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Oui, nous avons effectué le test audio. Cela fait partie de nos règles de procédure préliminaires. Merci d'avoir soulevé cette question, monsieur Perron.
Je vais maintenant faire quelques commentaires à l'intention non seulement des députés qui sont présents dans la salle, mais aussi des témoins qui, pour la plupart, comparaissent à distance aujourd'hui. Veuillez attendre que je vous nomme avant de prendre la parole. Vous pouvez vous exprimer dans la langue officielle de votre choix. Des services d'interprétation vous sont offerts. Vous pouvez choisir, au bas de votre écran, entre la transmission du parquet, l'anglais et le français. Si vous n'entendez plus l'interprétation, veuillez nous en informer immédiatement.
En outre, je souligne que, bien que la salle soit équipée d'un puissant système audio, il peut y avoir des retours de son, ce qui peut nuire énormément aux interprètes et leur causer de graves blessures.
En ce qui concerne la liste des intervenants, la greffière du Comité et moi ferons de notre mieux pour respecter l'ordre d'intervention de tous les députés, qu'ils participent à la réunion à distance ou en personne.
Conformément à l'article 108(2) du Règlement et à la motion adoptée par le Comité le lundi 29 janvier 2024, le Comité reprend son étude sur l'approche du Canada à l'égard de l'Afrique.
Je souhaite maintenant la bienvenue à nos témoins. Nous accueillons aujourd'hui le professeur Thomas Kwasi Tieku, qui enseigne les relations internationales au King's University College at Western University, et M. Thierry Vircoulon, un chercheur associé à l'Institut français des relations internationales. Nous avons aussi le plaisir d'accueillir M. Cameron Hudson, un agrégé supérieur du Center for Strategic and International Studies.
Chacun de nos témoins disposera de cinq minutes pour présenter sa déclaration liminaire. Je vous demande de me jeter un coup d'œil de temps en temps. Lorsque votre temps de parole sera presque écoulé, je vous ferai signe qu'il vous reste environ 10 à 15 secondes pour conclure. Cela s'applique non seulement à vos déclarations liminaires, mais aussi à vos réponses aux questions posées par les députés.
Maintenant que toutes ces explications ont été données, passons à M. Tieku.
La parole est à vous. Vous disposez de cinq minutes pour présenter votre déclaration liminaire.
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Je vous remercie, monsieur le président et honorables membres du Comité, de m'avoir invité à contribuer à cette importante étude.
Cette étude me signale que le système politique canadien rattrape enfin les réalités de nos salles de classe. Les Canadiens, surtout les plus jeunes, veulent un partenariat plus solide entre le Canada et l'Afrique. Cette étude représente une excellente occasion d'encourager le gouvernement canadien à répondre à cette attente.
Monsieur le président, je soutiens qu'une étude devrait aider le Canada à faire la transition entre sa position diplomatique traditionnelle qui consiste à parer au plus pressé, à éviter les risques et à suivre la foule et une approche plus systématique, plus proactive et plus stratégique à l'égard de l'Afrique.
Permettez-moi de décrire brièvement ce à quoi pourrait ressembler une approche systématique, proactive et stratégique à l'égard de l'Afrique.
Une approche systématique à l'égard de l'Afrique nécessite un cadre stratégique bipartisan qui tire parti des forces du Canada et harmonise les intérêts canadiens avec les priorités de l'Afrique. Heureusement pour le Canada, bon nombre des priorités stratégiques définies par l'Union africaine dans l'Agenda 2063 correspondent parfaitement aux intérêts canadiens. Je recommanderai au gouvernement canadien d'étudier attentivement ce document et ses rapports d'étape. Le gouvernement canadien peut ensuite utiliser le dialogue de haut niveau entre le Canada et l'Union africaine pour convenir de priorités de qualité mutuellement bénéfiques qui tiennent compte des intérêts stratégiques à long terme du Canada et de l'Afrique. L'un de ces intérêts à long terme est le maintien et la protection de l'ordre international fondé sur des règles, qui a très bien servi le Canada et l'Afrique au cours des 70 dernières années. Le Canada doit collaborer avec l'Union africaine pour contrer les menaces que font peser les régimes antibéraux sur cet ordre.
Une approche canadienne proactive à l'égard de l'Afrique se traduit par une meilleure réorganisation et un meilleur investissement dans les missions canadiennes sur le terrain et dans le Secteur de l'Afrique. Nos missions en Afrique et le Secteur de l'Afrique manquent terriblement de personnel et le personnel existant est trop dispersé en Afrique. Par exemple, la mission canadienne auprès de l'Union africaine en Éthiopie ne compte qu'un seul agent du service extérieur, en plus de l'ambassadeur. Ces deux personnes sont censées travailler avec plus de 1 700 membres du personnel de l'Union africaine et près de 120 ambassades à Addis-Abeba. Comment ces personnes sont-elles censées s'y prendre? Ce sont peut-être des magiciens.
Ce manque de personnel explique en partie pourquoi nous sommes généralement perçus en Afrique comme un pays très radin sur le plan diplomatique. Nous devons investir dans Affaires mondiales Canada et l'aider à réformer certaines de ses pratiques dépassées, notamment la division de l'Afrique entre l'Afrique subsaharienne et l'Afrique arabe.
Monsieur le président, une approche stratégique à l'égard de l'Afrique consiste à cerner les secteurs stratégiques dans lesquels le Canada peut avoir une véritable incidence sur le terrain. Permettez-moi de souligner quelques-uns de ces secteurs.
Premièrement, il faut tirer parti de l'avantage linguistique du Canada en partenariat avec l'Union africaine pour favoriser une nouvelle génération de dirigeants africains qui incarnent les valeurs communes du Canada et de l'Afrique qui sont énoncées dans l'Agenda 2063.
Deuxièmement, il faut se servir de l'expérience du Canada en matière de transitions politiques pacifiques et de multiculturalisme pour aider les pays africains à mieux gérer les élections et la diversité.
Troisièmement, il faut tirer parti des ressources éducatives du Canada pour aider les États africains à élaborer des programmes de formation susceptibles de transformer les jeunes Africains en un dividende démographique.
Enfin, il faut profiter de l'expertise agricole et des progrès technologiques du Canada ainsi que des vastes terres arables et de la jeune main-d'œuvre de l'Afrique pour accroître la sécurité alimentaire et lutter contre les changements climatiques.
Monsieur le président, j'espère que cette étude marque le début d'une nouvelle ère, où nous agissons intelligemment, où nous jouons de nos forces, où nous cessons de nous cacher derrière les autres et où nous joignons le geste à la parole pour renforcer le ministère des Affaires mondiales afin qu'il puisse accomplir son meilleur travail.
Je vous remercie beaucoup, monsieur le président, de me donner l'occasion de contribuer à cette étude.
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Merci, monsieur le président.
Je tiens à remercier le Comité de son invitation à lui présenter, aujourd'hui, la situation au Sahel sur le plan politique et sur celui de la sécurité. Cette situation est critique. Étant donné que je ne suis pas un spécialiste de la politique canadienne, mais de la politique sahélienne, je me contenterai de parler de ce domaine.
La zone géographique du Sahel couvre une bande territoriale qui va de la mer Rouge à l'océan Atlantique, c'est-à-dire du Soudan à la Mauritanie, soit un ensemble de sept pays. Depuis quelques années, il y a trois évolutions majeures et assez alarmantes qui ont lieu dans cette région.
La première évolution concerne l'expansion des conflits au Sahel.
Sur les sept pays dont j'ai parlé, il n'y en a que trois en paix, à savoir le Sénégal, la Mauritanie et le Tchad. Ensuite, il y a deux théâtres de conflits: le premier est situé au Mali, au Burkina Faso et à la partie occidentale du Niger, et l'autre, au Soudan.
Le problème du djihadisme a commencé au nord du Mali en 2013, et il s'est maintenant étendu à l'ensemble du Mali, au Burkina Faso et au Niger par le truchement de deux franchises djihadistes d’Al‑Qaïda, à savoir l'État islamiste au Grand Sahara, ou EIGS, et Al‑Qaïda au Maghreb islamique, ou AQMI.
Cependant, le problème du djihadisme n'est pas le seul conflit dans la zone Burkina Faso, Mali et Niger ou ouest du Niger. On voit aussi qu'il y a tout un système de conflits, et plusieurs conflits sont interconnectés. Il y a un conflit sécessionniste au nord du Mali entre les Touaregs de l'Azawad et le gouvernement central. Il y a des guerres intercommunautaires où les Peuls, notamment, sont particulièrement visés dans cette région, qui est le théâtre d'un certain nombre de massacres et, enfin, il y a des guerres de trafiquants, puisque c'est une grande zone de trafic.
L'autre conflit qui fait rage dans la région est la guerre civile au Soudan, qui a commencé en avril 2023 et qui s'est rapidement régionalisée, voire internationalisée, au point que l'on peut parler maintenant d'une guerre moyen-orientale qui se déroule au Soudan.
La deuxième évolution, qui me paraît très importante dans la région, c'est la régression démocratique. Une série de putschs a commencé en 2020 au Mali pour se poursuivre en 2022 au Burkina Faso et, l'année passée, au Niger. Cette épidémie de putschs a fait en sorte que ce sont maintenant des régimes militaires qui ont remplacé les présidents élus.
La transition soudanaise a commencé en 2019, mais a échoué en 2021. Là aussi, c'est parce qu'il y a eu un putsch, les militaires ayant remplacé le gouvernement civil. Au Tchad, il y a aussi une transition militaire en cours et qui devrait finir cette année.
Il y a donc quatre pays sur sept aux prises avec des transitions militaires. Pour trois pays, c'est-à-dire le Mali, le Burkina Faso et le Niger, il n'y a aucune perspective électorale à l'horizon.
La troisième évolution, qui me paraît extrêmement importante dans la région, c'est le renversement des alliances diplomatiques et sécuritaires.
Le Mali, le Niger et le Burkina Faso ont démantelé les mesures d'appui à la sécurité qui avaient été mises en place pour lutter contre le djihadisme, c'est-à-dire l'appui de l'Organisation des Nations unies, ou ONU, avec une mission de maintien de la paix; de l'Union européenne, avec des troupes; de la France, avec des troupes également; et des États‑Unis, avec un dispositif de renseignement conséquent.
Ils ont rompu ces accords de sécurité et remis en cause ces mesures en demandant, comme vous le savez, le départ de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali, ou MINUSMA, par exemple, et ils sesont rapprochés de manière accélérée de la Russie en acceptant un déploiement des paramilitaires russes dans trois pays sur sept et une participation de ces paramilitaires russes au combat dans deux pays, c'est-à-dire le Mali et le Soudan.
Enfin, les trois pays que sont le Niger, le Burkina Faso et le Mali ont décidé de rompre avec la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest, ou CEDEAO, et de sortir de l'organisation régionale afin de créer leur propre bloc régional alternatif, soit l'Alliance des États du Sahel, ou AES. Cela crée évidemment des tensions avec les autres pays de la CEDEAO, qui se plaignent de la contagion de l'insécurité à leur frontière nord.
En plus des conflits dont je vous ai parlé, il y a des tensions internes dans la région concernée. Évidemment, cela aboutit à une situation humanitaire dramatique, où plus de 38 % des soldats ont été tués au combat en 2022 et en 2023. Il y a maintenant 11 millions de personnes déplacées, et les besoins humanitaires ne cessent d'augmenter.
Je remercie le Comité de son attention.
Monsieur le président et distingués membres du Comité, je vous remercie de me donner l'occasion de parler aujourd'hui de l'approche du Canada à l'égard de l'Afrique.
Vous examinez ce sujet à un moment critique de l'histoire de l'Afrique. Il vaut la peine de souligner, même si vous l'avez sans doute entendu dire, que le continent comptera un quart de la population mondiale d'ici à 2050. C'est là que se trouvent ses ressources naturelles, y compris 30 % des minéraux critiques qui alimenteront notre monde moderne et contribueront à faire tourner nos économies. De plus, l'Afrique est située au centre géographique de notre monde, le long des principales lignes maritimes de l'océan Atlantique, de l'océan Indien et de la mer Rouge.
La région détient trois sièges non permanents au Conseil de sécurité des Nations unies et représente le plus grand groupe de votes régionaux aux Nations unies.
Avec une population dont l'âge moyen n'est que de 18 ans, le président Biden a raison de dire que l'Afrique façonnera l'avenir, et pas seulement l'avenir du peuple africain, mais aussi celui du monde entier. Aujourd'hui, le monde est parfaitement conscient de l'importance croissante de l'Afrique, ce qui incite les pays, petits et grands, à renforcer leur engagement auprès des États africains dans le domaine de la politique, de l'économie et de la sécurité.
Ne vous méprenez pas, les nations africaines et leurs dirigeants sont tout à fait conscients de leur importance croissante dans le monde. Ils exigent d'avoir davantage leur mot à dire dans les décisions mondiales qui les concernent et ils tirent parti de leurs diplomates pour obtenir de meilleurs accords pour eux-mêmes et pour leurs peuples. Cet afflux de nouveaux acteurs et cette réaffirmation de la souveraineté africaine créent un environnement très dynamique et de plus en plus difficile à comprendre pour les amis, donateurs et partenaires traditionnels du continent.
Par ailleurs, le contexte socioéconomique, politique et de sécurité de la région elle-même connaît d'importantes transformations. Cette explosion du nombre de jeunes crée l'écart le plus important entre l'âge moyen des dirigeants et l'âge moyen des citoyens. Cet écart de près de 60 ans est un facteur qui a contribué aux neuf coups d'État que les pays africains ont connus ces cinq dernières années. Il sous-tend le déclin actuel des tendances démocratiques sur le continent, où le nombre de personnes qui vivent sous un régime démocratique n'a jamais été aussi faible depuis 1991.
Ces changements ont toutefois été atténués par la convergence d'incidents de plus en plus fréquents liés aux conflits armés et au terrorisme, qui font aujourd'hui de l'Afrique un centre mondial du djihadisme, des changements climatiques — que les Africains soulignent à juste titre n'avoir pas causés, mais dont ils paient le prix —, de l'insécurité alimentaire et des problèmes sanitaires et économiques induits par la pandémie de COVID‑19, qui ont fait reculer de 20 ans les progrès réalisés en matière de développement sur le continent.
La République populaire de Chine estime que ce puissant mélange de forces et de tendances présente des possibilités. Selon Pékin, l'Afrique est un marché de consommation inexploité et une source de matières premières dont la république a besoin pour stimuler son expansion. Il y a des dizaines d'années, la Chine considérait également l'Afrique comme une région importante où elle pouvait remettre en question l'ordre international fondé sur des règles et promouvoir ses intérêts géopolitiques.
L'engagement de la Chine n'est pas linéaire et on aurait tort de le qualifier d'entièrement malveillant. En effet, bien que la Chine soit peut-être considérée comme un adversaire mondial dans toute une série de secteurs importants liés à la politique, à l'économie et à la sécurité, le fait de traiter l'Afrique comme un échiquier ne sert qu'à saper les efforts déployés par l'Occident pour renforcer et approfondir nos partenariats dans cette région.
Ces dernières années, la Russie a également découvert que la région offrait un environnement propice aux entreprises parapubliques et aux sociétés militaires privées, qui fomentent souvent l'instabilité pour en tirer des avantages stratégiques et financiers. La Russie utilise ses liens en matière de sécurité et ses liens économiques, ainsi que la désinformation, pour miner l'opposition de principe de l'Afrique à l'invasion de l'Ukraine par la Russie et aux violations des droits de la personne connexes et pour semer la dissension envers les partenaires traditionnels de l'Afrique. Elle présente une image historique de Moscou comme un allié qui se range du côté des dirigeants africains à l'esprit indépendant contre ce que beaucoup de gens sur le continent considèrent comme une sorte de néo-colonialisme occidental.
De nombreux dirigeants africains estiment que leurs pays sont victimes de l'ordre international établi à l'issue de la Seconde Guerre mondiale. Selon eux, les puissances occidentales utilisent des institutions internationales comme le Fonds monétaire international et la Banque mondiale pour promouvoir leurs intérêts tout en imposant des conditions douloureuses aux pays africains. La propagande russe n'a pas créé ces opinions, mais elle les souligne très efficacement aujourd'hui.
Par ailleurs, le soutien de longue date de l'Occident aux hommes forts africains, dont Mobutu Sese Seko au Zaïre et Teodoro Obiang en Guinée équatoriale aujourd'hui, ainsi que sa propension à renverser les régimes qui s'opposent à ses intérêts, comme cela a été le cas lors de la guerre menée par l'OTAN en 2011 contre le dirigeant libyen Moammar Kadhafi, ont nui à la crédibilité de l'Occident auprès des partenaires africains qu'il tente désormais de convaincre d'adopter un programme de valeurs communes.
La Chine et la Russie utilisent effectivement cette histoire pour promouvoir leurs programmes. Ne vous méprenez pas: la Chine et la Russie ont repéré et saisi une occasion en Afrique, mais elles ne l'ont pas créée. L'Union africaine a défini dans son propre document stratégique, intitulé « Agenda 2063 », que la création d'un système international multipolaire est dans l'intérêt de l'Afrique. La multiplication de ses partenariats et l'obligation pour ces partenaires de se faire concurrence pour l'influence de l'Afrique constituent un avantage.
Merci beaucoup. Je répondrai avec plaisir à vos questions.
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Il s'agit évidemment d'une question qui préoccupe également Washington, et je pense que tous nos partenaires occidentaux et pays donateurs éprouvent des difficultés à cet égard en ce moment.
Je dirais plusieurs choses. Tout d'abord, il ne s'agit pas tant de ce que l'on peut faire que de ce qu'il ne faut pas faire. Il ne faut pas se retirer de l'Afrique. Nous voyons des compressions budgétaires et des réductions de personnel. Nous voyons non seulement Washington, mais aussi tous les partenaires occidentaux, se désengager de l'Afrique. Ce n'était certainement pas le moment de se retirer. Au contraire, comme l'a dit mon collègue, nous devons redoubler d'efforts et redoubler le personnel de nos ambassades et nos budgets.
Ce faisant, nous devons notamment traiter les pays africains sur un pied d'égalité. Dans le monde occidental, nous sommes attachés à la notion que nous sommes des pays donateurs, mais cette relation de donateur et donataire est quelque chose dont les Africains essaient de s'affranchir. Il y a là un esprit de clocher qui ne favorise pas la relation.
À bien des égards, la Chine estime que l'Afrique se trouve au même stade de développement que le sien il y a 30 ou 40 ans. Les Africains voient leur avenir potentiel dans la Chine et il s'agit d'un avenir où l'Afrique fait la transition d'une société agraire pauvre à une société plus avancée, plus industrialisée et plus urbanisée. Nous devons trouver des moyens de faire cause commune, nous ne devons pas nous séparer pour des raisons linguistiques et nous ne devons certainement pas nous séparer en décrivant la Chine, voire la Russie, exclusivement comme une influence malveillante dont le seul intérêt est de s'en prendre aux communautés africaines pauvres et vulnérables.
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À mon avis, l'« Agenda 2063 » est un document très important qui ouvre la voie à tous ceux qui veulent vraiment travailler avec le continent africain, parce qu'il est considéré comme le document stratégique de l'Afrique.
Il y a quelques éléments dans l'« Agenda 2063 » de l'Afrique auxquels il me semble très important que le Canada prête attention.
Tout d'abord, il y a l'accent placé sur l'éducation, surtout si vous lisez le deuxième rapport. L'accent est clairement placé sur la façon dont l'Union africaine veut inviter les gens à venir s'associer à elle pour fournir une éducation de bonne qualité. C'est ce que nous avons. Nous disposons de quelques-uns des meilleurs établissements d'enseignement au monde — pas seulement au Canada, mais dans le monde entier. Les Africains qui reçoivent une éducation au Canada, qu'ils soient ici ou, plus particulièrement, lorsqu'ils rentrent chez eux, sont moins performants. On peut le constater dans les sciences médicales, les sciences humaines et tous les autres domaines. Nous pouvons travailler en partenariat avec eux pour améliorer la situation.
Ils mettent l'accent sur l'idée de transformer l'agriculture en une industrie mécanisée. Nous disposons de la technologie nécessaire pour y parvenir. Il s'agit d'une industrie d'environ cent milliards de dollars. Nous nous attendons à pouvoir miser sur cette technologie et à en tirer profit.
Je pourrais continuer et parler d'un certain nombre d'autres initiatives qui s'inscrivent dans le cadre de l'« Agenda 2063 ». Il nous suffit d'étudier ce document et de l'aligner sur nos intérêts, et je pense que les Africains l'accueilleront favorablement.
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En ce qui concerne l'incidence sur la France et le Canada, elle est très différente, évidemment.
La France s'est beaucoup impliquée, notamment sur le plan militaire, dans la guerre contre le djihadisme. Comme je l'ai dit, les relations diplomatiques avec le Mali et le Niger ont donc été rompues et l'armée française a quitté ces pays.
En ce qui concerne le Canada, je ne connais pas les relations qu'il a entretenues avec ces pays particuliers, mais je crois que ces derniers rejettent la France, l'ONU et l'Union européenne. On observe donc un rejet des Occidentaux en général, y compris des États‑Unis.
Je crois que le Canada doit, évidemment, rester solidaire de ses alliés américains et européens dans cette situation. Par conséquent, ils doivent se concerter pour définir leur position vis-à-vis des trois juntes militaires dont nous parlons.
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Je pense que le conflit au Soudan était tout à fait prévisible. L'armée du pays avait besoin d'une réforme depuis plus d'une génération et elle a été attaquée par une milice qu'elle a elle-même créée, qui a perpétré un génocide au Darfour il y a 20 ans. Ce qui les a amenés à entrer en conflit, c'est un effort visant à réformer les deux forces armées et à les intégrer dans une nouvelle armée nationale.
À mon avis, nous aurions pu voir venir le coup de beaucoup plus loin. Nous ne sommes pas intervenus parce que, selon moi, il n'y avait pas de coalition diplomatique adéquate pour appuyer les négociations qui se déroulaient entre les deux parties. À bien des égards, les deux acteurs ont dû se débrouiller seuls pour négocier une solution. Puis, lorsqu'il ne restait pratiquement d'autre recours que de se battre, il n'y avait personne pour intervenir et les empêcher de franchir ce pas. À mon avis, c'est un manque d'attention diplomatique qui a mené à ce conflit.
Bien sûr, quand le conflit a éclaté, nous avons tous été pris un peu au dépourvu. Au début du conflit, soit au cours des deux, trois ou quatre premières semaines d'affrontement, alors qu'on aurait pu modifier sa trajectoire, la plupart des ambassades occidentales se souciaient beaucoup trop de faire sortir leurs ressortissants et leurs diplomates du Soudan. À ce moment‑là, nous avons perdu notre présence dans le pays. Nous avons perdu notre capacité d'influer sur la prise de décisions de ces dirigeants et nous souffrons de lacunes diplomatiques depuis le début du conflit.
Nous commençons à peine à essayer de reprendre notre élan. Plus tôt cette semaine, il y a eu une conférence à Paris. Nous venons de souligner le premier anniversaire du conflit.
Il y a maintenant un envoyé spécial des États‑Unis pour le Soudan. Quand je travaillais sur le Soudan il y a 20 ans, il y avait une dizaine d'envoyés spéciaux. Le rythme des relations diplomatiques était maintenu sur plusieurs mois. C'est ce qui manque. Je pense que de nombreux pays occidentaux ont permis à des acteurs étatiques du Golfe d'assumer un plus grand rôle, mais ces derniers ne tentent pas d'agir à titre de médiateurs, ils tentent plutôt d'orienter le conflit de manière à servir leurs intérêts. Si nous voulons que le conflit aboutisse à une conclusion positive, il faut réaffirmer les valeurs occidentales en matière de droits de la personne au sujet du conflit, non seulement dans notre intérêt, mais aussi dans l'intérêt des Soudanais.
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Je pense que M. Hudson a absolument raison.
J'ajouterais que nous aurions pu agir de façon proactive en collaborant en coulisses avec l'Union africaine parce qu'elle a participé à ces négociations. Cependant, elle était isolée au sein de la communauté internationale parce que l'on avait dressé beaucoup d'obstacles. Il aurait d'abord fallu une meilleure collaboration avec l'Union africaine, qui aurait essentiellement pu prévenir certains conflits.
D'un point de vue plus général, nous privons des pays africains de l'élément le plus important, à savoir le leadership. Nous laissons à la nature le soin de développer le leadership. Imaginez que l'on mette de côté les 3 milliards de dollars que l'on investit dans le continent africain, par exemple, expressément pour former la prochaine génération de dirigeants africains. On constaterait que cet investissement ferait une grande différence au Soudan. Nous devons être proactifs plutôt que réactifs. C'est pourquoi nous devons cesser d'éteindre des feux. C'est trop coûteux. Toutefois, étant donné qu'adopter des mesures à long terme n'est pas la chose la plus sexy, nous n'investissons pas dans ce genre de mesures.
Ce que je dis, c'est que nous devons nous repositionner pour être plus proactifs et empêcher certaines de ces choses de se produire.
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Je vous remercie de cette question, qui pourrait faire l'objet d'une thèse de doctorat. Je tenterai donc de vous donner quelques points de référence.
Comme je l'ai indiqué dans mon témoignage, je pense que l'une des tendances que l'on observe, c'est l'écart entre de nombreux dirigeants vieillissants et les jeunes, qui voient en ligne, sur les médias sociaux, à quoi ressemblent la liberté, la démocratie et les droits de la personne, qui se rendent compte qu'ils ne jouissent d'aucune de ces choses là où ils vivent et qui exigent qu'on les leur donne. Le monde est devenu beaucoup plus petit en raison des médias sociaux et d'Internet. Alors que des dirigeants vieillissants s'accrochent de plus en plus au pouvoir, que ce soit par des moyens judiciaires et législatifs ou carrément par des coups d'État et aux autres choses du genre, je pense que l'un des facteurs est les tensions sociales qui règnent dans le pays.
À l'échelle mondiale, je pense qu'il y a aussi une montée de l'illibéralisme. Il s'agit de l'influence et du pouvoir des autres modèles proposés par la Russie et la Chine à ces pays. Alors que nous parlons des pays africains qui souhaitent renforcer leurs partenariats et ne pas dépendre du genre de relations donateur-bénéficiaire qui ont défini une grande partie de la période qui a suivi leur indépendance, ils voient en la Chine, la Russie, l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, la Turquie et tous ces nouveaux partenariats différents modèles politiques qu'ils peuvent également utiliser comme points de référence.
À mon avis, nous observons une perte de notre influence.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie les témoins. J'ai vraiment aimé ce que vous nous avez dit aujourd'hui.
Je crois vraiment que, dans l'Afrique postcoloniale, les frontières tracées pour tous ces pays ont un rôle important à jouer dans la façon dont les conflits éclatent et pour expliquer pourquoi ils semblent devenir de plus en plus permanents, comme M. Vircoulon l'a dit en parlant de la République démocratique du Congo.
Je tiens à parler de la relation entre les pays du Nord et l'Afrique, ainsi que des partenariats multilatéraux. Le Canada, j'espère que vous le savez, a un ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises pour gérer les efforts humanitaires et les droits de la personne tout en menant des activités.
Je demanderais peut-être à chacun d'entre vous de faire un bref commentaire à ce sujet. Selon vous, quel rôle précis le Canada peut‑il jouer pour habiliter les pays africains et trouver un équilibre entre collaborer avec eux et être un simple pays donateur?
Nous allons commencer par M. Vircoulon.
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Je ne suis pas sûr de bien comprendre la question lorsque vous parlez d'autonomiser ces pays. Je crois que ces pays sont non seulement autonomes, mais souverains.
Ils le rappellent, en fait, par la politique qu'ils mènent en multipliant les partenariats, ce qui est une politique assez désordonnée et qui n'est pas pensée d'une façon très stratégique actuellement.
Je pense qu'il faut se recentrer sur des intérêts convergents et se poser la question visant à savoir quels sont les intérêts convergents entre le Canada et non pas l'Afrique — car l'Afrique, c'est 54 États —, mais certains pays africains. C'est sur la base de cette convergence d'intérêts que pourront se construire un dialogue et un vrai partenariat.
En ce moment, j'entends beaucoup parler de partenariat, mais je pense qu'il y a beaucoup de partenariats qui manquent de partenaires. Pour avoir des partenariats vraiment effectifs, il faut qu'il y ait une véritable convergence d'intérêts.
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La MONUSCO, soit la force de maintien de la paix de l'ONU en RDC, doit effectivement se retirer à la fin de l'année ou au début de l'année prochaine. C'est le calendrier qui a été fixé. On verra s'il sera respecté.
Il faut bien voir que cela s'inscrit dans un mouvement plus vaste de fin des grandes missions de maintien de la paix en Afrique, puisque le gouvernement malien a proprement jeté dehors les Casques bleus et que l'Opération hybride Union africaine-Nations unies au Darfour, ou MINUAD, s'est terminée en 2019.
Il ne reste plus maintenant que deux grandes missions, c'est-à-dire des missions faisant appel à plus de 10 000 hommes, sur le continent. Il s'agit de celles déployées au Soudan du Sud et en République centrafricaine.
Ces missions, aussi bien celle du Mali que celle de la RDC, se retirent à la demande des gouvernements concernés parce que ceux-ci en étaient très mécontents. Je ne parlerai pas de celle du Mali parce que c'est un cas particulier. Toutefois, en ce qui concerne la MONUSCO, créée en 1999, nous sommes en 2024 et il y a maintenant 7 millions de personnes déplacées dans l'est du Congo et environ 150 groupes armés.
Le bilan est donc négatif. Quand on rapporte ce bilan au coût, c'est-à-dire 1 milliard de dollars par an, on se rend bien compte de la situation.
Je voudrais remercier chaleureusement le Comité de cette invitation à venir parler de la coopération avec le continent africain.
Comme je le dis dans mon texte préliminaire, il est évident que, parler de coopération avec l'Afrique, c'est accepter d'entreprendre une déconstruction de la vision qu'on a de l'Afrique et surtout prendre l'Afrique telle qu'elle est et non pas telle qu'elle n'est pas ou telle que l'on voudrait qu'elle soit. C'est très important. Autrement, on voit énormément de préjugés.
Il y a aussi l'état de l'opinion de plus en plus critique de l'Occident, de manière générale, et une approche qui s'inscrit dans ce qu'on peut appeler l'opinion du Sud global.
Parler de coopération avec l'Afrique, c'est s'engager dans une stratégie mutuellement bénéfique, à la fois pour les pays du Nord et pour les pays africains.
Il y a aussi un autre élément qui est très important. L'intervenant précédent en a parlé, je crois. Il s'agit d'avoir une politique multilatérale qui prenne en compte les choix du continent africain, qui sont mis en œuvre dans le cadre d'un programme global, une stratégie d'ensemble, soit l'Agenda 2063. Ce dernier contient des objectifs très clairs et des attentes. On pourra revenir là-dessus.
Comme je l'ai dit, cette coopération avec l'Afrique est alimentée par des préjugés. On pense de l'Afrique que c'est le continent des catastrophes, qu'il y a une absence d'innovation et une absence de prise en main, qu'elle est une abonnée permanente à une assistance de tous ordres.
Cela fait en sorte que peu d'attention est accordée à l'expertise et aux désidératas des populations africaines, alors qu'il y a une très forte expertise sur le continent.
De la même manière, on fait peu attention aux opinions et aux désidératas qui sont exprimés et qui sont de plus en plus mesurés, quantifiés, saisis par des instruments qu'offre, par exemple, le réseau Afrobaromètre. Celui-ci arrive à mener une consultation auprès de 39 pays, avec un échantillon de 50 000 personnes, par exemple. Dans le cas du Mali, je dirais qu'il y a des stratégies pour prendre en compte l'opinion de la population.
Cela dit, sur quoi peut-on mettre l'accent?
Il faut constater que les défis liés au développement économique et social, à moyen et à plus long terme, qui sont formulés par le pays concerné doivent demeurer au premier plan de la politique étrangère du Canada. Ils ne doivent pas être marginalisés par les problèmes liés à la sécurité. De plus en plus souvent, c'est sous ce seul angle que l'on voit le continent africain, alors qu'il faut aussi considérer d'autres pans de la politique, comme la politique sociale et la politique économique.
De plus, il y a cette tendance à isoler, je dirais, les régimes qui sont issus de coups d'État. On les marginalise. Or, marginaliser un régime politique, c'est aussi marginaliser des populations. Ces dernières demandent plutôt à être accompagnées dans une perspective de changement, à moyen terme, afin de garder ouvert l'espace politique. C'est très important, parce que l'auteur du coup d'État veut se maintenir au pouvoir coûte que coûte.
Prenons le cas d'un pays que je connais un peu plus, le Burkina Faso. Dans ce pays, il y a 2 millions de personnes déplacées à l'interne. On en parle très peu. C'est plus de 4 500 écoles qui sont fermées.
Comment les populations vivent-elles les problèmes liés à la sécurité? Ce ne sont pas des âmes, elles n'attendent pas d'être délivrées. Pour aborder la question de la sécurité, il faut adopter ce que nous appelons dans notre jargon une approche par le bas.
Adopter une approche par le bas signifie de voir la manière dont les citoyens perçoivent ou vivent les problèmes en matière de sécurité. Ces problèmes comprennent les attaques armées, les crimes organisés et l'insécurité alimentaire.
Prenons le cas du Burkina Faso. Selon les estimations dont fait état l'Indice mondial du terrorisme, 25 % des actes terroristes qui ont eu lieu dans le monde en 2023 ont eu lieu au Burkina Faso. C'est le quart de tous les actes terroristes.
Il y a aussi le fait de travailler à la consolidation du tissu économique des pays africains. Cela signifie aussi de revoir, par exemple, les traités bilatéraux. Ceux-ci favorisent, par des accords léonins, les investisseurs privés.
Le fait de signer des traités bilatéraux d'investissement, par exemple, a des implications directes sur les politiques des pays en développement, par exemple sur le plan de l'achat de biens et de services. De plus, cela a une incidence à long terme sur l'émergence des politiques de développement économique.
Un autre élément qui soulève des débats dans les relations entre le Canada et l'Afrique, c'est la manière dont les compagnies minières se conduisent sur le continent. Par exemple, il existe un code minier africain, mais il n'est pas toujours respecté. Tout le monde le sait.
Le Canada s'est doté d'un ombudsman afin de s'assurer que les compagnies minières rendent des comptes...
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Bonjour et merci beaucoup.
Monsieur le président Ali Ehsassi, monsieur le vice-président Michael Chong, monsieur le et distingués membres du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international de la Chambre des communes, je suis extrêmement honoré et reconnaissant de cette occasion unique de témoigner au sujet de l'approche du Canada à l'égard de l'Afrique.
Je suis le professeur Landry Signé, chercheur principal à la Brookings Institution, mais aussi directeur administratif et professeur titulaire à la Thunderbird School of Global Management ainsi que coprésident du Groupe d'action régionale pour l'Afrique du Forum économique mondial.
Il est temps que le Canada prenne la place qui lui revient en Afrique, car bon nombre de puissances mondiales, traditionnelles et émergentes, se font concurrence pour tirer parti de l'énorme potentiel économique de l'Afrique, le prochain marché mondial en croissance.
J'aimerais vous faire part de quelques tendances clés. D'ici 2030, les dépenses de consommation combinées en Afrique dépasseront les 6,7 billions de dollars américains pour 1,7 milliard de personnes. D'ici 2050, les dépenses combinées des consommateurs et des entreprises en Afrique dépasseront les 16,12 billions de dollars américains pour 2,53 milliards de personnes, et d'ici la fin du siècle, l'Afrique comptera pour environ 40 % de la population mondiale. En 2024, 12 des économies mondiales affichant la croissance la plus rapide seront en Afrique. Leur continent est la deuxième région du monde en importance au chapitre de la rapidité de la croissance.
Il y a aussi une tendance à l'expansion des partenariats mondiaux et continentaux de l'Afrique. Avec le lancement de la Zone de libre-échange continentale africaine, l'Afrique représente maintenant la plus grande zone de libre-échange du monde. Cet accord pourrait sortir environ 30 millions d'Africains de la pauvreté, accroître les revenus de 68 millions d'autres Africains, augmenter d'au moins 560 milliards de dollars la valeur des exportations et générer plus de 450 milliards de dollars de gains potentiels pour les économies africaines d'ici 2035, selon l'étude de la Banque mondiale.
Le Canada a conservé un avantage concurrentiel en s'associant à l'Afrique et en faisant progresser le commerce et les investissements canadiens sur le continent tout en contribuant à la prospérité de la majorité des Africains, assurant ainsi une prospérité mutuelle.
Je serai ravi de vous en dire davantage sur des secteurs précis au cours de la conversation, mais permettez-moi de terminer en vous faisant part de quelques recommandations en particulier.
Il est important que le Canada élabore un nouveau type de diplomatie commerciale permettant de cerner et de développer l'énorme potentiel de chaque secteur de l'économie africaine. Les entreprises canadiennes méritent de mieux comprendre la dynamique en Afrique et les possibilités qui existent sur le continent. Le Canada peut également mettre à profit son secteur des études supérieures pour offrir de la formation technique et des possibilités de recyclage professionnel afin de combler le fossé numérique. De la même façon, il est possible de miser sur la diaspora africaine.
Je suis né au Cameroun, mais je suis également un fier Canadien. J'ai reçu la bourse Banting, décernée aux postdoctorants les meilleurs et les plus brillants. Le Canada m'a offert une occasion exceptionnelle, et la plupart des Africains de la diaspora sont reconnaissants et prêts à redonner au Canada.
En conclusion, en agissant rapidement et en établissant des partenariats transformateurs alignés sur les valeurs africaines, le Canada a l'occasion non seulement de promouvoir ses propres intérêts, mais aussi de contribuer à la transformation de l'Afrique, que ce soit dans les domaines des transports, de la logistique, des produits pharmaceutiques, de l'agriculture ou de l'automobile, entre autres.
Je vais en rester là pour l'instant. Je suis prêt à prendre part à cette conversation des plus stimulantes.
Je vous remercie encore une fois de m'avoir offert cette occasion.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins d'être des nôtres aujourd'hui.
Ce témoignage démontre que le Canada a assurément pris du retard, comme on l'a vu dans plusieurs secteurs. Si on se penche sur un seul aspect, le commerce, on constate que les États‑Unis ont conclu 1 800 ententes dans 49 pays et font des échanges commerciaux d'une valeur d'environ 85 milliards de dollars. La valeur des échanges commerciaux s'élève à 257 milliards de dollars dans le cas de la Chine — tous ces chiffres datent de 2022 —, et pour ce qui est du Canada, je crois qu'elle atteint 9,4 milliards de dollars. C'est donc dire que nous avons du rattrapage à faire. Cette étude arrive à point nommé.
Je suis prêt à entendre des arguments contraires, mais je crains qu'on ratisse trop large lors de l'élaboration d'une stratégie.
Je vais commencer par vous poser une question à tous les deux. En élaborant cette stratégie, le Canada devrait‑il avoir une approche ciblée et stratégique ou ratisser beaucoup plus large en essayant de viser 54 pays et de multiples secteurs? Il y a le commerce, la sécurité et le développement. Quelle devrait être notre approche globale?
Commençons par M. Mandé, puis nous passerons à M. Signé.
C'est une question extrêmement importante. Je pense qu'il faudrait mettre l'accent sur le commerce et l'investissement. Les pays africains ont besoin de plus de commerce et d'investissements, et je pense que c'est ce qui contribue le mieux à promouvoir les intérêts mutuels entre les entreprises africaines et canadiennes, mais aussi entre les citoyens.
Permettez-moi de vous donner un exemple très précis au sujet de l'approche sectorielle. La Zone de libre-échange continentale africaine est en train de créer un marché unique. On ne parle donc plus de 55 pays, mais d'un seul marché. À ce jour, 54 des 55 États membres de l'Union africaine ont signé l'accord sur la Zone de libre-échange continentale africaine. C'est donc un des aspects à considérer.
Pour être précis en ce qui concerne certains secteurs, dans l'industrie automobile, par exemple, l'Afrique aura besoin de quatre à cinq millions de véhicules d'ici 2035, ce qui signifie que, sur ce seul continent, on pourrait encore construire environ 20 usines de fabrication complètes dans l'industrie automobile. Puisqu'on parle d'agriculture ou d'agro-industrie, ici, on prévoit également que la valeur du marché atteindra 1 billion de dollars américains d'ici 2030, et le Canada a également un avantage exceptionnel à cet égard. En ce qui concerne le transport et la logistique, pour le commerce africain, le continent aura besoin d'environ 2 millions de nouveaux camions, de 100 000 wagons de chemin de fer, de 250 avions et de plus de 100 navires d'ici 2030.
Ce sont des domaines où le Canada a un avantage concurrentiel durable et où il est possible de commencer dès aujourd'hui, sans attendre à demain. Il est possible d'en arriver à une entente dès aujourd'hui. Tant que la règle d'origine est respectée, commencer dans un pays donné permet d'accéder à tout le continent.
Je serais ravi de vous en dire davantage à ce sujet. Mon dernier livre, Unlocking Africa's Business Potential, présente bon nombre de ces tendances.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Bienvenue à notre comité, messieurs Mandé et Signé.
Monsieur Signé, je vais continuer sur la même lancée.
Vous avez mentionné votre livre, qui s'intitule Unlocking Africa's Business Potential. Dans cet ouvrage, vous dites que l'agriculture est un secteur intéressant pour ceux qui voudraient augmenter les échanges commerciaux avec le continent africain. Vous parlez aussi de risques.
Pourriez-vous nous parler de ces risques par rapport aux secteurs que vous avez mentionnés?
Je vous demanderais d'être bref, parce que j'aimerais vous poser deux autres questions.
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C'est tout à fait le cas.
Je souhaite d'abord vous remercier. Je suis très impressionné que vous ayez lu plusieurs de mes écrits avant la séance. J'en suis très honoré.
L'un des fondateurs de la Thunderbird School of Global Management a dit:
[Traduction]
« Les frontières par où passe le commerce ont rarement besoin de soldats. »
[Français]
Cela signifie que les échanges commerciaux réduisent la probabilité de conflit entre les pays. Je partage cet avis.
D'un côté, pour mettre en œuvre avec succès la zone de libre-échange, il est important qu'il règne la paix et la sécurité. Sinon, la participation des investisseurs sera plus difficile.
De l'autre, le renforcement des liens créé par ces échanges commerciaux réduit la probabilité de guerre ou de conflit, qui est minime là où il y a des intérêts communs.
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Je vous remercie de votre question. Il se trouve que je suis aussi un « migratologue ».
La question de la migration et du développement, telle qu'on la conçoit aujourd'hui, devrait être à la fois gagnante pour l'immigrant et pour l'État qui le laisse partir, puisqu'il a investi dans son éducation, ainsi que pour l'État qui le reçoit, puisque, ce qui l'intéresse, c'est l'expertise apportée dans la communauté. C'est ce qui permettrait d'avoir une stratégie gagnante.
Pour ce qui est de la mobilité du personnel soignant, je vous renvoie aux recherches qui ont été faites par l'Organisation mondiale de la santé, selon lesquelles la solution n'est pas de déplacer des populations formées pour les communautés des pays d'origine, mais plutôt, comme cela a été fait au Ghana et au Zimbabwe, d'avoir des écoles pour former des infirmières et des infirmiers pour les pays du nord.
En Afrique et dans les pays du sud en général, on a ses propres stratégies en matière de santé publique. Quand on déracine des gens, il faut les former à nouveau quand ils arrivent ici. Il faut donc avoir une stratégie pour former le personnel destiné aux soins de santé dans le nord. Il y a pléthore de jeunes candidats africains.
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Cela a effectivement créé des frustrations.
Personnellement, je me suis intéressé à cette question au sein de l'Université, et je me suis beaucoup impliqué à la Commission des études. Les frustrations viennent aussi de l'image du Canada.
À mon avis, il y a une occasion à saisir, dans la mesure où il y a une désaffection des étudiants africains à l'égard de la France, qui est le traditionnel pays d'accueil de ces étudiants. Les étudiants francophones étaient prêts à venir au Québec.
Il faut aussi revoir le discours que l'on entend souvent. Ces étudiants étrangers n'enlèvent rien à personne. Un étudiant d'origine étrangère paie 2 500 $ par cours, à l'UQAM, alors qu'un étudiant québécois paie 400 $, ce qui est normal parce qu'il paie ses impôts ici.
Cela dit, la différence permet aussi de donner des bourses à des étudiants québécois. C'est...
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Merci beaucoup de m'avoir donné l'occasion de participer. Je saluerai M. McArthur. Son bureau n'est pas loin du mien.
C'est une question extrêmement importante, car les pays les plus fragiles sont aussi ceux où il y a la plus forte concentration de pauvreté, plus particulièrement de pauvreté extrême, et où la pauvreté extrême est également susceptible de croître au cours des prochaines décennies.
Qu'on ne fournisse pas de ressources à ces pays est assez alarmant. C'est en partie en raison d'un manque de sensibilisation. Il y a moins de motivation politique et moins de conséquences à l'inaction, parce que le grand public s'en soucie généralement moins. En matière de politique publique, j'aime employer l'approche Kingdon, qui tient compte de l'interrelation entre les problèmes, les stratégies et les politiques. C'est une situation où le problème, la solution et la sensibilisation du public sont interreliés. Voilà un aspect à considérer.
Pour ce qui est des solutions, dans le chapitre du livre auquel vous faites allusion, je propose une approche urbaine par opposition à la plupart des approches qui considèrent le pays d'un point de vue central. Bon nombre des problèmes sont liés à la ville ou à des régions précises, ce qui permet de cibler plus efficacement les solutions. Je propose aussi une approche axée sur le commerce pour résoudre le problème de fragilité, car si on se concentre uniquement sur les intervenants du secteur public, qui, dans bien des cas, contribuent aussi aux problèmes, on laisse de côté des citoyens, notamment les entrepreneurs, les jeunes et les femmes, qui prennent part à 80 % des échanges commerciaux transfrontaliers, entre autres, et qui sont aussi les plus touchés dans ces domaines. Ce sont les deux principaux aspects à considérer.
Troisièmement, il faut se concentrer sur la mise en œuvre. Bien des politiques sont élaborées et généralement copiées d'un pays à un autre ou d'un programme à un autre sans qu'on tienne suffisamment compte de la complexité du contexte, y compris à l'intérieur d'un pays ou d'une région en particulier. Ce qui fonctionne au Mali ne fonctionnera pas nécessairement au Burkina Faso. Par exemple, au Cameroun, ce qui fonctionne dans la partie nord pourrait ne pas fonctionner dans la partie sud ou à Bamenda. Ce qui fonctionne à Douala pourrait ne pas fonctionner à Bamenda. Il est important de tenir compte du contexte, non seulement à l'échelle du continent ou du pays, mais aussi à l'intérieur d'un pays donné.