:
Je déclare maintenant la séance ouverte.
Bienvenue à la 110e réunion du Comité permanent du patrimoine canadien.
Je tiens à reconnaître que cette réunion a lieu sur le territoire traditionnel non cédé du peuple anishinabe algonquin.
[Traduction]
La réunion d'aujourd'hui se déroule, bien sûr, en format hybride. Nous avons beaucoup de témoins qui comparaissent virtuellement. Je tiens à vous rappeler certaines règles que nous suivons lorsque nous tenons des réunions virtuelles.
Conformément au Règlement, je vais vous demander de ne pas prendre de photos de la réunion, s'il vous plaît. Les captures d'écran et les photos ne sont pas autorisées, mais vous pouvez les obtenir en ligne plus tard après la réunion.
En ce qui concerne la santé publique, sachez que nous ne sommes pas obligés de porter le masque. Certains d'entre vous ne le portent pas, mais d'autres devraient le porter pour éviter de contracter la grippe et le nouveau virus de la COVID.
Je rappelle à ceux qui sont en ligne et dans la salle que nous avons des microphones puissants. Si vous avez des appareils à proximité, ils peuvent occasionner une rétroaction. Cela peut endommager les oreilles des interprètes, alors faites attention à cela. Lorsque vous avez la parole, veuillez adresser vos questions et vos réponses à la présidence.
C'est à peu près tout. Je ne pense pas avoir autre chose à dire.
Nous amorçons aujourd'hui notre étude concernant les états généraux sur les médias.
Merci, monsieur Champoux, d'avoir proposé cette étude.
Nous accueillons virtuellement April Lindgren, professeure à l'Université métropolitaine de Toronto, et Jen Gerson, cofondatrice de The Line et journaliste indépendante.
Du Centre d'études sur les médias, nous accueillons Colette Brin, professeure au Département d'information et de communication de l'Université Laval.
Nous recevons Jaky Fortin, directeur adjoint aux études et à la vie étudiante à l'École supérieure en Art et technologie des médias du Cégep de Jonquière.
Nous accueillons Annick Forest, de la Guilde canadienne des médias.
Vous disposez tous de cinq minutes pour faire votre exposé. Je vous ferai signe lorsqu'il ne vous restera que 30 secondes. N'oubliez pas que si vous ne terminez pas tout ce que vous vouliez dire, vous pourrez en dire plus lorsque vous répondrez aux questions. Ne vous inquiétez pas si vous ne terminez pas en cinq minutes.
Nous allons commencer par la déclaration préliminaire de Mme Gardner.
Vous avez cinq minutes.
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Je m'appelle Sue Gardner. Je suis l'ancienne dirigeante de CBC.ca, le site Web anglophone de la Société Radio‑Canada. Je suis également l'ancienne dirigeante de la Wikimedia Foundation, l'organisme sans but lucratif 501(c)(3) de San Francisco qui exploite Wikipédia. J'ai commencé récemment à toucher au domaine des politiques publiques, notamment en tant que professeure de pratique McConnell à l'École de politiques publiques Max Bell de l'Université McGill.
Pour vous donner un peu plus de contexte, j'ai commencé ma carrière de journaliste il y a trois décennies. J'ai travaillé à la radio, à la télévision, dans la presse écrite et en ligne. J'ai pratiqué le métier de journaliste pendant longtemps. J'ai aussi été la patronne de journalistes, critique et observatrice des médias d'information.
J'ai fait des recherches et écrit beaucoup d'articles sur les médias publics au Canada et ailleurs dans le monde. Je travaille dans le domaine numérique depuis 1999 environ, et durant toute ma carrière, j'ai assisté à ce que nous appelons parfois la transition au numérique. Voilà donc mon parcours.
Je suis ici à titre personnel seulement. Je considère que votre rôle est d'essayer de promouvoir l'intérêt public, et je considère que mon rôle est d'essayer de vous aider à cet égard.
Vous êtes ici, je crois, pour déterminer s'il faut soutenir l'industrie de l'information ou l'encourager à organiser de quelconques états généraux sur les médias d'information pour déterminer ce dont elle a besoin à la lumière de la crise. Je veux commencer par convenir qu'il y a une crise, et je pense que vous avez un rôle à jouer pour aider à la résoudre.
J'ai trois brèves réflexions à vous faire sur la façon dont je pense que vous pouvez y parvenir. Mon objectif, dans le cadre de mes remarques liminaires, est d'exposer les aspects dont nous voudrons peut-être parler davantage.
Premièrement, peu importe ce que vous finirez par faire, il est vraiment essentiel que vous établissiez très précisément la nature du problème que vous essayez de résoudre. À mon avis, le problème, ce n'est pas que les médias traditionnels éprouvent des difficultés ou font faillite, et ce n'est pas que les journalistes n'ont pas une sécurité d'emploi suffisante ou ne peuvent pas payer leur loyer ou leur hypothèque.
Selon moi, le problème, c'est qu'à l'heure actuelle, il n'y a pas, au pays, suffisamment de journalisme en profondeur pour que les citoyens puissent être informés comme il se doit et que ceux qui exercent le pouvoir puissent répondre de leurs actes comme il se doit. C'est le problème que vous devriez chercher à résoudre, à mon avis. Vous devriez vous demander comment favoriser les conditions propices à la pratique d'un journalisme de qualité.
Deuxièmement, j'ai l'impression que la politique numérique qui a été élaborée au cours des dernières années a peut-être été trop dictée par les besoins et les intérêts de l'industrie. J'ai décidé de vérifier les chiffres pour voir si j'avais raison, et je pense que j'ai raison. Je me suis penchée sur les témoins qui ont comparu devant le Comité au cours de la présente législature, et, selon mes calculs, 77 % de ces témoins sont des gens qui représentent l'industrie ou des travailleurs de l'industrie. Ce sont des gens qui représentent des entreprises médiatiques, des syndicats, des associations commerciales et des associations professionnelles.
Pour ce qui est du comité sénatorial, les chiffres sont assez semblables, et en ce qui a trait aux communications des lobbyistes avec le ministère du Patrimoine, les chiffres sont également assez semblables. J'ai l'impression, en regardant vos réunions précédentes, que vous vous entendez peut-être de façon générale sur le fait que vous ne devriez pas être aux commandes et que vous devriez laisser les médias d'information diriger la résolution de ces problèmes.
Je tiens à faire une mise en garde à ce sujet. Je peux comprendre pourquoi vous êtes de cet avis — laisser les experts gérer les choses —, mais je pense que c'est en fait une erreur, car je crois que vous avez des rôles et des objectifs différents. Si l'industrie prend les devants, elle va se concentrer sur ses propres intérêts, et ce n'est pas ce que vous voulez. Vous voulez que l'on se concentre sur l'intérêt public, alors il est important que vous gardiez le pouvoir à cette fin. Je pense que c'est votre travail.
Mon dernier point, c'est que, jusqu'à tout récemment, les acteurs numériques étaient en grande partie invisibles pour vous, et vice versa. J'ai l'impression que nous l'avons constaté dans le cadre des audiences sur le projet de loi et le projet de loi , où des créateurs numériques comparaissaient pour la toute première fois devant le Comité.
Au cours de la législature actuelle, d'après mes calculs, seulement 12 % des témoins qui ont comparu devant le Comité étaient des acteurs numériques. Il s'agit de représentants d'entreprises comme Google, Netflix et Apple, de créateurs numériques dans YouTube et Twitch, d'universitaires qui étudient le numérique et de représentants d'organisations de la société civile axées sur le numérique comme OpenMedia ou l'Internet Society. Cela représente beaucoup de gens et un large éventail d'acteurs numériques, mais ensemble, ils ne représentent que 12 % des personnes qui sont venues s'adresser à vous ici.
Lorsque vous vous pencherez sur ces questions, je vous exhorte à rééquilibrer votre attention.
Je vais m'arrêter ici. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
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Merci beaucoup au Comité de m'accueillir. Je suis une créature un peu problématique et l'une de ces créatrices numériques persévérantes dont Mme Gardner a parlé.
Pour faire suite aux commentaires de Mme Gardner, je dois dire que je suis d'accord avec elle, et je pense que les gens qui essaient de régler ces problèmes et de réglementer ce milieu ne comprennent souvent pas bien la différence entre le journalisme et l'exercice du journalisme. Ce sont des problèmes connexes, mais ce ne sont pas les mêmes problèmes. Si vous ne comprenez pas fondamentalement pourquoi les entreprises ont échoué, vous allez tomber dans le piège d'essayer d'injecter plus d'argent dans une industrie en difficulté ou un problème plutôt que de voir les choses du point de vue de l'intérêt public: comment pouvons-nous améliorer l'exercice du journalisme pour nous assurer de protéger l'intérêt public? C'est une conception très différente des problèmes auxquels nous sommes confrontés, et je pense qu'il faut adopter une mentalité très différente.
Pour faire suite à ce dont nous discutons, je tiens à dire que j'ai l'impression d'être un peu désavantagée, car lorsque nous parlons d'états généraux sur les médias, je ne suis pas tout à fait certaine de ce que l'on propose. Par conséquent, je me trouve à ne pas avoir une opinion bien arrêtée sur le sujet, ce qui est très rare. C'est très inhabituel pour moi, alors vous allez devoir me pardonner.
Je pense qu'en principe, tenir des états généraux pour discuter des problèmes auxquels font face les médias d'information et du déficit démocratique qui découlera de cette crise, et qui en découle déjà, pourrait être une très bonne chose. Je ne vois pas pourquoi le Comité doit approuver cela si ce qu'on propose, c'est que l'industrie de l'information elle-même présente une telle initiative, à laquelle participeraient les membres du gouvernement, ou qu'ils mettraient sur pied. Cela me semble être un défi logistique à relever. L'idéal, selon moi, dans le cadre de ce type d'états généraux, serait d'entendre une très grande diversité d'opinions et beaucoup d'idées différentes dans l'optique de l'intérêt public et de faire preuve d'ouverture à l'égard d'un grand nombre de solutions possibles, auxquelles le gouvernement pourrait contribuer.
Je crains que des états généraux ne servent pas vraiment de tribune pour discuter ouvertement de ces choses, mais qu'ils servent plutôt d'exercice de relations publiques pour rallier le public en faveur d'une conclusion préétablie. Si vous voulez tenir des états généraux pour obtenir du soutien ou construire le concept de soutien à l'égard du fait d'accorder toujours plus d'argent aux médias traditionnels, ce serait une perte de temps. Si c'est ce que tout le monde vise, alors pourquoi perdons-nous notre temps ici? Vous n'avez qu'à faire un chèque. Voilà ce qui me préoccupe.
Cela dit, je pense qu'il faut tenir une discussion vraiment ouverte sur les problèmes auxquels sont confrontés les médias. Parlez-nous des enjeux commerciaux et des facteurs liés à l'intérêt public. Si vous voulez discuter d'un financement public supplémentaire pour les médias ou de la transformation des médias privés en médias publics — ce qui est essentiellement la voie sur laquelle nous nous trouvons en ce moment —, alors ayons une conversation très franche et ouverte sur ce qu'il en coûtera aux contribuables, et ce, pendant combien de temps. Des états généraux pourraient offrir une excellente occasion de discuter de tout cela, à condition que la discussion se fasse dans un esprit vraiment ouvert et de bonne foi.
Je n'ai rien d'autre à ajouter.
Je suis professeure de journalisme à l'Université métropolitaine de Toronto. Je vous remercie de m'avoir invitée.
Je dirige ce qu'on appelle le projet de recherche sur les nouvelles locales. À ce titre, je suis l'évolution du journalisme local depuis environ 2008.
Je ne vais pas énumérer toutes les annonces récentes, qui constituent de mauvaises nouvelles pour les gens qui comptent sur le journalisme local pour s'informer. Je pense que tout le monde en a une assez bonne idée.
Je dirais qu'il n'y a pas de solution miracle évidente aux défis auxquels font face les médias d'information au Canada, ou n'importe où ailleurs, d'ailleurs. Les médias d'information cherchent des modèles d'affaires de rechange à une époque où les gens se désintéressent de l'actualité, où les médias sociaux jouent un rôle moins important pour diriger le public vers les médias d'information, où la publicité est en baisse et montre peu de signes de reprise et où la volonté des Canadiens de payer pour les nouvelles numériques a en fait diminué. Je pense que c'est en grande partie parce que l'offre n'est pas formidable, alors pourquoi voudraient-ils payer pour cela?
À l'instar de Mme Gerson, je ne comprends pas très bien la nature des états généraux. J'ai pensé me concentrer sur la pertinence d'un soutien gouvernemental au secteur de l'information, sur la façon dont cette question pourrait être traitée dans une discussion et sur ce dont il faudrait parler.
Je pense que cette discussion a un rôle à jouer, ne serait‑ce que pour aider les Canadiens à comprendre qu'ils ont de moins en moins accès aux nouvelles dont ils ont besoin pour participer efficacement au processus démocratique, s'engager auprès de leurs collectivités et naviguer dans la vie quotidienne. L'été dernier, un sondage mené par le gouvernement a révélé que plus de la moitié — environ 56 %, je crois — des personnes interrogées pensaient que le nombre de médias d'information était resté le même au cours des 10 dernières années. Cette perception a changé lorsqu'on a présenté aux participants des données sur le nombre de médias d'information qui ont fermé leurs portes. Lorsqu'ils ont pris connaissance de cette situation, 47 % des gens ont dit que c'était préoccupant.
Soit dit en passant, ces données proviennent de Local News Map, une ressource que je dirige. Notre plus récent rapport montre que plus de 500 organes de presse locaux ont fermé leurs portes au cours des 15 dernières années. Les trois quarts d'entre eux étaient des journaux communautaires. Seulement la moitié d'entre eux ont été lancés au cours de la même période, et la plupart sont sans surprise des acteurs numériques. Je pense qu'ils jouent un rôle croissant et important dans le paysage médiatique, en particulier dans le milieu des nouvelles locales.
Il y a une autre question qui, à mon avis, doit être abordée dans le contexte du rôle du gouvernement dans le soutien des nouvelles locales. Il faut se demander si le gouvernement dispose en fait de l'information dont il a besoin pour prendre des décisions éclairées au sujet des politiques qu'il adopte. Par exemple, malgré toutes les conversations à ce sujet, nous ne savons pas vraiment où se trouvent les vrais déserts d'information, à savoir les endroits où il n'y a pas de nouvelles locales au Canada. Comment élaborera‑t‑on une bonne politique si nous ne savons pas vraiment où les besoins sont les plus grands? Comment peut‑on corriger cette situation? Je pense que c'est un casse-tête pour les médias d'information.
Nous ne savons pas non plus quels médias d'information existent à l'échelon communautaire partout au pays. Choisissez un endroit sur la carte. Nous n'avons aucune idée de la situation là‑bas en ce qui concerne les fournisseurs de nouvelles locales. Pourrait‑on créer un répertoire interrogeable, d'abord à des fins d'élaboration de politiques, mais aussi, ce qui est encore plus important dans un monde de plus en plus complexe, pour fournir aux gens une ressource leur permettant de trouver des sources de nouvelles locales qu'ils peuvent directement consulter?
J'ai une autre suggestion à formuler. Quelle que soit la forme que prendront les états généraux, il devrait y avoir une conversation sérieuse sur le rôle de la SRC à un moment où des organes de presse ferment leurs portes, réduisent leurs services et disent aux Canadiens qu'ils n'ont pas les moyens de couvrir les nouvelles dans leur collectivité tout en répondant aux besoins de leurs actionnaires. À quoi ressemblera le paysage médiatique local si on coupe les vivres au service de langue anglaise de Radio‑Canada comme le propose le Parti conservateur du Canada? Pensons-nous que les médias à but lucratif vont se lancer dans une frénésie d'embauches pour combler les lacunes?
De plus, dans quelle mesure le fait de sabrer des millions de dollars dans le budget de la SRC — comme on le fait actuellement — a‑t‑il une incidence sur la couverture locale? La SRC ne nous l'a pas encore dit.
Lorsque je parle de ce que j'entends par une discussion éclairée sur le rôle du radiodiffuseur public, je parle d'une discussion nous permettant de parler de la quantité croissante de recherches universitaires qui établissent un lien entre des médias publics forts et une foule d'avantages. Il a été démontré qu'ils produisent des nouvelles plus diversifiées et plus étoffées que leurs homologues commerciaux. Les médias publics ont également tendance à produire des émissions qui répondent davantage aux besoins des collectivités pauvres et des populations défavorisées, que les médias à but lucratif ont tendance à négliger.
Des recherches montrent que les médias publics et les médias privés subventionnés par l'État ne sont pas moins critiques à l'égard du gouvernement que les médias privés non subventionnés. Jetez un coup d'œil au National Post.
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Bonjour. Je vous remercie de m'avoir invitée à contribuer à votre réflexion sur l'état des médias au Canada et sur leur avenir. Cette question est au cœur de mon travail comme chercheuse et comme enseignante à l'Université Laval, depuis maintenant plus de 20 ans.
Depuis 2020, je préside le Comité consultatif indépendant sur l'admissibilité aux mesures fiscales relatives au journalisme, associé à l'Agence du revenu du Canada. Cette expérience m'a permis de me familiariser davantage avec la diversité du paysage médiatique canadien et de participer à la mise en œuvre d'une politique innovante en matière d'aide aux médias écrits traditionnels et 100 % numériques.
J'interviens aujourd'hui à titre de directrice du Centre d'études sur les médias, sans but lucratif, voué à la recherche et au transfert de connaissances, et fondé en 1992.
Je vais reprendre ce qu'ont dit d'autres intervenants, c'est-à-dire que ce débat que vous engagez, avec nous et avec les Canadiens, sur la question de l'information et des médias doit être centré, d'abord et avant tout, sur le public, sur ses besoins et sur son intérêt. C'est une banalité, mais je pense qu'il est important de la répéter.
L'accès a une information complète, fiable et de qualité sur les affaires publiques est une condition fondamentale de la démocratie — encore une fois une banalité —, mais c'est aussi un problème très ancien. Je pense qu'il n'y aura pas grand désaccord, ici, sur le fait que la situation actuelle est particulièrement critique. Il s'agit d'une crise sans précédent en raison de la rapidité et de la complexité de l'ensemble des transformations en cours, qu'elles soient technologiques ou économiques, sans oublier les interventions malveillantes sur les contenus d'information.
La crise que nous subissons est d'abord une crise économique et structurelle, mais aussi, et de plus en plus, une crise de confiance et une crise de pertinence du journalisme dans la vie quotidienne des citoyens. C'est personnellement ce qui me préoccupe le plus. Pourquoi essayer de repenser le modèle d'affaires ou de rebâtir la confiance du public si l'information ne fait pas partie de la vie de tous les jours, si elle a peu d'importance ou, pire, comme on le voit de plus en plus, si les gens cherchent activement à éviter les nouvelles?
Je vous invite à considérer les citoyens comme les points de départ et d'arrivée de votre réflexion. Ce n'est pas pour minimiser la précarité de la situation des journalistes, des entreprises, des syndicats et du milieu journalistique dans son ensemble, depuis plusieurs années, et particulièrement au cours de la dernière année. Les compressions se comptent maintenant par milliers. Au contraire, les conditions de travail et la santé financière des médias, quels qu'ils soient, anciens ou nouveaux, ont un impact direct sur la qualité et la quantité des nouvelles. Il faut soutenir les médias, mais en ayant d'abord en tête les besoins et les intérêts des citoyens. Je crois qu'on peut ainsi cibler plus précisément les meilleurs moyens d'action.
Depuis 2016, le Centre d'études sur les médias est le partenaire canadien du Digital News Report, une enquête internationale annuelle sur la consommation et les perceptions des nouvelles sur diverses plateformes. Nous avons aussi produit quelques études qualitatives sur les pratiques informationnelles des citoyens, en particulier celles des jeunes adultes. Il se dégage de ces travaux plusieurs tendances que vous connaissez sans doute.
Depuis une dizaine d'années, les plateformes numériques ont dépassé la télévision comme mode principal de consommation de l'information, et les médias sociaux sont devenus la source par défaut pour beaucoup de gens, même si la majorité d'entre eux ont une perception plutôt négative de ces plateformes en matière d'information.
Nous avons aussi publié un sondage, réalisé en septembre dernier auprès des Québécois et portant sur le blocage des nouvelles par Meta à la suite de l'adoption de la Loi sur les nouvelles en ligne. Cette étude a démontré que la plupart des gens étaient conscients de cette mesure, qu'ils en étaient concernés et qu'un tiers avait déjà adopté des pratiques différentes pour s'informer. Les répondants considéraient aussi que le gouvernement avait un rôle important à jouer pour assurer l'accès à une information de qualité.
À quoi pourraient ressembler des mesures orientées vers les besoins informationnels des citoyens? Une aide accrue aux médias d'information locale…
Cela pourrait être une aide accrue accordée aux médias d'information locale et régionale, y compris les médias communautaires, autant écrits qu'audiovisuels, afin d'assurer un accès à tous à une information de proximité. Cela prend également un soutien ciblé pour rapprocher l'information des centres d'intérêt et des modes de consommation privilégiés par les publics, en particulier les jeunes publics.
Pour ce qui est des crédits d'impôt, je m'abstiendrai de commentaire, puisque je suis directement impliquée là-dedans. Toutefois, pour mes étudiants et les journalistes, j'ajouterais que cela prendrait des programmes de formation continue et des stages rémunérés ayant pour objectif de développer la pertinence du journalisme pour les citoyens.
Depuis 1967, le Cégep de Jonquière est un pionnier de la formation technique dans le domaine des communications et des médias. Nous avons instauré un diplôme d'études collégiales de trois ans offrant un choix de trois profils: journalisme, radio et production télévisée. Tout cela est offert sous le même toit, au Saguenay—Lac‑Saint‑Jean, à l'École supérieure en art et technologie des médias. Quelque 50 ans plus tard, l'offre de programmes a évolué avec l'industrie médiatique québécoise. Pour l'année scolaire actuelle, 2023‑2024, on retrouve 850 étudiants et étudiantes dans l'ensemble de nos trois programmes.
Nous formons les talents de demain. L'École supérieure en art et technologie des médias est la plus grande école de formation technique dans le domaine des médias en langue française au pays. Il est sûr que les bouleversements actuels dans le monde des médias nous préoccupent au plus haut point, puisque nous sommes dans ce domaine. Nos médias représentent notre culture, notre identité et notre démocratie. Ils racontent nos histoires, témoignent de la grandeur de notre pays, remettent des choses en question et aident à développer une pensée critique et libre pour notre démocratie. À l'ère de la désinformation et de la mondialisation, notre mission de former la relève est encore plus importante. Le Cégep de Jonquière est ancré dans la région du Saguenay—Lac‑Saint‑Jean, qui est reconnue pour sa présence journalistique forte. Nous avons de nombreux médias écrits, télévisuels et radiophoniques.
Je vais vous donner un exemple concret et récent des effets de la crise, découlant de la décision de Bell, annoncée la semaine dernière, d'abolir des postes en radiodiffusion. Lundi matin, alors que je me rendais au travail en voiture, à une des deux stations de Bell, le bulletin d'actualités régionales avait été remplacé par un bulletin « local », provenant du réseau de Montréal. Les trois nouvelles de la journée concernaient Trois‑Rivières, qui est à 330 kilomètres du Saguenay, un procès à Chicoutimi, qui nous touche, et la variation des températures à Gatineau, Montréal et Sherbrooke. Il n'y avait rien sur la situation de la pêche blanche à La Baie, ni sur le projet de parc éolien à Mashteuiatsh. Ces sujets étaient dans le quotidien du matin, mais on n'en parlait pas à la radio.
Il est vrai que les médias subissent les effets de la crise actuelle à l'échelle nationale, mais c'est l'information de proximité qui sera la plus touchée à court terme. C'est déjà le cas. Les 29 février et 1er mars prochains, nous avons entrepris de rallier tous les acteurs médiatiques provenant de 11 régions du Québec autour d'un sommet visant à réfléchir à des pistes de solution pour l'avenir de l'information régionale. On y parlera notamment de financement, de façons de faire et de la place que les jeunes peuvent prendre dans l'industrie médiatique. Nous croyons que notre statut d'institution d'enseignement supérieur peut être fédérateur et permettre de rassembler toutes les parties pour discuter ensemble: employeurs, employés, syndicats, membres des gouvernements, étudiantes et étudiants, acteurs sociaux, et plus encore. Au fond, une information de qualité profitera à toutes et tous. Cela dit, est-ce que ce sommet sur l'avenir de l'information régionale réglera tout? Même avec mon positivisme normal, la réponse est non, mais c'est minimalement un pas dans la bonne direction.
Devant la crise actuelle, il faut être en mesure d'établir un dialogue et de proposer des solutions novatrices et pérennes. De plus, il faut délaisser la quête de l'augmentation des profits et sortir de la rhétorique qui empêche tout avancement et tout changement. Nos médias n'auront pas d'autre choix que de modifier leur approche pour poursuivre. Faire plus avec moins est une belle théorie, mais c'est probablement peu viable à long terme pour notre société. Nous devons utiliser les changements requis comme vecteurs de développement et faire autrement ensemble, parce que c'est en étant regroupés, et non isolés, que nous sommes les plus forts. Ce n'est pas uniquement l'affaire des dirigeants d'entreprises ni seulement celle de leurs employés ou du gouvernement.
L'information est un droit fondamental dans notre démocratie. C'est le devoir de tous d'être derrière cette idée. Dans une discussion avec une enseignante, la semaine dernière, elle me rappelait que les pays les plus démocratiques avaient tous des médias actifs en quantité et libres de remettre des choses en question. Quand il y a peu de médias et qu'ils sont discrets parce que la presse n'est pas libre, c'est un signe que le pays est peu démocratique. Est-ce vers cela qu'on veut aller?
:
La Guilde canadienne des médias est reconnaissante de l'occasion qui lui est offerte de parler de cette question qui revêt une grande importance pour les Canadiens et qui constitue une priorité pour ses membres, soit les travailleurs des médias. Il s'agit de la crise que traverse le secteur des médias canadiens en raison de la domination des entreprises numériques étrangères.
La Guilde croit que préserver les emplois dans les médias canadiens, protéger le journalisme canadien de qualité et garantir l'accessibilité à du contenu canadien permettront d'assurer la vitalité du secteur des médias canadiens. En tant que pierre angulaire de notre démocratie, les médias canadiens jouent un rôle crucial lorsqu'il s'agit d'informer les citoyens et de leur donner voix au chapitre. Or, pour accomplir cette mission, il nous faut absolument une main-d'œuvre solide et résiliente. Les travailleurs des médias sont l'épine dorsale de notre écosystème de l'information. Ils ne ménagent aucun effort pour rechercher, communiquer et diffuser des nouvelles qui façonnent le débat public.
Je suis une travailleuse des médias qui compte 30 années d'expérience. J'ai commencé à travailler à l'époque où nous coupions des bandes pour faire de la radio. Puis, avant de prendre mes fonctions de présidente de la Guilde canadienne des médias, j'ai été réviseure de nouvelles numériques. Dans un sens, j'étais la personne qui révisait les nouvelles qui étaient mises en ligne sur le site Web de Radio-Canada, dans l'Ouest du pays. Moi-même, nous tous, les travailleurs des médias sommes passés d'un type de média à un autre type, puis à un autre. Ce sont des moyens de communication différents. Ce qui est important, c'est le message. Les médias ne cesseront de changer.
En tant que présidente d'un syndicat qui représente les travailleurs des médias canadiens, j'estime qu'il est primordial de protéger nos droits du travail au sein de l'industrie des médias. Protéger les droits des travailleurs des médias à des salaires équitables, à des conditions de travail sécuritaires et à la négociation collective, c'est préserver la dignité et le bien-être de ces travailleurs et renforcer l'intégrité de nos institutions médiatiques.
La mésinformation et la désinformation posent de sérieux défis à l'intégrité et à la crédibilité des médias canadiens. Elles minent la confiance du public, perturbent le discours démocratique et sapent la crédibilité de sources d'information légitimes. Nous croyons qu'en renforçant la résilience des médias canadiens contre la menace que représentent la désinformation et la mésinformation, nous pouvons protéger l'intégrité de nos institutions démocratiques et veiller à ce que les Canadiens aient accès à des informations canadiennes fiables.
La Guilde canadienne des médias croit que pour préserver et célébrer leur culture, les Canadiens doivent avoir accès à des informations qui sont racontées par des membres de leur collectivité. Présenter le Canada aux Canadiens est le mandat de certains radiodiffuseurs publics, mais c'est aussi l'objectif quotidien de tous les travailleurs des médias canadiens. Les médias comme TVO, APTN et CBC/Radio-Canada jouent un rôle essentiel en façonnant et en mettant en valeur le caractère unique de notre nation en offrant des plateformes pour que s'expriment les voix et les points de vue canadiens.
[Français]
Québécoise et Acadienne, j'ai grandi à Dieppe, au Nouveau‑Brunswick. Notre culture était nourrie au quotidien par des médias qui nous parlaient de nous et le faisaient dans notre langue. C'est un cadeau qui, encore aujourd'hui, n'est pas offert à tous les Canadiens.
[Traduction]
J'avais espéré que Bruce Spence, le président de notre sous-section APTN, m'accompagne aujourd'hui, mais ce n'était pas possible. Je parle humblement en son nom et en celui des membres d'APTN, dont le travail consiste à couvrir des événements et des sujets pertinents pour leur public, d'un point de vue que les grands médias d'information ne peuvent pas leur donner.
La Guilde canadienne des médias est d'accord avec Bruce Spence, qui croit que chaque groupe tribal du pays devrait avoir son propre réseau APTN — son propre réseau de médias — à l'échelle régionale et locale. Ainsi, les membres de chaque groupe entendraient leur langue et apprendraient les concepts sociétaux qui s'y rattachent dans leur foyer, peu importe où il se trouve. Le travail accompli par APTN est essentiel pour soutenir la culture autochtone et s'inscrit dans le cadre des recommandations de la Commission de vérité et réconciliation du Canada.
Je ne vais pas parler de l'obtention de sources de financement pour les médias canadiens, un élément qui est essentiel pour que le paysage médiatique soit diversifié et dynamique.
Je vais passer directement à nos recommandations. Dans le cadre des états généraux, je demande que l'on examine les mécanismes de financement public, les modèles de financement novateurs et les partenariats pour les médias publics et privés; que l'on se penche sur des moyens de protéger chaque collectivité avec les travailleurs des médias ainsi que les médias dont elle a besoin pour faire entendre sa voix et raconter ses histoires; et que l'on réfléchisse à des moyens de soutenir un journalisme canadien de qualité, ce qui comprend les connaissances médiatiques, l'éducation et des moyens de demander davantage de comptes aux créateurs et aux distributeurs de l'information. La Guilde recommande, en outre, que l'on détermine les meilleures façons d'aider les Autochtones du Canada qui souhaitent devenir des travailleurs des médias.
Je vous remercie beaucoup de m'avoir donné l'occasion de m'adresser à vous et de vous faire part de nos réflexions.
Je vais terminer en faisant une dernière réflexion qui me semble très importante. Il ne s'agit pas seulement du média. Il s'agit de transmettre un message aux Canadiens. Lorsque vous adoptez des règles ou des lois ou que vous prenez des décisions, ne pensez pas uniquement à la télévision et à la radio. Ce n'est pas une question d'ondes. Il s'agit de transmettre un message de qualité aux Canadiens. La façon dont ce message est transmis aux Canadiens va changer et, à l'heure actuelle, les gens se tournent vers d'autres sources.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Je remercie tous les témoins de prendre le temps de nous rencontrer aujourd'hui. Je sais que, dans certains cas, vous êtes ici malgré un très court préavis et nous vous sommes très reconnaissants des efforts que vous avez déployés pour venir témoigner.
Ma première question porte sur certaines des choses que nous avons observées dernièrement — ces derniers jours. Nous savons que l'entreprise Bell a décidé de licencier environ 4 800 employés et qu'elle a prétendu avoir pris cette décision en raison de la réglementation gouvernementale. Les projets de loi et lui ont nui, tout comme l'obligation de partager le spectre pour lequel elle avait construit une infrastructure. Les politiques que le gouvernement fédéral a mises en place ont été extrêmement néfastes, non seulement pour Bell, mais aussi pour l'industrie de l'information. Nous savons que 600 de ces employés étaient des journalistes.
Cela étant, nous discutons aujourd'hui de la possibilité pour le gouvernement fédéral de tendre à nouveau la main en participant à des états généraux — ou du moins à l'élaboration du mandat qui serait confié dans ce cadre — et de la question de savoir s'il serait approprié que des organes médiatiques tiennent de tels états généraux. Il me semble bizarre que le gouvernement détermine s'il est approprié ou non que des entreprises de nouvelles se réunissent, comme si la décision lui appartenait. Pourquoi les entreprises de nouvelles ne peuvent-elles pas se réunir de leur propre chef, avoir des discussions fructueuses et, si elles le souhaitent, inviter des intervenants du gouvernement à venir écouter ce qu'elles ont à dire?
Toutefois, je voudrais également souligner les effets préjudiciables qu'a eus l'adoption des projets de loi et . Bien sûr, le projet de loi C‑11 a érigé des murs autour des créateurs numériques. Au sujet du point soulevé par Mmes Gardner et Gerson — et je crois qu'un autre témoin l'a soulevé —, en fait, tant de gens obtiennent leurs nouvelles auprès de créateurs numériques et sur des plateformes numériques. Avec le projet de loi C‑11, des murs ont été érigés autour d'eux, ce qui a eu pour effet de limiter leur portée. En outre, le projet de loi C‑18 a empêché les Canadiens d'avoir accès à des nouvelles. Il n'a pas généré davantage de choses pour le bien public, au contraire.
De plus, les 300 à 350 millions de dollars qui devaient être versés à l'industrie de l'information pour la soutenir ont été présentés comme un moyen d'aider les journaux... En fait, Facebook a refusé d'être réglementée. Ensuite, Google a rencontré le gouvernement à huis clos, a conclu une entente louche en coulisses, a en fait obtenu une exemption du projet de loi et a créé une autre entente dans le cadre de laquelle elle s'engage à verser 100 millions de dollars aux médias d'information de son choix. De plus, les 100 millions de dollars ne sont pas vraiment 100 millions de dollars, car 25 millions de dollars auraient déjà été versés, de sorte qu'il ne s'agit en réalité que de 75 millions de dollars. Tout cela pour dire que bien des promesses exagérées ne sont pas tenues lorsque le gouvernement intervient.
Ma question s'adresse d'abord à Mme Gerson. Si le gouvernement devait ne pas intervenir — je crois que j'ai expliqué en quelques points pourquoi ce serait une mauvaise idée —, quelles sont les solutions de rechange pour assurer la longévité de l'industrie de l'information au Canada?
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Il y a deux points que je souhaite soulever en réponse à cette question.
Premièrement, si nous sommes réunis ici, au comité du patrimoine, pour décider qui va payer l'addition pour la boisson dans le cadre des états généraux, je n'ai rien contre. S'il doit y avoir un groupe de journalistes, nous nous attendons à ce que le bar soit ouvert.
Deuxièmement, si je suis à la place du gouvernement fédéral et que je m'inquiète du déficit démocratique auquel ce pays est confronté en raison du déclin des médias ou de l'effondrement du modèle d'affaires des médias, je dispose déjà de deux énormes leviers que je peux utiliser pour commencer à rééquilibrer les choses sans parler des projets de loi et , sans parler de nouvelles mesures législatives et sans nécessairement parler d'un nouveau financement de la part des contribuables.
Le premier levier est CBC/Radio-Canada et je crois que Mme Lindgren a déjà soulevé ce point. Si nous accordons une grande importance à l'information locale et que nous sommes préoccupés par les déserts d'information, il me semble que là où le gouvernement fédéral a déjà une incidence énorme sur cette industrie, c'est par les médias publics.
J'ai eu des discussions très intéressantes avec des conservateurs, qui sont très en colère contre CBC/Radio-Canada, qu'ils perçoivent comme étant très partiale, ce qui est — à tort ou à raison — la position d'un grand nombre de Canadiens de toutes les allégeances politiques. Je pense que dans sa forme actuelle, CBC/Radio-Canada ne peut pas jouer le rôle qu'elle devrait jouer pour essayer de combler une grande partie du déficit démocratique auquel nous sommes confrontés.
Je pense qu'il faut repenser fondamentalement ce qu'est CBC/Radio-Canada et aussi l'imaginer comme un organe médiatique beaucoup plus axé sur le local qui ne serait pas en concurrence avec des organes privés et qui aurait, par exemple, des journalistes mandatés dans toutes les villes d'environ 100 000 habitants. Il pourrait s'agir d'une société d'État qui se considère moins comme un concurrent des radiodiffuseurs privés et davantage comme une bibliothèque publique de journalisme. Il pourrait s'agir d'une société d'État qui se considère comme un fournisseur d'informations, de vidéos et de contenus audiovisuels pour tous les Canadiens, qu'ils peuvent utiliser à leur guise pour créer leurs propres pratiques journalistiques locales, leurs propres balados et ainsi de suite. Je pense qu'il est évident que le gouvernement fédéral doit concentrer son énergie là‑dessus.
Nous allons passer à la prochaine intervention de six minutes, soit aux libéraux, à Anna Gainey.
Avant de donner la parole à Mme Gainey, j'aimerais apporter une précision. Le Comité permanent du patrimoine canadien n'est pas un comité gouvernemental. C'est un comité formé de députés de chaque parti politique — le NPD, le Bloc, le Parti conservateur et le Parti libéral.
Le Comité composé de représentants de tous ces partis a voté en faveur de cette étude. Nous ne formons pas un organisme gouvernemental qui décide ce que le gouvernement doit faire. Il s'agit ici d'une étude qui a été proposée par un membre du Comité et tout le monde a pensé que c'était une bonne idée.
Je voulais seulement expliquer ce qui se passe ici. Merci beaucoup.
Madame Gainey, vous disposez de six minutes.
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Je pense qu'il est important de ne pas limiter cela au secteur lui-même. En fait, il faut plutôt appeler la participation de tout le monde. Je suis d'accord avec les nombreux témoins d'aujourd'hui selon lesquels il faut penser aux citoyens d'abord. Les journalistes ne travaillent pas dans le vide, ils travaillent pour apporter des nouvelles aux citoyens canadiens. Ils ne font pas cela pour faire de l'argent, car ce n'est pas un métier qu'on fait pour se faire de l'argent. C'est un métier qu'on fait parce qu'on veut informer ses compatriotes, parce qu'on veut transmettre des nouvelles à tout le monde.
Il est important de savoir ce que veulent et cherchent les Canadiens, et ce que nous pouvons leur donner en tant que travailleurs des médias. Nous pouvons parler de financement et de tout le reste, mais, en fin de compte, il faut absolument qu'il y ait au Canada un journalisme de qualité produit par des Canadiens pour les Canadiens. L'important est de ne pas être soumis à des informations qui nous viennent d'ailleurs.
Il est aussi crucial d'avoir des journalistes dans les régions, à proximité de la population; il faut que les gens puissent se voir et se reconnaître. Je ne parle pas seulement des francophones en milieu minoritaire ou hors Québec et des anglophones en milieu minoritaire au Québec, mais aussi des Premières Nations qui se trouvent un peu partout au Canada. D'ailleurs, CBC/Radio-Canada, où j'ai travaillé pendant 30 ans, vient de commencer à augmenter sa présence dans le Nord. Il importe cependant que cette présence soit composée de membres des communautés du Nord, qui puissent parler à leurs collègues et aux gens de leur communauté.
Il s'ajoute à cela de nombreuses facettes, comme le niveau d'éducation, c'est-à-dire la formation des journalistes, et la transmission de l'information aux communautés. Comment s'assure-t-on que le paysage médiatique au pays a plusieurs facettes? Nous ne pouvons pas avoir seulement un, deux ou trois médias d'information. Comme quelqu'un l'a mentionné, il faut avoir de multiples sources d'information. Aucun journaliste ne publiera une nouvelle en s'appuyant juste sur une source; il va aller chercher deux ou trois sources. C'est la même chose pour les médias. Les citoyens doivent avoir accès à de nombreuses sources pour avoir une meilleure information et pour prendre des décisions éclairées dans un pays démocratique.
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Merci, madame la présidente.
Ma question s'adresse à vous, madame Lindgren. Nous parlons de l'importance de ce secteur, de l'importance du journalisme et de l'importance d'avoir des discussions sur le journalisme et les médias indépendants dans ce pays. Hier, les Canadiens ont été témoins d'une attaque du chef du Parti conservateur, , qui a discrédité un journaliste. Il s'en est pris au journaliste. Il a utilisé toutes sortes de tactiques pour éviter de répondre à une simple question en s'attaquant à l'intégrité d'un journaliste.
Puisque vous êtes professeure de journalisme, quel message pensez-vous que cela envoie aux jeunes qui veulent se lancer dans le secteur du journalisme? Quel message cela envoie‑t‑il à ceux qui croient à la liberté de presse dans ce pays?
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Je pense que ce genre de réponses à des questions légitimes visant à obtenir des informations au nom du public — parce que c'est ce que font les journalistes — nuit au journalisme en général et mine la notion de confiance et nous l'avons vu s'affaiblir au fil du temps.
Les journalistes ne sont pas parfaits. Nous faisons des erreurs et il ne faut pas les laisser passer, mais je pense que remettre en question l'intégrité d'un journaliste alors qu'il fait essentiellement son travail pose vraiment problème. Cela nuit à l'ensemble du processus.
Les journalistes font un travail que les gens ne peuvent pas faire dans leur vie normale parce qu'ils travaillent, ils élèvent leurs enfants. Les journalistes sont présents pour poser des questions au nom du public.
Je dis à mes étudiants qu'il ne faut pas se laisser intimider. Nous ne pouvons pas abandonner. Nous devons persévérer, même si la bataille semble parfois très difficile, comme le montrent ce genre de réponses. Par ailleurs, les attaques, verbales ou autres que subissent des journalistes dans l'exercice de leurs fonctions — comme les journalistes de télévision qui se font harceler sur le terrain — s'inscrivent dans le contexte d'une érosion du processus démocratique, ce qui fait en sorte qu'il est plus difficile pour les gens d'obtenir l'information dont ils ont besoin pour participer à la vie démocratique à l'échelle locale.
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Merci, madame la présidente.
Je vais commencer par une mise au point. J'ai entendu beaucoup de commentaires, de questions et de préoccupations sur la participation du gouvernement et de ce comité à des états généraux sur les médias d'information.
Le but de l'étude que nous sommes en train de faire actuellement est de savoir qui sera le mieux placé pour faire ce genre d'étude et quelles sont les meilleures façons de faire. Ce n'est certainement pas au gouvernement de s'en mêler, de mettre les deux mains là-dedans, mais je pense que notre comité peut, comme il le fait aujourd'hui, rassembler des gens et poser les questions qui vont mener à la tenue d'états généraux qui seront faits de façon objective, de façon constructive et sans partisanerie. C'est le but de la réunion d'aujourd'hui.
Pour répondre à l'inquiétude exprimée par Mme Gardner tantôt, je ne pense pas non plus que les médias devraient être les seuls à prendre en charge cette étude. Il faut qu'un paquet d'acteurs de différents horizons du milieu de l'information se rejoignent et prennent en charge cette étude. C'est d'ailleurs pour cette raison que je suis content d'avoir M. Fortin parmi nous aujourd'hui.
Monsieur Fortin, l'École supérieure en art et technologie des médias du Cégep de Jonquière a publié une lettre éclairée au mois de novembre, comportant les signatures de 67 personnes, dont des professeurs de l'École, souhaitant exprimer leur inquiétude sur l'avenir des médias. Cette lettre a mené au sommet sur les médias régionaux que vous organiserez les 29 février et 1er mars.
Selon vous, qui devrait être autour de cette table pour discuter de l'avenir des médias? Est-ce que ce sont les médias ou des experts? Qui voyez-vous autour de cette table et qui avez-vous invité à cet événement?
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En fait, tout le monde est concerné et je ne pense pas que la bonne solution vienne nécessairement d'une seule personne. Les médias doivent être présents, parce que ce sont eux qui vont devoir prendre les décisions et orienter leurs travaux. Les journalistes, qui sont des employés, doivent eux aussi y participer. Les syndicats et les gens des communautés ont également leur place autour de cette table. Cette rencontre est autant pour les acteurs politiques que les acteurs communautaires.
Je vais reprendre ce qui a été dit tantôt en lien avec le journalisme de proximité dans les régions. Bien souvent, ce sont les gens dans le secteur communautaire qui sont les plus touchés par la crise des médias. En effet, lorsqu'ils ont besoin de faire connaître quelque chose au public, mais qu'ils n'ont plus de médias de proximité parce que ces derniers ont disparu ou se sont déplacés dans les grands centres, ces gens ne sont plus capables de faire transmettre leurs messages à la population.
Il faut avoir une concertation de tout le monde. Tout le monde doit pousser dans la même direction, et c'est un peu pour cette raison que nous avons choisi cette approche. À notre avis, il est important de soutenir l'éducation aux médias et de pousser dans cette direction. Dans le fond, nous formons des jeunes qui vont travailler dans ce domaine. Nous voulons vraiment rallier tout le monde autour de cette idée.
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Oui, bien sûr. Je vois mes étudiants toutes les semaines et nous discutons de ces questions. Ils sont de leur génération, ils sont tournés vers l'avenir et ils ont toutes sortes de raisons d'être optimistes et intéressés par les transformations de l'environnement médiatique numérique.
Évidemment, ils sont inquiets relativement aux perspectives d'emploi, car, comme je le disais tout à l'heure, même les stages rémunérés sont de plus en plus difficiles à trouver, particulièrement en région. Nous savons que beaucoup de médias ont besoin de jeunes travailleurs, qu'ils cherchent des gens, mais qu'ils ne sont pas en mesure de les payer.
Les étudiants sont passionnés. Je pense que M. Fortin et Mme Lindgren seraient d'accord avec moi pour dire que les étudiants nous donnent beaucoup d'espoir pour l'avenir, parce qu'ils sont dans cet univers. Ils ont toutes sortes de solutions créatives pour faire du journalisme sur les nouvelles plateformes, entre autres, et travailler avec ces jeunes nous donne beaucoup d'énergie. Il faut les écouter, il faut leur donner une place. Ils ne savent peut-être pas à quel point ils ont un rôle important à jouer. Il faut les écouter, c'est sûr.
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Monsieur Fortin, dans le cadre de la réflexion et de la discussion qui doit se tenir sur l'avenir des médias d'information, il y a certainement des constats qui sont difficiles à faire et qui vont faire mal par moments.
Pensez-vous que les médias traditionnels, les plus vulnérables présentement, sont capables d'entrevoir l'avenir avec optimisme, qu'ils sont prêts à encaisser des conclusions, formulées par les experts consultés dans le cadre de ces discussions, qui n'iraient pas du tout dans le sens espéré?
Sommes-nous capables et prêts, selon vous, à dresser un constat qui amènerait toute l'industrie des médias à se redéfinir et à se réinventer complètement pour faire face à l'avenir?
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Ma réponse sera sans doute décevante, mais je ne crois pas que ce soit le cas. Au fond, tout changement, dans toutes les sphères de la société, comporte des difficultés d'adaptation. Il faut vraiment une certaine volonté pour aller de l'avant et changer les choses.
Mon opinion rejoint un peu celle que Mme Brin vient d'exprimer sur le sujet. Il est vrai que les jeunes ont ce désir de changer les choses et de faire les choses différemment. Or, si nous vivons certains problèmes aujourd'hui dans les médias, c'est peut-être que nos jeunes en consomment moins. Il faut donc peut-être aussi regarder du côté de ceux qui ne sont pas encore étudiants au niveau collégial ou universitaire. Je pense ici aux jeunes des écoles primaires et secondaires, qu'il faut amener à porter un regard critique sur l'actualité et l'information. Ce sont ces jeunes qui formeront la société de demain. Il faut leur faire confiance et les pousser dans cette direction.
Il est sûr que le changement va être difficile. Cependant, je pense que, si nous ne nous occupons pas de la situation et ne consultons pas les jeunes pour qu'ils proposent de nouvelles idées et de nouvelles solutions à l'industrie, cette dernière ne changera pas d'elle-même demain matin.
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Merci, madame la présidente. Je remercie les témoins qui se joignent à nous aujourd'hui.
Au cours des dernières années, il est devenu évident que c'est au Canada où la consolidation des médias est parmi les plus importantes au monde. Nous savons que cette situation n'a fait qu'empirer ces dernières années. À l'heure actuelle, Postmedia possède plus de 80 % des journaux en circulation au pays. Je pense que cela représente environ 110 journaux.
Nous savons que la fusion entre Rogers et Shaw a entraîné la fermeture de stations de radiodiffusion d'un bout à l'autre du pays. La dernière annonce dévastatrice de Bell Média s'est soldée par l'annulation de bulletins de nouvelles locaux et régionaux dans tous les médias d'information.
Je dis souvent que le Canada est composé de trois conglomérats médiatiques qui portent un seul imperméable. Le fait est que le Canada et le gouvernement fédéral ont un rôle à jouer, non seulement pour surveiller ce qui se passe, mais aussi pour mettre un terme à l'enracinement de cet oligopole, qui n'a manifestement conduit qu'à la fermeture des médias d'information locaux, au licenciement de milliers de journalistes et de gens qui nous transmettent les nouvelles et à une réduction des points de vue auxquels nous nous attendons lorsque nous consultons les médias. Nous avons besoin d'un éventail de points de vue.
Ma question s'adresse à quelques témoins. Comme j'aimerais entendre un certain nombre d'entre vous, je vous prierais d'être brefs, si vous le pouvez.
Le regroupement des médias au Canada est‑il un problème? Le gouvernement fédéral a‑t‑il un rôle à jouer pour freiner les fusions, les acquisitions et l'expansion des conglomérats médiatiques qui ont eu lieu récemment, et qui ont entraîné des compressions dans les médias locaux et ailleurs, et qui sont à l'origine de la crise que nous traversons en ce moment?
Je vais d'abord me tourner vers Mme Gerson. Je crois que vous avez mentionné le mot « oligopole ». J'aimerais vous entendre à ce sujet.
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Je pense que, d'une certaine façon, il sera impossible de revenir en arrière. De les forcer à démanteler cette fusion, je ne sais pas... Il n'y a plus grand-chose à faire.
Je pense à la salle de rédaction du Ottawa Citizen où j'ai travaillé. En 1990, 190 personnes y travaillaient. Aujourd'hui, il y en a moins de 20.
Je pense qu'il faudrait plutôt se demander ce que l'on peut faire pour créer un environnement propice aux concurrents viables et aux nouvelles entreprises du secteur numérique. Il existe des modèles efficaces que nous pourrions examiner. Y a‑t‑il des moyens de favoriser cela?
À mon avis, la création d'occasions pour de véritables concurrents sera une solution bien plus viable que d'essayer de ranimer des salles de rédaction traditionnelles qui sont, souvent, plus ou moins actives.
Je vais changer un peu de sujet pour me concentrer sur les médias des régions rurales et sur tout le terrain que nous avons perdu dans ce domaine.
Je représente une circonscription dans le Nord du Manitoba, où les médias locaux ne tiennent littéralement qu'à un fil. Nos journaux comptent moins de 10 employés, et 10 employés, c'est même beaucoup. Ils sont confrontés à une panoplie de difficultés économiques.
Notre radiodiffuseur public, CBC/Radio-Canada, qui a le mandat d'offrir des nouvelles aux Canadiens, et qui a une station dans ma ville natale — Thompson —, n'a su remplir ce mandat de façon durable pendant les cinq dernières années au moins, bien que nous ayons été nombreux à dire que cette situation est inacceptable.
Les histoires et les points de vue de nombreuses collectivités dans ma région — communautés autochtones, régions rurales et nordiques — ne sont pas présentés, car il n'y a tout simplement personne pour le faire, et les médias qui existent n'ont que très peu, voire pas du tout, de moyens pour le faire. Malheureusement, CBC/Radio-Canada se dérobe à ses responsabilités, malgré son obligation de faire ce travail.
Madame Lindgren, votre proposition de cartographier les déserts médiatiques dans les régions nordiques et rurales du Canada m'a semblé très intéressante. Je me demandais si vous pouviez nous dire à quel point ce travail est important pour le gouvernement fédéral. Devrions-nous effectuer ce travail en ce moment?
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Merci, madame la présidente.
Je remercie tous les témoins d'être des nôtres.
J'aimerais d'abord féliciter le Cégep de Jonquière pour sa réputation d'excellence dans le domaine médiatique. J'aimerais aussi féliciter l'Université Laval pour ses programmes consacrés précisément à la communication et à l'information, de même que l'Université du Québec.
J'ai deux filles qui ont eu la chance de trouver un bon emploi dans le milieu des communications et de la production. Elles nous ont donné beaucoup d'espoir. Je pense que c'est le cas pour nos jeunes, présentement. Ce milieu est très compétitif. Il faut vraiment être conscient que les plateformes numériques ont complètement changé l'environnement, pour l'avenir. Au Canada, nous perdons des revenus médiatiques, qui vont outremer, dans les médias sociaux, ce qui est un défi majeur.
Monsieur Fortin, je vais revenir à nos jeunes, qui sont vraiment remplis d'espoir. Leur perception est qu'ils ont la vie devant eux. Ils ont de beaux projets en tête. Cela dit, est-ce que certains se découragent? Le taux de placement est-il encore intéressant pour eux, malgré le nombre d'étudiants qui passent par le Cégep de Jonquière?
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Je voudrais souligner que l'Initiative de journalisme local — un programme gouvernemental en vigueur — a permis à près de 1 200 journalistes de trouver un emploi dans des organismes de presse partout au pays. Leur mandat est de couvrir des sujets, des domaines ou des groupes dont on parle peu.
Il s'agit d'une belle occasion pour les journalistes en herbe. Je crois que le financement de cette initiative sera renouvelé. C'est donc une possibilité pour les jeunes et une solution parmi d'autres.
J'ajouterais qu'à l'avenir, il faudrait offrir une formation supplémentaire aux personnes qui obtiennent ces postes, car le contenu, d'après ce que nous avons vu, peut être très inégal. Il y a là une occasion de perfectionnement professionnel. Cette initiative permet aussi aux jeunes de faire leurs premières armes dans le métier en couvrant les collectivités, les gens et les questions dont il faut absolument parler.
La deuxième chose que j'aimerais dire à ce sujet...
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En fait, je ne crois pas qu'une réglementation qui prendrait la forme d'un contrôle ou d'une censure serait la solution. Je pense qu'il faut travailler en amont, ce que le gouvernement essaie de faire depuis plusieurs années, pour soutenir un écosystème d'information de qualité, plutôt que d'essayer de faire taire ou de censurer des voix que nous pouvons considérer comme problématiques. De toute façon, les sources de désinformation sont extrêmement habiles et nombreuses. C'est comme l'hydre à huit têtes: nous en coupons une et il y en a une autre qui repousse. Il s'agit presque d'une opération inutile.
Quand on fait du journalisme, il faut vérifier les faits, entre autres. Tout à l'heure, on a parlé d'éducation aux médias. Je pense que cela doit se faire dans les écoles, mais pas seulement là. Au Québec, on est en train de mettre sur pied le programme d'études Culture et citoyenneté québécoise, qui comprend un volet en lien avec l'éducation numérique. Des organismes non gouvernementaux comme HabiloMédias font beaucoup de travail vraiment intéressant dans les communautés et auprès des populations plus vulnérables. Par contre, c'est un combat qui est toujours à recommencer.
Nous parlons des médias d'information. Je pense qu'un écosystème médiatique d'information faible est un terrain propice à la désinformation. D'un autre côté, la désinformation vient aussi affaiblir la confiance des gens, puisque toutes sortes de théories conspirationnistes circulent au sujet des médias et des journalistes. Par exemple, pendant la pandémie, beaucoup de gens croyaient que les médias étaient complices du gouvernement, même si des reportages et des enquêtes critiquant le gouvernement étaient publiés. Selon moi, la désinformation est un symptôme de la crise dont nous parlons, et non un problème isolé.
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Les jeunes consomment les médias sociaux parce qu'ils ont grandi avec les médias sociaux et avec le numérique. Ils n'ont pas connu l'époque où la télévision, les médias écrits et la radio étaient les sources principales d'information. Les médias sociaux, c'est l'environnement de leur génération. Il est donc tout à fait normal qu'ils se tournent vers ces plateformes.
Lorsqu'on parle de l'évaluation de la fiabilité des informations, le sondage Digital News Report que nous avons mené démontre que les plus jeunes adultes ne font pas beaucoup de différence entre les sources ou les plateformes où ils les consomment. Pour leur part, les adultes plus âgés ont conservé aux médias traditionnels la confiance qu'ils leur portaient.
Il faut prendre acte de cela. Il ne faut pas blâmer les jeunes ou les pointer du doigt. Il faut plutôt comprendre leur réalité. J'ai deux enfants qui sont de jeunes adultes, et je leur pose des questions sur leur façon de s'informer et leur rapport à l'information sur ces plateformes. Je pense qu'on peut quand même utiliser les plateformes non traditionnelles de manière critique et intelligente. Le problème, ce n'est donc pas les plateformes.
Les entreprises comme Meta ont des comportements problématiques en matière d'information. Je pense que la réponse de Meta au projet de loi était une réponse démesurée et problématique. Je dis cela en tout respect pour la députée conservatrice. Ces plateformes ont aussi un rôle super intéressant à jouer dans la vie démocratique. Ce n'est pas tout noir ou tout blanc.
Je reviendrai, je l'espère, à la question des déserts médiatiques pendant la prochaine série de questions.
J'aimerais poser une question à la représentante de la Guilde canadienne des médias au sujet des journalistes et des travailleurs des médias qui ont perdu leur emploi.
Nous savons, bien sûr, que la Guilde canadienne des médias représente 6 000 travailleurs des médias canadiens. Compte tenu des mises à pied récemment annoncées par CBC et Bell, le travail que vous abattez ne pourrait être plus important.
Lorsque Catherine Tait, la présidente de CBC, a témoigné devant notre comité il n'y a pas longtemps, elle a dit que les compressions générales de 3 % avaient eu une incidence directe sur les suppressions d'emplois à CBC. Si ces pertes d'emplois se concrétisent comme prévu, moins de gens travailleront pour CBC qu'à l'époque la plus sombre du gouvernement de Stephen Harper.
À votre avis, quelle a été l'incidence des compressions effectuées par le gouvernement fédéral au budget de CBC sur les pertes d'emplois subies par les journalistes?
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Au fil des ans, à différents moments, les gouvernements, qu'ils soient conservateurs ou libéraux, ont sabré le budget de CBC. Le gouvernement canadien nous aime bien quand il n'est pas au pouvoir, mais il ne nous aime pas quand il est au pouvoir parce que nous, les journalistes, critiquons ou mettons en lumière le travail des gens au pouvoir. Bien sûr, il y a beaucoup de choses qui se font.
Je veux que les gens gardent à l'esprit que ce n'est pas seulement CBC qui est touchée. C'est CBC/Radio-Canada qui est touchée, donc s'il y a des pertes d'emplois, elles auront lieu des deux côtés. Nos membres à CBC/Radio-Canada ont un travail à faire. Ils essaient de remplir le mandat que le gouvernement canadien leur a confié, et ils ne peuvent pas faire ce travail s'ils n'ont pas les outils ou les effectifs nécessaires. Si un mandat leur est confié et que nous voulons qu'ils le remplissent, nous devons leur donner les outils dont ils ont besoin pour le faire.
Évidemment, nous plaidons pour un financement adéquat, stable et à long terme pour CBC/Radio-Canada. Cette société ne peut pas planifier ses activités à long terme et ne peut pas poursuivre son travail très important sans un financement stable. Les travailleurs des médias doivent être rémunérés à la hauteur de l'important travail qu'ils accomplissent. Comme tous les autres Canadiens, ils ont vu leur salaire baisser au fil des ans.
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Je vous remercie, madame la présidente.
Aujourd'hui, les gens n'ont plus confiance dans les médias. Je serai honnête. J'ai travaillé comme commentateur à la télévision pendant plus de 40 ans. Madame Gardner, la confiance est perdue. Nous avons même vu la présidente de CBC parler du manque de confiance dans sa propre organisation, sur sa propre tribune, à Toronto. C'est la même chose pour le groupe Torstar.
Le public a perdu toute confiance dans les médias. Je ne sais pas si cette confiance sera ranimée un jour, mais une fois que la confiance est brisée, les gens trouvent d'autres moyens de s'informer.
Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez?
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Bien sûr. Je vous remercie de votre commentaire. Il est très rafraîchissant parce qu'il est extrêmement vrai.
Lorsque j'ai appris que je témoignerais devant votre comité, j'ai dû annuler un rendez-vous chez mon audiologiste. J'ai fini par dire à la réceptionniste pourquoi je devais annuler mon rendez-vous. Elle m'a dit que l'intervention du gouvernement dans les médias d'information, d'une manière ou d'une autre, ébranlait complètement sa confiance dans ceux‑ci. Elle ne s'intéresse plus du tout aux médias d'information et n'écoute plus ou ne suit plus les nouvelles au Canada.
C'est un exemple quelconque, mais je pense que les statistiques indiquent qu'un peu plus de 50 % des adultes au pays ne font pas confiance aux médias d'information, et ce pour différentes raisons. Il faut regagner la confiance des gens.
Nous parlons beaucoup, lorsqu'il s'agit de ce problème, de l'offre ici et en général. Dans ces conversations, nous parlons de la manière dont nous pouvons garantir une production suffisante de contenu journalistique de bonne qualité et des conditions qui y seront propices. C'est une conversation qui est valable, mais il importe aussi de parler de la demande.
Pourquoi les gens ne consomment-ils pas les nouvelles? Pourquoi ne veulent-ils rien savoir des informations? De nombreuses raisons l'expliquent. Certaines n'ont rien à voir avec les problèmes auxquels l'industrie de l'information est confrontée. D'autres sont liées à l'explosion des choix qui sont offerts aux consommateurs. Nous pouvons faire une foule de choses pendant notre temps libre, mais nous ne regardons plus les nouvelles ensemble. Les informations ne nous sont plus présentées de la même façon qu'avant. Aujourd'hui, vous consultez les nouvelles sur votre téléphone. Vos enfants ne savent peut-être pas que c'est ce que vous faites, alors ils ne prennent peut-être pas l'habitude de lire les nouvelles.
De nombreux facteurs sont en cause, mais nous savons que les gens se sentent tenus à l'écart par ceux qu'ils perçoivent comme des personnes en position de pouvoir et d'autorité, notamment les médias d'information, les politiciens et les élus. Ils n'ont pas l'impression que ces personnes les défendent et agissent dans leur intérêt. C'est la raison pour laquelle ils ne se tournent plus vers les médias d'information. C'est un problème très grave.
Vous pouvez renforcer la confiance. Si les gens ne lisent pas les nouvelles, à quoi servent-elles? Nous avons tous intérêt à ce que les citoyens soient informés, à ce que la population comprenne ce qui se passe autour d'elle. C'est dans l'intérêt de tous. Lorsqu'un grand nombre de personnes — la moitié de la population — cessent de s'intéresser à ce qui se passe dans le monde, c'est un problème de société.
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Je me permets d'ajouter ceci. Statistique Canada a publié les chiffres suivants aujourd'hui: 13 % des anglophones et 23 % francophones ont une grande confiance dans les médias.
En tout cas, en juin, lorsque le projet de loi a été adopté, j'ai tout de suite su que Bell Média allait effectuer des compressions. J'avais travaillé pour cette entreprise. Je connaissais sa stratégie. Le jour même, les représentants de l'entreprise se sont adressés au CRTC pour dire qu'ils voulaient se retirer des nouvelles locales. C'était le jour même de l'adoption du projet de loi. Le Bloc m'a reproché ce commentaire à la Chambre. Quand je suis sorti, j'ai expliqué mon point de vue sur le projet de loi devant les trois ou quatre caméras à l'extérieur de la Chambre.
M. Champoux m'a décoché une flèche à la Chambre au sujet de Bell Média. Madame Gardner, vous m'appuyez. Vous avez dit que le projet de loi réduirait l'accès des Canadiens au journalisme. Le projet de loi C‑18 était une mauvaise idée dès le départ.
Pouvez-vous nous en dire plus au sujet de l'article que vous avez écrit pour m'appuyer, en juin, lorsque j'ai prédit que Bell Média cesserait d'exister?
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Je n'ai pas écrit cet article pour vous appuyer, mais oui, un certain nombre de personnes — moi y compris — trouvaient que le projet de loi était malavisé dès le départ, pour de nombreuses raisons. Je pense avoir dit très tôt, comme beaucoup d'autres, que ce n'était pas de la frime de la part de Facebook; Facebook allait bel et bien rester à l'écart. C'est ce que la compagnie a fait, réduisant ainsi l'accès des Canadiens aux nouvelles.
Le projet de loi n'apportera pas à l'industrie l'argent qu'on avait initialement prévu qu'il engendrerait. Je pense qu'une des estimations prévoyait que 100 millions de dollars proviendraient de Google, moins les coûts administratifs qui y sont associés et moins la valeur de l'entente actuelle, qu'on estime à environ 25 millions de dollars.
Le projet de loi va rapporter un peu d'argent à l'industrie, mais rien de l'envergure de ce qui était prévu à l'origine. Le coût est très réel. Des gens ici ont fait allusion à l'idée que Facebook est un désert. Eh bien, c'est en partie ce qui fait de Facebook un désert, si c'en est réellement un. La compagnie a cru ne pas avoir d'autres possibilités. Si on veut réduire la présence de quelque chose, on impose une taxe, et le projet de loi a réduit les options pour cette raison.
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J'ai présenté quelques-unes des conclusions dans mon allocution, mais je n'ai pas le document sous la main. Ce sondage annuel, qui contient beaucoup de données, est réalisé de concert avec le Reuters Institute for the Study of Journalism, à Oxford. Il s'en dégage, d'année en année, un déclin de la confiance et de l'intérêt que les gens portent aux nouvelles, comme le disait votre collègue. Cette année, l'aspect qui m'a marqué était vraiment le déclin de l'intérêt pour les nouvelles, ce qui était un peu le sujet de l'échange que Mme Gardner avait tout à l'heure avec M. Waugh. Les gens se détournent de l'actualité. Ce n'est pas tant qu'ils vont chercher des nouvelles ailleurs, mais qu'ils décrochent complètement des nouvelles. Il n'y a pas vraiment de nouvelles sources qui viennent remplacer les médias traditionnels.
En 2022, on a vu une augmentation de cet évitement actif des nouvelles, et ce, non seulement au Canada, mais dans plusieurs pays. Il est sûr que nous sommes surchargés de nouvelles et que l'année 2022 a été une année très difficile sur le plan de l'actualité, avec la guerre en Ukraine et la fin de la pandémie. On était tous écœurés, si vous me permettez l'expression. On voit que les gens se détournent de l'actualité. Pourquoi? C'est ce que j'essayais de dire dans ma présentation. Pour moi, c'est vraiment la question la plus importante.
Il y a des pratiques qui sont intéressantes, qui servent à rapporter aux gens une information de proximité, une information qui porte de l'espoir et des solutions. Il est sûr que les formes journalistiques qui sont les plus productives sont aussi des formes qui coûtent cher et qui sont complexes à mettre en œuvre. Les gens aiment l'information scientifique, les reportages explicatifs qui nous permettent d'apprendre des choses et qui — pardonnez-moi — vont au-delà des politiciens qui s'insultent. On aime les reportages qui nous aident à comprendre le monde dans lequel on vit, qui nous aident à réfléchir à des solutions ensemble et qui, bien sûr, sont en lien avec la vie quotidienne des gens. Il y a des choses qui sont porteuses d'espoir. Il y a des formats sur les nouvelles plateformes qui semblent très bien fonctionner, et qu'il faut donc continuer à explorer.
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Les médias québécois ont longtemps été protégés de la crise par la taille du marché, par un ensemble de programmes d'aide et, notamment, par la barrière linguistique et l'identité culturelle.
Cependant, on voit de plus en plus que cela change; mentionnons seulement l'utilisation des grandes plateformes de diffusion en continu, par exemple. Ici, on ne parle pas que de l'information, mais aussi de contenus médiatiques en général. On se tourne vers d'autres sources ou, plutôt, on se détourne des sources traditionnelles. On voit que la confiance à l'égard du secteur de l'information diminue aussi au Québec, alors qu'elle est traditionnellement plus élevée chez les francophones que chez les anglophones.
Il y a des défis particuliers au Québec. Je suis une Québécoise d'adoption, mais je suis Acadienne moi aussi et j'ai été Franco-Manitobaine dans ma jeunesse. Je pense que le Québec a beaucoup de ressources et de créativité pour s'en sortir. On a un gouvernement provincial qui s'investit beaucoup dans le domaine.
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Merci, madame la présidente.
Je ne suis pas favorable à l'amendement proposé par le NPD. D'abord, cela n'a aucun rapport. Nous voulons rencontrer les représentants de Bell et obtenir des réponses de leur part. Nous voulons consacrer une réunion à cette rencontre des grands dirigeants de Bell. Il va y avoir beaucoup de gens autour de la table, notamment des gens de Bell à Toronto et des gens de Bell à Montréal. Nous allons pouvoir parler des compressions dans les régions et des répercussions qu'elles ont.
Si on invite en plus les ministres à se joindre à cela, on ne verra pas le bout de cette réunion. De plus, si on veut faire une étude sur tout ce qui a mené à ces compressions, c'est autre chose, mais cela va nécessiter plus d'une réunion. Par conséquent, si le NPD veut proposer une motion pour demander aux ministres de comparaître à ce sujet-là, je n'y vois aucune objection, mais on pourra en discuter dans le cadre d'une motion séparée.
Dans le cas de cette motion-ci, nous voulons une rencontre avec les dirigeants de Bell afin d'obtenir des explications sur cette décision. Je ne pense pas qu'il y ait de la place pour ajouter des invités.
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La greffière aurait ainsi le temps de convoquer les témoins.
Très bien. Je mets aux voix la motion telle qu'elle a été présentée.
(La motion est adoptée par 7 voix contre 0.)
La présidente: La motion est adoptée. Nous tiendrons cette réunion de deux heures le 29 février.
Les témoins sont partis. Nous avons une chose à vous présenter. Il nous reste 10 minutes, chers collègues.
La greffière devait nous présenter un itinéraire de voyage et les coûts s'y rattachant. Je veux simplement vous rappeler que vous devez nous dire si vous êtes pour ou contre, parce que la demande devra bientôt être envoyée au Comité de liaison.
Voici ce que je vais vous dire avant que la greffière ne présente l'itinéraire. Vous avez entendu tout le monde dire que nous devons commencer à parler aux Canadiens moyens dans ce pays. C'est le but de l'exercice.
Allez‑y, madame la greffière. Nous avez-vous déjà distribué un document?
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Oui, s'il vous plaît. J'aimerais avoir une copie papier.
Y a‑t‑il des commentaires? Voulez-vous prendre le temps de le lire rapidement? Je ne vais pas suspendre la séance. Je vais vous donner trois minutes, ou deux, pour le lire — ou même une seule minute.
Des députés: Ha, ha!
La présidente: Comme vous pouvez le voir, les déplacements seraient au printemps de 2024, et il y a un itinéraire dans l'Ouest et un autre dans l'Est.
La greffière aimerait clarifier certaines des informations que vous avez reçues.
Allez‑y, madame la greffière.
Je pense qu'il n'y a pas de mal à demander au Comité de liaison s'il est ouvert à cette idée. Je siège également à un autre comité, et tous les voyages que nous avons proposés au cours des dernières années ont été rejetés, alors je n'ai pas beaucoup d'espoir.
J'ai également des réserves quant au coût et, bien franchement, quant au calendrier qui nous attend, mais je pense que ce n'est pas une mauvaise idée d'exprimer aux collègues qui examinent les plans de voyage que nous aimerions savoir ce qui se passe du côté des arts et de la culture. S'ils disent non, le sujet sera clos, et nous pourrons peut-être envisager d'autres études en déplacement plus tard si nous sommes encore ici.
Je fais partie d'un autre comité qui a essuyé des refus par le Comité de liaison pour toutes ses demandes. Le comité voulait se rendre en Afrique et en Ukraine — c'est le comité des affaires étrangères —, et on lui a dit non chaque fois.
Ce n'est pas une garantie qu'on va retenir notre proposition. C'est loin d'être le cas. Ce n'est qu'une proposition. Nous exprimons notre désir de parcourir le Canada, et le Comité de liaison pourrait nous dire non.
Pouvons-nous mettre aux voix la proposition de renvoyer notre plan au Comité de liaison? C'est ce qui est proposé. Ses membres n'aimeront peut-être pas certaines des collectivités où nous disons vouloir aller et voudront que nous allions ailleurs.
Y a‑t‑il des changements à la proposition?
Oui, madame Lattanzio.