Passer au contenu

CHPC Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain
Passer à la navigation dans le document Passer au contenu du document






Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent du patrimoine canadien


NUMÉRO 138 
l
1re SESSION 
l
44e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 18 novembre 2024

[Enregistrement électronique]

(1105)

[Traduction]

    La séance est ouverte. Bonjour à tous.
    Bienvenue à tous à la 138 e réunion du Comité permanent du patrimoine canadien de la Chambre des communes.
    La réunion d'aujourd'hui se déroule sous forme hybride.
    J'aimerais rappeler aux participants les consignes suivantes. Avant de prendre la parole, veuillez attendre que je vous nomme. Les participants en personne — merci, madame Dea — ou sur Zoom doivent lever la main s'ils souhaitent prendre la parole. La greffière et moi ferons de notre mieux, comme toujours, pour maintenir l'ordre des interventions. Je vous rappelle que tous les commentaires doivent être adressés à la présidence, comme toujours.
    Tous les témoins ont effectué les tests de connexion requis avant la réunion. Je vous annonce que Richard Moon ne sera pas avec nous pendant la première heure et demie. Il a eu des problèmes techniques, alors nous n'avons que trois invitées.
    Notre étude porte sur la protection de la liberté d'expression, conformément à l'article 108(2) du Règlement et à la motion adoptée par le Comité le mercredi 18 septembre 2024. Le Comité reprend son étude sur la protection de la liberté d'expression.
    J'aimerais souhaiter la bienvenue à nos témoins d'aujourd'hui.
    Nous accueillons Shannon Dea, doyenne de la Faculté des arts de l'Université de Regina.
    Nous recevons également Emily Laidlaw, professeure agrégée et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit de la cybersécurité à l'Université de Calgary. Elle se joint à nous par vidéoconférence.
    Nous accueillons également, depuis la Colombie-Britannique, Ga Grant, avocate-conseil plaidante de la British Columbia Civil Liberties Association.
    Comme je le disais, M. Moon n'est pas parmi nous. Nous n'avons que trois invitées.
    Notre réunion est plus longue que d'habitude aujourd'hui et durera trois heures. Nous avons une heure supplémentaire. Je pense que nous siégerons jusqu'à 12 h 20 pour commencer les trois heures. Nous ferons ensuite une pause et nous nous préparerons à accueillir le deuxième groupe. Cela nous donnera le temps de manger un peu, pendant une pause de 10 ou 15 minutes. Nous siégerons ensuite de 12 h 20 à 12 h 35 environ, après les tests de son pour le deuxième groupe. C'est le plan de match.
    Il y a aussi les périodes de questions, alors nous pourrons peut-être terminer la réunion entre 13 h 50 et 13 h 55. Nous verrons où nous en serons.
    Madame Shannon Dea, doyenne de la Faculté des arts, vous disposez de cinq minutes. Bienvenue au comité du Patrimoine canadien.
    Nous vous écoutons.
    Bonjour. Je suis philosophe et doyenne des arts à l'Université de Regina. Je suis ici aujourd'hui en tant que spécialiste de la liberté universitaire et de la liberté d'expression sur les campus.
    Dans mon rôle de doyenne, j'ai l'occasion d'observer et de défendre la liberté universitaire en pratique, mais mes commentaires refléteront mon propre savoir et ne représentent pas l'opinion de l'Université de Regina ou de la Faculté des arts.
    La liberté universitaire est distincte de la liberté d'expression, mais elles sont profondément liées. La liberté universitaire permet au personnel universitaire postsecondaire de poursuivre, sans ingérence ni représailles, la mission universitaire de rechercher la vérité et de faire progresser la compréhension au service de la société.
    La liberté universitaire comprend deux types de liberté d'expression: la liberté d'expression intramurale, qui peut inclure la critique de l'université; et la liberté d'expression extramurale, soit la liberté d'expression du personnel érudit dans la sphère publique. Ces libertés d'expression sont illimitées tant qu'elles respectent la loi.
    En revanche, la liberté universitaire se manifeste dans le cadre de systèmes de contrôle de la qualité qu'applique le personnel érudit. Par exemple, les arbitres et les rédacteurs savants se prononcent sur les décisions de publication, et les organismes collégiaux déterminent les programmes d'études.
    La première mise en œuvre moderne de la liberté universitaire a eu lieu en 1809, à l'Université de Berlin, la première université de recherche moderne. Son fondateur, Wilhelm von Humboldt, a fait de la solitude et de la liberté des principes jumeaux de l'université. Par « liberté », il entendait la recherche, l'enseignement et l'apprentissage sans contrainte fondés sur la curiosité par le personnel savant, y compris les étudiants. Par « solitude », il entendait la coupure face à l'ingérence extérieure, un premier exemple de ce qu'on appelle aujourd'hui « l'autonomie d'un établissement scolaire ».
    La nécessité d'offrir des protections contre l'ingérence extérieure, et en particulier l'ingérence politique, était particulièrement importante, puisque les universités allemandes étaient essentiellement une branche du gouvernement. Ainsi, de 1848 à 1933, les constitutions allemandes ont consacré les protections de la liberté universitaire.
    Dans certains États, comme l'Allemagne d'avant 1933 et l'Afrique du Sud post-apartheid, la liberté universitaire bénéficie d'une protection constitutionnelle distincte. Dans d'autres, elle bénéficie d'une protection constitutionnelle indirecte au moyen de dispositions relatives à la liberté d'expression.
    Les deux exemples de liberté universitaire protégée par la Constitution que je viens de donner soulignent un fait important au sujet de la liberté universitaire: elle prend son essor dans les démocraties. Elle meurt dans les régimes autoritaires.
    Avec l'ascension au pouvoir d'Hitler en 1933, la liberté universitaire a été abolie en Allemagne. Les professeurs juifs ont été congédiés. Les professeurs qui restaient ont été forcés d'enseigner la science raciale nazie. En revanche, lorsque le gouvernement Mandela a cherché à reconstruire une Afrique du Sud équitable et démocratique, il a inscrit la liberté universitaire dans la Constitution.
    Partout où l'autoritarisme est en hausse à notre époque, la liberté universitaire et l'autonomie des universités sont attaquées dans la même mesure. Au cours des dernières années, des gouvernements ont interdit l'enseignement des études sur le genre en Hongrie et en Pologne et l'enseignement de la théorie critique de la race dans un certain nombre d'États américains.
    Les gouvernements provinciaux de l'Ontario, du Québec et de l'Alberta menacent le principe de solitude des universités tel qu'imaginé par Wilhelm von Humboldt en leur imposant des politiques de liberté d'expression qui, loin de protéger la liberté d'expression, sapent en fait l'autonomie institutionnelle. Ces gouvernements imposent également des limites critiques aux manifestations étudiantes, une forme d'expression traditionnelle sur les campus qui est depuis longtemps, entre autres, un mode par lequel les étudiants développent leur autonomie morale et intellectuelle.
    Aux États-Unis, en décembre 2023, l'audience du Congrès sur l'antisémitisme a marqué un nouveau chapitre de l'ingérence de l'État dans la liberté universitaire, la liberté d'expression sur les campus et l'autonomie des établissements scolaires. L'interrogatoire des membres du Congrès de trois présidents de collèges au sujet de l'approche de leurs universités en matière de déclarations de solidarité, de neutralité institutionnelle et de protestation étudiante a donné froid dans le dos, notamment parce que deux des réponses des présidents ont été utilisées politiquement pour forcer leurs démissions.
    L'interrogatrice la plus agressive des présidents d'universités américaines a été la représentante Elise Stefanik, qui a récemment été choisie comme prochaine ambassadrice des États-Unis aux Nations unies. La représentante Stefanik a affirmé que les démissions découlant de l'audience ne sont que le début d'une prise de conscience et que les républicains feront un ménage de l’enseignement supérieur qui se fait attendre depuis longtemps.
    Une semaine après l'audience au Congrès, cinq députés ont écrit aux recteurs d'universités canadiennes pour exercer une pression semblable sur eux. Une telle remise en question de l'autonomie d'établissements scolaires par des gouvernements provinciaux aurait été tout à fait inappropriée. C'était encore plus choquant et inouï de la part de députés fédéraux, étant donné que l'éducation est de compétence provinciale et non fédérale. Certains députés continuent de faire des déclarations publiques visant à décourager l'expression sur Israël et la Palestine au sein des établissements d'enseignement.
    Les universités canadiennes apportent des contributions essentielles à la science, à la société, au secteur privé et à l'économie. Malgré les défis récents, la liberté universitaire se porte mieux au Canada que partout ailleurs dans le monde. Il est essentiel que les législateurs canadiens réaffirment la liberté universitaire et l'autonomie des universités. Les universités canadiennes pourront ainsi continuer à contribuer à la science, au secteur privé et à la société, tout en préservant les protections cruciales de la solitude et de la liberté pour les universités de demain, tant au Canada que dans le monde entier.
    Merci.
(1110)
    Merci, madame Dea. Il vous restait encore une minute, mais nous aurons beaucoup de questions à vous poser.
    Nous passons maintenant à Emily Laidlaw, professeure agrégée et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit de la cybersécurité à l'Université de Calgary.
    Madame Laidlaw, vous disposez de cinq minutes. Vous pouvez débuter.
    Lorsque j'enseigne la liberté d'expression à mes étudiants en droit, je commence par leur demander ce que signifie la liberté d'expression pour eux. Avant de nous pencher sur le droit ou la philosophie, nous devrions tous commencer par nous demander ce que l'expression signifie pour nous personnellement. Elle touche tous les aspects de nos vies et de notre démocratie, et c'est cette signification qui détermine notre structure juridique.
    Il est exigeant pour nous tous de nous engager à soutenir la liberté d'expression. Nous devons protéger les discours offensants, troublants et choquants étant donné la conviction que la société dans son ensemble en profitera, même si certains seront ciblés. Cependant, la liberté d'expression n'est pas un droit absolu, et elle ne l'a jamais été.
    Les tribunaux canadiens ont généralement adopté une approche négative à l'égard de la liberté d'expression, en supposant que si le gouvernement ne s'en mêle pas, nous serons libres. À mon avis, cette prémisse est erronée. Nous ne jouissons pas tous de la liberté d'expression dans la même mesure, et les lois peuvent être un véhicule important pour protéger et promouvoir la liberté d'expression.
    C'est particulièrement important dans le domaine du droit de la technologie — mon domaine —, où les lois ciblant les entreprises privées sont un véhicule important pour garantir la protection des droits des utilisateurs.
    Lorsque j'ai intégré ce champ d'études il y a près de 20 ans, je me suis concentrée sur le fait que les entreprises technologiques étaient devenues des arbitres privés de l'expression. Peu importe ce que nous voulons faire en ligne, nous avons besoin d'une entreprise privée pour y arriver. Ces entreprises décident qui a accès au contenu; quel contenu reste en ligne ou est retiré; et comment les systèmes de règlement des différends et leurs sites sont conçus. Pour ce faire, elles utilisent des techniques de persuasion pour inciter les gens à adopter certains comportements: du contenu déroulant à l'infini, des récompenses, des notifications et des « j'aime » — essentiellement, elles détournent nos esprits.
    Par conséquent, ces entreprises détiennent un pouvoir extraordinaire — plus fort que la plupart des États. Elles déterminent les normes mondiales en matière de liberté d'expression, leurs pratiques sont très peu transparentes, et très peu de mécanismes juridiques obligent ces entreprises à rendre des comptes. Ces entreprises sont également des cibles faciles pour les pressions exercées par le gouvernement pour retirer certains contenus, ce qu'on appelle les pressions gouvernementales.
    Au pire, elles servent de réglementation parallèle: un gouvernement A exerce des pressions sur une plateforme Y pour qu'elle supprime certains contenus. Plus souvent, les organismes d'application de la loi, par exemple, enquêtent pour déterminer si une publication constitue un discours haineux criminel. Ils pensent que c'est possible, mais entretemps, ils pensent que le message viole probablement les propres conditions de la plateforme. Les forces de l'ordre avisent la plateforme de la publication, et la plateforme l'évalue indépendamment par rapport à ses propres processus de modération. Dans cette situation, l'État étouffe-t‑il l'expression légitime? En général, non, mais la façon de s'y prendre importe, et les mesures informelles risquent toujours d'être illégitimes sur le fond ou en apparence.
    Je ne veux pas donner l'impression que les entreprises sont de mauvais acteurs — bon nombre d'entre elles sont la source de solutions novatrices aux problèmes auxquels nous sommes confrontés —, mais au bout du compte, ce ne sont que des entreprises. Elles ne sont ni bonnes ni mauvaises, mais elles ont la responsabilité fiduciaire d'agir dans l'intérêt supérieur de leur entreprise, de sorte qu'il y a une limite à ce qu'elles peuvent faire pour le bien de la société, et certaines entreprises choisissent d'en faire très peu.
    Mon message est le suivant: lorsque les entreprises sont aussi puissantes et qu'elles influencent autant la société, il incombe au gouvernement de leur imposer un cadre légal.
    Deux étapes clés sont cruciales pour promouvoir et protéger la liberté d'expression et lutter contre les préjudices en ligne. La première consiste à adopter la partie 1 du projet de loi C‑63 après, bien sûr, une étude minutieuse et des amendements. Il propose une approche systémique à la réglementation des médias sociaux.
    Qu'est‑ce que j'entends par « approche systémique? » C'est une approche qui ne vise pas du contenu en particulier — il ne s'agit pas de déterminer si une publication précise constitue une propagande haineuse et si une entreprise la laisse affichée ou la retire. Une approche systémique vise plutôt le système derrière le fonctionnement des médias sociaux. Quels systèmes de modération de contenu l'entreprise a‑t-elle mis en place? Permettent-ils une application régulière de la loi? La plateforme s'attaque-t-elle aux risques associés au système de recommandation? L'entreprise a-t-elle un plan pour s'attaquer aux comptes inauthentiques et à la manipulation de ses systèmes par des robots et des hypertrucages?
    Les entreprises sont tenues d'avoir des pratiques transparentes, et les organismes de réglementation peuvent enquêter sur les entreprises qui ne disposent pas de systèmes adéquats. Une approche systémique est la meilleure qui soit pour mieux protéger la liberté d'expression tout en ciblant les problèmes fondamentaux que les médias sociaux ont tant aggravés.
    La deuxième étape consiste à réformer la loi sur la protection des données et à présenter un projet de loi sur l'intelligence artificielle qui s'apparenterait au projet de loi C‑27. Les entreprises en question sont axées sur les données. La conception de leurs interfaces; leurs pratiques relatives à la collecte, à l'utilisation et à la divulgation des données des utilisateurs; et leur utilisation des systèmes d'intelligence artificielle donnent accès à nos esprits et à notre santé, et nous permettent de participer aux échanges et de nous exprimer librement. La protection de la vie privée a toujours été essentielle à la liberté d'expression et, par conséquent, le projet de loi C‑27, ou une version s'y apparentant, est un complément clé du projet de loi C‑63.
    Merci.
(1115)
    Merci beaucoup, madame Laidlaw.
    Nous passons à notre troisième et dernier témoin. Nous accueillons Ga Grant, avocate-conseil plaidante de la British Columbia Civil Liberties Association, ou BCCLA.
    Vous avez cinq minutes. Allez-y.
    La BCCLA est la plus ancienne et la plus grande organisation de défense des libertés civiles au Canada. Bien que nous ayons de nombreuses préoccupations au sujet de l'état de la liberté d'expression au Canada, je vais me concentrer aujourd'hui sur deux aspects urgents des droits de la personne. En effet, pour que tous puissent réellement jouir des libertés civiles, nous devons nous battre non seulement pour les droits des privilégiés, mais aussi pour ceux des plus marginalisés de notre société.
    Bien que la Charte garantisse la liberté d'expression de tous, y compris la liberté de manifester pour participer à la démocratie, ce droit n'est pas appliqué de manière égale. Les données montrent que certaines communautés sont disproportionnellement surveillées et ciblées par le Canada, ce qui brime leur liberté d'expression.
    Premièrement, la BCCLA soulève depuis longtemps des préoccupations au sujet du ciblage et de la criminalisation par le Canada des protecteurs des terres et des eaux autochtones. Nous sommes l'une des 60 organisations autochtones et de la société civile qui demandent le démantèlement de l'unité paramilitaire de la GRC appelée le Groupe d’intervention en cas d’incident critique, ou GICIC, anciennement appelé le Groupe d’intervention pour la sécurité de la collectivité et de l’industrie.
    Le rapport de 2023 d'Amnistie internationale a mis en lumière les violations répétées des droits de la personne des défenseurs des terres des Wet'suwet'en qui s'opposent au gazoduc côtier. Le GICIC a eu recours à une surveillance illégale, à une force excessive au point d'être troublante, au harcèlement et à la dépossession, malgré le droit légal des Wet'suwet'en de s'opposer à des projets non consentis sur des terres non cédées.
    Des violations semblables ont été commises lors du blocage de Fairy Creek, où les zones d'exclusion arbitraires et illégales violaient les droits garantis par la Charte, y compris la liberté d'expression des médias.
    Des enregistrements déconcertants diffusés devant les tribunaux ont révélé que les agents du GICIC qualifiaient les défenseurs des terres autochtones d'« orques » et d'« ogres » tout en se moquant des femmes autochtones disparues et assassinées. Toutes ces actions vont à l'encontre des engagements du Canada à l'égard de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et ont été condamnées par un groupe de rapporteurs spéciaux des Nations unies.
    Le GICIC fait actuellement l'objet de plus de 500 plaintes de citoyens, de poursuites graves et d'une enquête par la présidente de la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC. Le GICIC collabore maintenant avec la police locale pour cibler les manifestations de solidarité palestinienne sans aucune transparence publique.
    Cela m'amène à la deuxième question urgente: la frilosité et l'expression politique extrêmes dont nous sommes témoins à l'égard de la liberté d'expression lorsqu'elle est solidaire des droits de la personne des Palestiniens ou qu'elle critique l'État d'Israël.
    Cette année, la Cour internationale de justice a statué qu'Israël commet probablement un génocide à Gaza, et qu'il est responsable d'un apartheid et d'une occupation illégale de la Palestine. Le Comité spécial des Nations unies a maintenant conclu que la guerre d'Israël correspond à un génocide, y compris l'utilisation de la famine comme arme de guerre. Pourtant, le Canada continue de soutenir Israël et de lui fournir des armes.
    Nous avons écrit de nombreuses lettres à la police et aux procureurs de la Couronne au sujet d'accusations criminelles inconstitutionnelles ou disproportionnées et de l'intervention des forces policières contre les manifestants. Par exemple, le GICIC a qualifié les manifestations de solidarité palestinienne de « pro-Hamas » et de favorable au terrorisme, une campagne de salissage mensongère qui alimente le racisme anti-palestinien. Ces termes ont également été utilisés par de nombreux politiciens et policiers. Récemment, le ministère du Patrimoine canadien a publié le Guide canadien sur l’antisémitisme selon la définition opérationnelle de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (AIMH), qui préconise la mise en œuvre de services policiers dans l'ensemble de la société. Cette définition profondément problématique et controversée de l'antisémitisme ne se limite pas à définir l'antisémitisme proprement dit — un objectif que nous partageons tous —, mais assimile la critique politique d'Israël au peuple juif, faisant ainsi la promotion du racisme anti-palestinien.
    La BCCLA est solidaire de nombreuses organisations internationales et nationales de défense des droits de la personne et de groupes juifs, comme Voix juives indépendantes Canada, le United Jewish People's Order et le Jewish Faculty Network. Un tel amalgame entre le peuple juif et l'État d'Israël est en soi antisémite et s'oppose à la liberté d'expression des Juifs. La définition de l'AIMH et le manuel ont des conséquences troublantes et graves, et doivent être immédiatement révoqués.
    Le témoignage du Dr Ge devant le Comité n'est qu'un exemple des appels que nous recevons régulièrement de la part de personnes qui perdent leur emploi ou qui font l'objet de mesures disciplinaires, de harcèlement ou d'accusations injustes de la part de la police pour avoir exercé leurs droits garantis par la Charte. Personnellement, je crains moi-même de m'exprimer publiquement devant le Comité sur cette question. En tant que personne à moitié juive et à moitié libanaise, je crois que les droits de la personne et la libération de tous les peuples ne sont jamais en opposition, mais qu'ils sont interreliés. En effet, la répression des droits d'un groupe mène à la répression des droits de tous.
    Les débats controversés sont essentiels et sains pour la démocratie. Une véritable démocratie se mesure à la façon dont elle traite la dissidence, en particulier lorsque cette dissidence conteste le gouvernement ou des intérêts politiques bien ancrés. Nous demandons au Canada d'abolir le GICIC, d'améliorer la reddition de comptes de la police, de respecter les droits des peuples autochtones, de mettre fin aux efforts politiques et policiers visant à réprimer l'expression et la solidarité avec le peuple palestinien, et de révoquer la définition de l'antisémitisme de l'AIMH afin que tous puissent jouir de la liberté d'expression.
    Merci.
(1120)
    Merci, madame Grant. Vous avez terminé juste à temps.
    La première série de questions sera de six minutes par intervention, et nous allons commencer par M. Gourde, du Parti conservateur.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Je remercie tous les témoins de leur présence.
    Il s'agit d'une étude vraiment importante pour nous et pour les Canadiens. Quand on parle de liberté d'expression, on parle aussi de liberté de conscience.
    Ma question s'adresse aux trois témoins, et elles pourront y répondre l'une après l'autre.
    Qu'est-ce qui peut nuire à la liberté d'expression?
    Pouvez-vous nous donner des exemples, tirés des cinq ou dix dernières années, de situations qui auraient pu nuire à la liberté d'expression et à la liberté de conscience des Canadiens?
    Madame Dea, vous pouvez répondre la première.

[Traduction]

    Merci beaucoup.
    Jamais dans l'histoire de l'humanité n'y a‑t‑il eu un moment où la liberté d'expression n'a pas été menacée. C'est précisément pour cette raison que nous devons enchâsser des mesures pour la protéger. Si elle n'était pas menacée, elle n'aurait pas besoin de protection.
    Les menaces varient selon l'époque et l'endroit. De mon point de vue, les 5 à 10 dernières années ont été sous le signe d'une polarisation et d'une militarisation accrues de... Ici encore, les tropes polarisés, par exemple, présentent les universités comme des foyers de radicalisme et comme des établissements nuisibles à la société.
    De plus, il y a une guerre culturelle de plus en plus combative contre les médias sociaux. Nous ne tenons pas compte de la mesure dans laquelle les médias sociaux peuvent exacerber et polariser davantage le débat. Les débats que nous pouvions avoir il y a 20 ans sur la grand-place sont maintenant aggravés et polarisés par des algorithmes nuisibles.
    Je vais peut-être m'arrêter ici pour que d'autres puissent également répondre.
(1125)

[Français]

     Madame Laidlaw, voulez-vous répondre à ma question?

[Traduction]

    Merci beaucoup.
    Mon commentaire s'inscrira dans le contexte des médias sociaux, que j'étudie souvent. Je m'y suis beaucoup intéressée récemment.
    Notre liberté de pensée et d'opinion est essentiellement piratée par les algorithmes et les publicités sur les médias sociaux. Ils structurent les espaces d'une façon particulière. Les algorithmes nous font voir certaines informations, qui peuvent parfois être répétitives. C'est l'idée qu'on se retrouve dans un puits sans fond, ce qui mine la capacité à développer librement ses pensées. Par conséquent, tout le monde consomme des renseignements politiques en vase clos.
    Pour ce qui est des enfants, j'examine un plus grand ensemble d'enjeux. Nous constatons que les médias sociaux incitent les enfants à avoir des troubles de l'alimentation et à s'automutiler, notamment.
    D'un point de vue plus général, j'ai trouvé intéressant que vous posiez une question sur les préjudices causés par la liberté d'expression. Je veux nous ramener à ce seuil juridique, parce que la liberté d'expression cause toutes sortes de préjudices.
    Nous croyons en l'importance de la liberté d'expression. Elle est tellement essentielle que nous sommes prêts à tolérer ces préjudices. Sur le plan juridique, dans toutes sortes de circonstances, un seuil détermine quand ce préjudice devient trop grand et où la loi intervient. La loi est utilisée pour défendre les réputations, mais le seuil est élevé en droit de la diffamation pour trancher que le préjudice à la réputation est effectivement une question juridique et que la loi interviendra d'une manière ou d'une autre pour y mettre fin. C'est ce que nous constatons dans le droit pénal, qu'il s'agisse de propagande haineuse ou de fraude.
    Les circonstances actuelles sont complexes. Les enjeux sont toujours très contextuels. Dans le monde des médias sociaux, le volume est énorme. Nous ne pouvons pas régler ces questions à grande échelle.
    Voici mon dernier commentaire: le slogan « Du fleuve à la mer » a suscité la controverse. Le conseil de surveillance de Meta a mené une enquête complète à son sujet pour déterminer s'il allait à l'encontre de ses conditions de service; la compagnie a examiné la question sous l'angle des droits de la personne internationaux. Ces questions sont tranchées dans toutes sortes de milieux.
    Je vais m'arrêter ici pour l'instant.

[Français]

     Madame Grant, voulez-vous poursuivre?

[Traduction]

    Je suis désolée, mais je n'ai compris comment activer l'interprétation qu'après votre question.
    Pourriez-vous la répéter?

[Français]

    Au cours des cinq ou dix dernières années, avez-vous été témoin d'événements ou de situations qui ont pu nuire à la liberté d'expression au Canada?

[Traduction]

    Je suis désolée. Vous parlez de ce que j'ai vécu ou de ce dont j'ai été témoin?
    Je pense que nous avons été témoins de la répression par l'État de groupes particuliers, ce qui était le sujet de ma déclaration d'aujourd'hui. Le Canada cible et surveille de façon disproportionnée certaines communautés, les privant de leur liberté d'expression et de leurs droits garantis par la Charte. Les deux exemples que j'ai donnés sont ceux de personnes qui font valoir leurs droits autochtones — les protecteurs autochtones des terres et des eaux — et de gens qui se montrent solidaires à la cause palestinienne. Nous avons constaté qu'ils ont été très ciblés au cours de la dernière année. Il y a de nombreux exemples de personnes qui ont été accusées pour avoir tenu des propos non haineux — sans que l'on s'en tienne à la norme rigoureuse établie dans notre jurisprudence.
    Nous constatons un effet paralysant sur la liberté d'expression. Le fait de bafouer les droits d'un groupe a des répercussions plus générales sur la confiance des gens à l'égard de l'exercice de leurs propres droits, quel que soit le discours mis de l'avant. Lorsque les gens en voient d'autres être criminalisés et subir un traitement semblable lorsqu'ils exercent leurs droits, les conséquences se font sentir dans l'ensemble de la population.
    Vous voudrez bien m'excuser encore une fois si je n'ai pas bien compris la question au départ.
(1130)

[Français]

     Merci.

[Traduction]

    Merci beaucoup, monsieur Gourde. Vos six minutes sont écoulées.
    Nous allons passer au Parti libéral.
    Bienvenue, monsieur Noormohamed. Vous avez six minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie nos témoins d'être avec nous.
    Je voulais parler un peu des conséquences de la liberté d'expression et vous entendre tous à ce sujet, parce que nous avons eu droit à quelques commentaires en ce sens. Je veux me concentrer plus particulièrement sur les cas où des dirigeants politiques mentent pour amener les gens à croire quelque chose qui est faux, ou pour agir au détriment non pas nécessairement du gouvernement ou de l'opposition, mais de la société canadienne.
    Récemment, nous avons eu l'exemple d'une députée du Parti conservateur qui a utilisé sa liberté d'expression pour dire que la crise du coût de la vie avait poussé des parents à faire la traite de leurs propres enfants. Le chef de l’opposition a ensuite fait une déclaration très publique suivant laquelle la prière avait été interdite lors des cérémonies du jour du Souvenir.
    Il a été prouvé qu'il s'agissait de mensonges éhontés. J'utilise ce terme précisément parce qu'un mensonge est quelque chose qui n'est pas vrai, et qu'il a été établi que ces deux affirmations ne sont pas vraies.
    Quelles sont les conséquences d'une liberté d'expression se manifestant de cette manière?
    J'invoque le Règlement, monsieur le président. Je crois comprendre... En fait, lorsque j'ai traité le premier ministre de menteur à la Chambre des communes, on m'a expulsé parce que c'était antiparlementaire. Le premier ministre avait menti. Je l'ai interpellé à ce sujet. J'ai été expulsé.
    Je dirais que M. Noormohamed s'aventure sur le terrain du langage non parlementaire et qu'il devrait choisir ses mots plus judicieusement pour s'assurer qu'il est... Je ne veux pas entrer dans un débat, mais nous avons droit ici à des conjectures et à des opinions, alors que nous devrions discuter de liberté d'expression.
    Vous pouvez poursuivre, monsieur Noormohamed.
    Merci, monsieur le président.
    Je vais d'abord demander à Mme Dea de répondre à cette question, puis je passerai à Mme Laidlaw.
    Je ne suis pas avocate, mais je crois comprendre que la liberté d'expression n'est pas soumise au même contrôle de la qualité que la liberté universitaire, par exemple. Les gens peuvent mentir. Il y a peut-être des règles parlementaires que vous connaissez mieux que moi, mais la liberté d'expression ne vient pas avec un contrôle de la qualité. C'est la première chose que je vous dirais.
    Il est également important de noter que lorsque les gens disent des choses qui ne sont pas vraies, ils ne mentent pas nécessairement. Sans vouloir être trop philosophe, il nous arrive sans cesse d'énoncer des faussetés en croyant sincèrement que c'est la vérité. Il est important de bien établir la distinction entre la mésinformation, qui peut découler d'une erreur de bonne foi, et la désinformation, qui est un mensonge intentionnel.
    Cependant, il est évident que la mésinformation et de la désinformation ont toutes les deux pour conséquence de semer la confusion au sein de la population, faussant ainsi ses raisonnements au sujet des questions importantes de l'heure.
    J'ajouterais — et c'est peut-être, encore une fois, un brin trop philosophique — que certains peuvent aussi dire des choses vraies d'une manière sélective pour induire les gens en erreur. Toutes les déclarations que l'on peut faire ont des conséquences, qu'elles soient vraies ou fausses, sincères ou insincères.
    Allez‑y, madame Laidlaw.
    Merci.
    Je suis reconnaissante à Mme Dea d'avoir traité de l'aspect philosophique de tout cela, car je pense que c'est effectivement une question d'ordre philosophique, quoi que l'on puisse en penser.
    La plupart du temps, nous avons le droit de dire et d'exprimer des faussetés. C'est seulement dans certaines circonstances bien définies sur le plan juridique que la falsification peut devenir problématique. C'est le cas pour la fraude, au pénal, et la diffamation, au civil, mais je suppose que la diffamation est aussi une infraction criminelle.
    Vous parliez de circonstances précises dans lesquelles la réputation d'une personne est entachée. Cet espace entre la mésinformation et la désinformation est vraiment difficile à gérer, parce que la Cour suprême a indiqué très clairement que nous devons protéger les fausses informations du fait qu'elles pourraient être les idées de l'avenir. C'est parce que, comme le disait Mme Dea, certains pourraient croire que c'est la vérité, et la possibilité pour chacun de s'exprimer ainsi s'inscrit dans la démarche collective qui nous permet de distinguer le vrai du faux.
    Le défi auquel nous sommes confrontés, c'est qu'il ne fait aucun doute que cela cause du tort et que les médias sociaux amplifient ce préjudice étant donné qu'ils rejoignent un plus vaste auditoire. Aussi bien dans mes recherches que lors de mes discussions avec mes étudiants, il est beaucoup question du fait que les élus sont, d'une part, la cible d'attaques et d'un harcèlement incessant, mais, d'autre part, les dépositaires d'un pouvoir énorme. Leurs déclarations, surtout depuis l'avènement des médias sociaux, atteignent un public sans précédent, de sorte que les faussetés véhiculées peuvent prendre une ampleur jamais vue et [inaudible] ne nous aide pas à résoudre le problème.
(1135)
    C'est vraiment là où je voulais en venir. Je pense que nous sommes tous d'accord pour dire que les gens ont le droit, dans les limites que vous avez mentionnées, d'affirmer ce que bon leur semble, d'inventer ce qu'ils veulent et d'induire les gens en erreur s'ils choisissent de le faire.
    Ma question est la suivante. Dans un monde où l'information ou la désinformation peut circuler à un rythme aussi effréné, comment pouvons-nous amorcer une réflexion sur les conséquences véritables? Les gens sont ainsi amenés à poser des gestes qui dépassent parfois les bornes, sans que cela soit nécessairement le résultat recherché. Ne faites-vous pas le même constat? Je ne peux pas imaginer que des gens puissent faire de telles déclarations pour en inciter d'autres à commettre des actes regrettables.
    Comment devrions-nous, en tant que politiciens, réfléchir à la façon de gérer notre discours sans toutefois le réglementer? Personne n'essaie de priver les gens de leur liberté. Dans quelle mesure devrions-nous être tenus de réfléchir aux conséquences de nos paroles et aux actions qu'elles pourraient inspirer à d'autres? C'est vraiment là où je veux en venir.
    Je vais vous dire ce que je dis aux échevins de Calgary, car je suis également leur conseillère en éthique. Je pars du concept de diffamation, à savoir que vous pouvez avoir n'importe quelle opinion et l'exprimer librement; il vous suffit de citer les faits étayant cette opinion afin que quiconque entende votre point de vue puisse être en mesure d'y souscrire ou non.
    C'est une question d'éthique, n'est‑ce pas? Nous demandons à tout élu d'être fidèle aux faits, de les exposer clairement puis d'exprimer son opinion. Je pense que c'est la bonne façon de faire les choses. Il n'y a pas de mécanisme de surveillance, mais c'est ce qui devrait être notre objectif.
    Vos six minutes sont écoulées.
    Merci, monsieur Noormohamed.
    Nous passons maintenant au Bloc.
    Monsieur Champoux, vous avez la parole pour une période de six minutes.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    C'est à mon tour de remercier les témoins de leur présence aujourd'hui. C'est une étude importante et je pense que c'est un sujet délicat et sensible, qui suscite énormément de conversations et de questions.
    Madame Dea, vous avez parlé, dans votre allocution d'ouverture, de limites à la liberté d'expression dans les universités du Québec.
    Pourriez-vous me parler de cas précis? J'aimerais circonscrire un peu ce dont vous nous parliez tantôt.

[Traduction]

    Votre question porte‑t‑elle sur les limites de la liberté universitaire?
    Ce qui est important au sujet de la liberté universitaire, c'est que les limites sont autodéterminées par des universitaires en position d'autorité du fait qu'ils possèdent l'expertise appropriée. À titre d'exemple, j'ai un département de psychologie habilité à décerner des diplômes en psychologie clinique. Ce sont les psychologues cliniciens des différentes régions du Canada qui déterminent les normes d'agrément dans le cadre de leur mission professorale, et les départements de psychologie de tout le pays respectent ces normes d'agrément aux fins de leurs programmes d'études.

[Français]

     Vous avez parlé spécifiquement de cas au Québec, dans votre allocution. Je voulais savoir exactement à quoi vous faisiez référence. C'est plus général, si je comprends bien.

[Traduction]

    D'accord. Votre question ne porte pas sur la liberté universitaire en soi, mais découle d'une préoccupation concernant l'autonomie institutionnelle.
    En Ontario, au Québec et en Alberta, la province a bel et bien imposé aux universités l'obligation d'adopter une politique propre à l'établissement en matière de liberté d'expression. C'était la loi 32 au Québec. Dans le cas de l'Ontario et de l'Alberta, aucune loi n'a été adoptée à cet effet.
    Il s'agit vraiment en l'espèce de limites à l'autonomie universitaire. La plupart des universités ont déjà des politiques sur la liberté d'expression. Il n'y a sans doute aucune autre institution dans le monde où la liberté d'expression est mieux protégée que sur les campus universitaires. Cette imposition externe de règles en la matière était donc inutile. On pourrait dire qu'il s'agissait d'une imposition uniquement pour le principe, qui limitait inutilement l'autonomie institutionnelle de l'université.

[Français]

     Je vais vous poser une question sur quelque chose qui ne se trouve peut-être pas dans votre champ d'expertise, mais vous avez amené le sujet tantôt. Vous avez parlé de la liberté d'expression qui est sans limites tant qu'elle est exercée dans un cadre légal. J'espère que je vous cite bien.
    Vous avez parfaitement raison. La liberté d'expression doit être exercée dans un cadre légal, qui est généralement défini par le Code criminel.
    Pensez-vous qu'il est justifié, pour l'État, d'encadrer les plateformes de médias sociaux, qui sont de plus en plus le véhicule ou le partage de conversations, de connaissances, et le reste, dans la société?
    Pensez-vous que les plateformes de médias sociaux doivent être encadrées par voie législative pour faire en sorte, justement, qu'on assure cette liberté d'expression dans un cadre légal, c'est-à-dire dans le cadre dans lequel elle doit être exercée, ce qui n'est pas toujours le cas?
    Présentement, on peut parler de far west dans les médias sociaux en général.
    Êtes-vous d'accord sur le fait qu'on doit encadrer les plateformes de médias sociaux, en respectant, évidemment, les principes fondamentaux de la liberté d'expression?
(1140)

[Traduction]

    Je préférerais laisser ma collègue vous répondre à ce sujet, car je n'ai pas l'expertise voulue dans le contexte juridique des médias sociaux.

[Français]

     J'imagine que vous voudriez vous reporter à Mme Laidlaw à ce moment.
    Madame Laidlaw, avez-vous un point de vue sur cette question?

[Traduction]

    Oui, je recommande fortement que les médias sociaux soient réglementés.
    Je veux toutefois que les choses soient bien claires. Il y a une réglementation en vertu de laquelle l'État oblige les médias sociaux à agir relativement à certains contenus, comme les publications individuelles. C'est beaucoup plus compliqué et c'est généralement moins efficace pour régler certains de ces problèmes.
    L'approche systémique dont je parlais pour le projet de loi C‑63 est cruciale. C'est d'ailleurs l'approche adoptée par d'autres gouvernements, comme ceux de l'Europe, de l'Australie et du Royaume-Uni. Il y a maintenant un réseau mondial de lutte contre les préjudices en ligne dans le cadre duquel on s'efforce essentiellement d'instaurer une démarche cohérente, du fait que des multinationales sont en cause.
    Je tiens à souligner que cela ne va pas nécessairement régler tous les enjeux associés aux faussetés pouvant être véhiculées et certains des défis auxquels nous sommes confrontés en ce qui concerne la mésinformation et la désinformation. Les mesures proposées au Canada ciblent davantage les discours haineux, la propagande terroriste et l'incitation à la violence. L'Europe s'est pour sa part directement attaquée à la mésinformation et à la désinformation, notamment dans le contexte des élections et du discours public. Il est vraiment difficile de se frotter à cette problématique. Le gouvernement a un rôle beaucoup plus risqué et complexe à jouer en vue d'améliorer la santé globale de l'écosystème dans cette zone plus trouble.
    Comme je ne veux pas prendre trop de temps, je n'entrerai pas davantage dans les détails, mais je tiens à souligner que le problème ne serait pas nécessairement réglé pour autant.

[Français]

     Effectivement, madame Laidlaw, mon temps de parole est presque écoulé, mais j'ai peut-être le temps de poser une dernière question. Je serai rapide.
    Vous avez parlé tantôt des dommages causés par la liberté d'expression. Effectivement, des gens sont heurtés par certains propos.
    En général, quand la liberté d'expression est exercée dans le cadre légal, les dommages, dont vous parliez, sont-ils essentiellement des sensibilités, selon les valeurs personnelles des individus, ou est-ce plus large que cela?
    Nous pourrons y revenir tantôt, parce qu'il me reste peu de temps. Pouvez-vous tenter de me répondre rapidement?

[Traduction]

    Je dirais que c'est plus que cela. Il y a certes...
    Veuillez répondre brièvement, s'il vous plaît.
    ... différents aspects à cette question, à savoir que les gens ont des niveaux de sensibilité variables. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous cherchons toujours à protéger la liberté d'expression, même lorsque les propos peuvent être blessants ou choquants. Il faut cependant considérer qu'il y a généralement un effet paralysant, en particulier sur les groupes plus marginalisés, du simple fait de se retrouver dans ces espaces...
    Merci, madame Laidlaw. Nous devons poursuivre.

[Français]

    Merci, madame Laidlaw.

[Traduction]

    Merci, monsieur Champoux.
    Nous accueillons maintenant M. Desjarlais, du Nouveau Parti démocratique, qui dispose de six minutes.
    À vous la parole.
    Merci beaucoup, monsieur le président. Je tiens à remercier mes collègues d'avoir entrepris cette étude que je juge très importante.
    Il va de soi que la démocratie ne prend toute sa valeur que si les gens ont un droit de parole et peuvent l'exercer en s'exprimant d'une manière que leurs homologues et les autres Canadiens sont à même de comprendre, et en ayant ces conversations difficiles que les sociétés démocratiques doivent s'assurer d'avoir afin d'en arriver bien concrètement à une solution morale qui nous rendra, espérons‑le, plus unis et mieux aptes à relever les défis de taille qui attendent les Canadiens. Il s'agit en partie de veiller à ce que les gens puissent véritablement confronter les autorités en place. En tant que député autochtone des Prairies, je ressens bien toute l'importance de cet enjeu.
    Plusieurs témoins aujourd'hui ont mentionné la nécessité absolue de s'attaquer à certains des obstacles très réels auxquels se heurte le droit légitime à la liberté d'expression d'une personne. C'est notamment ce que nous a dit la représentante du groupe de défense des libertés civiles de la Colombie-Britannique, une association à l'avant-garde de la protection des droits des Canadiens en matière de liberté d'expression.
    On nous a ainsi indiqué aujourd'hui que deux groupes bien ancrés font l'objet d'une surveillance hors du commun. Les Autochtones, et les membres des Premières Nations en particulier, luttent contre l'exploitation commerciale de leurs terres, comme on a pu le voir avec les Wet'suwet'en ou à Fairy Creek. Il y a par ailleurs les Palestiniens qui parlent de leurs proches qui sont victimes d'un génocide en Palestine. Ils doivent trouver des moyens d'exprimer leurs préoccupations très légitimes et très profondes sur la façon dont notre planète, notre terre et notre société mondiale sont organisées autour de la complicité autorisant une telle violence.
    J'aurais une question pour Ga Grant de la British Columbia Civil Liberties Association. Dans votre exposé, vous avez parlé de certains des graves problèmes avec lesquels ces groupes doivent concrètement composer, notamment pour ce qui est des formes de répression auxquelles ils font face, qu'il s'agisse des Autochtones ou des défenseurs du mouvement palestinien. Nous constatons dans ce contexte que le recours aux forces de l'ordre donne lieu à des interventions particulièrement excessives. Vous avez dû traiter avec des situations semblables. Votre organisation a même publié un guide pratique en cas d'arrestation qui est disponible en format de poche.
    Pouvez-vous nous parler un peu des raisons pour lesquelles le groupe des libertés civiles de la Colombie-Britannique se devait, ou a jugé nécessaire, de produire un tel guide?
(1145)
    Merci.
    J'aurais préféré que nous n'ayons pas besoin d'un tel guide. C'est notre publication la plus demandée, car il existe un véritable déséquilibre des pouvoirs entre les particuliers et la police, surtout lorsque les gens font partie de communautés marginalisées victimes du zèle des forces de l'ordre. Ces communautés font généralement l'objet d'une surveillance plus étroite, et ce, de façon disproportionnée, de la part de la police et de l'État.
    Les gens doivent connaître leurs droits. Lorsque ce n'est pas le cas, cela facilite les abus de pouvoir par les forces de l'ordre. Il n'est malheureusement pas rare que la police contrevienne aux droits garantis par la Charte. Les policiers peuvent user d'une force excessive ou ne pas respecter les protocoles ou les injonctions des tribunaux, allant au‑delà de ce qui est en leur pouvoir. Nous constatons que c'est le cas de façon disproportionnée au détriment des personnes racisées, autochtones ou issues d'autres communautés marginalisées.
    Dans notre nouvelle version du guide en cas d'arrestation, nous avons ajouté des sections s'adressant aux collectivités surveillées de près par les corps policiers. Il est particulièrement difficile de produire un guide semblable en devant servir l'avertissement suivant aux lecteurs: « Voici vos droits, mais il se peut très bien qu'ils ne soient pas respectés par la police. En fait, si vous essayez de faire valoir ou de défendre vos droits dans une telle situation, cela pourrait vous exposer à un plus grand danger encore. »
    La situation est notamment problématique du fait que les mécanismes de surveillance et de reddition de comptes mis en place par les services de police ne fonctionnent pas. Ainsi, on ne rend pas justice aux personnes et aux communautés lésées. Pour protéger la liberté d'expression de tous, le Canada doit améliorer les mécanismes de reddition de comptes de la police en les rendant plus indépendants, plus efficaces et plus rapides.
    Merci beaucoup.
    J'ai une question qui fait suite à votre dernier commentaire au sujet des conséquences de se faire entendre.
    Lorsqu'une personne conteste le pouvoir ou une autorité crédible, elle se heurte souvent à une réaction exceptionnelle, une réaction qui, dans les faits, limite ou supprime son droit à la liberté d'expression. Nous avons pu voir que des étudiants ont été confrontés à ce grave problème à la suite de la campagne de bombardement intense d'Israël à Gaza, alors que plus de 40 000 Palestiniens sont décédés aux mains des forces israéliennes. Des campements dirigés par des étudiants exigeant que leur université se dissocie d'entreprises complices du financement du génocide dirigé par Israël ont commencé à voir le jour dans tout le pays. L'association des libertés civiles de la Colombie-Britannique a d'ailleurs été forcée d'intervenir devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique pour défendre les étudiants dont les droits d'expression étaient réprimés.
    Vous avez participé à cette intervention. Dans votre mémoire, vous avez écrit:
Lorsqu'ils émettent des injonctions, les tribunaux doivent tenir compte des protections essentielles que procure la Charte en matière de liberté d'expression et de réunion. Les étudiants doivent pouvoir compter en toute confiance sur leurs droits garantis par la Charte. La recherche et l'atteinte de la vérité, ainsi que la participation à la prise de décisions sociales et politiques, font partie des principales raisons pour lesquelles nous protégeons la liberté d'expression. La propriété privée ne permet pas comme par enchantement de déroger aux droits constitutionnels.
    Pouvez-vous nous parler de votre expérience dans cette affaire et de la manière dont les tribunaux ont traité l'interaction entre le droit à la liberté d'expression et les droits de propriété?
    Si l'on disait au Canadien lambda: « Qu'est‑ce que cela signifie d'exercer son droit à la liberté d'expression protégé par la Charte, et quand peut‑on le restreindre? », je pense qu'il serait consterné que des injonctions servent souvent à restreindre les droits de manifester sans même tenir compte des droits issus de la Charte, parce que ce n'est pas nécessaire selon cette analyse. À cause de cela, c'est devenu une solution facile pour les sociétés et d'autres institutions puissantes, y compris les universités — qui sont financées par l'État — de supprimer la liberté d'expression et de chasser les manifestants sans considérer les droits prévus à la Charte.
    C'est pourquoi nous sommes intervenus dans l'affaire de l'Université de l'île de Vancouver, et dans des affaires semblables avant elle, arguant que la loi doit s'adapter pour que l'on prenne en compte les droits issus de la Charte. Ce sont nos droits fondamentaux, et ils sont si importants pour notre démocratie. Ils sont protégés par la Constitution. Nous avons des principes de droit voulant que la common law et les décisions des juges doivent correspondre à la Charte et à ses valeurs, parce que ces principes sont si essentiels pour notre démocratie libérale et...
(1150)
    Merci, madame Grant. Oui, le temps est écoulé.
    Merci, monsieur Desjarlais.
    Nous passons maintenant à la deuxième série de questions de cinq minutes.
    Monsieur Jivani, allez‑y, s'il vous plaît.
    Merci, monsieur le président.
    Madame Dea, j'aimerais commencer par vous.
    Savez‑vous, bien des Canadiens sont inquiets à l'heure actuelle à cause de certains projets de loi présentés par le gouvernement fédéral. On les décrit souvent comme de la censure, ou l'on dit qu'ils visent à organiser et à centraliser plus de pouvoir dans la bureaucratie fédérale pour déterminer ce que les Canadiens peuvent voir et entendre en ligne et, par conséquent, ce qu'ils peuvent dire en ligne. Je pense aux projets de loi  C‑11 et C‑18, par exemple.
    J'aimerais savoir si vous avez de l'empathie pour les Canadiens qui se disent préoccupés par la centralisation du pouvoir ici à Ottawa, qui peut influencer la façon dont les Canadiens s'expriment partout au pays.
    Je pense qu'en général, les humains doutent toujours du pouvoir gouvernemental. C'est un trait que nous partageons tous. Ils sont enclins à s'inquiéter de toute intervention qui pourrait limiter leurs libertés individuelles.
    Je ne suis pas spécialiste en droit des communications dont vous avez parlé. Mme Laidlaw serait mieux placée pour vous répondre là‑dessus.
    C'est important de souligner que même si les gens se sentent souvent menacés par les interventions du gouvernement, des interventions astucieuses peuvent protéger les gens et leurs libertés. Je ne suis pas spécialiste de ce que ces lois peuvent faire ou non, mais j'ai certainement de la sympathie pour les gens préoccupés.
    Vous avez mentionné dans votre exposé certaines craintes à propos de ce que vous avez décrit comme des décisions autoritaires des gouvernements. À mon avis, bon nombre de Canadiens estiment que ce projet de loi du gouvernement libéral actuel constitue une tendance autoritaire, une tentative de contrôler ce que les Canadiens peuvent voir et entendre en ligne et, par conséquent, ce qu'ils peuvent dire.
    Ma question pour vous est la suivante: est‑il légitime, à votre avis, que les Canadiens soient préoccupés par les gouvernements qui tentent d'exercer leur pouvoir et de limiter la liberté d'expression?
    Tout dépend des détails concernant ce pouvoir et ce contrôle.
    Prenons l'exemple du différend actuel entre le gouvernement fédéral et Facebook et X. Tous les jours, j'entends des Canadiens se plaindre de leur incapacité d'accéder aux nouvelles sur les réseaux sociaux. Par contre, la raison de cette loi, c'est de remettre des bénéfices aux médias canadiens indépendants pour qu'ils puissent continuer de faire leur travail de journalisme, plutôt que ces bénéfices soient entièrement récoltés par des multimilliardaires non canadiens.
    Si un étudiant sur votre campus vous disait: « J'aimerais vraiment pouvoir lire les nouvelles sur Instagram, mais je ne le peux pas à cause des décisions de Justin Trudeau, » lui diriez‑vous de faire confiance au gouvernement?
    Je lui dirais d'aller à la bibliothèque, parce que l'on y trouve tous les journaux canadiens en ligne et en copie papier. Allez directement à la source des nouvelles et tirez l'information de journalistes canadiens, pas de réseaux sociaux américains.
    Je vois. Vous diriez aux gens qui tentent d'organiser les militants, qui se préoccupent des enjeux qui touchent leur pays et qui comptent sur les réseaux sociaux pour obtenir de l'information et communiquer leurs craintes de simplement aller à la bibliothèque et d'accepter ce qu'a fait Justin Trudeau?
    Ce n'est clairement pas ce que j'ai dit.
    Les réseaux sociaux s'avèrent très utiles pour organiser des manifestations et ce genre de choses, et ils continuent de l'être. On ne peut pas partager un article de journal, mais la plupart des manifestations ne s'organisent pas en fonction d'articles de journaux. On crée des événements et des groupes de discussion, ce genre de choses. Les limites sont assez...
    Vous semblez dire que ce gouvernement ici à Ottawa a de très bons motifs d'accumuler le pouvoir et le contrôle. Y a‑t‑il une mesure où il serait juste de reconnaître que les Canadiens ont raison d'être sceptiques, et que quand ils ouvrent Instagram et n'ont pas accès aux nouvelles, ils devraient s'inquiéter que des bureaucrates à Ottawa cherchent vraiment à déterminer ce qu'ils peuvent voir ou non?
    Je pense que les Canadiens ont raison d'être sceptiques concernant les activités politiques en général. Ce scepticisme et le désir de trouver de bonnes informations pour délibérer et prendre de bonnes décisions font de nous de meilleurs citoyens. Peu importe qui forme le gouvernement, nous devons rester prudents face aux actions du gouvernement.
    Dans ce cas, diriez‑vous que les tentatives gouvernementales de contrôle et de censure de ce que peuvent dire les gens méritent que l'on y réfléchisse et y réagisse de manière critique, et que l'on pose des questions difficiles? Puisque vous avez dit dans votre exposé que l'exercice autoritaire du pouvoir vous préoccupait, diriez‑vous que les Canadiens ont peut‑être raison de dire que c'est une tendance à la censure qui mérite une attention sérieuse?
(1155)
    Tous les projets de loi méritent que les citoyens y appliquent la pensée critique et y portent attention. Je ne suis pas d'accord que la tentative de soutenir les bénéfices des médias canadiens indépendants soit de la censure.
    Donc, la censure, c'est toujours de recueillir des fonds pour...
    Merci, monsieur Jivani. Merci, madame Dea.
     Nous passons aux libéraux pour cinq minutes.
    Allez‑y, madame Lattanzio, s'il vous plaît.
    Merci, monsieur le président.
    Ma première question s'adresse à Mme Dea.
    Vous en avez brièvement parlé dans votre exposé, mais pourriez‑vous nous parler encore de l'incidence des discours d'extrême droite, qui marginalisent des étudiants et des communautés sur les campus universitaires?
    Je vous recommanderais la recherche de Jeffrey Sachs, politologue à l'Université Acadia. Depuis des années, il mène de la recherche sur la censure par mesure de représailles et les mesures disciplinaires contre le personnel universitaire en Amérique du Nord.
    Durant sa recherche, il a constaté qu'en fait, bien peu d'universitaires ont été congédiés à cause de leur expression ou de leur point de vue, mais l'écrasante majorité de ceux qui l'ont été se situaient à gauche. C'est très intéressant, parce que des groupes aux États‑Unis mènent une campagne pour caractériser la gauche comme pratiquant la censure et menaçant la liberté d'expression et les bourses des étudiants conservateurs, mais ce n'est pas ce qu'indiquent les données de l'analyse longitudinale de M. Sachs.
    À votre avis, est‑ce que le soutien et le renforcement politiques dans des discours semblables, comme celui de M. Poilievre et de nombreux membres de son caucus sur le « convoi de la liberté » et d'autres groupes d'extrême droite, ont une incidence semblable sur la liberté de parole et la liberté d'expression pour les communautés marginalisées?
    Honnêtement, je pense que les gens sont plus influencés par les réseaux sociaux et les opinions de leurs voisins que par les discours politiques. Quand les gens en position de pouvoir tiennent des discours polarisants qui se retrouvent sur les réseaux sociaux, il y a le risque de polariser et de désinformer les gens encore plus, mais je pense que cela se fait de manière indirecte.
    D'accord.
    Madame Laidlaw, comme vous le savez, les conservateurs bloquent malheureusement le débat sur le projet de loi C‑63, la Loi sur les préjudices en ligne, à la Chambre avec leur obstruction systématique. En quoi est‑ce que cela nuit à la liberté de parole?
    C'est une excellente question.
    Le projet de loi C‑63 mérite que l'on en débatte et y porte attention. Quoi que nous ayons entendu dans nos discussions aujourd'hui, le droit de la technologie et la technologie sont au centre de toutes les discussions sur la liberté d'expression, et c'est la première étape. Je répète que le Canada accuse des dizaines d'années de retard par rapport à d'autres pays pour résoudre cet enjeu. Il faut donc en débattre, et il faut entendre toutes les voix à cet égard.
    J'ai bien hâte que ce projet de loi soit renvoyé en comité, et j'encourage tous les députés dans la salle à favoriser aussi son renvoi en comité, ainsi qu'une étude et un débat importants.
    Vous avez dit que d'autres pays avaient adopté le même genre de mécanisme. Vous avez mentionné l'Australie et d'autres pays.
    Quelles sont les similitudes entre le projet de loi C‑63 et les lois qu'ont adoptées d'autres pays?
    La principale similitude, c'est que l'on met l'accent sur la gestion du risque par les entreprises des réseaux sociaux. Je répète qu'il s'agit d'une seconde mouture et de la meilleure stratégie pour réduire les préjudices en ligne et protéger la liberté d'expression. C'est la stratégie de l'Union européenne, du Royaume‑Uni, de l'Australie et de l'Irlande. D'autres pays leur emboîtent le pas aussi.
    Il n'y a que quelques types de contenu qui exigent d'être retirés et qui auraient la plus grande incidence sur la liberté d'expression, et je pense que nous pouvons tous le comprendre: le matériel d'abus sexuel d'enfants et la divulgation non consensuelle d'images intimes.
    C'est un projet de loi qui a été pensé avec grand soin. J'y apporterais des amendements, mais la structure resterait la même.
(1200)
    Quels types d'amendements apporteriez‑vous?
    J'apporterais un amendement clé en matière de gestion du risque. Une entreprise privée ne devrait pas examiner seulement les préjudices, mais aussi les façons dont elle protège et promeut la liberté d'expression et la vie privée en particulier. Dans le cadre de ses obligations de transparence, cette entreprise devrait indiquer ce qu'elle fait pour trouver un équilibre quand elle réfléchit à des enjeux comme la haine et l'incitation à la violence.
    Merci.
    Madame Grant, à votre avis, quelle est l'importance d'avoir une presse libre et indépendante et de s'assurer de protéger la liberté de parole et la liberté d'expression? Quel rôle la mésinformation et la désinformation jouent‑elles dans la diminution des capacités des gens de s'exprimer librement?
    L'expression des médias est si importante pour notre démocratie, parce que le droit à la liberté d'expression comprend aussi le droit de recevoir de l'information. Nous avons besoin de cette information pour demander des comptes au gouvernement et participer à la démocratie. Donc, cela facilite...
    Merci beaucoup. Votre temps est écoulé.
    Nous passons à M. Champoux pour deux minutes et demie. Allez‑y.

[Français]

     Merci.
    Madame Grant, je continue en m'adressant à vous.
    Tantôt, vous avez parlé de l'atteinte à la liberté d'expression dans le cadre des manifestations, notamment dans celui des manifestations propalestiniennes.
    Pensez-vous qu'il soit possible que certaines manifestations propalestiniennes aient été infiltrées par des éléments pro-Hamas et que des slogans appelant à la destruction d'Israël aient été scandés non seulement par ces éléments infiltrés, mais aussi par l'ensemble des manifestants?
    Cela aurait-il pu justifier une intervention un peu plus musclée à ce moment?

[Traduction]

    La BCCLA soutient les droits des manifestants, pourvu qu'ils ne tiennent pas de discours haineux, ce qui est un crime.
    En appeler à la liberté d'un peuple, c'est en appeler à la liberté. Bien sûr, il peut y avoir différentes interprétations, mais de notre point de vue, si les gens disaient « Libérez les peuples autochtones au Canada, » cela ne signifierait pas qu'ils vont tuer le reste d'entre nous.

[Français]

     Étant donné que, lors de nombreuses manifestations, on a entendu clairement des slogans extrêmement haineux et extrêmement violents, je pense qu'il faut effectivement faire la part des choses de ce côté.
    J'ai une brève question pour vous, encore une fois, madame Grant. Pensez-vous que la sécurité des autres groupes de la société qui sont concernés par les conflits dans le monde actuellement devrait avoir préséance?
    Parlons directement du conflit entre Israël et le Hamas. Pensez-vous que la sécurité des autres groupes concernés devrait avoir préséance sur le droit des manifestants à se rassembler? Je vous donne l'exemple de ce qui s'est produit à l'Université Concordia, où des étudiants juifs ont vraiment été pris à partie. Certains ont été littéralement bousculés par des gens qui étaient encore probablement dans l'énergie et dans l'état d'esprit des manifestations de la veille.
    Pensez-vous que la sécurité des gens devrait avoir préséance sur la liberté d'expression dans un tel cas?

[Traduction]

    Je ne suis pas certaine de l'exemple précis auquel vous faites référence, mais les manifestations de solidarité avec la Palestine ont été pacifiques pour la grande majorité au Canada. Il y a très peu d'exemples de conflits...
    M. Martin Champoux: Madame Grant...
    Mme Ga Grant:... et la police peut réagir de façon proportionnelle pour assurer la sécurité des gens. Personne n'est en désaccord avec cela.

[Français]

    Madame Grant, je vous parlais d'événements très précis, et je pense que, si vous suivez l'actualité et que vous la suivez avec autant de passion, ce sont des événements qui ne peuvent pas vous être étrangers. Je vous remercie quand même de la réponse que vous avez tenté de me fournir.
    J'ai terminé, monsieur le président.

[Traduction]

    Merci, monsieur Champoux.
    Nous passons à M. Desjarlais pour deux minutes et demie. Allez‑y.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je tiens à remercier de nouveau mes collègues de faire ce travail important.
    Merci aux témoins de nous livrer ce que je crois être un excellent témoignage d'experts qui va certainement nous aider dans nos analyses pour la production d'un excellent rapport.
    Je veux consacrer mon temps à parler d'une situation qui vient de mon vécu direct dans une collectivité.
    À Griesbach, à Edmonton, je représente beaucoup de citoyens inquiets qui exercent leurs droits à la liberté d'expression et qui cherchent à faire l'équilibre avec le besoin très important d'ajouter plus de gens à la discussion. Toute société démocratique espèrerait voir une idée fleurir, devenir une opinion populaire et se traduire par une bonne politique publique, une politique morale.
    J'ai écouté mes électeurs, et ce que je pense entendre partout au pays, c'est que les militants se sentent très nerveux. Ils sentent qu'ils marchent sur des oeufs. Des familles palestiniennes crient à l'injustice, et il faut les voir. C'est simplement canadien de soutenir nos voisins de toutes les façons et de la meilleure façon possibles.
    Les alliés, les Juifs progressistes au pays, demandent actuellement de la nuance. Ils nous demandent de faire deux choses en même temps: d'être à la poursuite de la justice pour tous, et de trouver un équilibre entre notre mission démocratique et notre droit à la liberté d'expression.
    J'ai entendu mes électeurs qui étaient des militants étudiants dans les camps à l'Université de l'Alberta et qui ont été battus. Ils m'ont montré leurs cicatrices et les blessures qu'on leur a infligées simplement parce qu'ils disaient la vérité au pouvoir. Qu'il s'agisse de familles palestiniennes ou d'organisations comme l'association culturelle palestinienne du Canada, dont le siège social est à Edmonton, on fait état de gens ciblés sur leur lieu de travail habituel, qui sont congédiés simplement pour avoir dit la vérité au pouvoir.
    Madame Ga Grant, vous avez sans doute entendu le témoignage de M. Ge, que vous avez mentionné. Il a dit qu'il avait subi des attaques. Il croit qu'elles étaient dues à l'influence directe des gens qui ont décidé de ne pas parler. Pensez‑vous que c'est pourquoi la police réprime une grande partie des manifestations? Est‑ce que ce pourrait être le facteur qui motive le racisme contre les Palestiniens?
(1205)
    Oui, parce que le maintien de l'ordre reflète les inégalités systémiques de notre société et maintient ces systèmes d'oppression.
    Le fait de qualifier à tort la solidarité avec la Palestine de terrorisme ou de haine fait partie de la tendance que nous observons. Cette tendance est connue et documentée sous le nom de racisme anti-palestinien et d'« exception palestinienne » à la liberté d'expression.
    Lorsque les services de police au Canada réagissent de manière disproportionnée — car personne ne dit qu'ils ne peuvent pas réagir de manière proportionnée...
    Merci, madame Grant. Je dois poursuivre. Nous avons dépassé le temps imparti.
    Il nous reste deux tours de cinq minutes, puis nous ferons une pause.
    Les tours de cinq minutes iront aux conservateurs et aux libéraux.
    La parole est à M. Kurek pour cinq minutes. Allez‑y.
     Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je suis reconnaissant des témoignages que nous entendons aujourd'hui.
    Je trouve tout à fait fascinant que les libéraux essaient de faire un problème du fait que depuis environ cinq semaines maintenant, ils refusent de divulguer des documents, ce qui retarde les travaux du gouvernement de la Chambre des communes. Ne pourraient‑ils pas simplement offrir un niveau de responsabilité de base?
    Madame Laidlaw, j'ai une question à laquelle j'espère que vous pourrez fournir une réponse. En ce qui concerne la place du gouvernement et le pouvoir qu'il exerce, en particulier en matière de réglementation, vous avez mentionné dans vos observations liminaires — je ne me souviens plus des mots exacts — l'existence d'une réglementation parallèle en ce qui concerne les algorithmes et le manque de transparence. J'entends souvent dire que les Canadiens ne font pas confiance aux algorithmes et à l'intervention du gouvernement dans ce domaine.
    Partagez-vous les inquiétudes selon lesquelles, qu'il s'agisse du projet de loi C-11 ou du projet de loi C-18, il semble y avoir une consolidation de la capacité du gouvernement à intervenir dans ce que les Canadiens voient en ligne? Dans l'affirmative, pourriez-vous nous parler un peu des préoccupations liées aux projets de loi C-11 et C-18 et de toute autre proposition du gouvernement qui nuirait aux droits garantis des Canadiens à la liberté d'expression et à la liberté de parole?
    Merci pour cette question.
    La réponse est un peu compliquée: l'une des raisons pour lesquelles nous disposons du droit à la liberté d'expression garanti par la Charte est qu'il nous protège également contre les excès du gouvernement. Je pense que ce qui complique les choses, c'est que notre façon de jouir de la liberté d'expression — le droit de rechercher, de recevoir et de transmettre des renseignements — passe de plus en plus par différentes sources et par des parties privées.
    Nous avons toujours eu des lois dans ces domaines, tant pour protéger la liberté d'expression que pour nous protéger contre les préjudices. Dans le domaine du droit de la technologie, le Canada est terriblement en retard par rapport à d'autres pays, et ce sur tous les fronts. J'estime que nous avons besoin de lois, parce que pour ce qui est des questions de responsabilité technologique, de réglementation des algorithmes et de protection des utilisateurs, nous avons besoin de lois, mais le type de loi a son importance. Nous devons effectivement nous inquiéter de ce que fait le gouvernement et de la manière dont il procède.
    Je n'étais pas favorable au projet de loi C-11 et aux règles relatives aux médias sociaux, mais je suis favorable au projet de loi C-63. Je pense que tout dépend de la loi.
(1210)
    Je me permets de vous interrompre, car je n'ai que peu de temps. L'un des aspects du projet de loi C‑63 que je trouve très préoccupant, est le fait que nous disposons actuellement au Canada d'une mesure très objective de ce qu'est un discours haineux. Des électeurs m'ont dit que la proposition du gouvernement rendait ce concept très objectif, que l'« offense » devenait l'un des nouveaux critères permettant de déterminer si des propos constituent ou non un discours haineux.
    En ce qui concerne la nature subjective de ce que quelqu'un considère être offensant, je vais prendre un exemple. Je soutiens le secteur pétrolier et gazier canadien. Certains libéraux ont qualifié cette opinion de choquante et de haineuse. Bien que j'aie du mal à comprendre cette idée, il se peut que nous ayons des divergences d'opinions à ce sujet.
    Pensez-vous que la nature subjective des amendements proposés par les libéraux à la loi sur le discours haineux soit préoccupante, dans la mesure où elle pourrait être utilisée contre des groupes particuliers de ce pays si nous ne disposons plus de mesures objectives et que cette évaluation subjective est basée sur les opinions ou, très franchement, les sentiments d'une personne?
    Oui, et je pense que cette difficulté s'est toujours posée en ce qui concerne le discours haineux, car les gens ont tendance à regarder les valeurs des autres et à dire: « Oh, eh bien, je suis favorable à la liberté d'expression lorsque les propos correspondent à mes idées. »
    Je dirai ceci: Je pense que les parties 2 et 3 du projet de loi C‑63 posent des problèmes importants que nous devons résoudre. La définition de la haine, cependant, s'inspire de la jurisprudence de la Cour suprême. Je vous encourage tous à lire ces paragraphes, parce qu'ils sont plus complets et qu'ils établissent un seuil assez élevé.
    Des problèmes d'interprétation et d'application peuvent‑ils encore se poser? Tout à fait, parce que c'est très contextuel, mais cette définition s'appuie sur la jurisprudence, donc sur un cadre juridique.
    Merci beaucoup.
    Nous passons maintenant aux libéraux.
    Madame Dhillon, vous disposez de cinq minutes. Allez‑y.
    Merci, monsieur le président.
    Merci à nos témoins d'être présents.
     Madame Dea, tout d'abord, il semble que nos collègues conservateurs aient maintenant un problème avec les bibliothèques. Avant d'être interrompue, vous parliez de l'importance d'obtenir des nouvelles indépendantes de sources canadiennes et de la possibilité de se rendre dans une bibliothèque pour ce faire. Pouvez-vous finir ce que vous souhaitiez nous dire au sujet de la possibilité pour les Canadiens d'obtenir des nouvelles plus centrées sur le Canada dans les bibliothèques, et d'utiliser leur propre cerveau et leurs propres capacités d'analyse, je pense, pour se faire une opinion?
    Ma priorité n'est pas que les nouvelles soient centrées sur le Canada, mais qu'elles découlent de recherches effectuées par des journalistes formés à la recherche de la vérité.
    Le journalisme citoyen, même lorsqu'il est bien intentionné, peut être une source de désinformation. Lorsqu'il est mal intentionné, il peut être une source de désinformation. Nous avons besoin de journalistes formés dans le secteur du journalisme, tant au Canada qu'à l'étranger, qui puissent transmettre les vérités aux citoyens.
    Le journalisme n'est pas gratuit. Le secteur doit être suffisamment rentable pour pouvoir embaucher ces journalistes formés et gérer leurs activités. Au fil des ans, la publication de contenu journalistique par des fournisseurs tiers sans que les sources journalistiques soient rémunérées a paralysé le secteur du journalisme et rendu très, très difficile la recherche de la vérité. Nous devons fournir une forme de rémunération aux experts qui génèrent les nouvelles et qui nous aident à être des citoyens bien informés.
     Merci beaucoup d'avoir clarifié la question des journalistes formés. Ce sont des sujets très importants compte tenu de tous les changements qui se produisent dans les médias sociaux. WhatsApp est désormais utilisé comme source d'information. Beaucoup de nos nouvelles sont influencées par l'ingérence étrangère. C'est un tout autre problème.
     Pouvez-vous — brièvement, parce que j'ai une autre question à vous poser — nous donner un aperçu de la situation? Merci beaucoup.
    Merci.
    Brian McQuinn, un collègue de mon université, étudie précisément l'utilisation des médias sociaux en vue de créer une polarisation politique afin d'engendrer de la violence et des conflits. C'est une réalité. Les médias sociaux sont de plus en plus un mécanisme utilisé pour générer de la violence et des conflits.
(1215)
    Merci beaucoup.
    Nos collègues conservateurs parlent d'une soi‑disant censure gouvernementale et rejettent la faute sur Justin Trudeau. C'est une grande partie du problème pour lui aujourd'hui, le fait qu'on l'attaque de cette façon.
    En ce qui concerne la soi‑disant censure dont ils parlent, j'ai une citation pour vous. Peut-être pouvez-vous me dire de quel type de liberté d'expression il s'agit. S'agit‑il de liberté d'expression? C'est très vulgaire, mais je suis certaine que vous comprendrez: « Tu pourrais commencer par retourner dans le trou à rats d'où viennent tes parents, dans les rues où ton père et ta mère ont sucé des bites pour se faire assez d'argent pour venir dans ce beau pays et donner naissance à une sale [mot vulgaire désignant les organes féminins] comme toi. »
    C'est le type de message que mes collègues et moi‑même recevons. Que pensez-vous de cette liberté d'expression?
    Je m'en remets à Mme Laidlaw. Intuitivement, il me semble que cela frise le discours haineux, mais je ne suis pas une experte juridique. Ce n'est que mon opinion.
    Pensez-vous que ce type de propos, ce type d'attaques soient admissibles? Ne pensez-vous pas que l'objectif de notre loi sur les préjudices en ligne est de protéger certaines personnes vulnérables?
    Si ce genre d'expression est légale, alors elle est admissible du point de vue juridique, mais cela ne la rend pas admissible du point de vue moral. C'est une question distincte. Ce que vous venez de décrire est immoral. La question de savoir si ces propos sont légalement permis ou non doit être posée aux avocats.
    Merci beaucoup.
    Je pense que mon temps est écoulé.
    Je tiens à remercier Mme Dea, Mme Laidlaw et Mme Grant, nos témoins du premier tour.
    Nous allons maintenant faire une pause avant de revenir et d'entendre trois autres témoins. L'un d'entre eux sera sur Zoom. Nous prévoyons de reprendre nos travaux vers 12 h 25 et de les poursuivre jusqu'à 13 h 50 environ, afin de pouvoir arriver à temps à la Chambre.
     Nous allons suspendre la séance et revenir dans environ 10 minutes.
(1215)

(1235)
    Bienvenue à tous.
    Nous allons entamer notre deuxième heure.
    J'aimerais souhaiter la bienvenue à nos nouveaux témoins.
    Nous recevons Michael Geist, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit d'Internet et du commerce électronique à la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa. En ligne, Kathleen Mahoney, professeure de droit.
    Annick Forest, présidente de la Guilde canadienne des médias, se joint à nous en personne.
    Bienvenue. Je pense que la plupart d'entre vous ont déjà comparu devant nous. Vous disposez de cinq minutes pour formuler vos observations liminaires. Nous passerons ensuite aux questions et réponses.
    Nous allons commencer par M. Geist.
    Je vous souhaite à nouveau la bienvenue. Vous disposez de cinq minutes.
    Bonjour. Je m'appelle Michael Geist. Je suis professeur de droit à l'Université d'Ottawa, où je suis titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit d'Internet et du commerce électronique. J'interviens à titre personnel et ne représente que mon propre point de vue.
    J'aimerais commencer par souligner que la liberté d'expression est largement reconnue, à juste titre, comme un élément fondamental d'une démocratie solide, responsable et inclusive.
    Cela dit, il y a toujours un équilibre à trouver. Je suis sûr que nous sommes tous d'accord pour dire qu'il doit y avoir des limites lorsque l'expression est considérée comme tellement nuisible qu'elle doit être restreinte ou rendue illégale. La pornographie infantile, la diffamation et les infractions liées au terrorisme en sont des exemples évidents.
    La difficulté ne réside généralement pas dans ce type de cas. J'aimerais me concentrer sur deux cas qui sont beaucoup plus complexes: la politique numérique et la difficulté de déterminer si une expression en étouffe une autre.
    Je vais commencer par parler de la politique numérique.
    Les projets de loi C-11, C-18, C-63 et S-210 sont tous liés à l'expression, soit directement, soit indirectement. Les exemples directs sont le projet de loi C-63 et le projet de loi S-210. Ceux‑ci ont été conçus pour aborder la question de l'expression.
    Le projet de loi C-63 recense sept préjudices qui sont définis comme un type de contenu, mais chacun de ceux‑ci est une forme d'expression. Cette expression peut causer un préjudice: la pornographie de vengeance, le fait de susciter la terreur ou l'intimidation, par exemple. Bien que j'ai des inquiétudes quant à l'application de la loi, je pense que le projet de loi recense des préjudices réels et cherche, du moins en partie, à établir un équilibre dans la manière de les traiter.
    Je me préoccupe davantage au sujet des dispositions du Code criminel et de la Loi canadienne sur les droits de la personne, dont la portée est excessive et qui risquent de faire une arme du système des droits de la personne et d'avoir un effet dissuasif. Le projet de loi S-210 limite encore plus directement l'expression, car il autorise la Cour fédérale à ordonner le blocage de contenus licites et prévoit que les fournisseurs d'accès à Internet canadiens se chargeront du blocage. Ce projet de loi est dangereux et devrait être remanié.
    Je pense que les projets de loi C-11 et C-18 ont tous deux des effets indirects sur l'expression.
    Les défenseurs du projet de loi C-11 ont fait preuve d'une trop grande indifférence à l'égard des conséquences de la réglementation du contenu des utilisateurs, certains allant même jusqu'à nier que ces dispositions figuraient dans le projet de loi, avant de publier une directive confirmant leur existence.
    Le projet de loi C-18 a non seulement conduit au blocage des liens vers des nouvelles, mais ne reconnaît pas que la création d'un lien vers un contenu est en soi une forme d'expression. L'effet net a été de nuire à l'expression liée aux nouvelles au Canada. Nous devons faire mieux en matière de politique numérique, car nous n'avons pas toujours pris la protection de l'expression suffisamment au sérieux dans le débat sur la politique numérique.
    Deuxièmement, certaines expressions en étouffent d'autres. Ce genre de situation peut se produire lorsque l'expression inclut un harcèlement ou suscite la peur dans certaines communautés, ce qui conduit invariablement à un étouffement de leur capacité à s'exprimer.
    Ma propre communauté, la communauté juive, en est un exemple. La montée de l'antisémitisme, qui atteint des niveaux que le Canada n'avait pas connus depuis des générations, suscite des craintes pour la sécurité et étouffe l'expression. Aucun groupe n'a été la cible d'autant de crimes de haine que la communauté juive. Sur les campus, ces craintes font que les étudiants et les enseignants dissimulent leur identité en cachant leur religion et leurs convictions politiques, ou craignent de s'exprimer en classe. Je porte aujourd'hui une épinglette « Ramenez les otages à la maison », ce qui est une forme d'expression. Beaucoup de personnes hésiteraient à le faire dans nos rues et sur nos campus.
    Les campements, les graffitis, le vandalisme, la divulgation de données personnelles, les menaces en ligne, l'abandon de la neutralité institutionnelle et l'exclusion des personnes qui croient au sionisme des cours ou de certaines parties du campus sont devenus trop courants et ont un effet corrosif sur les personnes ciblées, sapant leurs droits d'expression. Les universités, les lieux de travail et d'autres communautés reconnaissent depuis longtemps les préjudices que causent les expressions qui en étouffent d'autres. C'est pourquoi nous disposons de codes conçus pour assurer non seulement la sécurité physique, mais aussi la protection contre les comportements abusifs ou dégradants qui constituent un harcèlement et peuvent limiter l'expression d'autrui.
    Un comité axé sur la protection de la liberté d'expression peut prendre de nombreuses mesures: s'assurer que nous disposons de politiques clairement définies, notamment grâce à la définition de l'antisémitisme de l'Alliance internationale pour la mémoire de l'Holocauste; assurer l'application active des politiques et des codes des campus; veiller à la mise en œuvre de la neutralité institutionnelle sur la base de principes; et prendre l'initiative de dénoncer les comportements qui créent de la peur et étouffent la liberté d'expression.
    Dans nos communautés plus larges, les restrictions liées aux temps et au lieu — comme celles qui figurent dans la décision de justice concernant le campement de l'Université de Toronto — préservent à la fois les droits des personnes qui veulent manifester et ceux des personnes pour qui le campement a créé de réels préjudices et a étouffé leur expression. De même, la loi sur les zones franches visant à protéger les écoles, les centres communautaires et les lieux de culte permet d'établir un équilibre indispensable.
    L'année qui vient de s'écouler a été un signal d'alarme pour beaucoup de personnes.
(1240)
    En prenant des mesures pour lutter contre les discours haineux, on favorise la liberté d'expression au lieu de l'amoindrir. Nous devons donc tous apporter notre contribution à cette lutte.
    Je vous remercie de votre attention, et j'ai hâte de répondre à vos questions.
     Je vous remercie, monsieur Geist.
    Nous allons maintenant donner la parole à Mme Mahoney, qui est professeure émérite de droit, pendant cinq minutes.
     Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je suis très heureuse et honorée d'être ici. Il y a assez longtemps que j'ai eu l'occasion de m'exprimer à ce sujet, et je m'en réjouis donc.
    Le document que je vous ai fourni est plutôt ancien, mais c'était un choix délibéré. Je pense que ce qui importe en ce moment, c'est que les premiers principes guident la discussion et la réflexion sur ces sujets. Mon exposé reviendra sur les premiers principes, et j'en parlerai dans ce contexte.
    Comme nous le savons, la discrimination fondée sur la haine est devenue un phénomène mondial, amplifié par les avancées technologiques qui diffusent instantanément des discours haineux au‑delà des frontières. Même si elle se limitait autrefois à des actes locaux, la haine vise aujourd'hui des personnes ou des groupes établis dans le monde entier et porte atteinte à la sécurité personnelle, à l'égalité et même à la paix nationale. Il faut donc adopter une approche nuancée pour équilibrer des droits tels que la liberté d'expression et l'égalité — un mot que je n'ai pas entendu mentionner au cours de la dernière heure — en vertu du droit national et international.
    La violence, les mauvais traitements et le harcèlement fondés sur le sexe ont été très prononcés dans les développements technologiques que j'ai mentionnés. Les concepts et cadres clés dont je vais parler maintenant concernent la définition, le processus, les effets néfastes et les obligations juridiques internationales.
    Il est très important de comprendre que la discrimination fondée sur la haine évolue de façon progressive. Elle commence par l'identification d'un groupe et passe à la discrimination fondée sur des traits immuables et à la déshumanisation sociétale. Elle se manifeste par des discours, des actes et une violence systémique, allant des pratiques d'exclusion aux agressions génocidaires. Loin d'être une simple expression, elle est un acte nuisible en tant que telle.
    Cet argument est crucial dans toute discussion sur l'expression. L'expression est souvent un acte aussi bien qu'une expression, ou elle peut le devenir. Des exemples historiques tels que l'Holocauste, le génocide rwandais et d'autres atrocités mettent en évidence le rôle que jouent les discours haineux dans l'incitation à la violence ultime. Les statistiques modernes soulignent la prévalence de ces discours. La montée des crimes haineux à l'échelle mondiale est désormais rendue possible par des plateformes numériques qui contournent les limites des champs de compétence traditionnels.
    Des traités tels que la Déclaration universelle des droits de l'homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques obligent des États comme le Canada à interdire les discours haineux qui incitent à la violence ou à la discrimination. Par conséquent, l'équilibre entre les droits concurrents de la liberté d'expression et de la protection contre tout préjudice est au cœur de tous les cadres.
    Dans le contexte canadien, nous avons adopté une double approche juridique, car le Canada utilise à la fois le droit criminel et le droit civil pour lutter contre la discrimination fondée sur la haine. Les dispositions du Code criminel visent les actes les plus graves, tels que l'incitation au génocide, tandis que les recours civils se concentrent sur la prévention et la rectification de la discrimination. La Cour suprême du Canada a affirmé que la réglementation des discours haineux était compatible avec les droits constitutionnels, en soulignant que les droits à l'égalité et à la sécurité étaient tout aussi cruciaux que la liberté d'expression.
     Les défis de l'ère numérique sont la propagation rapide de la haine en ligne et l'inclusion par le Canada de dispositions relatives à la haine sur Internet, qui démontrent son engagement à adapter nos lois aux plateformes naissantes. Les conséquences plus larges sont que la discrimination fondée sur la haine ne représente pas seulement un problème sociétal, mais aussi une menace pour la démocratie et la sécurité nationale, comme cela a été mentionné au cours de la séance précédente tenue aujourd'hui. Mon document plaide en faveur d'une approche équilibrée et fondée sur des principes qui maximise les libertés tout en limitant les effets corrosifs de la haine.
    Pour vous rappeler les décisions juridiques fondamentales, je vais les décrire rapidement.
    L'affaire Keegstra s'est déroulée en 1990, c'est-à-dire il y a 34 ans. Elle mettait en cause un professeur d'école secondaire qui faisait la promotion d'opinions antisémites dans sa classe et qui demandait à ses élèves de mémoriser et d'énumérer ses idées haineuses. La cour a confirmé la disposition du Code criminel qui interdit la fomentation délibérée de la haine contre des groupes identifiables lorsque M. Keegstra l'a contestée.
    J'ai personnellement joué un rôle dans tous les principaux cas de discours haineux, et c'est pourquoi je me dois de les souligner. L'importance de l'affaire Keegstra réside dans le fait que la majorité des juges de la Cour suprême ont jugé que la réglementation relative aux discours haineux était conforme à l'article 1 de la Charte.
(1245)
    Bien que cette disposition limite la liberté d'expression, cette limite est entièrement justifiée pour protéger les personnes et les groupes des effets néfastes des discours haineux. Dans ce cas précis, il a été déterminé que ces effets néfastes portaient atteinte à leurs droits à l'égalité, des droits qui sont également protégés par la Charte.
     Par son vote, la cour a confirmé que les discours haineux...
    Je vous remercie, madame Mahoney. Nous avons dépassé les cinq minutes qui vous avaient été accordées.
     Nous allons maintenant donner la parole à la représentante de la Guilde canadienne des médias. Sa présidente s'est jointe à nous.
     Annick Forest, la parole est à vous.

[Français]

     Je vous remercie de donner à la Guilde canadienne des médias l'occasion de se prononcer sur les moyens que le gouvernement canadien devrait avoir à sa disposition afin d'assurer la liberté d'expression au pays.
    Rappelons que la liberté de la presse et des autres médias de communication a été inscrite à la Charte canadienne des droits et libertés parce qu'elle est essentielle afin de garantir le droit fondamental des Canadiens à la liberté de concevoir et d'exprimer des idées, de se réunir avec d'autres pour en discuter et de les diffuser.
    La liberté d'expression des Canadiens passe donc par la liberté de leur presse. Parlons-en, de cette liberté de la presse. La liberté de la presse existe quand l'écosystème médiatique comprend de multiples médias indépendants diversifiés, qui reçoivent et transmettent des informations et des idées de toutes sortes, peu importe le médium, et qui contribuent ainsi à nourrir et à former l'opinion publique, un élément essentiel aux débats démocratiques.
    Pour que la liberté de la presse, et donc la liberté d'expression, existe au Canada, nous avons besoin d'un écosystème médiatique en santé. Pour que cet écosystème médiatique soit en santé, le gouvernement canadien doit avoir certains moyens à sa disposition.
    Le gouvernement doit avoir les moyens d'assurer une base solide à notre écosystème médiatique. Cette base solide passe d'abord par un modèle de financement durable de son diffuseur public, un financement stable à long terme qui s'ajuste aux réalités économiques de l'heure, un modèle de financement qui assure au diffuseur public un budget suffisant pour remplir le mandat que lui donnent les Canadiens.
    Le diffuseur public devrait avoir un financement durable, parce qu'il a essentiellement pour mandat de soutenir les Canadiens dans l'exercice de leurs droits fondamentaux: leur liberté de pensée, de croyance et d'expression, leur liberté de concevoir et d'exprimer des idées et leur liberté de se réunir avec d'autres pour en discuter et les diffuser.
    Le diffuseur public devrait avoir un financement à long terme, parce que la liberté d'expression des Canadiens, assurée par la liberté de la presse, ne devrait en aucune façon être influencée par les aléas politiques de la Colline du Parlement.
     Un financement stable et à long terme du diffuseur public est un moyen de plus pour le gouvernement canadien de démontrer que CBC/Radio‑Canada est bel et bien un diffuseur public et non un diffuseur d'État. Un budget à la hauteur du mandat du diffuseur public est essentiel pour que tous les Canadiens aient un accès équitable à la liberté d'expression telle qu'assurée par les médias.
    Le discours démocratique des Canadiens n'est pas complet quand il n'inclut pas les préoccupations des fermiers de la Saskatchewan, des chasseurs d'Iqaluit, des pourvoyeurs du Yukon et des pêcheurs de Yarmouth, Steveston, Cocagne ou Cap‑aux‑Meules.
    Pour éviter un déséquilibre du discours démocratique canadien, il faut assurer la présence des journalistes dans le plus grand nombre possible de communautés au pays. C'est ainsi que le gouvernement peut agir pour donner une voix aux Canadiens dont le message va à l'encontre du discours populaire, aux Canadiens qui font partie de groupes minoritaires et aux Canadiens qui vivent loin des zones d'influence.
    Sur cette lancée, la Guilde canadienne des médias croit que, pour garantir la liberté d'expression des peuples autochtones, le gouvernement fédéral devrait également pourvoir à l'existence continue d'un média conçu et géré par les membres de ces communautés.
    Un seul média n'est pas suffisant pour assurer la liberté d'expression au pays. Plus il y aura de médias, plus de Canadiens pourront s'exprimer. Le gouvernement canadien doit donc prendre des mesures pour éviter que la propriété des médias privés au pays soit concentrée entre les mains de quelques-uns ou détenue par des acteurs situés à l'extérieur de nos frontières.
    La liberté de la presse passe aussi par la protection des journalistes. Le gouvernement doit se donner les moyens de mieux protéger les journalistes dans l'exercice de leurs fonctions.

[Traduction]

    Non seulement il est devenu plus courant pour les professionnels des médias d'être agressés verbalement ou physiquement par des passants quand ils se trouvent sur le terrain, mais certains d'entre eux sont également attaqués personnellement par des personnalités influentes lorsqu'ils tentent de leur demander des comptes. Lorsque des membres influents de la société adoptent ces comportements inacceptables, ils ouvrent la voie à d'autres personnes. La conséquence de ces comportements peut être une forme d'autocensure de la part de certains journalistes, ce qui constitue une autre forme de restriction de la liberté de la presse, bien qu'elle soit moins évidente.

[Français]

    Pour nourrir le discours démocratique, les journalistes obligent les acteurs au pouvoir à rendre des comptes. Quand le système ne s'autocorrige pas, ceux qui sont témoins de situations qui nuisent à la démocratie du Canada devraient pouvoir divulguer cet état des lieux sans crainte de représailles. Le gouvernement canadien doit consolider la protection des divulgateurs d'actes répréhensibles pour mieux les protéger.
(1250)

[Traduction]

    Ceux qui ne veulent pas être tenus pour responsables de leurs actes sont les premiers à s'en prendre aux journalistes. L'impunité s'accompagne de l'absence de témoins.
    En décembre 2019, le gouvernement canadien a coparrainé la dernière résolution de l'Assemblée générale des Nations unies sur la sécurité des journalistes. La Guilde canadienne des médias estime que la protection de la liberté d'expression des professionnels des médias serait mieux servie si le Canada donnait suite à ce qui est proposé dans cette résolution.
    En conclusion...
    Je vous remercie, madame Forest. Vos cinq minutes sont écoulées, et nous allons passer à la prochaine partie.
    Les interventions de la première série de questions sont toujours d'une durée de six minutes. Nous allons commencer par donner la parole au Parti conservateur et, plus précisément, à M. Jivani.
     Merci, monsieur le président.
    Monsieur Geist, je vous remercie de vous être joints à nous aujourd'hui. J'aimerais vous poser quelques questions au sujet de la politique numérique et en particulier au sujet de certaines mesures législatives que de nombreux Canadiens ont qualifiées de programme de censure de Justin Trudeau. Il s'agit en partie des mesures législatives auxquelles vous avez fait allusion, comme le projet de loi  C-11 et le projet de loi C-18, par exemple.
    Le projet de loi  C-11 est très souvent présenté à tort par les libéraux ici, à Ottawa, comme une tentative de s'opposer aux grandes entreprises, aux grandes sociétés, aux entreprises de médias sociaux et à l'influence américaine, mais vous avez judicieusement souligné que, dans une directive politique, ils ont clairement indiqué que le projet de loi C‑11 comprenait une mesure qui réglemente le contenu généré par les utilisateurs.
    J'aimerais que vous expliquiez en quoi cela importe et pourquoi les Canadiens devraient s'inquiéter de l'inclusion de cette mesure dans une directive politique libérale.
(1255)
    Eh bien, c'est une fois de plus du déjà vu, car j'ai eu l'occasion de comparaître devant le Comité pendant l'étude de ce projet de loi.
    Le cœur du projet de loi est lié à l'idée de tenter d'intégrer les grands services de diffusion en continu dans le cadre de la radiodiffusion canadienne, et nous voyons comment cela se déroule devant le CRTC maintenant, avec, franchement, de réelles craintes, je crois, que les consommateurs finissent par payer le prix de certains des coûts accrus.
    En ce qui concerne l'inclusion du contenu généré par les utilisateurs, la directive politique demande en fait au CRTC de ne pas réglementer les utilisateurs. Le CRTC a suivi cette directive, mais tout au long du processus, on a continuellement nié que cette mesure existait dans la loi, alors qu'à mon avis, il était évident pour à peu près tout le monde que c'était le cas.
    On craignait que certains des pouvoirs conférés à l'organisme de réglementation n'aient une incidence sur les droits d'expression de ces créateurs. Je vous ferai remarquer que la directive politique demande que cela ne soit pas fait, mais la mesure législative a au moins ouvert la porte à la prise de dispositions comme l'utilisation d'algorithmes pour rendre certains contenus plus visibles que d'autres. Les créateurs canadiens de contenu numérique ont fait valoir qu'ils connaissaient du succès en ligne et qu'ils craignaient fortement qu'un organisme de réglementation intervienne et que cela ait une incidence sur la manière dont leurs contenus seront affichés sur certaines de ces grandes plateformes, ce qui pourrait avoir des répercussions sur leur gagne-pain et sur ce que les Canadiens sont en mesure de voir.
    Selon vous, quelle est l'importance du fait que, pour reprendre vos paroles, la mesure législative a ouvert la porte à la réglementation par le gouvernement fédéral des contenus générés par les utilisateurs?
    Par ailleurs, pensez-vous que les craintes concernant l'éventuelle réglementation des contenus générés par les utilisateurs qui ont été soulevées au cours du processus ont été dûment prises en compte au cours de l'élaboration de cette mesure législative?
    Je dois vous faire remarquer qu'à l'origine, la mesure législative n'incluait pas les contenus générés par les utilisateurs. C'est au cours de l'étude article par article d'une version antérieure du projet de loi que le libellé a été modifié pour supprimer une exception qui les excluait auparavant.
    Je pense que les préoccupations étaient réelles. En fait, après avoir été étudié par votre comité et par la Chambre, le projet de loi a été renvoyé au Sénat, qui a tenu des audiences approfondies sur ce même projet de loi et a en fait proposé un amendement pour tenter de résoudre directement ce problème. Je pense qu'il est regrettable que le gouvernement ou la Chambre ait finalement rejeté cette proposition d'amendement, qu'il ait adopté le projet de loi dans sa forme actuelle et qu'il soit maintenant obligé — s'il veut vraiment exclure le contenu généré par les utilisateurs — de préciser cela dans une directive politique.
    Pour l'instant, c'est la directive politique qui prévaut, mais une directive politique n'a évidemment pas le même type de pouvoir qu'une mesure législative. Je pense que c'est la raison pour laquelle de nombreuses personnes ont soulevé cette question. Parfois, on nous dit qu'il n'y a pas lieu de s'inquiéter, alors qu'en réalité, le problème est bien présent. Franchement, il aurait été facile d'apporter des modifications au projet de loi qui, selon moi, aurait permis de maintenir les objectifs politiques du gouvernement et d'autres groupes, tout en offrant de meilleures garanties quant à l'inclusion du contenu généré par les utilisateurs dans le champ d'application de la loi.
    Lorsque les Canadiens observent cette tendance législative proposée par le gouvernement actuel, je pense que, souvent, le gouvernement libéral les incite trompeusement à ne pas s'inquiéter et minimise leurs craintes légitimes concernant le fait que le pouvoir est concentré entre les mains de bureaucrates qui peuvent contrôler ce que les Canadiens sont en mesure de voir et d'entendre en ligne et, par conséquent, ce qu'ils sont en mesure de dire en ligne.
    Quand vous constatez qu'Ottawa tente de dire aux Canadiens de ne pas s'inquiéter, de ne pas tirer la sonnette d'alarme et de faire confiance au gouvernement, comment réagissez-vous à ce phénomène que nous observons aussi?
    Je suppose qu'en fin de compte, ce qui me préoccupe en ce moment — et je l'ai mentionnée dans ma déclaration préliminaire —, c'est le fait qu'à mon avis, nous ayons pris suffisamment au sérieux les questions liées à la liberté d'expression qui ont été soulevées dans le cadre de la politique numérique.
    Je tiens à préciser qu'il ne s'agit pas seulement du projet de loi C‑11 et du projet de loi C‑18. Contrairement au gouvernement, les partis de l'opposition soutiennent le projet de loi  S‑210, qui soulève également de réelles inquiétudes en ce qui concerne les droits d'expression.
    Je ne suis pas sûr qu'il y ait des gens ici qui abordent les questions de ce genre de manière irréprochable. J'aimerais que tous les partis prennent ces questions plus au sérieux.
    En ce qui concerne votre argument au sujet de la tromperie, je dirais que, lorsque des porte-parole —  qui parfois ne font pas partie des personnes qui comparaissent habituellement devant un comité — soulèvent des préoccupations de genre, ces préoccupations sont prises plus au sérieux. Je pense que bon nombre de gens ont eu l'impression que, dans le cadre de l'étude du projet de loi C‑11, ce n'était tout simplement pas le cas.
     Quand vous examinez ces mesures législatives, c'est-à-dire n'importe lequel des quatre projets de loi que vous avez mentionnés, diriez-vous que les gens expriment un degré approprié d'inquiétude à leur sujet? Observez-vous un degré approprié d'inquiétude à propos de l'ingérence de l'État? Estimez-vous qu'il faille insister davantage sur ce point?
(1300)
    Je pense que nous devons toujours être conscients de ce que suppose une telle intervention de la part d'un gouvernement. Comme le groupe d'experts précédent vous l'a dit, je crois que nous sommes de plus en plus conscients de l'inquiétude que suscite l'ingérence des plateformes, et c'est en partie ce à quoi nous essayons de nous attaquer en ce moment.
    Lorsque nous nous aventurons dans ces nouveaux espaces et ces nouveaux types de réglementation, de nouvelles voix se font entendre et il y a parfois une certaine réticence à tenir compte de ces perspectives au cours de la discussion ou peut-être même au cours de l'élaboration de la politique.
    Pourriez-vous préciser davantage ce que vous entendez par perspectives...
    Il pourrait le faire, mais il va falloir qu'il le fasse au cours d'une autre série de questions.
    D'accord.
    Je vous remercie.
    Le prochain intervenant est M. Coteau, qui représente le Parti libéral. Monsieur Coteau, la parole est à vous pendant six minutes.
     Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je remercie tous les participants à la séance d'aujourd'hui.
    Notre invitée de la Guilde canadienne des médias a prononcé les mots « En conclusion », mais elle n'a pas été en mesure de terminer son exposé.
    Voulez-vous prendre 30 secondes pour conclure votre exposé?
    Je vous remercie de me donner l'occasion de le faire, une occasion dont je vais profiter.
    En conclusion, pour garantir la liberté de la presse, il faut que les professionnels des médias canadiens n'aient pas à craindre que leur sécurité physique, mentale ou financière soit en péril.
     Parfait. Cela n'a duré que 10 secondes, alors je vous en suis reconnaissant.
    Madame Mahoney, pendant votre exposé, vous avez utilisé un terme qui résume une grande partie des difficultés que nous éprouvons à protéger la liberté d'expression dans son ensemble, et ces difficultés sont liées au fait qu'il doit y avoir un équilibre entre l'égalité, la sécurité et la liberté d'expression. Si je vous ai bien compris, c'est ce que vous avez dit, je crois.
    Nous devons admettre qu'il ne s'agit pas d'un problème à sens unique. Il faut trouver un juste équilibre entre la sécurité, l'équité et l'égalité sans priver quelqu'un de sa capacité à s'exprimer. Pour trouver ce juste équilibre, il faut entamer une discussion très complexe et très difficile.
    Ce week-end, j'ai vu dans les médias sociaux qu'à Columbus, dans l'Ohio, des néonazis avaient organisé une marche dans le cadre de laquelle ils brandissaient des drapeaux et utilisaient tous ces mots. Je me suis dit que oui, ils exprimaient leurs sentiments, mais dans quelle mesure le faisaient-ils, quels problèmes de sécurité cela pose-t‑il, et comment les gens se sentent-ils à cet égard?
    Pourriez-vous nous parler un peu du défi que cet équilibre représente pour notre société dans son ensemble?
    C'est une très bonne question. Je vous remercie de me l'avoir posée. Je pense qu'il s'agit de quelque chose qu'il est important de garder à l'esprit.
    Les tribunaux ont été très clairs sur le fait que le Canada a une façon bien à lui de protéger les droits. Nous avons la liberté d'expression, mais ce n'est pas une liberté qui prime sur tout. Elle doit être considérée avec les autres droits, et c'est ce qui fait la spécificité du Canada.
    L'article 27 stipule que nous protégeons le multiculturalisme. Il s'agit d'un outil d'interprétation. Nous avons l'article 15, qui comporte quatre garanties en matière d'égalité: l'égalité devant la loi, l'égalité de bénéfice et la protection égale de la loi. Nous ne pouvons pas considérer la liberté d'expression isolément.
    Cela apparaît même dans le projet de loi C‑63, par exemple. Une partie de ce projet de loi parle de la liberté d'expression et dit que nous devons faire très attention à ne pas imposer de restrictions déraisonnables à la liberté d'expression. Il me semble que cette disposition devrait également stipuler que nous devons veiller à protéger l'égalité des personnes visées par ces expressions haineuses ou très dommageables.
     Afin de maintenir ce que la Cour suprême du Canada nous a enseigné dans une série d'affaires relatives à la liberté d'expression — à savoir que l'égalité est aussi importante que la liberté d'expression —, la liberté d'expression ne peut pas dominer les autres droits. Sinon, on se retrouve avec des problèmes qui lèsent les enfants, les femmes et d'autres groupes marginalisés, tels que les peuples autochtones, qui souffrent du peu d'accès qu'ils ont au mégaphone. Ils ne disposent pas des milliards que certains investissent dans les médias. Ils n'ont pas l'influence politique que d'autres ont pour s'exprimer. C'est ce qui est très important, il me semble.
    À mon avis, le projet de loi C‑63, bien qu'il contienne des dispositions louables, ne va pas assez loin.
    Je vais vous poser une question qui peut paraître un peu naïve. Qu'est‑ce que cela signifie quand quelqu'un dit qu'il devrait avoir la possibilité de s'exprimer?
    Bien sûr, les gens devraient l'avoir, et c'est pourquoi nous avons l'alinéa 2b) dans la Charte. Bien sûr, c'est un pilier de la démocratie. Les gens doivent être en mesure de s'exprimer.
     Cependant, ils doivent tenir compte des effets que leur discours peut avoir sur d'autres personnes qui ont les mêmes droits et qui, pour toutes sortes de raisons, ne peuvent peut-être pas s'exprimer. C'est ce qui fait une bonne démocratie. C'est ce qui manque dans beaucoup de ces arguments qui sont totalement axés sur l'expression et qui ne tiennent pas compte des personnes qui sont ciblées par des discours très politiques, négatifs et haineux qui cherchent à diminuer leur droit de participer à la démocratie.
    C'est le principe démocratique, sous-jacent...
(1305)
    Il est intéressant que vous disiez cela, car l'un des plus grands problèmes de la démocratie à l'heure actuelle, c'est que nous sommes devenus si polarisés. Tout le monde est à l'opposé du débat, et nous devons trouver des moyens d'examiner les choses en fonction des deux points de vue.
    Comme approche fondamentale de cette discussion, il est vraiment important de ne pas oublier que pour avoir une bonne démocratie et garantir la capacité des gens à s'exprimer, nous devons garder le cap sur des concepts tels que l'égalité, la sécurité publique et le bien public. Ce sont également des facteurs importants, je crois, pour préserver une bonne démocratie.
    Je n'arrête pas d'entendre des gens dire que le Canada a pris une mauvaise direction, que les droits des gens sont supprimés et que leur liberté... Nous entendons cela sur les médias sociaux en permanence. Pourtant, partout où je regarde, le Canada se classe toujours dans le 10 % des pays du monde où les gens ont les meilleurs droits en matière d'expression.
     Êtes-vous d'accord avec cela?
    Je suis assez d'accord avec cela, oui. Je pense que le Canada s'est distingué en n'étant pas une démocratie des plus tapageuses, mais en en étant plutôt une qui essaie de tenir compte des points de vue de l'ensemble de la population et qui essaie d'interagir avec des parties de la population qui n'ont pas accès au mégaphone que constituent, pour ainsi dire, les médias de masse ou les médias sociaux et...
    Merci, madame Mahoney. Nous allons poursuivre. Nous avons dépassé les six minutes imparties.
    Le prochain intervenant est M. Champoux pour le Bloc. Monsieur Champoux, vous avez six minutes.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Encore une fois, je remercie les témoins d'être parmi nous aujourd'hui.
    Professeur Geist, je me suis senti un peu interpelé, plus tôt quand vous avez parlé du projet de loi C‑63. Je pense qu'on aurait énormément de plaisir à discuter de ce projet de loi qui contient de bonnes choses, mais aussi des éléments atroces. Vous parliez de retourner à la table à dessin. Cela m'a un peu surpris. Je me serais plutôt attendu à ce que vous disiez qu'on devrait le déchirer au complet.
    Cela étant dit, dès la première lecture de ce projet de loi, quelque chose m'a frappé. Un article permet de dénoncer des gens sur le seul soupçon qu'ils pourraient avoir l'intention de proférer des propos haineux ou de commettre des actes haineux. Ces gens seraient tenus responsables au regard de la loi.
    Que pensez-vous du cheminement qui a mené à la création d'un tel article dans un projet de loi? D'après vous, comment peut-on arriver à penser que cela va réussir le test?

[Traduction]

    Merci. Je voudrais d'abord préciser que lorsque j'ai dit que le projet de loi devait être revu, je faisais référence au projet de loi S-210, qui est celui qui porte sur la vérification de l'âge et qui comprend le blocage dont j'ai parlé et un certain nombre d'autres sujets.
     Le projet de loi C-63 doit être renvoyé au Comité. D'une certaine manière, il s'agit de deux projets de loi en un. Il y a l'élément le plus important — la question des préjudices en ligne —, qui traite essentiellement de la responsabilité des plateformes Internet. Il y a beaucoup de choses sur lesquelles nous pouvons travailler. J'ai quelques réserves quant aux mécanismes d'application proposés, mais je pense que le projet de loi couvre beaucoup de choses.
    Cela dit, ce à quoi vous faites référence — et je m'excuse, je vais faire vite —, ce sont les dispositions du Code criminel et, notamment, une tentative de créer ce qui est essentiellement l'équivalent d'un engagement de ne pas troubler l'ordre public pour la parole dans ce contexte.
    Nous utilisons ce genre de choses dans d'autres contextes. Si nous sommes préoccupés par la violence domestique et que nous la savons imminente, nous pouvons obtenir une ordonnance pour veiller à ce qu'elle ne se produise pas ou pour essayer de l'empêcher. De la même manière, il s'agirait d'une tentative d'empêcher certains types de haine potentielle de se manifester. Comme je l'ai mentionné, les écoles et les synagogues de la communauté juive ont été la cible d'un nombre sans précédent de fusillades et d'attaques. Si nous savions qu'elles allaient se produire, un engagement de la sorte pourrait être en mesure d'essayer d'empêcher certaines de ces activités d'avoir lieu.
    Je pense cependant — et le professeur Laidlaw l'a déjà mentionné — que les dispositions concernant le Code criminel et la Loi sur les droits de la personne qui sont proposées dans le projet de loi risquent d'être excessives. Pour dire vrai, j'estime que le projet de loi devrait être scindé. Nous devrions nous focaliser sur les dispositions relatives à Internet et réserver les autres pour une étude distincte.
(1310)

[Français]

     Nous sommes d'accord là-dessus.
    Merci, monsieur Geist.
    J'aurai sûrement une autre question à vous poser au sujet du projet de loi C‑63, mais je veux m'adresser aussi à Mme Forest.
    Madame Forest, on parle de journalisme et du climat actuel dans le monde de l'information, dans le monde du journalisme traditionnel, disons. Il fut un temps où la profession de journaliste était assortie de nombreuses règles, d'engagements, de critères de rigueur et de principes qui encadraient la profession. On voit que le journalisme se transforme énormément. Il s'agit beaucoup de commentaire et de journalisme militant. D'ailleurs, les plus jeunes journalistes qui sortent présentement des écoles sont beaucoup plus engagés et souhaitent faire un journalisme plus engagé également. Ils se tournent alors vers des plateformes qui répondent un peu plus à leurs valeurs et à leurs critères d'engagement.
    Est-ce un risque pour la profession de journalisme?
    Sommes-nous capables de protéger le journalisme traditionnel?
    Vous parliez tout à l'heure de CBC/Radio‑Canada, qui joue un rôle essentiel dans ce genre de couverture d'informations.
    Dites-moi ce que vous pensez de la tendance actuelle chez les nouveaux journalistes qui arrivent sur le marché.
    Peu importe le genre de journalisme, je pense que, dans tout cela, l'essentiel est la transparence. En effet, il faut faire état de ses allégeances. Si un journaliste veut ouvertement faire l'apologie d'une chose ou d'une autre, pour autant que ce soit sur la table et que ce soit connu, cela va. Cependant, pour être journaliste et être un vrai, il faut aussi être responsable. Il faut répondre de ce qu'on fait et pouvoir démontrer que le contenu qu'on produit et qu'on publie est vrai, que ce sont des faits.
     À ce moment, quand quelqu'un déclare ouvertement une position, est-ce encore du journalisme, ou tombe-t-on carrément dans le commentaire ou dans l'opinion?
    Qu'en pensez-vous?
    C'est cette tendance qui confond un peu les gens. Les gens disent que, le journalisme, c'est aussi l'opinion d'une personne. À mon sens, ce n'est pas vraiment le cas. Le journalisme doit être objectif et neutre.
    Que pensez-vous de cela?
    Je reviens à la transparence. Le journalisme reste du journalisme si on donne le micro à tout le monde et si tout le monde peut donner son opinion. Si on donne une opinion, cela reste une opinion. C'est aussi simple que cela.
    Quand je travaillais dans les salles de nouvelles, si un journaliste arrivait dans une salle de nouvelles avec un sujet qui ne présentait qu'un côté de la situation, je lui disais que j'étais désolée, mais qu'on devait écrire qu'il s'agissait d'une opinion. On met cela dans la case des opinions. C'est un éditorial. On l'explique, et il y a une transparence. Si un journaliste veut faire l'état des lieux, expliquer des faits, il doit donner le micro à tout le monde. Cela fait partie du rôle de journaliste.
     Vous êtes sûrement au courant que le congrès de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, la FPJQ, a eu lieu la semaine dernière. Lors de ce congrès, un atelier a vraiment retenu mon attention. Il portait sur les poursuites intentées contre les journalistes d'enquête. En général, ces poursuites sont intentées dans le but de les décourager d'enquêter davantage.
    Est-ce un phénomène nouveau? Est-ce préoccupant?
    Non, je ne pense pas que c'est un phénomène nouveau. Je travaille dans le domaine depuis 30 ans, et il y a toujours eu des poursuites quand des gens n'étaient pas contents du travail que nous faisions.
    Le travail des journalistes d'enquête consiste à faire l'état des lieux, à dénoncer des faits et à demander aux gens de rendre des comptes. Quand les gens ne sont pas contents, ils essaient parfois de trouver des moyens de nous museler. Ce phénomène n'est pas nouveau, mais il est important de faire ce travail de journaliste d'enquête.
    Je vais revenir à l'idée que c'est coûteux et que cela prend du temps pour un diffuseur public, afin qu'il soit capable de faire ce type de journalisme. J'ai des collègues qui font ce genre de journalisme. Ils passent des mois à préparer un dossier qui va sortir et à faire en sorte que cela soit fait avec rigueur et profondeur.
    Merci beaucoup, madame Forest.

[Traduction]

    Merci, madame Forest. Nous allons poursuivre.
    Merci, monsieur Champoux.
     Nous passons au Nouveau Parti démocratique avec M. Desjarlais, pour six minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je remercie les témoins d'être présents aujourd'hui dans le cadre de cette importante étude.
    Comme vous le savez, l'importance de la discussion d'aujourd'hui sur le droit à la liberté d'expression est en partie liée au projet démocratique du Canada. La sauvegarde de nos traditions et de nos processus démocratiques pour la prochaine génération est, je pense, primordiale pour de nombreux Canadiens. C'est en partie la raison pour laquelle je suis ici. Ce qui m'intéresse, c'est de discuter de la façon d'assurer la transmission de l'héritage vaste et profond de la tradition démocratique.
    Comme je suis issu d'une « jeune génération », je m'intéresse tout particulièrement à l'intersection entre les médias sociaux et nos médias traditionnels et par l'idée que tout le monde, partout, peut avoir sa propre source de médias. Si vous n'aimez pas les médias, vous pouvez inventer les vôtres. Vous pouvez créer des médias. Vous pouvez faire en sorte que vos semblables consultent ce média, et peut-être même obtenir d'un milliardaire qu'il vous fournisse une plateforme de manière à ce que vous puissiez vous faire entendre davantage.
     En d'autres termes, certaines personnes ont une plus grande capacité à s'exprimer que d'autres. Je constate notamment un contraste entre ceux qui ont de l'argent et ceux qui n'en ont pas. Ceux qui ont des intérêts privés utilisent souvent cette richesse pour fabriquer une perception à grande échelle et exercer une grande influence sur les Canadiens, même si les faits rapportés ne sont pas vrais.
    C'est un problème particulier pour nos tribunaux. Des avocats sont présents au Comité aujourd'hui. Vous allez voir l'avènement de ce phénomène devant les tribunaux et les problèmes qu'il pose déjà. Vous le constatez dans notre espace médiatique. Cela a un effet tangible sur nos jeunes. Cela a un effet sur nos aînés. Cela a un effet sur tous les Canadiens.
    Une personne âgée est venue me voir hier, alors que j'étais toujours dans ma circonscription, et elle m'a dit: « J'ai peur. Chaque fois que j'ouvre Facebook, je vois ces publicités sauvages de l'extrême droite qui me ciblent. » Elle n'a jamais été une personne qui parle de violence ou qui est très campée dans ses positions. En fait, c'est plutôt une bonne personne. Comment se fait‑il qu'une personne comme elle puisse être la cible d'un message aussi malveillant, d'un message qui l'informe que ses concitoyens sont à ses trousses? Ce genre de rhétorique de division, souvent provoqué par des intérêts corporatifs, trouve une plateforme ainsi que des moyens de délégitimer ou d'attaquer les médias traditionnels.
     Madame Forest, mes questions s'adresseront à vous. Il s'agit d'une préoccupation grandissante chez les journalistes et d'une préoccupation qui va croissant à l'heure actuelle, en particulier lorsqu'il s'agit de notre tradition démocratique. Êtes-vous inquiète ou préoccupée par le fait que les principes démocratiques des pays occidentaux sont en jeu du fait que nous pouvons créer si facilement un environnement politique dans lequel les médias et leurs vérités ne sont pas soumis à des normes plus strictes?
(1315)
    Cela nous ramène à l'idée de ce qu'est le journalisme et de l'origine des informations que nous consommons.
    La littératie en matière de médias est une chose sur laquelle le gouvernement doit commencer à plancher. Les jeunes dans les écoles doivent apprendre où trouver leurs sources d'information et comment vérifier ces dernières pour s'assurer qu'elles sont fiables. Lorsque j'entends qu'un enseignant a dit à mon fils qu'il devrait s'informer sur Wikipédia, j'ai un problème, parce que je sais que Wikipédia peut être modifié quotidiennement par quiconque y verse des renseignements. Le contenu sera éventuellement corrigé, mais il ne l'aura peut-être pas été au moment où mon enfant le consultera.
    M. Blake Desjarlais: Le mal aura déjà été fait.
    Mme Annick Forest: Le mal aura déjà été fait.
     Savoir quelles sont les sources d'information et ce qui fait une bonne source d'information, vérifier les faits, connaître... Les médias traditionnels étaient réputés pour vous donner les faits.
    Oui. Les médias traditionnels sont reconnus pour donner les faits.
    Vous venez de mentionner quelque chose qui est d'une importance cruciale pour moi et c'est cette notion de l'origine de l'information, de sa source. Au Canada, il y a une société qui possède 80 % de tous les journaux du pays.
    C'est bien 80 %. À partir de cette seule information, pouvez-vous nommer cette société?
    Il s'agit probablement de Postmedia.
    C'est effectivement Postmedia. Félicitations. J'espère que mes collègues pourront également confirmer ce fait sans avoir recours à leurs merveilleux appareils.
    Mme Annick Forest: Est‑ce que j'ai droit à un café gratuit?
    M. Blake Desjarlais: Vous recevrez certainement un prix pour nous avoir donné aujourd'hui un fait que nous pouvons utiliser.
     Les faits et la source des faits sont essentiels. Quatre-vingts pour cent des journaux canadiens appartiennent à Postmedia. C'est un niveau de propriété extrême.
    Où se trouve le siège social de Postmedia?

[Français]

     C'est aux États‑Unis.

[Traduction]

    Pouvez-vous répéter la question?
    Le siège social se trouve aux États-Unis d'Amérique.
    Merci beaucoup. C'est aux États-Unis d'Amérique.
    Pourquoi une société s'intéresserait-elle autant à un pays comme le Canada, au point d'investir jusqu'à s'emparer de la presque totalité de l'industrie de la presse, c'est‑à‑dire 80 %? Quels intérêts ces entreprises ont-elles à investir au Canada?
    Il faudrait poser la question à ces entreprises.
    Le profit serait‑il l'un de ces intérêts? Probablement. J'imagine que le profit fait probablement partie du lot. La vérité n'en fait peut-être pas partie. La vérité n'est pas nécessairement lucrative. C'est là toute la difficulté.
    Pourquoi est‑il si important d'avoir une radiodiffusion publique? Pourquoi le Canada a‑t‑il une tradition de radiodiffusion publique? Je viens des Prairies. Là‑bas, nous avons quelque chose de fantastique et c'est la chaîne de télévision Access, où l'on peut regarder de la polka sans publicité. Vos grands-parents peuvent la regarder toute la journée et ils l'adorent. Je l'adore. Pourquoi la radiodiffusion publique est-elle si importante, non seulement pour regarder la polka dans les petites localités, mais aussi pour dire la vérité?
    C'est pour dire la vérité et pour mettre le micro à la disposition de tous les Canadiens.
    Voici ce qu'il en est. Les radiodiffuseurs privés ne peuvent pas faire d'argent dans les petites localités. Ils ne peuvent pas aller partout au Canada. S'ils ouvrent quelque chose au Nunavut ou à Yellowknife, ils ne gagneront pas d'argent. En revanche, le radiodiffuseur public peut apporter le micro à ces petites collectivités.
    Je viens du Nouveau-Brunswick et j'ai visité différentes petites collectivités un peu partout au Canada. Pour que toutes ces petites collectivités aient accès à ces microphones — et un autre témoin en a parlé —, nous devons nous assurer que tout le monde a une voix, une présence égale. Cela signifie que le diffuseur public doit avoir des antennes dans tout le pays, dans le plus grand nombre de collectivités possible.
(1320)
    Nous passons aux séries de questions de cinq minutes. Le premier intervenant sera M. Kurek du Parti conservateur.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Tout à l'heure, nous avons entendu l'une des témoins suggérer que si les Canadiens ne pouvaient pas consulter leurs nouvelles en ligne, ils n'avaient qu'à se rendre à la bibliothèque. Cela ressemblait assurément à un moment digne du fameux « Qu'ils mangent de la brioche! », alors qu'il s'agissait de la capacité des Canadiens à accéder à du contenu. Dans ce monde, que ce soit sur les appareils que nous transportons ou sur les ordinateurs que nous utilisons, il y a eu une démocratisation de l'information qui, je pense, a été assez formidable. C'est probablement quelque chose d'unique qui s'est produit dans l'histoire du monde, bien que je crois qu'en scrutant le passé, on pourrait trouver d'autres innovations.
    Il est certain que j'entends constamment mes concitoyens dire qu'ils sont extrêmement préoccupés par les excès du gouvernement et par sa volonté de contrôler certains aspects de ce qui se passe, que ce soit de manière directe ou indirecte.
    Monsieur Geist, en regardant les projets de loi C-11 et C-18, on constate que l'un d'eux a eu une incidence de taille sur la capacité des Canadiens à voir des contenus d'actualité. J'ai entendu de nombreuses entreprises dire qu'elles voulaient simplement être en mesure de publier leur contenu sur ces plateformes et continuer à mettre ce contenu à la disposition des Canadiens. Puis, il y a le projet de loi C-11, qui ressemble à cette idée de censure détournée et qui agit comme un mécanisme de contrôle au sein de l'État.
     Pouvez-vous nous donner vos impressions sur ces deux textes de loi et sur l'effet paralysant qu'ils ont sur la liberté de parole et la liberté d'expression à l'échelle du pays?
    J'ai parlé un peu plus tôt du projet de loi C-11, alors je vais me concentrer un instant sur le projet de loi C-18.
    On avait prédit au sujet du projet de loi C-18 — et c'était prévisible, bien franchement — que si le projet de loi était présenté tel quel, il causerait un certain nombre de problèmes possibles. Le blocage des liens vers les nouvelles était une éventualité, et c'est ce qui s'est produit. Il était probable que le projet de loi mine la confiance, car si le gouvernement réglemente et finance de plus en plus un secteur, cela risque de diminuer la confiance.
    Maintenant, avec tout le respect que je dois à mes collègues ici présents, certains ont tendance à croire que nous pouvons régler tout cela simplement en donnant plus d'argent à CBC/Radio-Canada ou à laisser entendre, sans vouloir offenser qui que ce soit, que le problème tient en quelque sorte au fait que Postmedia possède 80 % des journaux, mais en même temps, vous soulignez que, de nos jours, tout le monde a la possibilité de s'exprimer. Il y a beaucoup de sources différentes. Si nous nous contentons de penser que les propriétaires de médias ont en quelque sorte le monopole des nouvelles, alors nous comprenons mal l'enjeu actuel, à savoir qu'il existe un large éventail de sources différentes.
    L'un des véritables préjudices causés par le projet de loi C-18, c'est qu'il excluait souvent certains des acteurs les plus novateurs du marché et, de façon générale, avait pour effet d'exclure tous ces acteurs des grandes plateformes comme Instagram et Facebook.
    Dans ce cas, aller à la bibliothèque n'est certainement pas une solution.
    En ce qui concerne le projet de loi C‑11, la bureaucratie supplémentaire et le CRTC, je sais que vous avez beaucoup écrit à ce sujet et sur le fait qu'un tel niveau de contrôle nuit certainement à la capacité des Canadiens de voir ce contenu. Il y a un lien étroit entre le projet de loi C‑11 et le projet de loi C‑18, et je sais que, très souvent, le gouvernement n'aime pas que ce lien soit mis en évidence.
    Pouvez-vous nous parler du projet de loi C‑11 et du fait que l'incapacité de publier du contenu limite ce que les Canadiens peuvent voir?
    En toute justice, le projet de loi C‑11 n'a empêché personne de voir quoi que ce soit en ligne. La préoccupation portait sur les algorithmes, la question étant de savoir si, du point de vue du contenu généré par les utilisateurs, certains contenus seraient priorisés ou non.
    Pas plus tard que la semaine dernière, le CRTC a lancé une nouvelle consultation axée sur la signification du contenu canadien. Nous verrons ce qu'il fera au chapitre de la découvrabilité. Il pourrait accorder la priorité à certains contenus par rapport à d'autres, et c'est peut-être ce que nous verrons pour certains de ces grands services.
    Il ne s'agit toutefois pas de bloquer un contenu en particulier. Il n'y a rien dans le projet de loi C‑11 qui permettrait de bloquer un contenu précis.
(1325)
    En conclusion, les projets de loi C‑11 et C‑18 ont-ils eu un effet paralysant sur l'innovation dans le paysage médiatique canadien?
    Je pense certes que la réponse à cette question serait oui, du moins du point de vue des investissements. Dans le cas du projet de loi C‑11, la façon dont le CRTC a commencé à mettre en œuvre cette loi, en rendant obligatoires les cotisations de base, a fait augmenter les prix pour les consommateurs, et certains acteurs qui s'intéressent au marché canadien pourraient estimer que les coûts réglementaires sont trop élevés.
    En ce qui a trait au projet de loi C‑18, je pense que c'est encore plus important, car si vous perdez l'un des principaux distributeurs de votre contenu ou s'il n'y a plus de liens vers votre contenu par l'entremise de certaines de ces grandes plateformes, cela envoie le signal qu'il ne s'agit pas d'un marché où il fait bon investir. C'est ce que nous avons constaté chez certains grands acteurs indépendants. Village Media, par exemple, a cessé de percer de nouveaux marchés canadiens pendant un certain temps, jugeant la situation préoccupante. Le message que cela envoie à ceux qui pourraient vouloir entrer sur le marché pour fournir de nouveaux services d'information novateurs, c'est qu'il s'agit d'un marché où certains règlements risquent de nuire à la capacité de réussir sur le marché.
    Je vous remercie.
    Nous passons à Mme Gainey, du Parti libéral. Vous avez cinq minutes.
    Monsieur Geist, si nous pouvions revenir un instant à certaines de vos observations liminaires, je suis un peu curieuse d'en savoir plus sur les discours haineux et, par extension, la conversation concernant le projet de loi relatif aux zones de sécurité. C'est un sujet dont j'entends beaucoup parler dans ma collectivité, et certaines des choses dont vous avez parlé y sont liées.
    Il existe évidemment une certaine tension par rapport aux libertés civiles dont il faut tenir compte dans le cadre de cette discussion, et je pense que mon collègue et peut-être l'un des témoins ont également parlé de l'équilibre entre l'expression, l'égalité et la sécurité.
    Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cette partie de votre déclaration préliminaire et sur le rôle du gouvernement fédéral en particulier pour protéger la liberté d'expression et la liberté de manifester, tout en assurant la sécurité et l'égalité?
    Je vous remercie d'avoir soulevé cette question. À la fin de la réunion — nous sommes censés terminer vers 14 heures — et au cours de la fin de semaine, une manifestation était censée avoir lieu à ce qui a longtemps été l'école de mes enfants, soit l'école Sir Robert Borden, ici à Ottawa. Cet événement a été annulé. Les militants vont plutôt, semble‑t‑il, manifester contre un député provincial, mais la possibilité de manifester pendant que les enfants sont à l'école — certains âgés d'à peine 12 ans — soulève d'importantes préoccupations.
    Nous avons vu de telles manifestations devant des centres communautaires. Il y en a eu sur un certain nombre de questions dans diverses villes, et pas seulement en ce qui concerne l'antisémitisme, qui, comme je l'ai souligné, a été de loin la cible la plus importante des crimes haineux au Canada au cours des dernières années, surtout depuis le 7 octobre. Je sais que Mississauga envisage également cette possibilité, non pas en raison de ce problème, mais à la demande d'autres membres de la collectivité qui ont constaté des tensions à la suite de certaines de ces manifestations.
    Je pense que cette mesure législative, de pair avec la décision concernant les campements à l'Université de Toronto, vise à établir un équilibre, comme l'autre témoin l'a mentionné plus tôt. Nous devons trouver un moyen de permettre aux gens de manifester, mais lorsque cela met en danger les autres, lorsque cela suscite une crainte bien réelle qui limite leurs propres droits d'expression et même leur propre sécurité, je pense que c'est inapproprié.
    On a dit tout à l'heure qu'il fallait souvent trouver un équilibre. Comment pouvons-nous faire en sorte que les gens jouissent du droit de manifester, tout en veillant à ce que les autres se sentent en sécurité dans leur communauté, dans leurs lieux de culte et dans leurs écoles? Le projet de loi relatif aux zones de sécurité permet à ces manifestations de se poursuivre, tout en assurant la sécurité de nombreuses autres personnes. Cela a fait cruellement défaut dans de nombreuses collectivités au pays au cours des derniers mois.
    Il y a certainement un sentiment d'insécurité et un manque de sécurité, surtout près des lieux de culte et des écoles, comme vous l'avez mentionné, ce qui a été très troublant à voir au cours de la dernière année.
    Si nous pouvions revenir un instant à la conversation sur la censure, qui a été soulevée à quelques reprises ici, je me demande si vous pouvez peut-être clarifier les choses. Dans l'esprit de la liberté d'expression, je pense que nous nous trouvons parfois dans ce genre de situations tendues à cause d'un malentendu, d'un décalage, d'une absence de vérité ou d'un manque de compréhension commune de ce que les choses signifient et de ce qui est vrai. Selon moi, c'est ce qui explique certains des malentendus entourant les manifestations, le contenu et les discours haineux ou les propos qui sont tenus.
    Si nous sommes libres de dire ce que nous voulons et de créer ces environnements où les gens ne se comprennent tout simplement pas et n'ont pas le même point de départ, comment pouvons-nous leur faire comprendre que la Loi sur les nouvelles en ligne n'est pas, à mon avis, de la censure et que nous ne devrions pas alimenter une telle notion? Comment pouvons-nous expliquer clairement que cela ne contribue peut-être pas aux vraies conversations que nous devrions avoir sur la façon de légiférer, d'améliorer la sécurité des gens, de protéger les enfants en ligne et d'assurer la sécurité des gens?
    Comment pouvons-nous trouver un terrain d'entente pour tenir de telles conversations si nous ne pouvons pas nous entendre sur ce que signifient des choses comme la censure?
(1330)
    Eh bien, c'est un défi important, de toute évidence.
    J'ai tendance à ne pas utiliser le mot « censure » dans le contexte de cette mesure législative, même si je pense que certains des projets de loi dont nous avons parlé soulèvent de véritables préoccupations.
    Pour ce qui est d'une compréhension commune, et je pense qu'il en a été question tout à l'heure, il y a une différence entre la mésinformation et la désinformation.
    Dans le cas de la mésinformation, je pense qu'il circule beaucoup de faussetés, mais cela va de pair, en grande partie, avec la liberté d'expression. L'intention n'est pas d'induire les gens en erreur, mais certaines personnes se trompent tout simplement ou sont mal informées.
    C'est différent de la désinformation, par laquelle quelqu'un a parfois l'intention d'induire autrui en erreur et de potentiellement causer un préjudice réel.
    À cet égard, pour ce qui est de savoir si nous avons besoin ou non de l'intervention du gouvernement, il est plus probable que certaines grandes plateformes aient un rôle à jouer dans certains cas, car je pense qu'il y a des risques, d'autant plus que la Charte impose des limites à ce que le gouvernement peut faire. Depuis une semaine ou deux, nous voyons un grand nombre d'anciens utilisateurs de Twitter ou de X se tourner vers Bluesky. Je pense que cela reflète en partie le fait que beaucoup de gens sont frustrés par un environnement où tout est permis et où règnent la mésinformation et la désinformation. Ils cherchent un endroit qu'ils jugent un peu plus fiable.
    D'une certaine façon, le marché règle au moins certains de ces problèmes, tant qu'il existe des solutions de rechange.
    Je vous remercie.
    Nous allons passer à M. Champoux, qui dispose de deux minutes et demie.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
     Monsieur Geist, je vous disais tantôt que j'avais une autre question à vous poser.
    À la suite d'une manifestation au cours de laquelle le prédicateur Adil Charkaoui a prononcé des mots d'une extrême violence — il en appelait à la haine et à l'élimination du Canada, des États‑Unis, mais aussi d'Israël — , mon parti, le Bloc québécois, a déposé un projet de loi.
    En effet, il a proposé d'apporter au Code criminel une modification visant à retirer ce qu'on appelle « l'exception pour motifs religieux ». Cette exception, je le rappelle, permet à une personne qui se prononce ou qui s'exprime sous le couvert de ses convictions religieuses de proférer des propos qui dépassent ce qu'on pourrait juger raisonnable.
    Pensez-vous que ce projet de loi enfreint la liberté d'expression, et plus particulièrement la liberté de religion, selon la lecture que vous en faites dans la Charte des droits et libertés ou dans le Code criminel?

[Traduction]

    Je vous remercie de cette question.
    Je pense que la réponse est oui, mais cela ne veut pas nécessairement dire que c'est voué à l'échec.
    Comme nous l'avons entendu, il faut trouver un équilibre entre tous les droits. D'une certaine façon, cela fait partie intégrante de notre Charte. Nous avons entendu plus tôt que la marque distinctive de l'approche canadienne est le fait que ces droits ne sont pas absolus, d'où la nécessité d'établir un équilibre.
    L'équilibre entre la liberté de religion, la liberté d'expression, la liberté de réunion et d'association et certains de ces autres droits sera toujours un défi. Lorsque des gens se servent de certains de ces droits pour se livrer à des comportements qui, de toute évidence, ne sont pas seulement nuisibles sur le plan des propos tenus, mais qui ont une incidence réelle sur la sécurité des enfants qui vont à l'école ou des gens qui vont à leur synagogue, il est nécessaire d'agir.
    Nous en avons été témoins. Par exemple, c'est ce qui s'est passé assez récemment dans le cas de Samidoun, dont certains membres ont également participé à quelques-unes de ces manifestations.
    Après plus d'un an à subir ce genre de situations et à voir une augmentation massive d'actes qui ciblent certaines communautés — dans mon cas en particulier, la communauté juive —, il est temps d'agir.

[Français]

     Pensez-vous que cet article du Code criminel, cette exception, avait sa place dans un contexte où il y avait moins d'écarts de cette nature?
    Le fait qu'on en sent un peu plus aujourd'hui, justement parce que les gens se sentent plus libres d'exprimer ce genre d'opinion, ne nous force-t-il pas à agir comme on souhaite le faire?
(1335)

[Traduction]

    Je ne connais pas l'historique de cette disposition particulière, mais je soupçonne qu'elle était fondée sur la vision d'une protection robuste de la liberté de religion et sur la reconnaissance que la criminalisation apparente de certains types de discours risque de nuire à la capacité de pratiquer une religion.
    Toutefois, en même temps, si cette disposition est utilisée comme rempart ou comme mécanisme pour se livrer à des comportements haineux, alors nous devons certainement réfléchir à la façon de corriger la situation afin que la religion ne serve pas en quelque sorte à donner carte blanche aux gens pour leur permettre de dire tout ce qu'ils veulent, surtout lorsque cela crée des préjudices de ce genre.
    Je vous remercie.
    Monsieur Desjarlais, vous avez deux minutes et demie.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je vais maintenant m'adresser à Mme Mahoney, qui se joint à nous en ligne.
    Je vous remercie infiniment de tout le travail que vous effectuez. Je sais que vous vous êtes occupée d'une vaste gamme de dossiers au cours de votre carrière. Vous avez notamment été nommée négociatrice en chef pour l'Assemblée des Premières Nations afin de négocier la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens. Est‑ce exact?
    C'est exact.
    Cependant, il semble y avoir — du moins, d'après ma courte expérience — une très grave inaction de la part du gouvernement fédéral en ce qui concerne les revendications autochtones, surtout celles qui sont en grande partie portées devant les tribunaux. Le gouvernement a des options, bien entendu. Il peut négocier ces revendications, ces cas de grande injustice, tant historique que contemporaine, comme nous le voyons dans l'affaire des services à l'enfance et à la famille. Il suffit de regarder le budget de cette année, dans le cadre duquel les libéraux ont célébré — littéralement célébré — les 58 milliards de dollars que la cour leur a ordonné de consacrer aux Premières Nations en raison d'ententes comme celle pour laquelle vous vous êtes battue. Cela a créé une situation où des nations ont été forcées de tenter leur chance devant les tribunaux parce que le gouvernement fédéral est fondamentalement déterminé à régler ces questions par voie judiciaire. Il n'envisage pas de permettre aux peuples autochtones de faire entendre leurs revendications autrement que devant un tribunal, au moyen d'une ordonnance du tribunal ou en réduisant la responsabilité. C'est ce qui a été clair pour les peuples autochtones, en particulier les Premières Nations, alors qu'ils défendent leurs droits devant les tribunaux.
    Ma question est la suivante: pourquoi pensez-vous que le gouvernement préfère forcer les peuples autochtones à s'adresser aux tribunaux dans le cadre de litiges, au lieu de simplement respecter leurs droits dès le départ et de créer un cadre qui permettrait à ces revendications très importantes d'être entendues comme il se doit? D'après votre expérience du système judiciaire, que pensez-vous de cette très grave injustice?
    Eh bien, c'est une très bonne question, et il est très difficile d'y répondre. Franchement, il semble parfois que le gouvernement ne sache pas quoi faire; c'est pourquoi il préférerait que les tribunaux lui disent quoi faire, et il adapte ensuite cette décision en fonction de ce qu'il pense devoir faire. À certains égards, je suppose que le gouvernement veut obtenir l'avis du milieu judiciaire.
    Cependant, à de très nombreuses reprises, la cour a dit très clairement au Canada que la négociation est la meilleure façon de régler les revendications territoriales et d'autres revendications légitimes. Cette approche suscite une certaine résistance, ou il y a simplement un refus de changer d'avis sur des questions importantes qui doivent être résolues, et c'est pourquoi on se retrouve devant les tribunaux.
    C'est une situation regrettable — vous avez tout à fait raison —, mais je dois dire que c'est souvent la bureaucratie qui bloque le progrès. Les politiciens disent une chose et, souvent, la bureaucratie en fait une autre, ce qui est une situation très frustrante.
     Nous allons passer aux dernières interventions, à savoir celles des conservateurs et des libéraux, qui seront d'une durée de cinq minutes chacune.
    C'est M. Gourde qui commence. Il dispose de cinq minutes.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Madame Forest, vous avez dit que vous aviez 30 ans d'expérience en journalisme.
    Avez-vous noté une évolution en matière de liberté d'expression? On a l'impression que, il y a une trentaine d'années, on pouvait dire, dans les médias, des choses qu'on ne peut plus dire aujourd'hui
     S'agit-il d'une atteinte à la liberté d'expression ou s'agit-il d'une question de respect de la part de l'ensemble de la société?
     Je pense que ce qui est dit dans les médias suit le discours des Canadiens dans son ensemble.
    Je pense qu'aujourd'hui, on a davantage accès à différents médias et à différents discours, parce qu'il y a une pluralité des sources d'information. Quand j'étais jeune et que j'ai commencé ma carrière, il y avait trois chaînes de télévision et quelques journaux. Or on avait l'impression de pouvoir se fier à ces sources d'information. Aujourd'hui, les sources se sont multipliées, mais on n'est pas certain de pouvoir s'y fier.
    Je pense qu'il faut aider les Canadiens à comprendre ce qu'est une vraie source d'information, sûre, à laquelle on peut se fier. Les Canadiens l'apprennent souvent à leurs dépens quand ils se rendent compte, un peu plus tard, qu'ils se sont fiés à une information complètement fausse. C'est un aspect très important pour eux.
    Il faut donc savoir choisir ses sources d'information.
(1340)
    Vous avez aussi parlé d'écosystèmes. Il y a l'écosystème public et l'écosystème privé. On peut quasiment dire qu'il y a aussi un écosystème numérique, qui n'est aucunement contrôlé. En effet, dans le secteur public comme dans le secteur privé, des chefs d'antenne et d'autres gens peuvent veiller à ce que les gens fassent attention à ce qu'ils disent, sans nécessairement le contrôler. Toutefois, ce n'est pas le cas dans l'écosystème numérique.
    Je fais tout à fait confiance aux journalistes qui font un travail professionnel, mais, si des instructions leur sont données, est-il possible qu'ils ne puissent pas publier ce qu'ils veulent dire ou ce qu'ils pensent? Peuvent-ils se faire dire que, s'ils veulent garder leur temps d'antenne de 10 minutes, ce serait bien qu'ils n'empruntent pas certaines directions? De telles instructions peuvent-elles être données aux journalistes?
     L'avantage de travailler pour un diffuseur public, comme ce fut mon cas, est qu'il y a une certaine indépendance, contrairement à ce qu'on voit dans le secteur privé, où il y a de bonnes chances que notre contrat prenne fin si on ne fait pas ce que le patron nous dit de faire. C'est ainsi que fonctionne le secteur privé, on le sait. Quand on travaille pour un diffuseur public, ce n'est pas du tout le cas. On peut dire ce qu'on a à dire et couvrir la nouvelle qui est à couvrir. Personne ne vient se mêler de l'indépendance éditoriale.
    Pendant les 10 dernières années de ma carrière, j'ai travaillé dans le domaine numérique, et c'était la même chose. La seule différence entre celui-ci, la radio et la télévision est que ce qui est numérique demeure. Il faut que les nouvelles soient sûres et fiables à la télévision et à la radio, mais c'est 10 fois plus important du côté numérique, parce que cela reste. En effet, cela peut être lu et relu.
    De plus, si on découvre que des choses qui ont été dites n'étaient pas vraies, il y a une certaine responsabilité d'aller les corriger. On sait qu'un média d'information est fiable s'il se corrige quand il fait des erreurs. Tout le monde commet des erreurs. Cela arrive partout. Personne n'est parfait. Toutefois, quand on fait des erreurs, on les corrige. C'est ainsi qu'on peut se fier à un média d'information et savoir qu'il est responsable, raisonnable et sûr.
    Dans le milieu public, quand un journaliste se fait dire qu'il a fait une erreur, c'est peut-être parce qu'il a dit ce qu'il pensait, mais cela ne plaisait pas nécessairement à tout le monde.
    Non.
    N'y a-t-il aucun journaliste qui a quitté CBC/Radio‑Canada pour le privé et qui se sent plus heureux maintenant?
    Je ne peux pas répondre à cette question, parce que, pour y répondre, il faudrait que j'aille poser des questions à tous les membres. Toutefois, je peux vous dire que personne n'influence les journalistes. La seule chose dont les réalisateurs doivent s'assurer, dans le secteur public, est que ce qui est dit est vrai et que les propos sont équilibrés, c'est-à-dire que la parole a été donnée à tout le monde. On ne peut pas ne montrer qu'un seul point de vue. Il faut tous les montrer. De plus, il faut que les faits soient là et que les sources soient vérifiées.
    Si la CBC a des cotes d'écoute médiocres, présentement...

[Traduction]

    Merci, monsieur Gourde. Vos cinq minutes sont écoulées. Merci beaucoup.
    Nous en sommes à la dernière intervention.
    Veuillez rester. Nous aurons un budget à examiner après le départ de nos invités. Il vous a été envoyé vendredi dernier. Cela ne prendra que 10 secondes, mais je vous rappelle de vérifier vos courriels de vendredi dernier.
    M. Blake Desjarlais: [Inaudible]
    Le vice-président (M. Kevin Waugh): Oui, vous ne l'auriez pas eu.
     Monsieur Noormohamed, les cinq dernières minutes sont à vous.
    Merci, monsieur le président. Merci aux témoins de leur présence.
     Monsieur Geist, permettez-moi de commencer par vous.
    Vous avez parlé du projet de loi S‑210 et des préoccupations qu'il suscite. Je suis d'accord avec vous. Je pense que cette mesure législative comporte de graves lacunes, même si elle repose sur de bonnes intentions. Je pense que c'est clair. À mon avis, sa mise en œuvre, le cas échéant, pourrait s'avérer très problématique.
    Très brièvement, pourriez-vous expliquer vos préoccupations sur l'application de la mesure, en particulier en ce qui concerne la possibilité pour le secteur privé de détenir des données et, en particulier, de vérifier l'âge? Quelles sont vos préoccupations à ce sujet?
(1345)
     Le projet de loi S‑210 suscite plusieurs grandes réserves. Dans ma déclaration préliminaire, j'en ai mentionné quelques-unes au sujet du blocage obligatoire de contenus et de l'idée que les fournisseurs Internet en bloquent également. Je pense que cela soulève de sérieuses questions. En ce qui concerne l'utilisation de technologies de vérification de l'âge, partout dans le monde, des commissaires à la protection de la vie privée ont exprimé de réelles préoccupations sur la question. Je dois admettre que je trouve à la fois problématique et particulièrement étrange que nous nous empressions d'adopter un texte législatif quand notre propre commissaire à la protection de la vie privée est toujours en train d'examiner les conséquences de l'utilisation de technologies de vérification de l'âge.
    Ce que nous savons, c'est que la technologie actuelle requiert que l'on fournisse des renseignements personnels très sensibles — en téléversant des documents d'identité délivrés par le gouvernement vers des services situés à l'étranger, grosso modo, ce qui pose des problèmes de vol d'identité — ou que le tout repose sur une technologie qui tente d'estimer votre âge, ce qui ne fonctionne tout simplement pas dans le cadre d'une mesure législative conçue pour faire la distinction entre une personne âgée de 17 ans et une autre âgée de 18 ans. Il suffit d'aller dans n'importe quelle classe d'école secondaire ou de première année d'université et d'essayer de déterminer qui a 17, 18 ou 19 ans. Si nous ne pouvons pas le faire en tant qu'individus, allons-nous vraiment faire confiance à une sorte d'algorithme pour le déterminer?
    Sur ce point, très rapidement, au sujet des personnes qui appuient peut-être le projet de loi, il y en a qui l'ont appuyé et qui pensent qu'il est très bon. De nombreux collègues conservateurs ont dit qu'ils l'appuyaient, mais en même temps, ils contestent l'idée d'une identité numérique.
    Comment peut‑on concilier les deux? Si l'on est contre l'identité numérique, mais que l'on soutient l'identification numérique et la vérification de l'âge par le secteur privé, que leur diriez-vous pour clarifier les choses à cet égard?
    Il s'agit de tracer une ligne entre dire que le gouvernement va délivrer une pièce d'identité et que je vais la fournir à un tiers en qui j'ai peut-être encore moins confiance, dans ce système. Je pense que les risques du point de vue de la sécurité et de la protection de la vie privée sont bien réels.
    Surtout si nous parlons de la liberté d'expression et de l'utilisation trop générale du blocage de sites, cela ne s'appliquerait pas seulement aux sites pornographiques. Cela s'appliquerait aux sites de recherche et aux sites de diffusion en continu. Il est difficile de concilier le fait de dire que l'on est très préoccupé par la censure et la liberté d'expression et celui de dire que l'on envisage une mesure législative qui, en fait, nécessiterait, trop largement, une sorte d'approbation préalable pour pouvoir effectuer une recherche sur Google ou regarder des services de diffusion en continu sur des sites comme Crave ou Netflix.
    Conseilleriez-vous aux députés du Parti conservateur et à d'autres personnes qui appuient le projet de loi de ne pas l'appuyer?
    Je crois savoir que tous les partis de l'opposition ont déjà voté en faveur du projet de loi. Je pense que c'est une erreur et qu'il faut revenir à la case départ.
    Merci.
     J'aimerais poser des questions un peu différentes pendant les deux minutes qu'il me reste.
     Mon collègue, M. Desjarlais, a commencé à poser des questions sur la propriété étrangère des médias et sur certains des problèmes et certaines des préoccupations qui en découlent.
     Lorsque le groupe Postmedia est devenu la propriété d'un fonds spéculatif américain, on lui a demandé d'être plus « conservateur ».
    Madame Forest, quelles sont, selon vous, les conséquences sur la liberté d'expression des journalistes lorsqu'on leur impose une certaine orientation éditoriale?
     Si on leur impose une certaine orientation,

[Français]

ils ne peuvent vraiment pas faire leur travail.
Avec une certaine transparence, on sait très bien qu'un journal ou un autre penche d'une certaine façon. C'est le secteur privé. Quand les gens lisent un journal ou un autre, ils savent quel genre d'information ils vont y trouver.
En tant que travailleurs des médias, l'important pour nous est qu'il y ait une multiplicité de sources. Cela veut dire que les médias ne peuvent pas être concentrés dans les mains d'un seul groupe. C'est ça, le problème.
    Si on s'assure qu'il n'y a pas de concentration des médias dans les mains d'un seul groupe, l'information viendra de partout, il y aura de multiples sources d'information, et les Canadiens auront plus de chances d'avoir une vision équilibrée.

[Traduction]

     Monsieur Geist, ma question se fonde sur ce que Mme Forest vient de dire. Vous avez dit précédemment que d'autres voix doivent être entendues. Craignez-vous que la propriété étrangère des médias canadiens et l'orientation prise nuisent aussi, lorsqu'on ne peut pas y faire contrepoids, à l'émergence d'autres voix dans l'écosystème?
(1350)
    Je dois l'admettre, je pense qu'il y a des raisons d'être préoccupé par l'ingérence étrangère, en particulier dans certains secteurs réglementés.
    Je n'ai jamais vraiment compris certaines des objections à la propriété étrangère. Pour les radiodiffuseurs, par exemple, peu importe qui est le propriétaire, cela n'a pas vraiment d'importance; ce qui compte, ce sont les règles qui y sont associées.
    Je comprends tout à fait que, dans un environnement Internet, la présence de grands joueurs étrangers augmente les risques. Honnêtement, cela signifie que nous voudrions faire venir certains de ces joueurs, ce qui rend la récente décision qui a été prise au sujet de TikTok un peu étonnante. Je ne comprends pas pourquoi nous expulserions une entreprise si cela complique l'application de mesures à son encontre lorsque nous sommes confrontés à ce type de problèmes.
     Nous devons veiller à ce que la réglementation de ces grands joueurs intervienne. Il s'agit en partie de nous assurer qu'ils mènent bien leurs activités ici et que nous disposons de règles qui conviennent.
    Monsieur Geist, madame Forest, madame Mahoney, merci pour cette dernière heure de témoignages.
    Nous en sommes maintenant aux travaux du Comité. Il y a un budget de 36 700 $ pour l'étude sur la protection de la liberté d'expression. Il a été distribué à tous les membres du Comité.
     Plaît‑il au Comité d’adopter le budget?
    Des députésOui.
     Pour que les choses soient claires, monsieur le président, s'agit‑il des dépenses consacrées à cette étude uniquement?
    Je comprends. Le montant semble élevé, mais nous en sommes là, alors autant...
    Il s'agit de quatre réunions.
    Oui, il s'agit de quatre réunions.
    Une voix: Eh bien, pour les vols...
    Le président: En fait, il s'agit de six réunions.
    Nous irons de l'avant.
    Le Comité accepte‑t‑il que la séance soit levée?
    Des députés: Oui.
    Le président: Bien. Merci. La séance est levée.
Explorateur de la publication
Explorateur de la publication
ParlVU