:
Je déclare la séance ouverte.
Bonjour à tous. Je vous souhaite la bienvenue à la 105e réunion du Comité permanent du patrimoine canadien.
Je voudrais reconnaître que cette réunion a lieu sur le territoire traditionnel non cédé de la nation anishinabe algonquine.
La réunion d'aujourd'hui se déroule sous forme hybride. Conformément au Règlement, les députés peuvent y participer en personne ou au moyen de l'application Zoom.
[Traduction]
Je vais vous transmettre les messages habituels.
Vous n'avez pas l'obligation de porter le masque, mais je vous demanderais de le faire afin de vous protéger et de protéger vos collègues. Vous n'êtes pas autorisés à prendre des photographies de la réunion; elle sera disponible en ligne plus tard.
Veuillez vous adresser à la présidence lorsque vous avez la parole. N'oubliez pas que le système audio est très sensible; assurez-vous donc de ne pas placer d'autres appareils à côté de votre ordinateur, puisqu'ils pourraient créer des rétroactions acoustiques, qui sont pénibles pour les interprètes.
Nous traitons aujourd'hui des géants du Web et de leur lutte contre les projets de loi du gouvernement, etc. Nous accueillons six témoins. L'un d'entre eux n'est pas encore avec nous. Lorsqu'il sera là, la greffière suspendra brièvement la séance afin de lui faire passer les tests requis.
Nous recevons ce matin avec Joan Donovan, qui est experte en désinformation et en mésinformation en ligne au Boston University College of Communication.
Nous accueillons aussi Georg Riekeles, qui est directeur associé.
De plus, nous accueillons Bram Vranken, qui est chercheur au Corporate Europe Observatory.
Nous recevons également Philip Palmer, qui est président de l'Internet Society Canada Chapter, et qui se joindra à nous un peu plus tard.
Enfin, nous recevons Matthew Hatfield, qui est directeur exécutif d'OpenMedia et Jeff Elgie, qui est directeur général de Village Media Inc.
Nous allons maintenant commencer. Chaque groupe — et non chaque personne — dispose de cinq minutes pour faire une déclaration préliminaire. Si vous êtes deux représentants d'un même groupe, vous devrez vous partager les cinq minutes qui vous sont accordées. Je vous ferai signe lorsqu'il vous restera 30 secondes et qu'il sera le temps pour vous de conclure votre déclaration. Si vous ne pouvez pas terminer, vous aurez l'occasion de vous exprimer dans le cadre des séries de questions.
Nous allons d'abord entendre Mme Joan Donovan, qui dispose de cinq minutes. Allez‑y.
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Je vous remercie d'être ici et de m'avoir invitée à témoigner devant vous.
Je m'appelle Joan Donovan, et j'ai passé ma carrière à étudier les campagnes en ligne nuisibles, notamment les campagnes de désinformation et de manipulation des médias. Je suis professeure adjointe au Boston University College of Communication.
Jusqu'à tout récemment, j'ai travaillé pour la Harvard Kennedy School of Government en tant que directrice de recherche du Shorenstein Center et directrice du projet de recherche sur la technologie et les changements sociaux. Ce projet se centrait sur les campagnes de manipulation des médias en ligne et les opérations d'influence menées par des acteurs malveillants, notamment des pays adversaires qui mènent des campagnes de mésinformation et de désinformation, qui faussent le discours public, qui sèment la haine et la violence en ligne et qui nuisent évidemment à la tenue d'élections libres et justes.
Avant Harvard, j'ai été chercheuse pour Data & Society, un organisme sans but lucratif où mon équipe et moi avons cartographié la façon dont les institutions sociales étaient intentionnellement perturbées par des campagnes en ligne. J'ai choisi de me joindre à Harvard après une longue période de recrutement parce qu'on m'avait convaincue que l'on appuierait ce travail à grande échelle.
Comme nous le savons, les gouvernements du monde entier et le public en sont venus à se fier à mon travail ainsi qu'à celui de nombreux autres chercheurs dans ce domaine. De façon particulière, mon travail leur a permis de savoir qui était à l'origine de la désinformation au sujet la COVID, notamment en ce qui a trait à l'hydroxychloroquine. Nous avons également appris ce que des agents nationaux et étrangers faisaient pour semer la division au sein des collectivités, en expliquant les manœuvres de 81 pays qui déploient des cyberagents pour manipuler l'opinion publique en ligne. J'ai travaillé avec l'OMS et les CDC à des stratégies visant à atténuer la désinformation médicale et, plus récemment, j'ai travaillé au Canadian election misinformation project de l'Université McGill.
Dans les dénonciations présentées en mon nom par Whistleblower Aid, on apprend que les recherches révolutionnaires de mon équipe dans ce domaine ont été interrompues, à la demande de Facebook, par le doyen de la Harvard Kennedy School, un homme maintenant connu pour sa déférence à l'égard des intérêts des donateurs.
En octobre 2021, un collaborateur bien connu de Facebook est devenu enragé lors d'une réunion de donateurs au cours de laquelle j'ai fait valoir que j'avais tous les documents internes de Facebook de Frances Haugen et que j'avais l'intention de créer des archives publiques à des fins de collaboration sur le sujet. J'avais alors dit qu'il s'agissait des documents les plus importants de l'histoire d'Internet. Ce donateur et responsable des relations publiques de Facebook a attaqué tous mes propos lors de cette réunion. Lui et les donateurs affiliés à Facebook exercent une puissante influence sur Harvard; c'était donc le début de la campagne de la Kennedy School visant à mettre fin à mon travail et à harceler mon équipe de recherche de manière incessante. Lorsque Harvard a reçu un don d'un demi-milliard de dollars de la Chan Zuckerberg Initiative, le sort de ma recherche a été scellé. La Harvard Kennedy School a tué le projet de recherche sur la technologie et les changements sociaux et m'a congédiée après nous avoir fait taire, mon équipe et moi, pendant deux ans.
Courtney Radsch a fait valoir ici que l'intimidation des géants du Web visait les chercheurs et les universitaires et qu'elle représentait une arme supplémentaire pour les grands fabricants de tabac et les grandes pétrolières, qui étouffent et faussent la recherche, et protègent leurs profits et leurs mensonges au public. Toutefois, contrairement aux campagnes de censure de ceux qui les ont précédés, les géants du Web ont plus d'outils à leur disposition parce qu'ils contrôlent le paysage de l'information et les données à son sujet. Par exemple, les actions de Meta au Canada contre le projet de loi ont privé les Canadiens de plus de cinq millions d'interactions avec les nouvelles par jour, selon l'Observatoire de l'écosystème des médias de l'Université McGill.
Nous pouvons constater les dommages causés par les motivations à but lucratif au Canada. Comme l'a dit Imran Ahmed du Center for Countering Digital Hate devant vous, nous savons que les acteurs malveillants comblent le vide lorsqu'il n'y a plus de nouvelles et de renseignements crédibles, et qu'il n'y a pas grand-chose d'autre à voir. Lorsqu'un établissement d'enseignement comme Harvard est complice de l'orientation corporative de la recherche, qu'est‑ce qui peut protéger ceux d'entre nous qui travaillent à documenter, à analyser et à partager la vérité? Comme d'autres l'ont fait valoir, les mesures prises par Facebook pour éviter de rendre des comptes visaient notamment les législateurs et les organismes de réglementation des États-Unis et du Canada.
En guise de conclusion, j'appuie la Loi concernant la transparence des algorithmes en ligne, connue comme le projet de loi ici au Canada, et les lois similaires présentées en Nouvelle-Zélande, au Royaume-Uni et dans l'Union européenne. J'ai grandi en ayant la conviction profonde que je suis responsable des conséquences de mes actes, et les géants de la technologie doivent l'être également. En tant que chercheuse, j'ai l'obligation morale de dire la vérité, hier comme aujourd'hui.
Je vous remercie beaucoup.
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Je vous remercie beaucoup, madame Donovan.
Je ne suis pas allée à un party pourtant hier soir, mais j'ai oublié le sujet dont nous discutons aujourd'hui, alors veuillez m'en excuser.
Je vais le mentionner pour le compte rendu: l'utilisation actuelle et continue de tactiques d'intimidation et de subversion par les géants du Web pour échapper à la réglementation au Canada et à travers le monde.
Nous passons à notre prochain témoin, Bram Vranken, du Corporate Europe Observatory.
Monsieur Vranken, vous avez cinq minutes. Allez‑y, s'il vous plaît.
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Je vous remercie beaucoup de l'invitation.
Je m'appelle Bram Vranken. Je suis chercheur et militant au Corporate Europe Observatory, ou CEO. Le CEO est un groupe de recherche basé à Bruxelles qui s'emploie à rendre public et à remettre en question l'accès privilégié dont jouissent des entreprises et leurs groupes de pression dans l'élaboration des politiques de l'Union européenne. Je parlerai du pouvoir de lobbying des grandes entreprises technologiques et des tactiques qu'elles utilisent en Europe précisément.
La taille, la richesse et l'influence des grandes entreprises numériques se sont grandement accrues au cours des deux dernières décennies. Plus nos économies se numérisent, plus les grandes entreprises technologiques acquièrent du pouvoir. Les grandes entreprises technologiques ont de plus en plus monopolisé notre accès à Internet et jouent un rôle central dans nos interactions en ligne, dans la manière dont nous accédons à l'information et dans notre façon de consommer.
Cependant, son modèle d'affaires est problématique. Il repose sur une publicité de surveillance agressive et l'extraction de données et déploie des systèmes de recommandation sociale qui amplifient la désinformation et les contenus haineux et qui propagent des programmes d'intelligence artificielle injustes et non responsables.
Parallèlement à son pouvoir économique, le pouvoir politique des grandes entreprises technologiques s'est également accru. Leur objectif et celui de leurs alliés semble être de faire en sorte qu'il y ait le moins de réglementations strictes possible afin de préserver leurs marges bénéficiaires et leur modèle d'affaires. S'il n'est pas possible de bloquer les nouvelles règles, elles s'efforcent au moins de les édulcorer.
Je vais maintenant vous parler un peu des facteurs clés qui expliquent le pouvoir de lobbying des grandes entreprises technologiques.
Tout d'abord, j'examinerai leurs dépenses en la matière, qui donnent déjà une première indication. Pour vous donner un aperçu, nos recherches montrent que 651 groupes et associations d'entreprises exercent des pressions sur les politiques numériques de l'Union européenne. Ensemble, ils dépensent 113 millions d'euros par an pour le faire, ce qui fait de la technologie — le secteur numérique — l'un des plus grands secteurs de lobbying en Europe.
Toutefois, les grandes entreprises technologiques, comme Google, Amazon et Meta, sont les principales responsables de l'augmentation des dépenses de lobbying observée ces dernières années. Les dix premières entreprises numériques dépensent à elles seules un total de 40 millions d'euros par an en lobbying. Pour prendre un exemple précis, Facebook dépense aujourd'hui huit millions d'euros par an, ce qui en fait l'entreprise ayant le plus gros budget de lobbying au sein de l'Union européenne. Il y a 10 ans, ce budget n'était que de 450 000 euros, soit un facteur d'augmentation de 17 en l'espace d'une décennie. Ces chiffres ne concernent d'ailleurs que le lobbying à l'Union européenne. Les grandes entreprises technologiques ont également investi massivement dans le lobbying auprès des États nationaux, pour lesquels les données ne sont souvent pas accessibles.
Comment les grandes entreprises technologiques utilisent-elles cet argent? Elles utilisent ce financement massif pour mettre en place un réseau très étendu de groupes de pression et de cabinets de conseil en lobbying, et pour financer des groupes de réflexion et des universités. Ce vaste réseau sert de gigantesque chambre d'écho, qui joue constamment une variation de la même mélodie: la réglementation va nuire à l'économie, à l'innovation et aux petites et moyennes entreprises.
En finançant ces organismes, les grandes entreprises technologiques achètent un accès aux décideurs politiques ou, comme l'a récemment déclaré un lobbyiste anonyme dans Politico, le discours officiel est de dire que vous me commanditez, et que j'organise un événement pour vous, et le discours officieux, que vous me commanditez, et que je vous donne accès à tel ou tel eurodéputé. En 2020, un document sur la stratégie de lobbying de Google qui a fait l'objet d'une fuite mettait déjà en évidence l'approche de Google, qui consistait tout d'abord à mobiliser des tiers comme des groupes de réflexion et des chercheurs pour qu'ils se fassent l'écho des messages de Google, et ensuite à recadrer le discours politique autour des coûts pour l'économie et les consommateurs.
Récemment, l'attention s'est portée sur une méthode de lobbying particulièrement insidieuse par laquelle les grandes entreprises technologiques ont financé des organismes prétendant représenter des PME, des entreprises en démarrage et des concepteurs d'applications. Les positions de lobbying de ces organismes sont manifestement proches de celles des grandes entreprises technologiques. Dans un cas, Apple a fourni plus de la moitié du financement d'un organisme prétendant représenter des concepteurs d'applications. Dans un autre cas bien documenté, on a constaté que de nombreuses entreprises membres d'une association commerciale de PME financée par les grandes entreprises technologiques ne savaient pas qu'elles en étaient membres et n'étaient absolument pas d'accord avec la position de cette association commerciale.
La puissance de feu croissante des grandes entreprises technologiques en matière de lobbying reflète leur domination croissante du marché dans ce secteur. Il est extrêmement problématique que ces plateformes puissent utiliser leurs réserves inépuisables de financement pour s'assurer que leurs voix sont entendues au détriment des voix contraires ou critiques.
Toutefois, il existe des mesures que nous pouvons prendre. Nous devrions protéger le processus décisionnel, par exemple en limitant l'accès des grandes entreprises technologiques aux décideurs. En parallèle, les décideurs politiques devraient tendre la main à ceux qui n'ont pas les ressources nécessaires pour se faire entendre, comme les PME, la société civile, les chercheurs indépendants et les groupes locaux. Je pense que les discussions d'aujourd'hui en sont un très bon exemple.
Je m'arrêterai ici. Je vous remercie de votre attention.
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Madame la présidente, et distingués membres du Comité, je vous remercie de votre invitation.
Je m'appelle Georg Riekeles. J'ai travaillé à la Commission européenne pendant 11 ans, notamment sur la réglementation numérique et les dossiers commerciaux. J'occupe actuellement le poste de directeur associé au European Policy Centre, l'un des principaux groupes de réflexion de Bruxelles, mais j'insiste sur le fait que je témoigne uniquement à titre personnel.
Dans ma déclaration liminaire, je voudrais aborder trois éléments: premièrement, ce que j'ai observé; deuxièmement, comment à mon avis nous devons l'interpréter; et troisièmement, ce que je recommande.
Mon premier point est ce que j'ai observé. Mon expérience et mes contacts avec les grandes plateformes technologiques au sein de l'Union européenne au cours des 14 ou 15 dernières années semblent indiquer que l'élaboration des politiques de l'Union européenne est et a été sous l'emprise des grandes plateformes technologiques et de leurs réseaux d'influence.
J'ai voulu documenter le tout dans le cadre des débats législatifs de l'Union européenne sur la loi sur les services numériques et la loi sur les marchés numériques. À titre de référence, j'ai écrit un article public à ce sujet dans The Guardian intitulé « I saw first-hand how US tech giants seduced the EU—and undermined democracy », ce qui se traduirait en français par « J'ai pu voir directement comment les géants américains de la technologie ont séduit l'Union européenne et sapé la démocratie », puis un article plus long dans Medium intitulé « TEKNOPOLIS: How Big Tech frauds EU democracy », soit en français « TEKNOPOLIS: Comment les grandes entreprises technologiques fraudent la démocratie européenne ».
Il est vrai que les lois que j'ai mentionnées permettront à l'Europe, pour la première fois, de neutraliser certains des préjudices causés par les plateformes Internet. Cependant, il est également très important de noter que les compromis qui ont été faits pour y parvenir témoignent aussi des pouvoirs extraordinaires des entreprises technologiques pour influencer la prise de décision. Nous avons assisté, dans le cadre de ces processus législatifs, à des campagnes de lobbying directes et cachées d'une effronterie et d'une ampleur auxquelles nous devrions être attentifs, et qui sont, à mon avis, totalement contraires aux codes de conduite applicables à la représentation d'intérêts, ainsi qu'aux principes comportementaux les plus élémentaires dans la société.
Comme le débat au Canada a porté en grande partie sur la Loi sur les nouvelles en ligne, j'ai pensé prendre deux exemples de tactiques de ce type lors de discussions équivalentes au sein de l'Union européenne dans le cadre des directives sur la réforme du droit d'auteur il y a quelques années.
Il s'agit tout d'abord de l'utilisation de groupes de façade et d'alliances. Un exemple dans le cadre des débats sur le droit d'auteur concerne l'une des coalitions d'intervenants les plus bruyantes à Bruxelles appelée C4C, la coalition pour la créativité, qui représentait tous les intervenants du milieu, des bibliothèques publiques aux organismes spécialisés dans le droit numérique. Il s'est avéré a posteriori que cette coalition était financée par la Computer & Communications Industry Association, c'est-à-dire financée indirectement par Google et d'autres plateformes. Le coordonnateur était, par hasard, également consultant pour Google.
Un autre exemple est celui d'un organisme qui est toujours actif, soit les European Independent Media Publishers. Si vous allez sur leur site Web, vous verrez qu'on dit qu'il s'agit d'une plateforme qui représente plus de 1 000 médias en Europe. Ce que ce site ne disait pas au moment de sa création, c'est qu'il est entièrement mis en place et financé par Google. Je l'ai découvert lorsqu'une firme de consultants m'a contacté pour me demander si je voulais faire des activités de lobbying et de réflexion cachées pour elle. Depuis que cela a été dénoncé, ils ont ajouté sur leur site Web que l'European Independent Media Publishers travaille en collaboration avec Google et est parrainé par ce dernier.
Voilà deux exemples de l'utilisation de groupes de façade, d'alliances et de désinformation populaire planifiée.
La deuxième grande façon de tirer parti de leur pouvoir et de gagner en influence est, bien sûr, d'utiliser les pouvoirs que les plateformes détiennent directement. Lorsque l'Union européenne a tenté de réglementer les contenus générés par les utilisateurs et de conférer des droits d'auteur auxiliaires aux éditeurs de presse en 2018 et 2019, les grandes entreprises technologiques ont rassemblé des manifestants directement aux barricades.
Je peux vous donner un exemple. La directrice générale de YouTube, Susan Wojcicki, a bassement dit aux créateurs de YouTube dans une lettre que les lois représentaient une menace à la fois pour leurs moyens de subsistance et pour leur capacité à faire entendre leurs voix, et une menace pour des centaines de milliers d'emplois, pour la liberté d'expression et pour le Web tel que nous le connaissons. Bien sûr, comme nous le savons, la Commission européenne a fini par l'emporter. La directive sur le droit d'auteur est entrée en vigueur dans toute l'Europe il y a deux ans. Je laisse à chacun le soin de juger du bien-fondé de l'avertissement dramatique de Google selon lequel il changerait le Web tel que nous le connaissons.
Comment devons-nous interpréter cela? Ma propre expérience, dont je parle ici, illustre très bien ce à quoi M. Vranken faisait référence dans la note de service de Google qui a fait l'objet d'une fuite en novembre 2020 et qui contenait une liste de tactiques pour saper les lois européennes. Comme l'a également mentionné la témoin précédente, on peut faire un parallèle avec les grands fabricants de tabac, et comme l'ont révélé l'examen public et la recherche dans ce cas, des parties intéressées extérieures s'emploient à créer des écosystèmes entiers de pensée, d'influence et de subversion pour manipuler la société et les décideurs politiques.
Je pense qu'il est très intéressant de revenir à l'étude historique de l'Organisation mondiale de la santé intitulée « Tobacco industry interference with tobacco control », ce qui se traduirait en français par « L'ingérence de l'industrie du tabac dans la lutte contre le tabagisme », qui résume ce à quoi ces tactiques peuvent ressembler. C'est ce que font également les grandes entreprises de technologie. Elles font du lobbying. Elles encadrent le débat. Elles créent des alliances et mettent en place des groupes de façade et des campagnes de désinformation populaire planifiée. Elles influencent ou achètent des groupes de réflexion et des chercheurs. Elles font de la représentation. Elles offrent du soutien politique et financier. Elles utilisent la philanthropie. Elles utilisent les poursuites, l'intimidation et la pression internationale.
Je vois que le temps est écoulé, je vais donc m'arrêter ici. Je pourrai éventuellement revenir sur mes recommandations pendant la période de questions.
Je vous remercie beaucoup.
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Bien sûr. Toutes mes excuses.
Pour moi, l'objet de cette étude semble être de déterminer ce qui ne va pas avec les plateformes technologiques et ce que le gouvernement peut faire à ce sujet. Je vais tenter de répondre très précisément à cette question.
Quel est le problème avec les plateformes technologiques et leur influence sur la société? Il y a trois éléments: leur taille, leurs vastes données asymétriques comparativement aux régulateurs et aux citoyens, et les algorithmes d'engagement qui régissent leur modèle d'affaires.
Parlons d'abord de la taille. Des plateformes comme Amazon et Google ont la mainmise sur une grande partie du commerce en ligne, des achats d'applications, de la publicité, etc. Elles utilisent souvent ce pouvoir pour fixer des conditions injustes vis-à-vis des petites entreprises et des consommateurs. Je note toutefois que dans le projet de loi , on n'a pas bien compris la dynamique propre aux nouvelles. On part du principe que les nouvelles ont une valeur inhérente pour les plateformes, ce qui n'est pas le cas, du moins pour Meta.
La bonne nouvelle concernant le problème de la taille est que le Canada ouvre de nouvelles possibilités pour y remédier grâce à la réforme de la concurrence prévue dans les projets de loi et . Aux États-Unis, plusieurs projets de loi ont été proposés l'année dernière afin de réglementer la manière dont les géants de la technologie traitent les petites entreprises et les consommateurs. Il s'agit notamment de l'American Innovation and Choice Online Act et de l'Open App Markets Act, pour lesquels OpenMedia a fait campagne. Au Canada, le Bureau de la concurrence n'a jamais eu les assises juridiques nécessaires pour étudier efficacement le pouvoir des plateformes, et encore moins pour le modifier. Il pourra bientôt le faire.
Mon deuxième point concerne l'asymétrie des données et la protection de la vie privée. Des plateformes comme Meta et YouTube disposent d'un volume infini de données sensibles sur chacun d'entre nous. Elles les utilisent pour faire de la publicité et des recommandations, mais pas pour grand-chose d'autre. C'est en partie pour respecter notre vie privée, ce qui est une très bonne chose. L'utilisation de ces données par une agence d'espionnage ou par les forces de l'ordre serait un cauchemar de surveillance dystopique contre lequel nous devons nous prémunir. Toutefois, ce manque de curiosité de la part des plateformes est également intéressé. Il permet d'enterrer facilement des études précises sur ce qui peut aller mal pour certains de leurs utilisateurs et, dans le pire des cas, les conduire à se faire du mal ou à faire du mal à d'autres. La recherche limitée qui existe sur la façon dont les modèles de plateformes peuvent parfois amplifier les préjudices est réalisée avec des données très incomplètes ou avec un accès très parcellaire aux données des chercheurs, que les plateformes sont promptes à retirer si leurs intérêts sont menacés.
Nous avons besoin d'un remède à la fois individuel et structurel. Le meilleur projet de loi possible sur la protection de la vie privée, le projet de loi , qui donne aux Canadiens un contrôle significatif et inaliénable sur leurs données personnelles, est une solution, mais il faut aussi avoir une disposition très solide pour permettre aux régulateurs et aux chercheurs universitaires approuvés de réaliser des études sur les données des plateformes dans notre futur projet de loi sur les préjudices en ligne. Nous ne pouvons pas réglementer intelligemment les plateformes si nous ne comprenons pas comment les préjudices qu'elles contribuent à produire se produisent réellement.
Enfin, parlons des algorithmes. Sans même nous en rendre compte, nous sommes devenus une société dans laquelle la plupart des informations que nous recevons nous arrivent parce qu'elles nous incitent à les faire défiler et à cliquer, et non parce qu'elles sont nuancées, bien documentées ou véridiques. Pour la musique ou les loisirs, cela peut être un merveilleux outil d'exploration personnelle. Nous ne sommes pas des consommateurs passifs de notre flux. Nous l'adaptons fortement, en élaguant l'algorithme pour qu'il nous serve ce que nous aimons le plus. Cependant, appliqué aux faits et aux reportages, ce même processus fait de nous une société moins informée, plus en colère et plus polarisée. Nous en ressentons tous les répercussions et très peu d'entre nous l'apprécient. Cela ne rend pas les solutions faciles, même si je dirais que le projet de loi , de Peter Julian, mérite d'être examiné.
Je vais donner quelques points de repère sur ce qui pourrait être utile. Nous nous félicitons de l'intérêt du Comité pour une étude qui porte précisément sur la manière de créer un secteur de l'information viable au Canada, qui continue à produire des informations vérifiées. Il est vrai que les médias d'information canadiens ont besoin d'une aide gouvernementale permanente, mais plus le gouvernement intervient, plus il est urgent que l'attribution des fonds se fasse de manière totalement transparente pour le public, que les critères soient clairs et équitables pour déterminer qui reçoit quelle aide, et qu'on attribue en priorité le financement là où il est le plus nécessaire, soit dans les déserts médiatiques locaux et le journalisme public responsable, au lieu de le faire pleuvoir indifféremment sur Bell ou CBC/Radio-Canada. Le fait de superposer des cataplasmes financiers complexes jusqu'à ce qu'ils représentent la majorité des fonds alloués aux médias d'information n'est pas de nature à renforcer la confiance du public dans un journalisme véridique.
Nous serions également favorables à une étude canadienne sur les répercussions des algorithmes des médias sociaux sur la société. Cependant, la réglementation des algorithmes, si elle a lieu, doit viser à accroître la transparence et le contrôle personnel de son fonctionnement pour les internautes canadiens, et non pas à le manipuler en fonction de ce que le gouvernement pense être le mieux pour nous.
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Bonjour à tous et merci de m'accueillir aujourd'hui.
Je m'excuse si mes commentaires ne correspondent pas directement au titre de cette séance, mais on m'a expressément demandé de venir aujourd'hui pour donner notre point de vue sur le projet de loi et la Loi sur les nouvelles en ligne.
Je me présente brièvement. Je suis le directeur général de Village Media, dont le siège se trouve à Sault Ste. Marie, en Ontario. Nous avons commencé il y a 10 ans avec une publication locale et deux journalistes. Aujourd'hui, nous possédons et exploitons 25 publications de presse en Ontario et nous employons environ 150 Canadiens, dont 90 journalistes.
Parallèlement à l'exploitation de sites locaux, Village Media a mis au point une technologie canadienne destinée au secteur de l'édition. Cette technologie sert maintenant à gérer nos propres publications ainsi que celles de Glacier Media, Dougall Media, Great West newspapers, Black Press Media et d'autres. À l'heure actuelle, nous équipons près de 150 sites Web de nouvelles dans tout le Canada.
Comme vous le savez peut-être, j'ai comparu devant le Comité sénatorial permanent des transports et des communications pour parler du projet de loi au mois de mai dernier. Ma position n'a pas changé depuis.
Pour résumer brièvement, nous pensons que le projet de loi et la Loi sur les nouvelles en ligne étaient défectueux dès le départ. Certaines personnes ont affirmé que les plateformes comme Google et Meta volaient notre contenu et ne fournissaient aucune valeur significative en échange. Nous pensons que c'est totalement faux. En réalité, nous, y compris les éditeurs de presse, jouons volontiers le jeu en permettant que des extraits de notre contenu apparaissent sur les plateformes, parce que nous bénéficions énormément du trafic qu'elles génèrent. Village Media a ainsi pu développer et lancer 25 publications, et mettre au point un modèle rentable et durable pour les nouvelles locales.
Je suis ici aujourd'hui pour parler de certaines répercussions de la Loi sur les nouvelles en ligne. Je pense que nous avons créé un certain nombre de scénarios dans lesquels, dans de nombreux cas, les éditeurs de presse risquent d'être pénalisés. Je m'attends à ce que les grands éditeurs, en particulier ceux qui ont conclu des accords avec Google et Meta, y compris Village Media, se retrouvent parfois dans une position favorable ou moins favorable d'un point de vue financier. Bien que ces ententes soient couvertes par des accords de non-divulgation, il semble évident qu'en limitant les fonds attendus de Google à 100 millions de dollars et en n'ajoutant aucun fonds disponible de Meta, il est tout à fait possible que la valeur finale de l'accord avec Google soit en fait inférieure à celle des accords précédents avec les deux plateformes.
Pour les petits éditeurs — y compris les entreprises en démarrage et les éditeurs indépendants — qui n'ont pas conclu d'accord avec l'une ou l'autre des plateformes, il reste encore beaucoup à faire en attendant la publication du règlement final. Tout d'abord, seront‑ils admissibles? Deuxièmement, combien recevront‑ils, le cas échéant? Si vous demandez à ces petits éditeurs s'ils préfèrent recevoir un certain montant par journaliste, ce qui pourrait théoriquement correspondre à environ 10 000 $ par an, ou récupérer leur trafic sur Meta, je m'attends à ce que beaucoup préfèrent récupérer leur trafic sur Meta.
C'est le cas de Village Media. Même dans le meilleur des cas, l'accord avec Google ne compensera probablement pas la valeur du trafic perdu sur Meta. Ce trafic nous a permis de monétiser nos publications de manière plus efficace et de trouver de nouveaux publics et abonnés que nous n'aurions pas pu atteindre autrement. Facebook, en particulier, a été l'une des meilleures rampes d'accès aux nouvelles publications que nous ayons trouvées, et nous en avons testé de nombreuses. En l'absence de Meta, il ne serait peut-être plus possible de lancer des sites de nouvelles durables, ni même de maintenir des sites récemment lancés.
Ce problème dépasse mon propre intérêt. Pire encore, les Canadiens ne sont désormais plus exposés aux nouvelles sur Facebook et Instagram. À une époque où le taux de participation aux élections atteint des records de faiblesse et où nous pouvons nous attendre à être inondés de désinformation grâce à des technologies comme l'intelligence artificielle générative, l'absence des voix des journalistes canadiens dans ces environnements sera incontestablement préjudiciable à notre société.
Au cours de ses 10 ans d'existence, Village Media a abordé chaque année avec l'espoir d'une croissance et d'une durabilité continue. Nous sommes rentables et nous réinvestissons nos bénéfices dans l'implantation au sein de nouvelles communautés et dans l'agrandissement de nos salles de rédaction. Cependant, depuis avril de cette année, en prévision du résultat de la Loi sur les nouvelles en ligne, et pour la première fois, notre société a suspendu pratiquement toutes les nouvelles embauches et les nouveaux projets de lancement de communautés. Le résultat possible de la Loi sur les nouvelles en ligne a eu une incidence considérable sur notre évolution.
Merci de me recevoir.
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Je vous remercie, madame la présidente et mesdames et messieurs les députés, de me donner l'occasion de comparaître devant vous ce matin.
L’Internet Society Canada Chapter est une société indépendante sans but lucratif qui milite en faveur d'un Internet ouvert, accessible, sûr et abordable. Nous convenons de la nécessité d'un certain degré de réglementation d'Internet et de ses participants, et nous l'accueillons favorablement. Nous n'avons rien entendu ce matin que nous n'approuvions pas de la part des différents intervenants qui se sont exprimés.
Toutefois, il convient de faire preuve d'une extrême prudence dans la formulation des politiques réglementaires afin d'obtenir les meilleurs résultats possible pour les Canadiens. Internet est le perturbateur sociétal le plus révolutionnaire depuis l'invention de l'imprimerie, et ces perturbations se produisent à une vitesse vertigineuse. Sa portée est mondiale, tout comme ses répercussions.
Internet comporte à la fois des phares de sagesse et des cloaques de dépravation. Ses aspects les plus positifs contribuent à la réalisation des objectifs d'une humanité éclairée. Ses pires aspects constituent un obstacle aux valeurs démocratiques libérales et à toutes les normes sociétales et juridiques.
Les médias sociaux sont souvent entachés de comportements extrêmement répréhensibles. Ils peuvent transmettre des renseignements erronés et de la désinformation, décourager les débats raisonnés et limiter la participation des membres de la société civile par le biais du racisme, de la misogynie, des menaces et de l'intimidation.
Où se situe le Canada alors que le monde est confronté aux nombreux enjeux que pose Internet?
Le Canada est un petit pays, économiquement ouvert sur le monde et dépendant de ses relations avec les pays pairs. Internet et les services offerts sur Internet sont la clé de l'intégration continue du Canada dans l'économie mondiale. Pour que ses citoyens et son économie prospèrent, le Canada doit impérativement aborder Internet et sa réglementation avec une certaine humilité.
La population et la richesse du Canada sont trop limitées pour qu'il puisse établir les normes qui régiront Internet ou la manière dont les fournisseurs d'accès Internet géreront leurs activités. Si le Canada va trop loin et impose des coûts économiques et sociaux excessifs aux fournisseurs d'accès Internet, ses entreprises et ses citoyens risquent d'être coupés des services et des connaissances accessibles à leurs pairs.
Le Canada a déjà proposé ou adopté des mesures contre-productives liées à Internet, dont deux ont été étudiées par ce comité. Au lieu d'adapter la Loi sur la radiodiffusion du Canada au monde des services offerts sur Internet, la Loi sur la diffusion continue en ligne tente de faire entrer Internet dans le jardin clos du régime de réglementation de la radiodiffusion canadienne. La Loi sur les nouvelles en ligne tente d'extorquer des paiements aux plateformes Internet pour subventionner les producteurs de nouvelles.
La présente étude de ce comité s'inspire de son travail sur le projet de loi et des réactions de Google et de Facebook à ce sujet. Nous maintenons que le projet de loi C‑18 comporte de graves lacunes. Il a déjà eu des effets négatifs prévisibles sur les entreprises de nouvelles canadiennes et sur les consommateurs canadiens de nouvelles.
Le choix de fournir aux Canadiens un accès aux nouvelles et de se soumettre à la loi ou de se retirer de l'écosystème canadien des nouvelles se résume à une décision commerciale. Meta a annoncé dès le départ qu'elle se retirerait du marché canadien des nouvelles si le projet de loi était adopté. Il ne s'agissait pas d'intimidation, mais d'une décision commerciale légale et rationnelle.
Le retrait de Meta de l'espace canadien des nouvelles s'est avéré être une dure épreuve pour les producteurs de nouvelles canadiens. Si le retrait de Meta est une épreuve, le retrait de Google de l'écosystème canadien des nouvelles serait catastrophique pour les entreprises de nouvelles canadiennes et pour le public canadien.
Nous saluons l'accord conclu entre Google et Patrimoine canadien. Il promet d'éviter cette catastrophe. Rien de ce que nous disons ici aujourd'hui ne doit être interprété comme une validation des activités des géants de la technologie, terme qui englobe non seulement les mastodontes internationaux, mais aussi nos géants nationaux — Bell, Rogers et Telus — qui dominent les marchés nationaux et tirent des profits scandaleux des consommateurs canadiens. Il est bon de voir que le Canada se concentre sur la réforme du droit de la concurrence.
Dans les sociétés démocratiques, un certain nombre d'expériences sont en cours en matière de réglementation d'Internet et des technologies dont le Canada peut s'inspirer, qu'il peut imiter ou avec lesquelles il peut coopérer. Il est essentiel d'élaborer des politiques réfléchies qui tiennent compte des caractéristiques uniques d'Internet et qui permettent aux Canadiens de profiter pleinement de la valeur des services offerts sur Internet. L'adoption de mauvaises politiques réglementaires nuira au Canada et aux Canadiens.
Merci beaucoup.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Merci beaucoup à tous nos témoins. J'ai trouvé les témoignages très intéressants. Je vous remercie du temps que vous nous accordez.
Je pense souvent aux grandes entreprises technologiques. Je sais qu'elles peuvent être classées dans de nombreuses catégories différentes. Nous parlons beaucoup des plateformes en ligne, mais il y a aujourd'hui beaucoup de grandes entreprises technologiques.
Dans le Toronto Star d'aujourd'hui, j'ai appris qu'Apple vient de franchir la barre des 3 billions de dollars. C'est un tiers du PIB du Canada. J'essaie simplement de mettre en perspective la taille d'une entreprise comme Apple. Ces sociétés sont très puissantes. Leur valeur dépasse celle de certains pays du G20. Ce sont des acteurs de premier plan.
Lorsque j'étais député provincial en Ontario, j'ai présenté un projet de loi sur le droit à la réparation. C'était le premier du genre au Canada. Les dirigeants d'Apple et leurs avocats sont venus me voir dans mon bureau de circonscription. J'ai été estomaqué. Je n'avais jamais eu affaire à une multinationale à cause d'un projet de loi que j'avais présenté à l'Assemblée législative de l'Ontario. J'ai dès lors pu me faire une idée de la puissance de ces sociétés.
À la fin des années 1700, Benjamin Franklin est devenu ministre des Postes. Cela lui conférait un avantage considérable. Si vous étiez éditeur, la meilleure chose que vous pouviez faire, c'était de contrôler le courrier. Il est devenu éditeur et a pu commencer à distribuer son journal. C'était en 1774, je crois. Avant cela, il n'avait pas été en mesure de le distribuer parce que l'ancien directeur général des postes ne lui en avait pas accordé l'autorisation. Aujourd'hui, les plateformes peuvent choisir ce qu'elles distribuent, à bien des égards. À l'époque de Benjamin Franklin, un nouveau règlement a été proposé pour supprimer ces conditions et décloisonner le système postal afin de permettre l'instauration d'une concurrence loyale.
Nous sommes aujourd'hui à un stade où nous devons veiller à ce que, à mesure que l'Internet se développe... Je pense que plusieurs personnes ont mentionné les bons et les mauvais côtés de l'Internet. Nous percevons l'Internet comme un moyen d'améliorer la société, et nous devons mettre en place les bons types de règles pour veiller à ce que les Canadiens ressortent gagnants de leurs interactions avec cette technologie en constante évolution.
J'aimerais poser à Mme Donovan une question concernant l'enseignement supérieur. Je sais que vous avez eu une expérience avec Harvard. En général, dans l'Amérique d'aujourd'hui, dans quelle mesure les grandes entreprises technologiques contrôlent-elles la voix de la recherche?
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Merci beaucoup de cette question.
Je pense qu'il faut considérer tous les aspects en jeu. Facebook ne fait pas que financer la recherche. Il propose également des contrats aux chercheurs, non seulement dans les universités, mais aussi dans la société civile. L'entreprise tente de transformer le monde universitaire et de la recherche en une division de ses propres relations publiques.
Ces contrats contiennent des clauses d'annulation ou de veto qui stipulent que Facebook a le droit de lire votre recherche avant sa publication et de décider si elle répond à ses normes de confidentialité. La confidentialité ne concerne pas que les utilisateurs, mais aussi les produits de l'entreprise eux-mêmes. Si vous êtes un chercheur et que vous souhaitez étudier l'incidence algorithmique des produits de Facebook, vous devez faire très attention à ne pas partager ce que Facebook considérerait comme des secrets commerciaux, sinon l'entreprise pourrait mettre fin aux recherches que vous meniez grâce à son financement.
Cette expérience n'est pas seulement la mienne. Deux autres lanceurs d'alerte — un à McGill et un autre à Berkeley — se sont manifestés dans le Washington Post juste après moi. L'un des chercheurs de Berkeley qui bénéficiait d'une subvention de Facebook s'est fait appeler après avoir formulé une critique à l'égard de l'entreprise. On lui a dit: « Tu ne devrais pas faire cela; nous sommes des amis. »
Je pense qu'il est très important de comprendre que des cadres de Facebook ont accepté des postes dans des conseils consultatifs d'universités aux États-Unis et au Canada, et que l'entreprise se sert de ce pouvoir et de cette influence pour orienter les programmes de recherche.
Il faudra un blitz pour faire en sorte que les gouvernements du monde entier prennent la mesure du réseau d'influence que Facebook a mis en place dans le monde universitaire.
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Merci, madame la présidente.
Je remercie tous les témoins d'être des nôtres ce matin.
Madame Donovan, je vais continuer avec vous, si vous me le permettez.
Je veux parler du modèle d'affaires des médias sociaux, particulièrement de Meta et de ses plateformes Facebook et Instagram. Ces plateformes sont profitables à condition qu'on laisse le plus possible les gens s'exprimer librement. Est-ce que je me trompe en disant que moins on encadre le discours sur ces plateformes, plus ces dernières se trouvent d'une certaine façon à en tirer profit?
J'aimerais entendre vos commentaires. Êtes-vous d'accord sur cette affirmation?
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Concernant la rentabilité de ces plateformes, disons qu'elles font partie de l'industrie qui connaît la croissance la plus rapide. Une fois que Facebook et d'autres ont compris qu'il était possible de monétiser les résidus ou les traces de données des utilisateurs, ils en ont tiré d'énormes profits. Ils ont également développé des stratégies pour déstabiliser les différents États-nations — et les lois de ces États-nations — qui ont différentes obligations pour garantir que les gens soient bien éduqués et qu'ils aient accès à la vérité.
Ce que je soutiens, c'est que Facebook a le devoir de donner la priorité à des informations exactes et véridiques. Nous n'y parviendrons pas s'il bloque tous les organes d'information reconnus. La recherche nous a également appris que lorsqu'il n'y a pas d'informations disponibles, quelque chose d'autre comble le vide. Dans ce vide, nous savons qu'il y a beaucoup plus d'informations et différents types d'informations, en particulier des informations qui proviennent de mauvais acteurs.
La dernière chose que je dirai, c'est que la technologie est la politique. Le problème n'est pas l'absence de réglementation. Le fait est que la technologie arrive dans le monde et que si nous ne parvenons pas à la réglementer, elle existe et élabore sa propre politique. Facebook, par exemple, a décidé qu'il serait possible de cibler des gens avec de la publicité sur mesure, ce qui signifie que les droits civiques seraient violés si l'on pouvait cibler certains groupes d'âge et certaines tranches de revenus afin de faire passer des messages sur des sujets tels que le crédit et l'achat d'une assurance-maladie ou d'autres types d'assurance. Nous savons que la façon dont la technologie est conçue — c'est le cas de Facebook — et les types de services que les gens obtiennent en aval ont de vastes répercussions sur les droits civiques.
Il est important de noter que la technologie devient la politique. Par conséquent, il est très difficile pour les organismes de réglementation d'intervenir un an, deux ans ou dix ans après la mise en marché d'un produit et de dire: « Attendez. Nous comprenons maintenant les effets néfastes de cela et nous voulons y remédier. »
Monsieur Palmer, selon ce que vous avez dit tout à l'heure dans votre présentation, le Canada, face à ces entreprises géantes, est trop petit pour imposer sa loi. Je paraphrase un peu vos propos, et vous me corrigerez si je me trompe, mais je pense que vous vouliez dire qu'on ne peut pas trop gonfler les muscles face à ces entreprises, parce qu'on risque d'en subir les conséquences. Par exemple, elles pourraient tout simplement cesser d'offrir leurs services en territoire canadien, ce dont je doute énormément toutefois.
J'entends quand même votre réflexion selon laquelle on est trop petit pour jouer aux gros bras avec ces grandes entreprises. Néanmoins, je pense que nous devons quand même trouver une façon d'être maîtres chez nous, si vous me prêtez cette bonne vieille expression québécoise que nous affectionnons particulièrement.
Jusqu'où pensez-vous qu'on puisse aller pour se faire respecter par les entreprises qui viennent faire des affaires chez nous? Pensez-vous qu'il est normal de réglementer au maximum de nos capacités des entreprises qui viennent dominer un marché comme celui de l'information et celui de la culture au Québec et au Canada?
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Merci de cette question.
J'ai dit que le Canada est trop petit pour piloter la réglementation des grandes plateformes technologiques. Quand on regarde la capitalisation de ces entreprises, il est évident que certaines d'entre elles dépassent le PIB du Canada.
En tant que petit pays, je pense que nous devons garder à l'esprit les normes internationales et démocratiques. Si nous nous éloignons beaucoup de ces normes, nous risquons d'avoir des problèmes qui empêcheront les Canadiens de bénéficier de ces services.
Nous voyons déjà les conséquences négatives pour la population du fait que Meta se retire du marché canadien. Cela ne s'est pas encore produit, mais cela peut arriver dans le domaine de la radiodiffusion, où nous essayons de réglementer et d'obtenir des paiements de la part des services de diffusion continue en ligne, dont certains n'ont pourtant pas grand-chose à gagner en continuant d'exister sur le marché canadien dans certaines circonstances...
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Je tiens à remercier les témoins de leurs témoignages très éloquents.
Madame Donovan, vous êtes une héroïne populaire dans toute l'Amérique du Nord pour les positions que vous avez prises. Merci beaucoup d'être intervenue à un moment assez terrifiant, alors que les agissements des géants du Web produisent tant d'effets négatifs.
Je voulais avoir votre avis, madame Donovan, sur un cas particulier. Isabella vit à Langley, en Colombie-Britannique. Son fils Jaden s'est suicidé après s'être laissé prendre par un site Web géré par un certain Kenneth Law. Kenneth Law s'en prenait aux personnes vulnérables et les poussait à l'automutilation et au suicide. Jaden est mort.
Kenneth Law a été inculpé de plusieurs chefs d'accusation de meurtre au second degré et d'incitation au suicide. Or, malgré tous les efforts d'Isabella pour y mettre fin, Google continue de promouvoir le site.
Je citerai également le cas de Molly Russell, qui s'est suicidée à l'âge de 14 ans. Son père, Ian Russell, a déclaré qu'elle était soumise, par le biais d'algorithmes, à un barrage constant de vidéos et d'informations l'encourageant à se mutiler et à se suicider.
Les dirigeants d'entreprise qui autorisent cela et qui refusent de sévir contre les comportements prédateurs les plus flagrants sont-ils responsables, d'une manière ou d'une autre, du mal incroyable qui résulte de leur négligence ou, pourrait‑on dire, de leur recherche délibérée de profits aux dépens de ces victimes?
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Oh! Je suis en train d'absorber tout cela. Je prends un moment pour penser à Jaden et Molly. Je suis vraiment désolée de ce qui leur est arrivé.
Il y a une quinzaine d'années, certains des problèmes rencontrés avec les premiers médias sociaux tournaient autour de ce que nous appelons aujourd'hui la cyberintimidation. Ou il s'agissait de prédateurs en ligne qui demandaient à de jeunes adolescents de faire différents trucs ignobles.
Arturo Béjar, le lanceur d'alerte d'Instagram qui a récemment témoigné devant le Congrès américain, nous a appris que, selon ses propres recherches, Instagram était au courant. En effet, lorsqu'il travaillait chez Instagram, il a étudié la fréquence à laquelle les enfants étaient exposés à différents types de contenu. La plupart du temps, on leur avait fait des avances et ils déploraient le fait que la plateforme permette aux gens d'accéder à eux avec une telle facilité.
Il voulait vraiment changer Facebook. Lorsqu'il s'est rendu compte que les dirigeants de Facebook et d'Instagram n'allaient pas changer le produit parce que cela allait avoir une incidence sur leurs profits, il a dû, en tant qu'ingénieur du contrôle de la qualité, accepter une certaine responsabilité pour ne pas s'être attaqué aux problèmes.
Je pense qu'à l'heure actuelle, les contenus liés au suicide et à l'automutilation montrent qu'il s'agit d'un problème énorme, et ce, même si les plateformes essaient de les enrayer. Une fois que l'on commence à s'intéresser aux contenus liés à l'automutilation et que l'on apprend les mots-clés et les astuces du métier, on peut entrer dans ce monde et l'algorithme continuera à nous envoyer davantage de contenus de ce type.
Un site Web qui encourage l'automutilation et le suicide — comme dans le cas de Jaden —, nous en avons déjà eu un aux États-Unis. Le site s'appelait Kiwi Farms. Sa raison d'être était de harceler les personnes transgenres jusqu'à ce qu'elles s'isolent et d'encourager les gens à tourmenter ces personnes. Certaines d'entre elles se sont retrouvées dans des états de très grande isolation et se sont suicidées.
Je pense qu'il y a des responsabilités morales et éthiques qui devraient inciter les plateformes à améliorer leur conception et la façon dont elles sont élaborées. Il y aurait également une occasion de bonifier le service à la clientèle en permettant aux parents de savoir que les sites que leurs enfants fréquentent sont sécuritaires et que des adultes y exercent une certaine supervision. Malheureusement, nous avons l'impression que la modération sur les plateformes est synonyme de censure. Ce n'est pas le cas. La modération est ce qui empêche les pourriels d'arriver dans votre boîte de réception et ces mauvais acteurs de proliférer en ligne.
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Merci, madame la présidente.
Pour tout vous dire, j'ai fait partie des médias traditionnels pendant plus de 40 ans. J'étais ici lors de l'étude du projet de loi et j'ai entendu leurs difficultés et leurs critiques acerbes contre Meta. Pourtant, bon nombre d'entre eux avaient conclu des ententes en coulisses — des ententes de non-divulgation — dont ils ont peu parlé. Puis, lorsque le projet de loi C‑18 a été adopté à la Chambre, l'un des géants médiatiques du pays, Bell, a décidé de congédier 1 300 de ses employés. Encore une fois, rien n'a été dit. Le CRTC, avec sa réglementation laxiste, n'a pas dit grand-chose, et le tout a été en quelque sorte balayé sous le tapis. Ensuite, lorsque CBC/Radio-Canada — un radiodiffuseur et un réseau numérique — a fait des compressions, tout le monde s'est indigné, et pourtant, ce sont les contribuables qui paient la majeure partie, sinon la totalité, de sa facture.
Monsieur Palmer, vous avez mentionné plus tôt que le retrait de Meta s'est avéré une dure épreuve, mais j'étais assis autour de cette table à écouter ces entreprises, et elles avaient conclu certaines ententes. Par la suite, bien entendu, lorsque Meta s'est retirée, ces entreprises se sont mises à dire que personne n'allait consulter leurs sites Web et tout le reste. On ne peut pas jouer sur les deux tableaux. Lorsqu'elles sont venues témoigner devant nous, ces entreprises étaient en difficulté et se plaignaient de Meta. Au bout du compte, Meta s'est retirée, et elles continuent de se plaindre.
À votre avis, ce n'est pas constitutionnel. Je vous ai entendu, il y a un an, autour de cette table. Qu'en pensez-vous aujourd'hui? Les nouvelles en ligne sont-elles constitutionnelles ou non?
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Je vous remercie de la question.
En ce qui concerne CBC/Radio-Canada, même si elle a plusieurs rôles importants à jouer, elle n'a certainement pas une vocation commerciale. Lorsque des médias sont principalement financés par le gouvernement, ils semblent profiter d'une échappatoire déraisonnable pour soutenir la concurrence, surtout dans le domaine de la publicité numérique.
En ce qui a trait aux règles du jeu équitables, si l'objectif était d'appuyer le journalisme, que ce soit par l'entremise du gouvernement ou des plateformes, on a toujours espéré que cela se ferait de manière proportionnelle et que tous les acteurs, petits et grands, pourraient y participer. Nous nous retrouvons dans un monde où, depuis l'adoption de la Loi sur les nouvelles en ligne, l'abandon de l'industrie par Meta désavantage en particulier les petits joueurs et les éditeurs en démarrage. Les règles du jeu ne sont plus équitables, y compris pour nous dans une certaine mesure. Ainsi, les publications bien établies sont désormais avantagées sur les marchés par rapport à quiconque cherche à créer de nouvelles entreprises dans le domaine de l'édition numérique, que je considère encore aujourd'hui comme un secteur où l'entrepreneuriat est très présent.
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Merci, madame la présidente.
Je tiens à remercier nos témoins d'être des nôtres.
J'aimerais commencer par Mme Donovan.
L'une des principales préoccupations dans de nombreuses communautés, particulièrement chez les musulmans, les juifs et les communautés de couleur, c'est la façon dont les plateformes en ligne, notamment X, Facebook, Instagram et d'autres, ont été utilisées comme terreau fertile ou comme force d'amplification pour les opinions haineuses extrêmes. Étant donné la taille de ces plateformes et le nombre limité d'endroits en ligne où se rendent les gens pour accéder au contenu créé — je ne parle pas ici des nouvelles — et pour prendre part aux discussions, comment envisagez-vous la croissance du profil de risque à court terme pour ces communautés, surtout compte tenu de la façon dont des robots, des gouvernements étrangers et d'autres tentent de fomenter la discorde et la haine sur ces grandes plateformes?
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J'ai commencé ma recherche sur Internet, les réseaux et les mouvements sociaux en me penchant principalement sur le mouvement Occupy. Lorsque mon attention s'est tournée vers les groupes suprémacistes blancs en ligne, j'ai pu utiliser les mêmes méthodes que j'avais employées pour examiner les mouvements sociaux en ligne afin de réfléchir à la formation de mouvements et à ce qui est devenu plus tard la droite alternative — un mouvement social en réseau composé de certaines personnes charismatiques et de bailleurs de fonds. C'est ce qui a abouti à l'objet précis de mes travaux de recherche, à savoir l'effet « du virtuel au réel »: ce qui se dit en ligne finit par se concrétiser dans les espaces publics.
Je sais qu'au Canada, de nombreuses organisations comme les Oath Keepers et les Proud Boys avaient une présence active. Elles se sont formées de leur propre initiative, en plus de recevoir l'aide d'entreprises de plateformes qui leur ont permis de germer et de croître. Depuis lors, une grande partie de la recherche dans ce domaine a porté sur le retrait de ces mauvais acteurs des grandes plateformes. Je suis toutefois profondément troublée de savoir que Musk a ramené Alex Jones, qui, je crois, a écopé d'une amende de près de 2 milliards de dollars pour avoir calomnié et harcelé les familles des victimes de Sandy Hook. Cela fait peur parce que cette personne, comme bien d'autres, a organisé les émeutes du 6 janvier au Capitole. Ce que nous comprenons, c'est que les plateformes ne sont pas seulement un espace de parole. Elles constituent également un espace de réseautage et d'organisation pour l'action. Cela comprend la mise en place de ressources pour les groupes d'extrême droite.
Je suis très heureuse du travail accompli par des groupes comme l'organisation américaine Color of Change, qui a lancé une campagne de lutte contre l'argent du sang afin que des entreprises comme Mastercard et PayPal n'autorisent pas de paiements à des groupes extrémistes et à des groupes suprémacistes blancs connus. Ce que nous savons au sujet des plateformes, c'est qu'elles ont longtemps fait fi du problème. Ensuite, lorsque nous les avons amenées à en assumer la responsabilité, elles ont embauché des gens pour faire ce travail. Or, maintenant que l'opinion publique à l'égard de ces plateformes a changé, elles ne reçoivent aucune récompense lorsqu'elles publient de l'information sur leur transparence concernant les groupes extrémistes présents sur leurs réseaux. C'est pourquoi elles ont cessé d'enquêter.
Voilà ce qui est en jeu pour 2024. Si nous ne pouvons pas compter sur les plateformes pour comprendre et modérer leurs propres territoires, les gouvernements comme celui du Canada devront intervenir et reconnaître la gravité du problème.
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Merci, madame la présidente.
Monsieur Riekeles, je vais m'adresser à vous. Deux minutes et demie, cela va très vite, et je vais donc essayer de poser ma question rapidement.
Cela fait longtemps que tous les pays ont constaté les dommages que peuvent causer les médias sociaux par le contenu qui est si facilement découvrable sur les plateformes, dont le contenu haineux, l'incitation à différents courants haineux.
Pourquoi est-ce que cela prend autant de temps aux pays pour mettre en place des lois? Pour ce qui est de l'Union européenne, la législation sur les services numériques entrera en vigueur en janvier, dans quelques semaines, mais il a fallu du temps pour la mettre en place. Au Royaume‑Uni, la Online Safety Act a été adoptée au mois d'octobre. Ici même au Canada, aucun projet de loi n'a encore déposé, même si cela fait des années qu'on nous dit qu'on travaille dessus.
D'après vous, pourquoi faut-il autant de temps pour développer une loi sur un sujet qui est pourtant aussi critique, urgent et nécessaire?
Je pense que c'est une excellente question. En réalité, ce que vous soulignez, c'est qu'au cours des deux décennies pendant lesquelles nous aurions dû réglementer ces plateformes — surtout les plus grandes sociétés et les monopoles —, l'action publique s'est toujours avérée trop insuffisante et trop tardive.
Selon moi, l'explication fondamentale tient au fait que, comme je le disais, des parties intéressées extérieures s'emploient à créer des écosystèmes entiers d'influence et de subversion pour, au bout du compte, manipuler la société et les décideurs politiques. On ne s'en rend compte que trop tard, et quand vient le temps de prendre des mesures, d'importantes forces agissent en sens inverse pour faire obstacle à la capacité de légiférer et de réglementer.
Ces acteurs sont d'une telle ampleur et, comme on l'a dit plus tôt au cours de la séance, d'une telle taille que leur valeur dépasse aujourd'hui le PIB de nombreux pays du G20. Bien entendu, quand l'argent n'est pas un facteur limitatif, on peut se permettre de tout acheter. C'est ce que nous voyons en ce qui concerne le lobbying et l'encadrement du débat, mais aussi, comme je le soulignais, la création d'alliances, la mise sur pied de groupes de façade et les campagnes de désinformation populaire planifiée. Pour dire les choses très franchement, ils influencent ou achètent des groupes de réflexion et des universitaires.
Nous avons un très gros problème partout dans le monde occidental, pas seulement en Europe, pas seulement au Canada, mais aussi aux États-Unis, en Australie et partout ailleurs, pour ce qui est de faire face, comme il se doit, à l'ampleur du défi qui est devant nous.
On a parlé tout à l'heure de l'indépendance du milieu universitaire. Je pense que nous devons relever un défi de taille pour veiller à ce que cet enjeu fasse l'objet d'un examen indépendant de la part d'universitaires. C'est d'ailleurs un point qui a été soulevé par, entre autres, Meredith Whittaker. Elle a travaillé pendant 13 ans chez Google comme directrice des efforts de recherche libre, puis elle est partie travailler dans le domaine de l'éthique de l'intelligence artificielle. Lorsqu'elle a été expulsée du centre où elle travaillait, ce qu'elle a dit essentiellement, c'est qu'il n'y a pratiquement aucune recherche universitaire indépendante sur l'utilisation éthique de l'intelligence artificielle, et ce, à l'échelle mondiale.
Ce sont là des exemples qui montrent l'ampleur des difficultés auxquelles nous nous heurtons. Ces entreprises utilisent systématiquement, efficacement et abondamment leur pouvoir et leur influence dans le débat sur les politiques, ce qui rend très difficile la prise de mesures réglementaires.
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Je pense qu'il est vraiment important que nous adoptions ces projets de loi. Le sénateur Ed Markey vit dans ma ville, et je suis donc ravie que nous soyons sur la même longueur d'onde.
Ce qui est préoccupant au sujet de la transparence et des algorithmes, ce n'est pas seulement le risque que nous passions des années à analyser un tas de codes, mais aussi la nécessité de mettre sur pied un organisme de transparence et de vérification ayant pour mandat d'examiner ces algorithmes et d'y apporter des changements, de poser des questions et d'interroger ces grandes entreprises sur ce qui nous est servi.
Nous avons également besoin de données recueillies au moyen d'un échantillon constant, ce qui signifie que nous avons besoin de données qui ne portent pas sur les utilisateurs, mais plutôt sur les liens et le type d'information qui circule en ligne. Ce serait là une façon de vérifier les algorithmes et le type de nouvelles qu'ils rendent populaires.
Encore une fois, cela revient au constat fait par le MIT, il y a de nombreuses années, sur la façon dont les mensonges se propagent en ligne: les choses nouvelles et scandaleuses sont celles qui vont le plus loin et qui voyagent le plus vite en ligne, non seulement en raison de la nature du contenu, mais aussi à cause de la façon dont les algorithmes influent sur notre expérience en fonction de nos recherches d'information.
Le classement sur Google est important si vous voulez comprendre un enjeu. Nous devons savoir comment ces choses fonctionnent et comment la plateforme décide d'afficher tel ou tel résultat, aussi banal soit‑il; par exemple, quand je tape le mot « salsa » sur Google, les algorithmes déterminent s'il faut me présenter des recettes ou des cours de danse. Nous devons savoir pourquoi et comment ces décisions sont prises.
En ce qui concerne les personnes — et nos noms sont une des seules choses qui nous appartiennent —, il est vraiment important que nous ayons un moyen de vérifier comment nos noms et nos identités sont façonnés en ligne.
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La situation ne semble pas très prometteuse en ce moment. Je ne crois pas qu'elle le soit. Je vis dans une petite collectivité rurale du Canada, appelée Salt Spring Island, où nous avons la chance d'avoir encore un journal local. Cela fait une énorme différence dans la façon dont les membres de la collectivité se comprennent et entretiennent des rapports entre eux.
Une étude très sérieuse doit être menée pour déterminer si un certain niveau de soutien public est nécessaire, mais nous devons prendre ce problème à bras-le‑corps et le considérer comme un problème unique et cohérent. Certaines de mes inquiétudes sont liées à la manière dont les nouvelles ont été soutenues jusqu'à maintenant. Il existe un grand nombre de petits programmes fragmentés et assez compliqués qui, pris dans leur ensemble, accordent un niveau de financement assez important. Cependant, ce financement n'est pas nécessairement acheminé là où il est nécessaire, il ne comble pas nécessairement les lacunes en matière de nouvelles, et il n'est pas du tout transparent pour les Canadiens ordinaires.
De nombreux habitants dans notre pays commencent à craindre que les organes de presse soient fondamentalement redevables au gouvernement fédéral ou aux plateformes technologiques, et nous devons montrer très clairement que ce n'est pas le cas en mettant en place un système unique que tous peuvent vérifier par eux-mêmes.
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J'ai fait des recherches sur Facebook pendant très longtemps, ainsi que sur YouTube. En ce qui concerne les mots-clics misogynes, cela ne s'arrête pas au fait que quelqu'un utilise un mot-clic. Un mot-clic représente une étiquette de contenu qui permet aux algorithmes de relier différents éléments de contenu entre eux. Toute personne qui utilise ce mot-clic peut se voir recommander la prochaine vidéo à ouvrir. En particulier, ce que nous savons de la misogynie, c'est qu'elle est bien vivante en ligne.
Le harcèlement des femmes en général, des femmes de couleur et des femmes journalistes est presque une épidémie. On cherche à réduire au silence les femmes dans leurs domaines en ligne. Nous avons été témoins d'attaques misogynes, et pas seulement à caractère politique. Nous savons que les femmes en général et les femmes de couleur sont victimes d'un harcèlement disproportionné. Le harcèlement peut également être un moyen d'attiser la rage contre les femmes. Nous savons que cela s'est produit à de nombreuses reprises par l'intermédiaire de ces mots-clics misogynes qui créent ces communautés en ligne.
J'aimerais prendre une seconde pour aborder un sujet qui n'a pas encore été abordé et qui est lié au retour de Meta. Le Canada devrait envisager de récompenser les journaux à but non lucratif. Aux États-Unis, si nous transformions de nombreuses publications locales en organisations à but non lucratif, elles auraient une bien meilleure chance de pérenniser leurs activités si elles fonctionnaient selon ce modèle — et pas seulement selon le modèle financier, mais aussi selon le modèle de la raison d'être de l'information, qui est de servir les démocraties.
Je vous remercie de m'avoir permis de formuler cette observation.
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Absolument. Les parallèles que vous soulignez sont tout à fait corrects. Elles font des affaires dans l'obscurité. La démocratie souffre de l'obscurité, comme nous l'avons entendu dire précédemment.
Tout d'abord, je tiens à féliciter la Chambre d'avoir réalisé cette étude. Vous vous acquittez d'une tâche où d'autres parlements ont échoué, notamment le Parlement européen. Ce qui se passe, c'est en grande partie la prise en otage de nos processus démocratiques et, dans une certaine mesure, la corruption de nos processus démocratiques. La corruption a une signification juridique qui nécessite des preuves à l'appui. Mais si vous consultez le dictionnaire, vous constaterez qu'elle a également d'autres significations, qui concernent la manipulation des processus, la création de difficultés, etc. C'est dans ce sens que j'emploie ce mot.
Dans l'Union européenne, nous avons été témoins de pratiques inacceptables de subversion et d'influence appliquées à ce qui est censé être un processus décisionnel démocratique. Cela a été souligné par les principaux législateurs concernés. Je me base sur mes propres informations, mais aussi sur un rapport à ce sujet publié par le Corporate Europe Observatory. Par exemple, le rapporteur de la loi sur les services numériques a écrit au président du Parlement européen pour demander que des mesures soient prises à cet égard.
En réalité, rien d'important n'est advenu. La véritable raison pour laquelle rien n'est advenu, c'est qu'une grande partie des politiques élaborées par la communauté des experts appartenaient à cette catégorie. Les influences exercées par les grandes entreprises technologiques et les pratiques de subversion qu'elles adoptent sont en quelque sorte une histoire qui dérange, à laquelle il faut éviter de s'attaquer.
À mon avis, il faut aller beaucoup plus loin en matière de transparence. De nos jours, l'on considère souvent la réglementation technologique comme l'application d'un régime de concurrence strict ou de règles visant à contrôler les plateformes qui portent atteinte à la vie privée. Toutefois, cela ne suffit pas. La réglementation doit également s'opposer à la capacité du secteur technologique à influencer les institutions privées, la société civile et le discours politique.
C'est ce que j'appelle la mise en place d'un système de contrôle technologique efficace. Par exemple, en ce qui concerne les registres de transparence, il faut que des rapports soient établis. Je dirais que des rapports projet par projet, euro par euro, sont nécessaires. Les stratégies d'interférence doivent faire l'objet d'un suivi et d'un comptage systématiques.
Je précise encore une fois que c'est ce qui s'est passé quand on a commencé à riposter contre les grandes sociétés de tabac. Ce n'était pas...
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Le danger, c'est que le Canada n'est pas un marché essentiel. C'est un bon marché pour les grandes plateformes technologiques, quelle que soit la façon dont on les décrit, mais ce n'est pas un marché essentiel. Il est tout à fait possible pour les plateformes de ne pas desservir le marché canadien.
C'est un peu le danger qu'on court en composant avec les très grandes plateformes, comme Netflix, par exemple, dans le secteur de la diffusion en continu, mais je crois que c'est vraiment crucial pour les services novateurs plus restreints qui sont lancés. Si le coût d'entrée sur le marché canadien devient trop élevé pour les nouveaux services ou pour les services destinés aux minorités, les Canadiens perdront au change, car ces services ne rempliront pas ces exigences et n'exerceront pas leurs activités au Canada. Si ces services ne sont pas offerts au Canada, les Canadiens seront pénalisés.
L'objectif premier d'Internet est d'être axé sur la demande et non sur l'offre. Le système canadien est conçu pour être axé sur l'offre plutôt que sur la demande. Si l'on applique ce principe à différents secteurs, on constate que le Canada — et les Canadiens — pourrait perdre au change en raison de son manque d'accès aux nouveaux produits et à l'innovation.
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Internet fait de la personne la curatrice de son expérience. Elle peut choisir de regarder des vidéos sur Instagram ou TikTok. Elle peut regarder des services de diffusion en continu comme Netflix. Elle peut visionner des documents gratuits ou opter pour un abonnement payant, etc. Toutes ces possibilités s'offrent à elle. Le fait crucial, c'est que c'est la personne qui choisit ce qu'elle va visionner.
Le modèle traditionnel de la programmation ou du contenu de la presse écrite ou de la radiodiffusion est fondé sur le « pousser ». Vous obtenez ce qu'ils offrent, et c'est tout ce que vous obtenez. Vous pouvez passer du canal A au canal B, mais vous ne pouvez pas choisir ce qui sera diffusé sur le canal A.
Nous pouvons maintenant choisir. Nous disposons d'un vaste choix de produits et de services. Nous pouvons choisir ce que nous voulons regarder, quand nous voulons le regarder, comment nous allons consommer le produit et sur quelle plateforme, etc. Il s'agit là d'étapes d'épanouissement personnel extrêmement libératrices qui sont également essentielles, je pense, pour obtenir le type de société que nous voulons avoir au bout du compte.
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D'accord. Je peux tenter de l'expliquer.
Si vous envoyez une lettre par la poste, elle est privée. C'est une communication entre deux individus. Personne n'a le droit de l'ouvrir. Vous pouvez écrire ce que vous voulez.
Si vous diffusez quelque chose à la radio, à la télévision ou sur l'Internet, en principe, on devrait penser qu'il s'agit d'une communication entre un et plusieurs individus. Il y a un très grand intérêt public à fixer des règles. Tout en permettant bien sûr la liberté d'expression, qui est un élément central de toutes les sociétés sur le plan constitutionnel. Pourtant, dans l'histoire de la société, on a établi des règles pour réglementer les communications entre un et plusieurs individus.
Avec l'arrivée d'Internet, de la loi américaine sur les communications et de la directive sur le commerce électronique, on a commencé à créer des exemptions à cela, des exemptions de responsabilité. C'est le cadre de base qui a fait en sorte que, si vous êtes un éditeur de presse, vous devez respecter des règles très strictes. Si vous êtes une plate-forme Internet, où vous communiquez des renseignements à un nombre peut-être bien plus grand de personnes et où vous gagnez bien plus d'argent, vous avez été largement exempté de ces règles. Je suis…
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Je pense que c'est vraiment une combinaison de tout cela.
L'Internet est arrivé dans nos vies avec le principe selon lequel Internet était synonyme de démocratie. Laissons-le se développer et il apportera toutes sortes de bienfaits à la société. Bien sûr, les avantages se sont accumulés dans un certain nombre de domaines, mais il est évident que d'autres choses n'étaient pas été si bénéfiques que cela.
Je pense qu'une grande partie de l'idéologie qui l'entoure fut très efficace pour convaincre les législateurs et les décideurs que l'on pouvait vivre avec un modèle d’autoréglementation. C'est ce qu'on a observé se perpétrer tout au long de l'histoire de la réglementation des technologies, jusqu'à maintenant.
La semaine dernière, nous avons obtenu un accord sur la Loi sur l'intelligence artificielle de l’Union européenne. En réalité, la plupart des administrations optent pour des solutions volontaires. C'est, bien sûr, ce que les entreprises technologiques réclament sans cesse dans ses activités de lobbying et ses efforts.
S'il y a une leçon à tirer, je dirais que, du côté de l'Union européenne, on dispose désormais de deux lois formidables, c'est-à-dire la législation sur les services numériques et la législation sur le marché numérique, mais elles arrivent avec dix ans de retard. En effet, lorsqu'on a commencé à débattre des questions relatives au devoir de diligence en ce qui concerne, par exemple, les renseignements ou les transactions commerciales en ligne, la réponse a toujours été: faisons en sorte que…
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Merci, madame la présidente.
À écouter les réponses, les témoignages et les allocutions des témoins aujourd'hui, et à la suite de la réflexion que le Comité a entamée il y a quand même un certain temps, je pense que l'idée d'un fonds, tel que nous l'avions proposée dès 2019, était peut-être une meilleure idée.
Peut-être que l'urgence aurait été de réglementer le contenu haineux, la prolifération et la liberté de circulation du contenu haineux, de la désinformation et de la mésinformation sur les plateformes en ligne. On a peut-être attaqué l'éléphant par le mauvais bout, et on se retrouve maintenant avec des entreprises qui sont armées pour le combat, c'est le cas de le dire. Les géants du numérique ne veulent pas qu'on les réglemente et ils sont organisés dans leur opposition.
Je pense que ce qui nous attend est un défi extrêmement ardu: adopter une réglementation pour encadrer le contenu haineux. C'est essentiel, mais je pense qu'on va s'embarquer dans un chantier qui va être extrêmement difficile.
Monsieur Palmer, tantôt vous avez énoncé justement la question d'un fonds qui pourrait assurer la viabilité des nouvelles dans les régions, dans les déserts journalistiques où la couverture est très difficile à maintenir. Comment voyez-vous la constitution de ce fonds? Qui va mettre de l'argent dans ce fonds?
Hier, dans un autre comité, Rachel Curran, de Meta, a dit que les nouvelles pourraient revenir sur les plateformes de Meta, à condition qu'il n'y ait pas de réglementation. Selon moi, c'est plus ou moins acceptable, à moins que Meta contribue financièrement d'une façon considérable.
Êtes-vous d'accord sur le fait que les entreprises en ligne qui partagent du contenu journalistique devraient contribuer au fonds dont vous avez parlé pour préserver l'information en région?
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Merci, madame la présidente.
Merci à tous les témoins d'aujourd'hui. Vous nous avez donné beaucoup de renseignements importants à assimiler. Nous apprécions grandement votre expertise.
Je voulais m'adresser à messieurs Vranken et Riekeles. Je ne vous ai pas encore posé de question.
Je voudrais vous poser deux questions.
Tout d'abord, est-il logique que le Canada finance indirectement Meta et Google à hauteur de plus d'un milliard de dollars par an? Il est inexplicable que nous payions des entreprises pour qu'elles diffusent de la publicité sur ces deux plateformes, compte tenu de la taille et de l'envergure de ces sociétés.
Deuxièmement, quelles suggestions pouvez-vous nous faire en ce qui concerne les lois pour contrer les méfaits en ligne? Le gouvernement en a introduit très lentement. Compte tenu de la flambée de l'extrême droite à laquelle on assiste et de la violence d'extrême droite qui est souvent provoquée par les algorithmes malveillants dont on parle, c'est absolument essentiel. Quelles sont les leçons apprises dont nous pouvons bénéficier au Canada afin de nous assurer que nous disposons des mesures législatives qui luttent réellement contre ces méfaits en ligne?
Je vais commencer par M. Vranken.
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La réponse courte, c'est que je n'ai pas une connaissance approfondie des fonds de compensation que l'on met en place au Canada. Ce n'est pas à moi de me prononcer là-dessus.
Ce que je peux dire sur les paiements aux éditeurs européens, c'est qu'on a résolu ce problème avec une réforme du droit d'auteur qui a créé un droit connexe, dont l'objectif était essentiellement de créer un marché. En un sens, si on donne aux éditeurs un droit de propriété sur la manière dont leur contenu est utilisé en ligne, on leur donne un pouvoir de négociation.
Comment cela a-t-il fonctionné? Je pense que dans la plupart des cas, cela a conduit à des négociations. Toutefois, dans la plupart de ces situations, il est également très clair que le rapport de force, ou les forces concurrentielles, est extrêmement déséquilibré. Je pense que bien des éditeurs ont vécu l'expérience de s'asseoir autour d'une table avec Google ou Meta et de demander: « Combien allons-nous être payés pour notre contenu que vous utilisez? » Pour ce que cela vaut, la réponse c'est: « Bien sûr que nous allons vous payer, mais pourquoi n'achèteriez-vous pas ce service-là, ce service-ci et aussi cet autre service, en plus de faire partie de cette plateforme publicitaire? ».
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Monsieur Palmer, je voudrais revenir sur ce dont nous discutions plus tôt. On vous a malheureusement interrompu pendant les questions.
Ensuite, M. Hatfield, je vais vous poser une question sur l'Internet ouvert.
M. Palmer et M. Hatfield, on parle beaucoup d'une réglementation pour l'Internet, bien sûr, et je pense qu'on espère protéger les gens. Ma question est la suivante: lorsque le gouvernement s'occupe de protéger les gens contre certaines idéologies, certaines croyances, certaines valeurs ou certains échanges de renseignements, quels sont les dangers?
Lorsque le gouvernement décide qu'il a la responsabilité de « protéger » les gens de ces choses, qu'advient-il de la société libre et de l'échange d'idées novatrices et créatives à partir de là?
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Vous posez une question fondamentale, et je ne suis pas certain de pouvoir en mesurer l'ampleur et la portée.
La question est de savoir où est la limite entre l'épouvantable et le légal. Il y a beaucoup de bêtises sur Internet. Il y a beaucoup de misogynie, etc., mais ce discours est-il illicite? Est-il illégal? Le gouvernement devrait-il le supprimer?
Je n'ai pas toutes les réponses à ces questions. Chose certaine, il y a toujours un danger lorsqu'on abolit la parole — et en particulier lorsqu'un gouvernement, qui a un intérêt dans la façon dont les gens parlent et, en particulier, parlent de lui, a le pouvoir d'abolir des éléments du discours — et c'est regrettable.
C'est un équilibre extrêmement difficile à atteindre, mais c'est une ligne extrêmement dangereuse où le gouvernement doit respecter les droits.
Je vous remercie.
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C'est une bonne question.
Je pense que les discours épouvantables, mais légaux, représentent une grande part de ce à quoi bien des gens font face chaque jour sur les plateformes et de ce qu'ils n'aiment pas. Ce type de discours sera toujours bien présent, et on ne peut pas vraiment éliminer, à l'aide de réglementations, des choses qui sont essentiellement des messages codés, parce que les gens trouveront simplement d'autres façons de les dire.
Lorsqu'on examine la manière dont les plateformes influencent le problème, on doit examiner dans quelle mesure elles reflètent la société et dans quelle mesure elles amplifient ou encouragent certaines de ces choses. C'est là qu'un meilleur accès des chercheurs à la recherche est vraiment important, mais il est primordial de ne pas donner lieu à une situation de grande censure où le gouvernement force indirectement les plateformes à éliminer un grand nombre de discours légaux.
Si on met en œuvre une réglementation mal conçue, on risque de nuire à une mobilisation sociale et à des échanges absolument essentiels.
M. Elgie, je reviendrais un instant sur le projet de loi et les répercussions qu'il a. Je tiens à préciser qu'à cause du projet de loi C‑18… Meta s'est retiré parce qu'elle ne publie plus de liens vers les actualités. Google avait quelques exigences à l'égard du gouvernement et, bien évidemment, le gouvernement est allé en coulisses et a conclu un accord avec cette société. Donc, nous avons désormais un accord avec Google. Personne ne défend le projet de loi C‑18.
Compte tenu de l'accord conclu avec Google pour un montant de 100 millions de dollars, comment un tel accord peut-il désavantager les organes de presses novateurs, émergents, locaux, indépendants ou culturels?
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Il est difficile de répondre à cette question sans réglementation définitive et sans savoir comment les fonds seront distribués, surtout, comme nous l'avons mentionné plus tôt, lorsque l'on considère l'étendue des organisations impliquées.
Je voudrais revenir sur le fait que la sortie de Meta du secteur va sans aucun doute désavantager un grand nombre de petits éditeurs indépendants émergents, car il s'agissait, dans de nombreux cas, de leur voie d'accès vers leur nouvel auditoire, et c'était un moyen très efficace d'y parvenir.
De plus, avec ce type de programmes et de financements, encore une fois, on tend à désavantager les entreprises émergentes parce que les gens doivent faire une demande pour les recevoir et parce que les gens qui sont dans l'industrie, nous y compris, vont être avantagés, car nous allons avoir accès à ces fonds très rapidement, alors que parfois, le processus peut potentiellement prendre des années.
Je pense que le résultat sera défavorable pour les nouvelles entreprises en particulier.
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Merci, madame la présidente.
Encore une fois, merci aux témoins d'être là.
Je voudrais poser une question sur l'incitation à la rage en ligne et sur le rôle que les plateformes pourraient et devraient jouer ou non, selon le cas, pour tenter de comprendre comment elles peuvent être utiles.
J'hésite beaucoup. M. Palmer nous a parlé de la question de savoir jusqu'où on peut aller et jusqu'où on ne peut pas aller, mais ça ne prend pas la tête à Papineau pour comprendre à quel point la mésinformation, en particulier lorsqu'il s'agit de mésinformation colérique, peut se répandre facilement et rapidement, avec des conséquences mortelles dans certains cas.
Nous avons observé des gens de la gauche et de la droite. Nous avons observé les familles de politiciens libéraux et conservateurs être attaquées par des gens à cause de ce que ces derniers avaient lu ou vu sur Internet, au fur et à mesure que des gens développent ce sentiment de rage et de colère.
J'aimerais savoir si vous pouviez nous dire brièvement où vous observez cela en particulier. Nous pourrions peut-être commencer par M. Hatfield et passer ensuite à Mme Donovan.
Pouvez-vous nous dire brièvement d'où vient habituellement cette rage à votre avis? Quelles sont les tendances? Comment les plateformes en tirent-elles parti et pourquoi le font-elles?
M. Hatfield, vous pouvez commencer, puis nous passerons à Mme Donovan.
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C'est une excellente question.
Je pense que, dans bien des cas, ce n'est pas que les algorithmes sont nécessairement conçus pour amplifier la rage. C'est qu'ils sont conçus pour amplifier la mobilisation, et la rage est l'un des moteurs les plus puissants de la mobilisation.
Je pense qu'on doit, dans certains cas, examiner ce qu'on pourrait modifier dans les algorithmes afin de décourager ce type de dynamique. Je pense qu'on doit faire très attention à ne pas traduire cela par une censure des individus qui pensent avoir un grief social très légitime, à cette période particulière. Si le gouvernement était en mesure de décider que les gens ne devraient pas s'exprimer d'une telle manière, ce serait en fait très dangereux.
C'est pourquoi je pense qu'il serait bon d'obliger les plateformes à expliquer comment elles gèrent le contenu et, en fait, à dire aux utilisateurs et à un organisme de réglementation ce qu'elles font et à expliquer quels risques elles pensent atténuer. Ce serait bien qu'il y ait une certaine pression concurrentielle entre les différentes plateformes pour qu'elles apprennent à mieux gérer certains de ces aspects.
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Quand je pense à cela, je pense au modèle de mouvement social classique, selon lequel les gens ne sont motivés à accomplir quelque chose dans le monde que s'ils sentent qu'il y a de l'indignation et qu'ils espèrent un changement. Ce qu'on observe souvent en ligne avec les pièges à clics armés avec de la rage, ce sont, dans certains cas, des gens qui espèrent que cet appel à l'indignation fera changer le comportement des citoyens ordinaires.
Si l'on se réfère à la documentation des Nations unies sur la liberté d'expression, trois droits sont associés à la liberté d'expression. Bien sûr, il y a le droit de s'exprimer: on peut dire n'importe quoi n'importe quand. On a le droit de recevoir des renseignements. Supposons qu'un incendie de forêt a lieu. On espère alors qu'un intermédiaire de l'information comme Facebook va nous fournir des renseignements sur les mesures de sécurité à prendre.
La dernière partie de la liberté d'expression qu'on oublie souvent, et qui est si importante pour comprendre les médias sociaux et l'amplification algorithmique, c'est qu'on a le droit de rechercher la vérité. On a droit à la vérité, et cela découle des théories politiques post-holocaustes sur ce que signifie la recherche de la vérité, sur la question de savoir qui détient la vérité et sur la manière dont on obtient la vérité.
Les algorithmes se moquent bien de savoir si ce que l'on publie est vrai ou faux. Ils se moquent également de savoir si ce qu'on publie est une incitation à la violence, parce que c'est cela qui va accélérer la rage, qui va susciter, comme Matthew vient de le dire, la mobilisation. On doit absolument se concentrer à récompenser les plateformes et le journalisme qui protègent le droit d’obtenir des renseignements.
La dernière chose que je dirai là-dessus, c'est que nous avons besoin de rôles qui garantissent que les gens ont des renseignements actuels, exacts et locaux. Il s'agit des fondements de la démocratie. En ce moment, il est primordial que la population soit informée et éduquée et qu'elle ait accès à son propre patrimoine et à sa propre histoire. Ce que les médias sociaux ont fait, en réalité, c'est inverser ce besoin de la société. Ils l'ont transformé en marchandise, puis l'ont mélangé avec du divertissement et des pièges à clics armés avec de la rage.