Bienvenue à la 113 e réunion du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international de la Chambre des communes.
Avant de commencer, j'aimerais demander à tous les députés et aux autres participants présents en personne de consulter les cartes disposées sur la table pour connaître les lignes directrices visant à prévenir les retours de son. Utilisez seulement les oreillettes noires et gardez-les loin de tout microphone en tout temps. Lorsque vous n’utilisez pas votre oreillette, veuillez la déposer face vers le bas sur l’autocollant placé sur la table à cette fin.
La réunion d'aujourd'hui se déroule sous forme hybride. J'aimerais formuler quelques observations à l'intention de nos distingués témoins et des députés.
Avant de prendre la parole, veuillez attendre que je vous nomme. Vous pouvez vous exprimer dans la langue officielle de votre choix. Des services d'interprétation sont offerts.
Conformément à la motion de régie interne du Comité concernant les tests de connexion pour les témoins, la greffière m'a assuré qu'elle s'est très gracieusement assurée que ces tests ont été effectués pour tous les témoins qui comparaissent virtuellement.
Je devrais commencer par présenter mes excuses aux témoins. La tenue d'un certain nombre de votes a légèrement modifié l'horaire d'aujourd'hui, mais nous vous sommes très reconnaissants de vous joindre à nous.
Conformément à l'article 108(2) du Règlement et à la motion adoptée par le Comité le jeudi 16 février 2023, le Comité reprend son étude sur le Corps des gardiens de la révolution islamique, ou CGRI, et la situation actuelle en Iran. Aujourd'hui, bien sûr, comme tout le monde le sait, nous mettrons, dans la mesure du possible, l'accent sur le CGRI et sur ce qu'il fait au‑delà des frontières de l'Iran.
Sur ces explications, nous recevons aujourd'hui avec grand plaisir M. Mahmood Amiry-Moghaddam, qui est professeur et directeur du centre Iran Human Rights.
Nous sommes également enchantés d'accueillir en personne M. Thomas Juneau, professeur au département des affaires publiques et internationales de l'Université d'Ottawa, que vous connaissez tous.
En outre, Témoin 1 témoigne virtuellement.
Vous disposerez chacun de cinq minutes pour faire votre déclaration préliminaire, après quoi nous passerons aux questions des députés.
Nous allons commencer par M. Amiry-Moghaddam.
Vous avez cinq minutes. La parole est à vous, monsieur.
Je vous remercie de m'avoir invité, mesdames et messieurs.
Comme l'a indiqué le président, je suis directeur de l'organisation nommée Iran Human Rights.
L'Iran Human Rights surveille et signale les violations des droits de la personne en Iran depuis 17 ans, en mettant particulièrement l'accent sur la peine de mort. L'imposition de la peine de mort est un indicateur crucial de la situation des droits de la personne et demeure le principal outil utilisé par la République islamique d'Iran pour semer la peur dans la société. Dans la foulée des manifestations nationales du mouvement « Femmes, vie, liberté », le régime exécute en moyenne deux ou trois personnes par jour, ce qui est alarmant.
Iran Human Rights a répertorié le nombre ahurissant de 834 exécutions en Iran l'an dernier seulement, huit des personnes concernées étant des manifestants. L'exécution de manifestants a suscité un tollé à l'échelle internationale et a fait augmenter le prix politique de l'imposition de peines de mort à des manifestants par la République islamique d'Iran. La majorité des exécutions sont toutefois liées à des infractions liées à la drogue. En 2023, ces délits ont donné lieu à au moins 471 exécutions.
Malheureusement, la communauté internationale a en grande partie fermé les yeux sur les exécutions liées à la drogue, ne condamnant pas ces graves violations des droits de la personne. Ce qui est encore plus inquiétant, c'est la complicité de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime, ou ONUDC, qui non seulement est resté silencieux face à cette augmentation des exécutions, mais a également signé un nouvel accord de coopération avec les autorités iraniennes. Ces exécutions ne visent pas à lutter contre le trafic de stupéfiants; elles servent plutôt de tactique impitoyable pour inspirer la peur et décourager de futures manifestations.
Les personnes condamnées à mort pour des infractions liées à la drogue sont privées de représentation juridique et d'un processus judiciaire équitable par les tribunaux révolutionnaires, les segments marginalisés et pauvres de la société iranienne étant particulièrement touchés. Les minorités ethniques, notamment la minorité baloutche, sont représentées de façon disproportionnée parmi les personnes exécutées, victimes à faible coût de la machine à tuer de la République islamique d'Iran.
À ces injustices s'ajoutent des preuves probantes d'une collusion entre les autorités iraniennes et le CGRI et les cartels internationaux de la drogue. Un expert renommé en matière de terrorisme a notamment fait remarquer que le trafic de stupéfiants constitue l'une des principales sources de revenus du CGRI, soulignant la nature illicite de ces activités.
En 2012, le département du Trésor des États-Unis a désigné le général Gholamreza Baghbani, de la Force Al‑Qods du CGRI, comme un trafiquant de stupéfiants spécialement désigné en vertu de la Foreign Narcotics Kingpin Designation Act, ce qui a mis en lumière les liens profonds entre le CGRI et les réseaux de trafic de stupéfiants.
La collaboration entre le CGRI et les cartels criminels internationaux va au‑delà du trafic de stupéfiants et du blanchiment d'argent et inclut la pratique répréhensible de l'enlèvement de membres de l'opposition.
On trouve un exemple de ce partenariat dans l'affaire Habib Chaab, citoyen suédois et membre d'un groupe de l'opposition arabe iranien. En octobre 2020, Chaab a été enlevé par le CGRI, de mèche avec des réseaux criminels internationaux, alors qu'il se trouvait en Turquie. Par la suite, il a été transféré en Iran, soumis à un simulacre de procès par le tribunal révolutionnaire et, finalement, exécuté en mai 2023.
De même, Ruhollah Zam, un éminent journaliste et militant politique iranien, a été victime de la campagne de terreur du CGRI lorsqu'il a été enlevé en 2019 lors d'une visite en Irak et pendu un an plus tard.
Jamshid Sharmahd, un citoyen allemand possédant la résidence permanente aux États-Unis, a connu un sort semblable après avoir été enlevé aux Émirats arabes unis en 2020, transféré de force en Iran et condamné à mort. Il est toujours menacé d'exécution imminente.
Le CGRI et la République islamique ont non seulement plongé les pays voisins dans l'insécurité, mais ils ont aussi orchestré une série d'attaques terroristes visant des dissidents iraniens en sol étranger, notamment en Europe.
Un incident notable s'est produit en 2018 lors d'un rassemblement de l'opposition iranienne à l'extérieur de Paris, où un complot terroriste déjoué a mis en cause un diplomate de la République islamique ayant des liens avec le CGRI. Un tribunal belge a par la suite condamné ce diplomate à 20 ans de prison pour des accusations de terrorisme, soulignant l'étendue de la portée mondiale de la République islamique et sa volonté de recourir au terrorisme pour réprimer la dissidence.
Ces actes de terrorisme perpétrés par la République islamique et son organe idéologique, le CGRI, ne se limitent pas aux dissidents iraniens, mais s'étendent à des personnes non iraniennes dans le monde entier. Voilà qui représente une grave menace pour la sécurité et la stabilité mondiales.
Il est essentiel de souligner que le peuple iranien est la principale victime de la République islamique et du régime oppressif du CGRI depuis 40 ans. Des assassinats de masse brutaux de dissidents...
[Français]
Je suis heureux d'être ici aujourd'hui.
[Traduction]
Mon point de départ, c'est que le Canada n'en fait pas assez pour contrer les activités du CGRI ici, à l'intérieur du pays. Je pense que les membres du Comité sont bien au fait de la nature des activités du CGRI, notamment la répression transnationale, la présence de hauts placés du régime ou de leurs familles, et le placement d'actifs financiers.
Pour mieux contrer les activités du CGRI au Canada, une combinaison de mesures ciblées serait de mise. Je comprends la politique symbolique consistant à inscrire le CGRI sur la liste des entités terroristes en vertu du Code criminel. Je suis particulièrement sensible aux plaidoyers des victimes de la répression ou de la brutalité du CGRI et des membres de leurs familles, mais la réaction la plus éthique aux activités du CGRI ici se doit d'être efficace. Elle doit cibler ceux qui font le plus de mal et protéger les victimes le mieux possible.
Pour expliquer ma façon de penser, je souligne que je n'examine pas cette question du point de vue de l'Iran comme tel, mais sous l'angle plus large des priorités et des politiques globales du Canada en matière de sécurité. Ce point de vue plus global met l'accent sur deux facteurs.
Premièrement, le Canada est aujourd'hui confronté à un environnement où la sécurité se détériore, les menaces se faisant multiples et croissantes. Les activités du CGRI figurent parmi ces menaces, mais ce n'est pas la seule menace, ni même la plus importante. Deuxièmement, nos organismes de sécurité et de renseignement sont déjà débordés et manquent de ressources. Tel est le contexte général.
L'inscription du CGRI sur la liste des entités terroristes en vertu du Code criminel exigerait un travail considérable. Les membres actuels et anciens se comptent par centaines de milliers. L'exécution de cette mesure serait fort exigeante pour les organismes d'application de la loi et de sécurité nationale. Cela augmente également le risque que des innocents soient pris dans les mailles du filet de sanctions générales. C'est devenu un grave problème aux États-Unis.
Pour contrer ce problème, plusieurs personnes proposeront des exemptions en vertu desquelles seules les personnes ayant, par exemple, du sang sur les mains ou étant au‑dessus d'un certain rang seraient sanctionnées. C'est intéressant en théorie, mais en pratique, cela augmente encore la charge de travail d'organismes déjà surchargés.
C'est un sérieux problème, même s'il est facile d'en faire fi. Le Canada ne peut déjà pas respecter les engagements qu'il a pris pour surveiller et appliquer les sanctions actuelles; il peut encore moins en imposer de nouvelles. Il est important de souligner à quel point cette situation irrite nos alliés. C'est un problème de plus en plus grave que nous sous-estimons et qui va au‑delà des sanctions relatives à la sécurité nationale et à la défense en général. Cela envoie également à nos adversaires le message selon lequel nous ne voulons pas sérieusement les pénaliser et nous ne nous soucions que de la politique intérieure et non de l'application de mesures concrètes.
La réalité étant que nos ressources sont limitées, les partisans de l'inscription du CGRI devraient indiquer quelles menaces nos organismes de sécurité nationale devraient cesser de surveiller pour réorienter leurs énergies vers la gestion de l'inscription du CGRI, et expliquer comment cela rendrait le Canada globalement plus sûr.
Ces partisans réagissent souvent en proposant que le gouvernement augmente tout bonnement les ressources accordées aux organismes de sécurité nationale et d'application de la loi. Si cet argument est valable de façon générale, il ne tient pas la route dans la pratique. Les activités du CGRI ne sont qu'une des nombreuses menaces que nos organismes de sécurité nationale ont du mal à contrer. Je ne vois pas pourquoi des ressources supplémentaires devraient être affectées au CGRI plutôt qu'à ce que je considère comme des menaces les plus importantes, particulièrement celles qui viennent de la Chine et de plusieurs autres pays.
J'ajouterais également que mes collègues avocats remettent en question la légitimité d'inscrire le CGRI, qui constitue la force armée d'un État, sur une liste destinée aux acteurs non étatiques. N'étant pas moi-même avocat, je ne suis pas en mesure de vous en dire plus à ce sujet, mais j'encourage le Comité à examiner la question de plus près.
Alors que nous tentons de trouver la façon la plus efficace de mieux contrer les activités du CGRI au Canada, je propose au Comité de se concentrer sur des mesures ciblées, et plus précisément sur cinq initiatives.
La première consiste à mettre en œuvre et à appliquer intégralement les mesures que nous avons déjà adoptées, notamment en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales et de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés que, comme je l'ai souligné, nous n'appliquons pas entièrement actuellement.
La deuxième consiste à envisager d'ajouter plus de personnes et d'entités en vertu de ces deux lois, et à utiliser davantage d'autres outils, comme les enquêtes sur la corruption. Nous pourrions également mieux cibler les réseaux financiers du Hezbollah ici, au Canada. La réalité, c'est que nous n'exploitons pas pleinement les outils plus ciblés qui sont à notre disposition.
À cet égard, la troisième initiative consiste à fournir plus de ressources à nos organismes de renseignement de sécurité nationale et d'application de la loi et à nos ministères pour appliquer et surveiller les sanctions. Je ne saurais trop insister sur le fait qu'ils manquent cruellement de ressources à l'heure actuelle.
Dans le cadre de la quatrième initiative, nous pourrions également améliorer la coordination et l'échange d'information entre les nombreux ministères et organismes qui participent à l'élaboration et à l'application des sanctions.
La cinquième initiative — et je terminerai là‑dessus — serait d'accroître la transparence au sujet des sanctions et de leur application. Cela permettrait une meilleure reddition de comptes et une meilleure surveillance de la part de la société civile, du Parlement et des médias, en ce qui concerne notamment le fait que nous nous faisons piètre figure sur le plan de l'application des sanctions.
Nous devons également être plus transparents quant à ce que nous cherchons à accomplir avec les sanctions, et savoir si nous y parvenons ou non.
Je vous remercie.
Je vous remercie de me donner l'occasion de me prononcer sur une question importante devant le Comité permanent des affaires étrangères et du développement international.
Je commencerai là où mon collègue M. Juneau vient de s'arrêter.
Le concept du terrorisme ne s'applique peut-être pas nécessairement au Corps des gardiens de la révolution islamique. C'est un concept flou sur lequel il n'y a pas de consensus. Je ne vous apprendrai rien en vous disant qu'il n'y a pas de définition consensuelle au sein de l'Organisation des Nations unies. C'est un concept plus politique que scientifique.
Néanmoins, il y a tout de même une compréhension intuitive de ce que signifie une organisation terroriste. C'est une organisation qui utilise la violence et la peur pour atteindre des objectifs politiques, en passant par des moyens la plupart du temps illicites ou illégaux. Or, si on s'attache à cette définition, aussi imparfaite soit-elle, le Corps des gardiens de la révolution islamique correspond à beaucoup de ces critères, qui m'amèneraient précisément à penser que c'est une organisation terroriste, même si ce n'est pas une organisation non étatique.
D'abord, c'est une organisation violente qui emploie des moyens illicites. Son implication dans les programmes balistiques et nucléaires iraniens, qui sont sous le coup de sanctions de la communauté internationale, fait déjà de cette organisation une organisation illégale. Le Corps des gardiens de la révolution islamique contrôle une partie importante de l'économie iranienne, et il utilise ce pouvoir pour financer des opérations illégales. De ce point de vue, un critère est donc déjà rempli.
Ensuite, c'est une organisation brutale et arbitraire qui a recours à une violence indiscriminée. Elle a été accusée, à de nombreuses reprises et depuis plusieurs années, de nombreuses violations des droits de la personne. Le professeur Amiry‑Moghaddam l'a bien rappelé.
Le Corps des gardiens de la révolution islamique ne recule pas devant des actes de torture, pratiquant le viol systématique sur les femmes lorsqu'elles sont arrêtées et envoyées en prison. La surveillance, l'intimidation, la violence physique et la détention sont toutes des éléments qui font penser que l'arme de choix de cette organisation est la terreur et la pression psychologique.
Par ailleurs, c'est une organisation subversive qui utilise des moyens idéologiques pour atteindre des buts politiques. Lorsqu'elle agit en dehors des frontières de l'Iran, elle travaille dans le but de renverser le pouvoir ou de promouvoir un certain nombre d'acteurs non étatiques voulant prendre le pouvoir, qu'il s'agisse des Houthis au Yémen ou du Hamas en Palestine. Elle agit en soutenant la répression interne ou encore en contribuant, par l'entremise de la Brigade al‑Qods, à des opérations clandestines et à des assassinats ciblés. Elle mène des activités insurrectionnelles et des activités de déstabilisation régionale au Moyen‑Orient et ailleurs, de plus en plus. Elle remet donc en cause le statu quo.
D'autre part, d'une manière beaucoup plus concrète et précise, c'est une organisation qui est impliquée dans des activités terroristes depuis longtemps en Amérique latine. Comme mon collègue l'a rappelé, elle a été impliquée dans des activités terroristes récemment en Europe. Elle a mené des attaques ciblées et des assassinats ciblés en sol européen, et elle soutient des groupes terroristes. Par exemple, il faut savoir que, sur le budget annuel de 500 millions de dollars du Hamas, 100 millions de dollars provenaient des caisses du régime iranien et du budget du Corps des gardiens de la révolution islamique.
Tous ces facteurs mis ensemble convergent vers l'idée que nous avons bien affaire à une organisation terroriste, même si ce n'est pas une organisation non étatique.
En conclusion, je reprendrai un certain nombre d'éléments qui ont été soulevés par mes collègues. L'inscription du Corps des gardiens de la révolution islamique sur la liste des entités terroristes n'exclut pas d'autres moyens ou approches. Effectivement, ce n'est pas l'un ou l'autre.
Le Corps des gardiens de la révolution islamique, ou CGRI, n'est pas notre menace la plus grande. Cependant, étant donné que des membres de ce groupe travaillent de plus en plus avec la Chine, la Russie et d'autres pays de l'Organisation de coopération de Shanghaï, ces pays représentent des menaces importantes pour nous et se situent dans la même catégorie.
Je rebondis sur ce que disait M. Mahmood Amiry‑Moghaddam, à savoir que, comparer le CGRI aux nazis et aux SS n'est pas exagéré. C'est un parallèle pertinent.
De plus, les considérations et les arguments soulevés par le Canada pour ne pas inscrire ce groupe sur la liste des organisations terroristes me semblent spécieux et complaisants. L'idée que cela pourrait gravement nuire à nos relations diplomatiques avec l'Iran ne tient pas. L'idée que cela pourrait avoir des conséquences sur la communauté canadienne d'origine iranienne ne tient pas non plus.
Plusieurs de nos compatriotes canadiens subissent de l'intimidation de la part des Gardiens ici et en sol iranien, et c'est inacceptable. L'idée que cela pourrait affecter les entreprises canadiennes est une injure et que cela pourrait poser...
Monsieur Juneau, vous avez dit que le Canada n'en fait pas suffisamment pour lutter contre le CGRI.
Ce n'est un secret pour personne que le CGRI, le Hezbollah et les Hells Angels s'adonnent au blanchiment d'argent au Canada. Il y a des concessionnaires automobiles en Ontario qui appartiennent à ces groupes. Le Canada est le théâtre de vols de voitures, et les véhicules prennent le chemin de l'étranger. Des actes de blanchiment d'argent sont commis quotidiennement dans le secteur immobilier, le commerce de détail et les bureaux de change. Toutes ces opérations sont évidentes, mais nous ne faisons toujours rien à ce sujet.
Ces activités nuisent plus que tout à l'économie et à la population canadiennes. La sécurité, la sûreté et l'inflation — tout en pâtit.
À votre avis, pourquoi ne faisons-nous rien à cet égard? Pourquoi?
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Pourquoi? Difficile à dire.
Je dirais qu'en général, le Canada n'en fait pas assez sur le front de la sécurité nationale. Je pense que c'est généralement vrai pour les multiples menaces auxquelles nous sommes confrontés aujourd'hui. C'est certainement vrai en ce qui concerne l'Iran et le CGRI, comme je pense l'avoir dit avec insistance dans mon exposé.
J'estime que le moyen le plus efficace de contrer les activités du CGRI, y compris celles que vous avez décrites, ainsi que de nombreuses autres — j'insiste vraiment sur l'aspect de la répression transnationale contre les dissidents et les militants des droits de la personne — est de prendre des mesures ciblées et d'utiliser certains des outils à notre disposition. Il est très facile de faire fi des préoccupations liées au caractère désespéré de la rareté des ressources, mais dans le monde réel, les contraintes en matière de ressources sont bien réelles. Elles nous empêchent de faire ce que nous avons à faire. Ces contraintes en matière de ressources sont extrêmement graves. C'est pourquoi je pense que des mesures ciblées seraient beaucoup plus efficaces.
Il en va de même pour la question de la réputation. Ce qui nuit le plus à notre réputation, ce n'est pas le fait que nous n'ayons pas inscrit le CGRI sur la liste; ce qui nuit le plus à notre réputation, c'est le fait que nous annonçons des mesures et que nous ne les appliquons pas. En toute objectivité, c'est ce qui se passerait si nous inscrivions le CGRI sur la liste.
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Merci, monsieur le président. Je vais partager mon temps de parole avec M. Zuberi.
Je pense que ce que vous dites a beaucoup de sens, mais le problème n'est pas seulement que nous n'avons pas les ressources nécessaires pour gérer les sanctions contre la Russie et tous les autres enjeux liés à la sécurité. La sécurité, ou plutôt le manque de sécurité, est devenu un problème mondial généralisé. Nous avons des problèmes, y compris avec l'Iran, et ce pays aide également la Russie. Par conséquent, les sanctions que nous avons appliquées à l'encontre de la Russie ne fonctionnent pas très bien. C'est ce que nous constatons.
Comment devons-nous aborder la question du CGRI et de ses activités au Canada, étant donné que ses membres ne diront pas qu'ils appartiennent à ce groupe lorsqu'ils demanderont à venir au Canada? Ils diront appartenir à une autre catégorie. Comment savoir s'ils appartiennent à ce groupe? Comment les débusquer? C'est le premier problème. Comment pouvons-nous appliquer des sanctions contre eux au Canada pour protéger nos propres Iraniens canadiens? Cela semble très difficile. Que pouvons-nous faire?
Deuxièmement, combien d'autres pays, comme le Hezbollah, etc. les aident? Comment lutter contre leur influence?
Ce sont là mes deux questions. M. Zuberi en posera probablement d'autres.
Pourrais‑je obtenir des réponses à ces deux questions? C'est une chose de dire qu'il faut appliquer des sanctions, mais c'en est une autre de dire comment nous allons le faire, parce que tant de nations voyous contribuent à bloquer les sanctions.
L'un de vous peut répondre.
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Comment devons-nous agir sur le terrain? Il serait difficile de le dire en une minute, mais je pense que si nous utilisons mieux nos deux principaux outils, ils pourraient être très efficaces.
La Loi sur les mesures économiques spéciales nous permet de dresser une liste de personnes et d'entités, et de leur imposer un certain nombre de sanctions, y compris des sanctions financières, etc. Ces mesures peuvent être très efficaces si elles sont correctement appliquées, ce qui n'est pas le cas à l'heure actuelle.
L'autre outil que le gouvernement actuel a introduit il y a environ un an et demi, si je ne m'abuse, est l'utilisation de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, qui nous permet d'interdire l'entrée et d'imposer un certain nombre de sanctions supplémentaires à un certain nombre de responsables du régime, et non seulement au CGRI.
Je pense qu'il est difficile d'évaluer correctement la réussite de cette initiative à ce jour, car très peu de données sont accessibles au public, mais il s'agit selon moi d'un autre outil que nous pourrions utiliser.
L'autre aspect de votre question, qui concerne les partenaires de l'Iran, me semble important. Le Hezbollah, en particulier, dispose d'un certain nombre de réseaux financiers qui agissent non seulement ici au Canada, mais dans le monde entier, dans certaines parties de l'Afrique de l'Ouest et de l'Amérique du Sud. Il s'agit de réseaux très étendus et je pense que le Canada peut faire davantage pour lutter contre ces réseaux financiers ici.
Outre la question de ces réseaux financiers, une chose que l'Iran a beaucoup faite ces dernières années, notamment avec les Houthis au Yémen, est de construire un vaste réseau mondial de contrebande afin d'envoyer des pièces d'armes — des pièces de missiles, des pièces de drones — au Yémen en particulier, mais aussi au Hezbollah, au Hamas. Les États-Unis dirigent les efforts visant à lutter contre ces réseaux, et je pense que le Canada pourrait jouer un rôle plus important dans la région de la mer Rouge, par exemple, pour participer aux efforts multilatéraux visant à lutter contre ces réseaux de contrebande.
Merci, madame Fry, pour cette question.
[Français]
Ce qui caractérise la menace posée par le Corps des gardiens de la révolution islamique est qu'elle est protéiforme, multifacette, à 360 degrés. Ses membres sont impliqués dans le cyberespace, dans le programme balistique, dans le programme nucléaire, dans des activités de trafic de pièces détachées. Ils sont présents au Soudan. Ils sont présents en Amérique latine. Ils travaillent en Asie centrale. Ils travaillent au Caucase. Ils ont la main dans une foule de dossiers différents.
Par conséquent, la bonne approche pour s'attaquer à ce phénomène protéiforme et multifacette du Corps des gardiens de la révolution islamique, ce n'est pas d'agir d'une seule manière, mais d'agir de la même manière que lui, c'est-à-dire d'une manière multifacette.
Je suis d'accord avec M. Juneau pour dire qu'il faut avoir une approche ciblée, mais cela ne nous empêche pas de compléter cette approche ciblée par d'autres moyens. Le Corps des gardiens de la révolution islamique est une armée idéologique, une armée politique. L'inscrire sur la liste des organisations terroristes, c'est répondre à la nature du phénomène, c'est-à-dire compléter l'approche ciblée par d'autres moyens et s'attaquer au phénomène de manière systématique.
:
Merci, monsieur le président.
Mes questions s'adresseront au Témoin 1.
D'abord, j'ai bien aimé votre affirmation selon laquelle on peut mâcher de la gomme et marcher en même temps, c'est-à-dire que nous pouvons utiliser l'ensemble des outils à notre disposition pour sévir contre le Corps des gardiens de la révolution islamique et, s'il nous faut davantage de ressources, ajouter celui-ci à la liste des entités terroristes, ce à quoi il correspond, selon vous.
Il nous faut aussi, de l'avis même du professeur Juneau, consacrer davantage de ressources à l'application du Règlement sur les mesures économiques spéciales visant l'Iran, puisque, jusqu'à présent, très peu de fonds ont été gelés, soit près de 79 000 $.
Vous avez dit une chose qui m'a beaucoup frappé. D'après vous, le Sud considère que le Canada est plutôt complaisant à l'égard du régime iranien et, conséquemment, du Corps des gardiens de la révolution islamique, et c'est ce qui devrait nous amener à inscrire celui-ci sur la liste des entités terroristes. Or, la semaine dernière, nous recevions le professeur Raboudi, de l'Université d'Ottawa, qui nous disait aussi que le Corps des gardiens de la révolution islamique correspondait à la définition d'entité terroriste, mais qu'il n'était pas opportun de l'ajouter à cette liste, puisque cela reviendrait à nous discréditer au regard de la communauté internationale et du Sud global, plus particulièrement, et qu'il fallait tenir compte du conflit actuel au Proche‑Orient. En fait, j'interprète ses paroles, je ne veux pas lui mettre des mots dans la bouche.
Que pensez-vous de cette analyse, qui va à l'encontre de la vôtre?
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Je vous remercie de votre question.
Je crois comprendre le raisonnement derrière son affirmation, qui est très conjecturale. Il estime qu'aujourd'hui, dans le contexte de la guerre à Gaza et de la situation qu'on connaît là-bas, le fait d'inscrire maintenant sur cette liste le Corps des gardiens de la révolution islamique nous placerait, de fait, dans le camp des pays pro‑israéliens, ce qui pourrait nuire à notre crédibilité aux yeux d'une certaine partie de l'opinion publique internationale. J'imagine que c'est ce qui l'amène à faire cette affirmation.
Je répondrai qu'il n'y a pas de bon moment pour placer une organisation, qui est effectivement comparable à une organisation fasciste, sur une telle liste. C'est vrai qu'il y aurait peut-être quelque prix à payer sur le plan diplomatique et à l'égard de notre image internationale.
Toutefois, il serait temps que le Canada cesse de jouer la carte de la prudence, de la pusillanimité et de la circonspection. À un moment donné, il y a des actes de courage qu'il faut savoir poser.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Merci à nos témoins d'être présents aujourd'hui pour discuter de ce sujet avec nous.
Monsieur Juneau, vous venez de parler des Houthis et du fait que les États-Unis ont très peu de contrôle dans la région. En tant que parlementaire canadienne, je m'interroge sur ce que le Canada devrait faire pour contrer l'influence de l'Iran dans cette région, compte tenu de l'horrible situation humanitaire en cours et des souffrances que subissent les Yéménites sous le joug des Houthis et dans la guerre saoudienne, qui, comme nous le savons, a reçu le soutien politique du Canada. Nous avons désespérément besoin d'établir une paix réelle et une véritable solution diplomatique.
Que pouvons-nous faire, dans ce cas, pour aider le peuple du Yémen, dont nous savons qu'il a beaucoup souffert aux mains des deux parties belligérantes?
Pour reprendre ce que j'ai dit en réponse à la question précédente, la réalité actuelle est que les Houthis ont gagné la guerre civile au Yémen. Ils ne contrôlent pas l'ensemble du territoire du pays, mais ils contrôlent environ 60 à 70 % de la population. Politiquement et militairement, ils sont de loin l'acteur le plus puissant du pays.
C'est une très mauvaise nouvelle pour le peuple yéménite, car les Houthis ont manifesté une brutalité absolue dans leur administration. C'est également une mauvaise nouvelle pour la région, car ils exportent désormais cette brutalité en dehors des frontières du Yémen. Nous nous en doutions depuis des années, mais nous le voyons aujourd'hui dans ce qu'ils font dans la région de la mer Rouge. Le problème est que cela ne va pas s'arrêter. Un cessez‑le‑feu à Gaza, par exemple, est une question distincte, qui n'empêchera pas les Houthis de menacer la mer Rouge. Ces questions sont indépendantes l'une de l'autre.
Du point de vue du Canada, je pense que nous devons soutenir les efforts déployés par les États-Unis pour contrer les Houthis, parce que c'est bon pour la sécurité de la région et, en fin de compte, pour le peuple yéménite. Comment procéder? En participant à la mission maritime qui se déroule dans la mer Rouge. Même une participation symbolique, comme c'est le cas actuellement, vaudrait mieux que de ne rien faire. Si nous avons un jour un navire disponible — ce qui n'est pas évident — je pense que ce serait une bonne idée.
Par ailleurs, à l'heure actuelle, il n'y a pas vraiment de processus politique au Yémen, car les Houthis ne le souhaitent pas.
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C'est un point extrêmement important.
En général, au Canada, la société civile, les médias et les politiciens sous-estiment réellement les dommages causés à notre réputation lorsque nous nous montrons complaisants sur les questions de défense et de sécurité nationale et que nous n'investissons pas suffisamment dans ces domaines. C'est le cas pour les sanctions, comme je l'ai dit, mais également pour d'autres aspects.
Pour être tout à fait franc, je ne me soucie pas particulièrement du risque pour notre réputation dans les pays du Sud, mais il existe un risque important pour notre réputation aux yeux de nos alliés de l'OTAN et en particulier des États-Unis. C'est ce qui devrait réellement nous préoccuper, en particulier parce qu'à mesure que les années 2020 et 2030 passent, de plus en plus, le multilatéralisme, dont nous sommes si dépendants, repose sur la contribution que nous pouvons apporter. Il ne s'agit pas de notre réputation de bienfaiteur ou autre, et notre contribution est limitée. On nous invitera de moins en moins à participer à des accords multilatéraux ponctuels. Pensez aux groupes de travail de l'AUKUS et à de nombreux autres exemples.
Qu'il s'agisse de sanctions ou autres, nous devons être beaucoup plus cohérents dans ce domaine.
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Eh bien, je vais tout d'abord évoquer le dernier point que j'ai mentionné dans ma présentation, à savoir la nécessité d'assurer une transparence accrue à ce niveau. De façon générale, nous n'assurons pas une transparence suffisante sur le front de la sécurité nationale et de la politique étrangère, et il en va de même pour les sanctions.
Je ne suis pas en mesure de donner des chiffres pour quantifier ma réponse. Celle‑ci est fondée sur des recherches, des conversations, des entrevues et des aspects informels de mon travail quotidien. Je le dis également en tant qu'ancien fonctionnaire.
En bref, qu'il s'agisse du SCRS, de la GRC, de l'ASFC ou d'Affaires mondiales — qui jouent aujourd'hui un rôle majeur dans la coordination de ces questions dans le volet lié au commerce international des affaires étrangères —, nous devons tout simplement investir plus de ressources, plus de personnel et plus d'argent. Si vous regardez l'Office of Foreign Assets Control, qui est le bureau américain qui gère les sanctions aux États-Unis, vous constaterez qu'il est gigantesque. Nous ne sommes pas les États-Unis et nous ne le serons jamais, mais proportionnellement, nous sommes loin du compte.
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Merci beaucoup, madame McPherson.
Comme il nous reste quelques minutes, je vais me permettre de poser deux questions.
Tout d'abord, monsieur Juneau, je comprends parfaitement les arguments que vous avez avancés concernant la gestion des ressources, et c'est tout à fait juste.
Ce qui m'inquiète, c'est que je ne nous ai pas vus faire quoi que ce soit de concret pour traiter toutes les activités sur lesquelles les députés vous ont interrogé, qu'il s'agisse de blanchiment d'argent ou de répression transnationale. En fait, très peu d'actions concrètes ont été mises en place. L'inaction du Canada ne risque‑t‑elle pas d'enhardir la République islamique d'Iran et le Corps des Gardiens de la révolution islamique, le CGRI?
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Je vous remercie de cette question.
Malheureusement, je n'ai pas eu l'occasion d'en discuter avec les autorités gouvernementales américaines. En revanche, j'ai souvent eu l'occasion de discuter, de façon candide et informelle, avec des représentants des forces armées américaines. Chaque fois, ils sont étonnés de l'absence d'une ligne stratégique claire dans la politique étrangère du Canada. Il s'agit pourtant d'une condition sine qua non pour avoir une politique cohérente, notamment relativement au Corps des gardiens de la révolution islamique.
J'aimerais profiter de l'occasion pour parler de notre réputation et de l'utilisation de nos ressources. Tout à l'heure, j'ai donné l'exemple des activités du Corps des gardiens de la révolution islamique au Soudan, où une guerre civile fait présentement rage — il y a 8 millions de personnes déplacées et des dizaines de millions de morts. Nous n'avons même pas une ambassade là-bas, pas même un envoyé spécial. De plus, nous n'avons toujours pas de politique africaine. Le Corps des gardiens de la révolution islamique est en train de construire une base à Port‑Soudan, qui les met près du Yémen. Il est aussi en train de négocier la construction d'une base navale à Djibouti.
Je le répète, certains acteurs sont lucides. D'autres sont naïfs, et j'ai bien peur qu'on fasse partie de ces derniers.
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Merci beaucoup, Témoin 1.
Mesdames et messieurs, voilà qui conclut la période de questions des députés.
J'aimerais maintenant remercier MM. Amiry-Moghaddam, Témoin 1 et Juneau. Nous vous sommes très reconnaissants pour le temps que vous nous avez consacré et pour votre expertise.
Avant de lever la séance, je voudrais parler du budget qui vous a été envoyé avant la réunion. Il s'agit du budget d'un montant total de 1 000 $ pour l'étude de la nomination de Mme Bennett au poste d'ambassadrice du Canada au Danemark.
Plaît‑il aux membres du Comité d'adopter ce budget?
Des députés: D'accord.
Le président: C'est excellent.
Nous allons maintenant passer au budget du Sous-comité des droits internationaux de la personne. Il s'agit d'un budget d'un montant total de 6 800 $ pour l'étude de la situation actuelle en Éthiopie.
Plaît‑il aux membres du Comité d'adopter ce budget?
Des députés: D'accord.
Le président: Enfin, nous devons voter un autre budget du Sous-comité des droits internationaux de la personne. Il s'agit d'un budget d'un montant total de 6 750 $ pour l'étude de la situation actuelle au Soudan.
Plaît‑il aux membres du Comité d'adopter ce budget?
Des députés: D'accord.
Le président: Formidable.
Merci beaucoup à tous et à toutes.
La séance est levée.