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Mesdames et messieurs, chers collègues, je déclare maintenant la séance ouverte.
Bienvenue à la 52e réunion du Comité permanent de l'industrie et de la technologie de la Chambre des communes.
Conformément à l'article 108(2) du Règlement, et à la motion adoptée par le comité le mercredi 26 janvier 2022, le Comité se réunit pour étudier l'acquisition proposée de Shaw par Rogers.
La réunion d'aujourd'hui se déroule sous forme hybride, conformément à l'ordre de la Chambre adopté le jeudi 23 juin 2022.
Les députés qui sont à distance peuvent se manifester au moyen de la fonction « main levée ». Pour ce qui est de ceux qui sont à Ottawa, c'est avec plaisir que je les revois en ce début d'année.
Au cours de cette première heure de rencontre, nous recevons, du Bureau de la concurrence, Mme Jeanne Pratt, sous-commissaire principale, Direction générale des fusions et des pratiques monopolistiques, et M. Anthony Durocher, sous-commissaire, Direction générale de la promotion de la concurrence. Du ministère de l'Industrie, nous recevons M. Éric Dagenais, sous-ministre adjoint principal, Secteur du spectre et des télécommunications, et M. Mark Schaan, sous-ministre adjoint principal, Secteur des stratégies et politiques d'innovation.
Je vous remercie tous les quatre d'être parmi nous en personne.
Sans plus tarder, je cède la parole à Mme Jeanne Pratt, du Bureau de la concurrence, pour cinq minutes.
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Bonjour, monsieur le président et membres du Comité.
Je m'appelle Jeanne Pratt, sous-commissaire principale, Direction générale des fusions et des pratiques monopolistiques. Mon collègue, Anthony Durocher, sous-commissaire à la Direction générale de la promotion de la concurrence, m'accompagne aujourd'hui.
Le rôle et le mandat du commissaire de la concurrence sont clairs. Il assure et contrôle l'application de la Loi sur la concurrence pour le bien de tous les Canadiens.
Protéger la concurrence est essentiel pour servir les intérêts des entreprises et des consommateurs canadiens ainsi que pour préserver notre performance économique dans son ensemble.
Les dispositions de la Loi sur la concurrence relative aux fusions constituent la première ligne de défense contre l'accumulation du pouvoir du marché.
[Traduction]
Dans le cas de Rogers et Shaw, le bureau a procédé à un examen exhaustif des éléments de preuve au cours de son enquête. Le bureau a notamment tenu plus d'une centaine de réunions avec des parties prenantes, a recueilli et examiné plus de 3 millions de documents, et a reçu 7 800 observations du public.
Le 9 mai 2022, le commissaire a déposé une demande auprès du Tribunal de la concurrence, en vertu de l'article 92 de la Loi sur la concurrence, pour bloquer la fusion proposée. Cette action a été prise parce que nous sommes d'avis que la transaction nuirait vraisemblablement à des millions de consommateurs canadiens en Alberta et en Colombie-Britannique, en raison de prix plus élevés, de services de moindre qualité et de perte d'innovation.
Au tribunal, nous avons fait valoir que Shaw représente une force concurrentielle grandissante au Canada. Au moment de l'annonce du projet d'acquisition, le potentiel de Shaw en tant que force perturbatrice inégalée semblait prometteur. Le Tribunal de la concurrence a convenu avec le commissaire que Shaw était sur le point de lancer des services sans fil 5G et d'étendre ses services sans fil à de nouvelles régions, ce qui aurait assuré un service à un plus grand nombre de Canadiens. Ces projets ont été mis en veilleuse à l'annonce du projet de fusion entre Rogers et Shaw en mars 2021.
Le 12 août 2022, Rogers, Shaw, Vidéotron et Quebecor ont annoncé avoir conclu un accord pour la vente de Freedom Mobile. Nous estimons que la vente de Freedom à Vidéotron ne répond pas suffisamment aux effets anticoncurrentiels de la fusion. Vidéotron n'est pas en cause. En fait, même avec ce dessaisissement, Vidéotron ne disposerait pas des actifs nécessaires pour assurer une concurrence aussi efficace que Shaw. Plusieurs ententes à long terme obligeraient Vidéotron à dépendre de son concurrent, Rogers, plutôt que d'avoir la propriété et le contrôle d'actifs essentiels. La motivation et la capacité de Vidéotron à rivaliser de façon concurrentielle s'en trouveraient réduites et Rogers pourrait nuire à la compétitivité de la société Freedom.
Le 29 décembre 2022, le Tribunal de la concurrence a rejeté notre demande. Hier, la Cour d'appel fédérale a rejeté notre appel. Nous demeurons convaincus de la justesse des conclusions de notre enquête et du bien-fondé de notre décision de contester la fusion. Nous avons présenté un dossier solide et rigoureux au tribunal après avoir mené une enquête exhaustive. Nous restons en désaccord avec les conclusions du tribunal et nous sommes profondément déçus. Néanmoins, nous acceptons la décision rendue hier par la Cour d'appel fédérale et nous ne nous adresserons pas à la Cour suprême du Canada pour interjeter appel.
Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
Merci.
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Merci de m'avoir invité, ainsi que mon collègue, à la réunion d'aujourd'hui.
Je dirige le secteur responsable du programme de gestion du spectre qui est administré par ISDE au nom du . Mon collègue est responsable des politiques stratégiques d'ISDE, qui comprend de guider le ministre dans son rôle lié aux politiques en matière de télécommunications et de concurrence. Nos collègues du Bureau de la concurrence sont aussi présents aujourd'hui.
Je comprends le vif intérêt de ce comité pour le transfert des licences entre Shaw et Rogers, et entre Shaw et Vidéotron. Bien que je puisse discuter du processus de transfert du spectre, je ne peux pas me prononcer sur l'examen en cours concernant la demande de transfert des licences du spectre de Shaw à Vidéotron. Le est actuellement saisi de cette affaire.
Comme je l'avais indiqué lors de ma comparution en avril 2021, l'accès au spectre est un élément essentiel pour le bon fonctionnement des services sans fil. De plus, le pouvoir de délivrer des licences d'utilisation du spectre, y compris l'examen et l'approbation du transfert, est au coeur de l'évaluation du et de son rôle dans cette transaction proposée. Le ministre réglemente le spectre conformément aux pouvoirs conférés par la Loi sur la radiocommunication, en tenant dûment compte des objectifs énoncés dans la Loi sur les télécommunications. Par conséquent, il peut prendre en compte toutes les questions qu'il juge pertinentes afin d'assurer l'élaboration ordonnée et le fonctionnement efficace des communications sans fil.
Étant donné l'importance de la connectivité mobile et les investissements considérables y étant associés, le gère le spectre selon un ensemble de lignes directrices et de politiques établies.
[Français]
Par conséquent, les transferts du spectre mobile commercial sont guidés par le Cadre portant sur le transfert, la division et la subordination des licences de spectre mobile commercial.
Ce cadre appuie l'objectif du gouvernement, qui consiste à maximiser les retombées économiques et sociales que la population canadienne retire de l'utilisation du spectre. Le cadre assure aussi l'efficacité et la compétitivité du marché des télécommunications, ainsi que la disponibilité et la qualité des services.
Pour évaluer les répercussions du transfert de licences, Innovation, Sciences et Développement économique Canada, ou ISDE, analyse, entre autres facteurs, les changements de niveau de concentration du spectre qu'entraînerait ce transfert.
En outre, ISDE examine la capacité de prestation des services du requérant et de ses concurrents présents et futurs. Nous pouvons également étudier d'autres facteurs, notamment les licences actuelles des requérants, la distribution générale du spectre, les services qui seront offerts, ainsi que les technologies accessibles, la disponibilité d'autres bandes de spectres aux caractéristiques semblables, les caractéristiques de la région — le spectre est réparti par régions, qu'elles soient urbaines, rurales ou par niveau de densité, etc. —, ainsi que tout autre facteur pertinent aux objectifs de politiques énumérées dans le Cadre et pouvant découler du transfert de licence.
Comme il est indiqué dans le Cadre, tous les documents de la demande et les éléments de la proposition demeurent confidentiels. Cela dit, je confirme que la demande initiale de Shaw visant à transférer son spectre à Rogers a été refusée par le ministre. Cette information est sur notre site Internet, c'est public. L'une des raisons de ce refus est que la concentration du spectre qui en résulterait soulevait de sérieuses inquiétudes.
Ainsi, le dossier présentement soumis au ministre porte sur une demande visant à transférer le spectre de Shaw à Vidéotron. En résumé, la demande initiale a été refusée et nous parlons maintenant d'une nouvelle demande.
Comme l'a confirmé hier le , ISDE annoncera une décision sur ce transfert en temps opportun.
Je vous remercie. Je suis disponible pour répondre à vos questions.
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Nous avons un cadre de transfert du spectre. C'est un document qui a été publié en 2013 ou 2014, à la suite de consultations publiques. Il énumère quels sont les objectifs du cadre de transfert ainsi que les critères.
Il y a essentiellement huit facteurs précis qui peuvent être pertinents dans l'évaluation d'ISDE. Le premier est le nombre actuel de licences détenues par le demandeur et ses affiliés dans la zone autorisée.
Le deuxième est la répartition globale des titulaires de licences et la bande de fréquences des licences et la bande de fréquences des services mobiles commerciaux dans cette zone.
Le troisième est les services actuels ou futurs à fournir et les technologies disponibles.
Le quatrième est la disponibilité d'un autre spectre ayant des propriétés similaires, car tous les spectres n'ont pas les mêmes propriétés.
Le cinquième est l'utilité relative et la capacité de substitution du spectre sous licence.
Le sixième est le degré auquel les demandeurs et leurs affiliés ont déployé des réseaux et la capacité de ces réseaux. Il s'agit de savoir si les personnes à qui le spectre est transféré ont la capacité de l'utiliser et de servir les Canadiens.
Le septième est les caractéristiques de la région, notamment le statut urbain et rural, le niveau de population, car on n'a pas besoin d'autant de spectre si on ne dessert pas autant de personnes. La densité de la population est importante.
Le huitième est tout autre facteur pertinent à l'objectif stratégique qui pourrait découler du transfert de licence ou du transfert éventuel.
Ces facteurs s'inscrivent dans un cadre réglementaire qui s'inspire de la Loi sur la radiocommunication et la Loi sur les télécommunications.
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Monsieur le président, d'entrée de jeu, j'aimerais rectifier une chose. Selon ce qui a été diffusé dans les médias le 13 janvier par La Presse canadienne, tous les partis au sein du Comité permanent de l'industrie et de la technologie auraient accepté de convoquer cette réunion pour examiner la transaction. C'est faux.
Vous en conviendrez, je m'y étais opposé. En effet, j'éprouvais un profond malaise à l'idée de tenir cette séance, aujourd'hui, en raison notamment d'éléments qui ont été soulignés par le Tribunal de la concurrence, en l'occurence le projet Fox. De plus, j'ai l'impression que notre comité est utilisé de façon à servir davantage les intérêts des lobbyistes que ceux du public, surtout quand je lis ceci:
[Traduction]
« L'examen du procès du Bureau de la concurrence au nouveau comité façonne le discours. »
[Français]
Nous sommes utilisés de façon stratégique par le lobby de Telus, visiblement en concordance avec Bell et d'autres partenaires, et j'éprouve un profond malaise à cet égard. J'ai nommé ces choses en sous-comité et je tenais à le dire publiquement aujourd'hui.
Cela dit, je pense qu'il faut quand même aller de l'avant et apporter un élément constructif à la journée d'aujourd'hui. Il s'agit d'une transaction que nous, membres du Comité, avions étudiée sous sa première forme et dont nous avions conjointement rejeté la première entente. De plus, le Tribunal de la concurrence a rendu hier une décision qui confirmait notre position. Cela porte à croire que notre travail est pertinent.
Dans ce contexte, la partie touchant le sans-fil est ce qui représentait une préoccupation. Le rachat par Québecor permettait donc d'amener cet autre acteur, en l'occurrence un quatrième dans le marché canadien. Je constate que les politiques publiques sur la concurrence ont permis, dans le cas de cette acquisition, un dénouement acceptable pour les entreprises Shaw, Rogers et Québecor Média. Je crois que nos recommandations ont été entendues et que l'accent a été mis sur l'accessibilité et l'abordabilité dès le départ. Cela a donné le ton à des réflexions et à des discussions qui ont eu lieu entre différentes entreprises au cours des derniers mois.
Nous avons étudié l'entente entre Shaw et Rogers, et je pense que la présente entente, entre Shaw, Rogers et Québecor, est bien meilleure pour les consommateurs.
Pour ceux qui ont suivi de près ce dossier et qui ont lu la décision d'hier du Tribunal de la concurrence, le paragraphe 1 est très révélateur. Un dicton bien connu au sein de la communauté du droit de la concurrence veut que, lorsque des concurrents formulent des plaintes à l'égard d'une fusion, c'est souvent un bon indice que la fusion favorisera la concurrence. Les documents qui ont été produits ont entre autres révélé les stratégies de Telus au moyen de son projet Fox.
J'aimerais poser la question suivante à Mme Pratt, sous-commissaire au Bureau de la concurrence.
Les parlementaires ont généralement appris l'existence du projet Fox par le truchement des médias le 14 novembre. Tous les titres des articles de journaux parlaient d'une tentative de la part de Telus de saper la vente de Freedom Mobile à Vidéotron.
Vous, du Bureau de la concurrence, qui étiez présents aux audiences, que pensez-vous du projet Fox, des acteurs impliqués et de leur stratégie? Est-ce le genre de concurrence que vous êtes prêts à appuyer?
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Merci, monsieur le président. J'aimerais également remercier les témoins d'être parmi nous.
Tout d'abord, j'aimerais offrir mes excuses à M. Lemire. C'était mon commentaire sur la Presse Canadienne, et j'ai oublié d'en dissocier le Bloc. Je lui offre mes excuses. Nous en avons discuté. Je tiens à ce que les choses soient claires. Comme nous l'avons constaté, il est parfaitement capable de parler pour lui-même.
Pour en venir rapidement au sujet qui nous occupe, le Canada a décidé depuis 1993 de déréglementer son secteur des télécommunications à bien des égards. Les premiers ministres et les ministres de l'Industrie qui se sont succédé ont lancé un certain nombre d'initiatives différentes qui nous ont conduits à la situation actuelle. La liste des personnages est longue et très bipartisane.
Mon premier commentaire s'adressera à M. Dagenais.
J'aimerais que vous me disiez comment vous pensez que ce ministre va s'y prendre pour y arriver, étant donné la situation actuelle. Qu'est‑ce qui la rend différente présentement? Si l'on remonte à Mulroney, Chrétien, Martin, Trudeau, Harper, puis à toute une série de ministres de l'Industrie que j'ai rencontrés et avec lesquels j'ai travaillé au fil des ans, de Maxime Bernier à David Emerson — conservateur et libéral respectivement —, les politiques demeurent.
Comment peut‑on rectifier cela? Quelle est la différence entre la situation actuelle et le chemin qui nous a menés jusqu'ici?
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Bonjour à nouveau, chers collègues.
Nous allons maintenant entamer la deuxième heure de témoignages et de questions.
Au cours de cette deuxième heure, nous accueillons, à titre personnel, Mme Jennifer Quaid, professeure agrégée et vice-doyenne à la recherche, Section de droit civil, de la faculté de droit de l'Université d'Ottawa. Elle est présente, ici, à Ottawa.
Nous accueillons également Mme Vass Bednar, directrice exécutive du programme de maîtrise en politique publique dans la société numérique à l'Université McMaster. Elle se joint à nous par vidéoconférence.
Nous accueillons aussi M. Keldon Bester, cofondateur de Projet canadien anti-monopole, ainsi que M. Bryan Keating, vice-président exécutif de Compass Lexecon.
Je remercie tous les témoins de leur participation.
Sans plus tarder, je donne la parole à Mme Bednar, pour cinq minutes.
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Mesdames et messieurs les membres du Comité permanent de l'industrie et de la technologie, chers collègues, mesdames et messieurs les membres du public à la maison, bonjour.
Comme vous l'avez entendu, je m'appelle Vass Bedbnar. Je suis la directrice exécutive du programme de maîtrise en politique publique dans la société numérique à l'Université McMaster. Je suis également associée pour le Forum des politiques publiques et agrégée supérieure au CIGI. Je rédige aussi le bulletin intitulé « Regs to Riches ». Bien que je ne sois pas avocate ou économiste, et que je sois heureuse de renvoyer les questions techniques ou juridiques à mes collègues qui ont une plus grande expertise en ce sens, je fais partie de ceux qui aident à dresser le portrait général de la concurrence pour les Canadiens.
Je ne sais pas ce que je pourrais vous dire de plus au sujet de la fusion digne d'un téléroman entre Rogers et Shaw que vous ne savez pas déjà. Pour le commun des mortels, ce processus est devenu confus. Les commentaires dans les médias sociaux amalgament souvent la décision du tribunal et l'ambition du Bureau, mais ce n'est pas un problème insurmontable. Cela étant dit, il s'agit de la plus importante fusion de l'histoire des télécommunications canadiennes. Elle affecte des millions de Canadiens et les services essentiels qu'ils reçoivent.
L'une de mes réflexions qui vaut la peine d'être partagée a trait aux milliers de Canadiens — ils sont 7 800, à ce qu'on nous dit — qui ont pris le temps de faire entendre leur voix dans le cadre de ce processus, bien qu'elle soit malencontreusement dirigée à l'endroit du tribunal. Je me demande si c'est parce qu'il n'y a pas eu de consultation officielle des Canadiens à titre de complément aux procédures stratégiques. On pourrait faire valoir que le a le devoir public d'échanger de manière plus approfondie avec les Canadiens au sujet de la fusion et de sa dynamique, à chaque étape, surtout en ce qui a trait aux attentes et aux responsabilités pour la suite. Un tel échange n'a pas eu lieu. Par conséquent, les gens qui ont voulu discuter de la question n'ont pas eu le média approprié pour le faire.
Vers qui doivent se tourner ces gens qui ont exprimé leur opinion et qui suivent les hauts et les bas de ce téléroman au sujet d'une fusion importante et excitante pour obtenir des comptes? À quels mécanismes peuvent-ils avoir recours pour tenir responsables Rogers et Shaw des revendications qu'elles ont faites, ou pour tenir Québecor responsable de remplir ses promesses ou de répondre aux attentes de la population à l'égard d'un fournisseur de services sans fil? Même les promesses gratuites faites par Vidéotron ne sont pas applicables, comme vous l'avez entendu plus tôt. De plus, Vidéotron n'a fait aucune promesse au sujet de la protection des emplois, de la connectivité dans les régions rurales ou dans les collectivités autochtones ou des investissements en R‑D. Qu'est‑ce que cela signifie pour l'Ouest du Canada?
Nous avons une occasion à saisir au Canada: la population canadienne s'intéresse avec raison à l'amélioration de la concurrence au pays et veut comprendre nos antécédents en matière de regroupement d'entreprises. Les gens en ont assez de payer trop cher pour des services Internet et sans fil. Le sujet de la concurrence a été abordé dans de nombreuses chroniques à CBC Radio, dans une enquête de Marketplace, dans diverses lettres d'opinion du conseil de rédaction du Globe and Mail, dans une série radiophonique de Canadaland et dans d'innombrables mèmes Internet.
Oui, les gens se préoccupent grandement des résultats de cette fusion proposée. Si les taux augmentent, quels seront leurs recours? On vous a peut-être déjà posé la question dans les lettres que vous avez reçues.
À cette étape‑ci, j'encouragerais tous les partis à songer à des interventions stratégiques complémentaires dans le cadre des consultations actuelles sur l'avenir de la politique sur la concurrence au Canada. Il ne faut pas oublier que la question est très technique et abstraite pour la plupart des gens. Même les interventions simples peuvent avoir une grande incidence. Je pense notamment à la désignation des marques secondes, comme on le fait aux États-Unis, pour aider les gens à comprendre le contexte de la concurrence. Nous avons besoin d'un gradualisme radical en matière de concurrence au Canada et d'une approche pangouvernementale; nous n'avons pas besoin d'une mince marge de manœuvre dans un contexte politique délicat à titre de prix de consolation.
Certains ont demandé une plus grande concurrence publique dans le domaine des télécommunications pour l'avenir. Nous avons peut-être aussi besoin de songer aux avantages d'un infonuage de propriété publique ou d'avoir une conversation au sujet de la présence ou du besoin d'un plus grand concurrent canadien dans le domaine des satellites en orbite basse, puisque Télésat est sur le point de faire faillite. De plus, le CRTC devrait peut-être étudier les questions où la concurrence et les télécommunications se recoupent. Pourquoi a‑t‑il uniquement compétence sur la radiodiffusion? L'application quotidienne des lois sur la concurrence devrait aussi être plus ouverte.
Enfin, cette fusion représente une occasion historique pour le Canada de prendre la concurrence plus au sérieux et de mieux gérer ces processus. Je suis très heureuse d'être ici pour en discuter avec vous, même si j'ai l'impression de participer à une réflexion post-mortem.
Et maintenant, quelles sont les prochaines étapes?
Merci.
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Merci, monsieur le président.
Honorables membres du Comité, je suis heureuse d'être parmi vous aujourd'hui. Je m'appelle Jennifer Quaid, et je suis professeure agrégée et vice-doyenne à la recherche à la Section de droit civil de la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa.
Ce n'est pas la première fois que je comparais devant le Comité. C'est avec plaisir que j'aborderai à nouveau des questions liées au droit de la concurrence et à notre politique en matière de concurrence dans le contexte de ce qui est survenu dans l'évaluation de la transaction entre Shaw et Rogers.
J'ai lu les décisions, que j'ai justement près de moi — c'est une habitude que j'ai prise en tant que juriste. Je n'entends pas vraiment discuter du contenu des décisions, à moins que vous ayez des questions précises, parce que le jugement a été rendu.
Je crois qu'un des malaises actuels, c'est qu'il y a la perception du public et de bien des gens — le Bureau de la concurrence a aussi donné son avis —, et que nous ne sommes pas d'accord sur l'évaluation de la preuve qu'a faite le tribunal et des questions juridiques à la Cour d'appel fédérale. Cependant, en droit, une fois que le tribunal s'est prononcé, ce qu'il a trouvé devient la vérité. On peut être en désaccord sur la décision du tribunal, mais ce dernier explique de manière très claire et détaillée pourquoi et comment il est arrivé à ces conclusions. On peut être en désaccord, mais, personnellement, je m'intéresse beaucoup plus à l'avenir et à la façon dont nous devons réagir.
Ce sont les éléments que je vais aborder aujourd'hui.
[Traduction]
J'aimerais faire valoir trois points. Je vais tenter d'être le plus bref possible. Je sais que j'ai la réputation de parler très longuement. C'est à cause de la professeure en moi. J'aborde aussi d'autres sujets avec plaisir.
Premièrement, j'aimerais parler du contexte de la fusion entre Rogers et Shaw, et de la réflexion que nous devrions avoir au sujet de l'examen des fusions au Canada.
Ensuite, je crois que ce qui vient de se passer a été une prise de conscience au sujet de l'organe décisionnel dont nous avons besoin en matière de concurrence. On parle depuis longtemps du bon modèle et du bon tribunal... Sans rien enlever aux membres du tribunal, qui sont dévoués et qui font un travail important, je crois qu'il est temps de se demander si nous avons en place le bon organe décisionnel.
Troisièmement, je crois qu'il faut se poser une question importante — surtout dans le contexte de la fusion entre Rogers et Shaw, mais dans d'autres contextes également — lorsque la concurrence interagit avec une sphère réglementée, et que nous devons assurer la cohérence entre ces diverses branches du gouvernement. Dans ce cas, d'autres personnes qui en savent beaucoup plus que moi au sujet des télécommunications... Je ne suis pas une experte du domaine des télécommunications, je tiens à le dire tout de suite, mais vous entendrez un expert en la matière cet après-midi: Ben Klass. On juge inquiétant que ces deux secteurs administratifs ne se parlent pas. Ils ne fonctionnent pas bien. Je crois que vous devriez vous en inquiéter également.
Pour revenir à mon premier point, que signifie la fusion entre Rogers et Shaw pour l'examen des fusionnements? Je ne vais pas vous donner un cours de base sur ce genre d'examen, à moins que vous ne me le demandiez, mais il faut comprendre qu'au Canada, nous n'approuvons habituellement pas les fusions. Selon le processus en place, le Bureau est avisé des fusions d'une certaine importance par l'entremise d'un préavis. Certaines transactions sont inférieures à ce seuil.
De nombreuses transactions sont signalées au Bureau. La plupart du temps, il fait valoir que ces transactions ne semblent pas problématiques et que les sociétés peuvent procéder. Il ne s'agit toutefois pas d'une approbation. Le Bureau dit simplement qu'il ne s'oppose pas à la transaction. Parfois, les choses se corsent un peu et il faut passer par un processus plus rigoureux. Le Bureau peut demander plus de renseignements. Il peut émettre ce qu'on appelle une demande de renseignements, dans le but de mieux comprendre la transaction. C'est souvent le signe de préoccupations plus grandes.
Il est important d'en tenir compte lorsqu'on parle de ce qui s'est passé avec Rogers et Shaw, et d'une proposition de recours plus tard. Tout au long du processus de préavis, il est possible de parvenir à un règlement, et c'est ce qui se passe la plupart du temps. Ce règlement est évidemment convenu par les deux parties. Encore une fois, le Bureau fera valoir qu'il est satisfait des changements qui ont été apportés et des mesures qui seront prises — qu'il s'agisse d'un désinvestissement ou d'autres engagements — et qu'il ne s'opposera pas à la transaction. Toutefois, un petit nombre de cas — et ils sont très peu nombreux — feront l'objet d'une contestation devant le tribunal. Il est important de le réitérer parce que la presse le rapporte souvent de manière erronée.
Le Tribunal n'approuve pas les fusions. Le commissaire présente une demande au Tribunal pour faire état de ses préoccupations au sujet de la fusion et pour indiquer qu'une ordonnance du Tribunal est de mise pour y remédier. Il s'agit donc d'une demande d'ordonnance en vue de régler de graves inquiétudes relatives à la concurrence. Les préoccupations doivent être assez considérables pour déclencher le processus devant le Tribunal.
Sans entrer dans les détails, ce qui compte — et, à mon avis, il est important de ne pas perdre de vue cet aspect pour comprendre pourquoi il y a eu toute cette agitation autour de la question de savoir si nous avons examiné la transaction initiale ou la transaction modifiée —, c'est que la proposition d'une mesure corrective dans le contexte de la procédure contestée n'est pas quelque chose qui s'est déjà produit; c'est donc une nouvelle question. Le Tribunal n'y a pas vu de problème et a déclaré qu'au bout du compte, la charge de la preuve n'avait pas vraiment d'importance. Le Tribunal estimait que la preuve existait déjà de toute manière. C'était néanmoins une modification de la façon normale de faire les choses. Je pense qu'à l'avenir, nous devons nous demander si c'est vraiment ainsi que nous voulons procéder.
Je vais vous dire quelles sont mes préoccupations, et je serai heureuse d'en discuter plus en détail.
Premièrement, nous sommes en train de créer un processus qui incite les parties à attendre que le processus soit plus avancé avant de proposer des mesures correctives. C'est important du point de vue de l'intérêt public, car le commissaire n'invente pas, du jour au lendemain, une demande aux termes de l'article 92. Cela prend des mois de préparation. En l'occurrence, les faits montrent qu'aucune entente avec Vidéotron n'avait été conclue avant juin. On a obtenu des documents à ce moment‑là, puis il a fallu attendre jusqu'en août avant de recevoir les documents complets.
Je crois qu'il ne faut pas oublier un point, et vous devez le savoir si vous avez consulté la décision du Tribunal: le niveau de détail requis pour prouver un effet anticoncurrentiel exige une analyse économétrique approfondie et beaucoup de renseignements. Si vous avez seulement l'impression qu'il existe une entente, ce n'est pas suffisant pour que le commissaire prépare un dossier. Il faudra prouver des choses en s'appuyant sur des éléments de preuve détaillés. Il faut savoir quels sont les chiffres liés à la mesure corrective. On doit connaître les conditions de la transaction pour en évaluer les effets. Lorsque ces renseignements arrivent tard dans le processus, cela rend la tâche difficile.
Je vais être claire à ce sujet. Sur le plan des faits, le Tribunal a dit qu'il n'y avait pas de préjudice dans cette affaire. Le commissaire n'a subi aucun préjudice. À mon avis, il ne faut pas trop s'attendre à ce que les organismes d'application de la loi agissent rapidement, mais je crois que c'est en partie la raison pour laquelle ils ne sont pas allés plus loin.
Je dirai que la Cour d'appel fédérale reconnaît qu'il est possible que les mesures correctives proposées après le dépôt d'une contestation puissent être une source d'abus ou puissent poser problème, mais elle ne souhaite pas se pencher sur les conditions pour le moment parce qu'elle n'est pas vraiment saisie d'un cas concret. De l'avis de la cour, cela n'aurait rien changé en l'occurrence. On peut comprendre cela, mais je pense qu'à l'avenir, nous ne devrions pas nous contenter d'être passifs et de nous en tenir à la décision Rogers. Dans quelles conditions serions-nous prêts à dire que la modification d'une entente ne nous pose pas de problème et qu'il est peut-être acceptable d'examiner une mesure corrective au moment même de la fusion?
J'ai quelques réserves, et je vais vous dire pourquoi. Conformément à notre droit des sociétés et à notre système économique, les entreprises n'ont pas à prendre en compte l'intérêt public. Elles ne sont pas obligées de le faire. Elles ont tout à fait le droit de tenir compte de leur propre intérêt de maximisation des profits, et elles sont absolument libres de le faire. Dans un tel contexte, nous devons nous montrer un peu prudents avant de dire que nous allons simplement permettre l'ajout de mesures correctives qui sont proposées unilatéralement et que nous allons les analyser après coup. Je vous laisse y réfléchir.
Je vais aborder très brièvement mes deux autres arguments, qui portent sur le processus du Tribunal. Je ne me souviens plus si je l'ai déjà dit, mais je pense qu'il s'agit d'un processus lourd. Le Tribunal fonctionne à l'instar d'une cour de justice, sauf qu'il se veut une entité experte. Je vous invite à examiner les différents types d'expertise généralement utilisés par le Tribunal et à vous demander si, selon vous, cela correspond à l'intérêt public en matière de concurrence.
Dans la plupart des cas, l'expertise se situe dans le domaine des affaires et de l'économie. La question est de savoir s'il existe d'autres points de vue pertinents pour les questions de concurrence qui surgissent et si nous devrions peut-être veiller à ce qu'ils soient mieux représentés au sein du Tribunal. Honnêtement, quand on a parlé d'accélérer le processus, alors que le Tribunal disposait déjà d'un processus accéléré... Je vais utiliser une métaphore. Imaginez un éléphant qui court. Le processus du Tribunal est lourd. Il y a des limites à ce qu'on peut faire pour accélérer un processus judiciaire. Examinons donc d'autres modèles qui sont plus rapides.
Enfin — et il s'agit vraiment d'une très brève observation sur la cohérence de la réglementation —, je pense qu'au moment d'envisager la réforme de la concurrence, nous devrions examiner comment la concurrence est liée à d'autres domaines de réglementation. Dans le cas qui nous occupe — et, n'étant pas une experte en la matière, je m'en remets à ceux qui le sont —, il est clair qu'il existe certaines contradictions entre la réglementation des télécommunications et la réglementation de la concurrence, et je pense que cela devrait vous préoccuper.
Je vais m'arrêter ici. Je serai heureuse de répondre à vos questions.
[Français]
Je peux répondre en français aussi, selon votre préférence.
Je vous remercie.
:
Je remercie infiniment le Comité de m'avoir invité à parler de ce sujet important.
Je m'appelle Keldon Bester. Je suis cofondateur du Projet canadien anti-monopole et chercheur au Centre pour l'innovation dans la gouvernance internationale. Dans le passé, j'ai travaillé comme conseiller spécial au Bureau de la concurrence et comme agrégé de recherches à l'Open Markets Institute, aux États-Unis.
Je tiens à préciser d'emblée que Globalive Capital, qui a tout intérêt à bloquer cette transaction et que vous entendrez plus tard aujourd'hui, appuie financièrement le Projet canadien anti-monopole. Sachez toutefois que nous maintenons une stricte indépendance éditoriale dans nos positions en matière de politiques.
Je voudrais commencer par revenir sur les conclusions formulées par votre comité en mars 2022. Ce sont des conclusions qui, selon moi, demeurent pertinentes aujourd'hui. Votre comité a établi, à juste titre, que la transaction Rogers-Shaw ne devrait pas avoir lieu, mais que si elle se concrétisait, le gouvernement devrait utiliser tous les outils dont il dispose pour obliger les parties à tenir les promesses qu'elles ont faites aux Canadiens. Votre comité a également souligné que la loi qui a rendu cette fusion possible — la Loi sur la concurrence — devrait être révisée immédiatement.
Pour ce qui est de la situation actuelle et des prochaines étapes éventuelles, j'aimerais souligner trois points.
Premièrement, bien qu'il soit tout à fait possible que Vidéotron reproduise sa performance concurrentielle au Québec et dans l'Est de l'Ontario, nous devrions placer la barre plus haut que les résultats de la concurrence actuellement présente au Québec. Le gouvernement devrait demander au CRTC de surveiller si Vidéotron fait le nécessaire pour devenir une concurrente perturbatrice, conformément à ses aspirations.
Deuxièmement, si nous ne profitons pas de l'examen continu de la Loi sur la concurrence pour réformer les faibles lois canadiennes régissant les fusions, il se peut fort bien que nous nous retrouvions dans la même situation — voire dans une situation plus extrême — dans un proche avenir, car les sociétés continueront de se servir des fusions et des acquisitions pour réduire la concurrence et asseoir leur domination. Il y a lieu d'envisager deux modifications à cet égard: la présomption d'illégalité des fusions et des acquisitions effectuées par des sociétés qui dominent le marché, seules ou conjointement, et une préférence explicite pour les blocages catégoriques, comme l'a fait le commissaire, au lieu d'opter pour des mesures correctives risquées sur le plan structurel ou comportemental.
Enfin, le cadre stratégique canadien des télécommunications ne peut pas demeurer stagnant alors que le marché subit ce genre de changement structurel. Le gouvernement devrait donner suite à l'orientation stratégique proposée pour le CRTC et lui demander de revoir son cadre pour appuyer la concurrence dans le secteur du sans-fil à la lumière de cette transaction, en plus d'envisager un modèle d'exploitant de réseau mobile virtuel, ou ERMV, à part entière.
En raison de l'approche adoptée par les parties à la fusion et acceptée par le Tribunal de la concurrence, les Canadiens disposent de peu d'options pour obliger les parties à maintenir la concurrence sur le marché canadien du sans-fil. Tout ce qui reste maintenant, c'est l'approbation, par le , du transfert des actifs du spectre et les conditions qu'il attache à ce transfert.
Après la publication de la décision du tribunal à la fin décembre, le Projet canadien anti-monopole a écrit que le avait la possibilité de renforcer les conditions qu'il avait énoncées dans sa déclaration d'octobre. Celles‑ci pourraient inclure des repères tarifaires plus dynamiques fondés sur ceux de pairs internationaux, un échéancier pour atteindre ces repères et les conséquences d'un manquement, dont l'instauration éventuelle d'un modèle ERMV.
Les entrepreneurs qui bâtissent des entreprises prospères ont droit aux récompenses de leur dur labeur, mais ces récompenses ne devraient pas se faire au détriment de marchés concurrentiels pour les Canadiens. Le résultat final d'un système qui met autant l'accent sur les fusions est la monopolisation accrue des marchés qui sont essentiels pour les Canadiens, réduisant ainsi la concurrence alors que nous devrions l'accroître.
Un des rôles d'une politique efficace en matière de concurrence est de limiter les options de sortie qui renforcent le pouvoir monopolistique des sociétés en place. La concentration ne fait qu'engendrer plus de concentration. Une loi sur la concurrence efficace, un organisme d'application doté de ressources suffisantes et la vigilance de représentants élus comme vous sont nécessaires pour empêcher ce glissement vers le monopole.
Le Comité a fait un travail important en étudiant cette question et en la faisant connaître au grand public. J'espère que le Comité saisira ce qui pourrait être sa dernière occasion d'insister sur les mesures nécessaires pour protéger les intérêts des Canadiens.
Je vous remercie de votre temps, et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
Bonjour à tous. Je tiens à remercier le président et les membres du Comité de m'avoir invité à témoigner devant vous aujourd'hui.
Je m'appelle Bryan Keating. Je suis économiste chez Compass Lexecon, une société d'experts-conseils en matière d'économie mondiale.
Par souci de transparence, sachez que nos services ont été retenus par Rogers tout au long du processus réglementaire, et les observations que je ferai aujourd'hui sont fondées sur l'analyse que nous avons effectuée dans le cadre de ce processus.
J'aimerais discuter de la transaction du point de vue de l'économie.
Pour éviter tout doute, lorsque je parle de la transaction, je fais allusion à ses deux composantes: le transfert des actifs filaires de Shaw à Rogers et le transfert des actifs sans fil de Freedom à Vidéotron. Je parle donc de la transaction qui est actuellement à l'étude, et non de la transaction initiale.
Mes collègues et moi participons à l'évaluation de cette transaction sous diverses formes depuis maintenant près de deux ans. Dans le cadre de cet examen, nous avons étudié des milliers de pages de documents et plusieurs téraoctets de données. Nos conclusions sur l'effet concurrentiel de la transaction s'appuient sur cette analyse.
Pour moi, il est clair que si vous défendez les consommateurs et la concurrence, vous serez forcément en faveur de cette transaction. Je vais vous expliquer pourquoi.
Du point de vue d'un économiste, une fusion devient préoccupante lorsqu'elle réduit la concurrence, lorsqu'elle élimine un concurrent. Ce n'est pas le cas ici. Il n'y aura aucune réduction du nombre de concurrents dans une province donnée, qu'il s'agisse des services filaires ou des services sans fil.
La transaction créera d'énormes avantages grâce aux économies d'échelle et aux économies de gamme. À vrai dire, les seules parties qui en souffriront sont les concurrents potentiels de Rogers et de Vidéotron, car ils devront se livrer une concurrence plus féroce. C'est bon pour les consommateurs et pour la concurrence.
La conclusion selon laquelle la fusion ne nuira pas à la concurrence est partagée par deux organismes indépendants, comme nous l'avons déjà entendu aujourd'hui.
En décembre, le Tribunal de la concurrence, après un mois d'audiences au cours desquelles il a entendu des dizaines de témoins et examiné des milliers de pages de documents, a conclu que la transaction ne réduirait pas considérablement la concurrence, mais qu'elle l'intensifierait plutôt. Hier encore, nous avons entendu la Cour d'appel fédérale, qui a confirmé la décision du tribunal et a déclaré que, du point de vue de la concurrence, il n'y avait pas de problème.
J'aimerais vous expliquer un peu pourquoi nous sommes arrivés à cette conclusion.
Dans le cas des services filaires, même le commissaire à la concurrence n'a pas contesté la transaction. Les réseaux filaires de Shaw et de Rogers ne se chevauchent pas du tout. En fait, en combinant le tout, Rogers bénéficiera des économies d'échelle attribuables à une plus grande zone de couverture. Nous voyons déjà les avantages de cette concurrence dans les réactions de Bell et de Telus à l'annonce de la transaction et au processus. Bell et Telus ont annoncé des milliards de dollars d'investissements dans leurs propres réseaux, en partie en réponse aux résultats prévus de ce processus de fusion.
En ce qui concerne les services sans fil, c'est‑à‑dire la combinaison des services de Vidéotron et de Freedom, je pense qu'il est juste de dire que la transaction aidera à atteindre un objectif stratégique de longue date au Canada, soit celui de créer un quatrième concurrent national — ou, du moins, d'envergure nationale. Le réseau de Vidéotron couvrira près de 90 % de la population canadienne après cette transaction. Comme je l'ai dit, la création d'un quatrième concurrent solide favorisera la concurrence et permettra d'atteindre un objectif que l'on vise depuis longtemps au Canada.
Comme pour les services filaires, il n'y aura aucune réduction du nombre de concurrents, et ce, dans aucune des provinces. On continuera d'avoir quatre concurrents dans chaque province. La transaction aura pour effet de réaffecter les actifs de Shaw: ainsi, les services filaires iront à Rogers et les services sans fil, à Vidéotron. Ces deux sociétés concurrentes sont bien placées pour utiliser ces actifs afin de renforcer la concurrence.
J'aimerais dire quelques mots sur Vidéotron, car je pense qu'il y a eu beaucoup de questions et de discussions sur les différents candidats potentiels au dessaisissement.
D'un point de vue économique, Vidéotron est bien placée pour soutenir la concurrence de façon énergique. Elle a tout intérêt à le faire. Je pense que, dans le contexte du Québec, Vidéotron s'est avérée une concurrente vigoureuse. Les prix au Québec sont plutôt modérés par rapport à ceux du reste du Canada. Vidéotron possède également d'importants éléments d'actif qu'elle met à profit. Le plus important, c'est qu'elle a récemment obtenu une licence pour un spectre de 3,5 gigahertz. La combinaison de ce spectre avec celui de Freedom permet d'utiliser efficacement une ressource rare et précieuse. Nous avons déjà entendu des questions sur la façon dont les entreprises utilisent le spectre qu'elles ont obtenu sous licence.
Cette transaction est une façon pour Vidéotron de déployer rapidement son spectre de 3,5 gigahertz dans un réseau 5G, ce qui pourrait lui donner un réseau de très grande qualité. Elle crée également beaucoup de capacité pour le réseau de Vidéotron. Étant donné le nombre d'abonnés qu'elle a par rapport à l'amplitude du spectre qu'elle détient et des autres actifs réseau dont elle disposera, Vidéotron sera en mesure de fournir des services de haute qualité. Cela l'incite fortement à se montrer très compétitive et à travailler de façon très énergique à sa croissance et au démarchage de nouveaux abonnés, ce qui est un plus pour la concurrence.
Nous avons entendu des questions sur les engagements de Vidéotron et sur le caractère exécutoire de ces derniers. D'un point de vue économique, notre analyse ne se fonde pas sur ces engagements. Elle s'appuie sur la capacité qu'a Vidéotron de livrer une concurrence farouche et sur ce qui l'incite à le faire.
J'ai deux autres observations à formuler au sujet de Vidéotron.
Nous avons déjà entendu des questions sur la dépendance de Vidéotron à l'égard de divers accords conclus avec Rogers. Il est important de noter qu'en créant un réseau qui s'étend presque à l'échelle du pays pour Vidéotron, cette transaction réduira de façon considérable la dépendance de cette société à l'égard des autres fournisseurs. L'itinérance est un aspect essentiel du service de réseau sans fil. Présentement, comme Vidéotron est basée au Québec, elle doit compter sur des ententes d'itinérance avec d'autres fournisseurs pour fournir un service à ses clients à l'extérieur du Québec. En créant un réseau national et international, Vidéotron réduit en fait sa dépendance à l'égard des autres réseaux, ce qui est un élément important de la concurrence.
La dernière chose que je dirai au sujet de Vidéotron, c'est qu'en augmentant son échelle, elle a le potentiel d'aller chercher d'autres avantages en ce qui concerne la négociation de combinés, l'équipement de réseau et l'itinérance internationale. Pour toutes ces raisons, Vidéotron a une occasion en or de réduire ses coûts par rapport à ceux qui s'appliquent aujourd'hui, et on peut s'attendre à ce que ces économies soient répercutées sur les consommateurs sous diverses formes d'avantages.
Nous avons préparé un mémoire à l'intention du Comité, qui contient plus de détails à ce sujet, mais je vais m'arrêter là. Je serai heureux de répondre à vos questions.
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Vous posez une question dont je ne connais pas directement la réponse, en ce sens que je ne suis pas une experte en matière de télécommunications. Je ne peux pas vous dire combien de fois le ministre a été appelé à exercer son pouvoir discrétionnaire dans le cadre de l'attribution des licences d'utilisation du spectre, alors qu'on se demandait s'il allait le faire.
Du point de vue d'une avocate ou d'une personne qui étudie la loi, je dirais que l'on espérerait probablement éviter de voir un ministre prendre une décision au sujet d'un incident, parce que la licence d'utilisation du spectre n'est pas la totalité de la transaction. On prendrait une décision à ce sujet afin de parvenir indirectement à une conclusion à laquelle l'organe décisionnel dûment constitué n'arriverait pas. Cela m'inquiète, car cela ressemblera à une ingérence politique ou à un moyen de contourner le problème.
Comme je l'ai indiqué, il s'agit d'un fait curieux ou, si vous voulez, d'une particularité liée au fait que nous exerçons nos activités dans le secteur des télécommunications et non au sein d'une autre industrie, où la décision d'une cour d'appel aurait mis fin à l'affaire. Cependant, je pense que le a le droit d'affirmer qu'il souhaite examiner toutes les conséquences des attributions et comprendre exactement ce qu'elles supposent, parce que lorsqu'il s'est exprimé en octobre, le tribunal n'avait pas rendu sa décision. Nous ne savions pas comment les choses se passaient, et il a fait part de certaines de ses attentes. Cependant, je suppose que, dans le cadre de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, il pourrait peut-être étoffer ces conditions ou insister pour que des mécanismes de responsabilisation soient mis en place, en consultant les bonnes personnes et en obtenant les informations dont il a besoin.
Le tribunal reconnaît également que ces conditions ne sont pas légalement exécutoires. Honnêtement, je m'inquiète que des engagements de ce genre aient été pris dans le passé. Je pense que chacun d'entre vous se souvient probablement de moments où des engagements ont été pris de bonne foi. Nous avons déclaré que nous garderions notre siège social à tel ou tel endroit, ou que nous garderions des usines ouvertes au Canada. Puis les circonstances ont changé, et nous sommes revenus sur notre parole.
Ces changements sont motivés par des raisons commerciales, mais ils se produisent néanmoins. Dans la mesure où les accords reposent sur ces engagements, vous devez vous en inquiéter.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie tous les témoins de leurs témoignages.
Monsieur Keating, après le procès, qui a duré un mois, le tribunal a tranché en faveur de Shaw, Rogers et Vidéotron. C'était le 31 décembre. Les témoignages d'experts ont été cités abondamment, particulièrement ceux de M. Mark Israel, de Compass Lexecon.
Le tribunal a conclu que M. Israel était bien informé, franc et ouvert, et qu'il avait effectivement exposé un certain nombre de lacunes importantes dans l'analyse des experts de la partie adverse. Dans le domaine où M. Israel et l'expert de la partie adverse n'étaient pas d'accord, le tribunal a indiqué que Compass Lexecon était l'expert qui avait fourni le témoignage le plus solide et persuasif. Le tribunal a conclu que M. Israel avait démontré de façon convaincante que le modèle de l'expert de la partie adverse n'aurait pas prédit une augmentation importante des prix et a convenu avec M. Israel que l'augmentation des prix prévue par l'expert de la partie adverse, dans la foulée de la fusion, était très douteuse.
Nous venons d'entendre des représentants du Bureau de la concurrence. Or, lorsqu'ils ont témoigné, ils n'avaient pas étudié la nouvelle entente conclue entre Shaw, Rogers et Québecor. Ils se sont entêtés à considérer uniquement l'entente entre Rogers et Shaw. Le tribunal a déterminé que le commissaire de la concurrence ne s'était pas acquitté de la responsabilité qui lui incombait d'établir certains effets de l'entente.
Pourriez-vous nous donner des exemples où le commissaire de la concurrence ne se serait pas acquitté de ses responsabilités au cours des derniers mois?
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Merci, monsieur le président.
Il est normal et démocratique que le ministre de l'Innovation intervienne non seulement dans cette situation, mais aussi en général. Nous avons observé l'adoption de la Loi sur Investissement Canada, et d'autres lois à cet égard seront présentées prochainement.
Je repense aux problèmes de concurrence, et je constate que le rachat de Zellers par Target n'a pas favorisé la concurrence ni le rachat de Future Shop par Best Buy. Rona a été rachetée par Lowe's, et cela n'a pas entraîné une augmentation de la concurrence. En fait, les engagements pris en cette occasion étaient très modestes. De plus, l'entreprise U.S. Steel a disparu.
Certaines fusions ont été rejetées, et — Dieu merci — PotashCorp et MDA, dans le secteur des systèmes de satellites, en sont de bons exemples. Cela a été de bonnes décisions. Il y a également le ministre, qui dirige le CRTC dans une certaine mesure grâce à sa lettre de mandat, qui provient du premier ministre. En fait, nous nous occupons d'un bien public en ce moment. Il s'agit du spectre que nous libérons dans le système.
J'adresse ma première question à M. Bester, et elle porte sur la teneur actuelle de nos politiques. Je suis curieux à ce sujet. Existe‑t‑il d'autres situations comparables aux États-Unis, en Australie ou ailleurs? Je sais que les États-Unis ont une loi antitrust différente de la nôtre, mais sur quoi d'autre pouvons-nous nous appuyer? Devons-nous moderniser certaines de nos approches actuelles?
Les États-Unis sont en train d'examiner certaines des questions antitrust que Google soulève en ce moment. Historiquement, cela fait partie de leur culture, et nous pouvons étudier l'un des premiers cas, c'est‑à‑dire celui de l'entreprise Standard Oil. Ce type de protection des consommateurs fait partie du fonctionnement de leur économie de marché. Pourriez-vous, s'il vous plaît, formuler des observations à ce sujet?
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Merci, monsieur le président.
Je remercie tous les témoins qui comparaissent aujourd'hui, ainsi que mes collègues. Je me joins à vous depuis la circonscription de Mission—Matsqui—Fraser Canyon, où Shaw est très présent.
Les électeurs de ma circonscription sont vraiment aux prises avec le coût de la vie en ce moment. En tant que représentant de ces électeurs, je m'exprime aujourd'hui en leur nom. Ils me posent la question suivante: « monsieur Vis, est‑ce que cette fusion aura pour effet de rendre la facture de service Internet et la facture de téléphone cellulaire plus abordable? » Je ne suis pas nécessairement sûr que ce sera le cas. Cependant, je me méfie aussi beaucoup de l'affirmation de Rogers selon laquelle l'entreprise investira 6 milliards de dollars dans les collectivités rurales et autochtones de l'Ouest canadien que je représente.
Pendant la pandémie, une mère de famille qui vit à Hatzic Valley et qui utilise toujours le service Internet par téléphone de Shaw m'a posé la question suivante: « Monsieur Vis, pourquoi Shaw ne traverse‑t‑il pas simplement la route pour prolonger la ligne jusqu'à ma maison? » Ils ne l'ont pas fait, et ils n'ont pas utilisé le spectre qu'ils ont reçu aux enchères au profit des Canadiens qui comptent sur ce service essentiel. C'est dans cette optique que j'aborderai tous les sujets dont je vais parler pendant les quelque quatre minutes qui me restent.
Monsieur Keating, les clients actuels des services Internet de Shaw... J'aimerais simplement savoir quels prix seront offerts aux deux millions de clients actuels des services Internet de Shaw qui, à l'heure actuelle, ne paient pas de frais d'appels et de messages textes et qui bénéficient d'un forfait de 25 gigaoctets au coût de 25 $. Rogers a‑t‑il l'intention d'abaisser ses prix à ces niveaux, ou ces clients de Shaw doivent-ils s'attendre — si la fusion se concrétise — à payer des frais semblables à ceux de Rogers, qui s'élèvent, je crois, à 35 $ et 85 $ respectivement?
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Monsieur Lemire, à mon avis, vous soulevez une question problématique. En effet, lorsque les gens mobilisent des citoyens par intérêt personnel, on peut se demander où est l'intérêt public.
C'est pour cela que je martèle toujours la même idée pour dire que je suis favorable à la consultation publique. J'encourage constamment tous les citoyens à s'exprimer dans le cadre de cette consultation, peu importe ce qu'ils ont à dire. Selon moi, il est du devoir du gouvernement et des parlementaires d'entendre les citoyens sans vernis, sans étiquette, sans emballage, et ainsi de suite.
Par contre, on ne peut pas non plus faire complètement abstraction des tentatives de mobilisation, parce que les citoyens ne sont pas toujours bien outillés pour bien structurer leur opposition. À cet égard, je donc suis clémente, parce que je suis persuadée qu'un vrai désir et une vraie frustration s'expriment, à tort ou à raison. Je ne commencerai pas à dire qui a raison ou pas.
Cependant, il est à mon avis évident qu'il existe un écart entre la compréhension populaire des répercussions de cette transaction et la compréhension juridique et économique. Il doit y avoir une conciliation entre les deux si on ne veut pas voir une révolte par rapport au processus.
Je ne crois pas qu'il soit bénéfique que le public soit sceptique quant au système d'appréciation et d'évaluation des fusions, entre autres. Je pense que nous avons tous intérêt à nous assurer de colmater cette brèche. Toutefois, je ne suis pas nécessairement la personne qui peut le faire. Je fais mon possible, mais je pense que c'est collectivement qu'il faut informer le public. Je comprends ces efforts de mobilisation, même s'ils sont peut-être maladroits.