Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Bienvenue à la réunion no 139 du Comité permanent du patrimoine canadien de la Chambre des communes.
La réunion d'aujourd'hui se tient en mode hybride.
Pendant que nous nous installons, je vais faire quelques rappels. Avant de prendre la parole, veuillez attendre que je vous nomme. Je demanderais aussi aux participants dans la salle de lever la main s'ils souhaitent intervenir. Comme toujours, la greffière et moi-même ferons de notre mieux pour respecter l'ordre des interventions. Veuillez adresser tous vos commentaires à la présidence. Je signale que les témoins ont tous réussi les tests de connexion.
Nous avons constaté des problèmes de connexion cet après-midi avec l'Association des avocats arabo-canadiens. Nous avons décidé de ne pas entendre le témoin aujourd'hui en raison de la mauvaise qualité du son.
Nous recevons cet après-midi Stéphane Sérafin, professeur adjoint à l'Université d'Ottawa. De HabiloMédias, nous avons Mme Kathryn Hill, directrice générale, et M. Matthew Johnson, directeur de l'éducation.
Vu les circonstances, l'Association des avocats arabo-canadiens sera invitée à revenir comparaître à une date ultérieure, probablement au début du mois de décembre.
Conformément à l'article 108(2) du Règlement et à la motion adoptée par le Comité le mercredi 18 septembre 2024, le Comité reprend son étude sur la protection de la liberté d'expression.
Nous allons passer aux invités dans un moment.
Monsieur Champoux, vous souhaitez soulever un point à régler.
Je prie les témoins de m'excuser, mais je pense que, avant d'entendre leurs témoignages, nous devrions prendre quelques minutes pour regarder l'horaire du Comité.
J'ai des inquiétudes, parce que j'ai l'impression que, selon la façon dont vont les choses, nous n'aurons pas le temps de remplir nos engagements et d'accomplir les choses sur lesquelles nous nous sommes entendus. Je crains notamment que nous n'ayons pas le temps de compléter la présente étude sur la liberté d'expression, puisque nous avons reçu, en parallèle, un ordre de la Chambre pour étudier la question du « définancement » de CBC.
J'aimerais donc que nous prenions quelques minutes pour en parler et pour définir les sujets des réunions qui auront lieu après la semaine prochaine. J'ai compris que, la semaine prochaine, nous allions nous pencher sur la question de CBC/Radio‑Canada avec Mmes Tait et Bouchard. La semaine suivante, il nous restera peu de temps et nous aurons plusieurs réunions à tenir pour les deux études. Je pense que nous devrions en parler maintenant, parce qu'il est assez difficile de joindre les témoins pour notre étude. De plus, aujourd'hui, nous avons dû éconduire un témoin pour des raisons techniques. Tout cela provoquera probablement un engorgement quelque part.
Je voudrais m'assurer que nous pourrons placer, dans l'horaire, les heures requises pour l'étude sur la liberté d'expression et que nous pourrons aussi livrer à temps, selon l'ordre de la Chambre, le rapport sur CBC/Radio‑Canada.
L'horaire de la semaine prochaine a déjà été déterminé en fonction des disponibilités de Mmes Tait et Bouchard, mais je crois que, la semaine suivante, nous pourrons tenir deux réunions de trois heures chacune, soit le lundi et le mercredi. La greffière pourrait nous le préciser. Si c'est le cas, il faudrait absolument consacrer au moins l'une de ces réunions de trois heures, que ce soit le lundi ou le mercredi, à l'étude sur la liberté d'expression. Il est impératif que nous avancions aussi dans cette étude, sans quoi nous ne pourrons pas respecter notre engagement.
Chers collègues, nous recevrons comme prévu lundi prochain, de 11 heures à 13 heures, la PDG de CBC, Mme Catherine Tait, pendant les deux heures que durera la réunion. Ensuite, le mercredi 27 novembre — c'est la seule date à laquelle elle pouvait se libérer —, nous aurons comme prévu la nouvelle PDG, Mme Marie-Philippe Bouchard. Elle comparaîtra pendant toute la réunion de deux heures. Nous accueillerons donc respectivement, lundi et mercredi prochain, Catherine Tait et Marie-Philippe Bouchard.
M. Champoux a parlé de la semaine suivante, en décembre. La Chambre, comme vous le savez, nous a demandé de nous pencher sur CBC. Le lundi 2 décembre, nous consacrerons trois heures aux témoignages de spécialistes de ce qui touche au diffuseur public.
Ensuite, le mercredi 4 décembre, nous tiendrons une réunion de trois heures qui nous permettra d'accomplir un certain nombre de choses. Nous pourrons donner très rapidement des instructions de rédaction et des recommandations avant de passer à l'étude sur la protection de la liberté d'expression.
Il nous faudra produire un court rapport sur CBC. Ce sont des vœux pieux, mais nous espérons consacrer au plus 15 minutes, avant de passer à l'étude sur la protection de la liberté d'expression, aux instructions de rédaction et aux recommandations cette journée‑là.
La semaine suivante, le lundi 9 décembre, nous passerons en revue et nous adopterons le rapport sur CBC afin de le déposer à la Chambre des communes au courant de la semaine, conformément aux instructions que nous avons reçues.
Ce que je viens d'entendre ne me rend pas particulièrement de bonne humeur, monsieur le président. J'ai fait preuve de beaucoup de bonne foi tout au long de cet automne. Nous avons continuellement repoussé l'étude et fait de la place pour toutes sortes d'autres choses. Nous arriverons à la fin de la session parlementaire et nous n'aurons pas eu le temps de compléter l'étude sur la liberté d'expression, y compris les rapports, malgré les engagements pris et les compromis faits à cet égard par chacun des partis ici. Par conséquent, cela ne me dispose pas à une très bonne humeur pour les prochaines discussions que nous aurons ensemble.
La semaine dernière, nous avons discuté avec les conservateurs d'un horaire possible, par l'ajout de réunions le lundi après-midi, mais c'est resté lettre morte. C'était pourtant une proposition tout à fait honnête et applicable qui aurait permis très facilement d'intégrer ces deux études dans les délais qu'il nous reste. Cependant, personne ne m'a donné de nouvelles là-dessus.
Alors, non seulement on nous fait cette surprise, mais nous sommes aussi dans l'incertitude quant au sujet ou au contenu des prochaines réunions.
Je comprends que le travail des analystes est très important, et nous voulons équiper les analystes comme il faut pour qu'ils fassent leur travail de façon appropriée. Par contre, si on donnait suite aux propositions d'horaire qui ont été présentées, nous aurions peut-être le temps, de même que les analystes, de faire le travail sans être stressés par le temps et sans risquer de ne pas tenir notre engagement de compléter l'étude sur la liberté d'expression dans les délais convenus.
Je vous laisse là-dessus, monsieur le président, parce que nous avons des témoins devant nous et nous voulons commencer à travailler sur l'étude aujourd'hui. Cela dit, on devrait peut-être commencer à discuter aussi de la proposition qui a été faite, à savoir d'ajouter la réunion du lundi après-midi à celle du lundi matin, ce qui nous permettrait d'avancer plus rapidement sur les deux fronts.
Monsieur le président, nous sommes d'accord avec M. Champoux pour dire qu'il faut terminer le travail aussitôt que possible.
Cependant, nous avons une question pour les analystes. Un délai de trois jours pour écrire le rapport et ensuite le traduire, est-ce possible ou est-ce trop rapide?
Il faut éviter de faire des compromis sur la qualité du rapport en l'abrégeant, sauf si nous jugeons que tout y est. Nous devrons ensuite gérer le temps de façon appropriée pour permettre aux analystes de bien faire leur travail. Une étude qui s'étend sur 6 réunions et un rapport de 500 mots ne devraient pas...
Il faut évidemment essayer de coordonner le mieux possible nos travaux... Aujourd'hui, nous aurions très bien pu tenir une réunion de trois heures et recevoir deux groupes de témoins.
Une chose qui favoriserait la collaboration et qui rendrait service aux analystes serait d'explorer les échéanciers pour les rapports dissidents. Nous devrions tenir compte lors de la planification de nos travaux dans des échéanciers serrés de la possibilité que des observations soient formulées. Nous pouvons très bien produire un rapport abrégé afin de respecter l'ordre de la Chambre — en comptant sur le fait que les analystes vont tout englober dans le rapport et en assurant une bonne synchronisation des différentes tâches —, mais je trouve tout à fait raisonnable l'idée de prolonger les réunions.
Ce serait bien de recevoir un préavis avant 19 h 51 la veille de la réunion pour que la greffière, les analystes et le personnel puissent gérer les demandes. Si nous voulons anticiper un peu mieux les choses — nous recevons un groupe intéressant de témoins aujourd'hui, avec qui j'ai hâte d'échanger — et être en mesure d'inviter les témoins de haut calibre dont nous avons besoin pour ces deux études, il faudrait prévoir un peu plus de temps et planifier un peu mieux en amont.
Je vais conclure rapidement, parce que je ne veux pas étirer la discussion indûment.
Ce que M. Noormohamed disait tout à l'heure est tout à fait vrai. Cependant, nous le savons depuis des semaines, et la proposition qui a été faite nous aurait permis de siéger pendant beaucoup plus d'heures, à commencer par cette semaine. Nous aurions pu siéger deux heures de plus lundi, puisque les ressources étaient disponibles.
Je trouve un peu plate que nous arrivions ici avec le dos un peu accoté au mur, en nous demandant comment nous pouvons travailler assez rapidement pour permettre aux analystes de bien faire leur travail. Il reste que, si on avait répondu à la proposition que nous avons faite la semaine dernière, nous aurions déjà pu commencer à avancer cette semaine sur les deux fronts simultanément. Je pense qu'on a un petit peu levé la tête là-dessus.
Nous avons peut-être encore une chance de nous rattraper. Il reste encore lundi prochain où nous pouvons tenir une réunion en après-midi, en plus de la réunion de trois heures en matinée.
Il faudrait que nous nous donnions des chances de travailler comme il faut, monsieur le président. C'est ce que je veux dire.
J'ai parlé à la greffière cette semaine. Elle a eu beaucoup de mal, pour toutes sortes de raisons, à réunir les témoins qui sont devant nous aujourd'hui. Certains avaient confirmé leur présence vendredi dernier, mais ils se sont tout à coup désistés lundi. Un témoin n'a pas pu témoigner aujourd'hui pour des raisons techniques. La greffière a fait ce qu'elle pouvait.
Les députés seraient-ils d'accord alors pour tenir une réunion additionnelle de trois heures lundi?
Il faut que je vérifie d'abord si c'est possible. Je vais demander à la greffière. J'éteins mon micro pour ne pas que vous entendiez une réponse qui pourrait vous déplaire.
La greffière accepte de vérifier s'il y a des ressources additionnelles le lundi 25 novembre. Les membres du Comité sont-ils d'accord pour recevoir comme prévu Mme Tait pendant deux heures mardi et pour ajouter une réunion d'un maximum de trois heures lundi qui serait consacrée à l'étude sur la protection de la liberté d'expression? La réunion se déroulerait seulement si nous avons les ressources nécessaires et que la greffière parvient à réunir assez de témoins. Je suis ouvert aux suggestions.
Monsieur Noormohamed, nous avons dégagé un consensus de ce côté. Qu'en est‑il de votre côté? Si la greffière trouve les ressources et qu'elle parvient à organiser une réunion additionnelle de deux ou trois heures, seriez-vous en faveur?
Je n'y vois aucun problème. Il faudrait déterminer si cela nous donne assez de temps pour l'étude de M. Champoux. Nous sommes d'accord — tant mieux si cela fonctionne —, mais vérifions d'abord si nous pourrons mener à bien tous les travaux au calendrier. En principe, nous serions tout à fait disposés à tenir une réunion de trois heures lundi.
Lundi, nous recevons Mme Tait pour deux heures, de 11 heures à 13 heures. Si nous obtenons des ressources additionnelles, nous pourrons ajouter une troisième heure tant que nous réussissons à... Non.
Monsieur le président, si nous voulons faire les choses correctement, nous devrions faire deux réunions complètement séparées. Je m'imagine mal faire une réunion de deux heures avec Mme Tait, puis reconfigurer la salle afin d'accueillir d'autres témoins pour une heure dans le cadre d'une autre étude. Je ne pense pas que ce sera efficace.
Nous devrions ajouter une réunion après la période des questions orales, en après-midi. Cette réunion pourrait durer deux ou trois heures, selon les ressources disponibles.
Très bien. Nous tiendrons deux réunions de deux heures.
Il nous reste à demander à la greffière s'il y a assez de ressources pour une réunion en après-midi qui se tiendrait de 16 h 30 à 18 h 30 et qui se prolongerait, si c'est possible, jusqu'à 19 h 30.
Le lundi 25 novembre, nous recevrons Mme Catherine Tait de 11 heures à 13 heures. En après-midi, tout dépendant des ressources disponibles après la période des questions, nous pourrons probablement nous réunir de 16 h 30 à 18 h 30 ou de 16 h 30 à 19 h 30 pour l'étude sur la protection de la liberté d'expression, tout dépendant si la greffière obtient les ressources et que nous lui remettons à temps nos listes de témoins afin qu'elle puisse organiser leur comparution sans les embûches de la dernière fois.
Cela convient‑il à tout le monde?
Des députés: Oui.
Le vice-président (M. Kevin Waugh): Allons‑y.
Bienvenue à tous. Nous avons des témoins dans la salle aujourd'hui. Merci de votre présence.
Nous accueillons M. Stéphane Sérafin, professeur adjoint à l'Université d'Ottawa, qui témoigne à titre personnel. Bienvenue au Comité.
De HabiloMédias, nous recevons Mme Kathryn Hill, directrice générale, et M. Matthew Johnson, directeur de l'éducation.
Vous aurez cinq minutes pour votre déclaration liminaire. Nous passerons ensuite à la période de questions.
Nous commençons avec M. Sérafin pour cinq minutes. Ensuite, ce sera au tour des représentants de HabiloMédias de prononcer leur déclaration liminaire. Nous passerons ensuite aux questions, si cela vous convient.
Monsieur Sérafin, la parole est à vous pour cinq minutes.
Je m'appelle Stéphane Sérafin. Je suis professeur adjoint à la Section de common law de la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa, mais je témoigne à titre personnel. Les points de vue que je vais énoncer n'engagent que moi-même, et non pas mon employeur.
Lorsque j'ai reçu l'invitation du Comité à venir témoigner, je me suis demandé s'il n'y avait pas eu méprise sur mon profil étant donné que la discussion allait porter sur « la protection de la liberté d'expression et les moyens que le gouvernement devrait avoir à sa disposition pour en assurer l'exercice. »
Le gouvernement peut toujours faire quelque chose pour promouvoir la liberté d'expression. Par contre, la plupart des mesures qui me sont venues à l'esprit dans celles qui ont été prises récemment ont plutôt porté atteinte, parfois gravement, à ce droit.
Je pourrais citer de nombreux exemples, mais je vais me limiter aux domaines de compétence fédérale. Deux en particulier me viennent en tête. Le premier est tiré de ma propre expérience de professeur d'université. Il touche au financement du gouvernement octroyé à la recherche, qui accorde une priorité croissante aux critères liés à ce qu'on appelle l'équité, la diversité et l'inclusion par rapport aux autres préoccupations ou qui occulte parfois complètement ces préoccupations.
Dans le contexte universitaire, les organismes de financement fédéraux ont établi depuis un certain temps déjà des catégories de financement réservées exclusivement aux projets fondés sur l'EDI. Le financement gouvernemental est assorti de plus en plus souvent — ce qui s'avère au demeurant de plus en plus préoccupant — d'une exigence de conformité aux principes d'EDI ou d'engagement à respecter ces derniers.
À première vue, l'équité, la diversité et l'inclusion sont des principes neutres et incontestables. Tout le monde appuie dans une certaine mesure l'équité, qui va de pair avec la notion de justice. Il en est de même avec la diversité et l'inclusion. Toutefois, ces étiquettes cachent des prises de position idéologiques qui imposent des définitions précises des notions d'équité et de traitement juste. Ces prises de position idéologiques donnent également un sens précis à la notion de diversité et privilégient certains types de diversité par rapport à d'autres. La même chose s'applique à l'inclusion.
Puisqu'elles sont imposées dans un contexte de financement, ces exigences ne constituent pas une forme directe de censure, mais elles incitent à donner une certaine orientation à la recherche. Elles dissuadent aussi fortement les chercheurs à donner à leurs travaux une orientation qui remet en question ou qui critique les prémisses des engagements envers l'EDI. Voilà la première source de préoccupations.
Mon deuxième exemple se rapporte plus directement à la culture démocratique du Canada. Certains projets de loi à l'étude au Parlement permettraient en effet de réglementer le discours sans nécessairement respecter le principe de neutralité du contenu. Plus graves encore sont les outils contenus dans ces mesures qui permettraient de criminaliser ou de sanctionner quiconque fait des déclarations considérées comme des obstacles à l'atteinte de certains objectifs, même si ces déclarations sont fondées sur des faits.
Une des deux mesures législatives que j'ai en tête est le projet de loi d'initiative parlementaire C‑413, qui a pour titre provisoire Loi modifiant le Code criminel (fomentation de la haine contre les peuples autochtones). La majorité de la population désapprouve les discours haineux. Ce projet de loi est particulièrement dérangeant parce que son objet — ou ce qui pourrait être interprété comme son objet — est d'englober dans la notion de discours haineux toute conduite ou toute expression publique d'un point de vue qui cautionne, qui nie ou qui minimise les effets du système des pensionnats indiens.
Ce qui est inquiétant, ce sont les termes « cautionner », « nier », « minimiser » et « justifier », qui sont tous des jugements de valeur. Nous touchons à l'essence de la liberté d'expression politique et à la vie démocratique au pays. Dans la mesure où la déclaration est publique... Quiconque apporterait publiquement une nuance au discours prescrit, même au moyen de déclarations factuelles, pourrait être considéré comme l'auteur d'un acte criminel.
Le dernier exemple que je veux soulever est le projet de loi C‑63, la Loi sur les préjudices en ligne, particulièrement les dispositions qui conféreraient le pouvoir au tribunal des droits de la personne de traiter les plaintes portant sur des discours haineux publiés en ligne. Le processus de plaintes au civil décrit dans cette mesure est passablement préoccupant parce que contrairement à l'autre projet de loi, les actes et les sanctions qui y sont énumérés ne sont pas de nature criminelle. Il peut donner lieu à des poursuites intentées par des particuliers.
Nous passons à HabiloMédias. Madame Hill, vous êtes accompagnée de M. Johnson, mais je pense que c'est vous qui allez prononcer la déclaration liminaire. La parole est à vous pour un maximum de cinq minutes.
Bonjour, mesdames et messieurs. Merci de m'avoir invitée à me présenter devant vous cet après-midi.
Je m'appelle Kathryn Hill, et je suis fière d'être la directrice générale de HabiloMédias. Mon collègue, notre expert en résidence, Matthew Johnson, m'accompagne aujourd'hui. Je vais prononcer la déclaration liminaire, mais M. Johnson répondra aux questions avec moi.
HabiloMédias est le centre national de littératie numérique et d'éducation aux médias. Nous sommes un organisme de bienfaisance sans but lucratif ayant comme mission de montrer aux Canadiens comment utiliser les médias en toute confiance et à exercer leur esprit critique. Pour atteindre cet objectif, nous faisons progresser la littératie numérique grâce à la recherche de calibre mondial, à l'éducation du public et aux activités de sensibilisation et de communication. Les électeurs et les citoyens ne peuvent être engagés et bien informés sans posséder un certain niveau de littératie numérique. Il faut mettre en place, particulièrement au Canada, une approche coordonnée qui va au‑delà de la littératie numérique fondée sur l'accès et les compétences.
Chacune des quatre compétences de la littératie numérique — accès, utilisation, compréhension et interaction — est essentielle à la liberté d'expression. Dans les environnements numériques, nos pensées et nos actions sont influencées par les types d'outils que nous utilisons, que ce soit les algorithmes de recommandation qui nous proposent des contenus provoquant l'indignation correspondant à nos préférences, ou encore les interfaces d'utilisateur qui nous incitent à réagir sans réfléchir.
En nous appuyant sur nos propres recherches et sur les travaux effectués un peu partout dans le monde, nous soutenons que les gens devraient être libres d'exprimer leur opinion en ligne. En revanche, nous soutenons aussi la nécessité, dans certaines circonstances, d'imposer des limites aux discours en ligne — lorsque par exemple des propos mettent en danger ou causent des préjudices à autrui — et de montrer aux gens comment tenir des dialogues respectueux et responsables en ligne. Même si la plupart des gens appuient l'imposition de limites aux discours en ligne dans certaines circonstances, nous estimons, comme le démontre la recherche, que la promotion de la littératie numérique et de l'éducation aux médias est une approche complémentaire qui est moins intrusive tout en étant mieux en mesure de renforcer la liberté d'expression.
On tenait initialement pour acquis que les médias en réseau feraient progresser la liberté de pensée et d'expression et qu'ils démocratiseraient l'accès à la création et à la distribution médiatiques. La dernière décennie a démontré que la censure pouvait prendre des formes plus subtiles lorsque par exemple des groupes marginalisés sont muselés dans les espaces en ligne de crainte d'être harcelés. Une autre des nombreuses tactiques employées, communément appelée en anglais « heckler's veto », consiste à étouffer certains points de vue au moyen de harcèlement et d'autres formes de violence amplifiés par des algorithmes.
Une autre incidence des médias numériques sur la liberté d'expression est la polarisation. Même si la recherche démontre que les Canadiens ne sont pas très polarisés, les médias, surtout les médias numériques tels que les réseaux sociaux, nous font croire le contraire. Par conséquent, lorsque nous interagissons avec d'autres internautes, nous supposons que leurs vues et leur hostilité envers nous sont probablement plus radicales qu'elles le sont réellement. Cette fausse perception menace la liberté d'expression parce que nous réduisons nos chances d'amorcer une discussion raisonnable si nous croyons que les gens de l'autre camp ont des vues extrêmes. Voilà pourquoi nous apprenons aux jeunes comment établir des normes sociales dans leur communauté virtuelle respective, mais aussi comment déceler les arguments fondés sur la haine et distinguer ces arguments des débats réels. Nous les aidons à remettre en question leurs propres convictions et présomptions.
Comme l'engagement citoyen se fait en ligne, il est plus vital que jamais de s'assurer que tous les Canadiens acquièrent les compétences, les connaissances et les habiletés de pensée critique nécessaires au développement d'une citoyenneté éthique à l'ère du numérique. Il ne faut pas inculquer ces compétences uniquement aux jeunes. En effet, l'apprentissage tout au long de la vie est essentiel étant donné la constante évolution des technologies dans l'écosystème médiatique. Que ce soit pour combattre la désinformation, les discours haineux et le harcèlement ou encore la polarisation, un engagement solide envers la littératie numérique et l'éducation aux médias est indispensable pour assurer un équilibre entre, d'une part, la liberté d'expression et la pensée critique, et d'autre part, l'engagement citoyen constructif. La population doit posséder un niveau de littératie numérique suffisamment élevé pour repérer les situations où l'application des lois et des règlements est appropriée et comprendre pourquoi ces lois et règlements jouent parfois un rôle critique dans la protection des droits de la personne.
Finalement, Internet n'est pas cette utopie de la libre pensée et de la libre expression qu'on nous avait promise. C'est néanmoins dans cet espace que se fait la politique et que se déroulent nos vies. Il ne faut pas céder cet espace à ceux qui encouragent la haine et qui répandent délibérément la désinformation. Il ne faut pas non plus imposer des limites trop strictes à la liberté de pensée et d'expression. En accordant la priorité à la littératie numérique et à l'éducation aux médias, nous mettons en place les conditions nécessaires pour que les citoyens soient mieux informés, plus respectueux et plus engagés afin qu'Internet reste un espace de libre expression permettant la diffusion de contenu significatif pour tous les Canadiens.
Il s'agit d'une étude relativement vaste. Quand on parle de liberté d'expression, on parle aussi des limites de celle-ci, et, sur ce plan, il peut y avoir autant de différences qu'il y a d'individus.
Quand on est un jeune enfant, par exemple, on agit avec plus de transparence et on dit ce qu'on pense, sans réaliser que cela peut plaire ou déplaire à ses interlocuteurs. En vieillissant, on s'aperçoit ou on apprend que ce qu'on dit ne fait pas toujours plaisir aux autres. Alors, on se fixe soi-même des limites, pour garder ses propos dans une certaine décence.
Dans le contexte de notre étude, j'aimerais savoir si les limites de la liberté d'expression peuvent s'inscrire dans un cadre idéal. Bien sûr, il n'y a rien de parfait en ce bas monde, mais de quelle façon pourrait-on établir un tel cadre?
Nous proposons la littératie numérique et l'éducation aux médias comme solution, notamment parce qu'il est extrêmement difficile de déterminer quelles devraient être les limites appropriées de la libre expression et parce que la plupart des gens pensent, comme nous l'avons mentionné dans notre déclaration liminaire, que la réglementation devrait s'appliquer à un très petit nombre de cas.
Nos recherches ont révélé que plus les jeunes et la population en général sont en mesure de définir les normes sociales de leurs espaces respectifs de même que d'exprimer leur point de vue, mais aussi de dénoncer les contenus qui selon eux ne correspondent pas aux normes qu'ils ont établies, moins les lois ou les règlements sont nécessaires.
Cela dit, nous savons également que les jeunes tiennent à cette possibilité de faire appel aux lois et aux règlements. Dans les cas de cyberintimidation par exemple, un nombre infime de jeunes font appel aux forces de l'ordre ou à n'importe quelle forme d'autorité après un premier incident, mais ils sont de plus en plus portés à faire appel à des figures d'autorité telles que les enseignants à mesure que les tentatives de résoudre le problème échouent. À un certain point, ils font appel à la police.
Les sanctions ont leur raison d'être. Les jeunes qui ont participé à notre étude tiennent à cette possibilité de recourir aux lois, mais en règle générale, ils s'engagent dans cette voie seulement en l'absence d'autres options. Ils souhaiteraient également avoir plus de canaux pour exprimer leur point de vue ou dénoncer des discours qu'ils considèrent comme inappropriés dans leurs espaces en ligne.
Il s'agit d'une question particulièrement difficile, parce que c'est une sorte de métadébat. Pour toute autre question de contestation de droits ou de conflit de droit, on peut débattre des droits sans entrer dans la question du cadre des droits eux-mêmes. Ici, on est en train de débattre du droit de débattre, ce qui, en soi, soulève des questions.
Qu'est-ce qui est disponible? Sur quoi peut-on s'interroger dans l'espace public? C'est la question.
Le défi présentement, c'est qu'on assiste à la montée d'une conceptualisation plutôt subjective de ce qui compte comme un préjudice. En effet, on entend souvent le mot « préjudice ».
Je n'ai pas de réponse à vous donner quant à ce qui, dans l'absolu, serait un cadre idéal, mais je vous dirais qu'on devrait résister à la tentation de voir tout désaccord ou toute opinion qu'on n'aime pas comme étant préjudiciable. Il faut rejeter cette idée. Il faut à tout le moins tenir une discussion en fonction de balises ou de critères objectifs qu'on peut utiliser pour trouver l'équilibre entre la liberté d'expression de l'un et les droits de l'autre.
Si quelqu'un fait la promotion de la violence, par exemple, c'est quelque chose d'objectif. Si on incite des gens à commettre des actes de violence, je pense que tout le monde s'entend pour dire qu'il s'agit d'une limite à la liberté d'expression. Pour moi, cela ferait partie de l'idéal.
Quant aux critères subjectifs, par exemple lorsque le fait de lire certaines choses sur les réseaux sociaux rend une personne mal à l'aise ou lui déplaît, je pense qu'on devrait résister à l'idée qu'il s'agit d'une base sur laquelle poser des limites à la liberté d'expression.
Depuis l'avènement de l'intelligence artificielle, on voit des vidéos qui sont montées de toutes pièces. Par exemple, on pourrait me voir dans des vidéos sur les réseaux sociaux en train de déclarer des choses que je n'aurais pourtant jamais dites.
Les fausses nouvelles deviennent-elles une atteinte à la liberté d'expression?
Si je peux me lancer dans ce débat en 45 secondes, je répondrais que ce n'est pas nécessairement la liberté d'expression qui est atteinte, dans ce contexte.
Si on veut réglementer cela, il y a des questions à se poser relativement à la liberté d'expression. Par exemple, si on utilise les fausses nouvelles manifestement à des fins de parodie ou de satire, alors on peut se poser des questions sur les limites à établir pour réglementer cela. En soi, dans le cas où quelqu'un produit ou utilise ce genre de contenu, ce n'est pas nécessairement le droit à la liberté d'expression qui est en jeu, selon moi. Ce sont plutôt d'autres droits, de nature individuelle, qui seraient touchés par cela.
Je pense que mon temps de parole est écoulé, alors, si les témoins souhaitent ajouter des éléments de réponse, je leur demanderais de les envoyer par écrit au Comité.
Monsieur Sérafin, votre exposé suscite mon intérêt, et je serais curieux de savoir si vous pouvez m'expliquer... Je pense que ce que vous avez expliqué soulève une série de questions intéressantes, surtout sur la notion de liberté et la façon dont on utilise l'expression.
Vous voyez les bons et les mauvais côtés des conversations qui se tiennent sur les campus. J'ai lu une partie de vos travaux. Ces derniers temps, les campus sont devenus des lieux de discussion et de débat très intéressants. Brièvement, j'aimerais avoir votre opinion honnête sur ce qu'on entend quant à la nature polarisante de la conversation. Il y a des étudiants juifs qui ont l'impression de ne pas pouvoir dire ce qu'ils pensent. Il y a des étudiants qui appuient la cause palestinienne, qui disent avoir l'impression que leurs libertés sont étouffées par cette expression. Dans tout cela, il y a des communautés qui souffrent, qui sont fâchées et frustrées. À partir de quel moment devrait‑on revoir un peu notre interprétation de la notion de la liberté, particulièrement de la liberté d'expression, ou ces débats, discussions et confrontations sont-ils sains pour notre démocratie?
Cela dépend en partie des valeurs auxquelles on tient. Si l'on croit au pluralisme et à la démocratie, comme c'est probablement le cas de la plupart des gens ici présents, alors il y a des conversations très difficiles à avoir. La question des groupes juifs et des groupes palestiniens, en particulier, ou des groupes pro-israéliens et pro-palestiniens est très sensible pour les universités.
Il y a deux approches possibles. On peut adopter une approche musclée. On peut aussi adopter une approche qui...
L'une de mes préoccupations sur le projet de loi contre les préjudices en ligne, disons, c'est que les groupes les plus susceptibles de s'en servir comme arme sont justement ces deux groupes, en particulier, du moins dans le contexte actuel. Du moment qu'il entrera en vigueur, s'il entre en vigueur, je m'attends à ce qu'un certain nombre de plaintes soient déposées de part et d'autre, par des groupes pro-juifs et des groupes pro-palestiniens. Je dirais qu'il ne serait pas sain de créer ce mécanisme, qui obligerait l'État à trancher ces différends, à déterminer s'il s'agit d'expression de haine d'un côté ou de l'autre. Nous avons besoin d'outils davantage axés sur les moyens pour régler ce genre de différend. Par exemple, on devrait autoriser les manifestations sur les campus, mais aussi reconnaître qu'il y a des limites à ce qu'on peut faire dans le cadre de manifestations sur les campus.
C'est là où je voulais en venir. Si l'on réfléchit un peu à la notion de limites, cela nous ramène à la question de... Vous avez parlé plus tôt d'un vocabulaire qui... Quelqu'un doit jouer l'arbitre. Comment décider ou à qui revient‑il de décider qui sera l'arbitre chargé de déterminer ce qui est raisonnable? Les collèges et les universités ont des points de vue différents sur ce qui est approprié et ce qui ne l'est pas.
En fait, je suis plutôt d'accord avec vous. Je pense que sur les campus, il est vraiment important pour nous de créer des environnements dans lesquels les gens peuvent avoir des débats très réfléchis et sains. Si nous enlevons cela aux jeunes, que nous ne créons pas des environnements dans lesquels ils peuvent avoir ces conversations de manière réfléchie, approfondie, je pense que cela peut avoir des répercussions profondément néfastes, non seulement sur leur apprentissage, mais sur la société en général. J'aimerais savoir ce que vous pensez des limites à établir dans ce contexte.
Le problème de savoir qui décidera est fondamental. Toutes les dispositions possibles, peu importe ce qu'on inscrit dans la loi, doivent toujours être interprétées par quelqu'un.
Ce que je dirais, c'est que si vous voulez éviter de polariser inutilement le débat, mieux vaudrait probablement éviter d'utiliser le concept de « discours haineux », par exemple, pour régir ce que les gens peuvent faire ou non. Personne n'aime que ses opinions politiques soient qualifiées de « haineuses », surtout lorsqu'on exprime des opinions qui sont, dans certains cas, celles d'un grand nombre de Canadiens, voire de la majorité. Le fait que ces opinions soient qualifiées de « haineuses » crée une polarisation inutile. Si l'on veut résoudre ce genre de problème sainement, il serait préférable, par exemple, de limiter qui peut utiliser l'espace public de façon neutre sur le plan des points de vue.
Parlons des milieux de travail, alors. Que diriez-vous aux gens qui se font dire par leur gestionnaire qu'il compte surveiller ce qu'ils disent pour s'assurer que c'est acceptable, qu'il ne les laissera pas dire certaines choses ou exprimer leurs préoccupations ou leurs revendications d'une certaine façon? Que diriez-vous aux gens dans ces milieux de travail?
Tout dépend du milieu de travail. Fondamentalement, il faut déterminer ce qui est pertinent dans le milieu de travail. S'il est essentiel pour maintenir une bonne ambiance dans le milieu de travail que certains points de vue ne soient pas exprimés en milieu de travail, l'employeur a une raison légitime d'intervenir. Ensuite, tout dépend aussi du poste qu'occupe la personne. Les attentes envers moi, qui suis professeur d'université, sont différentes de celles envers une personne qui occupe un emploi de bureau de base.
Diriez-vous qu'un chef de parti politique devrait pouvoir dire à ses députés qu'il va surveiller chacun de leurs mots et les punir s'ils disent quoi que ce soit, ou qu'ils ne peuvent pas défendre les intérêts de leur collectivité?
Diriez-vous que c'est raisonnable, ou pensez-vous que cela entrave leur liberté d'expression?
Eh bien, c'est une décision légitime pour un dirigeant politique, mais je ne suis pas au courant de conversations internes. Je suppose qu'ils ont décidé, pour toutes sortes de raisons, qu'ils préfèrent avoir ce genre de conversations à l'interne plutôt que de les laisser transparaître dans la sphère publique. C'est une décision, une décision politique.
Je ne suis pas contre. Je ne pense pas que cela pose problème, en principe, tant que les députés... Si les députés se sentent incapables, en leur âme et conscience, de tolérer cela, ils peuvent toujours décider de quitter le caucus, n'est‑ce pas?
Pendant quelques instants, je pensais que mon collègue M. Noormohamed faisait plutôt allusion à l'Agence du revenu du Canada quand il demandait si un patron pouvait décider de ce que ses employés peuvent dire ou ne peuvent pas dire. C'est effectivement un contexte semblable à celui de l'Agence, dont on parle ces temps-ci. Des employés de l'Agence, des lanceurs d'alerte, ont dénoncé des cas de fraude et de mauvaise gestion.
Pensez-vous qu'il est de bon ton de la part des dirigeants de l'Agence de tenter de trouver ces lanceurs d'alerte pour les museler? Dans un contexte comme celui-là, des pratiques de ce genre sont-elles défendables?
Dans ce contexte, il y a deux obligations contradictoires. D'une part, il y a le devoir de loyauté envers l'employeur. D'autre part, il faut considérer la nature de l'emploi, qui relève de la fonction publique. Il y a donc un devoir envers le public de façon générale.
Dans l'abstrait, je n'ai pas d'opinion arrêtée sur cette question. C'est un problème. Il faudrait que j'y pense davantage pour pouvoir réellement répondre à votre question.
Dans ce cas, je vous invite à y penser davantage et à fournir une réponse écrite au Comité par courriel, si vous le souhaitez. Ce serait fort intéressant de connaître votre point de vue là-dessus.
J'aimerais maintenant me tourner vers Mme Hill et M. Johnson, d'HabiloMédias, un centre canadien d'éducation aux médias numériques.
Je suis enchanté de vous rencontrer aujourd'hui. J'ai toujours dit que la sécurité en ligne passait par l'éducation, et je crois comprendre que c'est ce que vous défendez grandement.
Je vais poser ma question un peu ironiquement: d'après vous, combien d'années de retard a-t-on en matière d'éducation au numérique?
J'hésite à m'avancer sur le nombre d'années de retard que nous pourrions avoir. Je peux dire que le Canada, en tant que pays, est en retard par rapport à d'autres pays. Nous le savons parce que la plupart des autres pays industrialisés — les pays de l'Union européenne, d'Amérique du Sud, du Moyen-Orient et l'Australie — ont déjà défini et élaboré leurs propres stratégies nationales d'éducation aux médias numériques. Certaines sont en place depuis 20 ou 30 ans. D'autres ont été mises en place plus récemment, au cours des cinq dernières années, et les choses ont énormément progressé depuis cinq ans. Par exemple, le Royaume-Uni a mis sa stratégie en œuvre il y a cinq ans. Il a obtenu des résultats spectaculaires dans le niveau d'éducation et la résilience de ses citoyens. Nous sommes assurément en retard.
Dans ce cas, je vais poser ma question d'une autre façon.
J'ai lu récemment que la Finlande n'avait pas de problème de désinformation. Enfin, je veux plutôt dire qu'elle n'est pas la cible des Russes en matière de désinformation ou d'ingérence, et c'est justement parce qu'elle a un programme d'enseignement des compétences numériques dès le plus jeune âge.
Si on commence maintenant à faire les choses comme il faut, combien de temps faudra-t-il pour se prémunir contre ce genre de menaces d'un pays voyou, comme la Russie pourrait l'être dans un tel contexte? A-t-on le temps?
Absolument, tout à fait. Il n'est jamais trop tard pour commencer.
Beaucoup d'entre nous citent la Finlande en exemple. La Finlande agit sur ce front depuis une trentaine d'années, à juste titre, en raison de son emplacement géographique et de ce qu'on appelait de la propagande, qui est devenue de fausses nouvelles, de l'infox, de la mésinformation, de la désinformation.
Comme je viens de le dire, le Royaume-Uni a commencé il y a cinq ans et a déjà fait d'énormes progrès. Il commence maintenant à mesurer les niveaux réels d'éducation aux médias dans sa population.
C'est possible. Cela ne nous prendra pas forcément 20 ans. Si nous pouvons y consacrer les ressources nécessaires, nous pouvons y arriver.
En fait, on peut commencer par les enfants, mais il faudrait aussi éduquer les adultes, parce que je pense qu'il y en a beaucoup qui ont pas mal de retard.
L'une des principales clés du succès de la Finlande, c'est qu'elle mise sur l'apprentissage tout au long de la vie. Nous en tirons des leçons. Avant, nous nous concentrions uniquement sur les enfants et les jeunes dans le système d'éducation. Ce n'est plus acceptable. L'éducation doit se poursuivre toute la vie durant. En Finlande, l'éducation commence avant la maternelle et se poursuit jusque dans les résidences pour personnes âgées, continuellement et constamment.
M. Sérafin, vous avez parlé tantôt des critères en matière d'équité, de diversité et d'inclusion. Nous ne sommes pas contre la vertu. Personne n'est contre la tarte aux pommes. Tout le monde aime les belles valeurs, comme l'équité, la diversité et l'inclusion. Tout le monde est d'accord sur le principe. Ce sur quoi plusieurs, dont moi-même, ne sont pas d'accord, c'est de faire une discrimination qu'on dit positive, bien qu'aucune discrimination ne puisse être positive, à mon avis.
Y a-t-il moyen, même si cela demande un peu plus de temps, d'arriver aux objectifs qu'on cherche à atteindre en matière de diversité et d'inclusion sans qu'on doive absolument mettre des contraintes qui pénalisent d'autres groupes qui, jusqu'ici, ont été nettement favorisés?
Ma réponse serait oui, mais il faut d'abord préciser les objectifs qu'on cherche réellement à atteindre.
Un des problèmes dans le cas de ces critères, c'est qu'on parle d'équité, de diversité et d'inclusion sans préciser à quoi cela correspond. Il y a bien une idée qui sous-tend ces énoncés. Quand je dis qu'il devrait y avoir un engagement en matière d'équité, de diversité et d'inclusion, c'est qu'il y a assurément quelque chose de très précis qui est sous-entendu par cela, mais on ne le précise presque jamais de façon explicite.
La première chose que je dirais, c'est qu'on doit avant tout indiquer quels sont les objectifs qu'on veut réellement atteindre. À partir de là, on peut avoir un débat sur les divers moyens qui seraient disponibles pour arriver à ces objectifs. En l'absence d'objectifs clairs, c'est plus difficile.
Par exemple, si on veut vraiment avoir une représentation de certains groupes qui est le parfait reflet de la société canadienne, si on présume que c'est quelque chose qu'on veut vraiment dans tous les secteurs possibles de l'économie, il faut le dire.
Je suis heureux d'être ici et, bien sûr, je souhaite la bienvenue à Mme Hill et à M. Johnson, qui ont tous deux comparu devant le comité de l'éthique, où ils ont présenté un exposé sur la désinformation et la mésinformation.
Je vais vous poser une série de questions. Je tiens à ce que vous sachiez que vous pouvez parler avec franchise au Comité. Ne pensez pas qu'en tant que représentants d'un organisme sans but lucratif, vous devez vous protéger. Nous attendons avec impatience votre réponse bien sentie.
J'aimerais que nous parlions d'abord de votre organisation. Vous sensibilisez les gens à ce sujet depuis un certain temps déjà. En fait, si ma mémoire est bonne, vous nous avez formulé deux recommandations au comité de l'éthique. La première était de mieux sensibiliser les parlementaires à la question, pour qu'ils aient une bonne littératie numérique. Vous avez ensuite précisé que vous insistiez depuis 15 ou 20 ans auprès du gouvernement actuel et du gouvernement précédent, pour qu'ils déploient une stratégie d'éducation aux médias, comme vous l'avez décrit dans votre déclaration préliminaire.
Je réfléchis à cela et à la différence que cela ferait si nous avions commencé ce travail il y a 20 ans, compte tenu de la situation actuelle, en particulier en ce qui concerne la désinformation. Je vais faire une comparaison, et je veux que vous me suiviez bien.
Aux États-Unis, il y a un animateur-choc, Alex Jones, qui alimentait le site Infowars. Sa stratégie consistait essentiellement à « inonder la toile », ou, comme Steve Bannon le dirait, à mener une guerre cognitive contre la vérité, contre le discours public dominant, à la faveur de l'extrême droite. Selon sa vision d'extrême droite, il s'est servi de sa plateforme pour dénigrer les victimes de Sandy Hook. Il les a qualifiés d'« acteurs de crise » et a été poursuivi dans le cadre d'un procès retentissant, qui a fini par acculer son entreprise à la faillite.
Pour le défendre, cependant, ses avocats ont déclaré qu'aucune personne raisonnable n'aurait dû croire que ce qu'il disait était la vérité. À une époque où l'on va au‑delà de la vérité objective, des faits et du journalisme, à quel point ce genre de guerre cognitive est-elle préjudiciable pour le public? Il s'agit d'inonder la toile de désinformation, puis, en contexte juridique, dans un contexte très particulier, dans un cadre où l'on met les choses en perspective, les avocats de la défense viennent dire: « Oh, il ne le pensait pas vraiment. »
Nous ne pouvons pas vraiment parler du contexte juridique — ce n'est pas de notre ressort —, mais nous croyons évidemment que la désinformation et les théories du complot peuvent être très préjudiciables. Même si elles ne nuisent pas au contenu en question, nous savons qu'elles nuisent au discours public et, par conséquent, à la liberté d'expression, car elles affaiblissent notre sens commun de la réalité.
Par exemple, pour revenir à la question des hypertrucages qui a été soulevée plus tôt, nous savons que l'une des plus grandes préoccupations à leur sujet n'est pas nécessairement que les gens se fassent avoir, mais plutôt ce que l'on appelle le « dividende du menteur », à savoir que l'existence des hypertrucages permet aux gens de prétendre qu'ils n'ont pas dit ou fait des choses alors que c'est bien le cas, et nous permet aussi, en tant que personnes, de ne pas croire quelque chose si nous ne voulons pas que ce soit vrai.
C'est un point important, parce que vous savez que le concept du dividende du menteur s'applique en politique.
Je vais vous donner un autre exemple. En cette ère de la désinformation, je crois qu'il est juste de dire que... Eh bien, je vais vous le demander. Je ne veux pas vous mettre des mots dans la bouche. Êtes-vous d'avis que les élus ou les représentants du gouvernement ont un plus grand devoir d'honnêteté, de candeur et de vérité? Êtes-vous d'accord avec moi là‑dessus?
Nous croyons que tous ceux qui sont titulaires d'une charge publique — toutes les figures publiques — sont considérés comme des leaders. C'est donc important, oui.
Êtes-vous d'avis que les déclarations faites par le gouvernement et les acteurs politiques doivent répondre à une norme élevée en matière de vérité, surtout en ce qui a trait aux politiques du gouvernement?
Je crois que nous pouvons dire, d'après les recherches disponibles, que lorsque des gens qui sont considérés comme étant des leaders répandent la mésinformation ou la désinformation, la population est plus susceptible de la percevoir comme étant une vérité, puisqu'elle provient de personnes en situation de pouvoir.
Sans vouloir aller trop loin, j'aimerais vous présenter un autre exemple: celui de l'eau potable.
Le gouvernement libéral a promis l'accès à l'eau potable, mais à l'heure actuelle, ses avocats font valoir devant les tribunaux que ces propos visaient un contexte particulier et ne devraient pas être crus par qui que ce soit.
Lorsque des avocats fédéraux doivent se lever en cour et dire que les ministères libéraux ne doivent pas être crus, cela n'érode‑t‑il pas les principes fondamentaux de la démocratie et la confiance à l'égard de notre système?
Pourriez-vous nous donner un exemple où une personne — que ce soit dans le cadre de la campagne électorale ou d'une campagne de communication destinée au public — dit une chose en public et fait valoir le contraire sur le plan juridique, ce qui représente une forme de désinformation ou de mésinformation?
La recherche n'a pas désigné une telle situation comme étant une forme de désinformation ou de mésinformation, alors nous n'avons pas fait de recherches ou d'études à ce sujet.
Il pourra le faire à la prochaine série de questions. Nous en sommes déjà à 6 minutes et 15 secondes. Merci.
Nous passons maintenant à la deuxième série. Les conservateurs et les libéraux disposeront de cinq minutes, et le Bloc et le NPD disposeront de deux minutes et demie. Nous allons conclure la deuxième série avec une intervention de cinq minutes pour les conservateurs et une intervention de cinq minutes pour les libéraux, puis nous mettrons fin à la séance. D'accord?
Monsieur Jivani, vous disposez de cinq minutes pour le Parti conservateur. Allez‑y.
Monsieur Sérafin, j'aimerais vous poser quelques questions.
Bon nombre de Canadiens se préoccupent du plan de censure de Justin Trudeau, et le projet de loi C‑63 fait partie de ce plan. Vous avez écrit sur le sujet pour l'Institut Macdonald-Laurier. J'aimerais que vous nous en parliez davantage.
Vous avez écrit ceci au sujet du projet de loi C‑63:
[...] il n'est pas inconcevable que des recours puissent être exercés contre d'autres types de distributeurs de contenu en ligne dans le but de les amener à se livrer à une censure proactive ou à établir autrement une politique générale avec peu ou pas de surveillance démocratique. Cette possibilité est accentuée par la façon dont les recours dirigés contre la discrimination ont été utilisés jusqu'à présent.
Oui. Le principal exemple est... J'ai parlé tout à l'heure de l'équité, de la diversité et de l'inclusion et de l'enseignement supérieur. Il y a aussi le Programme des chaires de recherche du Canada, qui est actuellement assujetti à un système de quotas assez strict qui, je pense, a fait l'objet d'une controverse il y a un an ou deux.
En fait, ce système de quotas est le résultat d'un règlement du Tribunal canadien des droits de la personne qui, en gros, a consacré un accord entre le gouvernement et les plaignants dans le cadre d'une plainte relative aux droits de la personne, ce qui a eu pour effet de changer complètement la façon dont les chaires de recherche du Canada sont attribuées. Il y a maintenant un système de quotas strict en place, alors ce n'est pas inconcevable.
Ce que j'ai dit, c'est qu'il y a des dispositions dans le libellé de l'amendement proposé au projet de loi C‑63 qui laissent entendre que les ordonnances contre les distributeurs de contenu en soi ne sont pas envisageables, mais c'est une question d'interprétation. Il n'est pas inconcevable, dans ce contexte, qu'une ordonnance puisse être rendue contre une personne qui ira au‑delà de la distribution du contenu, pour qu'elle adopte de façon proactive certaines mesures visant, par exemple, à empêcher que des voix marginalisées — telles qu'elles sont conçues — soient censurées, ce qui signifierait peut-être qu'il faudrait plutôt censurer d'autres voix.
C'est le genre de choses que j'avais à l'esprit lorsque j'ai écrit cela.
Comprenez-vous les Canadiens qui s'inquiètent de la centralisation des pouvoirs et du contrôle des bureaucraties fédérales en ce qui a trait à ce que les gens peuvent voir, entendre et dire en ligne?
En fin de compte, je crois qu'il faut savoir quelle était l'intention du Parlement. Le Parlement pourrait envisager une vaste délégation de pouvoirs au Tribunal des droits de la personne, par exemple. C'est tout à fait légitime. Je ne suis pas de ceux qui nieraient la légitimité du droit administratif en général.
Cela dit, il faut faire des compromis. Si vous déléguez des pouvoirs à des organismes de réglementation ou à des décideurs administratifs, vous sapez nécessairement la nature représentative du processus législatif. Par exemple, pour revenir au Programme des chaires de recherche du Canada, la décision a été prise sans consultation publique et elle s'est avérée très controversée.
Le public n'était même pas au courant. En fait, je pense que la plupart des gens ne savent pas du tout comment ce règlement a été conclu. Ils ne sont même pas au courant de l'affaire. C'est le problème avec ce genre de mesures.
Oui. Je vais vous donner un exemple où il pourrait être problématique de donner à quelqu'un comme Justin Trudeau autant de pouvoir pour décider de ce qu'il serait répréhensible de dire en ligne.
Vous vous souvenez peut-être qu'en 2018, il y a eu la vidéo virale d'une dame du Québec qui exprimait des préoccupations au sujet des politiques d'immigration et de Justin Trudeau qui la traitait de raciste. Aujourd'hui, en 2024, Justin Trudeau admet que ces politiques étaient néfastes pour notre pays. Il ne s'est pas qualifié de raciste pour autant. Il donne un exemple très clair de la façon dont de la définition de tels concepts peut être facilement politisée et de la raison pour laquelle la centralisation des pouvoirs et le contrôle par le gouvernement fédéral pourraient représenter un problème.
Cela ne se limite pas à la surveillance gouvernementale. Il s'agit d'un problème plus vaste lié à la façon dont ces mots — comme le mot « raciste » et tous les autres épithètes auxquels vous pouvez penser — sont utilisés dans le contexte des médias sociaux. C'est complètement arbitraire dans bien des cas. Un jour, il est acceptable de dire quelque chose; le lendemain, ce ne l'est plus.
Je dirais qu'il n'est pas seulement question de la centralisation et de la bureaucratie gouvernementale, même si l'élimination de la surveillance publique entraîne peut-être des risques supplémentaires. Le simple fait que ces choses changent sans raison apparente présente, à mon avis, des risques importants en ce qui a trait à l'interdiction des discours haineux. Ce qui est considéré comme un discours haineux peut changer du jour au lendemain.
Je crois que nous n'avons plus beaucoup de temps, mais je dirais qu'à mon avis, votre témoignage et vos écrits expliquent pourquoi un si grand nombre de Canadiens s'inquiètent de ce que font Justin Trudeau et le gouvernement libéral.
Vous soulevez de nombreux points importants au sujet du projet de loi C‑63, qui doivent être pris en compte et qui expliquent pourquoi les Canadiens sont si mécontents de ce qui se passe à l'heure actuelle.
Je remercie les témoins d'être avec nous aujourd'hui.
HabiloMédias, vous faites de l'excellent travail, qui est plus que nécessaire. Je pense que l'avancement de la littératie numérique et de la littératie en matière de médias numériques est essentiel aujourd'hui, et je vous suis reconnaissant du travail que vous faites.
J'ai été directeur général d'un organisme national d'alphabétisation appelé AlphaPlus. Nous avons beaucoup travaillé sur la littératie numérique et les compétences essentielles. À l'époque, on parlait de la façon de donner aux gens les outils dont ils ont besoin pour évoluer dans le monde numérique. Aujourd'hui, la complexité est telle qu'il ne s'agit pas seulement de naviguer dans le monde numérique, mais de déceler le vrai du faux dans le labyrinthe qui se présente à nous.
Madame Hill, vous avez parlé des algorithmes. En ce qui concerne les algorithmes qui existent aujourd'hui... En fait, le Comité a largement étudié la question des algorithmes et de leur utilisation avec les grandes entreprises technologiques. Ils sont camouflés sous forme de codes. La société ne comprend pas encore comment ils fonctionnent, mais nous pouvons comprendre certaines choses.
L'algorithme en soi crée‑t‑il de la censure? Est‑ce un argument qui circule? Je ne vous demande pas nécessairement de nous donner votre opinion, mais est‑ce qu'il y a des discussions sur la censure émanant des algorithmes et sur l'incidence négative qu'ils ont sur notre capacité à nous exprimer?
Nous avons la preuve que les algorithmes de recommandation mènent à l'autocensure parce qu'ils favorisent notamment certains contenus et en déclassent d'autres, ou les bannissent furtivement. Ce n'est pas un processus transparent pour les utilisateurs, pour les personnes qui participent sur ces plateformes, de sorte que, dans de nombreux cas, les gens seront particulièrement prudents pour éviter d'utiliser des termes qui, selon eux, pourraient les faire déclasser.
Parfois, ils utilisent ce qu'ils appellent le « trompe-algorithme » en évitant d'utiliser certains mots qui pourraient les déclasser. Bien sûr, cela signifie que les gens qui ne sont pas encore membres de la communauté n'ont pas accès à ces conversations.
Nous savons également que les créateurs de contenu commercial, par exemple, ressentent une très forte pression pour créer non pas le contenu qu'ils veulent exprimer, mais celui qui sera favorisé par l'algorithme.
Avez-vous un exemple de cela? Est‑ce qu'il y a eu des exemples importants de personnes qui ont été poussées vers le bas par l'algorithme, et dont la voix a été étouffée en ligne?
Nous savons qu'il y a eu des cas où l'on croit que la discussion sur certains sujets, comme la violence sexuelle, a été déclassée et que l'on a créé le trompe-algorithme pour pouvoir en parler. La discussion sur l'orientation sexuelle et l'identité de genre serait déclassée dans certaines applications. Encore une fois, je dis « serait » parce que nous n'en sommes pas certains, en raison de l'opacité qui entoure le sujet.
Dans bien des cas, même les gens qui exploitent ces plateformes ne le savent pas, parce que ce ne sont pas des algorithmes programmés; ce sont des algorithmes d'apprentissage automatique qui se fondent sur des ensembles de données. Par conséquent, ils peuvent très facilement encoder les préjugés existants sans même que leurs exploitants en soient conscients ou aient l'intention de le faire.
Avec quel groupe d'âge travaillez-vous? Est‑ce que vous visez tous les groupes d'âge, ou est‑ce que votre travail se centre un peu plus sur les jeunes?
Nous nous centrons un peu plus sur les jeunes, notamment parce que c'est ce que nous avons toujours fait. Aussi, les écoles sont un endroit facile pour communiquer avec les gens ou leur transmettre notre matériel. Nous savons également que les parents jouent un rôle très important dans la vie de leurs enfants. La recherche l'a démontré à de nombreuses reprises. Nous élaborons de plus en plus de programmes et de ressources pour l'ensemble de la population.
C'est intéressant. Je me souviens qu'il y a 10 ou 12 ans, le temps d'écran moyen des jeunes en Ontario était de cinq heures, et c'était considéré comme étant très nocif. De nos jours, ce sont 12 ou 13 heures que les jeunes passent devant un écran. Le cerveau des enfants télécharge beaucoup d'information, ce qui a une grande incidence sur leur capacité à naviguer dans la société.
La suppression de l'expression représente un grand défi en soi. Quels conseils donneriez-vous à un enseignant ou à un parent pour aider les enfants à développer pleinement leur voix, afin qu'ils puissent s'exprimer de manière significative sans que des influences externes les fassent taire?
Je dirais qu'il est important pour les jeunes de comprendre que cette voix qui semble représenter la majorité dans l'espace virtuel ou dans les médias ne la représente souvent pas. Nous savons que les personnes qui parlent le plus fort sont souvent considérées comme étant la majorité, mais il faut un nombre relativement petit de gens qui s'expriment pour changer ce qui est perçu comme étant le point de vue de la majorité ou le consensus.
Monsieur Sérafin, on sait que le droit d'être offensé n'existe pas. Cela fait d'ailleurs partie du cadre de la liberté d'expression. Il faut s'assurer de le rappeler.
Cependant, nous sommes dans une ère d'hypersensibilité. Il y en a qui ont la couenne très mince et qui réagissent très fortement à des propos qui sont, selon eux, offensants.
Est-ce qu'on pourrait en arriver au point où la pression créée par ce contexte d'hypersensibilité mènerait vers des modifications législatives? M. Johnson parlait de gens qui vont commencer à se censurer, parce qu'on sait que certains propos vont peut-être heurter certaines personnes. On marche sur des œufs, finalement.
Est-ce que cette espèce de pression peut devenir dangereuse, dans une société? Peut-elle mener à des changements législatifs qui viendraient, d'une certaine façon, empiéter sur le principe de base de la liberté d'expression?
En fait, c'est probablement mon inquiétude principale, dans ce contexte. Nous sommes dans un contexte où l'hypersensibilité existe. Le problème principal, c'est que les gens redéfinissent les concepts. Auparavant, ils pouvaient se sentir offensés par certains propos et dire qu'ils n'aimaient pas ces propos, essentiellement; aujourd'hui, ils transforment de pareils propos en préjudice. Il y a une montée en importance de la notion de préjudice psychologique ou de préjudice moral, notamment en droit privé, domaine dans lequel je fais beaucoup de recherche. Tout d'un coup, ce qui auparavant était simplement offensant ou dérangeant pour les gens est devenu quelque chose qui porte atteinte à leur personne, d'une certaine façon. Là, on est dans un discours très dangereux pour la liberté d'expression, en effet.
Ce sont des choses qu'on a pu observer aussi dans le milieu artistique. Beaucoup d'artistes et de créateurs se sont vraiment retenus ou ont carrément retiré certaines de leurs œuvres en raison de pressions exercées par différents groupes.
Je vous remercie beaucoup. Je pense que mon temps de parole est écoulé.
Je ne pense pas qu'il soit approprié de simplement le prononcer.
Cela dit, l'idée que n'importe quel mot... Oubliez le tabou culturel entourant ce mot. Le problème fondamental et sous-jacent ici, c'est l'idée qu'une personne puisse statuer que la simple énonciation d'un mot est en quelque sorte inappropriée, quel que soit le contexte, et détenir un droit de veto sur les autres personnes qui prononcent ce mot.
En ce qui concerne le secteur médiatique actuel, nous savons que les médias grand public sont maintenant numériques. Cependant, comme je l'ai dit plus tôt, il semble y avoir l'émergence d'Infowars, de complots d'extrême droite et de tous ces autres problèmes qui surgissent en ce moment.
À votre avis, à quel point importe‑t‑il que le secteur médiatique soit réglementé et assujetti à des normes journalistiques et de reddition de comptes?
Nous n'avons pas d'opinion sur l'origine des normes. Nous sensibilisons les gens à ce sujet et les informons sur les caractéristiques d'une source suffisamment fiable pour mériter leur attention, parce que nous sommes constamment bombardés d'information. Notre tâche initiale consistera toujours à séparer...
Lundi, nous avons entendu d'autres experts qui ont souligné à quel point il importe d'avoir des journalistes de formation qui cherche la vérité pour éviter que notre société ne soit induite en erreur. Pourtant, des partisans attaquent la validité des médias grand public. Dans quelle mesure ces attaques sont-elles dangereuses quand le grand public doit évaluer la véracité d'une nouvelle?
Pour revenir à ce que disait M. Johnson, nous pensons que ce qui est d'une importance cruciale... Nous n'avons plus le luxe de simplement absorber ce que nous entendons ou voyons. Nous devons posséder les compétences de vérification nécessaires pour évaluer la fiabilité de l'information. Il est malheureux qu'il en soit ainsi, mais c'est la situation actuelle avec l'intelligence artificielle, les hypertrucages et tout le reste. Nous devons être vigilants en tant que consommateurs d'information. Il est toutefois aussi extrêmement utile d'avoir des normes.
Je remercie nos témoins de ce qui est une conversation très productive aujourd'hui.
Monsieur Sérafin, nous avons parlé du projet de loi C‑63. L'un des aspects préoccupants que j'y ai lus est... Personne ne s'oppose à l'intention de protéger tout particulièrement les enfants contre les préjudices en ligne, mais l'important, c'est de savoir comment s'y prendre. Dans une partie du libellé proposé, on passe d'un critère objectif du discours haineux à un critère subjectif, en employant notamment des mots comme « discrédite, humilie, blesse ou offense ».
C'est surtout ce dernier mot qui me semble profondément problématique quand je lis le projet de loi. J'utiliserai l'exemple que j'ai donné l'autre jour. Comme j'appuie le secteur pétrolier et gazier — et le Parlement est ironiquement saisi d'un projet de loi qui rendrait illégale la publicité à ce sujet —, des libéraux du Parlement m'ont dit que mon soutien au secteur pétrolier et gazier, qui est un élément clé de l'économie des régions que je représente, est en quelque sorte haineux.
Avec la situation que je viens de décrire, je me demande, monsieur Sérafin, si vous pourriez nous en dire un peu plus sur les conséquences du passage d'un critère objectif du discours incitant à la violence et au préjudice, par exemple, à un critère subjectif, qui pourrait être aussi faible que le fait qu'une personne se sente offensée par les propos de quelqu'un.
Pour expliquer de façon très simple cette différence, c'est que quand on adopte une norme subjective, on ne fait qu'officialiser le droit de veto du houspilleur. Voilà ce que vous faites. Vous donnez à quiconque se déclare offensé et insulté et veut exprimer... Certains ne voudront pas le faire, mais quiconque veut se prétendre offensé va pouvoir le faire et obtenir effectivement le droit de veto du houspilleur, parce que, en théorie du moins, cette personne a porté plainte contre l'autre pour discours haineux. Elle peut ainsi obtenir des dommages-intérêts et d'autres formes de recours en vertu des modifications proposées.
C'est précisément ce qui nous préoccupe: au lieu d'avoir une sorte de norme objective qui tient compte à la fois des droits d'expression d'une partie et des droits de l'autre partie, vous favorisez une partie. Vous dites que c'est l'infraction qui compte et qu'on n'a pas à tenir entièrement compte des droits d'expression de la personne et des valeurs qu'elle incarne, comme la participation démocratique et tout le reste.
Je remercie les représentants d'HabiloMédias de témoigner.
Je pense que cela touche une partie du travail de votre organisation, qui consiste à éduquer les gens et à les aider à prendre des décisions éclairées et à comprendre que la liberté d'expression peut inclure des opinions différentes, y compris des opinions qui pourraient être offensantes.
Lorsque je lis cette partie du projet de loi, je me demande si quelque chose qui offense quelqu'un devrait être une mesure qui pourrait entraîner une interdiction sur les médias sociaux. Le ministre devrait‑il avoir le pouvoir d'instaurer un processus administratif qui interdirait à quelqu'un d'exprimer une opinion? Serait‑ce un pouvoir préoccupant comparativement aux démarches qui visent à enseigner aux gens comment participer efficacement aux débats que nous devrions être en mesure d'avoir au sein de la société civile?
Je pense que ma réponse va décevoir, car nous ne sommes pas experts de la loi. Nous ne la connaissons pas bien ou nous n'avons pas d'employés qui peuvent s'occuper de cela.
Ce que je peux dire, c'est que nous serons toujours d'accord pour dire que l'éducation doit être envisagée. Ce que je dirais et ce qui nous préoccupe, c'est qu'il n'est pas question d'éducation dans le projet de loi; or, comme vous le faites valoir, il s'agit d'un élément essentiel de la solution pour améliorer la situation. C'est notre objectif. Je sais que c'est une solution à long terme, qui n'est peut-être pas aussi alléchante que d'autres, mais elle est importante et se fonde sur des données probantes.
Apprendre aux gens à argumenter est, à mon avis, l'une des belles choses que le Parlement est censé faire.
Monsieur Sérafin, dans la dernière minute environ, en vous fondant sur votre expérience de professeur confronté à certains de ces défis — la DEI, même si elle est bien intentionnée, pourrait avoir certaines conséquences négatives —, auriez-vous quelque chose à ajouter dans les 30 prochaines secondes? Je sais que le sujet est vaste.
Tout ce que j'ajouterais en 30 secondes, c'est que si l'on considère les universités comme des centres de vie intellectuelle et des contributrices culturelles, on pourrait penser que dans une société démocratique solide, elles refléteraient également la diversité des points de vue. Les politiques d'EDI font partie du problème. Ce n'est pas le seul problème qui touche les universités, mais ces politiques contribuent certainement aux problèmes auxquels les universités sont actuellement confrontées.
Oui, vous pouvez envoyer l'information à la greffière, et ce, à tout moment. Faites vite, cependant, car notre rapport sera terminé la deuxième semaine de décembre.
Madame Lattanzio, vous avez la parole pour cinq minutes.
Madame Hill et monsieur Johnson, votre organisation s'est associée à la Fondation pour le journalisme canadien afin de renforcer la confiance à l'égard du journalisme de qualité. Pouvez-vous nous en dire davantage sur les raisons pour lesquelles vous croyez que le journalisme de qualité a besoin de soutien actuellement? Quels défis le journalisme de qualité a‑t‑il dû relever au cours des dernières années?
La Fondation pour le journalisme canadien a des projets auxquels nous avons participé ou dans le cadre desquels nous avons travaillé. Nous ne possédons pas l'expertise nécessaire pour dire quels sont les problèmes ou, pour répondre précisément à votre question, quelle est la solution. Nous soulignons l'importance des normes journalistiques et de la capacité de savoir ce qui rend une source vérifiable, et nous insistons beaucoup sur ce point auprès de tous ceux avec lesquels nous travaillons. Le journalisme professionnel nous permet de déterminer ce qu'est une source fiable et, par la suite, de faire confiance à cette source.
Je ferais également remarquer que le fait de déterminer qu'une source est fiable n'est pas la fin de la pensée critique; c'est le début de la pensée critique, où les compétences en matière de vérification des sources nous indiquent quelles sources méritent d'être lues attentivement. Nous ne proposons pas que les gens fassent aveuglément confiance à tout ce qu'ils lisent dans une source d'information légitime, mais plutôt qu'ils éliminent ce qui ne mérite pas leur attention afin de pouvoir appliquer leur pensée critique aux sources fiables qui le méritent.
La Fondation vous a‑t‑elle fait des recommandations? S'est-elle montrée précise? Si c'est le cas, pourriez-vous nous faire part de ces recommandations ou de ces conclusions?
D'accord. Je vais revenir à certaines questions posées cet après-midi au sujet de l'établissement de la confiance du public. Nous avons parlé autour de la table du rôle des politiciens. Les politiciens qui induisent le public en erreur en propageant de fausses idées — nous avons entendu parler de gens forcés de manger des insectes ou de l'inexistence d'un programme de soins dentaires auquel un million de personnes ont pourtant pu avoir accès à ce jour — améliorent-ils ou minent-ils la confiance du public, selon vous?
Comme nous l'avons dit, je ne connais pas ces exemples précis. Vous savons toutefois, grâce à notre travail auprès des jeunes et à notre travail sur le terrain, qu'il est primordial que les figures d'autorité, les personnes en qui les gens ont confiance, soient les plus franches possible et diffusent de bonnes informations fondées sur les faits. Cela contribue à renforcer la confiance dans la démocratie et dans les institutions. Nous savons que si des personnes influentes diffusent délibérément de la mésinformation ou de la désinformation, cela a plus d'incidence que si cela provenait d'ailleurs.
Dans votre déclaration préliminaire, vous avez longuement parlé de la clé de la littératie relative aux médias numériques et de l'éducation des jeunes. Pouvez-vous nous expliquer exactement où cette éducation est offerte? Proposez-vous des programmes dans les écoles? Comment vous assurez-vous que les jeunes sont futés par rapport aux médias ou qu'ils sont capables de reconnaître le vrai, le factuel, et de savoir quelles sont les sources? Comment contribuez-vous à informer les jeunes?
Nous faisons ce travail depuis environ 26 ans. Fondé par un groupe de citoyens inquiets, notre organisme de bienfaisance est complètement indépendant et tire son financement de nombreuses sources.
Nous avons commencé à constituer des ressources pour les éducateurs. Nous proposons une série de ressources, de plans de cours, d'ateliers, de jeux, d'activités et de fiches-conseils pour les parents et les éducateurs. Tous ces documents sont disponibles gratuitement sur notre site Web, en anglais et en français. Tout est toujours bilingue et gratuit, à la disposition de n'importe quel éducateur du pays qui peut s'en servir en classe.
Nous offrons également des ressources dans le cadre de vastes campagnes de sensibilisation du public destinées aux adultes. Nous travaillons avec de nouveaux Canadiens et dans des refuges. Nous avons réalisé toutes sortes de projets pour aider à accroître la littératie numérique et médiatique de nos citoyens.
Ma dernière question s'adresse à vous, monsieur Sérafin.
Je vous donnerai maintenant l'occasion de répondre à la question suivante: que pensez-vous de la décision de M. Poilievre de museler ses députés, qui cherchent à défendre les intérêts de leurs communautés dans le cadre de divers programmes, comme ceux sur le logement?
Ma réponse est la suivante: je ne sais que penser du point de vue d'Edmund Burke sur la démocratie parlementaire. C'est un débat qui, à mon avis, concerne la relation entre les parlementaires élus et leurs circonscriptions.
Honnêtement, je n'ai pas d'opinion bien arrêtée à ce sujet.
Le vice-président (M. Kevin Waugh): Revenons à nos moutons. Ramenez votre attention à la présidence, je vous prie.
Votre temps est écoulé. Oui, vous avez pris cinq minutes et 20 secondes. Merci, madame Lattanzio.
Monsieur Sérafin, je pense qu'on vous a demandé à un moment donné si vous pouviez soumettre un mémoire. Si vous voulez en soumettre un, vous avez jusqu'au 6 décembre pour le faire. Les analystes travailleront ensuite pendant la pause. À notre retour en janvier, nous devrions avoir ce qu'il faut pour rédiger un rapport.
Je veux vous remercier.
Je remercie également Mme Hill et M. Johnson.
Pour la gouverne du Comité, lundi, nous recevrons Catherine Tait de 11 à 13 heures.
Pour la suite de l'étude sur la liberté d'expression, la greffière essaie d'ajouter du temps de 15 h 30 à 17 h 30 ou peut-être 18 h 30, selon les ressources. Le problème, c'est que nous n'avons pas assez de témoins. Nous vous demandons donc de présenter une liste de témoins à Mme Widmer dès que possible. Nous avons quelques problèmes. Certains témoins ont accepté de venir, puis se sont désistés pour diverses raisons. Si nous prolongeons la séance de lundi de deux ou trois heures, la greffière doit se mettre à l'œuvre immédiatement pour que nous puissions consacrer ce temps supplémentaire à notre rapport.
Je sais que d'autres comités se réunissent lundi après-midi. Quand la greffière nous dira‑t‑elle si nous avons les ressources nécessaires pour que nous puissions prévoir des suppléants et tout ce dont nous avons besoin?
Aujourd'hui, nous avons passé deux heures avec deux témoins. Nous recevons habituellement trois témoins pendant une heure. Faisons une utilisation optimale de notre temps, je vous en prie. Ne nous éternisons pas. Si nous ne recevons que deux ou trois personnes, ne divisons pas la séance et n'ajoutons pas de temps sans raison. Pour être efficaces, nous devrions entendre trois témoins par heure et ne pas dépasser ce temps.