:
Madame la greffière, si nous sommes prêts et que nous avons le quorum, je déclare la séance ouverte.
[Français]
Chers collègues, nous tenons aujourd'hui la cinquième réunion du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international.
Conformément à la motion adoptée le 31 janvier 2022, le Comité se réunit dans le cadre de son étude sur la situation à la frontière russo-ukrainienne et ses répercussions sur la paix et la sécurité.
[Traduction]
Pour assurer le bon déroulement de la séance, j'aimerais présenter quelques règles à suivre.
Tout d'abord, veuillez noter qu'il est interdit de faire des captures d'écran ou de prendre des photos de votre écran.
[Français]
Les députés et les témoins peuvent s'exprimer dans la langue officielle de leur choix. Les services d'interprétation sont disponibles pour cette réunion. Vous pouvez choisir entre le parquet, l'anglais et le français au bas de votre écran. Si l'interprétation ne fonctionne pas, veuillez m'en informer immédiatement.
[Traduction]
Les membres du Comité qui sont sur place sont priés de respecter les lignes directrices du Bureau de régie interne sur l'utilisation du masque et les protocoles de santé en vigueur. En ma qualité de président, je veillerai au respect de ces mesures pendant la réunion et je vous remercie à l'avance de votre coopération.
Avant de prendre la parole, veuillez attendre que je vous nomme. Lorsque vous parlez, exprimez-vous lentement et clairement, et lorsque vous ne parlez pas, assurez-vous de mettre votre micro en sourdine. Je rappelle également aux membres et aux témoins que toutes les observations doivent être adressées à la présidence.
Avant de passer à notre premier groupe de témoins, et pour faire suite aux observations de M. Morantz, je veux simplement confirmer rapidement que les membres sont d'accord pour reporter de deux semaines, soit au 25 février, la date limite des propositions de témoins pour les études sur Taïwan et l'équité en matière de vaccins, qui est actuellement vendredi prochain.
Y a‑t‑il consentement unanime des membres à l'égard de ce changement?
Des voix: D'accord.
Le président: Est‑ce que quelqu'un s'y oppose?
En l'absence d'opposition, nous avons approuvé ce changement.
J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à nos témoins du premier groupe.
Nous accueillons M. Marcus Kolga, directeur de DisinfoWatch; M. Ihor Michalchyshyn, directeur excutif et directeur général du Congrès des Ukrainien-Canadiens, ainsi que M. William Browder d'Hermitage Capital Management, également chef de Global Magnitsky Justice Campaign.
Vous aurez chacun cinq minutes pour faire votre déclaration préliminaire. Ce qui a bien fonctionné par le passé pour faire respecter cette consigne est que je vous avise, de façon très analogue et au moyen de ce carton jaune, qu'il vous reste 30 secondes pour terminer. Lorsque vous voyez ce carton, vous avez 30 secondes pour conclure votre exposé. Cela s'applique également aux périodes de questions et réponses qui suivront.
Sans plus tarder, j'aimerais inviter M. Kolga à faire sa déclaration préliminaire de cinq minutes.
Monsieur Kolga, nous vous écoutons.
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Merci, monsieur le président et distingués membres du Comité.
J'aimerais vous parler aujourd'hui de la menace posée par les activités d'influence et d'information russes, que l'on appelle de manière générale la guerre cognitive, et de la façon dont le Canada et ses intérêts sont ciblés dans le contexte de la crise en Ukraine.
Monsieur le président, plus tôt cette semaine, une boulangerie torontoise appartenant à une famille de Canadiens d'origine ukrainienne a été vandalisée avec des graffitis qui disaient « F Ukraine and Canada » et « Russia is power ».
La police mène actuellement une enquête sur ce qui semble être un crime haineux, mais les messages peints sur les murs de la Future Bakery sont cohérents avec les discours anti-ukrainiens véhiculés par les médias d'État russes.
Des attaques reflètent la guerre cognitive menée par le Kremlin contre l'Ukraine et, de façon plus générale, contre la communauté des démocraties occidentales. Au cours des six derniers mois, l'escalade des tensions entre le gouvernement russe et l'Ukraine et l'OTAN s'est accompagnée d'une intensification de la guerre de l'information menée par les médias d'État russes et par les partisans et les agents du Kremlin ici au Canada.
Les mêmes faux discours véhiculés par la Russie lors de l'invasion de la Crimée et de l'est de l'Ukraine en 2014 ont refait surface dans le but d'affaiblir le soutien du Canada et des alliés envers l'Ukraine.
Un de ces messages empoisonnés est que la politique étrangère du Canada est contrôlée par des groupes de la diaspora ukrainienne, de l'Europe centrale et de l'Est. Des extrémistes ont utilisé dans le passé des théories du complot de ce genre pour marginaliser et réduire au silence d'autres groupes minoritaires. Ces discours complotistes menacent de délégitimer le statut des Canadiens d'origine ukrainienne, de les reléguer à un statut inférieur, d'en faire des citoyens dont la voix n'est pas considérée comme égale à celle des autres Canadiens. Museler la voix de cette communauté dans le discours public canadien est précisément ce que recherche Vladimir Poutine.
Bill Browder, que vous entendrez dans un instant, est constamment visé par la désinformation de l'État russe. Un récent reportage de la télévision russe a laissé entendre qu'il était le cerveau derrière le récent soulèvement au Kazakhstan. Pendant qu'il militait en faveur de la loi canadienne Magnitski sur les droits de la personne en 2016, les médias d'État russes ont accusé M. Browder d'être un agent de la CIA dans un documentaire pervers visant à le discréditer, lui et d'autres militants russes anticorruption comme Alexei Navalny. Discréditer les critiques par le dénigrement et les faussetés est une tactique de l'ère soviétique que Vladimir Poutine a fait renaître.
Pendant la guerre froide, les autorités soviétiques qualifiaient sans discernement de fascistes et de sympathisants nazis ceux qui résistaient à la répression et à l'occupation soviétiques, une tactique reprise par le Kremlin pour discréditer les partisans de la démocratie ukrainienne au sein de la communauté ukrainienne au Canada.
La semaine dernière, un député canadien a publié un gazouillis reprenant l'affirmation qu'un prêt de 120 millions de dollars à l'Ukraine récemment annoncé par le Canada profiterait à un gouvernement dirigé par une « milice néo-nazie ». C'est de la désinformation. Le gouvernement de l'Ukraine est, bien sûr, démocratiquement élu et son président est membre de la communauté juive ukrainienne.
Il convient de noter que le gouvernement russe a directement financé des partis extrémistes tels que le Front national en France, la Ligue en Italie, Jobbik en Hongrie, des groupes en Autriche, et d'autres groupes.
Dans un contexte géopolitique élargi, les discours de l'État russe tentent de miner la confiance des Canadiens dans l'OTAN et, par le fait même, d'affaiblir la cohésion au sein de l'alliance transatlantique. Ces discours incluent notamment de fausses allégations sur un engagement de l'OTAN à rejeter les demandes d'adhésion des pays d'Europe de l'Est et d'Europe centrale dans les années 1990. Ceci a été démenti par Mikhaïl Gorbatchev, mais c'est le prétexte utilisé par Vladimir Poutine pour justifier l'escalade actuelle des opérations contre l'Ukraine.
La désinformation du gouvernement russe est souvent diffusée par ses canaux médiatiques dans les systèmes de télévision par câble et par satellite appartenant à des intérêts canadiens et contrôlés par ces derniers. Selon un rapport de 2017, Russia Today, connu sous le nom de RT, paie les câblodistributeurs canadiens pour l'inclure dans leurs forfaits de câblodistribution, ce qui permet de transmettre la désinformation russe à sept millions de foyers canadiens.
Pendant la pandémie de COVID‑19, RT et des agents liés au Kremlin et actifs dans l'écosystème de désinformation de la Russie ont diffusé des discours visant à ébranler la confiance à l'égard des vaccins occidentaux. Ils présentent les manifestations contre les protocoles gouvernementaux de lutte contre la COVID‑19 comme des actes louables de désobéissance civile. En fait, même l'ambassade de Russie au Canada a directement encouragé l'hésitation à l'égard des vaccins occidentaux sur son site Web.
Permettez-moi d'être très clair. La guerre cognitive du Kremlin ne partage aucune idéologie avec un parti ou un mouvement politique canadien. Elle les exploite. La pandémie a donné l'occasion au gouvernement russe de manipuler les sociétés occidentales et leurs tensions internes par l'entremise de théories du complot et de discours antigouvernementaux.
Les manifestations à Ottawa ne font pas exception. Elles sont aussi ciblées par les médias d'État russes et leurs agents. Les préoccupations et les émotions des Canadiens qui se sentent réellement marginalisés par les mandats de lutte contre la COVID‑19 sont exploitées de façon à accroître leur méfiance à l'égard de nos gouvernements, des médias et des autres Canadiens.
Un rapport publié par Facebook en 2021 indique que la Russie est le plus grand producteur de désinformation sur sa plateforme. Nous pouvons prendre certaines mesures pour appuyer la souveraineté de l'Ukraine tout en protégeant notre démocratie. Nous pouvons notamment cibler la richesse de Vladimir Poutine et le soutien de l'oligarchie corrompue, et saisir les actifs de Poutine à l'étranger, y compris les centaines de millions de dollars cachés ici même au Canada.
En outre, un groupe de travail devrait être formé afin d'élaborer une stratégie nationale de défense cognitive pour aider les Canadiens à comprendre et à reconnaître les menaces associées aux activités d'influence et d'information étrangères et fournir des ressources pour protéger notre démocratie.
Merci beaucoup. Je répondrai avec plaisir à vos questions.
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Je vous remercie de m'avoir invité à venir ici aujourd'hui.
Comme les membres du Comité le savent, le Congrès des Ukrainien-Canadiens est la fédération des organisations ukrainiennes canadiennes ici au Canada. Nous parlons au nom d'une communauté qui compte 1,4 million de personnes. Nous attendons avec impatience les résultats du recensement et nous espérons que ce nombre sera encore plus élevé.
Je suis ici aujourd'hui pour vous parler de la crise de la sécurité en Ukraine et en Russie.
Comme vous le savez, en février 2014, la Russie a envahi l'Ukraine et occupe depuis ce temps la Crimée et certaines parties des oblasts ukrainiens orientaux de Donetsk et de Louhansk; elle a aussi continué à alimenter une guerre dans l'est de l'Ukraine, où plus de 13 000 personnes ont été tuées, 30 000 personnes ont été blessées et 1,5 million de personnes ont été déplacées à l'intérieur du pays.
En novembre 2021, la Russie a recommencé à intensifier ses mouvements de troupes près des frontières de l'Ukraine. Une série de discussions diplomatiques tenue entre les États‑Unis, l'OTAN, les États membres de l'UE, l'Ukraine et la Russie n'a abouti à aucun résultat concret ou engagement russe à désamorcer l'agression contre l'Ukraine.
Le Congrès des Ukrainien-Canadiens et notre communauté croient fermement qu'il est temps que le Canada en fasse davantage pour dissuader l'invasion russe plutôt que d'attendre qu'elle se produise. Nous croyons que la façon la plus efficace d'empêcher une nouvelle invasion russe est de prendre des mesures proactives plutôt que réactives. Nous saluons la prolongation et l'élargissement de l'opération Unifier, la mission de formation militaire du Canada en Ukraine, annoncée par le gouvernement le 26 janvier.
À long terme, la prolongation et l'élargissement de cette mission renforceront considérablement les défenses de l'Ukraine. Cependant, la menace d'une invasion russe augmente chaque jour, et les forces armées ukrainiennes ont encore plus besoin de notre aide aujourd'hui. Plus d'une douzaine de pays, y compris des alliés du Canada au sein de l'OTAN, fournissent des armes défensives aux forces armées ukrainiennes en réponse à la récente escalade de l'agression et des menaces de la Russie contre l'Ukraine.
La menace d'invasion est grave et la Russie est prête à envahir à tout moment. Les Ukrainiens ne demandent à personne de se battre pour eux, mais ils ont besoin de notre aide pour défendre leur pays contre la puissance coloniale qui souhaite rétablir sa domination. Nous savons que le gouvernement de l'Ukraine a demandé l'aide du gouvernement du Canada pour obtenir des armes défensives.
Deuxièmement, nous croyons que des sanctions priveront l'État russe de revenus nécessaires pour mener une guerre et qu'elles renforceront le message que l'Occident est déterminé à lutter contre l'agression russe. Le Congrès exhorte le Comité des affaires étrangères à appuyer la livraison d'armes défensives supplémentaires et l'adoption de sanctions plus sévères contre la Russie et ses dirigeants.
Nous avons mené un sondage d'opinion les 20 et 21 janvier, et nous l'avons communiqué aux députés. Les résultats montrent que trois Canadiens sur quatre appuient ou sont disposés à appuyer la fourniture d'armes défensives par le Canada à l'Ukraine. Le nombre de Canadiens, soit 42 %, qui appuient explicitement la fourniture d'armes est presque deux fois plus élevé que le nombre de Canadiens qui s'y opposent, soit 23 %.
La fin de semaine dernière, vous avez pu voir des Canadiens d'origine ukrainienne d'une trentaine de collectivités des 10 provinces se réunir pour exprimer leur appui à l'Ukraine et à la fourniture d'armes défensives par le Canada. De St. John's à Victoria, les Canadiens ont fortement appuyé cette campagne, et nous ne comprenons pas pourquoi le gouvernement canadien continue de refuser de se joindre à ses alliés de l'OTAN dans cette importante initiative visant à soutenir l'indépendance de l'Ukraine.
Une enquête publiée le 9 février par le Conseil européen pour les relations internationales a également révélé que les citoyens européens considèrent que l'OTAN est l'organisation la mieux placée pour défendre l'Ukraine. Parmi les répondants, 62 % ont déclaré que l'OTAN devrait venir en aide à l'Ukraine si la Russie envahissait le pays.
En résumé, et je sais que notre prochain intervenant vous parlera davantage des sanctions, nous croyons que des sanctions plus sévères contre la Russie auront deux résultats. Elles priveront l'État russe de revenus pour poursuivre la guerre, et elles renforceront le message selon lequel l'Occident est résolu à répondre à l'agression russe. Les sanctions personnelles doivent être élargies aux responsables des violations flagrantes des droits de la personne commises contre des citoyens ukrainiens, et le Canada devrait cibler les oligarques proches du régime russe, de riches gens d'affaires qui soutiennent le régime Poutine et qui détiennent d'importants actifs en Occident.
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Merci beaucoup de me donner l'occasion de témoigner cet après-midi au sujet de la terrible situation en Ukraine.
Je suis ici pour vous parler plus précisément des sanctions.
Comme certains d'entre vous le savent, c'est moi qui suis à l'origine de la loi Magnitski. Sergueï Magnitsky était mon avocat en Russie. Il a été assassiné le 16 novembre 2009. Après son assassinat, j'ai cherché un moyen de demander justice en son nom. L'idée est née parce qu'il n'y avait aucun autre moyen d'obtenir réparation. Nous avons pensé à geler les avoirs et à interdire les déplacements des responsables de son meurtre.
J'ai d'abord présenté cette idée aux États-Unis et, de façon vraiment bipartisane, la loi Magnitski a été adoptée en 2012 par 92 voix contre 4 au Sénat et 89 % à la Chambre des représentants. Elle est entrée en vigueur le 14 décembre 2012.
L'adoption de cette loi a rendu Vladimir Poutine furieux et, en guise de représailles, il a interdit l'adoption d'orphelins russes par des familles américaines. Par la suite, il a traduit Sergueï Magnitsky en justice dans le cadre du premier procès de l'histoire de la Russie contre un homme mort, et il m'a poursuivi en tant que coaccusé de Sergueï Magnitsky. Nous avons tous deux été reconnus coupables.
Ils ne pouvaient rien faire de plus contre Sergueï, mais ils m'ont condamné à neuf ans d'emprisonnement in absentia et ils me pourchassent dans le monde depuis ce temps. Ils ont lancé huit mandats d'arrestation Interpol contre moi, et ils ont demandé mon extradition à maintes reprises au gouvernement britannique. Ils ont proféré des menaces de mort, etc. Me poursuivre est devenu un travail à temps plein pour plusieurs membres du gouvernement russe.
Nous savons donc qu'avec la loi Magnitski, nous avons touché une corde sensible. Nous savons que nous avons trouvé quelque chose qui dérange vraiment. En fait, c'est probablement la corde la plus sensible qui soit puisque Poutine a déclaré que sa principale priorité en matière de politique étrangère était de faire révoquer la loi Magnitski et d'empêcher son adoption par d'autres pays.
Pourquoi cette loi dérange‑t‑elle Poutine à ce point? Elle le dérange parce que c'est un kleptocrate qui a volé énormément d'argent au peuple, à l'État et aux oligarques russes. Je dirais que sa fortune est d'environ 200 milliards de dollars, mais pas un sou de cet argent n'est à son nom. Les fonds sont au nom des gens en qui il a confiance et que je qualifie d'« oligarques fiduciaires ».
Au moment où nous examinons la situation en Ukraine, les discussions sont nombreuses et on se demande ce que l'on peut faire pour empêcher Vladimir Poutine d'envahir l'Ukraine. La seule chose que je peux dire, c'est qu'il faut trouver quelque chose qui lui tient à cœur, et nous savons ce que c'est. Il tient à son argent, et il tient à l'argent qu'il possède par l'entremise de ces fiduciaires.
Sur le plan des politiques, la seule politique que je recommande — je le recommande ici en ce moment même, et je l'ai recommandé au Royaume-Uni et aux États-Unis — en plus de toutes les autres stratégies militaires, etc., est de s'attaquer aux personnes qui détiennent son argent pour lui. J'ai été entendu au Royaume-Uni et aux États-Unis, ces deux pays ayant déclaré au cours des 10 derniers jours qu'ils sanctionneraient les oligarques qui gèrent l'argent de Poutine.
C'est très intéressant, car dimanche dernier, la secrétaire britannique aux Affaires étrangères, Liz Truss, a fait une déclaration, et peu de temps après, Vladimir Poutine est sorti de son mutisme pour parler publiquement pour la première fois de la situation en Ukraine. Il n'avait pratiquement pas été vu pendant le mois précédent et n'avait pas dit un mot sur l'Ukraine. Il est finalement apparu parce que nous avons enfin touché son talon d'Achille.
Au moment où nous tentons d'établir comment répondre, je recommande de dresser une liste des 50 plus grands oligarques qui s'occupent de l'argent de Poutine. Il n'y a aucun mystère quant à leur identité — plusieurs personnes, notamment Alexei Navalny, le chef de l'opposition actuellement emprisonné, et bien d'autres ont dressé cette liste — et nous imposons des sanctions Magnitski à ces oligarques.
Nous commençons par viser cinq de ces personnes avant qu'une invasion ne se produise pour montrer à Poutine que nous sommes sérieux. Nous l'informons ensuite que si ses troupes n'ont pas quitté la frontière dans les 10 jours qui suivent, 5 autres personnes feront l'objet de sanctions. Si l'invasion se produit, nous viserons les 40 autres. Je crois que cela arrêterait Poutine et qu'il n'envahirait pas l'Ukraine.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins d'être des nôtres aujourd'hui.
Je vais poursuivre sur la question qui vient d'être posée par Mme Bendayan.
Monsieur Kolga, je dois vous dire que je suis d'accord sur le fait que la Russie mène des opérations de désinformation partout au monde, particulièrement dans les pays occidentaux. Cela me semble indéniable. L'Allemagne a interdit la diffusion de la station à laquelle vous faisiez référence il y a quelques instants.
J'avoue avoir été à tout le moins étonné de vous entendre supposer que l'occupation du centre-ville d'Ottawa pouvait être le fait de la Russie. La dernière fois que j'ai entendu une affirmation aussi spectaculaire, c'est lorsque le Comité a fait l'objet d'une farce de la part d'un personnificateur qui se faisait passer pour Leonid Volkov, le chef de cabinet de la campagne d'Alexeï Navalny. D'ailleurs, M. Volkov avait dressé une liste de gens à qui nous devrions imposer des sanctions en vertu de la loi Magnitski. Le personnificateur de M. Volkov avait affirmé que le Kremlin finançait le mouvement souverainiste au Québec. J'en ai été le premier abasourdi, et je l'ai été tout autant lorsque vous avez dit que la Russie était derrière l'occupation du centre-ville d'Ottawa.
Sur quoi vous appuyez-vous pour faire une affirmation aussi inattendue, pour le moins?
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Je vous remercie d'avoir apporté cette précision. Je crois qu'elle était importante, en effet.
J'aimerais maintenant poser une question à M. Michalchyshyn, représentant du Congrès des Ukrainiens canadiens.
Monsieur Michalchyshyn, dans votre présentation, vous semblez accréditer la thèse d'une nouvelle invasion imminente de l'Ukraine par la Russie. Or le ministre des Affaires étrangères de l'Ukraine, M. Kuleba, a demandé de ne pas contribuer à l'escalade et de ne pas entretenir un discours alarmiste sur une invasion imminente, disant que cela nuirait aux intérêts de l'Ukraine et que, ce faisant, nous jouions le jeu de la Russie. De la même façon, la présidence ukrainienne a expliqué qu'il n'y avait pas de raison d'affirmer qu'une attaque de grande envergure était en préparation.
Alors que les autorités ukrainiennes elles-mêmes nous invitent à un discours plus apaisant, pourquoi entretenir cette idée? Cette idée semble s'appuyer sur un certain nombre de faits, mais elle semble également sortir de nulle part, dans la mesure où les troupes russes sont massées aux frontières de l'Ukraine depuis plusieurs mois.
Pourquoi accréditer la thèse d'une nouvelle invasion imminente de l'Ukraine par la Russie?
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J'ai été surpris aussi de voir ce député provincial ontarien sur Russia Today. Je pense que c'est la première fois qu'un élu canadien s'exprime sur un média d'État russe.
Il était très surprenant aussi et décevant que le même député provincial déclare sur Twitter que les médias d'État russes sont plus fiables que les médias canadiens. Tout d'abord, en publiant ce genre de message, il expose directement ses abonnés à la guerre cognitive russe. Il les envoie dans une galaxie où les faits ne comptent plus. Selon moi, ses abonnés ont probablement déjà du mal avec les faits et ce gazouillis n'arrange rien.
Pour tout dire, en 2014, je mettais déjà en garde contre ce problème. Nous avons vu pointer il y a deux ans, au début de la pandémie, les types de discours que nous voyons maintenant à propos des manifestations. Le Service européen pour l'action extérieure nous a prévenus que la Russie exploiterait la COVID et l'utiliserait pour nous diviser et pour polariser les opinions. Nous l'avons vu tout du long et, à présent, nous en voyons les résultats dans une certaine mesure.
Tout cela est en grande partie évolutif. Il y a de réelles frustrations dans la société et c'est ce type de frustrations et d'émotions que le gouvernement russe exploite pour nous diviser davantage encore. Tel est le principal objectif des médias d'État russes, diviser, polariser et saper la démocratie.
Nous pouvons y mettre le holà. Comme je le disais tout à l'heure, il faut créer un groupe de travail qui s'attelle afin à ce problème afin de prendre des sanctions contre les médias d'État russes pour qu'ils ne soient pas autorisés à utiliser nos ondes pour diffuser leurs informations. À l'heure actuelle, RT et les médias d'État russophones sont diffusés sur les réseaux canadiens de câblodistribution, comme les médias d'État chinois.
Nous devrions tous les examiner, les éliminer et limiter leurs occasions d'influer sur le débat politique canadien.
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Le Cabinet fédéral pourrait donner des instructions au CRTC.
Vous savez, il existe, selon moi, des parallèles entre les deux gouvernements autoritaires du monde, la Russie et la Chine. Ce sont des parallèles entre leurs deux radiodiffuseurs d'État, RT et CGTN. Le CRCT a également accordé à CGTN, le radiodiffuseur d'État chinois, un permis de diffusion au Canada. Il y a des preuves que cet organisme diffuse de la propagande de Pékin et qu'il enfreint le droit international en diffusant des confessions forcées, ce qui est contraire au droit international en matière de droits de la personne.
J'ajouterai aussi ceci. En 2017, en réponse à une demande d'information, le CRTC a déclaré qu'il n'avait pas examiné la présence de RT au Canada et qu'il ne l'examinait pas, malgré le fait qu'à l'époque, les services de renseignement américains avaient qualifié RT d'outil de propagande du gouvernement russe et malgré le fait que le président français, Emmanuel Macron, déclarait que RT France propageait de fausses informations.
Par la suite, les services de renseignement américains ont conclu, au printemps 2020, que la Russie s'était ingérée dans l'élection présidentielle américaine de 2016 par différents moyens, en particulier par l'intermédiaire de RT. Ils ont également conclu que la Russie avait porté atteinte à la démocratie canadienne en ciblant des élus canadiens, notamment l'actuelle vice-première ministre, .
Inexplicablement, à mon sens, le Cabinet a autorisé le CRTC, en août 2020, à approuver la diffusion de RT France sur les ondes canadiennes, dans sa décision 2020‑281. Que pensez-vous de cette mesure inexplicable du gouvernement et du fait que le CRTC ait accordé un permis à RT France en août 2020?
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Je commencerai encore une fois par remercier les témoins de leur présence aujourd'hui. Vous nous aidez tous. Je tiens à remercier en particulier le Congrès des Ukrainiens Canadiens. Depuis le début de cette crise, vous êtes persistants, constants, réfléchis et vous collaborez avec le gouvernement. J'ai conscience qu'il s'agit d'une période très difficile pour votre organisation et pour ses membres, et je tiens à vous remercier de continuer de conseiller le gouvernement et de vous montrer disponibles quand nous avons besoin de vous parler.
Je vais d'abord faire deux ou trois observations, puis poser quelques questions. Il est évident qu'en raison de l'importante diaspora ukrainienne au Canada, personne dans cette salle n'est indifférent à ce qui se passe. Nous avons tous des amis. C'est personnel pour nombre d'entre nous et c'est un facteur de motivation. Cependant, si cette crise est prioritaire pour le gouvernement canadien, ce n'est pas seulement pour cela. C'est aussi parce qu'une menace contre l'Ukraine, c'est une menace contre le monde occidental et une menace contre le Canada. Nous continuerons d'y voir une menace contre l'ordre international fondé sur des règles, ainsi qu'une menace contre la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Ukraine. Aucune question de politique étrangère ou de défense n'est plus importante pour le Canada à l'heure actuelle.
C'est une période difficile. J'ai parlé avec Borys Wrzesnewskyj aussi après que la Future Bakerie a été vandalisée. C'était un moment personnel pour beaucoup d'entre nous qui sommes amis avec Borys, mais ce n'était pas tout. Il sera probablement établi, selon moi, que ce qui est arrivé était une expression de haine et aussi probablement le résultat de fausses informations ou de désinformation auxquelles il faut remédier.
Il arrive aussi, toutefois, que des députés se livrent à de la désinformation. Je ne répéterai pas ici les propos de la députée néo-démocrate , mais je pense qu'en tant que Canadiens et en tant que parlementaires, nous avons tous été profondément choqués.
Je demanderai l'avis de M. Kolga à ce sujet, car un de mes amis canadiens d'origine ukrainienne m'a dit que cette déclaration reposait sur de fausses informations russes et pouvait se transformer en désinformation sur la façon dont le Canada s'est engagé à propos du prêt souverain de 120 millions de dollars, et au sujet d'autres engagements, comme l'opération Unifier et bien d'autres choses que nous faisons pour soutenir l'Ukraine.
Puis‑je demander à M. Kolga de nous en dire un peu plus sur la façon dont la Russie a pu promouvoir ce type de désinformation et pourrait l'utiliser par la suite?
:
C'est une bonne question.
Il n'y a probablement pas meilleur moment qu'en ce moment pour Vladimir Poutine en raison des chiffres que vous venez de citer, mais aussi en raison du moment de l'année. Nous sommes en plein hiver et la Russie exporte du gaz vers l'Europe. L'Allemagne importe 40 % de son gaz de Russie, et l'Italie et l'Autriche, 100 % du leur. C'est la période où son influence est maximale, et cela signifie que les Allemands, les Italiens, les Autrichiens et d'autres encore vont tout faire pour se dissocier de l'alliance occidentale et pour ne pas se montrer trop durs avec la Russie.
Quant aux sanctions concernant SWIFT, vous avez raison de dire que la Russie dispose de ces énormes réserves, mais cela ne compte pas vraiment si vous vous trouvez, au fond, coupé du reste du monde financièrement. Vos réserves s'épuiseront très rapidement et la vie ne tardera pas à se compliquer.
Personne ne devrait sous-estimer le poids des sanctions concernant SWIFT, mais personne ne devrait non plus sous-estimer tous les dommages collatéraux qu'elles entraîneront aussi.
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En quelques mots, pour revenir au processus, j'informe les témoins qu'ils ont accès à l'interprétation simultanée en bas de leur écran en cliquant sur l'icône représentant un globe et qu'ils peuvent choisir entre le parquet, le français ou l'anglais.
Vous disposerez chacun de cinq minutes pour présenter des observations préliminaires. Je serai très strict sur le temps, d'autant que nous sommes très serrés cet après-midi.
Quand il vous restera une trentaine de secondes pour vos observations préliminaires, je vous le signalerai en montrant ce carton jaune. Ce sera aussi un guide dans les questions et réponses qui suivront avec les membres du Comité. Gardez l'œil ouvert. C'est une méthode très manuelle, mais elle semble fonctionner assez bien. N'oubliez pas que le temps de parole accordé est très serré.
Je vais présenter nos témoins, puis je laisserai la parole au premier intervenant. Nous avons Anessa Kimball, qui est professeur agrégé en science politique et directrice du Centre sur la sécurité internationale, à l'École supérieure d'études internationales de l'Université Laval. Nous avons Fen Osler Hampson, qui est professeur chancelier à l'Université Carleton et président du World Refugee & Migration Council. Nous avons Olga Oliker, qui est directrice de programme, Europe et Asie centrale, à l'International Crisis Group.
Professeur Kimball, je vous laisse la parole pour vos observations préliminaires. Vous avez cinq minutes. Je vous en prie.
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Je vous remercie de m'accorder le privilège de vous faire part de réflexions sur la situation à la frontière entre la Russie et l'Ukraine. Je parlerai du rôle des organisations internationales, de la nature des engagements des parties intéressées et de la possibilité ou non pour les institutions de rétablir la paix et la stabilité régionales. Je terminerai par quelques recommandations.
Pour ce qui est des organisations internationales, je pense qu'on peut dire que la Russie et la Chine empêcheront le Conseil de sécurité des Nations unies d'agir et qu'il est probable qu'elles s'opposeraient au déploiement de toute sorte de force de maintien de la paix dans la région frontalière. À l'heure actuelle, le président Macron semble être le porte-parole légitime de l'Union européenne, qui a cependant du mal à maintenir une position commune. Vous venez d'entendre un témoignage sur la politique des gazoducs, plus ou moins. Elle crée, en fait, une division entre les États-Unis, d'une part, et l'Allemagne et la France, d'autre part. Elle crée aussi des frictions internes.
En ce qui concerne l'OTAN, la Russie ne veut pas qu'elle intervienne officiellement dans ce qu'elle considère, et c'est typique, comme un problème historique interne. Évidemment, même si les États-Unis préféreraient une participation de l'OTAN pour des raisons stratégiques, la Russie a demandé qu'on se tourne vers l'OSCE.
Quant aux engagements des parties intéressées, il y a à la fois des risques et des facteurs externes, mais aussi des possibilités. En ce qui a trait aux coûts irrécupérables, le Canada a sa mission d'instruction en Ukraine et du personnel de l'Aviation royale canadienne basé en Roumanie. Les troupes alliées se trouvent à l'est, où elles constituent une cible facile, avec des risques d'accidents, de guerres hybrides, y compris de cyberattaques, de guerre de l'information, et ainsi de suite.
L'institution et d'autres acteurs, comme l'OTAN, ont les mains liées en adoptant vis‑à‑vis de l'Ukraine une politique de la porte ouverte. Nous avons en ce moment une crise migratoire doublée d'une crise des droits de la personne. Nous essayons d'empêcher que les frontières soient poreuses, mais l'intégrité territoriale est essentielle d'un point de vue symbolique et fonctionnel, étant donné les multiples risques concomitants.
Parallèlement, l'OTAN s'est engagée à ne pas repositionner de moyens de sa défense stratégique terrestre mobile. Les systèmes Patriot et THADD sont absents, alors que des missiles Iskander russes sont déployés dans la région. Leur utilisation par la Russie serait un pari public pour faire monter les enchères et entraîner une escalade. La Russie préfère des modifications sans violence. Pour elle, la menace d'une incertitude stratégique future perçue aujourd'hui comme étant d'un coût prohibitif peut forcer les acteurs à négocier.
Nous avons un peu parlé de sanctions ciblées. J'y vois surtout une punition à court terme que la Russie peut atténuer en adaptant assez facilement la taille du marché ou les prix. Encore une fois, ce sera le printemps dans quelques mois en Europe, ce qui diminuera le poids de l'énergie dans la balance.
Ce que nous voyons, c'est que la Russie a durci le ton à la frontière ukrainienne en y déployant une partie d'au moins 11 de ses 13 armées. Si elle déplace autant de forces vers l'ouest, c'est qu'elle ne craint pas d'être exposée sur sa façade orientale par rapport à la Chine.
Comment est‑ce possible? La Russie et la Chine ont un pacte de non-agression fonctionnel qui leur permet de scinder l'attention des partenaires occidentaux entre sécuriser la frontière orientale de l'OTAN, ce dans quoi le Canada, les États-Unis et leurs partenaires s'investissent énormément en matière de défense et sur le plan économique et politique, et chercher à empêcher une expansion territoriale chinoise anormale en Asie du Sud-Est.
La domination navale et aérienne est menacée en Asie du Sud-Est. Nous assistons maintenant à de grandes manœuvres militaires et navales sino-russes, ce qui est le signe d'une coopération de défense et de sécurité croissante qui fonctionne. Ensemble, la Chine et la Russie se protègent contre les États-Unis et l'ordre démocratique. Elles ont résolu plusieurs différends territoriaux au cours des 20 dernières années, renforcé leur coopération technique et créé ce qu'elles appellent elles-mêmes un « partenariat d'alliance stratégique », au risque d'une vulnérabilité stratégique bilatérale l'une envers l'autre pour contrer les États-Unis et l'Occident.
La Russie bénéficie des investissements économiques et du capital intellectuel et humain chinois, tandis que les deux pays renforcent de concert leurs secteurs industriels de défense et de sécurité. Chose importante, ils sont en désaccord sur des aspects de l'initiative des nouvelles routes de la soie, mais c'est un facteur clé d'intégration économique et de sécurité pour les deux pays qui a des conséquences pour la défense et la sécurité régionales et mondiales, et le projet a été réalisé en utilisant des moyens de coopération officieux.
À présent, les deux pays ont une résolution à court terme de leur problème d'engagement mutuel. L'engagement de ne pas se combattre et d'éviter d'interférer dans leurs affaires régionales respectives, tout en mettant l'accent sur des programmes de développement économique et de sécurité nationale indépendants mais liés. La Russie estime que la Chine l'aide à éviter son déclin en ne se mêlant pas de ce qui se passe en Europe, tandis que la Chine apprécie la non-intervention tacite de la Russie en Extrême-Orient, toutes deux gagnant à faire la sourde oreille en ce qui concerne les violations des droits des minorités ethniques et religieuses.
Que pourrait faire l'OSCE? C'est actuellement la seule institution dont la Russie fasse partie. Son mandat comprend la prévention des conflits, la gestion de crises frontalières, la reconstruction après les conflits, ainsi que le renforcement de la confiance et de la sécurité, mais il s'agit plus d'un échange. Elle n'a pas vraiment de consistance.
Si nous convenons que la Russie est une puissance révisionniste bien établie aux prises avec un déclin relatif et que l'Ukraine est un pion sur l'échiquier, les accords de Minsk sont insuffisants. La Russie est totalement exclue des accords de Minsk II.
La structure et le processus pourraient être relancés, mais il faut pour cela une redémarcation des zones non militarisées. Les parties doivent s'engager à stabiliser les frontières de l'Ukraine. Ces accords offrent une orientation, mais ne peuvent être mis en oeuvre. Il faut clarifier les obligations et obtenir à la fois des engagements accrus de tierces parties en matière de surveillance et une mise en oeuvre par toutes les parties.
Le Canada pourrait utiliser des accords bilatéraux et des ententes informelles avec l'Ukraine et des partenaires régionaux, et il pourrait collaborer en ce qui concerne la sécurité régionale, la stabilité internationale, les relations entre civils et militaires, la stabilité démocratique, la surveillance du respect des droits de la personne, et des formations accrues dans le cadre d'échanges comme le Programme des futurs leaders dans les Amériques d'Affaires mondiales et d'autres programmes d'instruction militaire.
Par ailleurs, la Pologne et la Turquie joueront de plus en plus un rôle clé dans les relations OTAN-Russie-Europe de court à moyen terme, et le Canada devrait y prêter attention.
Pour conclure, la décision des États-Unis d'envoyer des troupes au Danemark ne réduira pas l'impression qu'a la Russie d'un encerclement dans la région. Les Danois ont toujours refusé d'accueillir sur leur sol des moyens de l'OTAN, car il ne faut pas oublier que parmi les partenaires originaux, Copenhague était la plus proche de Moscou. C'est un changement par rapport à la position qui a été celle du Danemark pendant 70 ans et un signe des sentiments d'insécurité actuels. Je peux parler des Amériques dans les questions.
Mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de votre attention.
J'aimerais vous poser quatre questions.
Le Canada en fait‑il assez pour empêcher une invasion de la Russie en Ukraine? Que doit‑on faire si la dissuasion échoue? Quelles mesures supplémentaires devraient être prises pour renforcer la résilience ukrainienne afin d'atténuer les risques d'effondrement de l'État et de la société à mesure que la crise évolue? Enfin, quel rôle le Canada devrait‑il jouer dans le renforcement du contrôle des armements et la prise de mesures de confiance pour désamorcer la crise et réduire les risques d'affrontement militaire?
Nous sommes dans la phase préliminaire à l'attaque. Le Canada peut‑il en faire plus pour aider l'Ukraine? Certains soutiennent que nous devrions fournir des armes légères et des armes antichars, qui dorment dans des entrepôts et qui étaient initialement destinées aux forces kurdes en Irak. Peut-être.
L'aide en matière de cybersécurité, en coopération avec l'Estonie et l'Union européenne, est une option, mais le temps presse.
Comme vos témoins précédents l'ont souligné, nous devons aussi nous préparer à des cyberattaques et à des campagnes de désinformation dans les médias sociaux qui seront dirigées contre nous.
Que devrions-nous planifier maintenant au cas où la dissuasion échouait et qu'il y avait une incursion de la Russie en Ukraine? Les pays alliés de l'OTAN aux premières lignes demanderont beaucoup plus de soutien et d'aide militaires directs, notamment les pays baltes. Sommes-nous prêts à répondre à ces demandes?
L'Europe, l'OTAN et le Canada devraient être prêts à gérer une crise majeure de réfugiés, dont le nombre pourrait s'élever, dans le pire des cas, à plus de cinq millions de personnes déplacées contre leur gré.
Comment l'OTAN va‑t‑elle répondre aux attaques russes contre les populations civiles ukrainiennes, qui pourraient causer la mort de dizaines de milliers de personnes? Lors de crises précédentes, comme en Bosnie, au Kosovo et en Libye, l'OTAN a eu recours à ses actifs militaires pour imposer des zones d'exclusion aérienne. Ce n'est pas vraiment une option dans le cas qui nous occupe.
Quant aux sanctions économiques, il y a les sanctions financières contre les banques et les institutions financières russes, des interdictions d'exportation de haute technologie et des sanctions globales en matière de commerce et d'investissement, mais j'attire votre attention sur la LRBB, la Loi sur la réaffectation des biens bloqués, un projet de loi actuellement à l'étude au Sénat du Canada. Il s'agit d'une forme de « Magnitski plus ». Ne nous contentons pas de bloquer, saisissons l'argent et les avoirs étrangers de Poutine et de ses hommes de main et réutilisons-les pour aider ses victimes. C'est peut-être une option à envisager s'il attaque l'Ukraine.
Les prix de l'énergie ont monté en flèche. Une invasion russe de l'Ukraine entraînera presque certainement une nouvelle flambée des prix, non seulement en raison de l'annulation du projet Nord Stream 2, mais aussi parce que les principales exportations de gaz russe vers l'Europe transitent actuellement par l'Ukraine.
Les consommateurs canadiens seront aussi touchés alors que le Centre du Canada est lui aussi vulnérable à des perturbations de l'approvisionnement si la gouverneure de l'État du Michigan décidait de fermer la canalisation 5 de l'oléoduc. C'est le scénario d'une tempête parfaite.
Une attaque russe sera extrêmement dommageable à l'économie ukrainienne. Il y aurait probablement une ruée vers l'hryvnia et une crise de la balance des paiements et des finances publiques. L'Ukraine perdrait aussi une importante source de recettes générées par les droits de passage qu'elle perçoit pour le transport du gaz de la Russie vers l'Europe. Ses systèmes de soins de santé et de services sociaux pourraient aussi être surchargés.
S'ils ne l'ont pas fait déjà, le FMI, l'Union européenne, la Banque mondiale et d'autres institutions internationales devront élaborer des plans d'urgence pour aider l'Ukraine à faire face à une grave crise économique. Quelle sera la contribution du Canada dans ce scénario, au‑delà de ce que nous faisons déjà? Quelles solutions d'urgence sont en place en cas d'urgence humanitaire majeure?
Si la Russie renonçait à attaquer, il y aurait probablement une discussion sur une nouvelle architecture de sécurité. Il faudra un engagement ferme en faveur de nouvelles mesures de contrôle des armements et de renforcement de la confiance.
Il faudrait envisager des efforts visant à revitaliser le Conseil OTAN-Russie à titre de principal mécanisme de consultation et de coopération. Le Canada avait joué un rôle important dans la création et le développement du Conseil.
De nombreuses mesures de contrôle des armements et de renforcement de la confiance pour l'Europe sont passées à la trappe. L'initiative Ciel ouvert et le traité FNI devront être rétablis, tout comme d'autres mesures de renforcement de la confiance et de la sécurité qui interdiraient les exercices militaires à proximité des frontières d'un autre pays.
Historiquement, comme vous le savez tous, le Canada a joué un rôle essentiel dans la construction de l'architecture européenne de contrôle des armements et de renforcement de la confiance. Nous devrons de nouveau nous montrer à la hauteur.
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Merci au Comité de m'avoir invitée et merci au président, aux vice-présidents et mesdames et messieurs les députés de leur présence.
Comme je pense que vous l'avez entendu très clairement lors de la séance précédente, une escalade de la guerre est et demeure très possible. Il y a une énorme accumulation de troupes et une grande latitude de la part de Moscou dans le choix du type d'opération qu'elle pourrait mener. À cela s'ajoute une présence navale substantielle dans les théâtres de la mer Noire et de la mer d'Azov, bien que nous ayons entendu dire au cours de la dernière heure que l'exercice de missiles dans la mer d'Azov avait au moins été annulé. Cela ne change rien au fait que, même sans l'exercice de missiles, la Russie a pratiquement encerclé l'Ukraine.
En cas d'escalade de la guerre, la Russie gagnera. Elle dispose de plus d'hommes et de plus d'armes. Elle est plus forte et dispose d'une plus grande capacité d'envoyer plus de matériel. Aucune quantité d'aide létale ou non létale que les amis de l'Ukraine pourraient envoyer ne changera cette équation. Des armes peuvent permettre à l'Ukraine d'infliger plus de dégâts. Des systèmes et des outils pourraient aider davantage d'Ukrainiens à survivre. Ce sont les scénarios disponibles, mais ils n'aboutiront pas à la victoire. Une fois la guerre déclenchée, l'approvisionnement depuis l'étranger va devenir difficile si la Russie continue de bloquer l'accès par les voies navigables et si les vols deviennent dangereux.
Deux options pour empêcher la guerre pourraient fonctionner et ont de fortes chances de fonctionner. La première consiste à se plier aux demandes des Russes. L'autre est que les États membres de l'OTAN, y compris le Canada et les États-Unis, s'engagent à se battre pour l'Ukraine. Ni l'une ni l'autre ne se produira. Dans le premier cas, c'est parce que les demandes de la Russie, en ce qui concerne l'Ukraine et, plus largement, la sécurité européenne, sont inacceptables pour l'OTAN ou l'Ukraine. Quant à la seconde, c'est parce que si la menace d'une guerre plus étendue, avec plus de participants et un risque réel d'escalade, jusqu'au recours à l'arme nucléaire, pourrait bien dissuader Moscou, ces risques sont également si élevés que les États membres de l'OTAN ne veulent pas les prendre.
Au cours des trois derniers mois, nous avons assisté à des efforts de la diplomatie pour trouver une formule qui incite suffisamment Moscou à faire marche arrière sans compromettre la sécurité ou la souveraineté de l'Ukraine occidentale. Il ne s'agit pas que de carottes, bien sûr. Je pense que nous en avons déjà parlé. Il y a cette offre jumelée de pourparlers sur les éléments fondamentaux de la sécurité européenne, dont M. Hampson vient de parler, avec la menace de sanctions substantielles et de renforcements de la présence militaire en Europe, qui ont déjà commencé. C'est la bonne approche, mais elle pourrait ne pas fonctionner, auquel cas l'Ukraine sera la première à en souffrir, mais nous en souffrirons tous aussi, comme M. Hampson vient de le mentionner.
Je tiens à vous expliquer brièvement pourquoi la Russie agit ainsi, bien qu'elle affirme le contraire et dit que le renforcement de sa présence militaire n'est qu'hyperbole de la part de l'Occident. La diplomatie, qui mise sur la sécurité européenne, illustre le fait que le défi en Ukraine s'inscrit dans le cadre plus large du défi de la sécurité européenne, à savoir l'incompatibilité des visions de la sécurité de la Russie, d'une part, et de celle des États occidentaux, d'autre part. Pour la Russie, 30 années d'élargissement et d'engagement de l'OTAN à proximité de ses frontières constituent un effort, souvent couronné de succès, pour limiter les capacités et l'influence de Moscou, et pour la contraindre. Moscou n'a jamais vu l'OTAN ou l'Union européenne comme des acteurs indépendants. Elle les considère comme des filiales des États-Unis.
Dans ce contexte, l'Ukraine représente depuis longtemps une limite infranchissable pour Moscou. Si la guerre de 2014 a été déclenchée au départ par l'association à l'Union européenne, et non par l'élargissement de l'OTAN, et en fait, l'élargissement de l'OTAN à l'Ukraine n'a pas été et n'est toujours pas dans les cartons dans un avenir prévisible, la Russie s'est montrée, depuis, encore plus préoccupée par les liens croissants de l'Ukraine avec l'Alliance, des liens qui, ironiquement, ont évidemment été largement motivés par la guerre.
La Russie avait espéré que le président Volodymyr Zelenskyy, élu en 2019 sur un programme de paix, mette en œuvre les accords de Minsk, c'est‑à‑dire les accords de cessez‑le‑feu signés en 2014 et 2015 pour mettre fin aux pires des combats, comme la Russie souhaite qu'ils soient mis en œuvre de sorte qu'elle puisse asseoir son influence dans l'Est de l'Ukraine et lui procurer ce veto de l'Est sur des mesures de politique étrangère. Cela ne s'est pas produit. M. Zelenskyy se trouve plutôt à peu près dans la même situation que son prédécesseur, avec des combats latents et des négociations au point mort.
La COVID a maintenant entraîné un arrêt presque complet des échanges humains et commerciaux entre les territoires contrôlés par le gouvernement et ceux qui ne le sont pas. La Russie a sans doute pensé que la force, ou sa menace, pourrait obliger Zelenskyy à reculer, ou qu'il pourrait être forcé de quitter son poste et remplacé par quelqu'un de plus acceptable, bien que l'élection d'une personne favorable à la Russie semble peu probable sans une occupation complète.
En principe, un véritable accord sur la sécurité européenne, et même sur l'Ukraine, est dans l'intérêt de tous. Ce serait une bonne chose même sans l'escalade actuelle. Des limites aux déploiements, aux activités et aux exercices et peut-être, oui, même une certaine affirmation du fait que l'Ukraine n'adhérera pas à l'OTAN dans un avenir prévisible pourraient très bien améliorer la situation de tous. Les efforts déployés par l'OTAN et la Russie pour se dissuader mutuellement au cours des huit dernières années ont entraîné une augmentation du nombre d'incidents, tandis que les forces s'exercent et opèrent à proximité les unes des autres.
Un accord visant à mettre fin à la guerre en Ukraine permettrait de sauver des vies et des moyens de subsistance, mais la Russie attend peut-être de voir ce qu'elle peut soutirer. Elle pourrait se montrer avide, en particulier si elle pense qu'elle peut survivre aux sanctions, que l'Ukraine n'opposera pas beaucoup de résistance et que les renforcements de la présence militaire et les sanctions de l'Occident auront lieu de toute façon. Si elle accepte de négocier, il est vital que ces négociations se poursuivent, sinon d'autres crises se répéteront.
Si, au contraire, la guerre s'intensifie, nous verrons davantage de ces renforcements de l'activité militaire. Nous verrons une tension croissante et davantage de crises, chacune d'elles étant plus susceptible de conduire à l'escalade que nous craignons tous. Nous devrions tous nous préparer aussi à une telle éventualité.
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Merci aux témoins. Je pense que nous avons eu trois merveilleux témoignages cet après-midi.
La situation là‑bas est évidemment très complexe et probablement l'une des plus difficiles... C'est une tempête parfaite en soi, dans laquelle tant de facteurs peuvent entrer en jeu.
En filigrane, il y a la sécurité, qu'elle soit énergétique ou territoriale. Il semble que la situation ait dégénéré si rapidement lors de la mise en place de la deuxième ligne de Nord Stream, la Nord Stream 2. Pour une raison quelconque, c'est devenu un problème à tous les niveaux. Les Russes veulent maintenant la sécurité et la protection des frontières. Ils ne veulent pas que l'Ukraine adhère à l'OTAN. De plus, ils veulent diviser le monde occidental et l'OTAN en parlant aux Américains et en ne parlant pas aux Français, ou en ne parlant qu'aux Français.
Le gazoduc Nord Stream 2 est le point névralgique dans cette sombre situation à laquelle nous sommes confrontés. Si le flot s'arrête, ce n'est pas bon pour la Russie, l'Allemagne ou l'Ukraine.
J'aimerais que M. Hampson ou Mme Oliker nous donnent d'autres statistiques à ce sujet. Pourriez-vous tous deux nous faire part de vos commentaires à ce sujet?
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Je n'ai pas de statistiques au bout des doigts. Je pourrais probablement en trouver et vous les fournir.
Voici quelques éléments concernant Nord Stream 2. Il n'existe pas encore, ce qui signifie que la Russie se débrouille très bien sans lui pour alimenter l'Europe en énergie. Il fait partie du plan russe d'approvisionnement énergétique de l'Europe à long terme. Voilà pourquoi il est important, mais ne pas le lancer ne change rien en réalité. Cela ne fait que préserver le statu quo.
L'autre élément qu'il est vraiment important de rappeler, c'est que lorsque Nord Stream 2 a été envisagé, l'idée était qu'il s'agissait d'un moyen d'éviter de transiter par l'Ukraine afin que les approvisionnements énergétiques allemands soient à l'abri des combats entre la Russie et l'Ukraine. Le fait est qu'à l'heure actuelle, la majeure partie de l'énergie allemande en provenance de Russie ne transite pas par l'Ukraine. Pendant que Nord Stream 2 était en cours de réalisation, de nombreuses autres voies ont été développées. Pour l'Allemagne, du moins, cela ne pose aucun problème. Le problème se pose davantage pour d'autres pays.
C'est vraiment devenu une question beaucoup plus politique qu'autre chose. Cela ne veut pas dire que c'est sans importance pour la Russie; c'est assez important pour la Russie et l'Allemagne. Il y a des coûts irrécupérables. Des gens ont investi beaucoup d'argent dans ce gazoduc. Pour la Russie, il représente une grande partie de son modèle d'approvisionnement de l'Europe, mais il est aussi devenu, je dirais, plus important politiquement qu'économiquement.
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Je dirais qu'en général, l'un des problèmes tient au fait qu'il est avantageux pour la Russie d'essayer de discuter avec autant de parties prenantes différentes que possible pour essayer de créer de la dissension sur d'éventuelles préférences différentes par rapport aux dénouements possibles. Bien sûr, le fait qu'il y ait une fracture interne au sein de l'UE concernant le gazoduc lui-même complique la situation.
Il y a une autre chose que nous devrions noter, du moins pour ceux qui utilisent des modèles formels pour étudier le comportement, c'est que la rhétorique de Biden, pour un démocrate qui serait généralement considéré comme un pacifiste, a été assez ferme sur cette question. Je pense que cela montre clairement qu'au moins dans son esprit...
Cela renvoie aussi un peu au fossé intergénérationnel. Nous avons Biden et Poutine, qui représentent essentiellement la vieille garde de la Guerre froide, puis nous avons le Canada et Macron qui entrent dans la danse, représentant très bien le point de vue de la nouvelle génération, qui n'est pas nécessairement figé dans une structure bipolaire rigide.
Nous voyons une confusion commune entre la mesure dans laquelle il est question ici de boucler la boucle, soit la Guerre froide, et la mesure dans laquelle l'Europe, en tant qu'acteur indépendant, doit intervenir et agir. Le fait que les Européens ne soient pas parvenus à créer une défense solide et indépendante signifie que l'OTAN est intervenue.
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Du côté de la Chine, d’après les données que nous avons récoltées en matière de contestations internationales ou régionales, on observe de plus en plus que la Chine a un œil toujours plus tourné vers l'échiquier international. En comparaison, la Russie tente de plus en plus de se limiter à la zone européenne. Pour ce qui est de la Chine, c’est certain que, si elle voit qu’il y a une absence d’efforts assez coordonnés entre les alliés, elle peut oser en faire encore plus à Hong Kong ou à Taïwan.
Il faut prendre en compte que les alliés des États-Unis dans la région, comme le Japon et la Corée du Sud, ne sont pas au même niveau d’engagement que celui prévu par l’article 5 du Traité de l'Atlantique Nord. On voit qu’il y a davantage d'engagements en Europe, quand on considère la panoplie des portraits de défense et de sécurité.
En comparaison, la Chine est dans une région où il y a moins d’acteurs et où ceux-ci ne sont pas très puissants à l'échelle internationale. Par exemple, l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est n’a pas vraiment d'identité de défense forte. Ce qui fait toute la différence, c’est que, en Europe, l’OTAN a tout de même cette identité ainsi que la capacité et la volonté d'intervenir.
Même si l’Europe et d’autres pays veulent créer une identité de défense, c’est la volonté qui manque. Je vois qu'il n’y a pas d’acteurs en Asie qui vont émerger vraiment pour coordonner une défense ou quelque chose de mieux organisé contre la Chine. Ce que je dis, c’est que c'est vraiment un jeu de couverture de risques, qui consiste, pour ces pays, à voir quels sont les risques liés à chacun des choix qu'ils font, tout en gardant en tête la nécessité implicite de maintenir leurs relations commerciales.
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La « finlandisation » est un genre de jargon ou de mot clé, et même les Finlandais pourraient se demander ce que cela signifie.
Essentiellement, l'idée est de savoir si l'on peut mettre en place une politique étrangère de neutralité visant une garantie de sécurité territoriale, même si l'on est voisin d'un État qui pose un grand risque et un certain défi.
Pour ce qui est de la Finlande, les frontières sont déjà très stables alors que celles de l'Ukraine le sont moins. Cela change un peu la donne.
Il faut faire en sorte qu'il y ait une stabilité non seulement avec la Russie, mais aussi avec la Biélorussie, sachant qu'en Biélorussie il y a des activités russes qui causent des problèmes. L'aspect de la défense territoriale naturelle est moins présent.
De plus, l'Ukraine est située dans une région géostratégique, entre la mer Noire et la mer Méditerranée, cette région étant très importante sur le plan commercial. En Finlande, il n'y a pas ce type de corridor et ce genre de relations est plus facile.
Le pays que j'observe beaucoup, c'est la Moldavie. C'est un pays très petit situé dans cette région et qui a une politique de neutralité. Il est intéressant d'observer comment ce pays réussit à ne pas s'attirer de problèmes alors qu'il est dans une région où les tensions sont vives.
Je crois qu'il y a des choses à apprendre des autres États de la région, mais je ne suis pas certaine que la « finlandisation » de l'Ukraine soit acceptable, surtout du point de vue de la Russie.
Comme je l'ai dit, la Russie voit l'Ukraine comme faisant partie de son territoire; elle considère que l'Ukraine n'est qu'une novice de la démocratie et que ses trente années d'indépendance ne représentent qu'un obstacle, un test. En revanche, sa revendication du territoire de la Crimée date de 430 ans. Selon la Russie, nous sommes un peu niais. Puisqu'elle voit l'Ukraine comme faisant partie de son territoire, il sera très difficile de l'en convaincre autrement.
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Oui, absolument. Je pense qu'il existe une solution diplomatique à cette crise qui nous laisserait en meilleure posture qu'avant le début du renforcement de la présence militaire russe.
La situation en Europe n'était pas stable. La frontière sécuritaire européenne et les traités qui la régissent étaient dépassés et avaient commencé à s'effondrer. Nous avons connu des renforcements de présence militaire et des incidents dangereux, sans même parler du plus récent.
Il est crucial de reconstruire un ordre de sécurité et de mener ces négociations. Une guerre est en cours en Ukraine depuis huit ans. Il est également crucial de mettre fin à cette guerre et de trouver une solution pour l'avenir.
Une solution diplomatique est la bonne voie à suivre et elle est nécessaire. Oui, elle est possible si tout le monde est prêt à faire des compromis. Le défi tient au fait, du moins d'après ce que nous avons vu sur papier, qu'il n'y a pas beaucoup d'ouverture aux compromis.
Vu de l'extérieur, la question que je me pose, c'est de savoir s'il y a des indices d'un plus grand mouvement que nous ne voyons pas. Par exemple, les négociateurs de la formule de Normandie viennent de sortir de la salle de négociation après avoir passé neuf heures ensemble à Berlin.
Avant de nous faire trop d'illusions, rappelons qu'ils ont passé huit heures ensemble il y a deux semaines à Paris et sont sortis en affirmant leur appui aux accords de Minsk et la nécessité d'un cessez-le-feu. Nous verrons s'il en sort quelque chose cette fois-ci.
Il y a absolument une voie à suivre, une solution qui repose sur le contrôle des armements. Elle est fondée sur des garanties de la souveraineté ukrainienne, laquelle pourrait ressembler au bout du compte à une forme de neutralité, malgré les nombreux problèmes que cela pose, notamment le fait que l'Ukraine était neutre en 2014 lorsque la guerre a commencé. Sa constitution lui conférait un statut « hors bloc ». Comme professeur Kimball l'a dit, la Russie voudrait un vassal, pas un État neutre.
Par définition, « négocier » signifie que tous doivent faire des compromis. Si tout le monde est prêt à le faire, il y a une solution.
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Ils vont protester et se plaindre, mais non, je ne pense pas que cela aggrave la situation. De plus, les Russes vont quand même gagner la guerre, et ils le savent.
Je pense que le problème que posent les approvisionnements d'armes, c'est qu'après, si nous parvenons à un accord, nous aurons une Ukraine beaucoup plus lourdement armée. Nous devrons voir ce que cela signifie. Franchissons ce fossé quand nous y arriverons.
Par rapport aux sanctions et aux renforcements de la présence militaire, les sanctions sont plus efficaces comme instruments de dissuasion lorsque vous n'avez pas besoin de les imposer. Si vous commencez à les imposer, vous le faites en tant qu'instruments de rétribution. Cela fonctionne très bien pour montrer que vous êtes mécontent, mais comme nous l'avons vu au cours des huit dernières années avec la Russie, c'est moins efficace pour modifier vraiment les comportements. Il y a très peu de raisons de penser que le fait de les punir maintenant avec des sanctions plus rigoureuses va modifier leur comportement.
Ce qui est différent, ce sont les sanctions qui visent à empêcher une situation particulière que vous ne voulez pas voir se produire. Ce sont des sanctions qui changent physiquement l'équation, comme les mesures de lutte à la corruption dans son propre pays. Elles peuvent être utiles, car elles ont un effet.
Le renforcement de la présence militaire se poursuit. Il est en cours en ce moment même, avec l'envoi de nouvelles forces en Europe et autour de l'Europe. Je pense que c'est un avant-goût de ce qui s'en vient.
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Tout d'abord, quel rôle la corruption joue-t-elle? La corruption soutient le régime et ses dirigeants par l'entremise de leurs différents comptes outre-mer et de l'argent qu'ils ont caché dans différents comptes bancaires dans différentes parties du monde et dans différents avoirs.
Pour revenir à la question des sanctions, nous devrions leur faire savoir que nous disposons d'outils. Si la Loi sur la réaffectation des biens bloqués était adoptée, nous pourrions l'utiliser contre eux pour confisquer ces avoirs. Cela constituerait une menace bien plus forte que le simple blocage. C'est ce qu'on appelle « bloquer et confisquer », et je dirais que le message à leur intention serait: « Si vous franchissez cette ligne, vous allez le sentir dans votre portefeuille ».
En ce qui concerne le tribunal international de lutte contre la corruption, il s'agit de mettre en garde les dirigeants étrangers, s'ils sont poursuivis devant le tribunal, que s'ils s'aventurent hors de leur pays, ils seront traduits devant le tribunal et jugés.
On dit souvent que les entreprises canadiennes, par exemple, pourraient s'opposer à un tel instrument, monsieur Chong, mais en réalité, je pense que vous constaterez, si vous commencez à les sonder, qu'elles y verraient un excellent moyen d'uniformiser les règles du jeu lorsqu'elles font des affaires à l'étranger, car cela avertirait les dirigeants étrangers qu'ils ne peuvent pas jouer à ce genre de jeu.
Encore une fois, sans trop entrer dans les détails, il s'agit de deux instruments potentiels à utiliser contre des régimes corrompus comme l'administration de la Russie. Il faudra beaucoup de temps pour mettre sur pied un tribunal international de lutte contre la corruption, mais nous pouvons mettre en application la LRBB dès maintenant s'il existe une volonté politique de le faire, et je pense qu'il y a de bonnes raisons de le faire. D'autres pays pourraient bien suivre notre exemple si nous adoptions une telle loi sans tarder.
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Bien sûr, l'Union européenne n'a pas beaucoup d'autres choix, à part l'application de sanctions comme première réponse.
Par contre, l'OTAN pourrait choisir une option parmi plusieurs. Il y a beaucoup de risques, dans le sens où l'OTAN a déjà déployé des troupes sur le front, près de la frontière, et il y a bien sûr un risque que si la Russie entre en Ukraine, qu'elle commence à se montrer gourmande, cette gourmandise pouvant évidemment s'étendre à des endroits comme la Géorgie, où il y a aussi d'autres instabilités, ou le Kazakhstan. Ce serait un autre risque.
L'un des problèmes est que la Russie a concentré à l'avance une grande partie de ses forces militaires à l'ouest et, de la même manière qu'elle avait profité de Sotchi pour pénétrer en Crimée après les Jeux olympiques, en guise de tremplin, elle pourrait décider de pivoter et d'aller ailleurs. Son objectif, plus ou moins, est de maintenir l'irritation à un niveau élevé et de maintenir l'OTAN dans une situation où elle préfère ne pas répliquer par la violence parce qu'elle ne veut pas donner l'impression qu'elle aggrave le conflit. Cela procure à la Russie une grande marge de manœuvre, surtout parce qu'elle peut utiliser des civils. Elle n'a pas nécessairement besoin d'avoir des soldats identifiés comme tels pour mener ces activités. Bien sûr, c'est une chose que l'OTAN et d'autres États ne font pas, parce que leurs soldats doivent porter une identification, et c'est donc un autre avantage pour la Russie.
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Vous soulevez des idées qui sont éloignées, mais je vais essayer de répondre à votre question.
Premièrement, les renseignements américains sont récoltés par plusieurs moyens. En 2003, on ne récoltait pas les renseignements de la même manière. Du côté des Américains, il y a eu des avancements sur le plan technologique et il y a eu des améliorations en ce qui a trait à l'organisation et à la transmission des renseignements. Nous espérons que nous recevons une bonne information; nous nous croisons les doigts.
Pour ce qui est de l'observation des mouvements des troupes, ce sont des agents qui sont des tierces parties qui font l'observation par satellite.
Il y a aussi la question de la perception. La Russie veut que nous croyions qu'elle fait des exercices et qu'elle a le droit indépendant et autonome de sécuriser l'intérieur de ses frontières en raison des instabilités. C'est vrai. Cependant, on fait des exercices de guerre de grande envergure. On peut se demander si ces exercices sont proportionnels au problème observé.
On peut aussi regarder ce que font les pays voisins. Comme je l'ai déjà fait remarquer, le Danemark commence à se sentir inquiet et c'est quelque chose que le Canada devrait suivre avec intérêt. Historiquement, le Danemark n'a pas voulu se mêler aux conflits ni accepter les troupes américaines. C'est l'un des rares pays de l'OTAN qui n'accueillent aucun pays allié. Le fait que le Danemark invite les Américains à signer un accord bilatéral envoie quand même un signe assez important qu'il peut y avoir des fractures à l'OTAN.
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C'est déjà une région où nous observons beaucoup d'instabilité. Elle est en partie historique, mais une partie de cette instabilité a également été provoquée par les actions des Américains et d'autres partenaires dans la région. L'une des raisons pour lesquelles la Turquie n'est pas très satisfaite de son statut de membre de l'OTAN, c'est que, manifestement, elle a subi de nombreuses perturbations régionales avec ce qui s'est passé en Irak et en Afghanistan.
Nous avons déjà une grande région plus militarisée qu'elle ne l'a été depuis longtemps, ce qui crée une situation très volatile. La question se pose aussi pour des pays comme la Géorgie et le Kazakhstan, à savoir s'ils ont la résilience politique intérieure pour repousser toute sorte de... Je pense que c'est aussi là qu'il y a des faiblesses. Ces pays sont eux aussi confrontés à des défis dans ce que nous appelons le contrôle du monopole de la violence à l'intérieur du pays et la stabilisation de leurs frontières.
Si nous risquons de créer les conditions propices à un échec potentiel dans un État aussi fragile, nous devrions nous en soucier. Sachant qu'il y a des Canadiens en Ukraine, c'est un risque pour le Canada en particulier, parce qu'il y a des citoyens canadiens sur place, mais aussi pour l'OTAN en quelque sorte. Si l'OTAN appelle, il est rare que le Canada ne réponde pas. C'est l'un des éléments au cœur de la politique étrangère canadienne. Le Canada a une position multilatérale et l'OTAN est l'un des partenaires avec lesquels il est le plus souvent en contact ces jours‑ci.
Il y a donc un intérêt implicite pour le Canada et cet intérêt ne se résume pas à savoir si nos collègues, nos pairs, en Europe vivent de graves problèmes économiques ou sont confrontés à des pénuries d'énergie ou quelque chose du genre. Il s'agit de la menace liée à la convergence de plusieurs instabilités qui pourrait mener à une situation que nous ne voulons pas vivre.