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Merci beaucoup, monsieur Nater, de m'avoir remplacée.
Ici, dans les coins les plus sombres et reculés de Vancouver, il arrive parfois que nous ayons de la difficulté à nous connecter tant bien que mal au WiFi, mais je suis ici maintenant, alors nous pouvons commencer. Merci.
Bonjour, tout le monde. Je m'excuse de mon retard, mais j'avais de la difficulté à me connecter à cet engin.
La séance est ouverte.
Bienvenue à tous et à toutes à la réunion numéro 43 du Comité permanent du Patrimoine canadien de la Chambre des communes.
Je tiens à souligner que la réunion a lieu sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin Anishinaabe.
Conformément à l'ordre de référence adopté par la Chambre le mardi 31 mai et à la motion adoptée par le Comité le 20 septembre, le Comité se réunit dans le cadre de son étude sur le projet de loi , Loi concernant les plateformes de communications en ligne rendant disponible du contenu de nouvelles aux personnes se trouvant au Canada.
La réunion d'aujourd'hui se déroule, bien sûr, encore une fois, dans un format hybride, conformément à l'ordre de la Chambre du jeudi 23 juin.
Les députés qui assistent en personne dans la salle savent comment utiliser les services d'interprétation et comment obtenir la traduction. Pour ceux et celles qui assistent à la réunion virtuellement, les options d'interprétation sont au bas de votre écran. Il y a un petit globe. Cliquez dessus, et vous pourrez choisir entre l'anglais et le français, dépendamment de la langue que vous voulez utiliser.
J'aimerais faire quelques commentaires, pour le bénéfice des témoins et des députés.
Veuillez attendre que je vous nomme avant de prendre la parole. Pour ceux qui participent par vidéoconférence, cliquez sur l'icône du microphone pour activer votre micro et veuillez activer la sourdine lorsque vous ne parlez pas. Pour ceux qui participent sur Zoom, vous savez comment cela fonctionne. Encore une fois, au bas de votre écran, vous pouvez choisir l'interprétation. Il y a une fonction « Lever la main », si vous devez l'utiliser. Je vous rappelle à tous et à toutes que tous les commentaires devraient être adressés à la présidence.
Conformément à notre motion de routine, j'informe le Comité que tous les témoins ont effectué les tests de connexion requis avant la réunion.
Je souhaite la bienvenue à nos témoins ici-présents. Nous accueillons d'abord Mme Jen Gerson, cofondatrice de The Line et journaliste indépendante. Ensuite, nous accueillons M. Michael Geist, puis M. Rod Sims, professeur à la Crawford School of Public Policy, de l'Australian National University, qui est avec nous par vidéoconférence. Nous accueillons les représentants de Hebdos Québec, M. Benoit Chartier, président du conseil d'administration, par vidéoconférence; et M. Sylvain Poisson, directeur général, par vidéoconférence. Nous accueillons aussi M. David Skok, fondateur et président-directeur général, qui représente The Logic Inc. Pour Médias d'Info Canada, nous accueillons M. Paul Deegan, président et chef de la direction, ainsi que M. Jamie Irving, président du conseil.
Pour commencer, chacune des personnes que j'ai nommées aura cinq minutes, et nous passerons ensuite aux questions.
Vous pouvez commencer, madame Gerson.
D'abord, j'aimerais remercier le Comité de m'avoir invitée à témoigner. Je m'appelle Jen Gerson, et je travaille dans le secteur des médias depuis plus de 15 ans maintenant, dans les salles de presse d'un bout à l'autre du pays, y compris au Toronto Star, au Globe and Mail, au Calgary Herald et au National Post. En tant que journaliste indépendante, j'ai publié des articles dans le Walrus, Maclean's, le New York Times et le Washington Post, entre autres.
Actuellement, mon cofondateur, M. Matt Gurney, et moi-même dirigeons un bulletin d'information sur Substack que nous avons appelé TheLine, où nous commentons l'actualité canadienne. J'ai publié sur TheLine plusieurs articles où moi-même et d'autres auteurs expliquons les nombreuses préoccupations que j'ai par rapport au projet de loi .
À mon avis, le premier grand problème de ce projet de loi est qu'il est fondé sur un mensonge. Le projet de loi adhère à une très vieille plainte formulée par des éditeurs de journaux, qui affirment que les sites Web d'information par agrégation et les réseaux des médias sociaux font un bénéfice indu en « publiant » notre contenu, mais nous savons que ce n'est pas vrai. À dire vrai, la proposition de valeur est carrément à l'opposé. Ce sont nous, les éditeurs, qui en profitons quand un utilisateur publie un lien vers notre contenu sur Facebook, Twitter et les autres plateformes du genre. Cette distribution gratuite augmente le trafic sur nos sites Web, et nous pouvons ensuite essayer de monétiser cela grâce aux abonnements et à la publicité.
C'est pour cette raison que les grandes organisations médiatiques encouragent les gens à afficher les liens au bas de tous leurs articles. C'est pour cette raison qu'elles ont dépensé des sommes inédites pour optimiser les moteurs de recherche, et c'est aussi pourquoi elles dépensent littéralement de l'argent pour que les intermédiaires de nouvelles numériques fassent la promotion de leurs contenus.
Si vous avez besoin d'un exemple qui montre qu'un grand nombre des intermédiaires de nouvelles numériques sont plus utiles pour les éditeurs que l'inverse, vous n'avez qu'à regarder le projet de loi à l'étude. Pour qu'une négociation soit viable, il faut que l'issue serve les intérêts de toutes les parties prenantes. Si c'était le cas ici, le gouvernement fédéral n'aurait aucune raison de superviser ces ententes. Les intermédiaires de nouvelles numériques se feraient un plaisir de négocier pour utiliser notre contenu, parce qu'ils verraient la valeur de ce genre d'entente. Au lieu de cela, je soupçonne que ce que nous avons ici, c'est une forme de recherche de rente, où des sociétés médiatiques en difficulté utilisent jusqu'à la dernière goutte le peu de capital social et financier qu'il leur reste pour faire pression et obtenir des subventions et des règlements comme le projet de loi .
Je crains que le projet de loi se retourne contre nous et qu'il aggrave les problèmes que nous essayons justement de régler. Par exemple, si les organisations comme Facebook — désormais Meta — réagissent à ce projet de loi en limitant tout simplement l'accès aux articles des médias grand public sur leur site Web — et c'est ce que l'entreprise a ouvertement menacé de faire —, qui sera le plus touché par cette décision, selon vous? Est-ce que ce sera Facebook? Non. Ce sera les éditeurs canadiens qui en feront les frais, en perdant leur accès à une grande plateforme de distribution.
Et quand cela va arriver, pense-t-on que le fait de supprimer les liens d'actualités sur Facebook ou Twitter va, comme par magie, créer une version numérique de l'époque glorieuse où les Canadiens et les Canadiennes se connectaient loyalement chaque matin à leurs journaux locaux, ou risquons-nous de voir l'effet contraire? N'allons-nous pas plutôt voir le contenu des médias grand public disparaître des sites Web et des plateformes de médias sociaux où davantage de Canadiens et de Canadiennes passent leur temps en ligne? Je crains que la deuxième possibilité ne se concrétise.
Si vous obligez les intermédiaires de nouvelles numériques à dépenser davantage pour publier le contenu des médias grand public, ils vont faire le choix financier qui s'impose, bien évidemment, c'est-à-dire qu'ils vont distribuer moins de contenu des médias grand public, ce qui va pousser un nombre croissant de Canadiens et de Canadiennes vers des silos d'information semi-privés, par exemple Discord, Telegram, Slack et Signal, et il est peu probable que le gouvernement fédéral puisse réglementer ces plateformes de cette façon.
Ma deuxième grande préoccupation, c'est que, plus le gouvernement fédéral essaie d'aider les médias, plus il risque de nuire à notre crédibilité. Je respecte le fait que le projet de loi essaie de mettre en place un cadre qui évite les subventions directes, mais cette approche n'est ni neutre ni axée sur le marché.
Quand le gouvernement fédéral essaie de sauver les médias, les médias deviennent une cible légitime des attaques partisanes, et cela mine notre rôle et notre fonction démocratiques fondamentaux. Nous en avons justement vu des exemples, cette semaine, lorsque le chef de l'opposition officielle, , a essayé de récolter des dons sur le dos du journaliste parlementaire David Akin. Poilievre a aussi attaqué gratuitement un autre journaliste, Dale Smith, sur Twitter. Ces attaques contre les médias sont stratégiques, et elles sont populaires. Le grand public n'aime pas les journalistes; les gens ont une opinion défavorable des membres de la presse, qu'ils considèrent comme étant corrompus.
Je peux citer un rapport de 2022 sur les informations numériques de l'Institut Reuters: « La confiance envers les médias d'information canadiens a atteint son point le plus bas en sept ans », et cette tendance vers le bas se poursuit depuis longtemps.
Le chef de l'opposition a donc conclu qu'il pouvait tirer un avantage en nous attaquant, et je ne pense pas que son calcul soit faux. Dans ce contexte, je suis vraiment préoccupée à l'idée de rendre les médias dépendant de revenus qui varieraient selon l'humeur du gouvernement au pouvoir. Un gouvernement futur — disons celui de M. Poilievre — n'aura aucun scrupule à éliminer le projet de loi et les autres subventions. Si l'industrie dépend de ces sources de revenus, nous deviendrons des pions sur l'échiquier politique, que nous le voulions ou pas.
Mon dernier problème, par rapport au projet de loi , c'est qu'il va inévitablement favoriser les groupes médiatiques déjà établis au détriment des modèles novateurs, des petits groupes et des organismes d'information en démarrage.
Par exemple, quand un projet de loi similaire a été adopté en Australie, nous avons constaté que les grands gagnants ont été les entités appartenant à Rupert Murdoch.
La dernière chose que je veux dire, c'est que le mécanisme approprié que doit utiliser le gouvernement fédéral pour lutter contre des problèmes comme la mésinformation et la désinformation dans les médias, c'est en agissant par l'intermédiaire de CBC/SRC, et non pas en créant un cadre législatif tout à fait distinct.
Merci.
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Merci, madame la présidente.
Bonjour. Je m'appelle Michael Geist. Je suis professeur de droit à l'Université d'Ottawa, où je suis titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit d'Internet et du commerce électronique, et je suis aussi membre du Centre de recherche en droit, technologie et société. Je témoigne à titre personnel, et mes commentaires reflètent uniquement mon opinion personnelle.
Comme il ne reste qu'environ 48 heures avant le Nouvel An juif, j'aimerais tout d'abord remercier le Comité d'avoir prévu de se pencher sur le financement accordé à une personne antisémite dans le cadre du programme anti-haine de Patrimoine Canada. Je vous implore d'enquêter en profondeur sur ce qui s'est passé afin de veiller à ce que cela ne se reproduise plus jamais.
En ce qui concerne le projet de loi , vous savez peut-être que j'ai été assez critique à son égard, mais, malgré ces critiques, je ne doute pas de l'importance d'un secteur de l'information diversifié et robuste. Cela est d'une importance cruciale, si nous voulons que les citoyens soient engagés et avisés et que nos institutions démocratiques nous rendent des comptes. Plutôt, c'est la méthode qui me préoccupe. J'ai parlé en termes favorables des programmes gouvernementaux axés sur l'impôt, et je serais en faveur de mécanismes...
Je vous remercie de m'avoir invité à témoigner aujourd'hui, et je vous souhaite bonjour de Sydney.
Le message clé que je veux vous transmettre, c'est que, à la lumière de ce qui a été fait en Australie avec le Code de négociation des médias d'information, le projet de loi devrait être soutenu avec vigueur. Ma déclaration préliminaire aura surtout pour but d'expliquer certains aspects du code australien et de répondre à deux ou trois critiques du code australien.
Le code avait pour objectif de corriger l'énorme déséquilibre des pouvoirs de négociation entre les sociétés de médias d'information australiens et les plateformes. Google et Facebook ont besoin d'afficher des nouvelles sur leurs plateformes pour maximiser l'attention des utilisateurs et, ainsi, accroître les revenus publicitaires dont ils dépendent, mais ils n'ont pas besoin que le contenu provienne d'une société médiatique en particulier. À l'inverse, chaque société médiatique a besoin d'être sur cette plateforme.
Ce déséquilibre des négociations — ou cet échec du marché — veut dire qu'il est impossible de conclure des ententes commerciales. Il est simplement impossible de conclure une entente pour obtenir une rémunération équitable, en compensation de l'avantage que retirent les plateformes en affichant le contenu des médias d'information sur leurs plateformes, et tout cela fait que le journalisme est défavorisé.
Toutefois, le journalisme est avantageux à bien des égards pour la société, même pour ceux qui ne l'utilisent pas. Grâce au journalisme, les puissants doivent rendre des comptes, nous avons une presse de référence ainsi qu'un forum où exprimer ses idées. Même si ce ne sont pas tous les échecs du marché qui doivent être corrigés, celui-ci doit l'être, et c'est ce qu'a fait le code australien.
Avant l'adoption du code australien, les sociétés médiatiques d'information étaient tout simplement incapables de négocier avec la plateforme pour obtenir une quelconque forme de rémunération pour leur contenu. Avec le code, elles peuvent exiger des plateformes qu'elles négocient et demander un processus d'arbitrage quand l'issue des négociations n'est pas appropriée. La menace d'un arbitrage permet d'équilibrer les pouvoirs de négociation, puisque toutes les parties veulent éviter qu'un arbitre décide de leurs accords commerciaux.
Le code de l'Australie a atteint son objectif avec une extrême efficacité. Avant, les sociétés médiatiques d'information australiennes ne pouvaient même pas discuter avec la plateforme, parce que celle-ci ne le permettait pas, et maintenant, elles ont conclu des accords qu'elles jugent satisfaisants en vertu du code, et ces accords leur ont permis de toucher des revenus dépassant largement 200 millions de dollars australiens par année.
En plus, Google a maintenant conclu des accords avec essentiellement toutes les sociétés médiatiques admissibles, tandis que Facebook a probablement conclu des ententes avec les sociétés médiatiques qui emploient environ 85 % des journalistes australiens.
Le code australien comprend trois caractéristiques essentielles, qui semblent d'ailleurs toutes se retrouver dans le projet de loi . Premièrement, si les négociations n'aboutissent pas, on peut avoir recours à l'arbitrage sur l'offre finale; deuxièmement, la non-discrimination, c'est-à-dire que si des accords sont conclus avec une société médiatique, alors des accords doivent être conclus avec toutes les sociétés médiatiques; et troisièmement, la capacité de négocier collectivement.
Vous savez peut-être que Google a menacé de rendre inaccessible son moteur de recherche en Australie et que Facebook a menacé de retirer toutes les nouvelles de son fil de nouvelles si la loi — le code — était adoptée. La loi a été adoptée, mais ils n'ont pas mis leurs menaces à exécution.
Une conséquence, toutefois, a été que le gouvernement a déclaré que, si les plateformes voulaient éviter d'être désignées en vertu du code, alors elles devaient conclure des ententes. C'est ce qu'elles ont fait, et rapidement; cela veut donc dire que ce n'est pas la menace de l'arbitrage qui les a incitées à conclure des ententes commerciales, mais plutôt la menace de la désignation, qui était jugée importante. La différence n'est pas importante. Le code a atteint son objectif: favoriser les accords commerciaux.
Laissez-moi rapidement répondre à deux critiques au sujet du code.
Premièrement, comme on vient justement de le dire, seules les grandes sociétés médiatiques ont pu conclure des ententes, alors que les petits intervenants ont été laissés pour compte. C'est tout simplement faux. Les faits sont très clairs: l'Australie compte quatre grandes sociétés médiatiques d'information, qui sont plus ou moins d'égale importance. Elles ont toutes conclu des ententes. Elle compte un certain nombre de moyennes entreprises, qui ont toutes elles aussi conclu un accord avec Google, même si, étrangement, deux d'entre elles n'ont pas d'accord avec Facebook, alors que les autres, si. Donc, la plupart ont conclu une entente avec Facebook, mais pas toutes. Nous avons aussi un grand nombre de petits groupes médiatiques, en particulier de petits journaux régionaux ou ruraux et des groupes de la génération numérique. Essentiellement, ils ont tous conclu un accord avec Google, et la plupart ont conclu une entente avec Facebook.
Les sommes payées à chaque journaliste étaient habituellement beaucoup plus élevées dans les petites entreprises. Country Press Australia, qui représente 180 publications rurales, a possiblement reçu la somme la plus élevée par journaliste employé.
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Je suis désolé. J'ai souvent témoigné, et c'est la première fois que cela va aussi mal.
Premièrement, l'approche adoptée quant à l'utilisation des articles de presse dépasse largement ce qu'une personne raisonnable considérerait comme étant une « utilisation ». Au paragraphe 2(2), il est question de la reproduction, en tout ou en partie, d'un article de presse et de l'accès facilité à l'information par tout moyen. La première partie veut dire que même le fait de reproduire un gros titre ou un résumé d'une phrase serait visé, même si ce genre d'utilisation est tout à fait permise selon les droits de citation d'un contenu protégé par droit d'auteur prévus dans la Convention de Berne.
La deuxième partie veut dire que le fait de créer un lien vers la page d'accueil d'un site d'information ou d'indexer la page — je ne parle même pas d'un article précis —, serait considéré comme indemnisable. C'est tout simplement insensé. Si le simple fait de créer un lien est traité comme quelque chose qui mérite une indemnisation, cela va à l'encontre de la jurisprudence de la Cour suprême sur l'importance des liens, en plus de menacer le fondement de la libre circulation de l'information sur Internet.
Si Google ou Facebook copiaient et distribuaient des articles complets, je pourrais comprendre les arguments sur l'indemnisation. D'ailleurs, ces entreprises ont conclu des accords avec le Canada justement afin de payer pour cela. Cet été, comme des millions de Canadiens et de Canadiennes, la Dre Fry a publié sur sa page Facebook un lien vers un article de MSN.ca et M. Julian a publié sur Facebook un lien vers un article de La Presse canadienne; mais je ne crois pas que nous soyons pour autant prêts à imposer une norme d'indemnisation pour le contenu rendu accessible de cette façon.
Deuxièmement, le gouvernement a déclaré que ce projet de loi intervenait de façon minime dans les marchés, mais la réalité est que, selon ce projet de loi, le gouvernement ou le CRTC imposent un nombre effarant de normes et de règles de négociation qui vont avoir des conséquences dans le vrai monde relativement à l'interférence gouvernementale, en plus de brouiller les limites entre les éditeurs et les sociétés d'information.
Troisièmement, à une époque où nous nous préoccupons, à juste titre, de la mésinformation et des sources d'information de piètre qualité, le projet de loi risque d'accroître la mésinformation. Par exemple, la définition de « contenu de nouvelles » ne prévoit aucune norme et ne fait aucun lien avec le journalisme professionnel. La définition — et je devrais souligner que les versions anglaise et française ne sont pas équivalentes dans le projet de loi — devrait plutôt englober les articles de blogue, les articles d'opinion et les autres types de contenu.
Dans son approche à l'égard des organisations journalistiques canadiennes qualifiées, le gouvernement a fourni une orientation détaillée sur ce qui constitue des nouvelles, pour s'assurer que les allégements fiscaux profitent au journalisme original de haute qualité. Le projet de loi fait l'inverse. Aussi, le projet de loi expose les plateformes qui utilisent des algorithmes pour défavoriser certains types de contenu à une responsabilité potentielle. Pour que ce soit clair, nous avons besoin que les algorithmes soient plus transparents, mais la disposition sur la préférence indue pourrait amener les plateformes à hésiter à défavoriser le journalisme de piètre qualité par crainte de poursuites.
Quatrièmement, le projet de loi va à l'encontre de plusieurs traités et obligations constitutionnelles. Par exemple, l'article 24, qui exclut les exceptions et les restrictions aux droits d'auteur du processus de négociation, pourrait violer le paragraphe 10(1) de la Convention de Berne, qui prévoit un droit obligatoire de citation qui s'applique explicitement aux articles de presse.
Aussi, le projet de loi pourrait donner lieu à de nombreuses contestations au titre de l'ACEUM. Par exemple, l'article 51 du projet de loi prévoit ce qui revient à une obligation de diffuser visant à empêcher qu'une plateforme refuse de mettre un lien vers le contenu d'une tierce partie. Même si c'est une bonne chose d'avoir des mesures internes visant la conduite anticoncurrentielle des plateformes...
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Je vais commencer. Nous ferons chacun une partie de la déclaration.
[Français]
Merci, madame la présidente.
Membres du comité, je m'appelle Benoît Chartier. Je suis le président du conseil d'administration d'Hebdos Québec. Je suis accompagné pour l'occasion par notre directeur général, M. Sylvain Poisson.
Nous représentons ici plus d'une trentaine de propriétaires d'hebdomadaires indépendants, lesquels regroupent près de 80 hebdos dans la province de Québec. Chacun de ces médias imprimés bénéficie d'une plateforme en ligne. Hebdos Québec représente environ 200 journalistes qui travaillent dans l'ensemble des hebdos de la province du Québec, et parle en leur nom.
Je suis moi-même propriétaire éditeur de cinq hebdomadaires et sites Web, dont le doyen des journaux de langue française en Amérique, Le Courrier de Saint‑Hyacinthe, qui célèbre cette année ses 170 ans d'existence. Je suis de la troisième génération au sein de cette entreprise.
Sans exception, nous créons ou produisons du contenu original local ou régional pour chacun de nos produits d'information à partir de nos salles de nouvelles respectives, dont l'ensemble regroupe près de 200 journalistes, comme je l'ai dit.
Nous distribuons quelque 10,3 millions d'exemplaires par année sur l'ensemble de nos territoires, alors que nos plateformes numériques comptent plus de 20 millions de pages vues par mois et près de 15 millions de visiteurs uniques mensuellement.
Fait à souligner, Hebdos Québec célèbre ses 90 ans d'existence cette année, et son plus beau cadeau serait l'adoption du projet de loi à l'étude aujourd'hui, et ce, dans les plus brefs délais.
La presse est un rempart de la démocratie. Elle a des devoirs envers le public, qu'elle tient à faire bénéficier d'une information de qualité soutenue par la rigueur journalistique. La presse hebdomadaire francophone au Québec a d'ailleurs joué un rôle fondamental dans la livraison de l'information au cœur de plusieurs communautés locales, souvent dans des régions qui ne bénéficient d'aucun autre média local ou régional. Dans ce contexte, on peut affirmer qu'une presse affaiblie et menacée d'abandonner sa mission et de disparaître après des décennies d'existence met sérieusement en péril notre démocratie.
Les hebdos, quant à eux, font partie du paysage économique et culturel, certains depuis plus d'un siècle. Ils sont essentiels à la vitalité démocratique de chaque région. Hors des grands centres, ils sont souvent les seuls à jouer un tel rôle, et leur pertinence demeure tout aussi grande qu'avant l'avènement des réseaux sociaux.
Les hebdomadaires locaux et régionaux ont un rôle crucial à jouer pour pallier une circulation débridée de l'information, dénuée de véritables pratiques journalistiques et de sens éthique, sur les réseaux sociaux.
Déjà solidement ébranlés par la crise majeure des médias, nous avons dû subir les contrecoups d'une longue pandémie jonchée notamment de fermetures de commerces, de baisses additionnelles importantes de revenus publicitaires, de problèmes de personnel, de restructurations d'opérations et de salles de nouvelles.
J'en profite d'ailleurs pour offrir nos plus sincères remerciements au gouvernement canadien pour son appui et son aide précieuse dans ces circonstances pénibles d'un point de vue économique et personnel.
Monsieur Poisson, je vous laisse le soin de terminer la présentation.
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Cela dit, au fil des dernières années, la crise s'est accentuée avec l'arrivée de géants du Web tels Facebook et Google. Les agrégateurs de contenus auxquels le réseau Internet a donné naissance se sont multipliés sans grands frais, sans production de contenus originaux, avec très peu ou pas d'investissements dans les ressources journalistiques et peu de règles d'éthique en matière d'information.
Certains sites d'information et la multiplication des réseaux sociaux favorisent le mélange des genres, mais ils n'assurent pas la crédibilité des sources. Ils diffusent des rumeurs ou de fausses nouvelles, les fameuses « fake news », qui engendrent de la désinformation tout en donnant une impression de vérité ou que les faits ont été validés. Ces fausses nouvelles ont envahi les réseaux sociaux et vont à l'encontre d'une presse responsable et d'une rigueur journalistique que nous défendons ardemment. Elles sont nuisibles à une saine vie démocratique.
Les géants du Web ont cannibalisé nos revenus sans assumer aucune des responsabilités sociales et fiscales qui s'y rattachent, en contrôlant les algorithmes. Ils ont bouleversé le modèle d'affaires et diminué la valeur réelle de l'information. Ils ont surtout réussi à attirer 80 % des investissements publicitaires d'entreprises et de commerçants locaux et régionaux sans qu'il y ait de retombées tangibles dans les communautés. En quelques années seulement, sans contribution fiscale, ces géants du Web ont érodé les revenus des médias traditionnels, qui, pendant des décennies, ont investi temps et argent dans leurs communautés, encouragé leurs commerçants et professionnels, soutenu leurs institutions et servi l'intérêt public de leurs concitoyens.
Hebdos Québec soutient donc l'approche inhérente au projet de loi pour remédier au déséquilibre du marché entre les plateformes Web mondiales et les éditeurs de médias d'information. La négociation collective est aussi pour nous le seul moyen d'atténuer ce déséquilibre de pouvoir manifeste.
Dans un sondage réalisé par Pollara Strategic Insights au nom de Médias d'info Canada, 90 % des Canadiens estiment qu'il est important que les médias locaux survivent, et 79 % sont d'accord pour dire que les géants du Web doivent partager leurs revenus avec les médias.
Monsieur Chartier, voulez-vous ajouter quelque chose?
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Merci, et bonjour à vous, madame la présidente, aux membres du Comité et à votre incroyable équipe de TI.
Je ne veux pas être ici. Mon travail consiste à faire rapport sur ce que vous faites, ici, mais certainement pas à intervenir, et pourtant j'ai l'impression que je n'ai pas le choix. J'ai fondé The Logic il y a presque cinq ans, et nous sommes la première salle de presse au pays spécialisé dans les entreprises et la technologie. Je suis un éditeur indépendant qui n'est affilié à aucun lobbyiste, qui n'est appuyé par aucune association commerciale et qui n'a d'allégeance envers aucune entreprise, que ce soit une entreprise en démarrage ou une entreprise établie, et j'ai tout de même 25 ans d'expérience en journalisme. Je suis l'une des raes personnes qui peuvent s'exprimer franchement sur ce qui est en jeu avec le projet de loi .
Le quatrième pouvoir est un élément clé d'une démocratie qui fonctionne, et le nôtre est en péril. Nous connaissons déjà les statistiques déprimantes en ce qui concerne le déclin des reportages originaux et de fond au Canada. Vous n'avez qu'à survoler vos propres fils de nouvelles pour voir qu'il n'y manque pas d'articles racoleurs ou d'articles amplifiant des opinions à l'emporte-pièce pris sur Twitter. Vous le savez, et cela vous frustre vous aussi.
Par contre, nous avons cruellement besoin de reportages courageux et approfondis si nous voulons une démocratie qui fonctionne comme il faut, et contrairement à ceux concernant les prises de bec sur Twitter, il faut de l'argent et du temps pour produire ce genre de reportages. J'ai consacré ma vie à cela, et c'est pourquoi je suis ici. The Logic investit énormément dans le journalisme qui fait du Canada un meilleur endroit où vivre et travailler, en facilitant les conversations difficiles au moyen de reportages d'enquête et d'analyse détaillés. Il peut s'agir d'histoires de portée nationale, comme une série de reportages d'enquête sur la façon dont le secteur canadien de la bienfaisance distribue ses fonds, ou d'histoires locales, par exemple sur les conséquences de l'automatisation sur la collectivité de Brooks, en Alberta.
Cette semaine, justement, nous avons lancé une série en six parties sur les contraintes qui affectent les chaînes d'approvisionnement canadiennes qui commence par un reportage sur le terrain au port de Vancouver. C'est essentiel, comme travail.
Étant donné que les grandes entreprises technologiques versent déjà de l'argent à un petit nombre restreint d'éditeurs canadiens, nous sommes déjà dans un marché anticoncurrentiel qui en privilégie certains et qui risque de priver l'écosystème journalistique du pays de l'innovation dont il a désespérément besoin.
Notre équipe de calibre mondial travaille jour et nuit à ouvrir la voie pour que les autres puissent suivre. Lorsque nous avons commencé, il y a cinq ans, nous n'étions que trois personnes, et maintenant nous sommes une salle de presse nationale qui compte près de 25 reporters travaillant dans six agences d'un bout à l'autre du pays. Cela comprend l'une des seules agences anglophones restantes au Québec. Cela fait des dizaines d'années que les salles de presse coupent dans leur produit principal, mais The Logic est la preuve que le journalisme et les journalistes peuvent être au centre d'une entreprise.
Ne vous méprenez pas: nos concurrents nous surveillent de près, et c'est une bonne chose. C'est comme ça que la concurrence est censée fonctionner. Tout le monde s'améliore de cette façon. L'innovation prend du temps, oui, mais pour cela, il faut aussi que les joueurs soient sur le même pied d'égalité. Nous n'avons rien demandé de tout cela. Les ententes secrètes que Meta et Google ont déjà conclues ont déséquilibré le marché et ont donné aux concurrents un avantage déloyal dans la guerre où les enjeux sont les talents, le public et la distribution.
Quand The Logic veut concurrencer sur le mérite une publication financée par la famille la plus riche du Canada — qui a en plus, maintenant, signé des accords secrets avec les plus grandes entreprises du monde —, comment cela peut-il encourager l'innovation dans le secteur journalistique?
La Loi sur les nouvelles en ligne cherche à corriger ce déséquilibre. C'est un filet de sécurité, qui oblige les éditeurs et les plateformes à s'asseoir à la table pour conclure des ententes justes, équitables et transparentes qui ne privilégient pas seulement ceux qui ont le pouvoir de négociation. Le projet de loi est un projet de loi pro-concurrence.
Il est aussi bon pour le journalisme. Sans réglementation, les éditeurs qui ont déjà signé ces accords secrets ne peuvent que supposer que les grandes entreprises technologiques vont de bonne foi les honorer. En tant qu'éditeur, j'ai quelques questions: quelle est la valeur de ces accords? Qu'a-t-on acheté, avec cet argent? Qu'arrivera-t-il quand le temps viendra de renouveler les accords? Comment pourra-t-on faire rapport de façon équitable sur les géants de la technologie, si les éditeurs dépendent de ces mêmes entreprises pour payer leurs employés?
Présentement, aucune de ces questions ne peut trouver réponse, parce qu'elles sont toutes protégées par des ententes de confidentialité. Le projet de loi donnera de la transparence à ces accords, et c'est une bonne chose pour le journalisme.
Rien ne vaut la transparence.
Je suis optimiste quant à l'avenir de notre métier. Le secteur médiatique a besoin de temps pour se regénérer: il va falloir du temps pour que les jeunes journalistes réapprennent ce qui a été perdu après des décennies de réduction des effectifs, tout comme il va falloir du temps pour que les entreprises en démarrage d'aujourd'hui deviennent les chefs de file de demain. S'il y a un message que j'espère que vous retiendrez de mon témoignage d'aujourd'hui, c'est que, pour toute cette innovation dont nous avons grandement besoin, il faut que les joueurs soient sur un pied d'égalité. Le projet de loi C-18 veut corriger le déséquilibre existant, et c'est pourquoi il doit être adopté.
Sur ce, je serai heureux de répondre à vos questions.
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Merci, madame la présidente.
[Français]
Je vous souhaite un bon après-midi. Au nom de Médias d'info Canada, de nos éditeurs membres et des 3 000 journalistes que nous employons et qui informent chaque jour les Canadiens partout au pays, nous sommes heureux de participer à votre étude du projet de loi .
[Traduction]
Pendant la campagne électorale de 2021, les libéraux, les conservateurs et les néo-démocrates se sont tous engagés à présenter une nouvelle loi sur les médias d'information. Pourquoi avons-nous besoin d'une telle loi?
Premièrement, nous n'avons jamais eu autant besoin d'organes de presse robustes et indépendants. C'est ce qui permet d'assurer le lien entre les collectivités et de les garder informées sur les questions qui les touchent directement. Il est vital pour notre démocratie de pouvoir couvrir ce qui se passe dans les mairies, dans les assemblées législatives provinciales et territoriales ainsi que dans nos tribunaux et même de vous obliger, vous, nos parlementaires, à rendre des comptes.
Deuxièmement, il y a un énorme déséquilibre des forces entre les géants de la technologie et les organes de presse canadiens. Pour mettre cela en contexte, la capitalisation boursière de Google est d'environ 1 800 milliards de dollars, et celle de Meta est de plus de 500 milliards de dollars. Combinées, cela équivaut à peu près au PIB annuel du Canada. Ensemble, la part des revenus de la publicité en ligne de ces entreprises équivaut à plus de 80 %.
Troisièmement, avec le projet de loi annoncé, Google et Metastarted ont commencé à choisir les gagnants et les perdants, comme M. Skok l'a mentionné plus tôt. Ils ont commencé à négocier des accords de licence pour l'utilisation de contenu avec une dizaine d'éditeurs environ, y compris Le Devoir, le Globe and Mail et le Toronto Star. Plus récemment, Google a conclu un accord avec Postmedia.
Ne vous méprenez pas, nous sommes heureux pour nos éditeurs-membres. Ils doivent être indemnisés lorsqu'on utilise leur contenu, mais cela fait en sorte que nous avons maintenant des choyés et des défavorisés parmi les éditeurs de presse canadiens; c'est inéquitable, surtout pour les petits éditeurs qui sont laissés pour compte, des éditeurs comme Benoit Chartier, qui a témoigné il y a un instant. Encore une fois, il est important de se rappeler que M. Chartier dirige le plus vieux journal anglophone en Amérique du Nord, qui a vu le jour en 1853.
Il y a d'autres publications qui sont énormément importantes pour notre pays: La Liberté, au Manitoba, une publication importante dirigée par Mme Sophie Gaulin, mais ni Google ni Facebook ne sont venus cogner à sa porte. Il y a M. Dave Adsett, qui dirige le Wellington Advertiser, dans la circonscription de M. Nater. Ce sont toutes des publications très importantes pour leurs collectivités, et elles ont aussi besoin d'accords de licence pour l'utilisation de contenu.
Je vais vous exposer les trois raisons pour lesquelles nous soutenons ce projet de loi.
Premièrement, il nous permet de négocier collectivement. Présentement, la Loi sur la concurrence ne nous permet pas de former un collectif. Vu l'énorme déséquilibre des forces, nous aurons une position de négociation plus forte si nous pouvons négocier ensemble.
[Français]
Deuxièmement, ces mesures législatives comprennent un mécanisme exécutoire. L'arbitrage des propositions finales de type baseball garantit que les parties présentent leur meilleure offre et que l'arbitre en choisit une. Le poids de l'arbitrage incite les deux parties à parvenir d'elles-mêmes à un règlement équitable.
[Traduction]
Troisièmement, une loi similaire fonctionne en Australie. Comme Rod Sims vient tout juste de nous le dire, les montants versés aux organisations de presse dans son pays ont atteint plus de 200 millions de dollars. Mais le plus important, ce n'est pas le montant, c'est la destination de cet argent. Bien entendu, les grandes organisations sont les plus avantagées, si on regarde le montant total. C'est compréhensible, puisque le marché médiatique en Australie est l'un des plus concentrés au monde. Mais d'autres joueurs, comme Country Press Australia, un regroupement de 160 petites publications régionales, ont pu conclure des accords avec Google et Meta. Plus récemment, un groupe de 24 petits éditeurs australiens a conclu une entente avec Google.
Dans un article, Bill Grueskin, de la Colombia Journalism School, cite une professeure de Sydney qui dit qu'elle n'arrive pas à croire à toutes les perspectives qui s'ouvrent présentement. Ses étudiants ne font pas de stage « parce que c'est tellement facile pour eux de décrocher un emploi à plein temps ». Elle dit: « Je le jure devant Dieu, je n'ai rien vu de tel en 20 ans. » Tout cela est grâce au code de Rod Sims.
Par principe, nous croyons que les éditeurs petits et grands devraient bénéficier équitablement de n'importe quelle entente, en proportion de leurs investissements dans les effectifs des salles de presse et non pas de leurs frais d'exploitation généraux. Nous avons mis au point une approche qui, nous croyons, est transparente et équitable pour les membres de Médias Info Canada, de la National Ethnic Press et du Conseil des médias. Pour dire les choses simplement, toute somme découlant d'une négociation collective devrait être partagée entre les éditeurs au prorata, en fonction des salaires et des traitements versés aux employés admissibles des salles de presse, et cette statistique a d'ailleurs déjà été fournie à l'ARC.
En conclusion, Google et Meta ont désormais un rôle à jouer dans l'écosystème des médias d'information. Il est dans leur propre intérêt de pouvoir compter sur le contenu détaillé et fiable que nos journalistes produisent, mais en même temps, ils jouissent d'une position dominante dans le marché, puisque les moteurs de recherche et les médias sociaux sont conçus dans le but de garder les utilisateurs dans un jardin fermé où ils peuvent tirer de la valeur du contenu. Nous voulons simplement être indemnisés à hauteur de la valeur du contenu, afin de pouvoir réinvestir dans nos salles de presse.
[Français]
Je vous remercie et nous attendons avec plaisir la suite de la discussion.
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J'aimerais qu'on puisse parler un peu plus franchement de ce dont il est question. Quand on dit que Google et Facebook concurrencent les organes de presse, ce n'est pas une concurrence pour le contenu: c'est une concurrence pour les revenus publicitaires. C'est pour cette raison que le modèle d'affaires des médias d'information s'est écroulé, ce n'est pas parce que Google et Facebook ont commencé à voler leur contenu, mais bien parce que Google et Facebook ont commencé à offrir une meilleure plateforme où les gens pouvaient faire de la publicité. Ils réussissent à attirer davantage d'attention, et j'aimerais qu'on puisse le dire un peu plus franchement.
La deuxième chose que je voudrais souligner, c'est que — quand j'ai vérifié la dernière fois — environ quatre liens sur mille qui étaient partagés sur Facebook redirigeaient vers du contenu de nouvelles. La plupart des liens dirigent vers des vidéos de chats ou des photos d'enfants. Cette idée que Facebook, en particulier, a besoin de nous... Je pense que, si c'est ce que vous croyez, vous devriez vous préparer à un échec financier. Vous allez vous rendre dépendant d'une entreprise qui n'a pas besoin de vous.
C'est peut-être un peu différent pour Google, mais nous nous souvenons tous des légendes associées à des plateformes de médias sociaux comme Myspace et les autres. Nous savons que la durée de vie de ce genre de choses est un peu limitée. Nous savons aussi que les gens évoluent quant à leur utilisation des médias sociaux ainsi que dans leurs habitudes sur les médias sociaux, donc qu'allez-vous faire quand Facebook deviendra de plus en plus un lieu où les boomers vont partager des vidéos de chats et lorsque la majorité des activités sur Internet se feront dans des forums comme Discord, Telegram et les autres types d'organisations semi-privées? Voilà où les liens sont partagés, du moins s'ils le sont. Pour dire les choses carrément, je pense que vous allez vous rendre dépendants de revenus publicitaires qui, à terme, ne peuvent pas être et ne seront pas durables. C'est vraiment quelque chose qui me préoccupe.
Excusez-moi, je suis un peu malade en ce moment, mais, monsieur Nater, si vous avez d'autres questions à ce sujet, je serai heureuse d'y répondre.
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Merci. Je vous suis reconnaissant. Je vous suis reconnaissant de prendre le temps même si vous ne vous sentez pas bien aujourd'hui. Nous vous en remercions. Je vais devoir aller chercher le mot de passe de ma page Myspace pour voir ce qu'elle est devenue depuis les 15 dernières années.
J'aimerais poursuivre avec quelques questions. Ce projet de loi prévoit que CBC/SRC, le radiodiffuseur national, y soit incluse. Je trouve également intéressant que ce programme soit administré par le CRTC. Pas plus tard que la semaine dernière, le gouverneur en conseil a renvoyé le renouvellement de la licence de CBC/SRC au CRTC. Il est intéressant de constater que le gouvernement n'approuve pas la décision du CRTC à ce sujet et que, en même temps, il confie cette tâche au CRTC.
Je vais voir combien de temps il me reste.
La présidente: Vous avez 57 secondes.
M. John Nater: C'est beaucoup de temps.
Monsieur Geist, que pensez-vous de l'inclusion du radiodiffuseur public dans ce projet de loi, mais aussi du fait qu'il soit administré par le CRTC?
Je vais commencer par M. Geist, et peut-être que Mme Gerson aura quelques secondes également.
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Merci, madame la présidente.
Je suis très heureuse d'être ici aujourd'hui avec mes collègues pour l'étude de ce projet de loi.
[Traduction]
Comme vous êtes nombreux à le savoir, mais il vaut la peine de le répéter, j'ai également été journaliste d'information de 1999 jusqu'à l'année dernière, lorsque j'ai décidé de servir ma communauté d'une manière différente. J'ai travaillé dans des journaux imprimés comme l'Edmonton Journal et le Hamilton Spectator, puis plus tard pour des radiodiffuseurs. Au cours de cette période, j'ai vu de mes propres yeux le déclin du journalisme, non seulement dans le nombre de publications et de radiodiffuseurs dans les collectivités, mais aussi dans le nombre de personnes dans les salles de presse, qui sont passées de centaines à une poignée. Cela a eu une incidence sur le nombre de personnes présentes dans les réunions, les palais de justice ou les hôtels de ville pour raconter les histoires des gens et des choses qui rassemblent une communauté et lui donnent l'impression d'être une communauté. En observant cela de près, je suis devenue très préoccupée par la menace qui pèse sur notre démocratie.
J'ai été extrêmement intéressée de voir l'Australie prendre l'initiative de s'attaquer à ce que l'on a entendu appeler un « déséquilibre ». Je suis très reconnaissante que l'architecte de cette législation soit présent parmi nous aujourd'hui.
J'aimerais commencer par vous, monsieur Sims. Racontez-nous ce à quoi la vie ressemble pour les journalistes en Australie aujourd'hui par rapport à ce qu'elle était avant cette législation. Vous et d'autres témoins nous en ont un peu parlé, mais aujourd'hui, il est vraiment difficile de garder un emploi dans le journalisme. Je me demande à quoi cela ressemble en Australie.
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Il n'y a aucun doute là-dessus.
Il y a beaucoup de désinformation qui circule. Google a conclu un accord avec tous ceux qui sont admissibles, et Facebook presque, bien qu'il y ait quelques exceptions bizarres.
En ce qui concerne les petits acteurs, selon moi, Country Press Australia, qui compte, je pense, environ 180 très petites publications — on parle d'une poignée de journalistes dans un bon nombre d'entre elles — a obtenu de loin le meilleur accord par journaliste. De nombreux autres petits acteurs ont conclu des accords, des organisations dont vous n'avez pas entendu parler parce que nous avons beaucoup de nouveaux natifs numériques en Australie, ainsi que la presse traditionnelle. Australian Community Media, bien sûr, a conclu des accords avec les deux acteurs.
Les plus petites entreprises médiatiques en ont vraiment profité, et cela leur permet de prospérer d'une manière qu'elles ne le pouvaient pas auparavant. C'est un mythe de dire que cela n'a aidé que les grands acteurs. C'est de la désinformation pure et simple.
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Merci, madame la présidente.
Je veux en profiter pour remercier les témoins d'aujourd'hui de participer à cette étude du projet de loi . Je suis bien content de leur présence parmi nous aujourd'hui pour discuter de ce projet de loi, très attendu par les médias de chez nous, par les médias écrits et par les médias de partout au Canada.
Je vais commencer par m'adresser à MM. Chartier et Poisson, d'Hebdos Québec. Tout à l'heure, j'écoutais l'allocution d'ouverture de Mme Gerson, qui a d'emblée affirmé que le projet de loi C‑18 reposait carrément sur des mensonges, ce sont ses mots, et que les petits médias emploient tous leurs moyens pour aller chercher de l'argent.
Je voudrais vous entendre nous dire comment se porte le milieu des médias écrits, particulièrement des médias que vous représentez, qui sont souvent régionaux. J'aimerais aussi que vous nous parliez un peu de la situation économique de ces entreprises, notamment au Québec. Je devine qu'elle est assez semblable à celle qui est vécue dans le reste du Canada.
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Merci, monsieur Champoux.
Tout à l'heure, j'ai écouté l'allocution de Mme Gerson. Elle a dit que tout cela reposait sur un mensonge, ce qui est complètement faux. Je ne comprends pas qu'on puisse dire une telle chose devant un comité parlementaire, mais ce n'est là que mon opinion.
La presse hebdomadaire québécoise vit une situation critique face à l'envahissement des réseaux sociaux. Depuis 2014 ou 2015, la forte érosion de nos revenus publicitaires a d'importantes répercussions sur nos salles de rédaction et sur la santé de nos journalistes partout au Québec.
Il y a de plus en plus de déserts journalistiques dans plusieurs régions du Québec, et je ne crois pas que ce soit une bonne chose pour les démocraties canadienne et québécoise.
Le journal que je publie existe depuis 170 ans. Ma famille y travaille depuis trois générations. Depuis les quatre ou cinq dernières années, la situation est extrêmement critique pour l'ensemble de la presse régionale hebdomadaire au Québec.
Pour nous, le projet de loi représente notre survie, tout simplement. Si les mesures qu'il contient n'entrent pas en vigueur au Canada, la survie des journalistes de la presse écrite québécoise va être de plus en plus périlleuse.
Google et Facebook ont besoin des médias. Il n'y a pas de doute à ce sujet. Évidemment, Google le fait plus clairement, mais Facebook le fait aussi. Ils appelaient autrefois cela le fil d'actualités, et on l'appelle maintenant simplement fil. Je pense qu'il y a une raison évidente pour laquelle ils ont changé ce nom, mais ils veulent attirer les regards et ils ont besoin des médias, parce que les gens font des recherches à la fois sur Facebook et sur Google.
En ce qui concerne la taille des médias, il ne fait aucun doute que ceux qui profitent de ce type de projets de loi sont les petits acteurs. Les plus grands, qui ont la reconnaissance du nom, peuvent faire mieux par rapport aux abonnements. Les plus petits ne le peuvent absolument pas, donc ce type de législation aide les petits acteurs de manière disproportionnée, et c'est certainement ce qu'on a vécu en Australie.
J'espère que cela répond à la question.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Je remercie tous nos témoins d'être ici aujourd'hui. Ces audiences sont très importantes, et vous avez tous apporté une contribution de taille à notre examen du projet de loi .
Monsieur Sims, j'aimerais commencer par vous. Merci de vous être levé à 4 h du matin en Australie.
Dans votre exposé, vous avez dit que les quatre géants des médias avaient signé des accords et avez signalé que les entreprises médiatiques de taille moyenne l'avaient fait pour la plupart, mais pas dans tous les cas. Puis vous avez dit que, pour les entreprises médiatiques plus petites, il y a quelques accords avec Facebook et Google, mais pas dans tous les cas. J'aimerais que vous nous donniez plus de détails à ce sujet, si vous le pouvez.
La question de s'assurer que les petits journaux... c'est quelque chose qui me préoccupe vraiment. Dans ma région, à New Westminster—Burnaby, nous avons perdu la moitié des publications au cours des dernières années. Cela a été dévastateur pour les événements communautaires locaux. Nous avons deux villes qui comptent collectivement environ un tiers de million d'habitants, alors nous ne sommes pas du tout un marché important, mais nous avons été dévastés comme l'ont été tant de régions du pays.
Pouvez-vous nous donner quelques exemples d'acteurs médiatiques plus petits? Quelle part de ces 200 millions de dollars a été consacrée aux moyens et petits acteurs? Que suggérez-vous pour améliorer cette législation afin de faire en sorte que les petits acteurs communautaires, les journaux et les médias communautaires, en bénéficient pleinement, comme cela a été le cas en Australie?
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Comme je l'ai dit, Google a conclu des accords avec pratiquement tout le monde: les grands, les moyens et les petits. Facebook a conclu des accords avec les quatre plus grands acteurs et, je pense, avec pratiquement tous les petits acteurs, mais quelques très petits acteurs ont été oubliés. Ils ont certainement conclu des accords avec Country Press Australia, et ils ont conclu des accords avec Australian Community Media. Ils ont conclu des accords avec tout un tas d'autres acteurs que je ne mentionnerai pas parce que vous n'en avez jamais entendu parler.
Le principal domaine dans lequel Facebook n'a pas conclu d'accords est celui de deux acteurs de taille moyenne. Le premier est le Special Broadcasting Service, un service multiculturel qui appartient au gouvernement. Je pense qu'il est possible que Facebook soit maintenant désigné en vertu du code, ce qui l'obligerait à conclure ces accords.
Je pense que le libellé de la loi canadienne ferait en sorte que les grands, moyens et petits acteurs obtiennent des marchés. Je n'y vois pas de problème.
Les petits acteurs ont certainement très bien réussi en Australie. Pour ce qui est de la part d'argent qu'ils ont reçue, j'ai bien peur de ne pas pouvoir le dire de mémoire. De plus, pour certaines des transactions, les accords sont confidentiels, donc je ne peux pas en parler de toute façon. Ce que je peux dire, c'est qu'une part importante de ces 200 millions de dollars a été consacrée à des acteurs plus petits. Country Press Australia représente 180 très petits acteurs ruraux et régionaux. Ce sont des entreprises indépendantes et elles se sont très bien débrouillées. Chacun de ces acteurs serait extrêmement satisfait des avantages qu'il a tirés du code.
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Je dirais que, si c'était un projet de loi sur le journalisme, je pense qu'il aurait reçu beaucoup plus de soutien. Il faut bien comprendre que ce n'est pas le cas. On y mentionne le mot « journalisme » une fois, et cela concerne les organisations journalistiques qualifiées. Il comporte trois sections qui mentionnent les journalistes.
Il s'agit non pas de journalisme ou de journalistes, mais de financer certaines de ces organisations médiatiques traditionnelles. En fait, il n'existe aucune norme en matière de journalisme, et il faut comparer cela à ce que le gouvernement a approuvé avec les OJCQ, les organisations journalistiques canadiennes qualifiées, qui fixent un large éventail de normes pour s'assurer que ce que vous produisez et ce pour quoi vous encouragez la production est du journalisme de haute qualité. Il n'y a rien de tout cela dans le projet de loi.
Compte tenu des normes peu élevées qui permettent de se qualifier pour cela, ce que vous faites en réalité, c'est encourager les pièges à clics. Il s'agit d'un journalisme de piètre qualité pour lequel les gens sont payés en fonction du nombre de clics, parce qu'ils peuvent exiger de faire partie de cette table dans le cadre de la négociation collective, comme vous venez de l'entendre. Lorsque nous nous tournons vers les plateformes pour essayer de mesurer cela et d'utiliser les algorithmes pour donner la priorité au journalisme de haute qualité et rétrograder le journalisme de faible qualité, la législation vous frappe à nouveau, créant une responsabilité potentielle lorsqu'elles rétrogradent cela.
Le danger ici, c'est que nous n'allons pas soutenir le journalisme de haute qualité. Nous allons soutenir certaines entreprises traditionnelles, c'est certain, mais s'il s'agissait vraiment de journalisme, on aurait pu penser que vous l'auriez mentionné dans le projet de loi plus que quelques fois.
Je ne pense pas que quiconque puisse vous donner un chiffre exact, car je ne pense pas que qui que ce soit le sache à ce stade. Nous ne savons certainement pas non plus ce que les gens reçoivent en Australie. M. Sims pourrait le savoir, mais le public ne connaît généralement pas ce genre d'information. Il y a beaucoup de secrets associés à ce système, du moins en ce qui concerne ce qui est disponible publiquement.
Nous ne le savons pas, mais voici les deux choses que nous savons. Premièrement, nous savons que ces entreprises seront effectivement forcées de participer à ce système. Pourquoi? Comme vous l'avez dit, leurs concurrents, comme CBC/SRC et d'autres, y participent, de sorte que vous ne pouvez pas rivaliser efficacement. Il existe des dizaines, voire des centaines de petites organisations médiatiques indépendantes plus petites, souvent axées sur le numérique, dans les collectivités locales. Souvent, elles sont florissantes, et elles vont se battre pour ne pas participer, parce qu'elles sont en concurrence avec ceux qui prennent l'argent.
Permettez-moi aussi très rapidement — et je vois que Mme Gerson veut dire quelque chose — de signaler à M. Deegan que s'il veut bien continuer avec l'alinéa 27(1)a), il mentionne les OJCQ, mais il y a ensuite un mot important dans la version anglaise: « or ». Ce mot vous amène à l'alinéa 27(1)b), qui établit une norme faible pour l'accessibilité à ce programme, dans lequel il n'y a tout simplement pas de normes.
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Bien sûr. Dans le budget de l'année dernière, il y a un certain nombre de mesures de soutien pour le journalisme que nous trouvons formidables. L'une d'entre elles est l'Initiative de journalisme local. Notre comité de sélection est présidé par Duff Jamison, de Great West Publishing en Alberta. C'est un journaliste formidable. Ce programme, qui était de 10 millions de dollars dans le passé, est de 20 millions de dollars cette année. C'est très utile.
Il y a aussi un programme d'aide aux éditeurs, qui, pour les journaux, s'élève à environ 16 millions de dollars, je crois. Là encore, c'est extrêmement utile.
Il y a aussi celui dont M. Waugh et moi parlions il y a une minute. Dans le budget de cette année, on a annoncé 40 millions de dollars sur les trois prochaines années pour soutenir le journalisme. Si une forte proportion de cet argent pouvait être consacrée aux très petites publications, celles dont parlait Jen Gerson et qui n'ont pas deux employés indépendants, je pense que ce serait très important.
Il importe de soutenir ces petites publications. Un certain nombre d'entre elles sont des innovateurs numériques, et des gens comme Mme Gerson qui font du très bon travail, mais il y a aussi des publications imprimées qui sont très petites. Nous avons au sein de notre conseil d'administration Sarah Holmes, de Gabriola Sounder, en Colombie-Britannique. C'est un très petit journal. Son époux et elle le publient. Ils n'ont pas deux employés indépendants. Je pense donc qu'il serait extrêmement important d'envisager un financement comme celui-là, soit 40 millions de dollars au cours des trois prochaines années pour les petites publications comme celle-là, car sans elle, il n'y a pas de nouvelles dans sa collectivité.