:
Je déclare la séance ouverte.
Je vous souhaite la bienvenue à la 145e réunion du Comité permanent du patrimoine canadien.
[Traduction]
Je pense que vous connaissez pour la plupart la marche à suivre, mais je dois quand même vous l'expliquer.
Il y a un petit autocollant sur la table devant vous. Vous devez y déposer votre appareil pour éviter toute interférence avec l'interprétation et le son. Vous devez aussi lire le texte sur la petite affiche carrée pour savoir quoi faire pour ne pas créer d'interférence avec la transmission du son.
La réunion d'aujourd'hui se déroule sous forme hybride.
Je tiens à rappeler aux participants les consignes suivantes. Vous n'êtes pas autorisés à prendre des photos de l'écran ou de la salle. Vous pourrez obtenir ces images plus tard sur la vidéo qui sera diffusée. Je dois aussi souligner que, avant de parler, vous devez attendre que la présidence vous donne la parole. Si vous répondez à une question ou que vous en posez une, vous devez le faire par l'entremise de la présidence. Les personnes qui participent par Zoom ont une icône « lever la main » sur leur ordinateur. Veuillez cliquer sur cette icône lorsque vous souhaitez prendre la parole. Je répète que tous les commentaires doivent être adressés à la présidence.
J'aimerais ajouter une dernière chose. Lorsqu'il vous restera 30 secondes, je dirai littéralement « 30 secondes ». Je le dirai fort pour que vous m'entendiez, car vous serez peut-être en train de lire quelque chose et ne verrez peut-être pas que je lève la main.
Conformément à l'article 108(2) du Règlement et à la motion adoptée par le Comité le mercredi 18 septembre 2024, le Comité reprend son étude sur la protection de la liberté d'expression.
Nous accueillons des témoins à ce sujet. J'aimerais leur souhaiter la bienvenue.
Avant de le faire, il semble qu'un témoin vient tout juste d'arriver. Nous allons suspendre la séance pour l'accueillir. Merci beaucoup.
:
Nous reprenons la séance.
J'aimerais tout d'abord dire quelque chose. Il y a de la nourriture là‑bas. Sachez que cette nourriture est réservée aux députés. Je le mentionne, car, lors de la dernière réunion, un député qui a des restrictions alimentaires n'a pas pu manger parce que quelqu'un — qui n'est pas un député — avait mangé son repas. Je demanderais à tous ceux qui sont dans la salle et qui ne sont pas des députés... Vous pouvez prendre du café et du jus, mais je vous prie de ne pas manger la nourriture qui est destinée aux députés. Merci beaucoup.
Je vais présenter les témoins.
Nous accueillons Bruce Pardy, professeur de droit à l'Université Queen's.
Nous recevons Dania Majid, de l'Association des avocats arabo-canadiens, par vidéoconférence.
Nous avons des témoins de Journalistes canadiens pour la liberté d'expression: Carol Off, co‑présidente; et Michelle Shephard, co‑présidente.
Nous accueillons Mitzie Hunter, de la Fondation canadienne des femmes.
[Français]
Nous recevons également M. Jean‑François Gaudreault-DesBiens, chercheur, ainsi que Mme Solange Lefebvre, cotitulaire, et Mme Maryse Potvin, cotitulaire, tous trois de la Chaire de recherche France‑Québec sur les enjeux contemporains de la liberté d'expression.
[Traduction]
Enfin, dans la salle, nous avons avec nous Didi Dufresne, directeur des services juridiques du QMUNITY: BC's Queer, Trans, and Two-Spirit Resource Centre. Je vous souhaite la bienvenue.
Nous allons maintenant commencer. Chaque groupe disposera de cinq minutes, mais pas plus, pour sa déclaration préliminaire. Si votre groupe est représenté par plus d'une personne, vous devez choisir qui fera la présentation de cinq minutes. Vous pouvez aussi partager le temps qui vous est imparti, mais vous ne disposerez que de cinq minutes. Je vous aviserai lorsqu'il vous restera 30 secondes. Ne paniquez pas si vous ne pouvez pas terminer votre déclaration. Vous aurez la chance de nous en dire davantage pendant la période de questions et réponses.
Nous allons commencer par Mme Carol Off et Mme Michelle Shephard de Journalistes canadiens pour la liberté d'expression. Elles doivent partir à 17 h 30, alors nous allons commencer par elles pour cinq minutes.
Qui prendra la parole au nom de Journalistes canadiens pour la liberté d'expression? Mme Off ou Mme Shephard?
:
Merci beaucoup, madame la présidente.
Bonjour. Je vous remercie de nous avoir invitées à comparaître au sujet de cette importante question.
Je m'appelle Michelle Shephard. Je suis accompagnée, comme vous le savez, de Carol Off, qui, comme moi, est co‑présidente du groupe Journalistes canadiens pour la liberté d'expression, ou CFJE, que nous représentons aujourd'hui. Nous sommes toutes les deux journalistes depuis longtemps au Canada. J'ai passé 21 ans au Toronto Star avant de partir travailler à mon compte en 2018. Je continue à travailler dans les médias, avec différents médias, et à produire des documentaires. Mme Off, comme bon nombre d'entre vous le savent, j'en suis sûre, a travaillé à CBC pendant plus de quatre décennies. Plus récemment, elle était à la barre de l'émission As It Happens. Elle revient tout juste d'une tournée de promotion pour son livre à succès At a Loss for Words.
Je sais qu'il y a quelques organisations journalistiques canadiennes, alors...
Est‑ce que tout le monde peut entendre?
Des voix: Non.
La présidente: Je ne l'entends pas du tout.
Un instant, s'il vous plaît. Je vous demanderai de recommencer.
Pouvons-nous faire un test de son, s'il vous plaît? Je ne pouvais pas du tout l'entendre.
Monsieur Champoux, je sais que vous avez une ouïe extraordinaire, mais...
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D'accord. Merci. N'hésitez pas à m'interrompre si vous n'entendez pas.
Merci encore de nous avoir invitées, madame la présidente, et merci à tous les participants à la réunion.
Je m'appelle Michelle Shephard. Je suis accompagnée de ma co‑présidente, Carol Off. Nous représentons le groupe Journalistes canadiens pour la liberté d'expression. Nous sommes toutes les deux journalistes depuis longtemps au Canada. J'ai passé 21 ans au Toronto Star avant de partir en 2018 pour travailler de façon indépendante. Je continue de travailler dans les médias et de produire des documentaires. Carol Off, comme beaucoup d'entre vous le savent, j'en suis sûre, a travaillé à CBC pendant 40 ans. Plus récemment, elle était à la barre de l'émission As It Happens. Elle revient tout juste d'une tournée de promotion pour son livre à succès At a Loss for Words.
Je sais qu'il y a quelques organisations journalistiques canadiennes, et je tiens à préciser que CFJE est la plus ancienne au Canada. CFJE existe depuis plus de 40 ans. C'est un organisme de bienfaisance indépendant qui est, à l'heure actuelle, entièrement dirigé par des bénévoles, dont nous deux et notre conseil d'administration.
Aujourd'hui, nous souhaitons vous présenter le point de vue des journalistes qui sont en première ligne. Je ne saurais trop insister sur la gravité de la situation. En un mot, on ne cesse de demander aux journalistes de faire plus avec moins.
Mme Off parlera des déserts d'information qui existent au Canada. Pour ma part, je veux parler de mon expérience personnelle avec le déclin de la collecte d'informations à l'échelle internationale. Pendant les nombreuses années où j'ai travaillé au Star, j'ai présenté des reportages importants pour les Canadiens à partir d'endroits comme Guantanamo Bay et d'un peu partout en Afrique et au Moyen-Orient. J'ai adoré cela. Les choses ne se font plus de la même façon aujourd'hui. À l'heure actuelle, CBC est souvent le seul média qui envoie des journalistes à l'étranger.
Nous savons que la confiance dans les médias est à son niveau le plus bas. Nous pouvons tous critiquer les médias. En tant que journalistes, nous le faisons souvent. Mais cette perte de confiance à l'égard du journalisme légitime n'est pas seulement la faute des médias. Elle a été orchestrée. Les médias indépendants ont été ciblés par ceux qui gagnent à briser la confiance du public dans les faits et la vérité. Ce n'est pas seulement vrai au sud de la frontière; ce l'est également au Canada.
Je vais être franche: nous avons toutes deux travaillé comme journalistes à l'étranger pour couvrir des conflits et des guerres, mais nous avons dû bien réfléchir avant de comparaître ici aujourd'hui. Nous croyons fermement à l'importance de la liberté de presse, et sommes convaincues qu'elle nous aide tous dans la société. Or, cette question est devenue si toxique et partisane qu'il est devenu difficile d'en discuter de manière responsable. C'est un problème.
Une dernière chose qui m'inquiète — et je sais que le Comité partage cette préoccupation — est la façon dont les nouvelles sont diffusées et la prévalence de la désinformation. Dans une étude, le Media Ecosystem Observatory a constaté qu'au cours de l'année écoulée depuis que Meta a interdit la publication de nouvelles sur ses plateformes, il y a eu une réduction d'environ 11 millions de visionnements de l'actualité par jour sur Instagram et Facebook. Cette même étude a révélé que seulement 22 % des Canadiens savent que les informations légitimes canadiennes ont été interdites sur ces plateformes. Ce même groupe fait partie de ceux qui disent qu'ils s'informent toujours sur Facebook et Instagram.
J'aimerais maintenant céder la parole à Mme Off.
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Je veux simplement ajouter que nous appelons souvent cette période « l'ère de l'après-vérité ». Cela préoccupe beaucoup notre organisation. Il est important de pouvoir se fier aux faits, et il faut s'entendre sur ce qu'ils sont. Si nous ne nous entendons pas sur ce qu'ils sont, nous ne pouvons pas nous entendre sur ce qui est vrai. Si nous ne pouvons pas nous entendre sur ce qui est vrai, notre société civile se trouve alors dans une situation inquiétante.
La philosophe politique Hannah Arendt a dit quelque chose de très important lors de l'une de ses dernières entrevues:
Dès lors que la presse n'est plus libre, tout peut arriver. [Cela est possible lorsque]... les gens ne sont pas informés... Quand tout le monde vous ment en permanence, le résultat n'est pas que vous croyez ces mensonges, mais que plus personne ne croit plus rien... Et un peuple qui ne peut plus rien croire ne peut pas se faire une opinion... Et l'on peut faire ce que l'on veut d'un tel peuple.
Aujourd'hui, la CFJE souhaite se concentrer sur un aspect précis du journalisme: la collecte d'informations par rapport aux opinions ou aux commentaires. C'est un élément du journalisme qui coûte très cher. Il y a des déserts d'information partout au Canada, et les gens n'ont plus accès aux nouvelles essentielles qui leur permettent de savoir ce qui se passe dans leurs collectivités. Envoyer des journalistes à l'hôtel de ville, à des conférences de presse, sur les lieux d'accidents ou de crimes coûte de l'argent. Les faits recueillis doivent être vérifiés à l'aide d'autres informations; il faut trouver des témoins fiables. Il est important que les gens puissent obtenir ces informations et puissent s'y fier.
La confiance envers les informations rapportées par les journalistes est brisée. Par conséquent, il est difficile, voire impossible, de faire face à des crises comme les changements climatiques ou des pandémies, de fournir des renseignements dont on a désespérément besoin lors de catastrophes naturelles, de feux de forêt, d'inondations et d'ouragans, et de préparer des reportages sur des élections, des réunions du gouvernement — comme celle‑ci — et des événements quotidiens. Cela ne peut pas se faire lorsque les médias sont confiés aux forces du marché. La Silicon Valley ne se soucie pas de la réunion du conseil municipal à Kelowna ou de la fermeture de routes à Huntsville en fin de semaine. C'est le travail des journalistes.
C'est sur cet aspect du journalisme que nous voulons attirer votre attention aujourd'hui, parce que la collecte d'informations au Canada est en péril.
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Merci, madame la présidente.
Je vous remercie de me donner l'occasion de m'adresser au Comité aujourd'hui sur cette question très importante de la liberté d'expression, qui fait partie des droits individuels de tous les Canadiens.
Je m'appelle Mitzie Hunter. Je suis présidente et directrice générale de la Fondation canadienne des femmes. Je vous remercie de m'avoir invitée à comparaître devant le Comité. Je me joins à vous aujourd'hui depuis Toronto, sur les territoires traditionnels des Mississaugas de Credit, des Anishinabes, des Chippewas, des Haudenosaunee, des Wendats et des nombreuses autres nations qui ont été les gardiennes de ce territoire.
La Fondation canadienne des femmes est un chef de file national de la promotion de la justice et de l'égalité entre les sexes depuis plus de 30 ans. En tant que fondation publique financée par des dons, nous avons versé plus de 262 millions de dollars pour soutenir plus de 3 300 programmes déterminants partout au Canada pour lutter contre la violence fondée sur le sexe. C'est au cœur de ce que nous faisons depuis des décennies. Il est essentiel d'avoir l'occasion de parler de la liberté d'expression maintenant, mais aussi à mesure que nous nous projetons dans l'avenir.
Bien que la Charte canadienne des droits et libertés protège la liberté d'expression, on reconnaît depuis longtemps qu'il ne s'agit pas d'un droit illimité. À la Fondation canadienne des femmes, nous sommes de plus en plus engagées dans les efforts visant à prévenir les préjudices numériques, parce que nous savons qu'ils sont souvent sexospécifiques. Les propos haineux et toxiques dans les espaces publics, dans les médias ou en ligne ciblent souvent les femmes, les personnes transgenres et les personnes non binaires.
La haine en ligne réduit non seulement les gens au silence, mais empêche le dialogue sur la violence fondée sur le sexe en général. Les répercussions peuvent être dévastatrices. Les survivantes subissent des préjudices psychologiques, physiques et économiques. Le manque de sécurité qui en résulte amène nombre d'entre elles à s'autocensurer ou à quitter les espaces numériques, ce qui constitue une menace pour leur liberté de parole, leur engagement démocratique et, j'ajouterais, leurs possibilités économiques. Les recherches indiquent qu'une femme sur cinq est victime de harcèlement en ligne et que le risque est beaucoup plus élevé pour les personnes issues de communautés marginalisées. Il faut donc s'attaquer à ce problème.
Notre initiative pour dénoncer les préjudices numériques examine le harcèlement en ligne contre les femmes et les personnes de diverses identités de genre. Les résultats préliminaires de la recherche confirment les répercussions disproportionnées des préjudices numériques sur les femmes et les personnes de diverses identités de genre ayant des identités croisées. Ils révèlent que 71 % des femmes et des personnes de diverses identités de genre au Canada considèrent les médias sociaux comme un espace public, qui rejoint la définition d'« endroit public » à l'article 319 du Code criminel. Les communautés autochtones, racisées, transgenres et non binaires et les personnes handicapées subissent davantage d'effets négatifs de la violence en ligne que les personnes qui ne sont pas issues de ces communautés.
Les gens disent souvent que la police, les législateurs, les décideurs et le gouvernement sont ceux à qui il incombe le plus de mettre fin à la violence en ligne contre les femmes, les filles et les personnes de diverses identités de genre. Pourtant, parmi les personnes victimes de violence en ligne, 55 % disent que la police était inefficace, 53 % disent que les services gouvernementaux étaient inefficaces et 61 % disent que les avocats étaient efficaces. Les Canadiens s'attendent à ce que la violence sur les médias sociaux soit traitée de la même façon que la violence dans d'autres espaces publics, mais leurs attentes à l'égard de la police et des forces de l'ordre ne sont manifestement pas satisfaites.
Je tiens à attirer l'attention sur le projet de loi , le projet de loi sur les préjudices en ligne, parce qu'il montre que les préjudices en ligne sont enfin pris au sérieux. Nous reconnaissons les craintes légitimes liées à la restriction des libertés en ligne, aux risques pour les communautés marginalisées d'être ciblées par la police et à la censure des diverses voix en ligne. Des consultations auprès des communautés autochtones, noires, racisées et 2ELGBTQIA+ sont nécessaires, tout comme des données désagrégées qui mettent en lumière les expériences intersectionnelles, car tous les groupes ne vivent pas les choses de la même façon. Le projet de loi C‑63 cherche également à remédier à l'absence d'une définition uniforme du discours haineux, ce qui complique actuellement les efforts visant à élaborer des politiques efficaces pour lutter contre les préjudices en ligne.
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Bonjour. Je m'appelle Dania Majid et je représente l'Association des avocats arabo-canadiens.
En 2022, nous avons publié un rapport historique intitulé Anti-Palestinian Racism: Naming, Framing and Manifestations, après de vastes consultations. Le racisme anti-palestinien est une forme de racisme distincte qui réduit au silence, exclut, efface, dénigre ou déshumanise les Palestiniens ou leurs récits. Il existe principalement pour soutenir l'occupation israélienne, l'apartheid et maintenant le génocide plausible contre les Palestiniens en réduisant au silence ceux qui critiquent la façon dont Israël traite les Palestiniens, en violation du droit international. Il en résulte une exception palestinienne à la liberté d'expression, un droit qui n'est pas accordé de la même manière à l'expression sur la Palestine, ce qui entraîne une répression généralisée.
Dans son rapport très sérieux publié en août 2024, Irene Khan, la rapporteuse spéciale de l'ONU sur la liberté d'opinion et d'expression, a déclaré: « Le conflit à Gaza a fait apparaître une crise mondiale dans le domaine de la liberté d'expression. Rarement un conflit aura mis en péril la liberté d'opinion et d'expression avec autant d'ampleur et bien au‑delà de son périmètre. ». Elle a répertorié trois « menaces à la liberté d'opinion et d'expression »: « premièrement, les attaques contre les journalistes et les médias, qui... mettent en péril l'accès à l'information sur [Gaza]; deuxièmement, la réduction au silence, de manière discriminatoire et disproportionnée, des voix et des opinions palestiniennes, qui constitue une atteinte... à la liberté académique et artistique [et de façon plus générale]; et troisièmement, le brouillage des limites entre discours protégé et discours interdit. »
Le racisme et la répression anti-palestiniens se sont intensifiés au Canada au cours des 14 derniers mois. Les menaces pesant sur les emplois, la réputation et les perspectives d'avenir sont utilisées pour réduire au silence les travailleurs qui s'expriment sur la Palestine, même en dehors de leur lieu de travail. De nombreux rapports publics font état de travailleurs de la santé, de journalistes, d'artistes, d'avocats et d'éducateurs qui ont été punis, suspendus ou licenciés, car ils avaient réclamé la fin du génocide dans leurs messages sur les médias sociaux, avaient participé à des manifestations, signé des lettres ouvertes ou avaient simplement porté une épinglette ou un keffieh palestinien. L'excuse la plus souvent invoquée est que l'expression de la personne était jugée antisémite ou qu'elle soutenait le terrorisme. Toutefois, lorsque les allégations font l'objet d'une enquête ou sont examinées par les tribunaux, il s'avère qu'elles sont infondées. Il n'en demeure pas moins que le mal est fait.
La criminalisation sans précédent des discours et des manifestations palestiniens est également préoccupante. Au cours de la dernière année, une centaine de manifestants palestiniens ont été arrêtés à Toronto seulement. Certaines arrestations ont eu lieu des mois après la manifestation. D'autres ont eu lieu lors de descentes tactiques de la police, tard dans la nuit, et visaient des manifestants accusés de méfaits. Des étudiants et des manifestants ont également fait l'objet de brutalités non provoquées sur les campus et dans les rues. La plupart des accusations finissent par être retirées. Cependant, les personnes inculpées ont perdu leur emploi, sont traumatisées et souffrent d'une atteinte à leur réputation.
La liberté d'expression est un droit fondamental consacré à l'échelle internationale et nationale. Elle garantit le droit d'exprimer librement des opinions de toutes sortes, tolérantes ou offensantes, sans ingérence. Elle protège les éléments clés d'une démocratie prospère, notamment la liberté des médias, le discours politique et les critiques formulées à l'égard des gouvernements et des États, la liberté universitaire, la défense des droits de la personne et l'expression artistique. Le droit international et les tribunaux canadiens ont clairement établi que toute restriction de ce droit doit être interprétée dans un sens étroit, égal et précis et ne pas avoir d'incidence sur le droit lui-même. Nous devons veiller à ne pas autoriser davantage d'ingérence.
Le Canada a déjà légiféré sur le fait que l'apologie du génocide ou la promotion ou l'incitation à la haine contre un groupe identifiable est une forme d'activité expressive interdite. Les tribunaux ont placé la barre très haut en ce qui concerne cette exception et ont clairement établi qu'elle n'incluait pas l'expression qui est simplement désagréable, choquante ou même raciste. Pourtant, les gouvernements, les forces policières, les administrations universitaires, les médias, les espaces culturels et d'autres acteurs institutionnels déforment systématiquement les principes de la liberté d'expression pour qualifier l'expression sur la Palestine comme étant haineuse, afin de justifier des mesures punitives à l'encontre de notre liberté de parole.
:
Merci, madame la présidente.
Bonjour, distingués membres du Comité.
Je m'appelle Didi Dufresne. Mes pronoms sont « iel », « il » et « elle ». Je suis avocat et directeur des services juridiques de Qmunity, un centre de ressources 2ELGBTQIA+ situé à Vancouver, en Colombie-Britannique, sur le territoire non cédé des peuples Musqueam, Squamish et Tsleil-Waututh.
Nous offrons aux communautés queers, trans et bispirituelles un soutien, un point de contact et un leadership qui sont essentiels pour elles. Les gens au sein de ces communautés, comme tous les Canadiens, valorisent et chérissent le droit fondamental à la liberté d'expression. Toutefois, notre histoire et nos expériences nous obligent à reconnaître l'existence d'un problème complexe lorsque ce droit est utilisé pour blesser et réduire au silence d'autres personnes. La liberté d'expression est la pierre angulaire de la démocratie. Elle est inscrite dans notre charte. La censure ne sert personne, et notre communauté le comprend très bien.
Les victoires qui ont fait jurisprudence dans les affaires Little Sisters et Neufeld ont confirmé l'importance de protéger la voix des groupes marginalisés. Cependant, nous savons aussi d'expérience que la liberté d'expression ne doit pas se faire au détriment de la sécurité, de la dignité et de l'existence d'autrui. Une parole non contrôlée peut causer, et cause concrètement, du tort.
Au cours des deux dernières années, la rhétorique haineuse ciblant les personnes queers, trans et bispirituelles a augmenté partout au Canada. Ce n'est pas un problème hypothétique. Nous avons été témoins de ce préjudice directement. Nous savons, grâce à des études, comme celle du Journal de l'Association médicale canadienne, que les jeunes queers et transgenres sont de deux à cinq fois plus susceptibles de tenter de se suicider, en particulier les jeunes transgenres, que les autres.
À Qmunity, nous voyons les conséquences de cette rhétorique pernicieuse dans nos services de santé mentale. Nous avons un programme de counselling dans le cadre duquel, au cours de la dernière année seulement, nous avons perdu deux de nos jeunes qui attendaient d'y participer. Ce sont deux dont nous sommes au courant, car les parents ont communiqué avec nous. Ce n'est pas un risque hypothétique. Leurs histoires, comme bien d'autres, soulignent l'urgence d'agir.
Nous finançons ce programme uniquement grâce à des dons privés. Il y a actuellement 40 personnes sur la liste d'attente, et le temps d'attente pour obtenir du counselling est d'environ neuf mois. Chaque mois, de plus en plus de personnes et de jeunes sont à risque.
De plus, j'aimerais souligner que la liberté d'expression doit inclure le droit à l'expression de genre pour tous. Réglementer la capacité des gens à vivre de façon authentique — que ce soit par les débats sur les toilettes ou par la restriction des soins d'affirmation de genre ou de l'utilisation des pronoms — ne réduit pas le nombre de personnes queers et transgenres. Cela force les gens à retourner dans le placard, en étouffant leur humanité et en érodant leur santé mentale. Les politiques qui limitent l'expression de soi nuisent aux personnes et créent des précédents rétrogrades pour notre pays. Elles vont à l'encontre des valeurs d'inclusion et d'équité que le Canada devrait défendre.
Il n'y a pas si longtemps encore, la communauté queer a dû se présenter devant la société pour convaincre les gens que l'homosexualité n'était pas un choix. Cette idée nous semble ridicule maintenant, mais l'histoire se répète. Les personnes trans sont réelles. Il n'y a pas à en débattre.
Prenons le temps de réfléchir, en tant que pays, à l'occasion qui nous est donnée de vivre, de travailler et d'exister sur ces terres autochtones, et d'apprendre des aînés l'histoire des personnes bispirituelles et de diverses identités de genre qui vivent ici depuis des temps immémoriaux.
Nous avons déjà dit que, dans de nombreux domaines, la situation s'améliorait. Malheureusement, aujourd'hui, nous devons voir la réalité en face et dire qu'en fait, la situation empire. La montée des discours haineux, des attaques contre l'expression de genre et des politiques discriminatoires a un effet dévastateur sur la santé mentale de nos jeunes et de nos aînés en particulier. Ces problèmes nous montrent qu'il existe un besoin urgent d'offrir plus de soutien aux gens, notamment en élargissant la portée des programmes de counselling et de soutien social.
Enfin, au moment d'entreprendre ce dialogue essentiel, n'oublions pas que pour favoriser un Canada inclusif, il faut plus que des mots. Il faut investir dans des programmes, dans l'art public, dans l'éducation et dans l'action directe au sein les communautés pour célébrer la diversité et contrer ces discours pernicieux. La liberté d'expression n'est pas seulement un droit légal; c'est une responsabilité partagée. Veillons à ce qu'elle s'exerce avec compassion, la sollicitude et la volonté de bâtir un Canada où toutes les voix peuvent s'épanouir sans crainte.
Je vous remercie.
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Merci, madame la présidente.
Votre comité étudie comment le gouvernement devrait protéger la liberté de parole. Il me semble que c'est pour vous une question plutôt étrange à étudier, parce que la réponse semble évidente et parce que, depuis des années, le gouvernement fédéral fait le contraire. La liberté de parole est un droit que nous détenons contre le gouvernement. La liberté de parole signifie le droit de ne pas voir cette liberté restreinte par le gouvernement. Si les gouvernements n'intervenaient pas, nous aurions la liberté de parole. C'est en n'intervenant pas que les gouvernements protègent la liberté de parole.
Par conséquent, si vous voulez protéger la liberté de parole, cessez de la limiter. Rejetez le projet de loi , la Loi sur les préjudices en ligne. Abrogez le projet de loi , la Loi sur les nouvelles en ligne. Abrogez le projet de loi , la Loi sur la diffusion continue en ligne. Abrogez les modifications sexospécifiques apportées à la Loi canadienne sur les droits de la personne dans l'ancien projet de loi , etc. Si vous voulez protéger la liberté de parole, arrêtez de la limiter. Comme l'a dit Winston Churchill, le gouvernement ne peut rien vous donner qu'il ne vous a pas pris au préalable.
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Merci, madame la présidente. La liberté de parole et la liberté d'expression sont essentiellement la même chose dans la loi. J'utilise la liberté de parole pour parler de la liberté d'expression.
Nous avons la liberté d'expression parce que nous sommes un peuple libre. La liberté de parole n'existe pas seulement lorsqu'elle sert le bien public et la démocratie ou aide à découvrir la vérité dans un marché d'idées. Vous avez aussi le droit d'exprimer vos pensées, quelles qu'elles soient, pour la seule raison que vos pensées sont les vôtres. Si vous êtes libre, vous avez le droit de détester les autres, et vous avez le droit de le dire. Si vous êtes libre, vous avez le droit de vilipender, de détester, de discréditer, d'être irrespectueux, de faire de la discrimination, de dire des faussetés et de répandre des mensonges.
Bien entendu, la liberté d'expression n'est pas absolue. Quelles sont les limites que nous pouvons imposer à la parole tout en la qualifiant de libre? Eh bien, les autres personnes sont libres aussi. Cela signifie que vous ne pouvez pas les contraindre. Vous ne pouvez pas les menacer de violence imminente ou leur conseiller de commettre un crime. Vous ne pouvez pas diffamer quelqu'un. Vous ne pouvez pas harceler quelqu'un. Vous ne pouvez pas commettre une fraude. Vous ne pouvez pas divulguer des renseignements personnels qui ne vous appartiennent pas. Ces limites sont logiques, car elles protègent la liberté des autres, la même liberté qui vous donne le droit à la liberté de parole en premier lieu. Cependant, c'est à peu près tout, si vous voulez prétendre à la liberté de parole.
Par conséquent, madame la présidente, je vous en prie, protégez la liberté de parole. Faites‑le en veillant à ce que le gouvernement ne s'y immisce pas en la surveillant.
Je vous remercie.
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Madame la présidente et membres du Comité, je vous remercie de nous avoir invités à venir témoigner devant le Comité. Mme Potvin, M. Gaudreault-DesBiens et moi allons tous trois intervenir brièvement.
Nous représentons la Chaire de recherche France-Québec sur les enjeux contemporains de la liberté d'expression, ou chaire COLIBEX, qui est financée par le Fonds de recherche du Québec.
Je suis accompagnée de la professeure Maryse Potvin, cotitulaire et responsable de l'axe qui traite de la liberté de l'enseignement, ainsi que de M. Jean‑François Gaudreault-DesBiens, cochercheur et juriste. Pour ma part, je suis cotitulaire et responsable de l'axe qui traite de la religion.
Nous présenterons brièvement quelques recommandations, qui sont décrites en détail dans le mémoire qui sera déposé après la réunion. Je vais présenter la première partie, qui porte sur la religion. Elle inclut deux recommandations en lien avec l'article 319 du Code criminel, qui porte sur l'incitation publique à la haine.
La première recommandation est la suivante. Nous sommes d'accord sur le projet de loi , qui demande l'abrogation de l'alinéa 319(3)b) du Code criminel. Cet alinéa protège l'opinion sur un sujet religieux, notamment. À notre avis, cela ne devrait pas être le cas. Si des élus s'opposent à l'abrogation de cet alinéa, il faudrait qu'ils justifient très explicitement les raisons pour lesquelles ils s'y opposent.
La deuxième recommandation est la suivante. Étant donné la complexité des enjeux concernant l'incitation à la haine et la manière dont celle-ci peut s'exprimer publiquement, nous recommandons que le gouvernement élabore des orientations publiques permettant aux instances concernées de mieux interpréter le concept de « groupe identifiable », une notion définie au paragraphe 318(4) du Code criminel.
Je passe maintenant la parole à la professeure Maryse Potvin.
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Dans la deuxième partie de notre mémoire, nous nous sommes penchés sur deux types de problèmes liés au savoir, à la science, aux libertés scientifiques et aux libertés de l'enseignement. Le premier concerne la protection des institutions du savoir, et le deuxième sera présenté par M. Jean‑François Gaudreault-DesBiens.
Nous considérons que les institutions du savoir sont des composantes essentielles de la démocratie constitutionnelle et qu'elles jouent un rôle fondamental dans le développement de la science et dans l'accès à la science comme bien public commun et comme composantes de la vie culturelle. Nous croyons que cela repose sur une articulation des droits relatifs à la liberté de recherche, à la liberté de l'enseignement, à l'éducation, à la liberté d'expression ainsi qu'à la science, évidemment. Comme l'ont précédemment dit certaines personnes, les libertés scientifiques font l'objet de nombreuses attaques ou menaces partout dans le monde. Il peut s'agir d'attaques de nature idéologique, de désinformation ou de harcèlement, et ainsi de suite.
En nous inspirant du document intitulé « Rapport sur le droit de participer aux sciences », nous recommandons que le Parlement du Canada et le gouvernement, dans les normes qu'ils établissent et les mesures qu'ils prennent, reconnaissent la science, les institutions du savoir et les scientifiques comme des composantes essentielles de la démocratie constitutionnelle canadienne afin de renforcer leur protection, dans le respect des engagements internationaux du Canada. La reconnaissance de l'autonomie de ces institutions par rapport au gouvernement peut être inscrite dans leurs lois constitutives respectives. Ces lois peuvent, à certains égards, être protégées contre des interventions politiques intempestives en exigeant une majorité qualifiée de raisonnable pour les modifier, ce que l'on appelle en droit constitutionnel une exigence de manière et de forme, sans que cela constitue une abdication inconstitutionnelle par le Parlement de sa souveraineté parlementaire.
Nous recommandons aussi que le Parlement du Canada et le gouvernement adoptent, dans leurs normes et politiques publiques, une approche de la science fondée sur les droits de la personne, qui touche tous les aspects liés à la science, et qu'ils considèrent la science comme un bien public et commun, y compris le droit de participer à la science et d'accéder aux progrès scientifiques. Pour les pouvoirs publics, cela suppose de respecter, de protéger et de promouvoir le droit à la liberté de l'enseignement et à la liberté de recherche.
Nous proposons aussi que, dans les lois constitutives des institutions du savoir relevant de la compétence fédérale — nous pensons à Statistique Canada, par exemple — et dans celles contribuant à l'encadrement du travail des scientifiques du gouvernement, par exemple la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, le gouvernement et le Parlement du Canada reconnaissent le droit au savoir et le droit à la liberté scientifique, notamment en atténuant le devoir de loyauté imposé aux scientifiques qui travaillent au gouvernement. Ces derniers pourront ainsi faire plus librement état des données scientifiques probantes dans une perspective de bien commun.
Enfin, il faudrait que toutes les institutions fédérales participant au financement de la recherche, des arts et de la création s'assurent, tant dans l'élaboration de leurs politiques que dans la mise en œuvre de celles-ci, de respecter en tout temps la liberté scientifique, la liberté artistique et la liberté de l'enseignement...
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En ce qui concerne les termes, oui, la Charte utilise le terme « liberté d'expression », et c'est le terme juridique approprié, mais le terme « liberté de parole » est essentiellement un raccourci. Le mot « expression » ne se limite pas à la parole — je veux dire, les vêtements que vous portez pourraient être une forme d'expression —, mais les deux termes sont essentiellement synonymes dans ce genre de contexte.
Ce droit garanti par la Charte a été interprété par la Cour suprême d'une manière, je dirais, utilitaire, ce qui est malheureux. Ce que je veux dire par là, comme j'y ai fait allusion dans ma déclaration, c'est que la Cour suprême a tendance à dire qu'il y a liberté de parole lorsque cette liberté est utile à la société. Cela signifie, bien sûr, qu'il n'y a pas vraiment de liberté de parole, car la liberté de parole, comme tous les droits garantis par la Charte, est essentiellement censée procurer aux gens un espace pour résister aux intérêts du groupe, représenté par le gouvernement. Si on permet que nous empiétions sur ces droits parce que le groupe le veut, alors il ne s'agit pas vraiment de droits. Il s'agit d'autre chose, soit d'un moyen pour établir un intérêt collectif.
En ce sens, je pense qu'on prend les choses par le mauvais bout au pays en ce qui concerne la signification de nos droits garantis par la Charte, en particulier le droit à la liberté de parole.
Voici l'ironie. Votre mandat semble être d'enquêter sur la protection de la liberté d'expression. Dans tout ce que j'entends, on demande aux gouvernements de faire ceci, de subventionner cela, ou de mettre en place plus de règles et de restrictions. Toutes ces choses sont contraires à la liberté de parole.
Si vous voulez la liberté de parole, comme j'y ai fait allusion, faites en sorte que le gouvernement n'intervienne pas. C'est ce que cela signifie. Si vous demandez au gouvernement d'intervenir, vous parlez de quelque chose de tout à fait différent. Encore une fois, on prend les choses par le mauvais bout. C'est...
Dans le texte du projet de loi , on a essayé de tracer une ligne entre le discours haineux, d'une part, et le discours offensant, d'autre part, en disant que le discours offensant est acceptable, mais que le discours haineux ne l'est pas. Cela semble raisonnable, mais bien sûr, personne ne sait où se situe la limite.
Si vous parlez d'une manière que certaines personnes considéreraient comme offensante, il n'y a aucune garantie que, dans une situation particulière, un tribunal ou une cour ne dira pas: « Eh bien, non, il s'agit d'un discours haineux, et vous êtes responsable ». Dès que le gouvernement décide que vous n'avez pas le droit de dire certaines choses — qui ne violent pas les droits de quelqu'un, car vous ne menacez pas la personne de violence —, vous vous retrouvez en terrain dangereux où la liberté de parole n'est, en fait, pas respectée.
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Merci beaucoup de la question.
Je crois que nos discussions d'aujourd'hui sont importantes, parce que nous devons penser aux personnes qui sont touchées par ce qui est exprimé. Comme je l'ai expliqué dans ma déclaration préliminaire, l'espace en ligne ne dispose pas actuellement des mêmes mesures de protection que les espaces publics dans le domaine physique. Ce que nous constatons, c'est que beaucoup de gens subissent des préjudices. Nous avons fait des recherches sur le sujet, et nous les ferons parvenir avec plaisir au Comité si cela peut lui être utile.
Nous voulons nous attaquer à ces préjudices. Nous voyons des personnes, en particulier des femmes, des personnes de diverses identités de genre et des personnes ayant des identités intersectionnelles, se censurer en raison du niveau de haine qu'elles subissent. Elles ne veulent plus être dans ces environnements. Cela limite leurs choix et leurs possibilités.
Je suis une ancienne politicienne. Je dois le déclarer. J'ai vu des environnements où les femmes ont été victimes d'une haine indue. Cela se traduit par de l'intimidation verbale à leur endroit et à l'endroit de leur personnel. Beaucoup ont décidé qu'elles ne veulent pas faire partie de ce genre d'environnement, ce qui limite la perspective sexospécifique qui est si importante dans les politiques, au gouvernement et en politique.
Mon message au Comité dans le cadre de ses délibérations est de tenir compte des personnes touchées. Nous voulons que nos environnements, qu'ils soient en ligne ou physiques, soient sécuritaires pour tout le monde.
Je vous remercie.
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Je ne pense pas que nous puissions nous attendre à ce que les gouvernements sachent tout et aient les réponses à tout. Ce que les gouvernements peuvent faire, comme c'est le cas aujourd'hui, c'est de réunir les gens, ceux qui ont des connaissances, une expertise technique et des expériences personnelles dans le domaine. Ces gens peuvent vraiment éclairer les politiques pour que le gouvernement légifère de manière responsable.
Les gouvernements ont l'obligation très profonde d'écouter les groupes et les personnes qui pourraient être les plus touchés et qui pourraient sentir ne pas pouvoir se retrouver dans ces environnements. La consultation et le fait de se faire entendre sont très importants. Dans le cadre de notre travail, nous parlons à des personnes qui sont exclues, qui se sentent marginalisées et qui s'inquiètent de leur capacité à être en sécurité, que ce soit en ligne ou dans les espaces publics.
Vous parlez de sécurité psychologique. L'un des aspects concerne les jeunes et les enfants. Nous devons... Le projet de loi va en fait assez loin pour protéger les groupes vulnérables qui ont besoin de protection en ligne. Nous voyons les taux de suicide, par exemple, augmenter chez les jeunes.
Nous avons la responsabilité de protéger tout le monde et de veiller à ce que tous les espaces soient sûrs pour tout le monde.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Je remercie les témoins d'être parmi nous, aujourd'hui.
Professeure Potvin, professeur Gaudreault-DesBiens et professeure Lefebvre, nous vous accueillons avec plaisir.
Je pense que vous étiez une pièce importante de ce casse-tête que représente notre étude sur la liberté d'expression. Je suis très content que vous ayez accepté de vous joindre à nous.
Madame Lefebvre, tantôt, dans votre allocution d'ouverture, vous avez affirmé soutenir le projet de loi qui vise à abroger l'article 319 pour en retirer l'exception religieuse.
Je suis très heureux d'entendre cela, madame Lefebvre. Je pense que cela fait relativement consensus dans la société québécoise.
Aujourd'hui, j'ai tenté, au nom du Bloc québécois, de déposer une motion pour avoir le consentement unanime de la part des partis de la Chambre des communes.
J'aimerais vous la lire, et que vous me disiez ce que vous en pensez. La motion propose ceci:
Que la Chambre affirme qu'aucun discours haineux n'est tolérable au Canada;
Qu'elle déplore l'exception religieuse prévue aux articles 319(3)b) et 319(3.1)b) du Code criminel sur le discours haineux;
Qu'elle déplore que cette exception religieuse offre un bouclier légal à des extrémistes radicaux pour encourager la haine et l'intolérance envers des groupes ethniques, religieux ou encore pour diffuser des messages racistes, misogynes ou homophobes;
Que la Chambre soutienne l'urgence d'abroger les articles 319(3)b) et 319(3.1)b) du Code criminel afin d'assurer la pleine application des protections légales contre les discours haineux à tous les citoyens du Québec et du Canada, tel que le prévoit le projet de loi C‑373, Loi modifiant le Code criminel (fomenter la haine ou l'antisémitisme).
Trouvez-vous que cette motion est raisonnable? Des partis à la Chambre s'y sont opposés en m'empêchant même d'en faire la lecture, aujourd'hui.
J'aimerais avoir votre opinion là-dessus.
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J'en prends connaissance maintenant. C'est un peu difficile, pour moi, de me prononcer sur le détail. Mon collègue Jean-François Gaudreault-DesBiens pourra en dire un mot.
Selon nous, il nous paraît évident qu'il faut abroger cet alinéa pour trois raisons.
Premièrement, dans un État comme le Canada, le fait de justifier, au nom d'une opinion religieuse, une incitation à la haine ayant été démontrée, nous paraît très problématique. On ne peut pas conférer un privilège au discours religieux.
Deuxièmement, l'opinion sur un sujet religieux, c'est très vague sur le plan juridique. De plus, cela peut ouvrir la porte à toutes sortes de choses, même, par exemple, faire de l'incitation à la haine dans un cadre religieux, liturgique ou pendant une prière. Je ne vois pas comment on peut justifier cela au Canada.
Troisièmement, surtout, le ministère public qui considère porter des accusations sous l'empire de l'article 319 du Code criminel assume déjà un très lourd fardeau de la preuve. Les discours qui satisfont aux critères de « détestation extrême » sont rares. C'est parce que la haine doit être démontrée de manière très rigoureuse et être fondée sur la jurisprudence. Depuis quelques années, l'alinéa 319(3)b) portant sur le texte religieux nous semble avoir un effet repoussoir supplémentaire quant à la possibilité que soient déposées des accusations de propagande haineuse.
Dans notre recommandation, justement, nous disions qu'il fallait abroger l'alinéa 319(3)b) du Code criminel et que les élus qui votent contre cette demande devraient justifier leur opposition. Il faudrait qu'ils expriment quelles sont leurs oppositions et leurs craintes à cet égard, mais vous me voyez très surprise.
Je ne sais pas ce que Jean-François Gaudreault-DesBiens en pense.
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Je suis d'accord avec ma collègue Solange Lefebvre.
Évidemment, nous partons du principe que le Parlement du Canada a décidé, il y a longtemps, de criminaliser la propagande haineuse. À partir de cette intention fondamentale, pourquoi conférer un statut particulier à un discours qui serait haineux, mais par ailleurs fondé sur un texte religieux? Pourquoi cette prime au religieux? À mon avis, ça vient miner l'idée même de la propagande haineuse.
Dans l'exercice de sa souveraineté parlementaire, le Parlement du Canada pourrait évidemment décider d'abroger la criminalisation de la propagande haineuse. Aux États‑Unis, la propagande haineuse est permise, grosso modo. Il s'agit d'un choix que le Parlement peut faire. Dans la mesure où le Canada a décidé de pénaliser la propagande haineuse, il doit être cohérent. Ne trouvons pas d'échappatoire qui privilégie un type de discours par rapport à un autre, si, par ailleurs, il est haineux.
Ma question s'adresse à Mme Majid.
Tout d'abord, je vous remercie infiniment de votre présence parmi nous aujourd'hui. Vous apportez une perspective critique à notre étude. Je veux également reconnaître le travail novateur de l'Association des avocats arabo-canadiens sur la question de la liberté d'expression et plus particulièrement sur le racisme anti-palestinien.
Nous savons que de nombreux Palestiniens et sympathisants à la cause ont dénoncé ce qu'ils appellent — vous avez employé le terme dans votre déclaration — « l'exception palestinienne » à la liberté de parole. Toute discussion sur la liberté d'expression doit porter sur les limites à cette liberté d'expression, mais également sur ce qui les justifie. L'exception palestinienne à la liberté de parole se traduit par une dynamique unique de contrôle, de suppression et de censure du militantisme qui défend l'humanité fondamentale des Palestiniens.
Pouvez-vous décrire en détail ce phénomène et les raisons pour lesquelles très peu de personnes osent le contrer?
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Le phénomène a pris de l'ampleur. J'ai cité le rapport d'Irene Khan, qui traite de la répression mondiale de la prise de parole sur la Palestine. Le climat est de plus en plus délétère. Cette répression est présente dans les bastions de la liberté intellectuelle tels que le journalisme, les arts, la culture et les universités.
Force est de constater encore une fois la propagation de la haine. L'application et l'interprétation des politiques institutionnelles ou des dispositions sur les discours haineux ne s'étendent pas au discours sur la Palestine. Ces lois et ces politiques qui ont pour objet de protéger les minorités qui veulent par exemple dénoncer ou critiquer le gouvernement laissent place soudainement à une forme de censure dans le cas des discours palestiniens, qui sont invariablement classés dans la catégorie pourtant très pointue des discours haineux. Par conséquent, de la criminalisation et des représailles commencent à se produire dans les milieux de travail.
Ce phénomène a des répercussions concrètes, et pas seulement sur les Palestiniens. Au cours de la dernière année, ces dispositions ou n'importe quel discours appuyant la Palestine sont assimilés à du soutien au terrorisme ou à de l'antisémitisme. Ces catégorisations sont appliquées aux Canadiens racisés ou marginalisés. J'ai reçu de nombreux appels du milieu juridique, par exemple, de jeunes femmes noires qui ont été renvoyées de leur cabinet de Bay Street pour avoir publié une lettre ouverte qui soutenait les droits des Palestiniens. Certains collègues ont perdu leur espace de bureau parce que la personne qui le leur louait était en désaccord avec leur travail de défense des droits des Palestiniens. Ces criminalistes défendaient des personnes arrêtées lors des manifestations.
Ce phénomène qui entrave la liberté d'expression imprègne de plus en plus l'espace public. Nous craignons que les gens aient peur de dénoncer ce qui se passe en Palestine, particulièrement si le risque d'être criminalisés s'amplifie. Ce serait la pire chose qui pourrait arriver au moment même où un génocide probable se déroule sous nos yeux et que la nécessité de dénoncer ces horreurs est plus criante que jamais.
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Nous avons fait seulement une série de questions, monsieur Noormohamed. Comme les témoins ont pris le temps de se déplacer pour participer à la réunion, nous devrions essayer de faire au moins une deuxième série de questions.
La réunion a commencé à 16 h 38. Si tout le monde est d'accord pour annuler la dernière heure, nous continuerons jusqu'à 18 h 38. Je dois obtenir le consentement unanime. Je vois des signes de tête. Nous poursuivrons donc jusqu'à 18 h 38. Monsieur Champoux hoche la tête dans tous les sens. Il doit avoir un torticolis.
Je vais demander au Comité de faire une autre série de questions, mais auparavant, parce que tout le monde va se ruer à l'extérieur au coup de 18 h 38, je veux rappeler aux députés de soumettre leur recommandation pour l'ordre de renvoi sur CBC parce que c'est quelque chose que nous devons faire. La date limite est aujourd'hui. Vous avez jusqu'en fin de journée pour envoyer votre recommandation. Nous avons dépassé la date butoir, mais je pense que c'est important de le faire. Le Comité sera reconnu coupable d'outrage au Parlement s'il ne termine pas le travail qu'il avait promis d'accomplir. Nous avons prévu du temps de réunion supplémentaire à cet effet. Je voulais seulement vous signaler que la date butoir est aujourd'hui à 17 h 30. Des messages à propos de la date limite vont probablement parvenir à la greffière après la réunion, mais je souhaiterais que le Comité suive le processus. Merci.
Je vais soulever un dernier point tout de suite parce que, comme je le disais, tout le monde va se précipiter vers la sortie aussitôt la séance levée. Il faut approuver le budget pour l'étude sur les emplois supprimés à CBC/Radio‑Canada. Nous avons déjà soumis un budget pour l'étude. Il a fallu y injecter un peu plus de fonds. Nous avons donc un budget à approuver. La somme supplémentaire demandée s'élève à 21 066,40 $.
Le Comité approuve‑t‑il le budget?
Des députés: D'accord.
La présidente: Comme tout le monde est d'accord, la question du budget est réglée. Je vais donc pouvoir le signer. Merci.
Nous passons à la deuxième série de questions. Je cède la parole à M. Jivani pour cinq minutes.
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Merci, madame la présidente.
Ma question s'adresse à M. Pardy.
Monsieur Pardy, une logique se dégage de certains des commentaires que nous avons entendus aujourd'hui. Cette logique qui sous-tend les projets de loi , et . Les tenants de cette logique relèvent des problèmes dans la société pour soutenir ensuite que leur résolution nécessite une expansion de la bureaucratie fédérale. Ils ne s'attardent pas à l'efficacité de la fonction publique. Ils se contentent de prôner son accroissement aux frais des contribuables canadiens.
J'aimerais que vous parliez de vos préoccupations liées à l'expansion de la bureaucratie fédérale, que vous avez exposées notamment dans vos écrits sur la croissance de l'État administratif.
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Merci de la question. Je suis entièrement d'accord avec la prémisse.
Nous assistons à une déformation de la notion des droits énoncés dans la Charte des droits. Le respect de ces droits devrait se définir par l'absence d'ingérence du gouvernement. Nos droits sont respectés lorsque le gouvernement ne s'immisce pas dans nos vies. Il existe au Canada une école de pensée qui octroie un rôle au gouvernement dans le respect des droits et qui lui demande d'intervenir ou d'imposer des choses. Un groupe peut ainsi demander au gouvernement d'empêcher un autre groupe d'exprimer des propos qu'il juge incorrects. Une juste vision des choses serait plutôt de considérer que nos droits sont respectés lorsque le gouvernement nous laisse tranquilles. C'est lorsque le gouvernement intervient que nos droits sont compromis. Les commentaires et les mémoires soumis au Comité en témoignent.
À propos du point plus général que vous avez soulevé, le gouvernement est trop grand pour rien. L'autre jour, j'ai vu une estimation indiquant que le secteur public représentait 40 % de l'économie au pays. La situation n'est pas viable. Voilà une des raisons pour lesquelles le Canada s'appauvrit. Il faut que la part du secteur privé augmente pour maintenir le gouvernement. Nous pensons que l'argent pousse dans les arbres et que le gouvernement est la solution à tout. Cette vision dogmatique nous empêche de voir quoi que ce soit d'autre. Aussitôt qu'un problème est décelé, la seule solution envisagée est l'augmentation, et non pas la diminution, des programmes gouvernementaux, des règles, des taxes et des structures. Parfois — pour ne pas dire toujours à notre époque —, la solution est de réduire, et non pas d'augmenter l'intervention gouvernementale.
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Lorsque je parle, monsieur Jivani, laissez-moi terminer. Je vous céderai la parole ensuite. Ne m'interrompez pas s'il vous plaît.
Il y a eu beaucoup de digressions. La discussion a porté sur les budgets et les sommes dépensées. Ces thèmes ne sont pas liés au sujet. Le sujet de l'étude est la liberté d'expression. La discussion peut prendre toutes sortes de directions, et j'ai permis aux témoins de le faire tant que leurs commentaires se rapportaient à la liberté d'expression. Lorsque M. Pardy a donné des réponses qui portaient sur la liberté d'expression, je lui ai permis de prendre la direction qu'il souhaitait. Voilà de quoi il en retourne.
La discussion ne porte pas sur le budget. Je ne suis pas intervenue, mais je ne permettrai plus les digressions. Le budget du gouvernement du Canada n'a rien à voir avec la liberté d'expression. Poursuivons.
Madame Dhillon, vous avez la parole.
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Non. Selon moi, ces changements n'auraient pas pu être apportés sans mesures législatives et sans décisions par les tribunaux.
Je tiens aussi à mentionner que la population canadienne ne jouit pas de libertés illimitées. Toutes nos libertés font l'objet d'une analyse de l'équilibre effectuée en vertu de l'article premier. Au Canada, la population ne peut pas affirmer simplement: « J'ai le droit absolu de dire tout ce que je veux. » Ce n'est pas la société dans laquelle nous vivons, heureusement.
Je trouve aussi important que l'État n'intervienne pas seulement en réaction aux propos très haineux et préjudiciables; il doit aussi reconnaître que nos droits ont un prix. Si les gens ont le droit de tenir des propos haineux, la société et le pays doivent payer le prix des préjudices qui en résultent. Nous avons le choix: soit nous mettons fin aux préjudices, soit nous en payons le prix.
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Merci, madame la présidente.
J'aimerais poser mes questions, encore une fois, aux représentants de la Chaire de recherche France‑Québec sur les enjeux contemporains de la liberté d'expression.
Je voudrais parler des sensibilités qui sont exacerbées ces dernières années. Nous observons ce phénomène dans plusieurs secteurs de la société.
Je pense aux sensibilités qui ont conduit à la mise à l'index de livres sur divers contenus, par exemple, que ce soit dans le milieu universitaire ou dans le milieu artistique. On a même été jusqu'à annuler des projets de professeurs d'université et de cégep. Cela me préoccupe et préoccupe beaucoup de gens.
Croyez-vous que la société en est grandement touchée? Le milieu artistique, le milieu universitaire et la société en général sont-ils capables de réparer les dégâts qu'a pu causer cette espèce de mouvance?
Ma question s'adresse à l'un ou l'autre des trois représentants.
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Dans le mémoire, nous parlons justement du rôle des médias sociaux et de celui des médias, en général. Ces médias accentuent peut-être les effets de certaines formes de désinformation, de cyberintimidation, de fausses nouvelles, et ainsi de suite. Tout cela a des effets, évidemment, sur les données scientifiques, sur les savoirs et sur la recherche scientifique.
Ce que M. Gaudreau‑DesBiens n'a peut-être pas eu le temps de dire tout à l'heure, c'est que nous recommandons aussi l'établissement de cadres réglementaires beaucoup plus stricts relativement aux obligations des diverses plateformes numériques. On pourrait accorder des pouvoirs au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, ou CRTC, au Commissariat à la protection de la vie privée du Canada ou au Bureau de la concurrence. On pourrait aussi créer une autorité indépendante qui se consacrerait à la surveillance des plateformes, par exemple. On peut faire plusieurs choses.
De plus, nous avons fait des recommandations quant à la question des médias sociaux. Comme nous le constatons, ceux-ci construisent et amplifient les chambres d'écho et la désinformation, et cela a des effets sur la science et les savoirs.
Nous avons aussi suggéré la mise en place de mesures de protection beaucoup plus strictes. Il s'agit de s'assurer que les institutions de savoir, dont certaines relèvent du gouvernement provincial, comme les universités, ont une protection accrue de façon globale par une reconnaissance. Je parle d'une reconnaissance, par le gouvernement et par le Parlement canadien, de la science et des institutions de savoir comme des composantes essentielles de la démocratie constitutionnelle.
Dans certains pays, comme l'Allemagne, la science, le savoir et la liberté scientifique sont inscrits dans la Constitution.
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Merci beaucoup, madame Majid. Vous n'avez pas à vous excuser. Nous vous sommes très reconnaissants de votre présence et de votre témoignage.
Je veux revenir à la question de l'effet paralysant. D'après la CIJ, il y a un risque plausible que la situation à Gaza constitue un génocide, et bien entendu, nous savons que des attaques à la bombe ont été perpétrées au Liban ces dernières semaines. Nous savons également que le Canada s'est fait complice en participant au commerce des armes et en effectuant des transferts financiers, ainsi qu'en soutenant le régime de Netanyahou sur le plan politique.
Des centaines de milliers de Canadiens dénoncent la situation, manifestent dans les rues et publient des messages sur les médias sociaux. Par conséquent, je me demande à quel point on devrait s'inquiéter de l'effet paralysant à l'œuvre au Canada, un pays qui prétend défendre les droits de la personne, qui se veut une saine démocratie et qui se dit favorable au débat démocratique, y compris sur la politique étrangère. Quelle est la gravité du problème de l'effet paralysant?
C'est ce que font ces trois projets de loi: le projet de loi , le projet de loi et, dans une certaine mesure, le projet de loi élargissent l'État administratif. Ils élargissent la bureaucratie. Ces projets de loi confèrent à des organismes gouvernementaux et à des bureaucrates le pouvoir d'édicter des règles. Si vous consultez les lois, vous n'y trouverez même pas les règles. C'est ce qu'on entend par l'expansion de l'État administratif.
Désormais, c'est la bureaucratie qui contrôle notre liberté de dire et d'écouter ce que l'on veut. Cette bureaucratie ne fait pas qu'appliquer les règles édictées par le Parlement; le Parlement lui a délégué le pouvoir de fixer les règles. C'est ce à quoi je faisais allusion quand je parlais de la désintégration de la séparation des pouvoirs et de la croissance de l'État administratif. Nos droits ne relèvent plus du Parlement; ils relèvent des bureaucrates à qui le Parlement a délégué ses pouvoirs. Pour cette raison et pour tant d'autres, votre liberté d'expression est en péril.
On ne connaît même pas les règles parce qu'elles n'ont pas encore été établies. Elles seront édictées dans un coin sombre, en catimini, plutôt qu'en plein jour, à la Chambre des communes, dans un débat sur ce qu'elles devraient être. Par conséquent, le projet de loi , le projet de loi et, dans une certaine mesure, le projet de loi sont de bonnes illustrations de cette tendance et de l'érosion de nos droits, notre liberté d'expression y compris.
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Merci, madame la présidente.
Si Mme Ashton m'avait laissé continuer — ce qu'elle ne voulait manifestement pas faire —, elle aurait découvert que j'allais demander à Mme Majid de répondre. Puisque nous parlons de liberté d'expression et de liberté de parole, je trouve très important d'examiner le cœur des défis qui se posent aux personnes de toutes allégeances politiques. Nous devons avoir des discussions sérieuses et approfondies.
M. Jivani et moi ne sommes pas toujours d'accord, mais j'aime entendre ce qu'il a à dire parce que c'est important de s'écouter les uns les autres. Pour mener à bien notre étude sur la liberté d'expression, nous devons nous écouter les uns les autres.
J'invite Mme Majid à répondre. J'aimerais vraiment entendre ce qu'elle a à dire parce que je pense qu'il y a une certaine confusion. Les gens doivent bien comprendre comment ils peuvent exercer leurs droits.
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Quand des groupes tactiques de la police défoncent les portes de manifestants à 4 heures du matin, armes à feu au poing, dans le but de les arrêter pour méfait, je qualifierais cela d'ingérence de l'État. De telles situations ne se produisent dans aucun autre contexte. C'est strictement parce qu'ils défendent la Palestine.
Par ailleurs, le gouvernement de l'Ontario a mis sur pied un groupe de travail sur les crimes haineux qui n'est pas transparent. Nous ne comprenons pas la relation entre la police, la Couronne et les poursuites contre les gens — les manifestants — qui se font arrêter. Nous savons que des manifestants se font arrêter. Plus de 100 Torontoises et Torontois ont été arrêtés pour avoir participé à des manifestations.
Le gouvernement de l'Ontario a aussi une politique d'attestation qui s'applique à ses lieux de travail. Il refuse d'engager des gens — en particulier des étudiants — qui ont signé des lettres ouvertes visant à appuyer les droits de la population palestinienne. Il oblige les gens à déclarer s'ils ont signé avant de leur accorder une entrevue ou de leur offrir un emploi. Je qualifierais cette pratique d'ingérence de l'État.
Il y a beaucoup d'autres exemples de décisions prises par le gouvernement à l'égard de la Palestine [inaudible]...
J'aimerais consacrer la minute qu'il me reste à Mme Dufresne.
D'abord, je vous remercie, vous et l'équipe de Qmunity, pour le travail que vous faites chez nous, à Vancouver. Votre travail est important à bien des égards. Merci beaucoup pour vos efforts. Votre organisation et la communauté font du travail très important.
J'aimerais profiter du temps qu'il nous reste pour vous donner l'occasion de parler de l'effet paralysant sur la liberté d'expression ou la liberté de parole, notamment pour les jeunes qui font face à des enjeux liés à l'orientation sexuelle et à l'identité de genre. Quelles conséquences cet effet a‑t‑il sur le plan du suicide, des problèmes de santé mentale, de la dépendance, etc.?
Pouvez-vous prendre un instant pour nous parler des conséquences de ce que nous tenons parfois pour acquis?
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Merci, madame la présidente.
Il y a quelques années, je me souviens que le gouvernement du Canada a autorisé qu'une attestation soit ajoutée aux critères du programme Emplois d'été Canada. Des organisations partout au pays ont dû choisir entre, d'un côté, demeurer fermes dans leurs convictions et ne pas déposer de demandes auprès d'Emplois d'été Canada, ou de l'autre, décider ensemble de signer l'attestation même si elles n'y croyaient pas.
Monsieur Pardy, nous avons un peu entendu parler des attestations; le sujet a été soulevé ici. À mes yeux, c'est un bon exemple d'une situation où le gouvernement a outrepassé ses pouvoirs en permettant à Emplois d'été Canada d'exiger une attestation. Beaucoup de personnes et d'organisations d'un océan à l'autre ont été touchées par cette exigence, qui les a empêchées de participer au programme.
Qu'en pensez-vous?
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Je m'adresse encore à mes amis de la Chaire de recherche France-Québec sur les enjeux contemporains de la liberté d'expression.
Vous travaillez conjointement avec des chercheurs français. Croyez-vous que, par rapport à la France, le Québec et le Canada sont très en retard sur l'éducation, la littératie numérique et la littératie médiatique, qui contribuent évidemment à prévenir la désinformation?
Sommes-nous en retard? Y a-t-il des choses que nous devrions mettre en application en nous inspirant peut-être de ce qui se fait là-bas?
Quelles sont vos observations à ce sujet?
Monsieur Gaudreault‑DesBiens ou madame Potvin, je vous cède la parole.
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Il faudrait réfléchir non seulement sur les moyens dont disposent les États pour former les populations, notamment les jeunes, quant aux défis que pose le numérique, mais aussi sur une possible réglementation visant les plateformes numériques. L'Europe est beaucoup plus avancée dans ces domaines.
Le discours libertarien — c'est presque un fait sociologique — qu'on entend beaucoup aux États‑Unis n'est pas inexistant en Europe, mais il y est quand même moins présent. En amont, il y a une reconnaissance qui n'est pas unanime, mais qui est quand même très présente, voire majoritaire, selon laquelle la liberté d'expression est parfois mieux protégée lorsqu'on protège les canaux d'expression dans certaines situations.
Autrement dit, la liberté d'expression n'est pas nécessairement perçue comme étant strictement une liberté négative, même si elle l'est surtout. Évidemment, cela étant tenu pour acquis, il faut être très prudent lorsque l'État intervient à l'égard de la liberté d'expression, notamment pour la restreindre.
Cela dit, je pense que la réflexion est bien plus avancée en Europe. En quelques secondes, c'est pas mal tout ce que je peux dire.
Ma dernière question est pour Mme Majid.
Nous savons que Francesca Albanese, qui est rapporteuse spéciale des Nations unies pour ce qui est des territoires palestiniens occupés, est venue récemment au Canada. Dans un geste sans précédent quand il s'agit d'une rapporteuse des Nations unies, la a refusé de la rencontrer. De hauts représentants d'Affaires mondiales Canada ont également refusé de la rencontrer. Le comité des affaires étrangères du Parlement a révoqué l'invitation qu'il lui avait fait parvenir pour qu'elle fasse un exposé. Cela témoigne bien de l'effet paralysant que nous observons, vis‑à‑vis non seulement d'une personne qui ne mâche pas ses mots à propos de ce qui se produit dans les territoires palestiniens occupés et du génocide présumé, mais vis‑à‑vis aussi d'une mandataire des Nations unies, d'une rapporteuse spéciale de l'organisation.
À quel point est‑il troublant, et franchement inacceptable, que le Canada réagisse de cette façon par rapport à une rapporteuse des Nations unies, à une personne qui parle de ce qui se produit actuellement en Palestine, de la situation des Palestiniens?
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Merci, madame la présidente.
Je pense que vous visez en plein dans le mille. C'est sans aucun doute ce qui se produit. Des enfants se font intimider. Ils ne peuvent pas vivre en étant authentiques, en étant eux-mêmes. Il se retrouvent donc aux prises avec des problèmes de santé mentale. Il est incroyablement stressant de se faire dire que ce que l'on est est détestable. Une jeune personne qui n'a pas la capacité de gérer cela... Il est tout à fait logique que des jeunes finissent par essayer de s'enlever la vie ou s'enlèvent la vie à cause de ce discours haineux.
Que pouvons-nous faire pour les aider? Je pense qu'il faut accroître le counselling auprès des enfants. Ils ont besoin de soins d'affirmation de genre. Ils ont besoin de pouvoir faire leur transition sociale dès leur enfance. Il n'y a pas de mal à cela. Disons qu'un jeune décide qu'il est transgenre. Il vit conformément au genre qu'on lui a attribué à la naissance. Plus tard, il prend des inhibiteurs de puberté, ou il ne fait pas de transition médicale, mais une transition sociale. Quelques années plus tard, s'il décide que ce n'est pas vraiment ainsi qu'il se sent, il n'y a pas de préjudices réels.
Si nous pouvons tout simplement accepter que le genre puisse s'inscrire dans un continuum fluide, et que nous n'essayons pas de mettre les gens dans des catégories strictes, je pense que nous aurions beaucoup moins de craintes et de traumatismes et qu'il y aurait donc beaucoup moins de conséquences négatives.