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Je déclare la séance ouverte.
Mesdames et messieurs, chers amis, bienvenue à la soixante-dixième réunion du Comité permanent de l'industrie et de la technologie de la Chambre des communes.
Conformément à l'ordre de renvoi adopté le lundi 17 avril 2023, nous étudions le projet de loi . La réunion d'aujourd'hui se déroule sous forme hybride, conformément à l'ordre de la Chambre adopté le jeudi 23 juin 2022.
Cet après-midi, nous recevons plusieurs témoins pour étudier le projet de loi . Nous recevons, à titre personnel, M. Charles Burton, agrégé supérieur au Centre for Advancing Canada's Interests Abroad, de l'Institut Macdonald-Laurier.
Nous accueillons aussi, par vidéoconférence, M. Daniel Schwanen, vice-président à la Recherche, de l'Institut C.D. Howe.
Nous accueillons également, en personne, M. Dan Ciuriak et, par vidéoconférence, M. Robert Mazzolin, tous deux agrégés supérieurs au Centre for International Governance Innovation.
Nous recevons aussi M. Jim Balsillie, président du conseil d'administration, du Conseil canadien des innovateurs.
Enfin, nous recevons Mme Sandy Walker, présidente de la Section du droit de la concurrence et de l'investissement étranger, et M. Michael Caldecott, président du Comité sur l'Examen des investissements étrangers à la Section du droit de la concurrence et de l'investissement étranger, de l'Association du Barreau canadien.
Je vous remercie, toutes et tous, de vous joindre à nous en personne ou virtuellement pour cette étude importante.
Comme nous accueillons un grand groupe de témoins, nous tenterons de limiter les témoignages à cinq minutes.
Sans plus tarder, je vous cède la parole, monsieur Burton.
[Traduction]
Monsieur Burton, vous avez la parole.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Mon domaine d'expertise est la politique intérieure et la politique étrangère de la Chine. Dans cette optique, j'aimerais revenir sur deux enjeux que le a évoqués lors de sa comparution devant ce comité la semaine dernière. D'abord, le ministre a déclaré que, dorénavant, les investissements des entreprises d'État au Canada ne seront approuvés que dans des circonstances exceptionnelles.
Deuxièmement, le vous a dit en novembre dernier qu'après la tenue d'un examen de la sécurité nationale et sur la base des renseignements qu'il avait reçus, il avait ordonné à trois sociétés chinoises d'exploitation des ressources de se départir des intérêts qu'elles avaient dans des entreprises canadiennes de minéraux essentiels. Le lithium faisait partie des métaux visés.
Toutefois, le fait est que toutes les entreprises chinoises d'envergure mondiale sont pleinement intégrées au parti qui dirige la République populaire de Chine, à l'appareil d'État, au secteur des entreprises, à l'appareil militaire et de sécurité, car, comme l'a dit le secrétaire général du parti, Xi Jinping, « le Parti, le gouvernement, l’armée, la société et l’université, l’Est, l’Ouest, le Sud, le Nord et le Centre : le Parti dirige tout. »
Il n'y a pas d'entreprises industrielles chinoises indépendantes du parti-État chinois. Huawei, par exemple, ne s'identifie pas comme une entreprise d'État chinoise, mais, à l'instar de toutes les institutions de la République populaire de Chine, son organigramme suggère que lorsqu'il s'agit de prendre des décisions, la branche du parti communiste chinois de Huawei a priorité sur le conseil d'administration. L'objectif organisationnel de Huawei est d'exercer une concurrence prudente sur les marchés étrangers et de gagner de l'argent. Toutefois, comme l'a établi le gouvernement du Canada en interdisant la participation de Huawei aux logiciels et au matériel de la 5G, la raison d'être de Huawei ne se limite pas à la rentabilité économique. Elle est aussi au service d'autres objectifs géostratégiques du régime chinois, qui constituent une menace pour la sécurité nationale du Canada.
Les lois chinoises exigent que toutes les entreprises et tous les particuliers coopèrent avec les services de renseignement et cachent cette coopération. Ce précepte — combiné à l'espionnage cybernétique et humain incessant du régime chinois à l'encontre de notre Parlement, de nos partis politiques, de nos ministères, de nos universités et de nos entreprises — est une raison suffisante pour conclure que les investissements étrangers en provenance de Chine doivent être soumis aux vérifications les plus rigoureuses qui soient en matière de sécurité nationale, quel que soit le secteur ou l'industrie visé par l'investissement envisagé.
Par exemple, les soi-disant postes de police chinois sont supervisés par des diplomates chinois au Canada afin de coordonner les opérations que déploie le Département du travail du Front uni du Parti communiste chinois dans le but de menacer et de harceler les gens qui, au Canada, militent pour les Ouïghours, les Tibétains et les droits de la personne, de subvertir les fonctionnaires canadiens, de faciliter les opérations d'espionnage du ministère chinois de la Sécurité d'État, de distribuer de l'argent pour financer l'ingérence dans les élections, et cetera. Si les activités de l'un de ces postes de police sont gênées par la présence d'un véhicule de la GRC garé devant ses locaux — que ce soit à Markham, Richmond, Montréal ou ailleurs —, il est facile pour les autorités chinoises d'informer une entreprise chinoise installée au Canada que le poste de police va déménager dans ses locaux. Ensuite, les autorités chinoises prieront ladite entreprise de délivrer de fausses lettres d'invitation afin de faciliter la soumission de fausses demandes de visa de la part des membres de la police chinoise ou des chercheurs militaires de l'Armée populaire de libération. Cette opération permettra à ces derniers d'entrer au Canada sous des prétextes fallacieux afin d'y mener des activités dans le secret ou en zone grise susceptibles de permettre le transfert de technologies à double usage au régime chinois. Nous disposons de nombreux exemples à ce sujet, y compris des témoignages de fonctionnaires de l'immigration du gouvernement canadien.
Bien entendu, toute propriété intellectuelle sur laquelle des intérêts chinois pourraient mettre la main par le truchement de leur investissement dans un partenaire canadien sera transférée secrètement par les canaux du Parti communiste chinois aux éléments du régime susceptibles d'appliquer la technologie ou le processus de fabrication de propriété canadienne pour servir les intérêts généraux du régime. Nous avons également de nombreux exemples de cela.
Enfin, j'exhorte le gouvernement à avoir une approche mieux coordonnée en la matière. La loi australienne de 2020 sur la réforme de l'investissement étranger — qui porte sur la protection de la sécurité nationale de l'Australie — a été promulguée pour faire suite à la loi de 2018 sur le système de transparence en matière d'influence étrangère. Je tiens à souligner que la mise en œuvre de cette dernière loi — le registre des influences étrangères — n'a pas provoqué de montée du racisme anti-asiatique en Australie.
J'exhorte vivement ce comité à recommander que le Canada examine attentivement le renforcement par l'Australie de ses lois visant à contrer l'influence étrangère secrète et l'espionnage, limite les dons étrangers par procuration aux partis politiques et améliore les contrôles concernant la sécurité des infrastructures essentielles. En s'inspirant des lois australiennes, le Canada pourrait apporter ces améliorations législatives dans un délai beaucoup plus court que s'il devait partir de rien. Plus nous tardons, plus la situation s'aggrave.
Je vous remercie, monsieur le président.
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Je vous remercie, monsieur le président.
J'ai préparé mon allocution en anglais, mais c'est avec plaisir que je répondrai aux questions en français, évidemment, si vous le désirez.
[Traduction]
Selon l'OCDE, l'examen des investissements directs étrangers, ou IDE, pour des raisons de sécurité, s'est considérablement intensifié depuis 2015. En effet, des entreprises contrôlées par des gouvernements étrangers qui ne sont pas nécessairement amicaux ont utilisé l'IDE d'une part pour avoir accès à des éléments importants de la chaîne d'approvisionnement, ou à des technologies ou infrastructures névralgiques, tout en montrant d'autre part des signes évidents de ne pas traiter ces investissements ou leurs pays d'accueil en fonction de conditions commerciales normales, et même d'introduire des aspects coercitifs ou hostiles dans la relation, du type de ceux décrits par M. Burton.
Ce n'est pas la propriété étrangère en soi, mais la combinaison de ces deux facteurs qui est alarmante, et les amendements proposés s'inscrivent également dans une tendance mondiale. Encore une fois, il y a l'exemple de l'Australie.
Les études que nous avons publiées au fil des ans ont recommandé de simplifier l'examen des investissements étrangers au Canada pour lesquels il n'y a aucune raison de penser qu'ils ne seraient pas entrepris pour des raisons commerciales légitimes, conformément aux lois canadiennes et à tous les autres mécanismes idoines, et de rendre cet examen plus transparent et plus ouvert. Parallèlement à cela, nous devrions approfondir l'examen des investissements susceptibles de menacer la sécurité. Nous pouvons faire les deux. Les recherches que je viens de mentionner soutiennent l'orientation actuelle de ce projet de loi.
Je tiens à ce que ce soutien soit clair, car le reste de mes observations concerne la relation entre ce projet de loi et la compétitivité du Canada pour ce qui est d'attirer les IDE.
Comme l'a indiqué Statistique Canada il y a quelques jours, en 2022, le Canada a connu une année convenable pour ce qui est d'attirer ou de retenir les IDE. Néanmoins, l'OCDE continue de classer les politiques canadiennes en matière d'IDE comme étant plus restrictives que celles de partenaires qui sont également des concurrents en matière d'investissement, tels que les États-Unis, le Royaume-Uni ou l'Australie.
Alors que nous renforçons les dispositions relatives à la sécurité enchâssées dans la Loi sur Investissement Canada, nous ne voulons pas ajouter inutilement à ces barrières en sacrifiant la prévisibilité et la transparence des critères qui encadrent les investisseurs étrangers potentiels. En effet, cette prévisibilité et cette transparence peuvent être assurées tout en garantissant la sécurité et la sûreté des Canadiens.
Étant donné que la lutte contre les menaces à la sécurité provenant d'investissements étrangers est l'un des principaux objectifs de ce projet de loi, je dirais que pour être prévisible et transparent, l'ensemble de l'appareil gouvernemental canadien doit être cohérent dans sa perception de la nature de ces menaces et quant à la façon d'atténuer ces dernières par l'ajout d'exigences aux termes de l'examen des investissements étrangers. Par exemple, le Canada est toujours en train d'élaborer sa stratégie nationale sur les chaînes d'approvisionnement, qui est censée s'attaquer à la question de la sécurité des fournitures essentielles. Les secteurs qui font l'objet d'un examen particulier aux termes de la Loi sur Investissement Canada devront correspondre à ceux que vise cette stratégie. De la même façon, la décision du Canada concernant les investisseurs qui seront soumis à des règles particulières ou à un examen particulier doit tenir compte de sa Stratégie pour l'Indo-Pacifique. C'est une question de cohérence et de clarté pour les investisseurs étrangers.
Naturellement, ce que nous pourrions considérer à un moment donné comme « certains investissements dans certains secteurs » doit être laissé à la réglementation, mais tout en restant souple. J'espère que ces mesures législatives exigeront que cette réglementation soit fondée sur des justifications limpides et que le gouvernement fournira des orientations concernant son interprétation. Il pourrait s'agir par exemple de lignes directrices actualisées concernant l'examen des investissements relativement à la sécurité nationale.
En ce qui concerne les dispositions du projet de loi relatives à l'échange de renseignements, elles contribueront à aligner nos politiques en matière d'IDE sur celles de nos partenaires proches, ce qui est une bonne chose à une époque de délocalisation amicale. Elles nous aideront aussi à mieux comprendre et anticiper les menaces, en particulier si nous pouvons présumer que nos partenaires feront de même en matière d'échange de renseignements.
Aux termes des modifications proposées, la possibilité offerte à l'investisseur et au gouvernement de discuter des mesures d'atténuation qu'un investisseur pourrait prendre pour rendre son plan conforme aux besoins du Canada en matière de sécurité était également prévue dans notre document de 2015, et cela mérite d'être salué. Bien entendu, pour que ce mécanisme soit efficace, les investisseurs doivent connaître les éléments qui rendraient leur plan acceptable aux yeux du gouvernement, sans toutefois qu'il y ait divulgation de secrets en matière de sécurité nationale. Là encore, la clarté des critères et des orientations est cruciale.
Je vous remercie.
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Monsieur le président, distingués membres du Comité, merci beaucoup. Je vous suis reconnaissant de me donner l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui.
Je suis agrégé supérieur de recherche au Centre for International Governance Innovation, où j'écris sur l'économie numérique et l'innovation.
Je souhaite vous livrer plusieurs observations. Elles concernent principalement la façon dont les modifications de la Loi sur Investissement Canada répondent à la transformation numérique.
La première est que dans l'économie de l'innovation, lorsqu'une entreprise veut se doter d'une nouvelle capacité, elle acquiert une entreprise qui a réussi à maîtriser cette fonction particulière, puis elle l'absorbe. L'importance de l'entreprise ne réside peut-être pas dans sa capitalisation boursière, mais dans le rôle qu'elle joue dans l'écosystème de l'innovation, dans la manière dont elle amplifie ou élargit sa propre palette de produits et de capacités, et dans la manière dont la technologie qu'elle acquiert se combine avec d'autres pour produire des applications de calibre international. Ce qui compte dans l'économie de l'innovation, ce n'est pas tant le seuil relatif à la taille que le seuil relatif à la connectivité. Je ne vois rien à ce propos dans les modifications proposées à l'heure actuelle.
Le deuxième point est que la loi repose sur la capacité de désigner des secteurs prescrits. Pour autant que je sache, les termes « chaîne d'approvisionnement » ou « chaîne de valeur » n'apparaissent pas dans la loi. Cependant, aujourd'hui, la toile de fond géopolitique ou le champ de bataille où se joue la guerre technologique n'est pas une question de secteurs, mais bien de chaînes d'approvisionnement. Aujourd'hui, la sécurité économique repose sur la capture des éléments précieux des chaînes qui produisent de la valeur.
Certains d'entre vous connaissent peut-être la courbe souriante de l'innovation, selon laquelle la récupération de la plus-value — c'est‑à‑dire là où il y en a beaucoup — se fait au stade initial du processus de production, ce qui, dans l'économie fondée sur les données et la connaissance, se fait par la capture des brevets, de la propriété intellectuelle et des données. Ensuite, c'est à l'extrémité qui correspond au marché que l'on trouve l'image de marque. Au milieu de la courbe, qui est la partie à faible valeur ajoutée, on trouve le traitement des données, le développement des processus, et cetera. À l'heure actuelle, c'est là‑dessus que le Canada se concentre. Nous sommes absents de la partie supérieure de la chaîne de valeur.
Dans le cadre de l'élaboration d'une loi sur Investissement Canada qui soit efficace pour le pays, la question qui se pose à nous est la suivante: comment pouvons-nous capter le haut de la courbe? Je ne vois pas cela non plus dans la loi proposée.
Mon troisième point est que les données sont le capital essentiel de l'économie moderne, laquelle est fondée sur le savoir et pilotée par les données. Dans ce contexte, la valeur est protéiforme. Elle dépend de l'application. Ce qui a de la valeur pour une personne peut ne pas en avoir pour une autre. C'est l'un des domaines les moins bien compris de l'économie de marché.
Dans les années 1990, Robert Solow a dit que la révolution informatique était partout sauf dans les statistiques économiques. Aujourd'hui, les données sont partout sauf dans les statistiques économiques et commerciales. Nous ne les voyons pas, mais nous savons qu'elles sont très puissantes et très importantes. Une entreprise peut être sans valeur, sa capitalisation boursière peut être minime, mais les données qu'elle possède peuvent avoir une valeur énorme. Du point de vue de la sécurité nationale, cela peut être très important pour le Canada. Or, il n'est pas facile de voir comment la Loi sur Investissement Canada tient compte de cette réalité particulière.
Le quatrième point est que l'avant-projet de loi est basé sur le fait qu'une entité a un lieu d'opérations, des employés ou des actifs au Canada. Avant la transformation numérique, la combinaison des contrôles à l'exportation et du filtrage des investissements couvrait efficacement le front de mer pour protéger nos préoccupations de sécurité nationale en ce qui concerne le fonctionnement de l'économie. Cependant, avec la transformation numérique, il est désormais possible pour les entreprises d'opérer au Canada de façon virtuelle. Cette distinction est reconnue dans le cadre inclusif de l'OCDE et du G20 aux termes duquel nous nous sommes mis d'accord sur la manière de taxer les opérations des multinationales étrangères qui ont présence non négligeable au Canada, mais sur une base virtuelle.
Ces entreprises peuvent saisir des données et influencer notre société tout autant sur une base virtuelle que n'importe quelle entreprise ayant une présence physique au Canada, mais il n'existe actuellement aucun moyen de contrôler cette présence.
Si nous devions généraliser ce que nous faisons aujourd'hui avec la Loi sur Investissement Canada, nous parlerions d'une « loi sur les activités au Canada ». Une partie de cette loi concernerait les opérations physiques que nous appelons investissement. Une autre partie concernerait la présence virtuelle. Nous n'avons pas encore fait cette distinction, et nous ne répondons donc pas encore de manière adéquate à la transformation numérique qui s'est opérée.
Une autre partie serait la présence virtuelle. Nous n'avons pas encore cette distinction, et nous ne répondons donc pas encore de manière adéquate à la transformation numérique.
Le cinquième et dernier point est que, selon moi, la plus grande menace pour notre sécurité nationale à l'heure actuelle est la messagerie personnelle microciblée et fondée sur des données qui crée des divisions. Les notes techniques de GPT‑4, le modèle à grande échelle le plus puissant récemment publié par OpenAI, expliquent à quel point il est facile de faire en sorte que les factions se haïssent les unes les autres. Il est également très facile de modifier un algorithme pour qu'il passe de « ne pas nuire » à « maximiser le mal ». Cela a été prouvé lors d'essais.
La question est de savoir comment aborder ce problème. La Loi sur Investissement Canada comporte une section consacrée aux industries culturelles. Notre culture est transformée par cet afflux d'information et de désinformation, sans qu'aucun référendum n'ait été organisé sur la manière de gérer cela concrètement.
Je dirais que nos institutions culturelles sont dans le domaine de l'attention, et que celles qui existent ne sont pas très concurrentielles. Nous n'avons actuellement aucun moyen de faire face à cette situation et, bien que la Loi sur Investissement Canada prétende aborder cette question, elle ne le fait pas.
Je vais m'en tenir à cela.
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Monsieur le président, membres du Comité, merci de me donner l'occasion de comparaître aujourd'hui.
Je m'appelle Jim Balsillie et suis président du conseil d'administration du Conseil canadien des innovateurs. Dans notre économie moderne axée sur les connaissances et les données, les sources de prospérité et les vecteurs de risque ont évolué. La modernisation de la Loi sur Investissement Canada est une étape stratégique cruciale qui peut favoriser la prospérité et la sécurité du pays. Malheureusement, les modifications proposées ne suffiront pas si nous voulons atteindre cet objectif.
Le sens donné à l'investissement direct étranger, ou IDE, sur lequel s'appuie le document mis à jour, est fondé sur l'économie du tangible. Or, l'économie moderne repose sur les connaissances et les données. Dans une telle économie, l'IDE est extractif, en ce sens que les actifs sous forme de technologie, de connaissances et de données, mais aussi les hauts dirigeants, l'assiette fiscale et l'effet de richesse, peuvent aisément sortir des pays qui reçoivent des investissements étrangers. Les risques relatifs à la prospérité et à la sécurité ne doivent pas être évalués en fonction de la taille et du type d'acheteur, mais plutôt d'après la nature des retombées économiques et en matière de sécurité.
Ainsi, les risques pour l'économie et la sécurité ne devraient pas être analysés séparément. La propriété intellectuelle et les données comportent maintes facettes qui sont interreliées, ce qui se traduit par ce qu'on appelle la technologie « à double usage » qui a de la valeur tant sur le plan économique que de la sécurité nationale. Toute évaluation des risques et des avantages nets doit inclure la valeur économique et sécuritaire globale et intégrée des actifs, tout comme la nature nouvelle des retombées économiques de l'intangible.
Deuxièmement, la liste des technologies stratégiques et l'ensemble des facteurs de risque sont incomplets et doivent correspondre à ceux de nos alliés, plus particulièrement ceux des États-Unis.
La Loi sur Investissement Canada doit être régulièrement mise à jour pour encadrer adéquatement une évaluation avisée de tout investissement au Canada. À de nombreux égards, la propriété intellectuelle et les données s'apparentent aux biens publics, ce qui veut dire que les décisions prises par les entreprises ne tarifient pas les retombées connexes dans les ententes contractuelles. C'est particulièrement vrai dans le cas des données, dont l'imposant double usage a une incidence non seulement sur la sécurité de nos infrastructures nationales, comme le transport, les télécommunications, l'énergie et les finances, mais aussi sur l'ensemble des secteurs économiques et des domaines d'interactions humaines, y compris la démocratie.
Je recommande donc, premièrement, d'élargir la portée de tout examen afin d'y inclure une approche plus appropriée par rapport aux technologies stratégiques critiques, ce qui permettrait d'évaluer les partenariats, les licences et les transactions des universités associés à de la propriété intellectuelle et à des données de valeur. Si les actifs sont jugés essentiels à la prospérité et à la sécurité du Canada, la Loi sur Investissement Canada doit veiller à ce qu'elles demeurent sous notre contrôle, peu importe le type de contrepartie étrangère ou la nature de la relation commerciale.
Deuxièmement, donner au gouvernement fédéral des pouvoirs législatifs semblables à ceux imposés par la loi en Australie et qui lui permettent de défaire tout investissement, partenariat universitaire, coentreprise, fusion ou acquisition existants.
Troisièmement, développer au sein du gouvernement fédéral une capacité de gouvernance pour l'économie d'aujourd'hui. Des initiatives récentes en matière d'IDE, comme le projet Sidewalk Toronto, les partenariats universitaires avec Huawei et les stratégies de marketing d'Investir au Canada, montrent que l'appareil décisionnel canadien est non seulement ancré dans une économie de production traditionnelle révolue, mais qu'il cumule plusieurs décennies de retard par rapport aux réalités de l'économie d'aujourd'hui.
Quatrièmement, créer une entité experte et transparente semblable au comité pour l'investissement étranger aux États-Unis, le CFIUS, qui mettra en œuvre et supervisera pour le gouvernement fédéral toute la réglementation et les stratégies d'IDE, d'une façon qui s'apparente à l'approche cohérente et coordonnée pour laquelle M. Burton vient de plaider.
La nature stratégique de la propriété intellectuelle et des données a restructuré les marchés en reconfigurant la façon dont l'économie tire profit de la technologie et introduit de nouveaux risques. C'est pour cette raison que les économies avancées et nos alliés ont déployé d'importants efforts pour concevoir des systèmes modernes de tri des investissements et qu'ils continuent d'y apporter des mises à jour dynamiques, ce qui vient donner encore plus de poids aux examens des investissements étrangers nécessaires à la défense des intérêts nationaux de valeur. Le Canada doit faire la même chose s'il veut défendre son infrastructure essentielle et ses actifs vitaux à notre prospérité, sécurité et souveraineté.
Bonjour, monsieur le président et distingués membres du Comité.
Je m'appelle Sandy Walker et suis présidente de la Section du droit de la concurrence et de l'investissement étranger à l'Association du Barreau canadien. Je suis également associée au cabinet Dentons Canada.
Je remercie le Comité pour son invitation à discuter des modifications proposées à la Loi sur Investissement Canada.
[Français]
Les principaux objectifs de l'ABC sont l'amélioration du droit et de l'administration de la justice, et c'est dans cette optique que nous sommes ici aujourd'hui.
[Traduction]
Je suis accompagnée aujourd'hui de Michael Caldecott, président du Comité sur l'Examen de l'investissement étranger de la Section. M. Caldecott est associé au cabinet McCarthy Tétrault.
D'emblée, la Loi sur lnvestissement Canada reconnaît tant l'importance des investissements étrangers pour l'économie canadienne que l'importance d'un mécanisme d'examen des investissements étrangers pour protéger la sécurité nationale du Canada. Aujourd'hui, nous vous présentons notre point de vue sur la façon dont le projet de loi peut être amélioré pour veiller à sa mise en œuvre efficace sans imposer de fardeau inutile aux investisseurs étrangers et au gouvernement.
Le projet de loi établit un régime d'avis obligatoire avant la mise en œuvre pour les acquisitions d'unités exerçant des activités commerciales réglementaires. Il ne pourrait donc pas y avoir clôture de telles transactions sans autorisation. Pour assurer la prévisibilité, il est primordial que le nouveau régime n'entre pas en vigueur tant que des termes cruciaux tels que « activités commerciales réglementaires » n'auront pas été définis. Ces définitions sont essentielles pour établir si un avis avant la mise en œuvre est nécessaire et, de ce fait, devraient figurer soit dans la loi ou, sinon, dans un règlement d'application permettant au projet de loi de définir ces termes.
Deuxièmement, si ces définitions ne figurent pas dans la loi, la version préliminaire du règlement devrait être rédigée parallèlement au projet de loi ou l'amendement devrait entrer en vigueur seulement quand le règlement aura été terminé.
Troisièmement, le projet de loi englobera les acquisitions d'une participation minoritaire dans une entité étrangère ayant une filiale canadienne. Même si l'entreprise visée a des activités très limitées au Canada, dans de tels cas, il est peu probable qu'il y ait des préoccupations en matière de sécurité nationale. Nous recommandons donc d'exclure ces acquisitions indirectes quand les revenus ou les actifs au Canada sont inférieurs au seuil minimal.
Quatrièmement, en ce qui a trait aux transactions en cours à l'entrée en vigueur des amendements, nous recommandons que le nouveau régime entre en vigueur 90 jours après la sanction royale.
J'invite maintenant mon collègue Mike Caldecott à traiter d'autres points.
Notre deuxième point porte sur la division de l'examen des investissements, qui devra disposer des ressources adéquates pour administrer le nouveau régime d'avis. Le gouvernement doit être en mesure de traiter rapidement les avis pour établir leur complétude, car la période prévue pour l'examen en matière de sécurité nationale commence à la date de certification de l'avis, et la clôture n'est pas possible avant la fin de cette période.
Actuellement, la division n'arrive pas à rendre rapidement de décision sur la certification. La décision est souvent prise au moins un mois ou plus après l'avis. Une augmentation du nombre d'avis rendra le moment de la certification encore plus épineux et pourrait grandement retarder la clôture des transactions, ce qui nuirait à la crédibilité du gouvernement au sein des communautés d'affaires canadienne et internationale.
Nous recommandons que le gouvernement ait l'obligation d'évaluer la complétude d'un avis dans les trois jours ouvrables et qu'il veille à ce que la division ait les ressources adéquates pour respecter cette échéance.
Le troisième point est l'introduction de mesures provisoires. Le projet de loi permet au ministre d'interdire toutes les formes de planification d'une transaction, y compris les activités qu'il est légitime d'entreprendre après la signature ou avant la clôture. Nous croyons que le ministre devrait avoir un tel pouvoir extraordinaire non supervisé seulement pendant une période précise, par exemple pendant 30 jours. S'il souhaite prolonger l'interdiction provisoire, le ministre devrait demander une ordonnance judiciaire et fournir un avis aux parties concernées.
Le projet de loi donne également au ministre le pouvoir d'accepter des mesures d'atténuation comme conditions d'approbation. Afin de favoriser la transparence, nous estimons que le ministre devrait publier à intervalles réguliers des orientations regroupées et anonymisées précisant les types de mesures d'atténuation acceptées.
Enfin, le projet de loi donne au gouvernement une plus grande capacité d'imposer son privilège en matière de sécurité nationale pendant un examen judiciaire d'un arrêté en matière de sécurité nationale, ce qui soulève de graves préoccupations quant à la capacité des investisseurs à exercer efficacement leur droit à demander un contrôle judiciaire.
Nous avons proposé des options pour remédier à ce déséquilibre et en arriver à un processus décisionnel amélioré et plus équitable.
Merci une fois de plus de nous donner l'occasion de témoigner aujourd'hui. Nous avons hâte de répondre à toutes les questions que vous pourriez avoir.
:
Je vous remercie, monsieur le président, et je remercie nos témoins d'être avec nous.
J'ai d'abord quelques questions pour M. Burton.
En 2017, le précédent ministre de l'Industrie n'a pas demandé un examen complet des risques liés à la sécurité nationale lors de l'acquisition de la société de télécommunications Norsat International, basée en Colombie-Britannique, et de sa filiale Sinclair Technologies — deux sociétés de télécommunications au Canada — par la société chinoise Hytera, qui est partiellement détenue par le gouvernement chinois.
La mine Tanco, basée au Manitoba, qui est la seule mine de lithium en production au Canada, a été achetée par une société chinoise, Sinomine, en 2019. Là encore, le gouvernement a approuvé cette acquisition sans procéder à un examen des risques pour la sécurité nationale. En plus de tout le lithium qu'elle produit qui est destiné à la Chine, la mine produit également plus de 65 % du césium mondial, un métal utilisé dans les applications de forage. Il s'agit également du plus grand gisement de tantale du Canada, un métal utilisé cette fois dans les produits électroniques.
En janvier 2022, le n'a pas respecté ses propres lignes directrices lorsqu'il a accéléré le rachat de la société canadienne Neo Lithium Corp par l'entreprise d'État chinoise Zijin Mining Group, sans procéder à un examen des risques pour la sécurité nationale.
Il me semble que la loi, à l'heure actuelle, est totalement inefficace pour régir les examens des risques liés à la sécurité nationale et les pouvoirs du ministre de les effectuer. Si j'ai bien compris, ce projet de loi ne modifie en rien le seuil, qui est actuellement de 415 millions de dollars, de sorte qu'une entreprise d'État dont le chiffre d'affaires est inférieur à 415 millions de dollars n'est soumise à aucune autorité ou à aucun examen du ministre.
Y a‑t‑il quelque chose dans ce projet de loi qui modifie l'exigence ou qui répond à la demande du Comité dans son rapport de 2020 concernant le seuil d'évaluation, à savoir qu'il soit ramené à zéro dollar quand il s'agit d'une entreprise d'État, afin de garantir qu'un examen des risques liés à la sécurité nationale est effectué?
:
Oui, je suis tout à fait d'accord. Je suis consterné par les exemples que vous avez donnés, et nous avons failli céder Aecon, l'entreprise de construction, à la Chine. Il y a tant d'exemples de ce genre.
Il est étonnant que nous ne semblions pas comprendre la gravité de la menace que la Chine fait peser sur la sécurité du Canada. Nous ne cessons de prendre des décisions de ce genre, ou nous annulons même une décision du cabinet Harper concernant l'acquisition d'entreprises par l'État chinois.
Je suis d'accord avec les représentants de l'Association du Barreau canadien pour dire que nous avons besoin de ressources adéquates pour le régime de notification, mais pour une raison différente. L'Association veut que nous procédions plus rapidement. Je comprends cela, mais je pense que nous avons besoin de beaucoup plus d'expertise au sein du gouvernement pour éclairer ces décisions. Il faut vraiment se demander pourquoi, fois après fois, lorsqu'il y a de sérieuses allégations de malversations de la part d'entités liées à la Chine, on semble mettre les rapports à ce sujet au fond d'un tiroir et ne pas y donner suite.
Je ne veux pas donner dans la partisanerie ici. J'aimerais simplement comprendre les raisons pour lesquelles ces décisions n'ont pas été prises suivant les rapports du SCRS.
:
Il s'agit également d'un problème récurrent. J'ai publié un article dans le
Globe and Mail mardi concernant le fait que la China Investment Corporation n'a pas offert de soutien à Teck lors de ces tentatives.
Nous assistons à ce genre de situations depuis longtemps. Dans le cadre de notre ancienne politique qui visait à autoriser des immigrants investisseurs chinois, par exemple, à venir au Canada, on évaluait essentiellement si la personne s'était comportée de manière à respecter les règles chinoises concernant l'évasion fiscale et la corruption, en partant du principe que si elle respectait les règles chinoises, elle respecterait aussi les règles canadiennes.
Le programme a finalement été annulé, car cela ne fonctionne tout simplement pas. On ne peut pas s'attendre à ce qu'une entreprise fasse preuve de rectitude morale au Canada alors qu'elle s'est comportée de manière épouvantable dans des pays étrangers. C'est mon opinion, en tant que non-expert en la matière.
:
L'une des façons d'assurer un bon équilibre dans la loi est de veiller à ce que les bonnes transactions soient prises en compte dans la procédure d'avis préalable obligatoire. Il faut donc au moment de définir une « activité commerciale réglementaire » se concentrer sur ces domaines, ces transactions, ce qui veut dire les acquisitions d'entreprises dans des secteurs menant des activités qui soulèvent le plus de préoccupations relatives à la sécurité nationale.
Nous disposons actuellement de lignes directrices à cet égard. L'annexe comporte une dizaine de facteurs. C'est très général et il n'y a pas beaucoup d'indications. On dit simplement, par exemple, « biotechnologie » ou « informatique quantique ». Je n'ai pas la liste sous les yeux, mais elle est extrêmement vague, et il y a très peu d'indications.
Le gouvernement pourrait aussi regarder ce que d'autres pays ont fait. Au Royaume-Uni, la NSIA, la National Security and Investment Act, décrit assez longuement les types de transactions qui présentent des risques pour la sécurité nationale. Aux États-Unis, le CFIUS, le comité sur les investissements étrangers, dispose de beaucoup d'informations sur les types de secteurs et d'activités qui créent des risques pour la sécurité nationale. C'est une façon de procéder.
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C'est la grande question que nous nous posons tous aujourd'hui.
Nous pouvons à tout le moins commencer par reconnaître que les données sont un actif très précieux, mais qu'elles n'ont pas, en même temps, de valeur en argent précise. Nous ne pouvons pas nécessairement chiffrer cette valeur. Nous le voyons indirectement dans la capitalisation boursière des entreprises qui ont des quantités très limitées d'actifs physiques, mais une capitalisation boursière très importante. Elles n'ont même pas d'actifs incorporels sous la forme de propriété intellectuelle, de brevets, etc. Nous savons que les données ont énormément de valeur.
Nous voyons aussi des transactions commerciales qui portent uniquement sur des données. Une entreprise peut ne pas faire beaucoup d'argent, mais faire l'objet d'une transaction de plusieurs milliards de dollars, simplement en raison des données qu'elle possède. Comment faire face à cette situation?
Je pense qu'il faut d'abord faire en sorte que les entreprises divulguent le fait qu'elles possèdent des données, puis que nous appliquions un seuil à la quantité de données — voire à leur valeur — et que nous ayons une description des données pour savoir si elles pourraient poser des problèmes de sécurité nationale, et savoir comment ces données sont liées à d'autres formes de données qui pourraient se trouver dans l'écosystème canadien.
Il s'agit d'établir une nouvelle terminologie sur la connexité des entreprises. Ari Van Assche, qui se trouve à Montréal, a d'ailleurs travaillé sur ce sujet. Il a élaboré des tableaux qui montrent comment les entreprises procèdent, mais nous n'en sommes qu'aux premiers stades de la compréhension de ce phénomène.
Dans un premier temps, je suggérerais que nous ayons un critère distinct pour les données, qui porterait sur leur divulgation et leur description. Il s'agirait de déterminer si la quantité de données est significative et si elle est préoccupante pour le Canada.
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Merci, monsieur le président.
Je vais commencer par M. Burton.
Monsieur Burton, la semaine dernière, lors de notre séance du Comité, j'ai demandé au si la réforme de la Loi sur Investissement Canada allait protéger le Canada des entreprises étrangères pouvant être hostiles à ses intérêts, pas seulement lorsqu'elles tentent d'acquérir des entités québécoises ou canadiennes, mais aussi si elles remportaient des appels d'offres publiques dans des secteurs stratégiques. J'ai donné l'exemple de l'entreprise chinoise CRRC, qui s'est qualifiée pour le renouvellement de la flotte de wagons du métro de Toronto, alors que cette entreprise a été bannie aux États‑Unis.
Selon vous, devrions-nous améliorer la Loi sur Investissement Canada afin de bannir des entreprises comme la CRRC dans ce type de cas?
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Non, l'approche utilisée dans la Loi sur Investissement Canada a accru mes inquiétudes.
Ce que nous devons comprendre dans ce monde qui a changé, c'est que ces domaines sont d'abord très techniques et qu'ils requièrent donc une expertise, et ensuite, qu'il existe un lien entre la gestion de la propriété intellectuelle, la recherche, les accords commerciaux, l'investissement étranger direct, le traitement fiscal, les stratégies de concurrence, la gestion de la vie privée et la protection de la démocratie. Ces forces se recoupent et sont très techniques.
Le Canada a connu une érosion systémique dans ces domaines sur les plans économique et non économique à l'ère numérique pour avoir négligé cela. Ce sont les maillons d'une chaîne. Ils doivent être examinés de manière systémique. Si vous échouez dans la recherche scientifique, ou dans la bonne mise à jour de cette loi, ou si vous considérez les accords commerciaux comme des accords de contrôle à distance de la réglementation et non comme une facilitation tangible du commerce, alors ce maillon faible peut être exploité. Il peut éroder le travail de tous les autres textes législatifs. Il est absolument essentiel que nous améliorions tous les éléments du système.
Ce n'est pas une question de traitement, c'est une question de compréhension, et nous avons besoin d'une approche experte et systémique, sinon l'érosion que nous connaissons sur les plans économique et non économique au cours des dernières décennies se poursuivra.
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Voici ce qui me préoccupe. En l'absence de droits à payer, il faut choisir entre des réductions de service par ailleurs ou des hausses d'impôt. Nous devons mettre en place de telles mesures pour les acquisitions d'entreprises canadiennes par des intérêts étrangers, et j'ai été étonné de voir que cela ne figurait pas dans vos recommandations, car c'est beaucoup demander aux contribuables canadiens qui ne devraient pas avoir à payer quoi que ce soit lorsque nous perdons une de nos entreprises.
Je vais maintenant m'adresser à nos trois autres témoins ici présents, MM. Balsillie, Ciuriak et Burton. Je vais vous soumettre un cas que j'estime important, d'autant plus que je crois vous avoir entendu mentionner, monsieur Balsillie, la création d'un comité pour le transport et l'exportation, alors que M. Burton a fait allusion à Aecon Construction. J'estime donc que c'est un bon exemple, et j'aimerais savoir ce que vous en pensez.
J'ai eu droit aux railleries de différents collègues à la suite d'une manchette faisant état en 2018 des inquiétudes du député de Windsor-Ouest quant à la possible participation de la Chine au projet de construction du pont Gordie-Howe. Aecon Construction avait alors amorcé la construction de ce nouveau passage transfrontalier emblématique dans ma circonscription par laquelle transitent essentiellement 40 % des échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis. Je travaillais sur ce projet de nouveau pont depuis 1998, et nous avions finalement eu gain de cause. Je n'arrivais pas à le croire, mais Aecon Construction avait été mise en vente au moment où les travaux ont été entrepris et les gens n'ont pas voulu… Étant donné que ce pont nous relie aux États-Unis, nous n'avons pas manqué de soulever la question.
Je vais m'adresser d'abord à M. Balsillie. Ce comité, cette entité dont vous parliez, à quel point est‑ce important? L'exemple que je vous donnais est plutôt simple, la construction d'un pont, mais nous devons maintenant composer avec l'intelligence artificielle, les minéraux critiques et toutes sortes d'autres enjeux.
Alors, j'aimerais d'abord entendre M. Balsillie à ce sujet, puis nos autres témoins.
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La Chine est effectivement une entité non négligeable. Ce pays investit des sommes colossales, notamment dans son capital de savoir. Il occupe maintenant le premier rang mondial pour ce qui est du nombre de brevets. C'est aussi l'un des pays connaissant la croissance la plus rapide quant aux revenus tirés de la propriété intellectuelle à l'échelle internationale. La Chine commercialise donc désormais ses propres connaissances, mais est aussi le pays qui paie le plus au monde pour la propriété intellectuelle. Autrement dit, l'État chinois est le principal importateur de technologie de la planète au moment même où il est visé par des sanctions dans le secteur technologique.
La Chine va demeurer bien présente, même dans le secteur des puces informatiques où elle n'occupe actuellement que 7,6 % du marché mondial et se bute aux pressions exercées par les États-Unis qui sortent l'artillerie lourde pour l'empêcher de progresser. Les Chinois vont tout de même de l'avant graduellement en améliorant leurs processus et devraient arriver à leurs fins d'ici cinq ans. Nous devrons alors composer avec eux.
C'est un non-sens de penser que nous pouvons éviter toute relation avec la Chine. Il s'agit plutôt de se demander comment nous allons définir ces relations. Les Européens parlent d'atténuation des risques. Est‑ce que l'atténuation des risques veut dire qu'une entreprise chinoise ne peut pas construire un pont au Canada? Si l'on parle plutôt d'une infrastructure interactive comportant une large part de télécommunications et de données en circulation, nous aurions peut-être intérêt à nous demander quelles entreprises de quels pays participent à la construction et à la gestion de cette infrastructure. Si c'est quelque chose de strictement physique qui est construit au Canada, avons-nous vraiment lieu de nous inquiéter?
Cela nous ramène aux données et aux informations qui circulent au sein de notre économie. Nous nous éloignons d'un monde où les échanges commerciaux entre les pays se limitaient à des produits totalement inertes. Les produits ont maintenant leur intelligence propre, et cette intelligence se retrouve de plus en plus au sein de nos infrastructures, ce qui complique grandement les choses.
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Merci, monsieur le président.
Je crois que nous vivons à une époque fort intéressante. Je sais que M. Balsillie vient de comparaître devant notre comité des sciences et des technologies. Nous discutions de la commercialisation de la propriété intellectuelle et de la nécessité de détenir une plus grande proportion de ce que nous créons, et voici maintenant que nous tentons aujourd'hui de nous assurer de protéger nos créations.
Je veux vraiment revenir à quelques-unes des recommandations que vous avez adressées au Comité. Je conviens tout à fait avec vous que l'on ne devrait pas analyser séparément les risques pour l'économie et ceux pour notre sécurité. Il ne fait aucun doute également qu'il nous faut des listes des technologies stratégiques et essentielles comme celles dont disposent les Américains. Je crois que votre dernière recommandation était que l'on mette sur pied un comité de l'investissement étranger comme le CFIUS aux États-Unis. Nous avons pour l'instant une Division de l'examen des investissements à Innovation, Sciences et Développement économique Canada , ou ISDE. Je crois que l'une des différences que j'ai pu noter est que le CFIUS est une agence interne dont le travail touche de nombreux ministères, alors que cela se limite pour nous à ISDE.
Cela nous ramène à ce que je voulais faire valoir tout à l'heure. Nous ne nous intéressons pas pour l'instant aux actifs intangibles. Nous ne parlons certes pas des données et de la propriété intellectuelle, et de la nécessité de protéger tout cela. Il y a aussi bien sûr l'intelligence artificielle sur laquelle nous allons nous pencher dans notre étude du projet de loi . C'est quelque chose d'incroyablement puissant dont nous ne connaissons pas encore les effets sur la propriété intellectuelle et les données.
Je me demandais simplement si nous ne devrions pas envisager une recommandation visant à conférer des pouvoirs supplémentaires à la Division de l'examen des investissements à ISDE pour toucher peut-être plusieurs ministères… En outre, comment devrions-nous procéder avec l'intelligence artificielle, sans parler simplement de la propriété intellectuelle et des données elles-mêmes?
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Je demeure toujours préoccupé par la quantité d'attention accordée à ces enjeux. Je pense à la Loi sur l'intelligence artificielle qui serait administrée par le promoteur de l'intelligence artificielle, qui en est également le régulateur avec un pouvoir discrétionnaire de ministre.
Il y a certaines questions à l'égard desquelles le Bureau de la concurrence recherche une plus grande indépendance. Nous considérons des enjeux pour lesquels il conviendrait de conférer davantage de pouvoirs au commissaire à la protection de la vie privée, plutôt que de lui en enlever. Il y a des organismes subventionnaires relevant d'ISDE qui n'ont jamais eu à gérer d'actifs comme l'intelligence artificielle et les données qui s'y rattachent, et voilà qu'on veut maintenant leur confier un rôle plus important dans ce contexte‑ci. Qu'en est‑il de la gouvernance de tout cela? Quels sont les enjeux en matière d'expertise? Quelles sont les ressources nécessaires? Dans quelle mesure y a‑t‑il vraiment transparence?
Nous devons mettre en place un conseil économique sous une forme ou une autre pour pouvoir développer cette expertise et la faire rayonner par la suite. Nous devons commencer à créer des organismes devant faire montre de transparence et rendre des comptes en la matière que le Parlement pourrait convoquer pour qu'ils expliquent leurs justifications.
Les approches généralistes, informelles et non transparentes de ce genre ne servent pas bien les intérêts du Canada en cette ère de l'économie du savoir. L'érosion actuelle va se poursuivre et même s'accélérer. Si nous ne parvenons pas à y mettre un frein avant d'atteindre un point de non-retour, nous verrons tout simplement s'aggraver ces différents problèmes portés à notre connaissance comme la polarisation, l'érosion économique, notre sécurité qui est compromise, et l'intimidation dont nous sommes victimes lors de la négociation de nos accords commerciaux.
Il faut s'engager de façon systémique et structurée en faveur du développement d'une expertise véritablement transversale. Comme le disait Einstein, tout doit être aussi simple que possible, mais pas plus simple.
Ce sont des questions épineuses, et il ne faut pas prétendre le contraire. Nous ne devons pas prétendre non plus que nous n'aurons pas à composer avec la Chine. Sa présence va juste devenir de plus en plus sentie.
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Je vais maintenant m'adresser à Mme Walker et M. Caldecott pour une question d'ordre juridique. Ce projet de loi modifiant la Loi sur Investissement Canada comporte des directives particulières pour la Division de l'examen des investissements à ISDE.
Nous voulons nous assurer que les choses sont bien claires. M. Balsillie recommande que nous actualisions notre liste des technologies stratégiques, ce qui est de la toute première importance, car le Canada doit non seulement protéger ses actifs essentiels, qu'ils soient tangibles ou intangibles comme l'intelligence artificielle, mais la Division de l'examen des investissements aura elle aussi une liste à gérer.
Quelles dispositions de ce projet de loi...? Comment encadrer tout cela pour en assurer la protection? Il est vraiment difficile de rendre la Loi sur Investissement Canada prescriptive étant donné que la lenteur de l'appareil gouvernemental fait en sorte, comme nous avons pu le constater, qu'il faut parfois compter deux ans pour modifier un texte législatif. Comment, d'un point de vue juridique, pouvons-nous assurer ce caractère prescriptif dans nos recommandations à la Division de l'examen des investissements dans le cadre de la Loi sur Investissement Canada pour qu'elle dispose de meilleurs moyens d'action ou d'une liste complète des technologies essentielles que nous devons protéger?
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Eh bien, je crois que nous devons revoir notre évaluation du mouvement des investissements étrangers. Nous utilisons en effet un cadre analytique convenant à une économie de production où l'on importe en quelque sorte une capacité de gestion, une technologie, une assiette fiscale et une chaîne d'approvisionnement, alors que l'économie immatérielle est en fait à l'origine d'un phénomène d'exfiltration avec des mouvements vers l'étranger. Je pense donc que notre façon de percevoir les investissements directs étrangers… Il suffit de regarder les outils de promotion de l'organisation Investir au Canada. On leur donne de l'argent pour qu'ils érodent les bases de notre économie.
Au sein des chaînes de valeur, il n'y a pas d'amis. Il doit y avoir un propriétaire et un locataire. Tout le monde veut que nous soyons le locataire et chacun souhaite être le propriétaire, si bien que nous n'aurons d'autre choix que de nous tenir debout pour défendre nous-mêmes les intérêts de notre pays.
Il faudra bien sûr un cadre analytique approprié pour évaluer la façon dont les choses se déroulent. En mettant à contribution un cadre semblable avec l'expertise voulue, on pourra cesser de prendre toutes ces mesures qui nous semblent utiles, mais qui sont en fait nuisibles. Notre dernier rang au sein de l'OCDE en matière de prospérité est le résultat de plusieurs décennies de politiques publiques malavisées. Cela n'a rien à voir avec le dynamisme économique. C'est une question de politiques publiques, et nous devons braquer les projecteurs sur la cause véritable, sans quoi nous ne pourrons jamais régler le problème.
Ces enjeux se retrouvent maintenant sur différentes tribunes, et notamment devant ce comité. C'est le produit de décennies d'inattention. Si nous ne réglons pas le problème dès maintenant, vous allez devoir constater dans 10 ans d'ici des répercussions qui seront loin de vous plaire.
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Si l'on considère que la plupart de ces relations mènent en fait à une forme d'exfiltration… Nous avons mis des décennies à concevoir la technologie de base pour l'intelligence artificielle avant d'en faire cadeau à Google. Les contribuables canadiens ont financé le développement de la technologie des batteries pour véhicule à l'Université Dalhousie, et c'est Tesla qui en bénéficie. Nous devons nous contenter de quelques rapports de recherche. Ce sont pourtant les contribuables canadiens qui ont payé pour tout cela.
Voudriez-vous disposer du pouvoir législatif permettant de démanteler le tout? En quoi consistent exactement les investissements directs étrangers que nous « perdons »? Vous gagnez 10 ¢ pour perdre 10 $, et vous aimeriez avoir la possibilité de mettre fin à cela. Je trouve que c'est plutôt une bonne idée, car je n'apprécie pas ce genre d'investissements directs étrangers et j'estime que si on prenait le temps nécessaire pour confier cette analyse à des experts, ils en arriveraient à la conclusion que nous nous tirons dans le pied, et que ce n'est pas du tout le genre d'investissements directs étrangers que nous souhaitons.
C'est la recherche de tels investissements directs étrangers qui nous confine au dernier rang de l'OCDE depuis une quarantaine d'années, avec des prévisions nous maintenant dans la même position pour les 40 années à venir. C'est en raison de nos politiques publiques médiocres que certains Canadiens n'arrivent pas à joindre les deux bouts.
Je ne pense pas que nous désirions des investissements directs étrangers de la sorte suivant ces conditions. Les autres pays encadrent ces partenariats au moyen de structures permettant de prendre en compte un maximum de considérations économiques et non économiques pour favoriser le mieux-être de leurs citoyens. Notre néolibéralisme extrême nous a beaucoup nui.
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Encore une fois, j'aimerais savoir, premièrement, s'il y a l'expertise nécessaire pour faire un examen en bonne et due forme et si cet examen est fait intégralement. Deuxièmement, est‑il effectué de manière transparente, de sorte que nous puissions savoir où il est effectué et qu'il y ait une reddition de comptes au Parlement? Troisièmement, tient‑on compte de tous les éléments importants? J'ai mentionné les données, tout comme M. Ciuriak, et ma réponse à toutes ces questions est non.
Je le répète: si nous ne commençons pas à repenser nos approches, notamment en matière de commerce, d'investissement, de concurrence, de démocratie, de protection de la vie privée et d'intelligence artificielle, des éléments interreliés et qui interviennent dans tous les contextes, nos citoyens paieront le prix de notre inattention. Il est temps de cesser de ne pas prendre tout cela au sérieux.
J'ai déjà parlé de données réglementées et d'intelligence artificielle. Nous voyons la pertinence de l'intelligence artificielle monter en flèche, et bien des gens parlent de l'interrelation entre les données et l'intelligence artificielle. Or, cela ne semble pas bien pris en compte dans nos approches. C'est juste... C'est du théâtre réglementaire, et nous devons accepter le fait que c'est notre modus operandi depuis bien trop longtemps.
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Cela dépend. Dans le cas de cet investissement que vous venez de mentionner, si nous sommes en concurrence avec les États‑Unis ou d'autres endroits potentiels où Volkswagen pourrait investir, il y a peut-être des éléments que nous voudrions garder pour nous, en tant qu'État — que ce soit au Québec ou au Canada — pour ne pas montrer notre jeu, si vous voulez.
De ce point de vue, si nous avons une bonne raison — il faut toutefois la donner, cette raison —, nous pouvons effectivement ne pas divulguer tous les éléments de ce que nous avons fait pour attirer un investissement.
Évidemment, nous avons besoin d'une loi plus forte pour nous assurer que les investissements étrangers n'ont pas une incidence négative sur notre sécurité. Toutefois, nous pouvons quand même être transparents quant aux critères que nous utilisons pour décider ce qui est une menace à la sécurité et ce qui ne l'est pas.
La transparence, c'est bon, mais surtout pour expliquer quels critères nous utilisons pour accepter ou refuser un investissement. Cela ne veut pas dire que nous devons divulguer des secrets.
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Merci, monsieur le président.
Je commencerai par M. Burton, puis je m'adresserai aux gens de l'autre côté de la table très rapidement. Je n'ai que deux minutes et demie, alors je dois vous demander d'être aussi concis que possible. Je vous prierais de vous limiter à 30 secondes chacun, si possible.
Si l'on regarde la tendance mondiale, on semble examiner de plus près les investissements et les investissements étrangers, en général. Certains proposent aujourd'hui d'affaiblir le projet de loi et d'autres, de le renforcer. J'ai toujours pensé, très franchement, comme nous avons augmenté les seuils, que ce n'était pas une bonne stratégie d'examen.
Je commencerai par M. Burton, puis m'adresserai aux gens de l'autre côté. Comment pensez-vous que ce projet de loi s'inscrit dans le contexte mondial des démocraties et du reste?
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Je vais répondre très brièvement, comme le temps est compté.
Le Canada est beaucoup moins disposé à faire preuve de transparence sur les menaces à la sécurité nationale que, disons, les États-Unis ou le Royaume-Uni. Cela semble être une question de culture: les agences de renseignement semblent conserver jalousement leurs renseignements et — évidemment, selon le Globe and Mail — les partager avec le Groupe des cinq et d'autres agences de renseignement, mais elles n'informent pas les Canadiens de ce qui se passe.
Au‑delà de ce projet de loi, notre culture doit changer, afin que nos agences de renseignement rendent davantage de comptes non seulement à la population canadienne, mais aussi au Parlement. Les balivernes qu'elles racontent aux comités parlementaires sur divers sujets quand on leur pose des questions très simples me désespèrent terriblement.
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Je pense que ce que décrivait M. Balsillie présente sans contredit un risque énorme, mais ce n'est pas mon domaine de compétence.
Je m'inquiète de notre inaction face à ces graves allégations de malversations de la part de la Chine et de l'énorme cohorte diplomatique que la Chine a au Canada, si on la compare aux cohortes diplomatiques d'autres pays. La Chine compte 146 diplomates ici. Le Japon en a 46; l'Inde, 35.
Nous devons vraiment nous pencher sur la question et prendre les mesures nécessaires. Je ne pense pas qu'il soit si difficile d'agir. Je pense que c'est le risque le plus grand.
Ensuite, bien sûr, il y a des acteurs hostiles moins bien financés comme la Russie, l'Iran et la Corée du Nord. Il importe d'empêcher tous ces acteurs de s'adonner à des activités susceptibles de nuire à notre démocratie et à notre société.
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Merci beaucoup. Merci de votre temps et de votre présence.
Madame Walker, c'est bon de vous revoir si rapidement à ce sujet.
J'aimerais adresser mes questions à M. Ciuriak et à M. Balsillie... Capitaine honoraire Balsillie. C'est un plaisir de vous voir.
Tout d'abord, je vous remercie de vos commentaires et je les comprends dans le contexte du projet de loi non amélioré. J'aimerais creuser avec vous les préoccupations que vous avez soulevées à la lumière des amendements proposés au projet de loi, notamment en ce qui concerne le partage des données, la perte de données ou l'utilisation de données contre les intérêts canadiens, et la possibilité d'autoriser le ministre à imposer des conditions provisoires.
Y a‑t‑il là une bonne base de travail? Avec les nouvelles exigences de dépôt d'avis préalable à la clôture d'une transaction, les conditions provisoires, l'instruction d'effectuer un examen approfondi des investissements, l'échange d'informations amélioré avec nos alliés internationaux, commençons-nous à aboutir à quelque chose?
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Oui, je suis bien d'accord avec tout cela. Nous n'avons pas de cadre de gestion des régimes d'affectation de crédits aux biens économiques et non économiques.
Quand je lis le projet de loi, j'ai l'impression qu'on se concentre sur les arbres sans avoir conscience de la forêt. Pour ce genre de choses... Dans l'économie de production de biens matériels, si les choses sont bien faites à 90 %, on en tire 90 % de bénéfices. Dans l'économie immatérielle, si les choses sont bien faites à 90 %, on en tire 10 % de bénéfices. L'incomplétude est pénalisée de façon non linéaire.
Nous avons besoin d'un cadre complet, d'une expertise approfondie et d'une stratégie très réfléchie. La perspective de perdre la technologie fondamentale des batteries alors que nous dépensons peut-être 13 milliards de dollars dans une usine de batteries... Ne voudrions-nous pas participer aux chaînes de valeur afin de pouvoir en tirer profit au‑delà de l'assemblage, dans toute la chaîne de valeur?
Il faut mieux gérer nos structures d'affectation de crédits, qu'on pense aux technologies minières ou à n'importe quel autre secteur de l'économie. Ce sont toutes des industries où la propriété intellectuelle et les données comptent beaucoup. Nous nous rendons compte qu'elles ont des effets sur l'insécurité sociale, il s'agit donc de nous approprier nos droits et de bien gérer les facteurs systémiques.
Ce n'est pas l'angle d'approche que je vois dans ce projet de loi, ces pouvoirs, ce cadre, comme le disait M. Ciuriak.
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La difficulté vient du fait que les besoins sont vastes, tandis que la législation est encore limitée à l'heure actuelle. Certains des éléments que vous mentionnez font l'objet d'un arrêté ministériel sur la recherche, et peut-être que la charte du numérique touche certains aspects aussi.
Je pense que c'est vous, monsieur Balsillie, qui avez mentionné que notre stratégie pourrait faire intervenir un trop grand nombre de ministères. Quelqu'un a mentionné quelque chose du genre.
Si je peux synthétiser le tout, il semble y avoir une impression générale que certains de nos alliés font les choses différemment, mieux et de façon plus complète. Il semble que nous soyons confrontés à un problème de dispersion à l'échelle du gouvernement, alors qu'il faudrait une coordination centrale.
Nos alliés abordent-ils la chose de façon centralisée? Ont-ils résolu ce problème?
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Non. Je ne le préciserais pas dans la loi pour les raisons que Sandy Walker a évoquées, à savoir qu'il est beaucoup plus facile de modifier un règlement et d'y ajouter des éléments, donc c'est là où il faudrait le préciser.
Je pense que vous avez besoin d'un régime plus articulé que celui dont vous disposez actuellement pour donner au ministre, qui aura tout de même un certain pouvoir discrétionnaire, la possibilité d'intervenir en cas de besoin.
Nous forgeons ce régime au fur et à mesure que la situation évolue, tout comme nos alliés. Il n'y a pas de règles du jeu préétablies. Rien ne fait encore autorité en ce qui concerne la gestion de cette économie particulière basée sur les données et la connaissance, compte tenu de tous les facteurs négatifs externes à prendre en considération dans les espaces sociaux et politiques. Nous devons nous laisser une certaine marge de manœuvre.
Je me souviens de l'époque où je participais à la rédaction de lois dans le secteur financier. Nous avions accordé au ministre des Finances une très grande souplesse et un grand pouvoir discrétionnaire pour approuver qui pouvait posséder une banque au Canada. Cela nous a très bien servi, en fin de compte, pendant la grande crise financière. Nous en sommes sortis avec le secteur financier le plus solide du monde.
Lorsque les temps changent, on a besoin de souplesse et de pouvoir discrétionnaire. Cela va à l'encontre de la transparence, mais au moins, on indique ce qu'on cherchera où et quels seront les critères, en gros.
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Oui, je pense que le gouvernement est tout à fait en mesure de suivre le rythme d'évolution de ces technologies. Il suffit d'y consacrer toute notre attention.
J'ai passé la majeure partie de l'année à travailler sur le projet de loi et sur le projet de loi , qui sont les prédécesseurs du projet de loi à l'étude aujourd'hui. Sur le site Web du Centre for Digital Rights, vous trouverez 50 pages de propositions d'amendements.
M. Brad Vis: Oh, mon Dieu.
M. Jim Balsillie: Tous ces amendements peuvent être intégrés de manière adéquate au projet de loi. Nous présenterons des amendements spécifiques à ce projet de loi. Tout peut être fait.
Je vous rappelle que le gouvernement est capable de réglementer les pêcheries. Pour réglementer le secteur de l'économie numérique, nous n'aurons besoin en réalité que d'une partie des ressources consacrées aux pêcheries. Lorsque nous décidons qu'un secteur est important, nous pouvons y consacrer les ressources et l'expertise nécessaires. C'est une question de volonté de la part de la classe politique.
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Merci beaucoup. Je vais reprendre un exemple tiré de l'histoire financière.
Le Bureau du surintendant des institutions financières, le Département des assurances et le Bureau de l'inspecteur général des banques ont été fusionnés pour constituer le BSIF, qui est chargé de surveiller et de réglementer toutes les institutions financières fédérales.
Dans le contexte actuel, l'investissement, comme vous le dites, est défini de manière tangible. Toutefois, nous disposons du cadre inclusif OCDE/G20, qui reconnaît déjà la présence virtuelle et peut appliquer une méthode de taxation particulière. Voilà votre point de départ.
Nous disposons d'un cadre incomplet pour réglementer certaines activités au Canada. Nous devons donc généraliser le cadre d'Investissement Canada à ce niveau ou créer un instrument distinct qui régisse la présence virtuelle.
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Merci, monsieur le président. Je tiens également à remercier tous les témoins d'être avec nous aujourd'hui. Il s'agit d'une discussion fascinante, et j'ai beaucoup de questions à poser.
Mes questions s'adressent à M. Balsillie.
Vous avez abordé en détail le sujet de l'exfiltration. Si je ne m'abuse, vous avez essayé d'exfiltrer une équipe de hockey de la LNH des États-Unis vers le Canada. Je sais que vous n'y êtes pas encore parvenu. Je tiens à vous dire que je suis tout à fait d'accord avec votre action, quelle que soit l'analyse de rentabilité. J'espère que vous continuerez dans cette voie.
Vous avez parlé à plusieurs reprises au cours de votre discussion de la nécessité de faire appel à des spécialistes afin de s'assurer que nous disposons de l'expertise nécessaire pour éclairer les décisions du gouvernement dans les domaines dont nous avons discuté.
J'aimerais faire quelques remarques.
Tout d'abord, je crois comprendre que certains sujets que nous avons abordés — pas nécessairement avec vous, mais avec d'autres témoins de ce groupe —, sont couverts dans de nombreux cas par d'autres règlements ou d'autres lois. Une discussion vient d'ailleurs d'avoir lieu concernant les lois sur la protection des enfants et de la vie privée. Un projet de loi a été déposé en janvier à ce sujet.
Je tiens donc à souligner que ce projet de loi n'est pas destiné à résoudre l'ensemble des problèmes qui ont été discutés aujourd'hui. Certains de ces autres problèmes sont déjà abordés, à un degré ou à un autre, dans d'autres projets de loi.
Je voudrais revenir sur votre point concernant l'expertise, car vous l'avez répété à plusieurs reprises. Je comprends vos préoccupations. Vous avez parlé des différentes composantes de la chaîne de valeur et de la facilité avec laquelle il est possible, notamment dans l'espace numérique et avec l'IA, d'exfiltrer la valeur, pour reprendre vos mots.
J'aimerais vous poser une question. Si le ministre disposait de l'expertise que vous estimez nécessaire, quelle qu'elle soit, croyez-vous que ce projet de loi nous permettrait d'atteindre l'objectif de prévention de l'exfiltration dont vous avez parlé?
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Cela nous amènerait très loin.
Il est très important de comprendre que le monde a changé il y a environ 30 ans. Nous avons libéralisé l'économie de production matérielle, mais le Canada s'est arrêté là. Nous avons adopté l'idéologie néolibérale sur toute la ligne. L'économie immatérielle fonctionne à l'opposé; il s'agit d'un univers très pratique qui dépend fortement de l'expertise.
Nous avons démantelé notre conseil économique à cette époque, alors que le reste du monde redoublait d'efforts pour mettre sur pied des conseils économiques équivalents. Nous avons donc créé un déficit de capacité, lequel n'a toujours pas été résolu.
Pour être très précis, nous avons effectivement besoin de cette expertise dans l'industrie, mais elle doit être répartie adéquatement entre tous les ministères, car chacun de ces enjeux concerne plusieurs ministères en même temps.
Il est possible en réorganisant le gouvernement de faire du ministère de l'Industrie une sorte de superministère qui aura préséance sur tous les autres ministères. Ou alors, il est également possible d'intégrer des compétences de base au sein du Cabinet et de la fonction publique. Il s'agit d'une question d'organisation, dans laquelle je me suis beaucoup investi.
Je crois qu'il suffit de revenir en arrière et de former des experts qui pourront nous conseiller dans ce genre de domaines, un peu comme je l'ai vu se faire dans d'autres pays. Cette expertise n'existe pas au Canada pour le moment, alors qu'elle est pourtant nécessaire.
J'ai déjà été consultant en gestion au BCG, et je me rappelle que nous avions passé beaucoup de temps à étudier la manière dont plusieurs autres pays gèrent certaines de leurs industries sensibles, du moins en ce qui concerne l'aspect de la valeur économique. Je comprends votre point concernant les 10 ¢, le 1 $, la technologie des batteries, etc.
Pensez-vous que ce projet de loi devrait aborder la question de l'expertise dont vous venez de parler, que ce soit au sein d'un ministère ou de manière pangouvernementale? S'agit‑il de modifier le projet de loi? Ou devrions-nous plutôt émettre une suggestion au gouvernement pour s'assurer que, lorsque le projet de loi sera adopté, quelle qu'en soit la forme, nous disposerons de l'expertise nécessaire pour faire appliquer adéquatement ses dispositions?
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Je pense que les deux sont nécessaires. L'expertise est un élément essentiel, mais je suis d'avis qu'il faut l'associer à des décideurs qui auront le pouvoir d'examiner ces enjeux et contribueront à toutes sortes d'actions.
Nous devons disposer d'une analyse d'experts pour traiter tous ces enjeux transversaux. J'ai déjà mentionné plusieurs d'entre eux. L'économie intangible repose sur des cadres juridiques et il s'agit d'une économie pratique, par contraste avec une économie néolibérale de production tangible. Je pense que nous devons renforcer nos capacités à la fois de manière générale et spécifique, et que nous devons mettre en place le type de pouvoirs législatifs et d'agences nécessaires pour aborder cette question.
Nous devons élargir le champ d'application pour traiter les enjeux plus larges que j'ai mentionnés, y compris la capacité des partenariats. Par exemple, j'ai été témoin du financement de la société Huawei par ISDE par l'entremise d'organismes subventionnaires. Les gens ont adoré Sidewalk Toronto. Ils ont laissé tomber la technologie des batteries de Tesla. Le financement fourni par la plateforme Investir au Canada ne se rend pas toujours au bon endroit, ce qui fait en sorte que tout ce système me rend très nerveux. Nous devons rompre avec le passé.
Qu'il s'agisse d'investissements faits par ISDE ou par un organisme, c'est une question importante, mais j'ai étudié le projet de loi , et il comporte tant de lacunes que j'ai perdu confiance.
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Je ne pense pas que, lorsque quelque chose est stratégique, l'établissement de seuils soit l'angle qui convient, car tout est à double usage, et c'est donc arbitraire.
Quelque chose peut valoir 10 millions de dollars, mais être extraordinairement stratégique pour ses conséquences négatives sur notre sécurité des données ou notre sécurité liée à un élément essentiel dans la création d'un vaccin, et je ne pense donc pas... Je pense qu'il faut aborder la question des technologies stratégiques de manière globale. On doit disposer de l'expertise qu'il faut pour évaluer les retombées de manière exhaustive. On doit avoir la capacité d'annuler des choses.
Je pense que nous avons beaucoup à apprendre du CFIUS et de ce que font les Australiens. À mon avis, nous pouvons en apprendre beaucoup sur les capacités de recherche de spécialistes, ce qui s'apparente à un conseil économique, comme ce qui a été fait ailleurs. Ensuite, quant à la façon de mettre le tout en œuvre dans le cadre canadien, que ce soit par la Loi sur Investissement Canada ou par un organisme repensé, les enjeux sont devenus beaucoup plus importants à cet égard et beaucoup plus complexes qu'ils ne l'étaient auparavant.
Les simples structures de retombées du passé, les succursales de C.D. Howe qui nous ont si bien servis, ne nous servent plus de la même manière. Parfois, une succursale, c'est positif; parfois c'est négatif. Nous devons donc nous doter des bons outils en fonction de la situation. Je pense que ce qui est essentiel ici, c'est que ce domaine s'est étendu à la sécurité beaucoup plus qu'auparavant. Il s'est également étendu à l'espace social beaucoup plus qu'auparavant, qu'il s'agisse de transformer la désinformation en arme, de miner la santé mentale de nos enfants ou de polariser les communautés vulnérables. Nous ne gouvernons pas pour cela aujourd'hui.
Où s'occupe‑t‑on de ces questions au Canada? C'est pourquoi vous entendez beaucoup de choses sur la nature du problème. Il y a de nombreuses façons de s'y attaquer, mais il faut prendre conscience du problème et se demander si notre approche est suffisante. Cela pourrait se faire au sein d'un ministère, ou de différentes manières — je ne suis pas catégorique là‑dessus —, mais je ne pense pas que l'approche actuelle permette de résoudre le problème auquel nous faisons face.
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Tout d'abord, j'ai mentionné que le cadre général était incomplet. Nous disposons d'une base pour commencer à élaborer ce cadre.
Je soulignerais, par exemple, des domaines dans lesquels d'autres pays ont exclu des applications parce qu'elles étaient incompatibles avec leurs préoccupations en matière de sécurité nationale. La Chine a exclu Google, par exemple. Si une entreprise est ici à faire de l'argent et qu'elle façonne la culture, nous avons un domaine de réglementation qui touche la culture, mais il y a une lacune. C'est une chose.
En ce qui concerne le modèle de fonctionnement général et la réglementation, je vous renvoie aux lignes directrices opérationnelles très détaillées qui existent dans le domaine du commerce. L'Agence des services frontaliers du Canada et le Tribunal canadien du commerce extérieur disposent de lignes directrices très détaillées sur la manière d'appliquer les lois. Nous sommes loin d'avoir commencé à élaborer des lignes directrices similaires pour les données. Je serais heureux que nous disposions d'un document de 200 pages qui contient des exemples de la manière dont nous avons réglé telle question ou telle autre question, afin d'orienter nos fonctionnaires dans la mise en œuvre d'un cadre réglementaire en matière de données.
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Merci, monsieur le président.
Monsieur Balsillie, vous avez parlé des chaînes d'approvisionnement et de leur importance. Je vais vous donner un exemple. Je sais que nous nous concentrons actuellement sur la Chine et d'autres questions, mais même la loi sur la réduction de l'inflation des États-Unis, soit l'Inflation Reduction Act, fait déjà en sorte que dans mon coin de pays, certains fabricants d'outils et de moules, des entreprises canadiennes, doivent transférer une partie de leurs activités à l'étranger pour tirer parti des lois sur les quotas aux États-Unis.
Si nous perdons certaines de ces chaînes d'approvisionnement, nous assisterons à une détérioration à l'interne. Même si nous parlons ici de la Chine, que pensez-vous de ce problème? Je sais que c'est une question un peu distincte, mais pour moi, il s'agit de traiter avec maturité de la Loi sur Investissement Canada. Nous ne pouvons pas nous contenter de penser que les États-Unis sont nos amis sur ces questions. J'ai été assez souvent... en tant que vice-président du Groupe interparlementaire Canada-États-Unis, dans le dossier du bois d'œuvre et tout le reste.
Ce qui me préoccupe maintenant, c'est que les entreprises canadiennes se vident de l'intérieur parce qu'elles doivent délocaliser certains contrats aux États-Unis pour être en mesure de vendre leurs produits aux États-Unis en général.