encourager les responsables des sanctions et les gens au sein du gouvernement à suivre cette formation.
Je n'irais pas jusqu'à dire cela, mais la cohérence et la légitimité de l'Occident sont affaiblies lorsque, par exemple, les sanctions imposées par l'Union européenne ou le Royaume-Uni... S'ils imposent des sanctions au Gabon en raison de son coup d'État, mais que le Canada ne le fait pas, qu'est‑ce que cela révèle sur la façon dont le Canada respecte les changements anticonstitutionnels de gouvernement?
Si ce sont là quelques-unes des conséquences imprévues, croyez-vous que l'approche du gouvernement à l'égard d'une politique sur les systèmes de sanctions tient compte de l'unité canadienne?
Je pense qu'il y a une multitude de facteurs. Je ne pense pas que nous puissions nous contenter de faire une seule chose et que, tout d'un coup, tout ira pour le mieux. C'est vraiment compliqué. Nous voulons que le bureau des sanctions change les pneus d'une voiture qui fonce sur l'autoroute. C'est vraiment difficile.
Madame Charron, vous avez laissé une impression que je veux vous donner l'occasion de corriger, si vous le souhaitez, en ce qui concerne la différence entre le régime des sanctions autonomes et le régime des sanctions de l'ONU, à savoir que nous n'imposons pas les sanctions de l'ONU.
Nous avons maintenant 15 régimes à l'ONU — des régimes nationaux et individuels — qui, sur le site Web d'Affaires mondiales Canada, sont signalés sans être énumérés, en raison des cinq ou six façons différentes dont ils sont appliqués. Vous avez semblé dire que nous ne sanctionnons pas la Guinée-Bissau ni aucun des 14 autres pays que nous sanctionnons. Aimeriez-vous préciser le tout et expliquer que, même s'ils ne figurent pas sur la liste de nos régimes autonomes, ils sont effectivement sanctionnés de la même manière?
Non, ce que je dis, c'est que le site Web d'Affaires mondiales inclut toutes les sanctions — les sanctions de l'ONU, les sanctions autonomes et le gel des avoirs. La Guinée-Bissau ne figure pas sur la liste, car à Affaires mondiales, on dit qu'il s'agit seulement d'une interdiction de territoire et que cela n'est pas de son ressort. Cela relève d'un autre ministère, de sorte que cela ne va pas figurer sur le site Web d'Affaires mondiales.
Comment les Canadiens peuvent-ils comprendre les sanctions dans leur ensemble s'ils doivent savoir qu'il faut se reporter à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés ainsi qu'à la Résolution 248 adoptée par le Conseil de sécurité de l'ONU en 2012 pour trouver les cinq noms qui figurent sur la liste de la Guinée-Bissau, ce que nous sommes tenus de faire? Affaires mondiales ne va pas répertorier la Guinée-Bissau comme étant un État ciblé. C'est ce que je dis.
Mais il y a un lien direct vers le site de l'ONU pour cela. Je veux qu'il soit bien clair que nous respectons rigoureusement toutes les sanctions de l'ONU. Elles ne sont pas facultatives. Nous ne choisissons pas de manière involontaire ou volontaire. Nous appliquons chacune d'entre elles.
Oui, mais comment les Canadiens peuvent-ils le savoir? C'est ce que j'essaie de dire. En fin de compte, il faut d'abord que les Canadiens comprennent les sanctions pour qu'elles soient appliquées. Si elles ne figurent pas sur le site Web d'Affaires mondiales, comment pouvons-nous savoir?
Nous pourrions sans doute débattre de ce point en raison de la complexité de ces 15 régimes pour lesquels il existe aujourd'hui 11 comités d'organisation, et ainsi de suite. Nous pourrions nous pencher sur cette question et nous interroger sur l'efficacité d'une simple liste ou sur la nécessité d'obtenir davantage d'information.
J'aimerais maintenant m'adresser à Mme Marineau.
J'ai trouvé vos neuf points très efficaces. Je les ai également lus. Je voulais vous féliciter de nous avoir aidés, car pour moi, quel que soit le problème au Canada, nous répondons par l'imposition d'une sanction. Je l'entends tout le temps. Je pense que si nous suivons votre travail dans ce domaine, ce que vous dites, c'est qu'il faut faire preuve de discernement.
Nous disposons de moyens limités pour démontrer à un État que nous nous positionnons contre sa politique. Les sanctions sont un moyen que nous utilisons. En termes très simples, nous avons essentiellement les options suivantes: soit nous ne faisons rien, soit nous faisons la guerre, soit nous imposons des mesures économiques et diplomatiques. Souvent, la sanction...
Il y a quelques jours, le professeur Thomas Juneau nous a dit que les pays sanctionnés avaient mis au point des mécanismes pour contourner les différentes sanctions, notamment par le biais de ce que vous appelez des chevaliers noirs, c'est-à-dire des pays qui minent la cohésion des sanctions internationales coordonnées.
Comment pouvons‑nous lutter contre l'action de ces chevaliers noirs, qui permettent à des États sanctionnés de contourner les sanctions?
Je poserais la question à l'inverse: plutôt que de chercher à limiter les chevaliers noirs, que pouvons‑nous faire pour inciter les pays à imposer des sanctions?
Dans le cas précis de la Russie, c'est un régime de sanctions imposé par énormément de pays. Cela a fait sortir de leur neutralité historique certains pays, comme Monaco et la Suisse. C'est un régime de sanctions qui est efficace, dans la mesure du possible, parce qu'il y a énormément d'alliés.
Peut-on demander à la Chine d'imposer des sanctions à la Russie? C'est extrêmement difficile. La Chine marche sur une très fine ligne de neutralité. Elle ne souhaite pas encourager le conflit en Ukraine ni déstabiliser la Russie. Elle ne souhaite pas non plus envenimer ses relations avec les Occidentaux.
La question n'est pas nécessairement de limiter les chevaliers noirs, mais d'essayer de rallier d'autres partenaires à la cause des sanctions.
Madame Charron, vous avez parlé du manque de transparence dans la mise en œuvre de notre régime de sanctions. Vous venez de dire qu'il y a des choses qui ne sont pas accessibles sur le site Web et qu'il est impossible d'obtenir ces informations.
On nous a annoncé que 76 millions de dollars seraient consacrés à cela. C'était l'année dernière. Bien sûr, vous tirez la sonnette d'alarme depuis longtemps. Nous avons réalisé une étude qui a débouché sur des recommandations en 2017. Vous avez témoigné en 2016. Depuis que le gouvernement a annoncé l'an dernier un nouveau financement pour le bureau des sanctions d'Affaires mondiales Canada, avez-vous remarqué une différence?
Eh bien, je remarque que certaines questions reviennent souvent.
Par exemple, notre liste autonome de sanctions est très difficile à consulter. Les cibles sont énumérées dans l'ordre dans lequel le gouvernement du Canada les a placées sur la liste, et non par ordre alphabétique. Ce sont des choses comme cela. Cette liste peut être bien ainsi pour le gouvernement, mais elle ne fonctionne pas pour les personnes ayant besoin d'accéder aux informations pour faire appliquer les sanctions.
Il est grand temps de trouver une façon réaliste de faire mieux à cet égard. Il ne s'agit pas que d'un gouvernement. Cela fait 15 ans que cela traîne. C'est long. Un an s'est écoulé depuis l'annonce de ces 76 millions de dollars, et pourtant, nous n'avons pas vraiment vu d'investissement dans l'embauche d'experts du domaine, de personnes qui pourraient s'occuper de l'application de la loi, de la formation, donner des conseils, ce genre de choses. Je suppose que vous trouvez cela problématique.
Nous sommes en train de perdre des fonctionnaires, c'est l'hémorragie. On demande à des gens qui font le travail de dix personnes: « Oh, pourriez-vous faire cela en plus et créer un nouveau bureau des sanctions? ». J'ai beaucoup de sympathie pour les fonctionnaires. Je sais que c'est difficile.
Le Canada, de manière générale, est très mauvais en matière d'approvisionnement. Si nous devons acheter un logiciel, cela va prendre plus d'un an.
Oui, et je vous invite à interroger Craig Martin à ce sujet également.
L'UE et le Royaume-Uni produisent des rapports annuels. Ils ne sont pas très détaillés; ils présentent des informations générales pour rectifier le tir. Les États-Unis publient également toutes sortes de rapports sur leur régime de sanctions. Nos alliés le font, pour la plupart, et je suis sûre que nous pourrions en faire autant.
Je pense aussi que l'importance de ce genre de reddition de comptes et de transparence dont parle Mme Charron... Elle a tout à fait raison de dire que l'Union européenne et le Royaume-Uni sont beaucoup plus avancés que le Canada dans ce domaine. Il ne s'agit pas seulement de mesurer l'efficacité, et d'ailleurs, au sujet de l'efficacité, il convient de prendre un instant pour nous demander comment nous pouvons la mesurer si nous n'articulons même pas nécessairement d'objectifs. Il est impossible de parler d'efficacité si l'on ne sait pas précisément quels sont les objectifs.
Il y a aussi les questions de droits de la personne qui entrent en ligne de compte, surtout lorsqu'il s'agit de sanctions ciblées. Il faut que les rapports soient transparents pour que l'on puisse évaluer si, en fait, les sanctions visent la bonne personne et si les preuves qui justifient les sanctions sont toujours actuelles, exactes et justes.
Tous ces facteurs sont d'une importance vitale, et pourtant, à l'heure actuelle, ce type de transparence fait défaut.
J'aimerais revenir sur un élément de votre témoignage.
Vous avez fait mention du rapport coûts-avantages et vous nous avez invités à faire attention à la légalité du régime de sanctions du Canada en droit international, si je vous ai bien compris.
Veuillez expliquer à mon esprit de non-juriste — et je le dis de façon neutre — s'il y a une analyse coûts-avantages à faire ici.
Lorsqu'on parle d'analyse coûts-avantages, il faut bien différencier les sanctions dont il s'agit. Pour les sanctions générales contre la Russie, par exemple, l'analyse coûts-avantages... Là encore, il faut préciser l'objectif. Si l'objectif est de faire cesser la guerre, ces sanctions ne seront pas efficaces.
Prenons plus précisément les sanctions ciblées, celles qui visent les oligarques russes, par exemple. L'objectif est d'essayer d'exercer une certaine pression sur la politique russe.
Lorsqu'on parle d'analyse coûts-avantages, je pense qu'il s'agit surtout de vérifier si les règles de procédure et les droits de la personne sont respectés. Visons-nous la bonne personne? Sur quelles preuves s'appuie‑t‑on? Est‑il légitime de la punir en saisissant ou en gelant ses actifs?
Plus précisément, lorsqu'on suggère d'exproprier les biens d'un individu et de les réattribuer aux victimes en guise de réparation, il y a de grandes questions à se poser pour faire les choses selon les règles. On ne peut rien faire de tel dans un système de justice pénale en l'absence d'un procès, d'une condamnation et du reste. Comment se fait‑il que nous nous affranchissions automatiquement de toutes ces règles et que nous expropriions les biens d'une personne sans lui fournir d'informations...
Tout d'abord, permettez-moi de vous dire à quel point je suis honorée de me joindre à ce très important comité. C'est pour moi un grand plaisir d'être ici, en compagnie de collègues aussi intéressés par les affaires internationales.
En ce qui concerne les sanctions, un thème revient souvent dans les témoignages: on a besoin de davantage de directives et de transparence pour guider les entreprises et les aider à bien naviguer dans le régime de sanctions. Évidemment, il n'est pas question d'agrandir la taille de l'État, puisque nous sommes en période de restrictions budgétaires. Il nous faut donc être créatifs.
Le Canada n'est pas seul. En effet, il impose des sanctions avec des alliés. Pouvez-vous penser à une façon coordonnée d'aborder les sanctions? Par exemple, nous pourrions explorer la mutualisation de nos ressources afin d'imposer des sanctions coordonnées, ce qui faciliterait leur application, ou encore avoir des ententes multilatérales.
Je vais vous poser tout de suite ma deuxième question. Étant donné que ces sanctions touchent beaucoup le secteur financier, est-ce possible d'avoir une collaboration entre des experts de ce secteur et le gouvernement? Est-il possible aussi d'approcher les réseaux regroupant des professionnels comme les comptables, les avocats et les banquiers, et de mutualiser nos ressources? Ce n'est pas vrai que nous allons créer 1 000 nouveaux postes pour offrir tout ce que les gens demandent. Nous ne pouvons pas nous le permettre, car nous devons être prudents sur le plan fiscal.
J'aimerais entendre les réponses de M. Martin, puis celles de Mme Charron et de Mme Marineau.
Je pense qu'il y a manifestement un avantage à la coordination. Je pense qu'il y a une bonne dose de coordination maintenant, mais pour revenir aux arguments de Mme Charron sur la transparence et la reddition de comptes, il est assez difficile de coordonner tout cela.
Regardez l'exemple des États-Unis. On voit que le bureau du contrôle des avoirs étrangers des États-Unis — l’OFAC, Office of Foreign Assets Control — produit des rapports et un grand nombre d'informations. Ces informations peuvent se chevaucher et il se peut qu'elles concernent une personne désignée à la fois par la loi américaine sur les sanctions et par le Canada, mais le Canada doit faire son propre rapport.
À mon avis, cette personne mérite de savoir sur quels éléments de preuve le Canada se fonde et pour quels motifs il la désigne. C'est un peu plus difficile à coordonner. Il se peut qu'il y ait un partage d'informations entre le Royaume-Uni, les États-Unis et le Canada, par exemple, mais au bout du compte, c'est toujours le Canada qui doit produire ses propres informations et ses propres rapports.
Serait-il possible que Mme Charron, Mme Marineau et M. Martin nous fassent parvenir une réponse écrite? Leurs idées là-dessus m'intéressent grandement.
M. Chong a proposé d'avoir une série de questions supplémentaire, car tous vos témoignages nous sont très utiles. Si les trois témoins sont d'accord, nous aimerions prendre 10 minutes de plus pour une autre série de questions.
Cela vous convient‑il? Oui. C'est parfait.
Nous entendrons d'abord M. Chong. Il a quatre minutes.
J'aimerais poser une question sur un enjeu qui est apparu de temps à autre au cours des huit dernières années et qui concerne l'application des sanctions. Plus précisément, il s'agit de la lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes.
Comme vous le savez, l'année dernière, de nouvelles règles ont été mises en œuvre par les barreaux du Canada qui, selon de nombreuses personnes, donnent encore au système d'autoréglementation trop de moyens d'éviter les règles contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement d’activités terroristes. Selon les critiques, ce système d'autoréglementation des barreaux pour les règles contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement d’activités terroristes n'est rien d'autre qu'un écran de fumée pour éviter la surveillance fédérale.
Récemment, plusieurs rapports ont mis en évidence le problème que pose ce système d'autoréglementation. Le Groupe d'action financière a déclaré que le fait d'exempter les avocats de la surveillance fédérale en matière de règles contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement d’activités terroristes constituait une lacune considérable, notamment en ce qui concerne le recyclage des produits de la criminalité et l'immobilier. La Commission Cullen est parvenue à une conclusion similaire en Colombie-Britannique. De même, un rapport distinct commandé par le gouvernement de cette province et rédigé par l'ancien sous-commissaire de la GRC a conclu que les avocats sont le « trou noir » de l'immobilier et du recyclage des produits de la criminalité en général.
Au Royaume-Uni, les avocats sont supervisés par la Financial Conduct Authority, une agence du gouvernement britannique, dans le cadre des règles liées à la lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes.
Voici donc ma question. Pensez-vous qu'il est temps d'adopter une loi fédérale conforme à la décision rendue en 2015 par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Canada c. Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, afin que nous puissions revenir au système antérieur à 2015, dans lequel les autorités fédérales supervisaient les avocats lorsqu'il s'agissait des règles liées à la lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes?
Je pense que cela dépasse mes compétences, car je n'ai pas fait beaucoup de recherches dans ce domaine.
À titre d'avocat canadien, je dois dire que ma réaction intuitive est de résister à la surveillance fédérale, mais je n'ai pas d'opinion d'expert sur cette question. Je suis désolé.
J'aimerais simplement ajouter que nous parlons également de compétences et de règlements provinciaux. C'est la beauté du système fédéré canadien. Il faudra tenir compte de plusieurs ordres de compétences.
Afin d'apporter quelques éclaircissements et peut-être un peu plus de contexte, jusqu'en 2015, la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, adoptée en 2000, guidait les avocats au sujet des règles liées à la lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. La Cour suprême a annulé une partie de la Loi parce qu'elle constituait une fouille et une saisie abusives des avocats.
Dans sa décision, la Cour a également ouvert la voie au gouvernement fédéral pour qu'il adopte une nouvelle loi permettant une surveillance fédérale continue. Aucune loi en ce sens n'a été adoptée au cours des huit dernières années, si bien que les barreaux ont entrepris de mettre en œuvre eux-mêmes des règles en matière d'autoréglementation.
De nombreuses critiques ont déclaré que ces règles étaient extrêmement faciles à contourner. Cela explique en grande partie pourquoi le taux de contournement des sanctions est si élevé au Canada.
J'aimerais m'adresser à M. Martin, car j'ai trouvé son témoignage tout à fait fascinant.
J'utiliserai la première partie du temps qui m'est imparti, c'est‑à‑dire environ deux minutes, sur la question de la légalité. Je n'aborderai pas la question de la saisie et de la réaffectation, car cela donnera lieu à une énorme bataille juridique à un moment donné. Mais en général, en ce qui concerne les sanctions et leur légalité, il semble que tout soit légal jusqu'à ce que quelqu'un dise que ce n'est pas le cas.
Qui mettrait cela à l'épreuve? Est‑ce que cela se passerait devant un tribunal national ou devant les tribunaux internationaux? Lorsque vous dites que c'est illégal, quelle loi invoquez-vous? Est‑ce en vertu du droit international ou du droit national? Cela a‑t‑il été démontré?
J'ai besoin de votre aide, car je n'avais jamais vraiment entendu parler des notions que vous avez soulevées.
Je dois dire qu'il est très difficile de répondre à cette question de façon approfondie en deux minutes, et je recommande donc la lecture du rapport que j'ai rédigé.
Cependant, vous avez raison. La question de savoir si cela serait illégal en vertu du droit international ou du droit national dépend de la sanction et du contexte.
Je peux toutefois vous dire que dans une affaire très célèbre de l'Union européenne, c'est‑à‑dire l'affaire Kadi, la Cour européenne de justice a conclu que les sanctions de l'ONU, lorsqu'elles étaient appliquées par l'Union européenne, représentaient une violation de la Convention européenne des droits de l'homme et elles ont donc été annulées, ce qui est extraordinaire, puisque les sanctions de l'ONU profitent de l'appui de l'article 25 et de l'article 103 de la Charte des Nations unies. Ces articles ont tendance à l'emporter sur les obligations en vertu de traités. Néanmoins, ces sanctions ont été jugées contraires aux lois en matière de droits de la personne précisément parce que l'individu n'avait pas été avisé, qu'il n'avait pas reçu les preuves sur lesquelles les sanctions étaient fondées et qu'il n'avait pas eu la possibilité d'être entendu, de présenter des observations, de mettre les conclusions à l'épreuve et de faire rayer son nom de la liste.
Si c'était un individu qui avait fait la demande...
Je vais lire le rapport que vous avez rédigé. Je vous remercie et je vais également le recommander à nos analystes.
Dans ces témoignages, je ne comprends pas très bien la différence entre ce que j'appellerai « l'application » et la « conformité ». Il me semble que nous confondons sans cesse ces deux notions. La conformité concerne les entreprises, les institutions financières, les organismes et les organisations qui se conforment à l'interdiction de traiter avec des personnes et des entités visées par des sanctions. L'application concerne notre gouvernement et sa capacité, par l'entremise de l'Agence des services frontaliers du Canada et d'autres organismes, de faire respecter cette interdiction. Il me semble qu'il est nécessaire d'agir différemment dans chaque cas. Les renseignements publics ne sont pas aussi nécessaires pour l'application que pour la conformité, car les entreprises ont besoin de ces renseignements.
Je voulais simplement vous donner l'occasion d'approfondir cette question, car je pense que notre comité ne sait pas très bien faire la distinction entre les deux. Mme Charron pourrait peut-être répondre en premier. Ensuite, tout autre témoin qui le souhaite pourrait répondre à la question.
Je pense que vous avez raison. Je crois que je tentais de répondre au fait que... Je ne veux pas donner l'impression que des sanctions sont en place et que tout le monde attend ensuite que la GRC et l'ASFC interviennent et prennent les mesures nécessaires. Non, nous avons tous des obligations et vous avez raison, la notion de conformité est probablement plus appropriée dans ce cas‑ci.
Je suis d'accord. Je pense qu'il s'agit d'une distinction extrêmement importante, car je crois que trop souvent, on met beaucoup trop l'accent sur l'application de la loi et sur les éléments nécessaires pour intenter des poursuites, alors qu'il faudrait plutôt se concentrer sur la conformité. En effet, il y a parfois un excès de conformité. Lors de notre témoignage au Sénat, certains avocats de personnes visées par des sanctions affirmaient qu'il y a souvent excès de conformité, ce qui crée une sorte d'effet paralysant. C'est un autre élément qu'il faut prendre en considération.
Lundi, nous discutions du fait que le gouvernement a tendance à sous-traiter son régime de sanctions au secteur bancaire et au secteur privé, sans donner d'indications quant aux attentes, ce qui explique possiblement une efficacité variable quant à l'application de ces sanctions.
Je reviens à vous, madame Marineau. Je ne croyais pas que j'aurais d'autre temps de parole, alors j'en suis très heureux.
Dans le journal français Marianne, en février 2022, vous émettiez l'opinion que les sanctions n'arrêtent pas la guerre. Peut-être n'arrêtent-elles pas la guerre, mais il faut s'assurer, à tout le moins, qu'elles auront un impact sur les pays sanctionnés.
Alors, je reviens à la réponse que vous m'avez donnée précédemment, qui était fort intéressante. Vous avez vous-même admis qu'il y avait de ces chevaliers noirs qui n'allaient pas se conformer au régime de sanctions, malgré tous les incitatifs que la communauté internationale pourrait déployer.
J'en reviens donc à ma question de base: comment faire pour contourner l'action de ces chevaliers noirs, qui nuisent à l'efficacité des sanctions?
La meilleure manière de le faire, comme je le disais tantôt, c'est en essayant d'avoir le plus de partenaires possible qui appliqueront le même régime de sanctions, ou en essayant d'influencer ceux qui n'appliquent pas les sanctions pour que, à tout le moins, ils ne participent pas à l'effort de guerre du pays sanctionné.
Dans le cas de la Russie, comme je le disais, la Chine marche présentement sur une ligne très fine de neutralité. Elle ne participe pas à l'effort de guerre directement. Elle ne vend pas d'armes. Elle ne vend pas non plus de pièces nécessaires à la réparation ou à la production de chars d'assaut ou d'avions de guerre. Par contre, elle aide la Russie en signant des accords économiques. La Russie a dû remplacer le marché européen et, depuis, la Chine est son premier partenaire économique.
Il n'y a donc pas de bonne réponse pour contourner les chevaliers noirs. Plus il y aura de pays qui appliqueront le même régime de sanctions, plus les sanctions seront efficaces et plus elles auront d'impact. Les sanctions n'arrêtent pas les guerres. Par contre, elles ont des effets, et il est important d'avoir des moyens en place pour mesurer ces effets.
Je sais que vous avez dit qu'il est très difficile pour vous de répondre aux questions dans le délai très court que nous vous accordons, et c'est pourquoi nous vous serions reconnaissants de tout ce que vous pourriez envoyer à nos analystes, car vos commentaires sur la légalité du régime de sanctions que nous mettons en place, et qui a été proposé, sont très importants.
Les membres de notre comité sont allés à Bruxelles l'an dernier, et l'Union européenne a examiné de très près ce que faisait le Canada en ce qui concerne les frais et la réaffectation. J'aimerais simplement savoir sur quel sujet nous devrions maintenant nous pencher. Quels sont les autres éléments que notre comité doit examiner pour déterminer la légalité de ces mesures? Comment pouvons-nous effectuer ce travail? Comment pouvons-nous nous assurer que c'est possible? Est‑ce même possible, selon vous?
Pour répondre rapidement à la dernière question, oui, je crois que c'est possible. Je pense que, d'une part, le Comité pourrait faire appel à un plus grand nombre d'experts en droit international parce que le droit international est concerné dans ce cas et d'autre part, le droit national est aussi concerné. Je pense réellement que les Canadiens désignés sur cette liste ont des problèmes liés aux droits de la personne qui relèvent du droit national. Je pense qu'il est important que des experts juridiques vous conseillent sur les différents éléments… De nombreuses variables et de nombreux régimes juridiques différents sont en jeu, qu'il s'agisse des droits de la personne ou des droits en matière de non-intervention. Ce sont différents éléments du droit international qui, je pense, doivent tous être pris en considération.
Comme je l'ai dit dans ma déclaration préliminaire, j'aimerais simplement que le gouvernement canadien soit plus attentif et mieux informé au sujet de ces principes internationaux lorsqu'il élabore son régime de sanctions. Je ne veux pas dire que les régimes de sanctions seront nécessairement illégaux, mais ils doivent être fondés sur une compréhension des obligations juridiques internationales du Canada.
Pour revenir très rapidement sur l'intervention de M. Oliphant, ce n'est pas nécessairement parce qu'il y a violation du droit international ou une telle perception que le Canada fera l'objet de sanctions ou de poursuites judiciaires, mais la perception de l'illégalité est extrêmement importante, puisque le Canada se pose en champion de la primauté du droit international. Il est donc très important, à mon avis, de savoir si le Canada est perçu comme allant à l'encontre des principes mêmes qu'il tente d'appliquer ou s'il est vulnérable aux accusations d'hypocrisie, et c'est la raison pour laquelle je pense qu'il est essentiel de tenir compte des principes juridiques internationaux.
Permettez-moi maintenant de remercier nos témoins. Leurs témoignages ont été extrêmement utiles et nous leur en sommes très reconnaissants.
Je dois également leur présenter nos excuses pour avoir commencé la réunion en retard, mais encore une fois, dès que ce rapport sera rédigé, nous leur en ferons certainement parvenir un exemplaire.
Chers collègues, nous allons maintenant passer aux travaux du Comité. Personne n'assiste à la réunion en ligne et nous n'avons donc aucun délai, n'est‑ce pas?