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Je déclare la séance ouverte.
Bonjour à tous.
Je vous souhaite la bienvenue à la 103e réunion du Comité permanent du patrimoine canadien.
Je voudrais reconnaître que cette réunion a lieu sur le territoire traditionnel non cédé de la nation anishinabe algonquine.
[Traduction]
Bien que les autorités de la santé publique et le Bureau de régie interne n'exigent plus le port du masque à l'intérieur ou dans la Cité parlementaire, les masques et les respirateurs demeurent d'excellents moyens de prévenir la propagation de la COVID-19 et d'autres maladies respiratoires. Leur utilisation est vivement encouragée, car ces maladies sont en hausse.
Je profite de l'occasion pour rappeler à tous les participants quelques indications sur le déroulement de la séance.
Les captures d'écran des délibérations sont interdites parce qu'elles se retrouveront sur le Web.
La salle est équipée d'un système audio puissant. Lorsqu'on parle, il est vraiment important de ne pas avoir d'autres dispositifs à proximité, au risque de provoquer des rétroactions acoustiques. Lorsqu'on a fini de parler, il faut appuyer sur l'icône pour éteindre le micro. Lorsqu'on l'allume, il faut s'assurer qu'il n'y a pas de retour acoustique dans la salle, ce qui peut vraiment nuire à l'audition des interprètes.
Enfin, je tiens à rappeler à tous qu'il faut adresser les questions à la présidence. Cela vaut également pour les membres du Comité.
De plus, je donnerai à chacun un préavis de 30 secondes avant la fin de son temps de parole. C'est alors le moment de chercher à conclure sa phrase.
Je rappelle également que la façon de s'adresser les uns aux autres est vraiment importante. Dans les comités et les travaux parlementaires, il importe de se respecter mutuellement. Nous pouvons tout à fait être en désaccord les uns avec les autres. C'est à cela que servent la plupart de ces séances. Il y a des divergences de vues et des thèses contradictoires. Malgré tout, essayons de préserver un certain décorum.
Je remercie les témoins d'être là.
Comme vous le savez, nous menons une étude sur les géants de la technologie. C'est un véritable problème après l'adoption du projet de loi .
Nous recevons Peter Menzies et Pierre Trudel, professeur au Centre de recherche en droit public de la Faculté de droit de l'Université de Montréal, qui témoigneront à titre personnel. Nous accueillons aussi Erik Peinert, directeur de recherche à l'American Economic Liberties Project. Nous entendrons aussi Courtney Radsch, directrice du Center for Journalism and Liberty, Open Markets Institute.
The Hub figure dans vos notes, mais ses représentants ne seront pas là aujourd'hui. Ils comparaîtront un autre jour.
Enfin, nous accueillons Marc Hollin, représentant national d'Unifor, et Julie Kotsis, représentante du secteur des médias au Conseil exécutif national.
Commençons.
Vous aurez tous cinq minutes pour faire votre exposé. Je vais vous donner un avertissement 30 secondes avant la fin pour que vous puissiez conclure. Si vous n'avez pas le temps de terminer votre exposé, n'oubliez pas que vous pourrez profiter des questions pour ajouter d'autres éléments.
Les cinq minutes sont accordées à chaque organisation et non à chaque témoin. Il ne faut pas l'oublier si plusieurs témoins interviennent pour une seule organisation.
Je vais commencer par Peter Menzies et Pierre Trudel.
Tous deux témoignent à titre personnel.
Peter Menzies, vous avez la parole. Cinq minutes.
J'espère que je pourrai formuler des observations constructives qui vous seront utiles pour aider les organisations du secteur de la presse à retrouver la prospérité.
Je préciserai quelques points au préalable.
Je ne représente que moi-même. L'ensemble de mes expériences de trois décennies en journalisme et d'une décennie au CRTC me confère une perspective relativement unique. Je n'ai pas mâché mes mots pour sonner l'alarme au sujet des conséquences imprévues et problématiques de divers projets de loi, dont la plupart ont malheureusement été adoptés.
Je me suis toujours prononcé en mon nom personnel. Je ne suis membre d'aucun parti politique fédéral ou provincial, et je ne contribue à aucun parti politique. Je ne suis membre d'aucune organisation, je ne suis pas un lobbyiste rémunéré ni un complice de la haute technologie, comme on l'a laissé entendre. Je suis simplement un citoyen passionné de politiques d'intérêt public sensées et de journalisme indépendant et concurrentiel.
Je n'ai pas l'intention de raconter à nouveau l'histoire du projet de loi . Vous savez tous assez bien à quoi vous en tenir.
On dit souvent que les journalistes ont pour rôle dans la société d'obliger les puissants à rendre des comptes, mais au Canada, nous avons malheureusement maintenant un écosystème d'information dans lequel la plupart des journalistes pourraient bientôt recevoir au moins la moitié de leur salaire de l'État, de Google et d'autres fonds étrangers que le CRTC pourrait recevoir par suite des audiences de cette semaine. Étant donné que les deux entités les plus puissantes de notre société sont les gouvernements et les grandes entreprises de technologie qui aspirent les données, ce n'est pas ce que nous souhaitons. Les médias d'information et les journalistes peuvent jurer sur la tombe de leur mère que ces réalités n'influencent pas et n'influenceront pas leur couverture, à dire vrai, leurs déclarations et leurs perceptions n'ont pas beaucoup d'importance.
Ce qui importe, c'est ce que pensent ceux qui lisent, regardent et écoutent leurs informations. Bien sûr, certains ne se soucient pas du problème, mais nombreux sont ceux qui croiront que les médias sont irrémédiablement compromis. Par conséquent, la confiance du public envers les journalistes continuera de s'effriter, et toute confiance envers le journalisme finira par disparaître. Beaucoup en viendront à percevoir les médias comme des entreprises qui ont sauvé leur peau en vendant leur âme.
Nous devons trouver une meilleure façon d'aller de l'avant. À ce propos, je vous conseille la lecture d'un document d'orientation, And Now, the News, que j'ai rédigé avec Konrad von Finckenstein et qui a été publié ce printemps par l'Institut Macdonald-Laurier. Il préconise l'élaboration d'un cadre stratégique national pour l'industrie de l'information qui ferait en sorte que les consommateurs d'information soient servis par un écosystème d'information sain, moderne, concurrentiel et renouvelé qui produit des informations justes, équilibrées, exactes et dignes de confiance.
Il y a beaucoup de choses à analyser dans ce document, mais il s'y trouve une recommandation à laquelle vous pouvez donner suite immédiatement. La CBC/Radio-Canada doit renoncer à la publicité.
Il n'y aura pas de prospérité pour les médias d'information tant que la distorsion dualiste du marché de la CBC/Radio-Canada ne sera pas remplacée par des règles du jeu équitables. Nous n'en arriverons jamais là si la société d'État continue de chercher des revenus publicitaires tout en recevant 1,3 milliard de dollars par année du Parlement pour être un radiodiffuseur public.
Cet argent doit permettre à la société d'État de remplir son mandat public, et c'est sans doute ce qu'il fait dans une grande mesure. Cependant, il lui est aussi possible de s'accaparer les ressources d'entreprises comme le Globe and Mail, le Toronto Star, Postmedia, Le Devoir et des dizaines de petites entreprises en démarrage, puisqu'elle accumule des revenus publicitaires qui peuvent atteindre les 400 millions de dollars. C'est beaucoup plus que tous les soutiens des gouvernements et de Google réunis.
Cela ne veut pas dire qu'un radiodiffuseur public n'a pas de rôle à jouer, mais ce n'est pas ce qu'est la société d'État. Nous avons plutôt affaire à un radiodiffuseur commercial et à une plateforme en ligne financés par les fonds publics.
Pendant ce temps, TVA et CTV mettent des travailleurs à pied et Quebecor et Bell supplient le CRTC de faire en sorte que Netflix et Disney+ subventionnent leurs salles de rédaction. C'est ridicule.
Un avenir florissant pour une presse libre et indépendante au Canada n'est tout simplement pas possible tant que la CBC/Radio-Canada sera non pas un simple radiodiffuseur public, mais plutôt un radiodiffuseur commercial et un exploitant de plateforme en ligne financés par les fonds publics. Aucune industrie ne pourrait prospérer en pareilles circonstances.
La CBC/Radio-Canada doit être dépouillée de sa capacité de recueillir des recettes publicitaires nationales et doit rationaliser ses activités pour se concentrer sur son mandat et rendre ses informations accessibles gratuitement à d'autres. L'empêcher immédiatement de toucher une part des fonds de Google serait un bon début.
Merci.
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Merci, madame la présidente.
Je suis professeur en droit des médias et en droit des technologies de l'information. J'ai été membre du comité Yale, qui est un groupe d'experts sur la mise à niveau des droits canadiens en matière de communications. Nous avons déposé, il y a presque trois ans maintenant, le rapport intitulé « L'avenir des communications au Canada: le temps d'agir ». Cependant, c'est à titre personnel et à titre de professeur d'université et d'observateur des tendances que j'ai préparé cette petite intervention.
Le sujet que j'ai noté dans l'avis de convocation et qui semble être le sujet de vos travaux est l'utilisation actuelle et continue de tactiques d'intimidation et de subversion par les géants du Web pour échapper à la réglementation au Canada et ailleurs dans le monde. Je vais vous proposer trois remarques au sujet de ce phénomène ou de cette tendance des géants du Web pour ce qui est d'essayer d'échapper à la réglementation des États un peu partout dans le monde.
Ma première remarque concerne l'urgence pour tous les pays, surtout le Canada, qui est un État de moyenne dimension et qui n'est donc pas un acteur majeur sur la planète à l'égard de ces questions, de renforcer leur coopération avec les autres États démocratiques. Le monde fonctionne désormais en réseau, et les États doivent, de toute urgence, accélérer leur concertation et améliorer leur capacité à anticiper les tendances lourdes et les effets de ces tendances, notamment les évolutions technologiques, sur les objectifs de leurs politiques. Pour le Canada, en particulier, il s'agit d'anticiper, de façon beaucoup plus proactive qu'il l'a fait jusqu'à maintenant, les effets de ces mutations technologiques incarnées par Ie réseau Internet tel que nous le connaissons désormais et qui présentent d'importants défis pour assurer la réalisation des objectifs des politiques culturelles canadiennes.
Ma deuxième remarque porte sur la nécessité d'accélérer l'actualisation des lois afin de mettre fin aux passe-droits dont bénéficiaient jusqu'à maintenant les géants du Web, auxquels on a négligé, jusqu'à maintenant, d'imposer les règles du jeu qui, pourtant, s'appliquent à toutes les entreprises canadiennes. À mon avis, le choix déplorable qui a été fait au cours des deux dernières décennies a été de réserver un passe-droit à ces multinationales. Le rattrapage est urgent, et il sera difficile.
Ma troisième et dernière remarque consiste à rappeler que les pratiques des entreprises multinationales, de même que les configurations techniques, mettent en place des réglementations par défaut. Par conséquent, la vraie question est celle de savoir si ces réglementations par défaut imposées par les géants du Web sont compatibles avec les valeurs canadiennes, qui sont reflétées dans nos lois. Ces valeurs visent à assurer l'essor de la culture canadienne et de l'univers canadien de l'information.
Par exemple, le fait de laisser fonctionner des algorithmes destinés à maximiser la valorisation des données massives que les entreprises du Web utilisent pour générer des revenus publicitaires, ainsi qu'à maximiser le risque de harcèlement des membres des communautés ou des personnes vulnérables, est-il compatible avec nos valeurs? Je vous soumets que non, ce n'est pas compatible avec nos valeurs. Il est donc urgent de mettre fin aux passe-droits dont bénéficient à ce jour les multinationales, qui imposent leurs règles et leurs valeurs. Cela a souvent des conséquences extrêmement déplorables, notamment quant au démantèlement de nos industries médiatiques.
Je vous remercie.
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Nous éprouvons de nouveau des problèmes.
Excusez-moi, monsieur Peinert, nous avons du mal à vous entendre. Puis-je vous laisser le soin, à vous et aux techniciens du son, de trouver une solution?
Pour gagner du temps, je vais passer au témoin suivant.
Je vais maintenant donner la parole à Courtney Radsch, directrice du Center for Journalism and Liberty, Open Markets Institute.
Vous pouvez commencer, s'il vous plaît. Cinq minutes.
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Je vous remercie de m'avoir invitée à témoigner.
Je suis Courtney Radsch, directrice du Center for Journalism & Liberty à l'Open Markets Institute et chercheuse affiliée à plusieurs établissements, dont l'University of California, Los Angeles, ou UCLA, et le Centre pour l'innovation dans la gouvernance internationale.
J'ai consacré les 20 dernières années de ma carrière au journalisme et à la recherche, et je n'ai jamais reçu de financement d'un géant de la technologie pour mes recherches. L'Open Markets Institute n'accepte aucun financement des géants du numérique, ce qui fait de nous une organisation indépendante en matière de politiques technologiques et de journalisme.
[Traduction]
En fait, ce qui est arrivé à Open Markets illustre à la perfection la façon dont les géants de la technologie exercent leur pouvoir d'intimidation. En 2017, un groupe de réflexion financé par Google, la NewAmerica Foundation, a congédié Barry Lynn, directeur exécutif, et exilé des membres du personnel après que l'Open Markets Institute, l'OMI, eut publié une déclaration dans laquelle elle se félicitait d'une des premières sanctions imposées à Google par la Commission européenne pour conduite anticoncurrentielle. Il ne s'agit pas d'un exemple unique des tactiques des grandes entreprises de technologie visant à influencer les établissements pour décourager la recherche critique en leur donnant des fonds pour faire des « recherches » qui appuient leurs positions, qui préconisent des positions favorables aux intérêts des grandes entreprises de technologie.
Pas plus tard qu'hier, Joan Donovan, une éminente spécialiste du dossier de la désinformation, a déposé une plainte à titre de dénonciatrice à l'encontre de Harvard pour avoir exercé des représailles contre elle après que l'université eut reçu un montant record d'un demi-milliard de dollars de la Chan Zuckerberg Initiative. Comme la plainte le fait remarquer, les travaux de Mme Donovan sont « particulièrement opportuns, car ils servent à informer les décideurs appelés à légiférer ».
En fait, une grande partie de ce que nous savons sur le fonctionnement de ces oligopoles opaques est attribuable au fait que des journalistes et des chercheurs les ont débusqués ou qu'un dénonciateur a révélé leur comportement.
Je vais brièvement décrire cinq façons dont les grandes entreprises de technologie ont déployé leurs vastes ressources et leurs organismes de bienfaisance pour échapper à la réglementation, influencer la recherche et le journalisme, intimider les critiques et miner la surveillance réglementaire. Alors que le manuel des grands de la technologie emprunte aux grandes compagnies de tabac, aux pétrolières et aux pharmaceutiques, la manipulation est intensifiée par l'utilisation de leurs propres plateformes pour manipuler l'opinion publique et censurer leurs critiques.
Veuillez m'en excuser.
[Traduction]
Premièrement, les géants de la technologie se servent de leurs plateformes pour faire de la propagande contre la réglementation à laquelle ils s'opposent, ce qui fausse la perception et le débat publics. Nous l'avons vu en Australie, au Canada, au Brésil et aux États-Unis avec la loi sur la négociation dans les médias d'information. Google a utilisé sa page de recherche pour plaider contre les lois proposées et aurait dit aux prédicateurs évangéliques du Brésil qu'ils ne pourraient plus citer la Bible en ligne. Le système judiciaire brésilien a accusé Google d'exercer une influence indue sur le processus législatif.
Deuxièmement, les géants de la technologie censurent les informations et retirent l'accès aux données et aux interfaces de programmation d'applications, en plus de menacer d'abandonner des marchés entiers pour éviter une réglementation significative et décourager la surveillance. Selon un dénonciateur, Meta a même entravé le partage de liens à partir de sites gouvernementaux australiens pendant les délibérations parlementaires sur le code de négociation. C'était une tactique de négociation.
Google et Meta ont menacé de laisser tomber complètement les informations, malgré le fait que la désinformation dégrade leurs plateformes, tandis que les informations offrent une plus grande valeur et une meilleure expérience utilisateur, et ils ont exercé des pressions sur les médias pour qu'ils étouffent une nouvelle, y compris la couverture d'une étude récente selon laquelle ils doivent plus de 12 milliards de dollars par année aux éditeurs américains. Cette tendance à la censure et à la distorsion transparaît également dans des motions visant à occulter l'information, la destruction de preuves et les obstacles à l'examen du public, comme dans le cas du procès historique antitrust contre Google qui se déroule actuellement à Washington, où on s'oppose à la diffusion audio en direct.
Troisièmement, ils minent les institutions démocratiques, cherchent à entraver l'action des organismes de réglementation et se soustraient aux lois qui ne leur plaisent pas. Ainsi, Meta a décidé de censurer les nouvelles au Canada plutôt que de se conformer au projet de loi et a poursuivi la Federal Trade Commission pour avoir tenté de forcer l'entreprise à se conformer à des restrictions en matière de collecte de données.
Quatrièmement, les grandes entreprises de technologie dépensent plus d'argent à Washington, à Bruxelles et dans d'autres capitales mondiales que pratiquement tout autre secteur, grâce au lobbying direct et au financement de groupes industriels et de bourses qui aident à modeler la façon dont les décideurs pensent les questions qu'ils réglementent et à placer les grands experts financés par la technologie au cœur de l'élaboration des politiques.
Cinquièmement, enfin, les grands de la technologie fournissent des fonds à la plupart des groupes de la société civile, de recherche et de défense des intérêts qui travaillent dans divers domaines: politique technologique, droits numériques, gouvernance de l'intelligence artificielle, l'IA, code de négociation des médias et journalisme.
Je ne veux pas dénigrer le travail de ces organisations, mais la perception d'ingérence, ainsi que la possibilité de détourner l'attention de questions plus importantes et corrélatives, sont une façon de miner la demande de réglementation. La recherche montre que les fonds accordés par les grandes entreprises de technologie aux médias sont en corrélation avec les pays où les gouvernements envisagent une législation sur la rémunération équitable. Et voici que les entreprises du secteur de l'intelligence artificielle s'engagent dans la même voie.
[Français]
En conclusion, je dirai que les géants du Web génèrent du chaos et des perturbations, qu'ils exploitent ensuite pour blâmer les gouvernements d'avoir élaboré une réglementation irréalisable qui ne devient réalisable qu'une fois que les modifications qui leur profitent le plus sont apportées.
:
Merci beaucoup, madame Radsch.
Sommes-nous prêts à passer à M. Peinert? Non? Oui? Je vais poursuivre jusqu'à ce qu'on me dise que nous sommes prêts à revenir à lui.
Nous accueillons maintenant M. Marc Hollin, représentant national, et Julie Kotsis, représentante des médias, au Conseil exécutif national, d'Unifor.
J'ignore qui va prendre la parole. Vous partagez-vous votre créneau? Comment faites-vous?
D'accord, madame Kotsis. Allez-y, s'il vous plaît.
Bonjour, madame la présidente et mesdames et messieurs les membres du Comité permanent du patrimoine canadien. C'est un honneur de me joindre à vous pour présenter un exposé au nom d'Unifor.
Je m'appelle Julie Kotsis et je suis présidente du conseil des médias d'Unifor. Unifor est l'un des plus importants syndicats du secteur des médias au Canada. Il représente plus de 10 000 travailleurs des médias, dont certains sont au service de la télévision par ondes hertziennes, de journaux, de l'édition numérique d'informations, de la production cinématographique et télévisuelle et du secteur du graphisme et de l'impression.
Au moment où vous êtes saisis de tous les témoignages importants recueillis par le Comité permanent, je voudrais vous faire valoir un autre point de vue critique, l'expérience des journalistes et des professionnels des médias et évoquer l'évolution à venir du secteur de l'information locale et de ses artisans, plongés dans une crise à cause de l'influence perturbatrice des géants de la technologie.
Lorsque je travaillais au Windsor Star, j'ai été témoin d'une transformation profonde et troublante du secteur des journaux au Canada. Les équipes des salles de rédaction du Canada se contractent. D'autres journaux ont connu les mêmes compressions douloureuses. À titre d'exemple, en 2009, Unifor comptait 610 membres au Toronto Star. Il n'y en avait plus que 178 en 2022. Il en va de même pour l'information radiodiffusée ou télédiffusée.
Cette année seulement, plus de 100 membres d'Unifor dans le secteur de la radiodiffusion ont perdu leur emploi. Ce n'est pas tout le monde qui s'alarme de voir des journalistes et des travailleurs des médias perdre leur gagne-pain, mais tous ont lieu de craindre l'impact de la perte d'informations locales sur le tissu de notre démocratie. Les informations locales sont pour les Canadiens un moyen de se renseigner sur le monde et ce qui se passe autour d'eux. Elles sont un des moyens d'exiger des comptes des gouvernements et des sociétés. Elles nous renseignent aussi sur les catastrophes naturelles comme les feux de forêt ou les inondations de cette année.
C'est peut-être une évidence, mais ce qui place les journalistes et les travailleurs des médias au cœur de cette discussion, c'est que ce sont eux qui créent les informations locales. Ils ont la formation, l'expérience et les normes professionnelles nécessaires pour offrir un journalisme de grande qualité fondé sur des faits.
Nous avons entendu des experts et des témoins présenter cette discussion comme une lutte pour la libre circulation de l'information en ligne et la notion même d'un Internet libre et ouvert. Même si cette discussion portait sur la notion même d'un Internet libre et ouvert, les géants de la technologie comme Google et Meta sont les tout derniers auxquels il faudrait demander des conseils.
Le Comité a déjà entendu d'innombrables exemples qui illustrent comment les géants de la technologie contrôlent ce à quoi nous accédons en ligne au moyen d'algorithmes opaques et en constante évolution qu'ils cachent aux utilisateurs et aux organismes de réglementation et qu'ils protègent à tout prix. Ils recueillent nos données et les vendent à des fins lucratives. Ils contrôlent tous les aspects de la publicité en ligne, ce qui permet souvent la prolifération de harcèlement et de comportements toxiques et haineux sur leurs plateformes. Je peux vous dire qu'une grande partie de ce harcèlement et de cette violence vise les journalistes et les travailleurs des médias, y compris les membres d'Unifor.
Je prendrai un moment pour parler du harcèlement des journalistes et des travailleurs des médias. Notre syndicat prend la question très au sérieux. En février dernier, nous avons publié un document de travail fouillé intitulé « Renverser la tendance: Lutter contre le harcèlement à l’égard des travailleuses et travailleurs du secteur des médias ». Pour rédiger ce document, nous avons mené un sondage auprès des membres au sujet du harcèlement et de la violence.
Vous ne serez pas étonnés d'apprendre que, selon les travailleurs des médias d'Unifor, les messages sur Facebook et Twitter sont un véhicule clé du harcèlement et de la violence venant du public. Les travailleurs des médias d'Unifor savent que l'argument concernant un Internet libre et ouvert est un leurre. Je le répète, il s'agit au fond de la capacité des gouvernements d'adopter des règles sérieuses et de la volonté des géants de la technologie de les respecter. Pour dire les choses simplement, nos membres ont l'habitude de tenir tête aux puissantes sociétés mondiales et, en tant que bons syndicalistes, nous savons que nous devons nous liguer pour tenir tête aux intimidateurs.
En fait, je voudrais revenir à certains principes fondamentaux du syndicalisme pour conclure mes observations. Pour nous, la solidarité, c'est trouver un terrain d'entente et nous serrer les coudes, même si tous nos intérêts ne concordent pas parfaitement. Nous savons trop bien qu'un travailleur qui se tient seul contre un employeur est presque impuissant, mais lorsque nous nous rassemblons, nous avons un pouvoir collectif. Nous encourageons respectueusement les élus et le gouvernement fédéral à travailler ensemble, dans un esprit de solidarité, et à s'allier aux gouvernements du monde entier pour établir des règles qui permettront de contenir le pouvoir effréné des géants de la technologie.
Merci.
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D'accord, nous allons essayer.
Je vais poursuivre là où j'en étais.
J'ai obtenu un doctorat de l'Université Brown, où mes recherches étaient axées sur la concurrence, le monopole et l'antitrust et ont été publiées dans des revues universitaires de premier plan.
Je vous remercie de me donner l'occasion de parler de la coercition exercée par les grandes entreprises technologiques en réponse à la réglementation et, plus précisément, de la mesure prise récemment par Meta pour interdire aux Canadiens l'accès aux articles de presse sur ses plateformes en guise de représailles pour l'adoption du projet de loi , la Loi sur les nouvelles en ligne. Cela fait suite à une mesure presque identique prise en 2021 par Meta, alors Facebook, pour obtenir des concessions de l'Australie de son code de négociation des médias d'information.
Cette discussion survient à un moment où le secteur de l'information de partout dans le monde est en péril. C'est un secteur que je suis de près depuis mon enfance. J'ai été éduqué par une journaliste. Ma mère a commencé sa carrière de journaliste dans un journal local de la Nouvelle-Angleterre rurale. Elle a occupé divers postes de rédaction dans des villes secondaires, dans la salle de rédaction du Boston Globe, puis à des postes de direction au Boston Globe et à Gatehouse Media, devenue Gannett. Elle possède maintenant plusieurs journaux locaux indépendants et prospères dans les banlieues du Massachusetts.
Mon expérience personnelle et professionnelle m'amène à faire valoir deux points principaux aujourd'hui, le premier étant celui des modèles d'affaires des plateformes dans ce marché.
Les entreprises médiatiques paient pour produire et distribuer du contenu qu'un grand nombre de lecteurs trouvent précieux. Elles vendent ensuite de la publicité aux entreprises qui veulent mousser leurs produits auprès de ces lecteurs. D'un côté, Meta et Google sont devenus un moyen central pour les lecteurs d'accéder aux médias d'information, ce qui leur donne du pouvoir sur les médias journalistiques, avec la menace implicite de priver les médias de leur lectorat.
Par ailleurs, Meta et Google ont aussi un duopole de fait en publicité numérique, et les deux ont fait l'objet de poursuites antitrust pour monopolisation illégale dans ce domaine.
Ces entreprises n'apportent pas beaucoup de lecteurs; elles utilisent plutôt leur double contrôle sur le trafic Internet et la publicité pour monétiser le contenu que les journalistes produisent à grands frais. Selon des recherches récentes d'économistes de l'Université de Zurich, 40 % des revenus totaux de Google tirés de la publicité liée aux recherches iraient à des éditeurs et à d'autres sources journalistiques s'il y avait plus de concurrence. Les entreprises médiatiques qui paient pour produire l'information [Difficultés techniques].
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Apparemment, oui, mais les interprètes disent qu'ils ne pourront pas interpréter. Merci malgré tout.
La greffière et M. Peinert auront des discussions. Je tiens à remercier le témoin du temps qu'il nous a consacré et des précieux renseignements qu'il nous a fournis au tout début.
Comme l'audition des témoins est terminée, nous allons passer aux questions. Je veux simplement vous informer que, au premier tour, chacun aura six minutes, ce qui doit servir à la fois pour les questions et les réponses. Je vais faire signe au témoin et au député lorsqu'ils en seront à 30 secondes de la fin.
Nous allons commencer par Mme Thomas, du Parti conservateur. Six minutes.
Je vous en prie.
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Bien sûr. Malheureusement, un élément qui n'a pas été abordé dans le projet de loi est la question du déséquilibre des pouvoirs. L'enjeu m'était assez cher. Phillip Crawley avait l'habitude de soulever cette question de façon très élégante devant le Comité et devant le Comité sénatorial des transports. Cela nous manque.
Google devrait révéler son intention concernant le fonds, mais il ne faut pas placer les médias dans une situation où ils dépendent à la fois de l'argent des contribuables et des avantages qu'ils en tirent, et aussi de l'argent des grandes sociétés technologiques, les deux entités les plus puissantes de notre monde dont les médias doivent exiger des comptes. Or, c'est exactement ce que nous faisons. Nous voulons aller de l'avant. C'est ce que j'essaie d'encourager ici: qu'on réfléchisse aux moyens de surmonter ces entraves avec le projet de loi , cet obstacle auquel nous nous heurtons, cette impasse où nous sommes pour parvenir à une situation où les postes de membres d'Unifor peuvent apparaître, où nous pouvons prospérer, où les journalistes peuvent servir qui ils veulent, c'est-à-dire les lecteurs et les citoyens.
C'est essentiellement là que nous en sommes. De plus, il n'est pas nécessaire d'aimer les grandes technologies pour s'en rendre compte. Il suffit de lire l'éditorial publié par le National Post l'autre jour, où on explique que Google est une catastrophe et parle des poursuites antitrust qui ont été entreprises. Le journal ajoute ensuite qu'il a hâte d'être un excellent partenaire de Google. Voilà ce qu'il en est.
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Merci, monsieur Menzies.
Voici ma question complémentaire: Google s'est replié dans les coulisses et a conclu une entente avec le gouvernement. Il s'est engagé à donner 100 millions de dollars à un collectif de son choix.
Très intéressant. Une grande entreprise de technologie va au bout du compte décider avec quel collectif, s'il y en a plusieurs, elle va conclure une entente par négociation. Elle va verser 100 millions de dollars, ce qui est censé servir à pérenniser le secteur de l'information au Canada.
La ministre a fait savoir que CBC/Radio-Canada a un tiers de tous les journalistes au Canada et, selon les règlements, l'argent est censé être réparti en fonction du nombre de journalistes dans chaque bureau. La CBC/Radio-Canada, qui compte un tiers des journalistes, obtiendrait donc 33 millions de dollars. La société d'État touche déjà 1,4 milliard de dollars de l'argent des contribuables, puis elle a accès à 400 millions de dollars de plus en recettes publicitaires et, plus récemment, les libéraux ont annoncé des avantages fiscaux de 129 millions de dollars.
Je m'interroge sur ce que vous avez dit dans votre déclaration liminaire au sujet de la CBC/Radio-Canada et de l'impossibilité d'uniformiser les règles du jeu tant que la société d'État pourra toucher des recettes publicitaires. Vous avez ajouté qu'elle ne serait pas exclue des avantages du projet de loi ou des 100 millions de dollars que Google accorde. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?
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Il y a beaucoup à dire, mais je vais commencer par le fonds.
Dans le document déjà évoqué dont Konrad von Finckenstein et moi sommes les auteurs, nous avons proposé la création d'un fonds canadien pour le journalisme. Nous avons également proposé que la CBC/Radio-Canada soit exclue de cette initiative, parce qu'il s'agirait d'un cumul d'avantages, et que seules les entreprises dont l'activité principale est la création de nouvelles seraient admissibles. Ainsi, les fonds iraient directement surtout aux entreprises qui s'occupent le plus de l'information et pas nécessairement à celles dont les émissions sont du divertissement dans une proportion de 80 à 90 %, l'information ne constituant qu'une activité accessoire. Les fonds iraient directement à ce groupe.
Quant à la CBC/Radio-Canada, il me semble étrange que personne ne semble croire que le marché est faussé si on appuie sur un plateau de la balance en accordant des fonds publics à la société d'État. Je ne peux pas imaginer que l'industrie automobile puisse fonctionner correctement si le gouvernement disait que les règles du jeu sont équitables pour tout le monde tout en accordant une subvention à Chrysler, qui pourrait livrer concurrence aux autres constructeurs de voitures comme si de rien n'était. Je ne peux pas imaginer cela dans l'industrie de la restauration ni dans celle de l'alimentation, ni dans quelque autre secteur d'activité.
Je ne m'oppose pas à ce qu'il y ait un radiodiffuseur public, mais nous sommes en présence d'un monstre à deux têtes. Il faut que cela ait une fin. Rien de bon ne peut arriver à l'industrie de l'information tant que nous n'aurons pas réglé ce problème.
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Oui, j'ai pris connaissance des détails. Merci beaucoup. J'ai suivi ces codes de négociation des médias d'information partout dans le monde.
Ce qui se passe au Canada me semble bénéfique. Le montant déterminé avec Google est loin d'être suffisant et loin de correspondre à ce qui est dû. Le problème tient en partie au fait que, à courte vue, on met l'accent sur la valeur du trafic généré par les sites référents. Les entreprises de technologie ont très bien réussi à nous convaincre que c'est ainsi qu'il faut établir la valeur.
Malheureusement, nous n'avons pas entendu Erik Peinert. Il parlait d'une étude réalisée en Suisse qui portait sur la valeur que les nouvelles apportent à Google Search simplement par leur existence, peu importe si quelqu'un cherche un titre ou clique dessus.
Les chercheurs ont examiné la situation et ont demandé: « Quel est le pourcentage de ceux qui font des recherches d'information et que devient leur comportement si les nouvelles sont supprimées? » Il y avait deux populations différentes, l'une qui avait accès aux nouvelles et l'autre pas. Ils ont examiné comment leur comportement avait changé. Ils sont ensuite arrivés à un chiffre qui montrait qu'un certain pourcentage des revenus publicitaires de Google liés à la recherche pouvait être attribué à la simple présence de nouvelles sur la plateforme.
Voilà une façon très utile de conceptualiser l'établissement de la valeur des nouvelles. À mon avis, la loi canadienne met trop l'accent sur l'idée du trafic généré par les sites référents pour établir la valeur. Elle ne tient pas compte non plus de l'IA générative et du rôle que les nouvelles jouent dans les grands modèles de langage et les systèmes d'IA. Il serait important d'examiner un plus large éventail des sociétés de technologie qui pourraient être visées et qui devraient contribuer au fonds.
Je partage la préoccupation de Peter Menzies devant le fait qu'une poignée d'acteurs puissants financent l'industrie de l'information et les dangers de l'emprise des plateformes. Si on élargissait l'éventail des entreprises de technologie tenues de payer les nouvelles qu'elles utilisent pour générer les produits les plus précieux au monde, ce serait moins inquiétant. Il serait possible — et je pense que le Canada l'a fait — de faire régner la transparence au sujet des organismes de presse bénéficiaires, de la définition de la notion d'organisation de presse et du contenu des ententes. Il faut comprendre qu'il s'agit d'ententes commerciales, mais il faut permettre à l'organisme de réglementation d'avoir une idée de la situation.
L'un des problèmes courants liés à l'établissement de la valeur est qu'il n'y a pas vraiment de renseignements sur les données que les plateformes possèdent elles-mêmes pour aider à établir cette valeur. Même si on voulait aider les médias à négocier plus efficacement, ce serait difficile s'ils n'ont pas accès aux données et à l'information voulues pour établir cette valeur.
Je vais m'arrêter ici.
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Je peux essayer de répondre en français.
C'est très important d'avoir plusieurs sources de financement pour les médias [difficultés techniques] du gouvernement, des plateformes, de la publicité et, si on a plusieurs choix pour le financement,
[Traduction]
[...] l'influence d'un acteur ou d'une entité donnés sur l'information ne devient pas si importante et la dépendance n'est pas si lourde. C'est pourquoi il importe d'examiner le recours à des subventions gouvernementales, à la fiscalité, aux divers avantages, etc., ainsi qu'à la juste rémunération par les plateformes technologiques et à une solide infrastructure de publicité numérique.
N'oublions pas pour autant que la publicité locale souffre également de l'action des grands de la technologie. Amazon évince des entreprises locales du marché ou les contraint de se plier à sa logique. Tous ces éléments sont liés. La présence des grands de la technologie se fait sentir dans l'ensemble de l'écosystème publicitaire, ce qui touche directement la publicité numérique que les organisations journalistiques peuvent obtenir, mais aussi la simple capacité des entreprises locales qui faisaient de la publicité dans les nouvelles de demeurer rentables.
Je m'inquiète de l'emprise des plateformes, mais dans ce genre de scénario réglementaire où il y a un organisme de réglementation indépendant, il reste une distance entre le fonds qui est créé et les bénéficiaires ultimes. C'est avantageux. Il faut que plusieurs types d'entités soient représentés au sein du conseil.
Je reviens un peu en arrière. Outre l'étude réalisée en Suisse, je signale que des chercheurs américains ont récemment examiné ce qui se passerait sur le marché américain en fonction des recettes et de leur utilisation. Ils ont conclu que le montant devrait s'élever à 12 milliards de dollars, que la plateforme... Google devrait verser environ 10 milliards de dollars aux médias. Nous devons repenser notre conception de la valeur.
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Merci, madame la présidente.
J'espère que la qualité de la connexion permettra une interprétation adéquate pour mes collègues anglophones, que j'invite à intervenir sans hésiter si ce n'est pas le cas. Il semble y avoir des difficultés d'ordre technique, ce matin.
Je remercie tous les témoins qui sont avec nous ce matin. Leurs témoignages et leurs commentaires sont très intéressants.
Monsieur Trudel, je suis content de vous revoir. Je vous remercie encore une fois de nous faire part de vos lumières sur ce sujet que vous affectionnez beaucoup.
Je vais aborder un sujet moins agréable.
Dans les nouvelles, hier, on a annoncé des mises à pied à CBC/Radio-Canada. Je sais que beaucoup de gens seront touchés. Cela influera certainement sur la qualité de l'information et de la transmission de la culture québécoise et francophone. Évidemment, si on supprime autour de 250 postes à CBC/Radio‑Canada, seulement dans les services de programmation, il y aura nécessairement des conséquences.
Dans quelle mesure le contexte actuel aurait-il pu être différent si on avait agi plus tôt et suivi les recommandations figurant dans le rapport Yale auquel vous avez participé?
Si on avait agi plus tôt pour réglementer les géants du Web dans le secteur de l'information et de la culture, pensez-vous que nous nous retrouverions dans cette situation aujourd'hui?
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Malheureusement, le Canada et d'autres pays ont pris beaucoup de retard quant à la mise en place de mesures pour s'assurer que les règles du jeu sont équitables à la fois pour les acteurs nationaux, c'est-à-dire les entreprises nationales, et pour les entreprises internationales, c'est-à-dire celles du Web.
On a perdu deux précieuses décennies à ne rien faire à l'égard des géants du Web, en se racontant des histoires un peu romantiques relativement aux merveilles que permet Internet. De plus, bien sûr, on a laissé s'installer un état de fait qu'il est extrêmement difficile de rattraper.
Pour réussir à rattraper et à réduire au minimum les dégâts que nous observons maintenant, il va effectivement falloir mettre les bouchées doubles. Il me semble que cela passe par une intensification urgente des concertations avec les autres États, puisque ce phénomène d'effritement de la base des médias, qui est durement vécu au Canada, est aussi présent dans tous les pays démocratiques.
Au bout du compte, je pense qu'on aurait dû s'attaquer au véritable défi beaucoup plus tôt. Le véritable défi, c'est de répartir les ressources captées par la valorisation de l'attention des personnes qui sont désormais en ligne, c'est-à-dire pratiquement l'ensemble des citoyens. Plutôt que de faire cela, on continue de travailler selon d'anciens modèles.
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Je remercie tous les témoins d'être avec nous. Ils ajoutent des éléments très intéressants à notre étude.
[Traduction]
Je m'adresserai d'abord à Mme Kotsis.
Je remercie Unifor de se porter à la défense des journalistes et des travailleurs du secteur des médias.
Je note que l'enquête d'Unifor publiée l'an dernier a révélé que « 60,6 % des personnes interrogées ont été victimes de harcèlement sur le terrain » et que « 69 % ont ressenti de l’anxiété en raison de leur travail ». On y lit encore: « Le sondage d’Unifor dévoile qu’une grande partie des abus était des attaques racistes et misogynes, notamment des menaces de violence contre les journalistes et leur famille. »
Dans le mémoire que vous avez présenté au Comité, vous dites que les grands de la technologie permettent la prolifération des comportements toxiques et haineux de harcèlement et de violence sur leurs plateformes. Je remarque que des politiques d'extrême droite s'en prennent à des journalistes professionnels et qui s'appuient sur les faits. Vous avez dit dans votre exposé que nous devons tenir tête aux intimidateurs.
Comment le gouvernement fédéral devrait-il s'y prendre pour tenir tête aux intimidateurs afin que les journalistes qui s'appuient sur les faits puissent exercer leurs activités dans notre pays à l'abri des menaces et de l'intimidation qu'ils reçoivent en ligne et de l'extrême droite?
Nous croyons que le gouvernement fédéral peut prendre un certain nombre de mesures pour limiter le harcèlement toxique et les violences dont sont victimes les journalistes et les travailleurs des médias. Tout d'abord, nous avons tendance à aborder la question selon une double approche. Il faut d'abord offrir un soutien aux travailleurs des médias et aux journalistes qui sont victimes de harcèlement. Dans la plupart des cas, ils ont besoin d'un soutien immédiat. Toute réponse devrait s'articuler autour de cette idée.
Ensuite, bien sûr, dans un deuxième temps, il faut prévenir le harcèlement et exiger des comptes des auteurs de ces actes.
Nous souhaiterions, comme nous l'avons recommandé dans un certain nombre de communiqués, que soient imposées des exigences plus strictes obligeant à retirer le contenu répréhensible. D'autres administrations ont choisi d'obliger les plateformes, lorsqu'il y a une plainte, à agir rapidement — parfois dans les 24 heures, voire moins — de supprimer le contenu en ligne qui est haineux, relève du harcèlement ou est empreint de violence.
Nous recommandons un certain nombre d'autres outils. Des pays sont en train d'élaborer une version ou l'autre d'un projet de loi sur les méfaits en ligne. C'est un projet de loi extrêmement difficile, peu importe où il est présenté.
En fait, nous nous appuyons sur certains principes fondamentaux concernant la responsabilité des plateformes. Celles-ci doivent assumer davantage de responsabilités elles-mêmes, et les législateurs doivent en exiger des comptes. À bien des égards, les plateformes veulent avoir le beurre et l'argent du beurre. Elles veulent donner l'impression d'être des entités passives, comme un babillard communautaire où les utilisateurs affichent du contenu et partagent des vidéos TikTok et du contenu intéressant, alors qu'en fait, comme les témoins d'aujourd'hui et d'autres l'ont dit, nous savons que les géants de la technologie exercent un contrôle, jouent un rôle de modérateur, atténuent des éléments et, franchement, profitent du transit de l'information et du contenu de multiples façons.
Les plateformes peuvent, lorsque cela leur convient et qu'elles en profitent, traiter du contenu en ligne et toutes sortes de contenus dans différents formats. Pour nous, la meilleure façon de s'y prendre est de veiller à ce que les géants de la technologie ne puissent pas se défausser, se présenter comme une entité bienveillante et passive, comme un babillard de quartier convivial.
Nous savons que ce n'est pas vrai. C'est objectivement faux.
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Merci, madame la présidente.
Voici d'emblée quelques renseignements: j'ai été membre d'Unifor pendant 39 ans. J'ai travaillé dans les médias du secteur privé, c'est-à-dire à CTV et non dans le secteur public. Quand j'entends les témoins dire que les règles du jeu sont les mêmes pour tous, etc... Les règles du jeu n'ont jamais été uniformes. La CBC/Radio-Canada n'a jamais eu à subir, en tant que radiodiffuseur public, les menaces qui pèsent sur le privé, parce que lorsqu'un radiodiffuseur privé perd un point de cote d'écoute à l'heure des informations, il perd aussi des directeurs de l'information et des gens de la production, alors que la société d'État n'a pas de comptes à rendre.
Aucun de ses réseaux n'est au premier rang au Canada. Jamais. Ses cotes d'écoute sont lamentables dans tout le pays, et la société n'a pas de comptes à rendre, mais obtient 1,3 ou 1,4 million de dollars. Et elle peut accumuler 400 millions de dollars en publicité et auprès du gouvernement, de Google et ainsi de suite.
Les règles du jeu n'ont jamais été les mêmes pour tous.
Monsieur Menzies, je vais commencer par vous, car vous êtes en journalisme depuis trois décennies.
J'ai raison. Les règles du jeu n'ont jamais été équitables et ne le seront jamais. Nous devrions le comprendre.
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C'est un fait. Les radiodiffuseurs ont déploré pendant des années que la CBC/Radio-Canada utilise leurs impôts pour leur faire concurrence. Je l'ai observé quand j'étais au CRTC, mais on ne disait trop rien parce que tout le monde faisait encore de l'argent à l'époque. Tout le monde faisait encore beaucoup d'argent. Les dénonciations n'étaient pas aussi vives.
En 2016, le Comité a entendu un certain nombre d'éditeurs de journaux. Je me souviens distinctement de l'exposé du Globe and Mail incitant le Comité à ne pas permettre au diffuseur public d'étendre ses activités en ligne parce que c'était... Le Globe and Mail a alors décrit la CBC/Radio-Canada comme son plus grand concurrent du secteur privé dans ce domaine.
Pour ma part, je ne suis pas contre l'idée d'avoir un radiodiffuseur public, un bon radiodiffuseur public. Lorsque j'étais commissaire de l'Alberta et des Territoires du Nord-Ouest, j'ai pu constater de mes propres yeux la valeur que le Service du Nord de Radio-Canada a apportée aux régions très éloignées et aux petites régions, ce qu'on appelle ces jours-ci des déserts de nouvelles. Je ne m'y oppose pas du tout.
Ce à quoi je m'oppose, c'est à l'inégalité des règles du jeu que doit affronter l'industrie des médias. Malgré tous les problèmes que posent les grands de la technologie et toutes ces autres choses, comme Mme Radsch l'a dit, nous avons besoin d'une diversité de sources de revenus pour que les médias ne soient pas seulement indépendants, mais qu'ils soient aussi perçus comme tels. Tant que le diffuseur public faussera le jeu parce que les règles varient, nous ne pourrons pas y arriver.
Par conséquent, je demande au Comité et à ses membres de vraiment transmettre ce message. Pouvons-nous, s'il vous plaît, uniformiser les règles du jeu? Nous pourrons alors avoir une bonne discussion sur les multiples mesures que nous devons prendre pour que le journalisme reprenne de la vigueur au Canada.
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D'accord. Je dois passer à autre chose.
Le montant est de 1,3 milliard de dollars, pas de 1,3 million de dollars, comme je l'ai dit. C'est plus d'un milliard de dollars que reçoit la CBC/Radio-Canada.
Quant aux nouvelles numériques... Vous en avez parlé, car cela a été le facteur décisif au cours des cinq dernières années au Canada. La CBC/Radio-Canada vole des journalistes aux journaux et aux marchés locaux pour s'occuper du numérique. C'est ce qui tue les journaux. C'est ce qui tue les stations de télévision et de radio indépendantes. Ils ne peuvent tout simplement pas faire concurrence au diffuseur public dans le numérique.
En Grande-Bretagne, le gouvernement a imposé des restrictions à la plateforme numérique de la BBC. C'est ce qu'il faut faire dans notre pays si nous voulons que les règles du jeu soient équitables.
Êtes-vous d'accord avec moi?
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Cela pourrait faire partie de la discussion. Ce n'est pas une recommandation que j'ai moi-même retenue.
Comme je l'ai dit, la première étape consiste à faire en sorte que la CBC/Radio-Canada redevienne un radiodiffuseur public. Il y a beaucoup à dire sur la façon dont il pourrait être financé, sur la façon dont il pourrait se maintenir et livrer concurrence ailleurs. Pour ma part, j'estime que l'idée d'avoir une licence Creative Commons pour le contenu du diffuseur public contribuerait grandement à atteindre cet objectif, de sorte que tout son contenu pourrait être offert gratuitement à tous ses concurrents à l'intérieur du pays. S'il s'agit d'information financée par l'État, il n'y a aucune raison pour qu'elle ne soit pas à la disposition de tous.
Cela dit, votre idée pourrait aussi avoir du mérite. Cela fait partie d'une discussion urgente. Je ne veux pas qu'on prolonge la discussion, car, je ne veux pas me lancer dans de longues conversations oiseuses sur l'avenir de la CBC/Radio-Canada. Nous devons agir rapidement. C'est urgent pour l'industrie de l'information, et il y a des décisions bien réfléchies qui doivent se prendre.
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D'accord. Désolée. Je vais essayer de ne pas parler avec mes mains.
Ce que j'ai dit, c'est que, entre autres choses, le projet de loi crée une tribune où tous les éditeurs ont la possibilité de négocier, car l'une des grandes difficultés dont ont parlé des médias et des journalistes du monde entier — j'ai interviewé et interrogé des centaines d'entre eux au cours des deux dernières années pour mener mes recherches —, c'est qu'ils n'ont aucun moyen d'entrer en contact avec les plateformes. Même s'ils sont des partenaires de vérification des faits et même s'ils ont suivi une formation, ils sont incapables de communiquer avec les plateformes. Ils ne peuvent même pas être vérifiés sur la plateforme, et encore moins avoir l'occasion de négocier.
C'est l'une des choses les plus importantes que fait ce projet de loi. Il crée également un précédent: « Quiconque crée une entreprise qui acquiert de la valeur en tirant parti du travail d'autres industries, doit verser une rémunération. » C'est un élément important du projet de loi.
De plus, nous avons vu partout dans le monde que Meta et Google essaient activement de faire avorter ce type de loi, malgré le fait qu'il y a un élan croissant dans le monde pour forcer les plateformes des grands de la technologie — ainsi que, encore une fois, les systèmes et les plateformes d'intelligence artificielle générative, dont bon nombre sont dominés par les mêmes grandes entreprises de technologie — à payer les informations qu'elles utilisent.
Il s'agit d'un enjeu très important qui, à mon avis, profitera aux médias canadiens et, éventuellement, aux médias du monde entier. Cela s'ajoute à cet élan. C'est une tentative visant au moins... Je ne pense pas qu'on puisse même dire qu'il s'agit de rééquilibrer les règles du jeu, parce que les règles du jeu sont fondamentalement faussées. C'est une goutte d'eau dans l'océan.
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La recherche montre que Google et Meta dominent jusqu'à 90 % du marché de la publicité numérique. Ils en contrôlent différents aspects grâce à un monopole vertical qui ajoute des serveurs et des échanges. Cela signifie que ces sociétés peuvent facturer des rentes de monopole sur la publicité en ligne.
Elles forcent aussi les entreprises de nouvelles à s'adapter et à fonctionner selon cette logique. Il a été question tout à l'heure des entreprises de nouvelles et de leur présence numérique. L'un des problèmes, c'est que les plateformes les obligent à fonctionner selon une logique de clics et d'engagement, et non en fonction de l'intérêt public, à cause du monopole vertical qu'elles détiennent sur l'écosystème de la publicité numérique.
Ce que ces études démontrent également, c'est que les nouvelles apportent une grande valeur à la publicité numérique diffusée sur une plateforme, peu importe qu'un internaute cherche ou non à avoir accès à ces nouvelles. Par exemple, la juste compensation pour la valeur que le contenu médiatique apporte au moteur de recherche Google, parce que les annonceurs veulent diffuser leur publicité numérique sur cette plateforme, représenterait environ 40 % des recettes totales, soit quelque 176 millions de dollars par année, et ce, en Suisse seulement.
Comme la population du Canada est plus importante que celle de la Suisse, vous pouvez donc vous attendre à ce que ce montant soit encore plus élevé au Canada.
Je vous remercie.
:
Merci, madame la présidente.
Monsieur Menzies, vous avez dit tantôt, dans vos commentaires d'introduction, que les fonds gouvernementaux devraient être réservés aux entreprises qui ne font que de la nouvelle, c'est-à-dire aux salles de nouvelles. Par exemple, les entreprises de radiodiffusion qui produisent aussi d'autres types de contenu devraient être exclues des aides gouvernementales, si j'ai bien compris.
Cela voudrait dire qu'en général, les radios commerciales et les télédiffuseurs seraient exclus de toute forme d'aide, même si leurs salles de nouvelles font un travail rigoureux.
Ai-je bien compris vos propos?
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Monsieur Trudel, nous avons constaté le phénomène du harcèlement à l'endroit des journalistes. Vous avez aussi parlé de l'importance de réduire la haine en ligne et d'éliminer les passe-droits que l'on donne aux géants du Web. À cet égard, vous ne serez pas surpris d'apprendre qu'on donne présentement un milliard de dollars aux entreprises Meta et Google par des subventions indirectes. Nous sommes en train de subventionner les compagnies qui veulent faire de la publicité sur Meta.
Quelles sont les mesures que le gouvernement devrait prendre? Devrait-il cesser de subventionner Meta et éliminer les passe-droits qui font en sorte de laisser libre cours aux manifestations de haine en ligne?
Qu'est-ce que le gouvernement devrait faire pour contrer la haine en ligne et mettre fin au harcèlement subi par les journalistes et par bien d'autres personnes, comme vous l'avez si bien dit?
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Pour répondre au premier volet de votre question, effectivement, les gouvernements devraient être cohérents. Comment justifier la dépense de centaines de millions de dollars pour des entreprises qui décident de ne pas respecter les lois canadiennes? De telles entreprises ne devraient pas recevoir de fonds, directement ou indirectement, du gouvernement. Cela va de soi, à mon avis.
Quant au deuxième volet de votre question, qui porte sur ce qu'il faut faire contre la haine en ligne, le règlement européen sur les services numériques, soit le Digital Services Act, donne déjà des pistes de solution. Essentiellement, à l'international, on observe que les États mettent en place des mesures pour forcer les plateformes telles que celle de Meta ou d'autres à mieux analyser et gérer les risques auxquels sont exposés les utilisateurs. Vous avez parlé, par exemple, des journalistes. Ce sont surtout les femmes qui font l'objet de harcèlement, souvent de façon concertée.
Voilà le genre de risque que les entreprises comme Meta et d'autres plateformes devraient être obligées d'analyser et de mieux gérer, de façon à éliminer ou à réduire le plus possible les pratiques de harcèlement. C'est sur le plan de la gestion systémique des risques que nous avons les meilleures chances de nous attaquer au fléau dont vous parlez, soit le harcèlement, et ce, non seulement contre les journalistes, mais aussi contre les personnes appartenant aux minorités, comme les femmes. Celles-ci sont particulièrement visées par le harcèlement systématique.
La gestion de ce risque est tout à fait à la portée des plateformes. Encore faut-il avoir le courage de les obliger à agir de la sorte. En Europe, on a commencé à le faire, et le Canada devrait suivre cet exemple.
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Bien, diverses solutions méritent un examen. Je pense qu'il faudrait envisager d'élargir la déduction fiscale pour tout abonnement ou tout don à un journal selon un modèle sans but lucratif. Si un gouvernement considère que les nouvelles sont un bien public, je pense qu'une déduction de 15 % sur votre abonnement à un journal est insuffisante, pour être poli.
J'ai déjà essayé de convaincre le Globe and Mail d'appuyer la campagne en faveur d'une déduction de 70 %. Ce serait la même chose que pour les partis politiques. Si les partis politiques pensent que les nouvelles représentent une valeur réelle, ils devraient reconnaître qu'elles ont autant de valeur qu'un parti politique. J'aimerais bien obtenir une déduction fiscale de 70 % pour mes abonnements, qui me coûtent très cher.
Si vous décidez d'aller dans cette direction, vous subventionnez alors le comportement que vous souhaitez voir, c'est-à-dire la consommation de nouvelles crédibles. Vous subventionnez le lecteur pour cela. L'effet positif se répercute sur l'employeur, parce qu'il peut ainsi vendre un plus grand nombre d'abonnements.
C'est là un exemple d'une mesure que les décideurs publics pourraient envisager afin que nous encouragions le genre de comportement que nous souhaitons, sans pour autant créer une dépendance directe à l'égard d'un financement par le gouvernement en place.
:
Merci, madame la présidente.
Ma question s'adressera aux représentants d'Unifor, que nous n'avons pas beaucoup entendus, puisqu'on ne leur a pas posé énormément de questions.
Madame Kotsis, vous avez dit, dans votre allocution d'ouverture, que votre préoccupation était la perte d'emplois dans le monde des médias. C'est un élément important, mais, puisque je suis sensible à la situation des francophones, pourriez-vous me dire combien il y a de francophones chez Unifor, parmi ses 315 000 membres?
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Merci, monsieur Hollin. Les francophones représentent donc une bonne partie de vos membres.
Madame Kotsis, vous avez dit, dans votre allocution d'ouverture, que les géants du Web prenaient les emplois des travailleurs canadiens dans les médias. C'est votre travail, comme syndicat, de protéger les travailleurs canadiens et leurs emplois. C'est important.
Comme je suis plus sensible à la situation des travailleurs canadiens francophones, j'aimerais vous poser une autre question qui les concerne.
Le gouvernement a conclu une entente avec Northvolt et Stellantis, mais nous ne sommes pas capables d'avoir de l'information. Vous êtes peut-être plus près du gouvernement actuel, et vous pourrez peut-être nous en dire davantage.
Pourriez-vous nous dire si ces ententes comprennent des mesures visant à protéger les francophones dans les usines situées au Québec?
:
D'accord. Je vais garder mon temps de parole. Merci beaucoup.
Pour revenir aux propos de M. Trudel, je suis partisan d'un radiodiffuseur public. Pour moi, c'est une bonne chose d'avoir un radiodiffuseur public, dans n'importe quel pays, qui est là pour le bien commun. Sauf erreur, c'est le premier ministre Bennett qui a donné sa structure moderne à la CBC/Radio-Canada. La meilleure chose que les conservateurs ont probablement faite est la création de CBC/Radio-Canada. C'est une organisation fantastique.
Dans ce monde d'Internet, en travaillant avec d'autres pays pour trouver des façons de collaborer et de renforcer notre soutien à l'information de qualité, comment un radiodiffuseur public trouve-t-il sa place dans cette collaboration? Je parie qu'il y a des pays qui n'ont même pas de radiodiffuseur public.
Comment cela s'intègre-t-il dans le grand tableau?
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Essentiellement, il faut trouver des façons originales de réinventer le service public. Partout dans le monde, on doit se poser la même question: comment peut-on concevoir, aujourd'hui, un service public d'information qui est pertinent et qui répond aux besoins des citoyens?
Il faut être capable de réinventer le service public. Les Canadiens consomment de plus en plus leur information sur Internet, dans des environnements en ligne. Il faut tenir compte de cette situation. Les diffuseurs publics, comme les autres, doivent apprendre à travailler en coopération. Ils le font déjà, mais ils doivent apprendre à travailler davantage en coopération pour tenir compte du fait que, désormais, nous vivons dans un monde où les frontières nationales ont de moins en moins d'importance.
Cela signifie, il me semble, que le service public est encore plus nécessaire que jamais, puisque c'est souvent le principal véhicule par lequel on va assurer l'accès des services à nos concitoyens faisant partie des minorités, notamment les services aux peuples autochtones. Dans cette optique, il faut intensifier la coopération.
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Par l'entremise de la présidence, je dirais que nous avons été témoins de beaucoup de représailles contre des chercheurs indépendants et de tentatives d'influencer la recherche universitaire.
Il est même très difficile d'avoir accès aux données nécessaires pour effectuer une grande partie de la recherche, par exemple, sur les flux de désinformation en ligne. Les plateformes ont une emprise très dangereuse sur notre capacité de comprendre notre écosystème d'information, la façon dont l'information et les communications circulent en ligne et, bien sûr, la façon dont le harcèlement se manifeste. C'est très préoccupant, et je pense que nous allons en voir de plus en plus, surtout avec l'IA générative, où l'accès aux modèles de données de masse et la puissance de calcul nécessaire pour effectuer cette recherche signifient que souvent seuls les chercheurs qui ont un lien quelconque avec une grande entreprise de technologie sont capables d'effectuer la recherche ou d'y avoir accès.
La Loi sur les services numériques ouvre l'accès aux chercheurs indépendants, mais seulement aux Européens. Je pense qu'il y a là un danger.
Je suis très troublé d'entendre que le gouvernement canadien subventionne les entreprises les plus riches du monde, et surtout une société comme Meta, qui est non seulement incroyablement riche et qui n'a pas vraiment besoin de subventions publiques, mais encore, et surtout, une société qui s'est révélée si dommageable pour notre santé publique, pour la santé de nos démocraties, pour la santé mentale et pour la santé des adolescents. Elle a accumulé tellement de pouvoir par ses monopoles verticaux et horizontaux qu'elle peut déjouer la surveillance démocratique. Elle peut tout simplement choisir de ne pas respecter la loi et de mettre fin au journalisme, un pilier essentiel de la démocratie, comme nous le savons tous...
:
Merci, madame la présidente.
Je vais plutôt profiter de mon tour de parole pour ramener la discussion sur la motion que j'ai proposée au Comité la semaine dernière. Cette motion tient compte du contexte actuel et, à plus forte raison, des nouvelles que nous avons reçues hier concernant les compressions importantes à CBC/Radio-Canada.
Je ne sais pas si les membres du Comité souhaitent que je lise de nouveau la motion, mais je pense que nous l'avons déjà lue et elle a été bien reçue la semaine dernière. Je pense que nous connaissons le contenu de la motion. Il s'agit de la motion selon laquelle nous devrions étudier la pertinence de tenir des états généraux sur le secteur des médias. À mon avis, cela est plus pertinent que jamais.
Si vous le permettez, madame la présidente, considérant le temps limité qu'il reste à cette réunion, avec l'accord de tout le monde, j'aimerais que nous passions tout de suite à la discussion sur cette motion.
J'espère que nous pourrons arriver à un vote sur cette importante motion.
:
D'accord. Ai-je le consentement unanime pour suspendre la séance? Je veux simplement avoir une idée claire de ce que souhaite le Comité.
(La motion est adoptée par 7 voix contre 4.)
La présidente: La séance va être suspendue, mais je veux que tout le monde sache ce que cela signifie. Lorsque nous reviendrons à notre prochaine réunion, c'est ici que nous reprendrons — avec l'examen de l'amendement de M. Noormohamed.
Merci. La séance est suspendue.
[La séance est suspendue à 13 h 5, le mardi 5 décembre.]
[La séance reprend à 8 h 22, le jeudi 7 décembre.]
:
Bienvenue de nouveau à la 103
e réunion du Comité permanent du patrimoine canadien.
Nous reprenons la réunion de mardi, qui avait été suspendue.
Je voudrais reconnaître que cette réunion a lieu sur le territoire traditionnel non cédé de la nation anishinabe algonquine.
La réunion d'aujourd'hui se déroule sous forme hybride, conformément au Règlement. Les députés peuvent participer en personne ou au moyen de l'application Zoom.
[Traduction]
Nous avons une réunion hybride aujourd'hui.
Comme la séance a été suspendue, je peux m'occuper des questions d'intendance.
Ne prenez pas de photos de la réunion.
Veuillez porter un masque si vous le pouvez, même si ce n'est pas obligatoire. Question de santé.
N'oubliez pas d'adresser vos questions ou vos commentaires à la présidence. Vous ne pouvez pas parler tant que je ne vous donne pas la parole.
Nous reprenons là où nous en étions à la dernière réunion. Nous sommes saisis d'un amendement proposé par M. Taleeb Noormohamed, du Parti libéral.
Voulez-vous prendre la parole et proposer votre amendement? Tout le monde l'a maintenant.
Merci.
:
Merci, madame la présidente.
Tout le monde l'a déjà lu, mais peut-être aimerait-on que je le relise.
Je pense que M. Champoux a proposé un excellent point de départ. En fait, les modifications mineures que nous y avons apportées visent à faire en sorte que ceux qui connaissent le mieux l'espace convoquent le groupe et le pilotent en ce sens, à la place du gouvernement, même si nous veillons également à ce que les divers paliers de gouvernement soient invités à prendre part à la conversation.
J'espère que nous pourrons tous nous entendre là-dessus, comme nous en avons tous exprimé la volonté. Grâce à ces modifications mineures, nous pourrons faire avancer le travail que nous devons tous faire en tant que groupe et nous pourrons atteindre tous nos objectifs et satisfaire tous nos intérêts sur la question. C'est tout ce que j'avais à dire à ce sujet.
Le peaufinage de cette motion découle sans doute d'une bonne intention du député, mais je vais quand même signaler ce qu'elle donne.
Elle dit que « le Comité entreprenne une étude visant à déterminer s'il conviendrait que le secteur de l'information nationale tienne des États généraux ». Autrement dit, le Comité déterminera s'il conviendrait que les intervenants du secteur de l'information nationale organisent des États généraux pour chercher un moyen de surmonter leurs problèmes.
Pourquoi reviendrait-il au Comité de déterminer s'il convient ou pas que les intervenants organisent ces États généraux? Ce n'est pas à nous d'en décider. Nous ne pouvons pas déterminer si cela convient ou pas. S'ils veulent le faire, ils n'ont qu'à le faire. Cela modifie complètement la motion, parce qu'elle nous donne le pouvoir de déterminer s'il conviendrait que le secteur de l'information nationale...
:
Je trouve très intéressants les propos de Mme Thomas.
Je veux expliquer quelle était la nature initiale de la motion. Je ne pense pas que le gouvernement doive entreprendre cette étude ni qu'il appartienne aux parlementaires de la faire. Je pense toutefois que quelqu'un, quelque part, doit donner le signal que cette étude est essentielle. C'est un peu l'esprit de la motion initiale. Il s'agit de dire qu'on doit mettre en place un processus de réflexion, créer un forum national, tenir des états généraux sur l'état du secteur de l'information.
En fait, je présumais que, au terme de notre évaluation au sein du Comité, nous allions confier aux gens du secteur la tâche de mener eux-mêmes ces états généraux, en fournissant évidemment un cadre, pas un cadre de discussion ou une orientation, mais le soutien nécessaire pour faire cette étude de façon indépendante, il va sans dire.
Quoi qu'il soit, je crois qu'il appartient aux gens du secteur de l'examiner, de faire une autoévaluation et de déterminer quels sont les défis qui l'attendent. Je pense que les gens du secteur le savent. Ils doivent déterminer quels sont les moyens à prendre pour affronter les défis actuels et ceux des années à venir.
En ce sens, je pense que l'amendement de M. Noormohamed est intéressant. Il fait un pas de plus, si on veut, dans la réflexion que je voulais que nous ayons ensemble. Au bout du compte, je pense que c'est la bonne voie à emprunter que de dire que ce sont les gens du secteur qui doivent l'encadrer, se réunir et faire cette autoévaluation. Je n'ai rien contre l'ajout d'un peu plus de précisions, mais je pense que ce sont des choses que nous pourrons faire au moment où nous évaluerons la pertinence de tenir des états généraux, ce qui constituera le mandat que le Comité se donnera pour la courte étude que nous consacrerons, conformément à ma motion.
C'est pour cela que je trouve que cet amendement est tout à fait acceptable. Si nous voulons procéder dans ce sens, nous pouvons le faire rapidement. Nous aurons le temps, au cours des quatre réunions prévues pour cette courte étude, de déterminer, comme le soulignait Mme Thomas, de quelle façon les gens du secteur vont pouvoir tenir ces états généraux et s'organiser, avec le soutien dont ils auront besoin, éventuellement, du gouvernement et des parlementaires. S'ils sont capables de le faire de manière tout à fait autonome, c'est encore mieux.
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Au sujet de l'amendement, je vous remercie, madame la présidente, ainsi que Mme Thomas, d'avoir soulevé le problème ici. Beaucoup d'entre nous sont ici depuis de nombreuses années. Nous avons vu de nombreuses agences de presse — des journaux et, dans une mesure moindre, la radio, mais certainement beaucoup de télévision. Beaucoup de ces agences sont à couteaux tirés entre elles, pour être franc avec vous, surtout dans le secteur de la télévision.
Je suis ici depuis longtemps. Je ne suis pas sûr de pouvoir appuyer cette motion. Depuis huit ans, je vois ces agences de presse venir pleurer ici en disant ceci et cela. C'est intéressant, parce que Bell Média et d'autres sont propriétaires de Maple Leaf Sports & Entertainment, et pourraient ouvrir leur porte-monnaie et mettre sous contrat dès cette semaine le meilleur joueur de baseball au monde. Il sera intéressant de voir comment ils vont présenter cela sur leur plateforme médiatique. J'en ai assez entendu de la part des médias. S'ils veulent le faire, ils peuvent se réunir. Je sais que, surtout du côté de la télévision, ce n'est pas l'amour tendre entre CTV et CBC. Ce n'est pas l'amour tendre entre la télévision de Radio-Canada et CBC. Ce n'est pas l'amour tendre entre Global, Corus, CTV et CBC. S'ils veulent se réunir, ce qu'ils feraient probablement à Palm Springs ou en Floride, parce que c'est là que se retrouvent tous les propriétaires, rien ne les en empêche.
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Eh bien, sur le point qui a été soulevé, je vais peut-être juger cet amendement irrecevable, parce qu'il n'a aucun sens.
M. Taleeb Noormohamed: Madame la présidente, le...
La présidente: Permettez-moi de terminer, s'il vous plaît, monsieur Noormohamed.
Un comité permanent de la Chambre des communes n'a pas le pouvoir de dire à un secteur comment se comporter, et c'est le sens de cet amendement, grammaticalement parlant. C'est ce que dit Mme Thomas. Ce n'est pas l'intention que traduit la motion, mais c'est ainsi qu'elle est formulée. Il faut la corriger. C'est ce qu'on dit. Il ne s'agit pas de l'esprit, mais de la lettre.
Du point de vue grammatical, on dit que le Comité devrait décider s'il convient que le secteur de l'information nationale tienne des États généraux. Ce n'est pas à nous d'en décider. Nous ne pouvons pas décider cela.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
[Français]
D'abord, j'appuie l'idée que le gouvernement fédéral soutienne la tenue d'états généraux sur le secteur des nouvelles partout au pays. C'est extrêmement important. On sait que les médias traversent une crise. On a vu que des compressions budgétaires ont été annoncées à TVA et, dernièrement, très malheureusement, celles annoncées par CBC/Radio-Canada. Je sais que nous aurons la chance d'en discuter plus tard. Il va falloir que la présidente de la Société Radio-Canada revienne pour parler de cette situation. D'un côté, on donne des primes, et de l'autre, on supprime des postes. En tant que comité, notre rôle est de conseiller le gouvernement sur la pertinence d'appuyer une telle initiative.
[Traduction]
Si tel est notre rôle, il ne s'agit pas de mener une étude pour déterminer s'il convient que le secteur de l'information nationale le fasse. Il s'agit en fait — et c'est le sous-amendement que je vais proposer — de déterminer s'il convient que le gouvernement appuie le secteur de l'information nationale pour la tenue de ces États généraux nationaux sur l'information.
Si c'est son choix, il faudra l'aide du gouvernement fédéral. Nous avons un secteur en crise. Je comprends certainement les commentaires de M. Waugh au sujet de certaines sociétés qui possèdent certains des médias qui tirent très bien leur épingle du jeu et qui choisissent de ne pas investir dans le secteur de l'information, mais la réalité, c'est que cela n'arrivera pas, à moins que le gouvernement fédéral ne juge que c'est assez important pour justifier son aide.
J'aimerais proposer en sous-amendement de remplacer les mots « s'il conviendrait que le secteur de l'information nationale tienne » par les mots « s'il conviendrait que le gouvernement aide » le secteur de l'information nationale. Le sous-amendement a donc pour effet d'insérer les mots « le gouvernement aide » entre les mots « s'il conviendrait que » et « le secteur de l'information nationale ». À mon avis, ce sous-amendement entre dans nos attributions. Cela nous permet d'examiner la forme que pourrait prendre l'aide gouvernementale si le secteur de l'information en décide ainsi, de même que d'encourager le secteur de l'information nationale à tenir ces États généraux.
En particulier, lorsque je pense à ma collectivité, le Burnaby Beacon, le Burnaby Now, le New West Anchor et The Royal City Record sont tous en difficulté. Il faut nous demander si ce n'est pas lié au fait que nous continuons de verser plus d'un milliard de dollars par année à Meta et à Google, sans pour autant venir en aide aux journalistes locaux, qui font un travail extraordinaire pour produire des nouvelles factuelles.
C'est certainement dans les attributions du Comité, à mon avis.
Encore une fois, le sous-amendement se lirait comme suit après « s'il conviendrait que » « le gouvernement aide le secteur de l'information nationale ».
:
Merci, madame la présidente.
Je trouve très intéressant ce que mon collègue M. Shields vient de souligner à propos de la participation éventuelle des autres ordres de gouvernement, notamment à l'échelon provincial. J'ai eu cette conversation avec mon collègue M. Waugh, et j'ai répondu à cette interrogation. Il m'a fait part, lui aussi, de sa préoccupation de faire intervenir les gouvernements provinciaux.
Tout d'abord, nous ne les obligeons pas. Il est question de les inviter à la discussion. Le gouvernement du Québec a précisément demandé d'être consulté dans ce genre de discussion. Il a également demandé de participer à la discussion actuelle. D'ailleurs, le gouvernement québécois est en train de mettre en place un fonds d'aide aux médias. C'est certainement une invitation que les autres ordres de gouvernement accueilleraient avec beaucoup de bonheur.
Je pense qu'il est tout à fait pertinent, dans ce contexte, d'inclure d'autres ordres de gouvernement qui manifesteraient leur intérêt à participer à la discussion.
Je tiens à souligner aussi que même la participation des gouvernements de proximité, comme les gouvernements municipaux, qui voudraient avoir leur mot à dire lors de telles audiences serait tout à fait pertinente. En effet, la question de la couverture médiatique en région est extrêmement préoccupante présentement. Les municipalités sont aux premières loges pour constater cet état de fait.
Je pense que ce n'est pas du tout farfelu d'ajouter les autres ordres de gouvernement et de les inviter éventuellement à venir donner leur point de vue lors de telles audiences.
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Nous traitons de la motion modifiée par M. Julian. Tenons-nous-en à cela pour le moment. Il ne semble pas y avoir de sous-amendement visant à modifier le libellé actuel. À moins que quelqu'un d'autre ait quelque chose à ajouter, je vais mettre l'amendement modifié aux voix.
(L'amendement modifié est adopté par 7 voix contre 4. [Voir le Procès-verbal])
La présidente: L'amendement modifié est adopté, alors nous allons maintenant passer à la motion modifiée de M. Champoux.
Y a-t-il des commentaires à ce sujet, s'il vous plaît? Si vous le voulez, je vais lire la motion modifiée de M. Champoux, mais vous devriez tous l'avoir devant vous. Je l'ai lue la dernière fois, mais je peux la relire si vous le souhaitez.
J'aimerais qu'on vote maintenant sur la motion modifiée de M. Champoux.
(La motion modifiée est adoptée par 7 voix contre 4. [Voir le Procès-verbal])
La présidente: Merci. La motion modifiée est adoptée.
Je pense que nous devons passer à l'ordre du jour, c'est-à-dire à l'audition des témoins. Je demande donc que nous suspendions la séance pendant que nous entamons la deuxième partie de la réunion et que nous faisons avancer les témoins.
Merci beaucoup.
La séance est suspendue.
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Bonjour. Je m'appelle Erik Peinert. Je suis le directeur de recherche de l'American Economic Liberties Project, un organisme de défense des intérêts et des politiques dont le siège se trouve à Washington et qui se concentre sur la réduction de la concentration du pouvoir économique afin d'élargir les possibilités pour les petites entreprises, les travailleurs et les collectivités. J'ai obtenu un doctorat de l'Université Brown, où mes recherches ont porté sur la concurrence, le monopole et l'antitrust et ont été publiées dans des revues universitaires de premier plan.
Je vous remercie de me donner l'occasion de parler aujourd'hui du modèle de coercition des géants du Web en réaction à la réglementation, plus précisément de la récente mesure prise par Meta pour bloquer l'accès des Canadiens aux articles de presse sur ses plateformes en guise de représailles pour l'adoption du projet de loi C-18, Loi sur les nouvelles en ligne. Cela fait suite à une mesure presque identique prise en 2021 par Meta — alors Facebook — pour obtenir des concessions de l'Australie relativement à son code de négociation des médias d'information.
La présente discussion survient à un moment où l'industrie de l'information de partout dans le monde est en péril. C'est une industrie que j'observe de près depuis mon enfance. J'ai été élevé par une journaliste. Ma mère a commencé sa carrière comme journaliste pour un journal local dans une région rurale de la Nouvelle-Angleterre à la fin des années 1970. Elle a occupé divers postes de rédaction dans de petites villes, après quoi elle est passée à la salle de rédaction du Boston Globe, puis à des postes de direction au Boston Globe et chez GateHouse Media, aujourd'hui Gannett. Elle est maintenant propriétaire de plusieurs journaux locaux indépendants dans des banlieues du Massachusetts.
Mon expérience personnelle et professionnelle m'amène à soulever deux grands points aujourd'hui, le premier étant le modèle d'affaires des plateformes dans ce marché. Les entreprises médiatiques paient pour produire et distribuer du contenu qu'un grand nombre de lecteurs trouvent utile. Elles vendent ensuite de la publicité aux entreprises qui veulent présenter leurs produits à ces lecteurs. D'un côté, Meta et Google sont devenus le principal moyen pour les lecteurs d'accéder aux médias d'information, ce qui leur donne du pouvoir sur les organes de presse, avec une menace implicite de couper le lectorat. De l'autre côté, Meta et Google ont également un duopole efficace sur la publicité numérique et font face à des poursuites intentées au titre des lois antitrust pour monopolisation illégale dans cet espace.
Ces entreprises n'offrent pas tellement de produits pour les téléspectateurs. Elles utilisent plutôt leur double contrôle du trafic et de la publicité sur Internet pour monétiser le contenu que les journalistes produisent à un coût très élevé. Des recherches récentes menées par des économistes de l'Université de Zurich indiquent que 40 % des recettes totales de Google tirées de la publicité liée aux recherches iraient à des éditeurs et à d'autres organes de presse si la concurrence était plus vive. Comme les entreprises de médias paient pour produire le contenu et que les géants du Web obtiennent les revenus publicitaires, cela détruit le modèle de journalisme dont une démocratie a besoin.
La décision de Google de conclure une entente avec le gouvernement canadien la semaine dernière, de verser environ 100 millions de dollars canadiens par année aux médias et aux éditeurs, ne fait que confirmer cette situation. Elle reconnaît la valeur que les plateformes tirent du journalisme. Le différend portait sur le barème des paiements et les modalités de négociation — à savoir s'il faut conclure une seule entente ou s'il faut créer des groupes de négociation — plutôt que sur la question de savoir si une indemnisation était due.
Cela m'amène à mon deuxième point: pourquoi ces entreprises réagissent-elles aux propositions réglementaires par l'intimidation, les menaces et la coercition? Plutôt que de prendre des décisions d'affaires rationnelles en réaction aux changements réglementaires — comme Meta le prétend en ce qui concerne le projet de loi C-18 —, cette entreprise considère la surveillance et la gouvernance du marché comme une menace existentielle pour ses modèles d'affaires prédateurs, et elle réagit avec hostilité.
Par exemple, ces géants du Web se servent des cadres entourant le commerce et l'investissement pour empêcher les gouvernements du monde entier de les réglementer. Leur dernière stratégie vise à obliger les gouvernements à inclure des clauses sur le commerce numérique dans les accords commerciaux bilatéraux et multilatéraux. De cette façon, les géants du Web sont mieux placés pour soutenir que des politiques comme la Loi sur les nouvelles en ligne constituent des violations du droit commercial parce qu'elles exercent une discrimination à l'endroit d'entreprises comme Google et Meta en raison de leur origine américaine, sans tenir compte du fait que ces entreprises sont ciblées en raison de leur taille et non du lieu de leur constitution en personne morale.
C'est aussi le cas même si, comme multinationales américaines, leur pays d'origine envisage bon nombre des mêmes politiques ou des politiques similaires, la Journalism Competition and Preservation Act étant sans cesse présentée au Congrès américain. Dans une certaine mesure, elles ont réussi à convaincre les gouvernements nord-américains d'inclure des clauses commerciales expansionnistes dans l'ACEUM de 2020. Les associations industrielles américaines utilisent déjà ce libellé pour alléguer que la Loi sur les nouvelles en ligne viole les engagements du Canada en vertu de l'ACEUM.
Fait encore plus flagrant, la semaine dernière, Meta a intenté une poursuite contre l'American Federal Trade Commission, l'un de ses principaux organismes de réglementation, soutenant que la commission elle-même était inconstitutionnelle et donc effectivement illégale comme organisme de réglementation, plutôt que de faire face à une ordonnance sur consentement modifiée fondée sur des violations de la vie privée que l'entreprise a commises à maintes reprises au cours de la dernière décennie et qui, selon la FTC, impliquaient des données sur les enfants.
En ajoutant peu de valeur sociale claire, mais ayant appris à en profiter néanmoins, Meta a à maintes reprises fait preuve de mépris à l'égard de la primauté du droit dans cet espace, préférant détruire le système juridique des États-Unis et d'ailleurs plutôt que d'élaborer un modèle d'affaires qui soit à la fois rentable et socialement avantageux.
Ayant vu les difficultés toujours de plus en plus graves que connaît l'industrie de l'information au cours de ma vie, je félicite le gouvernement canadien d'avoir adopté la Loi sur les nouvelles en ligne. Nous espérons que des politiques semblables seront adoptées aux États-Unis.
Merci.
:
Merci beaucoup de m'avoir invitée.
Je m'appelle Nora Benavidez et je suis conseillère principale chez Free Press — pas The Free Press, qui est une entité différente. Je tenais à le préciser.
Nous sommes une ONG établie aux États-Unis, où je mène des campagnes de responsabilisation publique et des efforts de réforme des politiques fédérales pour veiller à ce que la technologie protège les droits de la personne et les droits civils et défende la démocratie.
Après des années de travail de la part de la société civile, des universitaires et des législateurs documentant les préjudices causés par les médias sociaux et exhortant à une plus grande responsabilisation, les plus grandes entreprises du Web ont réagi avec désintéressement. Pire encore, elles ont de plus en plus recours à des tactiques dangereuses pour échapper à la reddition de comptes. Je vais en parler un peu aujourd'hui.
Depuis la pandémie mondiale, d'autres crises comme l'insurrection du 6 janvier au Capitole des États-Unis, la tentative de coup d'État au Brésil en janvier de cette année et le conflit actuel au Moyen-Orient illustrent le rôle essentiel que jouent les plateformes de médias sociaux en influant rapidement sur des événements en train de se produire.
Le fait qu'elles n'aient pas vérifié et supprimé le contenu qui viole leurs propres conditions d'utilisation cause des préjudices aux utilisateurs et les aliène. Le fait de ne pas modérer le contenu entraîne inévitablement la migration des mensonges et de la toxicité, des plateformes en ligne vers les médias grand public.
Aujourd'hui même, notre organisation, Free Press, a publié une nouvelle recherche sur le recul des grandes entreprises du Web. Au cours de la dernière année seulement, Meta, Twitter et YouTube ont affaibli leurs politiques en matière de publicité politique, créant ainsi dans le monde entier un espace pour les mensonges dans les publicités en prévision des élections de l'an prochain. Elles ont affaibli leurs politiques en matière de protection de la vie privée pour donner aux outils d'intelligence artificielle accès aux données des utilisateurs, et elles ont mis à pied collectivement près de 40 000 employés.
Les équipes chargées du lien de confiance et de la sécurité, de l'ingénierie éthique, de l'innovation responsable et de la modération du contenu ont subi des réductions massives de leurs effectifs. Il s'agit des équipes chargées de maintenir la santé générale d'une plateforme et de protéger les utilisateurs contre tout préjudice.
Cette dangereuse régression a été scrutée à la loupe. Les preuves proviennent de dénonciateurs, de chercheurs qui examinent la discrimination algorithmique; les pressions viennent également d'organisations comme la nôtre, qui exhortent les annonceurs à quitter Twitter en raison des décisions d'Elon Musk, qui rendent la plateforme plus haineuse et violente.
Tout cela montre qu'on ne peut pas faire confiance aux entreprises du Web pour se gouverner elles-mêmes. Leur réponse a été loin d'être collaborative. Elles ont adopté plusieurs nouvelles tactiques pour bloquer toute forme d'enquête et toute reddition de comptes.
La première consiste à bloquer l'accès des chercheurs et des API aux données de la plateforme. Les chercheurs se butent maintenant à diverses restrictions. En 2021, Facebook a empêché l'observatoire publicitaire de l'Université de New York d'avoir accès aux services de sa plateforme, après des mois d'enquête sur l'analyse des outils de son répertoire publicitaire. Twitter a rendu son API presque impossible à utiliser pour les chercheurs, en raison du coût élevé. Toutes les grandes plateformes exigent un préavis de la part des chercheurs, qui doivent être affiliés à des universités pour avoir accès à son API. Cela établit un processus de facto par lequel les plateformes peuvent approuver ou rejeter l'accès à la recherche si elles n'aiment pas la façon dont le produit final pourrait être utilisé.
La deuxième grande menace que nous voyons maintenant, ce sont les poursuites pour faire taire les chercheurs et les critiques. Elon Musk a adopté cette tactique et s'en est pris à plusieurs entités de recherche et ONG qui étudient la mesure dans laquelle la haine persiste et grandit sur Twitter. Musk a intenté des poursuites contre plusieurs organisations, dont le Center for Countering Digital Hate — je sais que son PDG a également comparu devant vous —, l'État de la Californie et Media Matters for America. Il a aussi menacé d'autres organisations.
Ces poursuites sont dangereuses pour les chercheurs, mais elles sont également dangereuses pour le public, qui sera vraiment tenu dans l'ignorance des pratiques contraires à l'éthique des entreprises du Web.
Enfin, la troisième grande préoccupation concerne les attaques intersectorielles, l'abus du pouvoir officiel pour poursuivre les chercheurs qui étudient la désinformation. L'été dernier, le président du Comité de la justice de la Chambre des représentants des États-Unis, Jim Jordan, a mené une campagne visant à exiger des documents d'éminents universitaires, les accusant de réprimer la liberté d'expression, en particulier celle des conservateurs. Ces attaques ont certainement incité les chercheurs à mettre fin à l'important travail qu'ils faisaient.
Les grandes entreprises du Web n'ont pas à s'en prendre à tous les chercheurs et à tous les militants qui s'intéressent à la responsabilisation des géants du Web, parce que ces mesures ont déjà un effet paralysant. Nous avons constaté, au vu et au su de tous, que les entreprises du Web jouent presque toutes les cartes pour éviter la réglementation et la reddition de comptes. Leurs plateformes minent la démocratie, les droits civils et les droits de la personne, la vie privée et la sécurité publique. C'est pourquoi je suis très heureuse d'être ici aujourd'hui pour discuter avec vous.
Nous avons demandé au gouvernement américain d'exiger plus de transparence, de réduire au maximum les données que les entreprises recueillent, utilisent et conservent, d'interdire les algorithmes discriminatoires et d'instaurer une taxe sur la publicité en ligne et de redistribuer ces fonds pour appuyer le journalisme local, indépendant et non commercial.
Merci beaucoup de votre temps. Je serai heureuse de répondre à vos questions.
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Merci, madame la présidente.
Je remercie les membres du Comité de m'avoir invité à participer aujourd'hui. Comme la présidente l'a dit, je m'adresse à vous à titre de rédacteur en chef de The Hub, une organisation canadienne de nouvelles en ligne que j'ai cofondée il y a près de trois ans. Nous publions un éventail de commentaires d'opinion, de nouvelles standard et une série de balados.
Nous bénéficions d'un soutien philanthropique. La taille de notre public, notre mélange de contenu et notre niveau d'engagement augmentent considérablement. Nous nous considérons comme une partie de plus en plus précieuse de l'écosystème des médias d'information du pays et comme un contributeur important à son discours sur les politiques publiques. Comme organisation, The Hub s'est généralement opposée à l'intervention gouvernementale à l'appui de l'industrie des médias d'information. J'aimerais prendre le temps qui m'est accordé pour expliquer comment nous en sommes venus à réfléchir à ce qui se passe dans l'industrie et comment les décideurs devraient réagir.
Le journalisme est en pleine transformation. Les modèles d'affaires traditionnels ont été perturbés par les nouvelles technologies et l'essor de plateformes en ligne comme Google et Meta, comme les autres témoins l'ont indiqué. Ce processus de perturbation créative a entraîné une grande destruction. Il a mené à la rationalisation des entreprises, à des mises à pied et même à des fermetures pures et simples, mais il y a aussi une dynamique créative, dont fait partie The Hub. Des acteurs nouveaux et émergents expérimentent différents modèles d'affaires, formes de contenu et relations avec leurs publics afin de déterminer comment créer une entreprise durable qui, en fin de compte, est soutenue par les marchés, au sens large.
La plupart de ces entités vont échouer. Certaines réussiront. Certaines se spécialiseront. D'autres cibleront des régions géographiques ou des points de vue particuliers. Certaines fonctionneront comme des entreprises à but lucratif. D'autres prendront la forme d'organismes sans but lucratif ou même d'organismes financés par des dons comme le nôtre.
Le processus que je décris est compliqué et incertain, mais ce n'est pas un échec du marché qui nécessite une intervention gouvernementale à grande échelle. C'est une correction du marché que les décideurs devraient, de façon générale, laisser jouer. Il s'agit bien sûr du même processus de marché dynamique qui a transformé d'autres secteurs de notre économie au fil du temps et qui, en fin de compte, a contribué au progrès et à la prospérité du pays.
On pourrait soutenir que les médias d'information sont différents, que ce n'est pas la même chose que les autres secteurs, qu'ils jouent un rôle plus crucial dans notre vie civique et démocratique et qu'ils devraient donc être traités différemment. Cet argument a du sens. À The Hub, nous croyons passionnément à l'importance d'une information fiable dans notre société démocratique, mais nous ne devrions pas laisser nos bonnes intentions entraver le processus de changement dicté par le marché. Cela indiquerait effectivement que le modèle d'affaires existant est le seul capable de répondre à nos besoins démocratiques. C'est un secteur d'activité ancien qui ne tient pas compte de l'innovation captivante qui se produit dans l'industrie.
Cela dit, il y a peut-être certains domaines où la politique publique peut jouer un rôle pour mieux permettre la transformation qui se produit sur le marché, plutôt que de jouer un rôle déterminant qui essaie de supposer dans quelle direction le marché devrait aller. Par exemple, il faudrait augmenter le crédit d'impôt pour dons de bienfaisance pour les organisations de journalisme enregistrées au même niveau que le crédit d'impôt pour dons aux partis politiques. Il serait logique de reconnaître que les deux institutions — les médias et les partis politiques — ont des rôles clés à jouer dans le fonctionnement de notre démocratie. Un autre exemple serait de rendre remboursable le crédit d'impôt sur les abonnements pour les organisations de journalisme canadiennes admissibles et d'en accroître la générosité.
L'avantage de ces deux propositions, c'est qu'elles suivraient le choix des consommateurs canadiens. En ce sens, elles seraient soumises à un test de marché plutôt qu'aux diktats du gouvernement lui-même.
Je résumerais ainsi mes observations. Premièrement, il est prématuré de conclure que nous avons atteint un échec du marché qui nécessite une intervention gouvernementale majeure. Si l'on agissait ainsi, l'industrie n'aurait plus à trouver un moyen de créer un journalisme durable, et cela nuirait à l'innovation menée par des médias indépendants comme The Hub. Deuxièmement, dans la mesure où le gouvernement choisit d'intervenir, la politique publique devrait généralement être neutre et subordonnée aux signaux des consommateurs. J'ai proposé quelques options, mais il y en a sans doute d'autres.
Permettez-moi de conclure sur ce point, mesdames et messieurs les membres du Comité. The Hub présente actuellement une série qui nous enthousiasme beaucoup et qui s'intitule « The Future of News ». Nous faisons entendre des voix et des points de vue différents, y compris certains que vous avez entendus au Comité, dans nos pages pour parler de la façon d'aller de l'avant, plus précisément de la façon de créer les conditions d'un secteur du journalisme durable.
Je peux vous dire qu'après trois ans à The Hub, nous pouvons dire avec optimisme que les entrepreneurs et les marchés sont effectivement capables de créer un journalisme durable et nous encouragerions les décideurs à réduire au maximum leur intervention dans ce processus. Cette approche serait dans l'intérêt du journalisme et, à mon avis, de notre démocratie.
Merci.
:
L'un des défis, madame Thomas, que doivent relever les entreprises en démarrage pour bâtir un public et sensibiliser le marché, c'est, bien sûr, de trouver différents canaux pour rejoindre ce public.
Jusqu'à maintenant, pour The Hub — et je pense que d'autres ont témoigné en ce sens —, Meta et Google ont joué un rôle important dans ce processus. Nous ne voyons pas les plateformes comme une menace ou un rôle contre-productif. Ils nous ont permis de bâtir et de faire croître des organismes de presse de plus en plus durables qui peuvent commencer à combler certaines des lacunes créées par le processus de perturbation, qui est au cœur d'une grande partie du travail du Comité.
L'une des conséquences du projet de loi C-18, bien sûr, c'est que bon nombre d'entre nous ont perdu la capacité de communiquer, de joindre notre auditoire actuel et de l'élargir, parce que la loi a fait en sorte que Meta a quitté le marché canadien. Heureusement, l'entente entre Google et le gouvernement a empêché que Google quitte le marché de la même façon. Si cela s'était produit, je crains qu'une bonne partie des progrès que nous constatons dans le secteur des nouveaux médias indépendants auraient été fondamentalement perturbés.
Je dirais que, à mesure que vous songez au travail que fait le Comité, je vous encouragerais à commencer par le serment d'Hippocrate, de s'abstenir de tout mal. Permettre aux entrepreneurs, aux innovateurs et, bien sûr, aux organisations médiatiques de longue date de passer par le processus itératif d'essais et d'erreurs pour déterminer comment nous pouvons continuer à diffuser les nouvelles et l'information dont les Canadiens ont besoin, en tenant compte de l'évolution de l'environnement technologique.
À l'heure actuelle, en vertu du projet de loi ... Pardon, je ne devrais pas dire cela.
Google a réussi à obtenir une exemption du projet de loi et a offert 100 millions de dollars au secteur de l'information en échange de cette exemption. Le directeur parlementaire du budget a proposé qu'environ un tiers de ce financement soit versé à Radio-Canada/CBC, qui reçoit déjà 1,4 milliard de dollars de l'État et qui génère 400 millions de dollars en revenus publicitaires et en abonnements.
Quelles répercussions cela aurait-il sur l'ensemble du marché des médias d'information et sur leur avenir au Canada, alors que les grandes sociétés technologiques et le gouvernement s'entendent pour donner le tiers de cet argent à un radiodiffuseur public?
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Je répondrai en soulignant deux choses, madame la présidente.
Tout d'abord, mentionnons le risque de perdre la confiance du public à l'égard des médias. Ceux-ci, d'une part, sont responsables de demander des comptes aux gouvernements et aux grandes entreprises de technologie pour bon nombre des raisons mentionnées par les deux autres témoins. On ne peut s'empêcher de penser que, en fait ou en apparence, leur capacité de s'acquitter de cette fonction de reddition de comptes sera minée. À mon avis, les décideurs doivent prendre cela au sérieux. L'industrie le prend au sérieux.
De manière plus générale, je dirai qu'un modèle qui ne suit pas les signaux des consommateurs et du marché, mais qui place le gouvernement ou, dans ce cas-ci, une association ou un interlocuteur de l'industrie — dans ce cas particulier, Google — est très inquiétant. En effet, quelqu'un décidera de la distribution des ressources. Les entreprises en démarrage comme The Hub craignent que ces ressources soient dirigées de façon disproportionnée vers les entreprises médiatiques existantes et non vers les secteurs qui sont en pleine croissance et qui innovent.
Malheureusement, il ne s'agit pas d'une conséquence involontaire du cadre stratégique établi. Cette conséquence est inhérente à ce cadre.
Voilà pourquoi j'ai dit dans ma déclaration que, si le gouvernement ou le Comité décide de prendre des mesures pour appuyer le secteur, je pense que le financement public devrait privilégier, dans la mesure du possible, les préférences des consommateurs et les signaux du marché. Il faut réduire au minimum la capacité qu'a le gouvernement ou, dans ce cas-ci, un représentant quelconque de l'industrie, de déterminer l'affectation ultime des ressources.
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Je vais approfondir cette question à deux niveaux. Il faut souligner qu'en journalisme — surtout au niveau local ou, dans le contexte américain, au niveau de l'État —, pour parler aux politiciens, aux fonctionnaires et aux membres de la collectivité, il faut faire beaucoup de travail direct. Aucune technologie ne peut remplacer cela. C'est coûteux, et il faut engager des journalistes pour faire ce travail. Les entreprises médiatiques et des entreprises journalistiques en assument les frais.
Quant à l'autre côté de l'équation, la possibilité pour les grandes sociétés technologiques de monopoliser le marché, je tiens à souligner que nous ne faisons pas face à des forces abstraites du marché ou à des signaux de prix, mais à un groupe d'entreprises qui se sont développées et qui, avant tout par une série de fusions, ont créé une structure de marché particulière qui leur permet de rafler une majorité écrasante des revenus et des profits.
Google possède les outils de gestion de la publicité qu'utilisent les annonceurs qui achètent des annonces publicitaires — le marché de la publicité en ligne — et les entreprises médiatiques qui vendent ces annonces. Dans ces marchés, on a observé Meta et Google truquer ces mêmes outils pour favoriser leurs propres annonces publicitaires.
Ce changement technologique n'est certainement pas tombé du ciel. Il vient d’une démarche commerciale qui permet à ces entreprises de maximiser leurs profits en fixant ce qu’elles reversent, et à qui. Les sociétés Google et Meta ne paient pas directement les entreprises médiatiques et n'embauchent même pas de journalistes. Elles exploitent le journalisme. En ligne, elles ont fait croire que le flux d’information pouvait être gratuitement acheminé par leurs plateformes sans rémunération en contrepartie.
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Il est difficile de quantifier les annonces qui ciblent différents utilisateurs parce que, comme je l'ai mentionné dans ma déclaration préliminaire, le fonctionnement de ces entreprises est très opaque. Les tentatives que font les chercheurs et d'autres gens pour obtenir des renseignements se heurtent aux diverses tactiques que j'ai décrites.
Cela dit, nous avons observé certains faits notables au fil des ans. En particulier, pendant les périodes électorales, nous savons que certains groupes d'utilisateurs ont été ciblés par du contenu qui leur fait peur d'aller voter. Aux États-Unis, les utilisateurs noirs, latino-américains et amérindiens ont été ciblés avec la précision d'un faisceau de laser par de grandes sociétés technologiques comme Meta — qui à l'époque était Facebook —, Twitter et YouTube. Ce contenu exacerbe les vulnérabilités et les craintes que ces utilisateurs ont développées dans leurs collectivités et accroît leur méfiance à l'égard du gouvernement.
L'astuce joue sur la crédibilité de ce contenu. Les gens voient quelque chose en ligne et ils lui font confiance. Ils deviennent alors craintifs, et le contenu influe sur les vulnérabilités qu'ils ressentent déjà. Lors de l'élection de 2020 aux États-Unis, les utilisateurs ont reçu du contenu les avertissant que certains organismes d'application de la loi ou autres allaient surveiller des centres de scrutin. Cela accroît aussi la peur de la violence et de l'intimidation.
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Merci, madame la présidente.
Je remercie les témoins d'être avec nous aujourd'hui.
Leurs allocutions d'ouverture et les réponses qu'ils donnent aux questions posées par mes collègues sont très intéressantes. Cela m'a fait réfléchir aux discussions que nous avons actuellement concernant le soutien qui doit être accordé au secteur des médias.
Présentement, nous parlons de modèles d'affaires. Je pense que nous sommes tous d'accord pour dire que le modèle d'affaires des médias traditionnels doit être revu. D'ailleurs, si on propose des états généraux, c'est pour revoir le modèle et pour permettre aux entreprises de médias, surtout dans le secteur de l'information, de mieux se préparer à relever les défis actuels et ceux à venir.
Je suis tout à fait d'accord sur cela. Je pense que tout le monde est d'accord sur le fait que nous devons donner des outils aux gens du secteur et que nous devons faire en sorte qu'ils se donnent des outils pour s'adapter au virage numérique. Dans la plupart des cas, ce virage n'est pas encore complété ou il a été fait avec des moyens limités. Il n'est donc pas très efficace.
Il faut que les entreprises de nouvelles puissent faire la transition vers un modèle d'affaires qui va mieux répondre à la réalité technologique d'aujourd'hui et à celle de demain. On parle beaucoup de l'aide aux salles de nouvelles, du soutien aux médias et des modèles d'affaires, mais, à mon avis, on oublie d'étudier la question sous l'angle de l'utilisateur ou du consommateur.
Monsieur Speer, j'ai trouvé vos propos très intéressants au sujet des crédits d'impôt pour les contributeurs aux salles de nouvelles. Je suis d'accord sur toutes les idées novatrices qui vont faire en sorte que les salles de nouvelles soient florissantes et efficaces, et qu'elles fassent leur travail les épaules légères, si je peux m'exprimer ainsi.
Toutefois, on oublie souvent que l'utilisateur ou le consommateur de nouvelles n'est pas le même à 20 ans, à 40 ans ou à 70 ans. La façon de consommer l'information est différente selon l'âge. Les gens de 55 ans et plus, par exemple, vont encore beaucoup consommer l'information à la télé et à la radio. Pour ce qui est de la radio, les utilisateurs sont même encore plus jeunes. En effet, les gens de 35 ou 40 ans et plus consomment beaucoup les informations à la radio.
Quand on regarde les données démographiques, on constate que les personnes plus âgées consomment énormément de nouvelles par l'intermédiaire des journaux, des médias écrits. Un grand nombre de ces gens ne sont même pas équipés des technologies permettant de consommer la nouvelle sur les plateformes, par exemple, ou, simplement, sur Internet. On ne peut pas nécessairement forcer ces gens à s'équiper ou à apprendre la façon dont fonctionnent les technologies.
Selon moi, nous devrions aussi commencer à penser en ces termes, à penser à ces gens qui ont besoin que l’on continue de fournir l'information dans les formats traditionnels. Il y a d'innombrables médias écrits dans les régions du Québec et du Canada. Mon collègue M. Shields parle souvent de la vingtaine de petits journaux hebdomadaires de sa circonscription qui sont en péril, justement parce que le soutien est peut-être mal adapté ou mal conçu. Il faut revoir tout cela.
Monsieur Speer, j'ai l'impression que je comprends où on doit s'en aller. Cependant, ne pensez-vous pas que la transition doit se faire plus en douceur? On doit soutenir les salles de nouvelles et les médias qui répondent aux besoins de la population qui consomme encore ce type d'information au moyen des journaux, des médias écrits. Éventuellement, on en viendra à faire transiter ce soutien gouvernemental vers les modèles d'affaires qui vont mieux répondre aux besoins de demain et à ceux de la plus jeune génération.
Je ne sais pas si ma question est claire, mais j'aimerais avoir vos commentaires à cet égard.
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Avec tout le respect que je vous dois, je pense justement que nous ne savons pas vraiment où nous allons. Le gouvernement devrait faire preuve de prudence avant d'intervenir sur le marché en faveur d'un format de contenu, d'un modèle d'affaires ou d'une approche du journalisme en particulier. Ce processus est incertain.
Je ne saurais vous dire à quoi ressembleront les futurs modèles d'affaires journalistiques durables. Je pense que tout le monde, du Globe and Mail à The Hub, essaie de prévoir cela en examinant le nombre d'abonnés, le capital de risque et, dans notre cas, la philanthropie.
En fin de compte, je fais plutôt confiance aux marchés. Si une masse critique de Canadiens veulent que leurs nouvelles soient produites et diffusées dans un journal physique traditionnel, je suis convaincu que les entrepreneurs en saisiront l'occasion.
Autrement dit, comme ce processus est créatif et incertain, j'avertirais les décideurs de ne pas intervenir en l'empêchant de se concrétiser.
Je comprends très bien ce que vous dites. Le problème, c'est que les entrepreneurs savent que le modèle d'affaires ne fonctionne plus à cause de la domination du numérique dans ce secteur. C'est ce qui fait que, d'après moi, on doit quand même rendre ce service à la population en soutenant ces entreprises, même si leur modèle d'affaires n'est plus rentable. En effet, les entrepreneurs ne vont pas investir dans quelque chose qui, tranquillement pas vite, est appelé à se transformer, voire disparaître.
Nous allons en rester là pour l'instant, parce que mon temps de parole est écoulé, mais je trouve la discussion très intéressante.
Merci, monsieur Speer.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
J'aimerais remercier nos témoins. Vous nous livrez un témoignage très important ce matin.
Je tiens à souligner que le gouvernement s'immisce déjà massivement dans le marché en versant plus d'un milliard de dollars en subventions indirectes chaque année aux sociétés Meta et Google. Malgré leurs gros profits et toutes les pratiques méprisables dont elles ont fait preuve, elles ont été fortement subventionnées par le gouvernement Harper jusqu'à aujourd'hui, recevant plus d'un milliard de dollars par année. Cela a évidemment influencé le marché et entraîné en partie la crise que nous vivons actuellement.
J'aimerais commencer par poser mes questions à Mme Benavidez.
Merci beaucoup pour votre témoignage.
Ce que vous dites nous fait froid dans le dos. La première partie de ce que vous avez dit, et je crois qu'il est important d'y donner suite, portait sur la montée de la haine. Comme vous l'avez souligné, le Center for Countering Digital Hate a signalé que Meta et X contribuaient à ce que la Anti-Defamation League et le Southern Poverty Law Center ont appelé « le pipeline de la haine ».
Nous avons constaté une montée de l'antisémitisme, de l'islamophobie, de l'homophobie, de la transphobie, de la misogynie et du racisme, qui a provoqué des attaques racistes partout en Amérique du Nord. Tout cela a été provoqué par les algorithmes secrets de Meta, qui tentent de favoriser et de provoquer, à travers ce que le Center for Countering Digital Hate appelle des « malgorithmes », une montée de l'extrémisme d'extrême droite. L'an dernier, nous avons constaté que chaque tuerie de masse motivée par des considérations idéologiques en Amérique du Nord avait été fomentée par l'extrême droite.
Madame Benavidez, j'aimerais vous demander ce que les gouvernements devraient faire pour contrer ce courant de haine qui provoque des tueries réelles? Il est exacerbé en ligne par ces malgorithmes et par des politiques délibérées qui alimentent toutes ses formes toxiques.
Il est bon de souligner que les plateformes ne sont pas seules à assumer la responsabilité de modérer le contenu. Je crois qu'il est important d'améliorer les interventions gouvernementales, qui peuvent éliminer bon nombre des méfaits que j'ai décrits en détail dans ma déclaration préliminaire et que d'autres témoins viennent de mentionner.
Notre organisme Free Press lance des appels. Plusieurs d'entre eux portent sur l'utilisation et l'extraction des données personnelles. Je vais vous présenter cinq valeurs et principes fondamentaux que nous défendons.
Premièrement, il faut que la codification des réformes réglementaires réduise au minimum les données que les entreprises recueillent et conservent pour effectuer le ciblage discriminatoire des utilisateurs — comme je l'ai dit tout à l'heure — en adaptant leur contenu et leurs annonces.
Deuxièmement, il faut interdire aux plateformes et aux autres services Internet d'utiliser des algorithmes pour cibler les utilisateurs à l'aide d'outils d'intelligence artificielle.
Troisièmement, il faut exiger la production régulière de rapports démontrant la transparence de la plateforme sur un certain nombre d'enjeux. Cela comprend des rapports sur la viralité du contenu, sur les résultats de la prise de décisions effectuée à l'aide d'outils d'intelligence artificielle ainsi que sur la visibilité et le retrait des annonces de promotion politique. Ces rapports devraient être accessibles dans toutes les langues. On constate une asymétrie flagrante de la modération des plateformes dans des langues autres que l'anglais.
Quatrièmement, il faut créer un droit civil autorisant les recours privés pour des torts découlant de l'utilisation de données personnelles par les plateformes.
Enfin, cinquièmement, il faut tirer parti des autres pouvoirs de votre gouvernement. Aux États-Unis, nous sommes convaincus que le pouvoir et l'autorité de la Maison-Blanche sont essentiels. Il faut améliorer la coordination. En établissant un cordon de sécurité entre la communication des entreprises de technologie et celle d'autres secteurs, nous créons le contexte dans lequel nous nous trouvons à l'heure actuelle. Par conséquent, notre dernière recommandation est d'améliorer la collaboration et la coordination en échangeant l'information et non en y bloquant l'accès.
Merci.
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Merci, madame la présidente.
Je pense que nous avons perdu toute une génération d'amateurs de l'information. Dans les salles de nouvelles, on ne s'occupe pas de ce que le consommateur désire. Pensez un peu aux horaires: « Nous ne pouvons présenter les nouvelles qu'à 18 heures et à 23 heures ». Les téléspectateurs d'un océan à l'autre veulent regarder les nouvelles quand ils en ont le temps. Voilà pourquoi les plateformes ont gagné. Voilà pourquoi les sites Web ont gagné. Le monde de l'information n'est pas sorti des années 1950. Il n'a pas compris ce que veulent les consommateurs et les téléspectateurs. Quand je regarde les médias aux États-Unis, et même au Canada...
Monsieur Speer, vous avez tout à fait raison en parlant de dons. Bien qu'étant aux États-Unis, la chaîne PBS reçoit des milliers de dollars des téléspectateurs canadiens. Pourquoi? C'est parce que nous la regardons. Lorsqu'elle tient un téléthon, je vois des centaines de personnes dans ma collectivité faire des dons à PBS.
La télévision publique devrait peut-être appliquer ce modèle non seulement aux États-Unis, mais ici au Canada, à Radio-Canada/CBC.
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Je vous répondrai deux choses, madame la présidente.
Tout d'abord, je suis relativement optimiste. Je crois bien que l'industrie se transforme d'une façon qui la rapproche de son public. Je pense que cette évolution se déroule autant dans les petites entreprises comme The Hub que dans les grandes chaînes traditionnelles, qui n'ont peut-être progressé que lentement dans cette direction, mais qui s'y engagent maintenant. À mon avis, c'est une saine orientation. L'avenir de l'industrie dépend de son lien entre le journalisme et le public.
Deuxièmement, les différents modèles financiers offrent des occasions extraordinaires d'ajouter de la valeur pour les lecteurs, les auditeurs et autres. Ces modèles feront comprendre aux gens qu'ils doivent payer pour recevoir les nouvelles. Un autre témoin a fait remarquer tout à l'heure qu'en affichant son contenu en ligne presque gratuitement il y a une vingtaine d'années, le secteur de l'information s'est créé un énorme défi. Cette génération de lecteurs et d'auditeurs ainsi « socialisés » a pensé que les nouvelles n'avaient aucune valeur. Pour résoudre ce problème — et nous le constatons au Canada et aux États-Unis, dans les grandes chaînes traditionnelles comme dans les petites entreprises —, l'industrie doit rétablir sa relation avec son auditoire et créer les conditions nécessaires pour que les gens recommencent à payer pour obtenir les nouvelles. À mon avis, cette évolution est saine.
En fin de compte, il me semble que le rôle de la politique publique est d'appuyer ce processus au lieu de l'orienter de manière à ce que nous ne sachions plus où il va aboutir et quels types de modèles vont enfin réussir.
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Vous avez tout à fait raison.
Les pare-feu que les médias ont érigés il y a 20 ans, comme vous l'avez dit, ne leur ont pas réussi, alors ils ont distribué leurs produits gratuitement, ce qui a donné l'impression aux utilisateurs que le journalisme n'avait aucune valeur.
À l'heure actuelle, selon ce modèle, je ne vais pas payer pour acheter le Boston Globe ou le New York Times, parce que je l'obtiendrai ailleurs gratuitement. C'est le problème auquel sont confrontés les consommateurs eux-mêmes. Quand apparaissent les fenêtres leur demandant de payer, ils se disent qu'ils trouveront l'information ailleurs, que quelqu'un publiera cette information et qu'ils pourront la voler de cette façon.
Nous savons qu'au cours de l'année dernière, en reprenant le gouvernail de Twitter, Elon Musk a rétabli de nombreux comptes qui avaient été interdits afin d'accumuler des revenus. Plusieurs annonceurs ont quitté cette plateforme après avoir constaté que leur contenu sérieux était affiché à côté de contenus horribles, haineux, suprémacistes blancs, néonazis. Je ne sais pas vraiment qui bénéficie de la diffusion de cette information. Elon Musk n'en a sûrement pas profité, car Twitter est maintenant évalué à moins de la moitié de ce qu'il a payé en l'achetant il y a plus d'un an.
Cette diffusion présente toutefois d'autres avantages, et bon nombre d'entreprises en retirent des revenus publicitaires des utilisateurs finals dans d'autres contextes. En remarquant que ses revenus proviennent principalement d'utilisateurs finals qui ont aimé un contenu provocateur, Meta aggrave ce contenu et les incite à regarder du contenu extrêmement controversé, sachant qu'il attirera l'attention, l'engagement, les mentions « J'aime », les commentaires et les partages.
La motion de M. Champoux demande que Catherine Tait, PDG de CBC et de Radio-Canada, vienne témoigner au sujet des suppressions d'emplois.
On sait que Mme Tait, directrice de CBC et de Radio-Canada, a pris la décision de supprimer 600 postes, mais on sait aussi que, quand on lui a demandé, au cours d'une entrevue avec les médias, si les cadres allaient ou non recevoir une prime, elle n'a pas pu répondre clairement par la négative. En fait, elle semblait vraiment laisser cette possibilité ouverte, ce qui donne à penser qu'elle serait d'accord pour supprimer 600 emplois dans les médias tout en accordant de grosses primes aux cadres supérieurs de la société d'État.
Nous savons que Mme Tait elle-même a reçu une prime de 60 000 $ l'été dernier. Cette somme représente plus que le salaire moyen d'un Canadien. Il est absolument inconcevable que Mme Tait ait décidé de supprimer 600 emplois tout en acceptant de verser des millions de dollars ou des dizaines de millions de dollars en primes.
Non seulement Mme Tait doit-elle comparaître devant le Comité, mais j'aimerais aussi proposer un amendement à la motion de M. Champoux. L'amendement se lirait comme suit vers la fin. Après « durant deux heures », on lirait « et que le Comité fasse rapport à la Chambre du fait qu'il demande au gouvernement d'ordonner à la SRC d'interdire immédiatement toutes les primes des cadres ».
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D'abord, j'aimerais dire très clairement qu'il est invraisemblable de donner des primes au moment où l’on est en train de supprimer des postes à l'échelle locale partout au pays.
Bien sûr, je trouve important que Mme Tait vienne témoigner et qu'elle réponde à ces questions. On fait des coupes, et, en même temps, on offre des primes aux hauts dirigeants de CBC/Radio-Canada. C'est une contradiction, et tout le monde le constate.
[Traduction]
Cela dit, je sais que, si M. Poilievre était au pouvoir, personne à CBC ne travaillerait. Les conservateurs veulent détruire toute l'institution. Je pense que c'est un peu fort de la part d'un conservateur de dire: « Nous sommes vraiment préoccupés par les suppressions d'emplois. » Ils semblent pourtant être en faveur, et le message de M. Poilievre était tragiquement déplacé.
Tout d'abord, je suis tout à fait d'accord avec M. Champoux. Étant donné que la ministre des Sports comparaîtra la semaine prochaine, je serais particulièrement favorable à une convocation dès notre retour, pour que nous ne nous privions pas de temps avec la ministre des Sports, que nous avons tous demandé à voir.
Je suis d'accord avec M. Julian. Comme ancien PDG, je ne peux pas imaginer qu'on congédie des employés avant Noël et qu'on envisage ensuite de distribuer des primes. Je pense que les Canadiens et le Comité doivent poser beaucoup de questions à la SRC. Comme tout le monde ici le sait, le gouvernement ne contrôle pas la SRC, et nous ne pouvons donc pas lui dire quoi faire, mais je pense qu'il est très important pour nous, parlementaires, de poser ces questions à Mme Tait lorsqu'elle comparaîtra, notamment des questions sur la pertinence d'envisager de distribuer des primes aux cadres supérieurs.
Il ne revient pas au gouvernement de lui donner des directives, mais je crois important de lui poser ces questions difficiles, parce qu'elles doivent être posées au nom des Canadiens.
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Merci, madame la présidente.
Je ris quand les gens parlent de primes. Écoutez, je travaille dans ce milieu depuis longtemps. Des primes sont distribuées tous les ans aux cadres de Bell, de Rogers et de tous les médias du pays. Elles sont distribuées à la fin de l'année. La différence ici est qu'il s'agit d'une institution publique et non d'une institution privée.
Si la SRC décide d'accorder des primes, on peut bien se lever et dénoncer le fait, mais cela dure depuis des décennies dans ce milieu. Ce n'est pas nouveau.
Ce qui me trouble vraiment, madame la présidente, si je peux me permettre, c'est que la dernière fois que Mme Tait est venue ici, elle était déjà au courant des suppressions d'emplois à venir. Il faut des mois de préparation pour supprimer 600 à 700 emplois. Cela ne se fait pas en une semaine. Elle le savait déjà quand elle a comparu devant le Comité. Cela est déjà arrivé par le passé à la SRC en décembre, et elle savait très bien, lorsqu'elle est venue ici, qu'il y aurait un exode massif de journalistes. C'est ainsi qu'il faut voir les choses.
Quant aux primes, nous sommes tous mécontents, en effet, mais cela se fait dans le milieu depuis des décennies, madame la présidente.
J'en prends bonne note — et je remercie les membres du Comité. Je propose donc un amendement différent, si vous le permettez.
Nous savons que Mme Catherine Tait, directrice de CBC et de Radio-Canada, a déclaré qu'elle supprimait 600 emplois et nous savons qu'elle a laissé ouverte la possibilité d'accorder des primes aux cadres supérieurs de la société d'État.
Si je comprends bien, nous estimons tous que c'est inapproprié. L'amendement que j'ajouterais se trouverait donc à la fin de la motion. Il se lirait comme suit: « et que le Comité rapporte à la Chambre que, compte tenu de ces coupes de postes, il serait inapproprié pour CBC d’octroyer des primes aux membres exécutifs. »
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Monsieur Shields, pour faire suite à ce qu'a dit Mme Hepfner, je me contenterai de dire au Comité qu'il lui revient de décider, mais posons-nous la question de savoir si nous sommes sûrs qu'il y aura des primes. On ne peut pas le présumer.
Nous formulons une recommandation dans le cadre d'une motion visant à faire une étude, ce qui va plutôt à l'Inverse de la façon dont nous travaillons ici, et je ne fais que le souligner pour que les députés en soient conscients quand ils voteront sur l'amendement.
Je continue de penser qu'il est approprié, à certains égards, de présenter cet amendement. Cela étant, pourquoi ne pas le mettre aux voix, si vous êtes prêts et à moins que vous ayez de nouveaux éléments à faire valoir? J'ai lu ce que Mme Thomas propose. Puis-je...
Monsieur Shields, nous vous écoutons.
Regardez le deuxième paragraphe de la motion:
Que le Comité priorise la présente motion à toute autre étude en cours et à venir et tous autres travaux du Comité, de sorte que le Comité y consacre la première séance au retour du congé parlementaire de la période des fêtes et que le Comité rapporte à la Chambre que, compte tenu de ces coupes de postes, il serait inapproprié pour CBC d’octroyer des primes aux membres exécutifs.
C'est ce sur quoi nous votons. Veuillez voter.
(L'amendement est adopté par 6 voix contre 5.)
La présidente: Nous devrions passer à la motion modifiée.
Je ne vais pas la relire, parce que vous la connaissez.
Monsieur Champoux, allez-y.
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Madame la présidente, nous avons eu l'occasion de discuter d'amendements à la motion. Honnêtement, je trouvais que la proposition de M. Coteau, soit d'inclure cela dans les sujets dont nous voulions parler avec Mme Tait, était intéressante. Toutefois, puisque le vote a été demandé, nous devions suivre la procédure. Nous avons fait la bonne chose.
Cela aurait pu être mieux formulé, mais l'intention est bonne. C'est pourquoi j'ai voté en faveur de la motion de Mme Thomas. Nous pouvons envoyer un message à la Chambre des communes pour dire que, même si nous n'avons pas encore rencontré Mme Tait, il est évident pour tous les membres de ce comité, qui représentent tous les partis reconnus à la Chambre des communes, qu'il serait inapproprié que des primes soient accordées aux dirigeants de CBC/Radio-Canada. Le message n'est peut-être pas formulé de la façon dont M. Coteau ou moi l'aurions souhaité, mais il est quand même pertinent.
Madame la présidente, nous avons beaucoup discuté de la motion et des amendements. Tout le monde la comprend et sait à quoi on veut en venir, alors je demande le vote, s'il vous plaît.
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J'aimerais m'adresser à Mme Benavidez.
J'ai été sensible à vos commentaires sur la transparence des algorithmes. C'est une question qui a été soulevée au Congrès américain et au Canada. J'ai un projet de loi d'initiative parlementaire, le projet de loi , qui contraindrait les plateformes à garantir la transparence de leurs algorithmes. Le sénateur Ed Markey, du Congrès américain, présente un projet de loi semblable. En fait, c'est son projet de loi qui a inspiré le nôtre.
Les plateformes s'y opposent, parce que la responsabilité qu'elles devraient éventuellement assumer lorsque ces algorithmes seront exposés, est quelque chose qui les inquiète. Elles craignent d'être responsables de certains algorithmes, les « malgorithmes », dont elles font la promotion et qui ont mené à beaucoup d'incidents violents.
Que pensez-vous de l'idée de légiférer sur la transparence des algorithmes? Estimez-vous qu'il est important que les législateurs adoptent ce genre de loi?