Passer au contenu

FAAE Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain
Passer à la navigation dans le document Passer au contenu du document






Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 005 
l
1re SESSION 
l
44e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 10 février 2022

[Enregistrement électronique]

(1540)

[Traduction]

    Madame la greffière, si nous sommes prêts et que nous avons le quorum, je déclare la séance ouverte.

[Français]

     Chers collègues, nous tenons aujourd'hui la cinquième réunion du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international.
    Conformément à la motion adoptée le 31 janvier 2022, le Comité se réunit dans le cadre de son étude sur la situation à la frontière russo-ukrainienne et ses répercussions sur la paix et la sécurité.

[Traduction]

    Pour assurer le bon déroulement de la séance, j'aimerais présenter quelques règles à suivre.
    Tout d'abord, veuillez noter qu'il est interdit de faire des captures d'écran ou de prendre des photos de votre écran.

[Français]

    Les députés et les témoins peuvent s'exprimer dans la langue officielle de leur choix. Les services d'interprétation sont disponibles pour cette réunion. Vous pouvez choisir entre le parquet, l'anglais et le français au bas de votre écran. Si l'interprétation ne fonctionne pas, veuillez m'en informer immédiatement.

[Traduction]

    Les membres du Comité qui sont sur place sont priés de respecter les lignes directrices du Bureau de régie interne sur l'utilisation du masque et les protocoles de santé en vigueur. En ma qualité de président, je veillerai au respect de ces mesures pendant la réunion et je vous remercie à l'avance de votre coopération.
     Avant de prendre la parole, veuillez attendre que je vous nomme. Lorsque vous parlez, exprimez-vous lentement et clairement, et lorsque vous ne parlez pas, assurez-vous de mettre votre micro en sourdine. Je rappelle également aux membres et aux témoins que toutes les observations doivent être adressées à la présidence.
     Avant de passer à notre premier groupe de témoins, et pour faire suite aux observations de M. Morantz, je veux simplement confirmer rapidement que les membres sont d'accord pour reporter de deux semaines, soit au 25 février, la date limite des propositions de témoins pour les études sur Taïwan et l'équité en matière de vaccins, qui est actuellement vendredi prochain.
     Y a‑t‑il consentement unanime des membres à l'égard de ce changement?
    Des voix: D'accord.
    Le président: Est‑ce que quelqu'un s'y oppose?
     En l'absence d'opposition, nous avons approuvé ce changement.
    J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à nos témoins du premier groupe.
     Nous accueillons M. Marcus Kolga, directeur de DisinfoWatch; M. Ihor Michalchyshyn, directeur excutif et directeur général du Congrès des Ukrainien-Canadiens, ainsi que M. William Browder d'Hermitage Capital Management, également chef de Global Magnitsky Justice Campaign.
    Vous aurez chacun cinq minutes pour faire votre déclaration préliminaire. Ce qui a bien fonctionné par le passé pour faire respecter cette consigne est que je vous avise, de façon très analogue et au moyen de ce carton jaune, qu'il vous reste 30 secondes pour terminer. Lorsque vous voyez ce carton, vous avez 30 secondes pour conclure votre exposé. Cela s'applique également aux périodes de questions et réponses qui suivront.
    Sans plus tarder, j'aimerais inviter M. Kolga à faire sa déclaration préliminaire de cinq minutes.
     Monsieur Kolga, nous vous écoutons.
    Merci, monsieur le président et distingués membres du Comité.
     J'aimerais vous parler aujourd'hui de la menace posée par les activités d'influence et d'information russes, que l'on appelle de manière générale la guerre cognitive, et de la façon dont le Canada et ses intérêts sont ciblés dans le contexte de la crise en Ukraine.
     Monsieur le président, plus tôt cette semaine, une boulangerie torontoise appartenant à une famille de Canadiens d'origine ukrainienne a été vandalisée avec des graffitis qui disaient « F Ukraine and Canada » et « Russia is power ».
     La police mène actuellement une enquête sur ce qui semble être un crime haineux, mais les messages peints sur les murs de la Future Bakery sont cohérents avec les discours anti-ukrainiens véhiculés par les médias d'État russes.
    Des attaques reflètent la guerre cognitive menée par le Kremlin contre l'Ukraine et, de façon plus générale, contre la communauté des démocraties occidentales. Au cours des six derniers mois, l'escalade des tensions entre le gouvernement russe et l'Ukraine et l'OTAN s'est accompagnée d'une intensification de la guerre de l'information menée par les médias d'État russes et par les partisans et les agents du Kremlin ici au Canada.
     Les mêmes faux discours véhiculés par la Russie lors de l'invasion de la Crimée et de l'est de l'Ukraine en 2014 ont refait surface dans le but d'affaiblir le soutien du Canada et des alliés envers l'Ukraine.
     Un de ces messages empoisonnés est que la politique étrangère du Canada est contrôlée par des groupes de la diaspora ukrainienne, de l'Europe centrale et de l'Est. Des extrémistes ont utilisé dans le passé des théories du complot de ce genre pour marginaliser et réduire au silence d'autres groupes minoritaires. Ces discours complotistes menacent de délégitimer le statut des Canadiens d'origine ukrainienne, de les reléguer à un statut inférieur, d'en faire des citoyens dont la voix n'est pas considérée comme égale à celle des autres Canadiens. Museler la voix de cette communauté dans le discours public canadien est précisément ce que recherche Vladimir Poutine.
    Bill Browder, que vous entendrez dans un instant, est constamment visé par la désinformation de l'État russe. Un récent reportage de la télévision russe a laissé entendre qu'il était le cerveau derrière le récent soulèvement au Kazakhstan. Pendant qu'il militait en faveur de la loi canadienne Magnitski sur les droits de la personne en 2016, les médias d'État russes ont accusé M. Browder d'être un agent de la CIA dans un documentaire pervers visant à le discréditer, lui et d'autres militants russes anticorruption comme Alexei Navalny. Discréditer les critiques par le dénigrement et les faussetés est une tactique de l'ère soviétique que Vladimir Poutine a fait renaître.
     Pendant la guerre froide, les autorités soviétiques qualifiaient sans discernement de fascistes et de sympathisants nazis ceux qui résistaient à la répression et à l'occupation soviétiques, une tactique reprise par le Kremlin pour discréditer les partisans de la démocratie ukrainienne au sein de la communauté ukrainienne au Canada.
     La semaine dernière, un député canadien a publié un gazouillis reprenant l'affirmation qu'un prêt de 120 millions de dollars à l'Ukraine récemment annoncé par le Canada profiterait à un gouvernement dirigé par une « milice néo-nazie ». C'est de la désinformation. Le gouvernement de l'Ukraine est, bien sûr, démocratiquement élu et son président est membre de la communauté juive ukrainienne.
     Il convient de noter que le gouvernement russe a directement financé des partis extrémistes tels que le Front national en France, la Ligue en Italie, Jobbik en Hongrie, des groupes en Autriche, et d'autres groupes.
     Dans un contexte géopolitique élargi, les discours de l'État russe tentent de miner la confiance des Canadiens dans l'OTAN et, par le fait même, d'affaiblir la cohésion au sein de l'alliance transatlantique. Ces discours incluent notamment de fausses allégations sur un engagement de l'OTAN à rejeter les demandes d'adhésion des pays d'Europe de l'Est et d'Europe centrale dans les années 1990. Ceci a été démenti par Mikhaïl Gorbatchev, mais c'est le prétexte utilisé par Vladimir Poutine pour justifier l'escalade actuelle des opérations contre l'Ukraine.
     La désinformation du gouvernement russe est souvent diffusée par ses canaux médiatiques dans les systèmes de télévision par câble et par satellite appartenant à des intérêts canadiens et contrôlés par ces derniers. Selon un rapport de 2017, Russia Today, connu sous le nom de RT, paie les câblodistributeurs canadiens pour l'inclure dans leurs forfaits de câblodistribution, ce qui permet de transmettre la désinformation russe à sept millions de foyers canadiens.
     Pendant la pandémie de COVID‑19, RT et des agents liés au Kremlin et actifs dans l'écosystème de désinformation de la Russie ont diffusé des discours visant à ébranler la confiance à l'égard des vaccins occidentaux. Ils présentent les manifestations contre les protocoles gouvernementaux de lutte contre la COVID‑19 comme des actes louables de désobéissance civile. En fait, même l'ambassade de Russie au Canada a directement encouragé l'hésitation à l'égard des vaccins occidentaux sur son site Web.
     Permettez-moi d'être très clair. La guerre cognitive du Kremlin ne partage aucune idéologie avec un parti ou un mouvement politique canadien. Elle les exploite. La pandémie a donné l'occasion au gouvernement russe de manipuler les sociétés occidentales et leurs tensions internes par l'entremise de théories du complot et de discours antigouvernementaux.
    Les manifestations à Ottawa ne font pas exception. Elles sont aussi ciblées par les médias d'État russes et leurs agents. Les préoccupations et les émotions des Canadiens qui se sentent réellement marginalisés par les mandats de lutte contre la COVID‑19 sont exploitées de façon à accroître leur méfiance à l'égard de nos gouvernements, des médias et des autres Canadiens.
     Un rapport publié par Facebook en 2021 indique que la Russie est le plus grand producteur de désinformation sur sa plateforme. Nous pouvons prendre certaines mesures pour appuyer la souveraineté de l'Ukraine tout en protégeant notre démocratie. Nous pouvons notamment cibler la richesse de Vladimir Poutine et le soutien de l'oligarchie corrompue, et saisir les actifs de Poutine à l'étranger, y compris les centaines de millions de dollars cachés ici même au Canada.
(1545)
    En outre, un groupe de travail devrait être formé afin d'élaborer une stratégie nationale de défense cognitive pour aider les Canadiens à comprendre et à reconnaître les menaces associées aux activités d'influence et d'information étrangères et fournir des ressources pour protéger notre démocratie.
    Merci beaucoup. Je répondrai avec plaisir à vos questions.
    Merci beaucoup, monsieur Kolga, et merci d'avoir respecté le temps accordé.
     Je cède maintenant la parole à M. Michalchyshyn pour sa déclaration préliminaire de cinq minutes.
    Je vous remercie de m'avoir invité à venir ici aujourd'hui.
     Comme les membres du Comité le savent, le Congrès des Ukrainien-Canadiens est la fédération des organisations ukrainiennes canadiennes ici au Canada. Nous parlons au nom d'une communauté qui compte 1,4 million de personnes. Nous attendons avec impatience les résultats du recensement et nous espérons que ce nombre sera encore plus élevé.
     Je suis ici aujourd'hui pour vous parler de la crise de la sécurité en Ukraine et en Russie.
     Comme vous le savez, en février 2014, la Russie a envahi l'Ukraine et occupe depuis ce temps la Crimée et certaines parties des oblasts ukrainiens orientaux de Donetsk et de Louhansk; elle a aussi continué à alimenter une guerre dans l'est de l'Ukraine, où plus de 13 000 personnes ont été tuées, 30 000 personnes ont été blessées et 1,5 million de personnes ont été déplacées à l'intérieur du pays.
     En novembre 2021, la Russie a recommencé à intensifier ses mouvements de troupes près des frontières de l'Ukraine. Une série de discussions diplomatiques tenue entre les États‑Unis, l'OTAN, les États membres de l'UE, l'Ukraine et la Russie n'a abouti à aucun résultat concret ou engagement russe à désamorcer l'agression contre l'Ukraine.
     Le Congrès des Ukrainien-Canadiens et notre communauté croient fermement qu'il est temps que le Canada en fasse davantage pour dissuader l'invasion russe plutôt que d'attendre qu'elle se produise. Nous croyons que la façon la plus efficace d'empêcher une nouvelle invasion russe est de prendre des mesures proactives plutôt que réactives. Nous saluons la prolongation et l'élargissement de l'opération Unifier, la mission de formation militaire du Canada en Ukraine, annoncée par le gouvernement le 26 janvier.
     À long terme, la prolongation et l'élargissement de cette mission renforceront considérablement les défenses de l'Ukraine. Cependant, la menace d'une invasion russe augmente chaque jour, et les forces armées ukrainiennes ont encore plus besoin de notre aide aujourd'hui. Plus d'une douzaine de pays, y compris des alliés du Canada au sein de l'OTAN, fournissent des armes défensives aux forces armées ukrainiennes en réponse à la récente escalade de l'agression et des menaces de la Russie contre l'Ukraine.
    La menace d'invasion est grave et la Russie est prête à envahir à tout moment. Les Ukrainiens ne demandent à personne de se battre pour eux, mais ils ont besoin de notre aide pour défendre leur pays contre la puissance coloniale qui souhaite rétablir sa domination. Nous savons que le gouvernement de l'Ukraine a demandé l'aide du gouvernement du Canada pour obtenir des armes défensives.
     Deuxièmement, nous croyons que des sanctions priveront l'État russe de revenus nécessaires pour mener une guerre et qu'elles renforceront le message que l'Occident est déterminé à lutter contre l'agression russe. Le Congrès exhorte le Comité des affaires étrangères à appuyer la livraison d'armes défensives supplémentaires et l'adoption de sanctions plus sévères contre la Russie et ses dirigeants.
     Nous avons mené un sondage d'opinion les 20 et 21 janvier, et nous l'avons communiqué aux députés. Les résultats montrent que trois Canadiens sur quatre appuient ou sont disposés à appuyer la fourniture d'armes défensives par le Canada à l'Ukraine. Le nombre de Canadiens, soit 42 %, qui appuient explicitement la fourniture d'armes est presque deux fois plus élevé que le nombre de Canadiens qui s'y opposent, soit 23 %.
     La fin de semaine dernière, vous avez pu voir des Canadiens d'origine ukrainienne d'une trentaine de collectivités des 10 provinces se réunir pour exprimer leur appui à l'Ukraine et à la fourniture d'armes défensives par le Canada. De St. John's à Victoria, les Canadiens ont fortement appuyé cette campagne, et nous ne comprenons pas pourquoi le gouvernement canadien continue de refuser de se joindre à ses alliés de l'OTAN dans cette importante initiative visant à soutenir l'indépendance de l'Ukraine.
     Une enquête publiée le 9 février par le Conseil européen pour les relations internationales a également révélé que les citoyens européens considèrent que l'OTAN est l'organisation la mieux placée pour défendre l'Ukraine. Parmi les répondants, 62 % ont déclaré que l'OTAN devrait venir en aide à l'Ukraine si la Russie envahissait le pays.
     En résumé, et je sais que notre prochain intervenant vous parlera davantage des sanctions, nous croyons que des sanctions plus sévères contre la Russie auront deux résultats. Elles priveront l'État russe de revenus pour poursuivre la guerre, et elles renforceront le message selon lequel l'Occident est résolu à répondre à l'agression russe. Les sanctions personnelles doivent être élargies aux responsables des violations flagrantes des droits de la personne commises contre des citoyens ukrainiens, et le Canada devrait cibler les oligarques proches du régime russe, de riches gens d'affaires qui soutiennent le régime Poutine et qui détiennent d'importants actifs en Occident.
(1550)
    Merci beaucoup, monsieur Michalchyshyn. Je vous remercie également d'avoir respecté le temps prévu; en fait, vous avez pris un peu moins de cinq minutes.
     J'invite maintenant M. Browder à faire sa déclaration préliminaire de cinq minutes.
    Merci beaucoup de me donner l'occasion de témoigner cet après-midi au sujet de la terrible situation en Ukraine.
     Je suis ici pour vous parler plus précisément des sanctions.
     Comme certains d'entre vous le savent, c'est moi qui suis à l'origine de la loi Magnitski. Sergueï Magnitsky était mon avocat en Russie. Il a été assassiné le 16 novembre 2009. Après son assassinat, j'ai cherché un moyen de demander justice en son nom. L'idée est née parce qu'il n'y avait aucun autre moyen d'obtenir réparation. Nous avons pensé à geler les avoirs et à interdire les déplacements des responsables de son meurtre.
     J'ai d'abord présenté cette idée aux États-Unis et, de façon vraiment bipartisane, la loi Magnitski a été adoptée en 2012 par 92 voix contre 4 au Sénat et 89 % à la Chambre des représentants. Elle est entrée en vigueur le 14 décembre 2012.
     L'adoption de cette loi a rendu Vladimir Poutine furieux et, en guise de représailles, il a interdit l'adoption d'orphelins russes par des familles américaines. Par la suite, il a traduit Sergueï Magnitsky en justice dans le cadre du premier procès de l'histoire de la Russie contre un homme mort, et il m'a poursuivi en tant que coaccusé de Sergueï Magnitsky. Nous avons tous deux été reconnus coupables.
     Ils ne pouvaient rien faire de plus contre Sergueï, mais ils m'ont condamné à neuf ans d'emprisonnement in absentia et ils me pourchassent dans le monde depuis ce temps. Ils ont lancé huit mandats d'arrestation Interpol contre moi, et ils ont demandé mon extradition à maintes reprises au gouvernement britannique. Ils ont proféré des menaces de mort, etc. Me poursuivre est devenu un travail à temps plein pour plusieurs membres du gouvernement russe.
     Nous savons donc qu'avec la loi Magnitski, nous avons touché une corde sensible. Nous savons que nous avons trouvé quelque chose qui dérange vraiment. En fait, c'est probablement la corde la plus sensible qui soit puisque Poutine a déclaré que sa principale priorité en matière de politique étrangère était de faire révoquer la loi Magnitski et d'empêcher son adoption par d'autres pays.
     Pourquoi cette loi dérange‑t‑elle Poutine à ce point? Elle le dérange parce que c'est un kleptocrate qui a volé énormément d'argent au peuple, à l'État et aux oligarques russes. Je dirais que sa fortune est d'environ 200 milliards de dollars, mais pas un sou de cet argent n'est à son nom. Les fonds sont au nom des gens en qui il a confiance et que je qualifie d'« oligarques fiduciaires ».
    Au moment où nous examinons la situation en Ukraine, les discussions sont nombreuses et on se demande ce que l'on peut faire pour empêcher Vladimir Poutine d'envahir l'Ukraine. La seule chose que je peux dire, c'est qu'il faut trouver quelque chose qui lui tient à cœur, et nous savons ce que c'est. Il tient à son argent, et il tient à l'argent qu'il possède par l'entremise de ces fiduciaires.
     Sur le plan des politiques, la seule politique que je recommande — je le recommande ici en ce moment même, et je l'ai recommandé au Royaume-Uni et aux États-Unis — en plus de toutes les autres stratégies militaires, etc., est de s'attaquer aux personnes qui détiennent son argent pour lui. J'ai été entendu au Royaume-Uni et aux États-Unis, ces deux pays ayant déclaré au cours des 10 derniers jours qu'ils sanctionneraient les oligarques qui gèrent l'argent de Poutine.
    C'est très intéressant, car dimanche dernier, la secrétaire britannique aux Affaires étrangères, Liz Truss, a fait une déclaration, et peu de temps après, Vladimir Poutine est sorti de son mutisme pour parler publiquement pour la première fois de la situation en Ukraine. Il n'avait pratiquement pas été vu pendant le mois précédent et n'avait pas dit un mot sur l'Ukraine. Il est finalement apparu parce que nous avons enfin touché son talon d'Achille.
     Au moment où nous tentons d'établir comment répondre, je recommande de dresser une liste des 50 plus grands oligarques qui s'occupent de l'argent de Poutine. Il n'y a aucun mystère quant à leur identité — plusieurs personnes, notamment Alexei Navalny, le chef de l'opposition actuellement emprisonné, et bien d'autres ont dressé cette liste — et nous imposons des sanctions Magnitski à ces oligarques.
(1555)
    Nous commençons par viser cinq de ces personnes avant qu'une invasion ne se produise pour montrer à Poutine que nous sommes sérieux. Nous l'informons ensuite que si ses troupes n'ont pas quitté la frontière dans les 10 jours qui suivent, 5 autres personnes feront l'objet de sanctions. Si l'invasion se produit, nous viserons les 40 autres. Je crois que cela arrêterait Poutine et qu'il n'envahirait pas l'Ukraine.
    Merci beaucoup. Je remercie tous les témoins de leurs exposés.
     Nous allons maintenant passer aux questions des députés. Nous aurons quatre intervenants au premier tour et chacun aura six minutes.
     Je vais d'abord laisser la parole à M. Morantz pour six minutes.
    Par votre entremise, monsieur le président, je m'adresserai d'abord à M. Browder, mais avant de poser ma question, je veux dire que j'ai eu l'occasion de lire le livre de M. Browder, Red Notice. J'en recommande la lecture à tous les membres du Comité. C'est un récit révélateur de la brutalité du régime russe sous Vladimir Poutine et un hommage à l'ami et avocat de M. Browder, Sergueï Magnitsky.
     Monsieur Browder, je vous félicite d'avoir écrit ce livre et de tout ce que vous avez accompli.
(1600)
    Merci.
    Pour commencer, j'aimerais savoir ce que vous pensez du bilan du gouvernement canadien actuel en ce qui concerne le recours à la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus, ou loi Magnitski. Que pensez-vous du bilan du gouvernement canadien à ce jour?
    La loi canadienne de Magnitski a été adoptée en novembre 2017, et je pensais qu'il serait très difficile d'inscrire des gens sur la liste, mais environ 10 jours après son adoption, le gouvernement canadien a sanctionné ceux qui ont tué Sergueï Magnitsky, les personnes impliquées dans le meurtre de Jamal Khashoggi, certains délinquants vénézuéliens et des fonctionnaires du Myanmar ayant participé au génocide des Rohingyas. J'ai trouvé que c'était un très bon signe et que le Canada agissait comme un chef de file mondial dans ce domaine.
     Il y a eu une autre série de sanctions, puis de 2018 à aujourd'hui, la loi canadienne Magnitski n'a pas été utilisée. Cela m'irrite et me trouble beaucoup parce que cela ne cadre pas à la perception que j'avais eue du Canada lors de ma participation au processus de promotion. C'est contre-productif au plan mondial si nous sommes dans une situation exigeant que des sanctions multilatérales soient imposées; lorsque les États-Unis, le Royaume-Uni et d'autres pays le font, le Canada devrait se joindre à eux.
     Il y a eu plusieurs cas dans lesquels des pays ont imposé des sanctions à des gens méprisables qui commettent des atrocités, et le Canada n'a pas appuyé ses alliés. Je pense qu'il faudrait examiner cette question, et qu'il est nécessaire de le faire, pour la suite des choses.
    Je sais que vous avez décrit les sanctions de la loi Magnitski comme, et je paraphrase simplement, un missile Exocet pointé directement au coeur des oligarques russes et de M. Poutine. Ce sont des sanctions très ciblées et très précises, et c'est pourquoi je suis plutôt perplexe. Notre comité a entendu des représentants d'Affaires mondiales qui semblaient réticents à s'engager à appliquer cette loi, préférant se rabattre sur une législation plus large en ce qui concerne des sanctions étatiques plus générales.
     Je me demande si vous avez une idée de la raison pour laquelle ils penchent dans cette direction plutôt que d'utiliser votre idée très efficace.
    Je ne peux pas savoir ce que pensent les fonctionnaires et le ministère canadien des Affaires mondiales, mais je peux dire que dans le monde, beaucoup de gens sont dans la mauvaise colonne du grand livre et n'aiment pas les sanctions Magnitsky. Être inscrit sur une liste Magnitski, cela entache vraiment la réputation d'une personne. C'est peut-être parce que d'autres sanctions sont plus faciles et moins controversées, mais je pense qu'il serait préférable de poser la question à ceux qui hésitent à utiliser la loi Magnitsky pour comprendre leur raisonnement.
    D'accord.
    Il y a également eu des discussions dans les médias au sujet de ce qu'on appelle l'option nucléaire économique, c'est‑à‑dire l'exclusion de la Russie du système SWIFT, le système de paiement économique mondial. J'aimerais savoir ce que vous pensez de cette possible sanction.
    À mon avis, c'est vraiment l'option nucléaire. Lorsqu'elle a été utilisée contre l'Iran, elle a essentiellement repoussé l'Iran à l'âge de pierre au plan économique. Nous devons donc nous demander si nous devrions utiliser un instrument aussi brutal en premier lieu ou s'il doit être le dernier choix possible parce qu'il touchera toute la population russe, et qu'une grande partie de cette population est tout autant victime de Vladimir Poutine que nous et l'Ukraine le sommes.
    Il y aurait aussi différentes répercussions économiques dans l'Ouest. Si nous ne permettons pas à la Russie d'utiliser le système de paiement bancaire, comment l'Allemagne paiera‑t‑elle son gaz?
     Si nous avons un autre outil qui permet d'éviter tous ces dommages collatéraux — cela est au coeur du processus décisionnel, évitant de nuire à la population russe et de nous causer du tort —, il faut l'utiliser, et il faut l'utiliser de manière agressive en premier.
(1605)
    Merci, monsieur Browder.
    Monsieur Kolga, l'Ukraine a demandé des armes létales au gouvernement Trudeau. Beaucoup de nos alliés démocratiques, y compris les États-Unis et le Royaume-Uni, ont accepté cette demande et ont fourni ces armes.
     Pourquoi pensez-vous que le gouvernement canadien hésite à fournir à l'Ukraine l'aide létale dont elle a besoin pour repousser l'agression russe?
    Je crois qu'il faudrait demander au gouvernement canadien pourquoi il a décidé de ne pas envoyer d'armes létales en Ukraine.
     Comme vous l'avez mentionné, les États-Unis et le Royaume-Uni l'ont fait. L'Estonie, la Lettonie, la Lituanie et la Pologne, qui sont très près de la frontière et en première ligne avec la Russie, ont décidé d'envoyer des armes létales.
     Il serait bon que le Canada coordonne ses efforts avec ces pays et fasse de même.

[Français]

     Merci beaucoup, monsieur Morantz.
    Madame Bendayan, vous disposez de six minutes.
    Je remercie aussi les témoins.

[Traduction]

    Comme je le disais, monsieur Browder, tout comme mon collègue, j'ai beaucoup de respect pour votre travail. J'ai plusieurs questions à poser à tous les témoins. Je vous serais reconnaissante de répondre brièvement, dans la mesure où vous pouvez le faire.
     Monsieur Browder, combien de pays ont imposé des sanctions en vertu de la loi de Magnitski depuis que la Russie a renforcé ses troupes à la frontière ukrainienne?
    Pour l'instant, les sanctions Magnitsky n'ont pas été utilisées pour cette question précise depuis que la Russie a déployé ses troupes à la frontière.
    Croyez-vous que le Canada devrait faire cavalier seul? Je crois comprendre que le Royaume-Uni et les États-Unis ont indiqué qu'ils pourraient un jour envisager cette option.
    Soit dit en passant, notre ministre des Affaires étrangères, la ministre Joly, a déclaré que la Russie fera l'objet de sévères sanctions si elle fait d'autres manoeuvres contre l'Ukraine.
     Les sanctions auraient-elles le même effet dissuasif si le Canada les imposait lui-même à ce moment‑ci?
     Personnellement, je recommande que le Canada s'associe à ses alliés, les États-Unis et le Royaume-Uni, pour proposer des sanctions contre les oligarques russes. J'ai entendu la ministre des Affaires étrangères du Canada parler de « lourdes sanctions », ce qui fait une bonne manchette, mais je crois qu'elle devrait ajouter que « plus précisément, nous allons envisager de sanctionner des oligarques proches de M. Poutine ». C'est ce qu'ont dit le ministre des Affaires étrangères britannique et le président Biden.
    Il me semble que l'impact serait très fort si M. Poutine voyait que tous les alliés travaillaient de concert et qu'il n'y avait aucune division sur les sanctions ou leur libellé.
    Pourquoi le Royaume-Uni et les États-Unis ne sont-ils pas encore passés à l'acte?
    Selon moi, pour l'instant, ils considèrent la menace de sanctions comme une arme de dissuasion, même si, comme je l'ai dit dans mes observations préliminaires, il serait bon qu'il y ait un avant-goût des sanctions, parce qu'à l'heure actuelle, M. Poutine ne prend aucun de nous au sérieux à ce sujet. Tant qu'il ne verra pas que nous sommes sérieux, il estimera que ce sera comme pour tout ce qu'il a fait d'autre qui lui a valu des sanctions, mais sans que cela l'atteigne jamais personnellement.
    Ma question suivante est pour le Congrès des Ukrainiens-Canadiens. Bonjour.
    Je regarde une photo publiée le 2 février. On y voit des députés ukrainiens tenant des drapeaux de différents pays dans leur parlement. Je vois le drapeau canadien au premier plan.
    Pouvez-vous nous en dire plus sur cette photo? Je crois comprendre qu'y sont représentés les pays qui aident le plus l'Ukraine.
    J'ai moi aussi vu la photo publiée. Je crois que des députés — je ne sais pas exactement lesquels — ont organisé une séance photo au parlement ukrainien. Il me semble qu'ils faisaient référence à l'aide apportée dans le cadre de l'opération Unifier qui avait été annoncée, ainsi qu'à d'autres d'aides venant des pays représentés sur la photo.
    Si je comprends bien, d'après ce que nous dit la ministre de la Défense, le Canada a actuellement 260 militaires sur le terrain en Ukraine pour des missions de formation dans le cadre d'Unifier, que vous venez de mentionner.
    D'autres pays ont-ils plus de militaires sur le terrain en ce moment?
(1610)
    Je n'ai pas d'analyse opérationnelle des opérations américaine et britannique, mais je sais que le Canada a toujours eu un des plus gros contingents sur place. Notre préoccupation est que, aussi bonne l'opération Unifier soit-elle, ces troupes soient évacuées, pour leur propre sécurité, dès que l'invasion commencera, et je pense que c'est la bonne chose à faire.
    Il me semble que le Royaume-Uni a un peu plus de 100 militaires et que les États-Unis en ont environ 150. Ces chiffres vous paraissent-ils corrects?
    Je n'ai aucun chiffre sur les missions des autres pays. Je dirai donc qu'ils sont corrects.
    Je vais passer à M. Kolga. J'ai trouvé très intéressant ce que vous aviez à dire sur la guerre cognitive et la quantité de désinformation qui vient de Russie. Pouvez-vous nous éclairer, ainsi que les Canadiens, sur la façon dont la désinformation russe arrive au Canada à l'heure actuelle, au moyen de quelles plateformes ou de quels mécanismes?
    La désinformation russe entre dans l'espace informationnel canadien de plusieurs façons. RT, qui est une chaîne d'information d'État russe retransmise depuis 2005, est une des principales méthodes employées. Elle diffuse ce qu'on pourrait appeler des informations, mais il s'agit dans l'immense majorité des cas de propagande par laquelle l'État russe cherche à servir ses intérêts. D'autres médias d'État diffusent la même sorte d'informations au Canada.
    Il existe aussi un réseau de sites Web intermédiaires, des sites Web d'infox, des sites Web qui font la promotion de théories du complot, par exemple. J'en nomme beaucoup dans les rapports que j'ai produits à DisinfoWatch. Le Département d'État les a produits aussi. Il y a notamment la plateforme appelée Global Research, que le Département d'État a mentionnée l'an dernier.
    Toutes ces plateformes étaient actives ces deux dernières années, faisaient la promotion de théories du complot au sujet de la COVID, encourageaient à hésiter à se faire vacciner, par exemple, et il arrive que les grands médias et les médias extrémistes relaient leurs propos à destination des Canadiens. Ce sont principalement les médias d'État russes qui font la promotion de ces histoires.
    Monsieur Kolga, je vous remercie. Nous allons devoir en rester là pour des questions de temps.

[Français]

     Merci beaucoup, madame Bendayan.
    Monsieur Bergeron, vous avez la parole pour six minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie les témoins d'être des nôtres aujourd'hui.
    Je vais poursuivre sur la question qui vient d'être posée par Mme Bendayan.
    Monsieur Kolga, je dois vous dire que je suis d'accord sur le fait que la Russie mène des opérations de désinformation partout au monde, particulièrement dans les pays occidentaux. Cela me semble indéniable. L'Allemagne a interdit la diffusion de la station à laquelle vous faisiez référence il y a quelques instants.
    J'avoue avoir été à tout le moins étonné de vous entendre supposer que l'occupation du centre-ville d'Ottawa pouvait être le fait de la Russie. La dernière fois que j'ai entendu une affirmation aussi spectaculaire, c'est lorsque le Comité a fait l'objet d'une farce de la part d'un personnificateur qui se faisait passer pour Leonid Volkov, le chef de cabinet de la campagne d'Alexeï Navalny. D'ailleurs, M. Volkov avait dressé une liste de gens à qui nous devrions imposer des sanctions en vertu de la loi Magnitski. Le personnificateur de M. Volkov avait affirmé que le Kremlin finançait le mouvement souverainiste au Québec. J'en ai été le premier abasourdi, et je l'ai été tout autant lorsque vous avez dit que la Russie était derrière l'occupation du centre-ville d'Ottawa.
    Sur quoi vous appuyez-vous pour faire une affirmation aussi inattendue, pour le moins?
(1615)

[Traduction]

    Si vous me permettez de clarifier, je ne crois pas que des médias d'État russes soient derrière les manifestations, mais je crois que ces médias, et peut-être d'autres médias étrangers, exploitent la situation. Ce qu'essaient de faire les médias d'État russes et le Kremlin, c'est repérer les sujets très clivants pour les exploiter afin de diviser davantage encore les sociétés occidentales.
    Nous avons remarqué depuis une semaine que RT — Russia Today — rend compte de manière positive des manifestations, et nous voyons d'autres plateformes intermédiaires en faire autant, ce qui les légitime et pourrait les aider à continuer d'exister. Il serait toutefois incorrect de dire que les médias d'État russes sont derrière les manifestations. Ils se contentent de les exploiter.

[Français]

     Je vous remercie d'avoir apporté cette précision. Je crois qu'elle était importante, en effet.
    J'aimerais maintenant poser une question à M. Michalchyshyn, représentant du Congrès des Ukrainiens canadiens.
    Monsieur Michalchyshyn, dans votre présentation, vous semblez accréditer la thèse d'une nouvelle invasion imminente de l'Ukraine par la Russie. Or le ministre des Affaires étrangères de l'Ukraine, M. Kuleba, a demandé de ne pas contribuer à l'escalade et de ne pas entretenir un discours alarmiste sur une invasion imminente, disant que cela nuirait aux intérêts de l'Ukraine et que, ce faisant, nous jouions le jeu de la Russie. De la même façon, la présidence ukrainienne a expliqué qu'il n'y avait pas de raison d'affirmer qu'une attaque de grande envergure était en préparation.
    Alors que les autorités ukrainiennes elles-mêmes nous invitent à un discours plus apaisant, pourquoi entretenir cette idée? Cette idée semble s'appuyer sur un certain nombre de faits, mais elle semble également sortir de nulle part, dans la mesure où les troupes russes sont massées aux frontières de l'Ukraine depuis plusieurs mois.
    Pourquoi accréditer la thèse d'une nouvelle invasion imminente de l'Ukraine par la Russie?

[Traduction]

    Je fonde cette évaluation sur des données de renseignement rendues publiques par le gouvernement américain au sujet du nombre total, qui pourrait même être, selon moi, de 140 000 soldats russes massés autour de l'Ukraine au Bélarus, en Russie et en Crimée occupée.
    Il faut bien savoir que le comportement passé est le meilleur indicateur d'un comportement futur. Vladimir Poutine a déclaré à de nombreuses occasions qu'il n'avait aucune intention d'envahir l'Ukraine, mais il n'avait aucune intention non plus d'envahir la Crimée ou la Géorgie. Il serait imprudent de notre part au Canada, en Occident et parmi les alliés de l'OTAN de partir du principe que M. Poutine a massé 140 000 soldats aux abords de la frontière ukrainienne sans être animé de mauvaises intentions.
    Avec tout le respect que je vous dois, je dirai que les chiffres devraient nous inquiéter. Le discours du gouvernement ukrainien vise, selon moi, à apaiser les craintes des Ukrainiens et à éviter qu'ils paniquent.

[Français]

    Bien sûr.
    Cependant, si l'Ukraine demande à ses alliés d'adopter un discours plus apaisant, pourquoi le Canada ne devrait-il pas répondre à la demande du gouvernement ukrainien?

[Traduction]

    Je ne sais pas quel discours plus calme on peut tenir pour décrire une invasion potentielle, si ce n'est de continuer de répéter les faits. Le gouvernement ukrainien fait face à des pressions économiques, et il y a des préparatifs importants en Ukraine par rapport aux civils et à des scénarios de défense potentiels. Il y a aussi les Nations unies pour ce qui est des scénarios humanitaires et en matière de réfugiés.
    Prévoir les scénarios d'une invasion possible et s'y préparer est la chose responsable à faire. Il serait irresponsable de prétendre que la menace est réduite. M. Poutine nous prendrait par surprise, comme bien d'autres fois.
(1620)
    Je vous remercie. Nous arrêterons là.

[Français]

    Merci beaucoup, monsieur Bergeron.

[Traduction]

    Les six dernières minutes vont à Mme McPherson. Vous avez la parole.
    J'aimerais remercier tous les témoins de leur présence aujourd'hui. J'ai beaucoup appris. En fait, vous m'avez tous appris quelque chose aujourd'hui. Merci à vous tous de nous faire profiter de vos connaissances. Il s'agit d'une question très importante et très pressante.
    J'aimerais revenir à quelques-unes des questions que mon collègue du Bloc a posées à propos de la désinformation à laquelle recourent les médias russes pour accroître le conflit qui se déroule actuellement à Ottawa et ailleurs au Canada avec les convois.
    J'aimerais poser cette question à M. Kolga. Cette semaine, nous avons vu un député provincial ontarien, anciennement conservateur, donner une entrevue à Russia Today au sujet de l'occupation d'Ottawa et diffuser des messages très inquiétants. Il a déclaré que les informations russes offrent une plateforme au journalisme objectif, alors que les grands médias canadiens fabulent. Il s'agit d'un député provincial ontarien qui déclare que les informations russes sont objectives et que les grands médias canadiens inventent.
    En tant que parlementaires, que faisons-nous face à cette diffusion de propagande et d'informations trompeuses?
    J'ai été surpris aussi de voir ce député provincial ontarien sur Russia Today. Je pense que c'est la première fois qu'un élu canadien s'exprime sur un média d'État russe.
    Il était très surprenant aussi et décevant que le même député provincial déclare sur Twitter que les médias d'État russes sont plus fiables que les médias canadiens. Tout d'abord, en publiant ce genre de message, il expose directement ses abonnés à la guerre cognitive russe. Il les envoie dans une galaxie où les faits ne comptent plus. Selon moi, ses abonnés ont probablement déjà du mal avec les faits et ce gazouillis n'arrange rien.
    Pour tout dire, en 2014, je mettais déjà en garde contre ce problème. Nous avons vu pointer il y a deux ans, au début de la pandémie, les types de discours que nous voyons maintenant à propos des manifestations. Le Service européen pour l'action extérieure nous a prévenus que la Russie exploiterait la COVID et l'utiliserait pour nous diviser et pour polariser les opinions. Nous l'avons vu tout du long et, à présent, nous en voyons les résultats dans une certaine mesure.
    Tout cela est en grande partie évolutif. Il y a de réelles frustrations dans la société et c'est ce type de frustrations et d'émotions que le gouvernement russe exploite pour nous diviser davantage encore. Tel est le principal objectif des médias d'État russes, diviser, polariser et saper la démocratie.
    Nous pouvons y mettre le holà. Comme je le disais tout à l'heure, il faut créer un groupe de travail qui s'attelle afin à ce problème afin de prendre des sanctions contre les médias d'État russes pour qu'ils ne soient pas autorisés à utiliser nos ondes pour diffuser leurs informations. À l'heure actuelle, RT et les médias d'État russophones sont diffusés sur les réseaux canadiens de câblodistribution, comme les médias d'État chinois.
    Nous devrions tous les examiner, les éliminer et limiter leurs occasions d'influer sur le débat politique canadien.
    J'ai quantité de questions pour vous trois, mais je veux en poser quelques-unes au Congrès des Ukrainiens-Canadiens.
    Tout d'abord, je tiens à dire combien je suis désolée de ce qui est arrivé à la boulangerie au Canada. Je suis désolée de tous les exemples de haine que nous voyons contre la communauté ukrainienne. Je vis à Edmonton, qui compte une population ukrainienne très nombreuse, et je défendrai toujours la population canadienne d'origine ukrainienne. Je suis de tout coeur avec vous et avec la population en Ukraine dans ces moments difficiles.
    Vous parlez beaucoup de prendre des mesures maintenant, avant que la Russie envahisse davantage l'Ukraine. Vous nous avez expliqué pourquoi c'est nécessaire.
    Quel est le risque sur place, cependant? Quel est le risque de saper nos efforts de désescalade et nos efforts diplomatiques s'il apparaît que nous renforçons et armons l'Ukraine? Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?
    Je vous remercie de vos paroles aimables. Je sais que vous avez eu l'occasion de parler avec M. Wrzesnewskyj, et je sais qu'il vous en est très reconnaissant.
    Nous voyons une situation où M. Poutine emprunte de mauvaise foi la voie diplomatique. Il formule des revendications démesurées. Il veut redessiner les frontières de l'Europe à son gré. Ce n'est pas le genre de personne avec qui vous pouvez vraiment négocier. Les négociations qu'il veut, en vérité, viseraient à nier la souveraineté et l'indépendance ukrainiennes. Ce qu'il vise, c'est le retour au tracé de l'URSS.
    Je ne veux pas minimiser la contribution militaire canadienne, mais je pense que les États-Unis et le Royaume-Uni ont les armées les plus importantes de l'OTAN, avec la France et l'Allemagne. La contribution canadienne est assurément utile, mais il faut la mettre en perspective. Depuis deux semaines, ces autres puissances envoient, entre autres, des missiles défensifs. Nous demandons instamment au Canada de se joindre à ses alliés dans cet effort.
    Je ne crois pas que des décisions canadiennes nous exposeraient à un plus grand risque qu'aujourd'hui.
(1625)
    Encore une fois, vous souhaitez que ces sanctions soient prises maintenant, pas plus tard. Vous souhaitez que nous n'attendions pas que la Russie pousse plus avant son invasion, mais que nous agissions maintenant.
    Comme l'a dit M. Browder, M. Poutine ne prend pas très au sérieux ces menaces de sanctions. Il serait important, pour changer, de lui montrer de quoi cela aurait l'air.
    Franchement, nous avons vu dans d'autres situations qu'il se moque des sanctions prises contre lui et ses représentants. Elles n'ont guère eu d'effet dans le passé.
    Je vous remercie, madame McPherson.
    Mesdames et messieurs les députés, nous allons passer à notre deuxième série de questions et nous commencerons par deux tours de cinq minutes chacun. N'oubliez pas qu'il est probable que nous ne terminerons pas le deuxième tour, car nous avons un deuxième groupe qui attend pour témoigner.
    Nous commencerons par M. Chong. Vous avez la parole.

[Français]

     Monsieur le président, j'invoque le Règlement.

[Traduction]

    Un instant, monsieur Chong.

[Français]

    Monsieur Bergeron, vous avez la parole.
    J'essaie de comprendre ce que vous dites. Vous êtes en train de nous dire qu'il va y avoir les deux tours de cinq minutes du gouvernement et de l'opposition, mais qu'il n'y aura pas les deux minutes...
    J'espère pouvoir compléter les quatre premières interventions.
    Nous passerons ensuite au deuxième groupe de témoins.

[Traduction]

    Monsieur Chong, vous avez la parole pour cinq minutes.
    Je me concentrerai sur la guerre de désinformation à laquelle se livre la Russie. À l'heure actuelle, la chaîne RT, autrefois appelée Russia Today et qui est le radiodiffuseur d'État, est titulaire d'un permis du CRTC qui lui permet de diffuser au Canada en anglais et en français.
    Monsieur Kolga, pensez-vous que le CRTC devrait révoquer son permis ou le modifier?
    La communauté ukrainienne du Canada a recueilli des preuves importantes de messages haineux et de désinformation diffusés par RT. Je crois qu'elle les a transmises au CRTC. Je ne suis pas certain que le CRTC envisage, en fait, de révoquer ce permis. RT se trouve dans une situation très particulière en ceci qu'elle paie des entreprises canadiennes de télévision par satellite et par câble pour diffuser ses émissions. Rien ne lui plairait tant que de voir les entreprises de télévision par câble diffuser ses émissions à volonté à destination de tout le public canadien.
    À mon avis, la meilleure solution à l'heure actuelle est de prendre des sanctions contre RT pour diffusion de fausses informations et attaques contre notre démocratie, parce qu'il faudrait du temps, selon moi, au CRTC pour lui retirer son permis et que ce processus coûterait cher. Des sanctions seraient probablement la solution la plus rapide...
    Le Cabinet fédéral pourrait donner des instructions au CRTC.
    Vous savez, il existe, selon moi, des parallèles entre les deux gouvernements autoritaires du monde, la Russie et la Chine. Ce sont des parallèles entre leurs deux radiodiffuseurs d'État, RT et CGTN. Le CRCT a également accordé à CGTN, le radiodiffuseur d'État chinois, un permis de diffusion au Canada. Il y a des preuves que cet organisme diffuse de la propagande de Pékin et qu'il enfreint le droit international en diffusant des confessions forcées, ce qui est contraire au droit international en matière de droits de la personne.
    J'ajouterai aussi ceci. En 2017, en réponse à une demande d'information, le CRTC a déclaré qu'il n'avait pas examiné la présence de RT au Canada et qu'il ne l'examinait pas, malgré le fait qu'à l'époque, les services de renseignement américains avaient qualifié RT d'outil de propagande du gouvernement russe et malgré le fait que le président français, Emmanuel Macron, déclarait que RT France propageait de fausses informations.
     Par la suite, les services de renseignement américains ont conclu, au printemps 2020, que la Russie s'était ingérée dans l'élection présidentielle américaine de 2016 par différents moyens, en particulier par l'intermédiaire de RT. Ils ont également conclu que la Russie avait porté atteinte à la démocratie canadienne en ciblant des élus canadiens, notamment l'actuelle vice-première ministre, Chrystia Freeland.
    Inexplicablement, à mon sens, le Cabinet a autorisé le CRTC, en août 2020, à approuver la diffusion de RT France sur les ondes canadiennes, dans sa décision 2020‑281. Que pensez-vous de cette mesure inexplicable du gouvernement et du fait que le CRTC ait accordé un permis à RT France en août 2020?
(1630)
    Merci de m'éclairer à ce sujet. Je n'étais pas au courant. Très franchement, je suis choqué. Nous voyons que rien qu'au cours des deux dernières semaines, l'Allemagne a interdit RT DE sur les ondes allemandes. Elle a aussi supprimé RT, le service en allemand, de YouTube, où il est désormais interdit. Il est très surprenant que RT France et le service en français soient maintenant radiodiffusés au Canada. Comme je le mentionnais plus tôt, que le gouvernement retire leur permis à ces radiodiffuseurs ou qu'il prenne des sanctions pour faire en sorte qu'ils ne puissent pas profiter de leur radiodiffusion ici, au Canada, que ce soit sur Internet ou autrement, nous devons faire quelque chose par rapport à ce radiodiffuseur et à d'autres comme lui — notamment, comme vous le mentionniez, CGTN et GCTV — qui sont des radiodiffuseurs d'États étrangers qui cherchent à promouvoir de fausses informations et à diffuser de la propagande sur les ondes canadiennes. Nous devons y mettre un terme.
    Je vous remercie, monsieur le président.
    Merci beaucoup, monsieur Kolga, et merci à vous, monsieur Chong.
    Nous allons passer à M. Oliphant pour cinq minutes. Vous avez la parole.
    Je commencerai encore une fois par remercier les témoins de leur présence aujourd'hui. Vous nous aidez tous. Je tiens à remercier en particulier le Congrès des Ukrainiens Canadiens. Depuis le début de cette crise, vous êtes persistants, constants, réfléchis et vous collaborez avec le gouvernement. J'ai conscience qu'il s'agit d'une période très difficile pour votre organisation et pour ses membres, et je tiens à vous remercier de continuer de conseiller le gouvernement et de vous montrer disponibles quand nous avons besoin de vous parler.
    Je vais d'abord faire deux ou trois observations, puis poser quelques questions. Il est évident qu'en raison de l'importante diaspora ukrainienne au Canada, personne dans cette salle n'est indifférent à ce qui se passe. Nous avons tous des amis. C'est personnel pour nombre d'entre nous et c'est un facteur de motivation. Cependant, si cette crise est prioritaire pour le gouvernement canadien, ce n'est pas seulement pour cela. C'est aussi parce qu'une menace contre l'Ukraine, c'est une menace contre le monde occidental et une menace contre le Canada. Nous continuerons d'y voir une menace contre l'ordre international fondé sur des règles, ainsi qu'une menace contre la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Ukraine. Aucune question de politique étrangère ou de défense n'est plus importante pour le Canada à l'heure actuelle.
    C'est une période difficile. J'ai parlé avec Borys Wrzesnewskyj aussi après que la Future Bakerie a été vandalisée. C'était un moment personnel pour beaucoup d'entre nous qui sommes amis avec Borys, mais ce n'était pas tout. Il sera probablement établi, selon moi, que ce qui est arrivé était une expression de haine et aussi probablement le résultat de fausses informations ou de désinformation auxquelles il faut remédier.
    Il arrive aussi, toutefois, que des députés se livrent à de la désinformation. Je ne répéterai pas ici les propos de la députée néo-démocrate Leah Gazan, mais je pense qu'en tant que Canadiens et en tant que parlementaires, nous avons tous été profondément choqués.
    Je demanderai l'avis de M. Kolga à ce sujet, car un de mes amis canadiens d'origine ukrainienne m'a dit que cette déclaration reposait sur de fausses informations russes et pouvait se transformer en désinformation sur la façon dont le Canada s'est engagé à propos du prêt souverain de 120 millions de dollars, et au sujet d'autres engagements, comme l'opération Unifier et bien d'autres choses que nous faisons pour soutenir l'Ukraine.
    Puis‑je demander à M. Kolga de nous en dire un peu plus sur la façon dont la Russie a pu promouvoir ce type de désinformation et pourrait l'utiliser par la suite?
(1635)
    Je suis enfant de réfugiés estoniens qui ont fui l'occupation soviétique en septembre 1944 et je peux vous dire que mes parents, qui étaient de tout jeunes enfants à l'époque, auraient été considérés par l'Union soviétique et par sa machine de propagande comme étant — comme dans le gazouillis auquel vous faites référence — des fascistes ou des néonazis du simple fait qu'ils avaient fui l'occupation et la répression russes.
    Ce type de propagande a été utilisé pendant toute la guerre froide pour salir quiconque critiquait l'Union soviétique, ainsi que l'occupation et la répression dans les républiques occupées par l'Union soviétique. Comme je le mentionnais dans mes observations préliminaires, le discours a été ressuscité par le régime de Poutine pour étiqueter quiconque critique son régime.
    Le problème avec ce discours, comme vous pouvez l'imaginer, c'est qu'il marginalise ceux qu'il cible. En ce qui concerne la communauté ukrainienne, il la salit toute entière et il vise à la réduire au silence et à l'ostraciser dans l'espoir que lorsqu'elle parle, ces étiquettes lui collent à la peau et que le gouvernement canadien ne prête pas attention à ce qu'elle dit. Là est le coeur du problème.
    Je suis désolé de vous interrompre, mais est‑il possible, alors, que la Russie s'en serve pour faire ressortir des divisions au Parlement canadien?
    Je ne crois pas qu'à l'exception peut-être de quelques cas particuliers, nous soyons plus unis par ailleurs que dans notre préoccupation sur ce sujet. La Russie peut-elle utiliser cette sorte de déclaration pour montrer un manque de cohésion?
    Elle le fait manifestement. Je ne sais pas vraiment qu'elle était l'intention de la députée en reprenant dans son gazouillis de fausses informations russes, mais le fait qu'un parlementaire publie ces fausses informations sur Twitter montre que la désinformation et la propagande russes sont efficaces et touchent les parlementaires.
    C'est un problème.
    Je vous remercie, monsieur Kolga et monsieur Oliphant.
    Encore deux courtes interventions et nous aurons consacré toute une heure à ce groupe et, comme je l'ai dit, nous avons un deuxième groupe qui attend pour témoigner.

[Français]

     Monsieur Bergeron, vous avez la parole pour deux minutes et demie, puis Mme McPherson disposera du même temps.
    Je serai très bref, monsieur le président.
    Monsieur Browder, d'après un article du journal Le Monde, le secteur financier de la Russie « est sain, robuste et très rentable et la remontée des cours des hydrocarbures a permis à la Russie de constituer de très importantes réserves extérieures, de près de 630 milliards de dollars ». Cela amène certains à s'interroger sur l'utilité éventuelle de la suspension de la Russie du réseau SWIFT.
    Que pensez-vous de ces interrogations de la part de celles et ceux qui prétendent que la Russie s'est préparée à une telle chose?

[Traduction]

    C'est une bonne question.
    Il n'y a probablement pas meilleur moment qu'en ce moment pour Vladimir Poutine en raison des chiffres que vous venez de citer, mais aussi en raison du moment de l'année. Nous sommes en plein hiver et la Russie exporte du gaz vers l'Europe. L'Allemagne importe 40 % de son gaz de Russie, et l'Italie et l'Autriche, 100 % du leur. C'est la période où son influence est maximale, et cela signifie que les Allemands, les Italiens, les Autrichiens et d'autres encore vont tout faire pour se dissocier de l'alliance occidentale et pour ne pas se montrer trop durs avec la Russie.
    Quant aux sanctions concernant SWIFT, vous avez raison de dire que la Russie dispose de ces énormes réserves, mais cela ne compte pas vraiment si vous vous trouvez, au fond, coupé du reste du monde financièrement. Vos réserves s'épuiseront très rapidement et la vie ne tardera pas à se compliquer.
    Personne ne devrait sous-estimer le poids des sanctions concernant SWIFT, mais personne ne devrait non plus sous-estimer tous les dommages collatéraux qu'elles entraîneront aussi.
(1640)

[Français]

    Comme il ne nous reste que très peu de temps, monsieur Browder, je crois que ce serait vous faire injure que d'ajouter une autre question.
    Alors, messieurs, merci infiniment pour vos témoignages très éclairants.
    Merci beaucoup, monsieur Bergeron.

[Traduction]

    La parole est maintenant à Mme McPherson pour deux minutes et demie.
    Puisqu'il est question des gazouillis d'une députée néo-démocrate, je tiens à préciser que son gazouillis ne correspond en rien à la position du Nouveau Parti démocratique. J'ai parlé avec notre chef, Jagmeet Singh, de nombreuses fois et notre soutien au peuple ukrainien et aux Canadiens d'origine ukrainienne est indéfectible. Je crois que Mme Gazan s'est rétractée. C'est assurément un épisode que je regrette profondément et je réitère notre soutien aux Canadiens d'origine ukrainienne.
    Je sais que je n'ai pas beaucoup de temps, mais j'ai une dernière question, pour M. Browder. Pouvez-vous parler des autres pays qui recourent aux sanctions prévues par la loi Magnitski de façon plus appropriée? Ils y recourent plus souvent. Qu'aimeriez-vous que le Canada fasse et quelles mesures souhaiteriez-vous que le Comité préconise? Je sais que c'est beaucoup demander en vous laissant peu de temps pour répondre. Bonne chance, donc.
    Comme je l'ai mentionné, le Canada a utilisé très brièvement la loi Magnitski en 2017‑2018. Les États-Unis l'ont utilisée plus de 500 fois, contre toutes sortes d'affreux personnages dans le monde entier. La Grande-Bretagne l'a plus utilisée que les Canadiens, même si elle n'y est en vigueur que depuis 2020.
    J'inviterai le Comité à soulever une question très importante. Nous avons un excellent outil et cette loi Magnitski peut être utilisée non seulement dans cette situation avec la Russie et l'Ukraine, mais aussi avec la Chine. On peut l'utiliser avec l'Iran, avec le Myanmar et un tas d'autres pays, car il y a tellement de victimes qui réclament justice à cor et à cri.
    Si le gouvernement ne l'utilise pas, il devient très pertinent de se demander pourquoi. Que pouvons-nous faire pour nous assurer que cet instrument soit utilisé à l'avenir?
    Si cela intéresse les membres du Comité, je crois que nous pourrions consacrer une audience à la loi Magnitski, faire venir des témoins pour parler des pratiques exemplaires dans d'autres pays, voir comment les victimes utilisent cette loi dans différents pays et quelles recommandations nous pourrions faire pour que cet instrument soit mis en œuvre et mieux utilisé par la suite.
    Je vous remercie, madame McPherson...
    Monsieur le président, j'invoque le Règlement. Je ne veux pas induire les Canadiens en erreur, car c'est, à mon sens, très important. J'ai soulevé la question du gazouillis de Mme Leah Gazan à la Chambre des communes, et le chef du NPD, Jagmeet Singh a répondu à cette question.
    Ce gazouillis circule toujours sur Twitter. La députée ne s'est pas rétractée et n'a pas présenté d'excuses.
    J'invoque le Règlement, monsieur le président. Si le gazouillis est encore sur son compte, c'est parce que la députée y a ajouté sa rétractation. En parler encore, c'est se prêter à des jeux politiques, et Mme Bendayan le sait pertinemment.
    Chères collègues, nous nous lançons dans un débat. Comme je l'ai dit, nous attendons un autre groupe, mais je vous remercie toutes deux de ces observations.
    En notre nom à toutes et à tous, je remercie les trois témoins de leur temps cet après-midi et de leurs points de vue. Nous allons les laisser se déconnecter. Portez-vous bien et encore merci d'avoir été des nôtres aujourd'hui.
    Madame la greffière, nous allons sans tarder vérifier le son du deuxième groupe et reprendre dans quelques instants.
    Nous allons suspendre la séance pendant deux à cinq minutes, au maximum.
(1645)

(1645)
    Je souhaite la bienvenue au groupe de témoins suivant.
    Monsieur le président, je suis désolée de vous interrompre. Je sais que c'est très important, mais je me demande s'il serait possible que je présente une motion avant que nous commencions avec le groupe, que je n'aie pas à interrompre les témoins vers la fin de la réunion?
    Madame McPherson, nous avons très peu de temps. Le temps de ce groupe est serré. Nous avons décidé de le recevoir cet après-midi pour écouter les témoins.
    Est‑ce que vous invoquez le Règlement?
    Il s'agit de la motion que j'ai proposée et dont j'aimerais donner lecture afin de demander son adoption par consentement unanime.
    Cela ne prendra que quelques instants, si vous n'y voyez pas d'objection.
    Il me semble, d'après notre échange plus tôt avec la greffière, que la motion est déjà officiellement présentée. Donc, du point de vue de la procédure, en donner lecture n'apportera rien de plus.
    Vous pouvez utiliser votre temps de parole pour donner lecture de la motion, si la procédure le permet, mais je crois que vous pouvez en parler à la prochaine réunion, parce qu'elle est déjà déposée.
    J'aimerais demander à la greffière de vérifier. Je surveille le chronomètre, madame McPherson. Nous avons invité ce groupe et nous voulons poursuivre.
    Madame la greffière, où en est la motion de Mme McPherson du point de vue de la procédure, si nous parlons bien de la même motion? Je veux m'en assurer. Il se peut que ce soit une nouvelle motion, auquel cas...
    Il s'agit de la motion visant à inviter l'ambassadeur des États-Unis à comparaître devant le Comité.
    Madame la greffière, pouvons-nous revenir en arrière et savoir quel serait l'effet ,en matière de procédure, d'en faire lecture aux fins du compte rendu? Est‑ce que cela ajoute quelque chose à ce stade?
    Il a été donné avis aux députés. Pour l'instant, il n'en a pas été donné lecture aux fins du compte rendu. Tout ce que cela ferait, c'est rendre la motion publique, mais il ne serait pas possible d'en débattre.
    Je suppose que Mme McPherson est libre du point de vue de la procédure d'utiliser son temps de parole comme bon lui semble.
    Vous hochez la tête.
    Madame McPherson, je vous invite à utiliser votre temps de parole si vous souhaitez consigner cette déclaration au compte rendu.
    Je vous remercie, monsieur le président.
    En quelques mots, pour revenir au processus, j'informe les témoins qu'ils ont accès à l'interprétation simultanée en bas de leur écran en cliquant sur l'icône représentant un globe et qu'ils peuvent choisir entre le parquet, le français ou l'anglais.
    Vous disposerez chacun de cinq minutes pour présenter des observations préliminaires. Je serai très strict sur le temps, d'autant que nous sommes très serrés cet après-midi.
    Quand il vous restera une trentaine de secondes pour vos observations préliminaires, je vous le signalerai en montrant ce carton jaune. Ce sera aussi un guide dans les questions et réponses qui suivront avec les membres du Comité. Gardez l'œil ouvert. C'est une méthode très manuelle, mais elle semble fonctionner assez bien. N'oubliez pas que le temps de parole accordé est très serré.
    Je vais présenter nos témoins, puis je laisserai la parole au premier intervenant. Nous avons Anessa Kimball, qui est professeur agrégé en science politique et directrice du Centre sur la sécurité internationale, à l'École supérieure d'études internationales de l'Université Laval. Nous avons Fen Osler Hampson, qui est professeur chancelier à l'Université Carleton et président du World Refugee & Migration Council. Nous avons Olga Oliker, qui est directrice de programme, Europe et Asie centrale, à l'International Crisis Group.
    Professeur Kimball, je vous laisse la parole pour vos observations préliminaires. Vous avez cinq minutes. Je vous en prie.
    Je vous remercie de m'accorder le privilège de vous faire part de réflexions sur la situation à la frontière entre la Russie et l'Ukraine. Je parlerai du rôle des organisations internationales, de la nature des engagements des parties intéressées et de la possibilité ou non pour les institutions de rétablir la paix et la stabilité régionales. Je terminerai par quelques recommandations.
    Pour ce qui est des organisations internationales, je pense qu'on peut dire que la Russie et la Chine empêcheront le Conseil de sécurité des Nations unies d'agir et qu'il est probable qu'elles s'opposeraient au déploiement de toute sorte de force de maintien de la paix dans la région frontalière. À l'heure actuelle, le président Macron semble être le porte-parole légitime de l'Union européenne, qui a cependant du mal à maintenir une position commune. Vous venez d'entendre un témoignage sur la politique des gazoducs, plus ou moins. Elle crée, en fait, une division entre les États-Unis, d'une part, et l'Allemagne et la France, d'autre part. Elle crée aussi des frictions internes.
    En ce qui concerne l'OTAN, la Russie ne veut pas qu'elle intervienne officiellement dans ce qu'elle considère, et c'est typique, comme un problème historique interne. Évidemment, même si les États-Unis préféreraient une participation de l'OTAN pour des raisons stratégiques, la Russie a demandé qu'on se tourne vers l'OSCE.
    Quant aux engagements des parties intéressées, il y a à la fois des risques et des facteurs externes, mais aussi des possibilités. En ce qui a trait aux coûts irrécupérables, le Canada a sa mission d'instruction en Ukraine et du personnel de l'Aviation royale canadienne basé en Roumanie. Les troupes alliées se trouvent à l'est, où elles constituent une cible facile, avec des risques d'accidents, de guerres hybrides, y compris de cyberattaques, de guerre de l'information, et ainsi de suite.
    L'institution et d'autres acteurs, comme l'OTAN, ont les mains liées en adoptant vis‑à‑vis de l'Ukraine une politique de la porte ouverte. Nous avons en ce moment une crise migratoire doublée d'une crise des droits de la personne. Nous essayons d'empêcher que les frontières soient poreuses, mais l'intégrité territoriale est essentielle d'un point de vue symbolique et fonctionnel, étant donné les multiples risques concomitants.
    Parallèlement, l'OTAN s'est engagée à ne pas repositionner de moyens de sa défense stratégique terrestre mobile. Les systèmes Patriot et THADD sont absents, alors que des missiles Iskander russes sont déployés dans la région. Leur utilisation par la Russie serait un pari public pour faire monter les enchères et entraîner une escalade. La Russie préfère des modifications sans violence. Pour elle, la menace d'une incertitude stratégique future perçue aujourd'hui comme étant d'un coût prohibitif peut forcer les acteurs à négocier.
    Nous avons un peu parlé de sanctions ciblées. J'y vois surtout une punition à court terme que la Russie peut atténuer en adaptant assez facilement la taille du marché ou les prix. Encore une fois, ce sera le printemps dans quelques mois en Europe, ce qui diminuera le poids de l'énergie dans la balance.
    Ce que nous voyons, c'est que la Russie a durci le ton à la frontière ukrainienne en y déployant une partie d'au moins 11 de ses 13 armées. Si elle déplace autant de forces vers l'ouest, c'est qu'elle ne craint pas d'être exposée sur sa façade orientale par rapport à la Chine.
    Comment est‑ce possible? La Russie et la Chine ont un pacte de non-agression fonctionnel qui leur permet de scinder l'attention des partenaires occidentaux entre sécuriser la frontière orientale de l'OTAN, ce dans quoi le Canada, les États-Unis et leurs partenaires s'investissent énormément en matière de défense et sur le plan économique et politique, et chercher à empêcher une expansion territoriale chinoise anormale en Asie du Sud-Est.
    La domination navale et aérienne est menacée en Asie du Sud-Est. Nous assistons maintenant à de grandes manœuvres militaires et navales sino-russes, ce qui est le signe d'une coopération de défense et de sécurité croissante qui fonctionne. Ensemble, la Chine et la Russie se protègent contre les États-Unis et l'ordre démocratique. Elles ont résolu plusieurs différends territoriaux au cours des 20 dernières années, renforcé leur coopération technique et créé ce qu'elles appellent elles-mêmes un « partenariat d'alliance stratégique », au risque d'une vulnérabilité stratégique bilatérale l'une envers l'autre pour contrer les États-Unis et l'Occident.
    La Russie bénéficie des investissements économiques et du capital intellectuel et humain chinois, tandis que les deux pays renforcent de concert leurs secteurs industriels de défense et de sécurité. Chose importante, ils sont en désaccord sur des aspects de l'initiative des nouvelles routes de la soie, mais c'est un facteur clé d'intégration économique et de sécurité pour les deux pays qui a des conséquences pour la défense et la sécurité régionales et mondiales, et le projet a été réalisé en utilisant des moyens de coopération officieux.
    À présent, les deux pays ont une résolution à court terme de leur problème d'engagement mutuel. L'engagement de ne pas se combattre et d'éviter d'interférer dans leurs affaires régionales respectives, tout en mettant l'accent sur des programmes de développement économique et de sécurité nationale indépendants mais liés. La Russie estime que la Chine l'aide à éviter son déclin en ne se mêlant pas de ce qui se passe en Europe, tandis que la Chine apprécie la non-intervention tacite de la Russie en Extrême-Orient, toutes deux gagnant à faire la sourde oreille en ce qui concerne les violations des droits des minorités ethniques et religieuses.
    Que pourrait faire l'OSCE? C'est actuellement la seule institution dont la Russie fasse partie. Son mandat comprend la prévention des conflits, la gestion de crises frontalières, la reconstruction après les conflits, ainsi que le renforcement de la confiance et de la sécurité, mais il s'agit plus d'un échange. Elle n'a pas vraiment de consistance.
(1650)
    Si nous convenons que la Russie est une puissance révisionniste bien établie aux prises avec un déclin relatif et que l'Ukraine est un pion sur l'échiquier, les accords de Minsk sont insuffisants. La Russie est totalement exclue des accords de Minsk II.
    La structure et le processus pourraient être relancés, mais il faut pour cela une redémarcation des zones non militarisées. Les parties doivent s'engager à stabiliser les frontières de l'Ukraine. Ces accords offrent une orientation, mais ne peuvent être mis en oeuvre. Il faut clarifier les obligations et obtenir à la fois des engagements accrus de tierces parties en matière de surveillance et une mise en oeuvre par toutes les parties.
    Le Canada pourrait utiliser des accords bilatéraux et des ententes informelles avec l'Ukraine et des partenaires régionaux, et il pourrait collaborer en ce qui concerne la sécurité régionale, la stabilité internationale, les relations entre civils et militaires, la stabilité démocratique, la surveillance du respect des droits de la personne, et des formations accrues dans le cadre d'échanges comme le Programme des futurs leaders dans les Amériques d'Affaires mondiales et d'autres programmes d'instruction militaire.
    Par ailleurs, la Pologne et la Turquie joueront de plus en plus un rôle clé dans les relations OTAN-Russie-Europe de court à moyen terme, et le Canada devrait y prêter attention.
    Pour conclure, la décision des États-Unis d'envoyer des troupes au Danemark ne réduira pas l'impression qu'a la Russie d'un encerclement dans la région. Les Danois ont toujours refusé d'accueillir sur leur sol des moyens de l'OTAN, car il ne faut pas oublier que parmi les partenaires originaux, Copenhague était la plus proche de Moscou. C'est un changement par rapport à la position qui a été celle du Danemark pendant 70 ans et un signe des sentiments d'insécurité actuels. Je peux parler des Amériques dans les questions.
    Mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de votre attention.
(1655)
    Professeur Kimball, je vous remercie de vos observations préliminaires.
    La parole est maintenant au professeur Hampson pour cinq minutes.
    J'aimerais vous poser quatre questions.
     Le Canada en fait‑il assez pour empêcher une invasion de la Russie en Ukraine? Que doit‑on faire si la dissuasion échoue? Quelles mesures supplémentaires devraient être prises pour renforcer la résilience ukrainienne afin d'atténuer les risques d'effondrement de l'État et de la société à mesure que la crise évolue? Enfin, quel rôle le Canada devrait‑il jouer dans le renforcement du contrôle des armements et la prise de mesures de confiance pour désamorcer la crise et réduire les risques d'affrontement militaire?
     Nous sommes dans la phase préliminaire à l'attaque. Le Canada peut‑il en faire plus pour aider l'Ukraine? Certains soutiennent que nous devrions fournir des armes légères et des armes antichars, qui dorment dans des entrepôts et qui étaient initialement destinées aux forces kurdes en Irak. Peut-être.
    L'aide en matière de cybersécurité, en coopération avec l'Estonie et l'Union européenne, est une option, mais le temps presse.
    Comme vos témoins précédents l'ont souligné, nous devons aussi nous préparer à des cyberattaques et à des campagnes de désinformation dans les médias sociaux qui seront dirigées contre nous.
     Que devrions-nous planifier maintenant au cas où la dissuasion échouait et qu'il y avait une incursion de la Russie en Ukraine? Les pays alliés de l'OTAN aux premières lignes demanderont beaucoup plus de soutien et d'aide militaires directs, notamment les pays baltes. Sommes-nous prêts à répondre à ces demandes?
    L'Europe, l'OTAN et le Canada devraient être prêts à gérer une crise majeure de réfugiés, dont le nombre pourrait s'élever, dans le pire des cas, à plus de cinq millions de personnes déplacées contre leur gré.
    Comment l'OTAN va‑t‑elle répondre aux attaques russes contre les populations civiles ukrainiennes, qui pourraient causer la mort de dizaines de milliers de personnes? Lors de crises précédentes, comme en Bosnie, au Kosovo et en Libye, l'OTAN a eu recours à ses actifs militaires pour imposer des zones d'exclusion aérienne. Ce n'est pas vraiment une option dans le cas qui nous occupe.
     Quant aux sanctions économiques, il y a les sanctions financières contre les banques et les institutions financières russes, des interdictions d'exportation de haute technologie et des sanctions globales en matière de commerce et d'investissement, mais j'attire votre attention sur la LRBB, la Loi sur la réaffectation des biens bloqués, un projet de loi actuellement à l'étude au Sénat du Canada. Il s'agit d'une forme de « Magnitski plus ». Ne nous contentons pas de bloquer, saisissons l'argent et les avoirs étrangers de Poutine et de ses hommes de main et réutilisons-les pour aider ses victimes. C'est peut-être une option à envisager s'il attaque l'Ukraine.
     Les prix de l'énergie ont monté en flèche. Une invasion russe de l'Ukraine entraînera presque certainement une nouvelle flambée des prix, non seulement en raison de l'annulation du projet Nord Stream 2, mais aussi parce que les principales exportations de gaz russe vers l'Europe transitent actuellement par l'Ukraine.
    Les consommateurs canadiens seront aussi touchés alors que le Centre du Canada est lui aussi vulnérable à des perturbations de l'approvisionnement si la gouverneure de l'État du Michigan décidait de fermer la canalisation 5 de l'oléoduc. C'est le scénario d'une tempête parfaite.
     Une attaque russe sera extrêmement dommageable à l'économie ukrainienne. Il y aurait probablement une ruée vers l'hryvnia et une crise de la balance des paiements et des finances publiques. L'Ukraine perdrait aussi une importante source de recettes générées par les droits de passage qu'elle perçoit pour le transport du gaz de la Russie vers l'Europe. Ses systèmes de soins de santé et de services sociaux pourraient aussi être surchargés.
     S'ils ne l'ont pas fait déjà, le FMI, l'Union européenne, la Banque mondiale et d'autres institutions internationales devront élaborer des plans d'urgence pour aider l'Ukraine à faire face à une grave crise économique. Quelle sera la contribution du Canada dans ce scénario, au‑delà de ce que nous faisons déjà? Quelles solutions d'urgence sont en place en cas d'urgence humanitaire majeure?
    Si la Russie renonçait à attaquer, il y aurait probablement une discussion sur une nouvelle architecture de sécurité. Il faudra un engagement ferme en faveur de nouvelles mesures de contrôle des armements et de renforcement de la confiance.
     Il faudrait envisager des efforts visant à revitaliser le Conseil OTAN-Russie à titre de principal mécanisme de consultation et de coopération. Le Canada avait joué un rôle important dans la création et le développement du Conseil.
    De nombreuses mesures de contrôle des armements et de renforcement de la confiance pour l'Europe sont passées à la trappe. L'initiative Ciel ouvert et le traité FNI devront être rétablis, tout comme d'autres mesures de renforcement de la confiance et de la sécurité qui interdiraient les exercices militaires à proximité des frontières d'un autre pays.
     Historiquement, comme vous le savez tous, le Canada a joué un rôle essentiel dans la construction de l'architecture européenne de contrôle des armements et de renforcement de la confiance. Nous devrons de nouveau nous montrer à la hauteur.
(1700)
    Merci beaucoup, monsieur Hampson. Merci d'avoir respecté parfaitement le temps alloué.
    J'aimerais maintenant vous céder la parole, madame Oliker, avec les remerciements spéciaux du Comité. Vous êtes en liaison depuis Bruxelles et nous savons que c'est la fin de la soirée chez vous. Nous vous en sommes très reconnaissants.
    Veuillez présenter votre déclaration liminaire. Vous disposez de cinq minutes.
    Merci au Comité de m'avoir invitée et merci au président, aux vice-présidents et mesdames et messieurs les députés de leur présence.
    Comme je pense que vous l'avez entendu très clairement lors de la séance précédente, une escalade de la guerre est et demeure très possible. Il y a une énorme accumulation de troupes et une grande latitude de la part de Moscou dans le choix du type d'opération qu'elle pourrait mener. À cela s'ajoute une présence navale substantielle dans les théâtres de la mer Noire et de la mer d'Azov, bien que nous ayons entendu dire au cours de la dernière heure que l'exercice de missiles dans la mer d'Azov avait au moins été annulé. Cela ne change rien au fait que, même sans l'exercice de missiles, la Russie a pratiquement encerclé l'Ukraine.
    En cas d'escalade de la guerre, la Russie gagnera. Elle dispose de plus d'hommes et de plus d'armes. Elle est plus forte et dispose d'une plus grande capacité d'envoyer plus de matériel. Aucune quantité d'aide létale ou non létale que les amis de l'Ukraine pourraient envoyer ne changera cette équation. Des armes peuvent permettre à l'Ukraine d'infliger plus de dégâts. Des systèmes et des outils pourraient aider davantage d'Ukrainiens à survivre. Ce sont les scénarios disponibles, mais ils n'aboutiront pas à la victoire. Une fois la guerre déclenchée, l'approvisionnement depuis l'étranger va devenir difficile si la Russie continue de bloquer l'accès par les voies navigables et si les vols deviennent dangereux.
     Deux options pour empêcher la guerre pourraient fonctionner et ont de fortes chances de fonctionner. La première consiste à se plier aux demandes des Russes. L'autre est que les États membres de l'OTAN, y compris le Canada et les États-Unis, s'engagent à se battre pour l'Ukraine. Ni l'une ni l'autre ne se produira. Dans le premier cas, c'est parce que les demandes de la Russie, en ce qui concerne l'Ukraine et, plus largement, la sécurité européenne, sont inacceptables pour l'OTAN ou l'Ukraine. Quant à la seconde, c'est parce que si la menace d'une guerre plus étendue, avec plus de participants et un risque réel d'escalade, jusqu'au recours à l'arme nucléaire, pourrait bien dissuader Moscou, ces risques sont également si élevés que les États membres de l'OTAN ne veulent pas les prendre.
    Au cours des trois derniers mois, nous avons assisté à des efforts de la diplomatie pour trouver une formule qui incite suffisamment Moscou à faire marche arrière sans compromettre la sécurité ou la souveraineté de l'Ukraine occidentale. Il ne s'agit pas que de carottes, bien sûr. Je pense que nous en avons déjà parlé. Il y a cette offre jumelée de pourparlers sur les éléments fondamentaux de la sécurité européenne, dont M. Hampson vient de parler, avec la menace de sanctions substantielles et de renforcements de la présence militaire en Europe, qui ont déjà commencé. C'est la bonne approche, mais elle pourrait ne pas fonctionner, auquel cas l'Ukraine sera la première à en souffrir, mais nous en souffrirons tous aussi, comme M. Hampson vient de le mentionner.
     Je tiens à vous expliquer brièvement pourquoi la Russie agit ainsi, bien qu'elle affirme le contraire et dit que le renforcement de sa présence militaire n'est qu'hyperbole de la part de l'Occident. La diplomatie, qui mise sur la sécurité européenne, illustre le fait que le défi en Ukraine s'inscrit dans le cadre plus large du défi de la sécurité européenne, à savoir l'incompatibilité des visions de la sécurité de la Russie, d'une part, et de celle des États occidentaux, d'autre part. Pour la Russie, 30 années d'élargissement et d'engagement de l'OTAN à proximité de ses frontières constituent un effort, souvent couronné de succès, pour limiter les capacités et l'influence de Moscou, et pour la contraindre. Moscou n'a jamais vu l'OTAN ou l'Union européenne comme des acteurs indépendants. Elle les considère comme des filiales des États-Unis.
     Dans ce contexte, l'Ukraine représente depuis longtemps une limite infranchissable pour Moscou. Si la guerre de 2014 a été déclenchée au départ par l'association à l'Union européenne, et non par l'élargissement de l'OTAN, et en fait, l'élargissement de l'OTAN à l'Ukraine n'a pas été et n'est toujours pas dans les cartons dans un avenir prévisible, la Russie s'est montrée, depuis, encore plus préoccupée par les liens croissants de l'Ukraine avec l'Alliance, des liens qui, ironiquement, ont évidemment été largement motivés par la guerre.
     La Russie avait espéré que le président Volodymyr Zelenskyy, élu en 2019 sur un programme de paix, mette en œuvre les accords de Minsk, c'est‑à‑dire les accords de cessez‑le‑feu signés en 2014 et 2015 pour mettre fin aux pires des combats, comme la Russie souhaite qu'ils soient mis en œuvre de sorte qu'elle puisse asseoir son influence dans l'Est de l'Ukraine et lui procurer ce veto de l'Est sur des mesures de politique étrangère. Cela ne s'est pas produit. M. Zelenskyy se trouve plutôt à peu près dans la même situation que son prédécesseur, avec des combats latents et des négociations au point mort.
    La COVID a maintenant entraîné un arrêt presque complet des échanges humains et commerciaux entre les territoires contrôlés par le gouvernement et ceux qui ne le sont pas. La Russie a sans doute pensé que la force, ou sa menace, pourrait obliger Zelenskyy à reculer, ou qu'il pourrait être forcé de quitter son poste et remplacé par quelqu'un de plus acceptable, bien que l'élection d'une personne favorable à la Russie semble peu probable sans une occupation complète.
    En principe, un véritable accord sur la sécurité européenne, et même sur l'Ukraine, est dans l'intérêt de tous. Ce serait une bonne chose même sans l'escalade actuelle. Des limites aux déploiements, aux activités et aux exercices et peut-être, oui, même une certaine affirmation du fait que l'Ukraine n'adhérera pas à l'OTAN dans un avenir prévisible pourraient très bien améliorer la situation de tous. Les efforts déployés par l'OTAN et la Russie pour se dissuader mutuellement au cours des huit dernières années ont entraîné une augmentation du nombre d'incidents, tandis que les forces s'exercent et opèrent à proximité les unes des autres.
    Un accord visant à mettre fin à la guerre en Ukraine permettrait de sauver des vies et des moyens de subsistance, mais la Russie attend peut-être de voir ce qu'elle peut soutirer. Elle pourrait se montrer avide, en particulier si elle pense qu'elle peut survivre aux sanctions, que l'Ukraine n'opposera pas beaucoup de résistance et que les renforcements de la présence militaire et les sanctions de l'Occident auront lieu de toute façon. Si elle accepte de négocier, il est vital que ces négociations se poursuivent, sinon d'autres crises se répéteront.
(1705)
     Si, au contraire, la guerre s'intensifie, nous verrons davantage de ces renforcements de l'activité militaire. Nous verrons une tension croissante et davantage de crises, chacune d'elles étant plus susceptible de conduire à l'escalade que nous craignons tous. Nous devrions tous nous préparer aussi à une telle éventualité.
    Madame Oliker, merci beaucoup pour votre témoignage.
     Le temps qu'il nous reste permettra à quatre députés de faire des interventions de six minutes.
     La première revient à M. Aboultaif.
    Vous avez la parole pour six minutes. Allez‑y, je vous en prie.
    Merci aux témoins. Je pense que nous avons eu trois merveilleux témoignages cet après-midi.
     La situation là‑bas est évidemment très complexe et probablement l'une des plus difficiles... C'est une tempête parfaite en soi, dans laquelle tant de facteurs peuvent entrer en jeu.
    En filigrane, il y a la sécurité, qu'elle soit énergétique ou territoriale. Il semble que la situation ait dégénéré si rapidement lors de la mise en place de la deuxième ligne de Nord Stream, la Nord Stream 2. Pour une raison quelconque, c'est devenu un problème à tous les niveaux. Les Russes veulent maintenant la sécurité et la protection des frontières. Ils ne veulent pas que l'Ukraine adhère à l'OTAN. De plus, ils veulent diviser le monde occidental et l'OTAN en parlant aux Américains et en ne parlant pas aux Français, ou en ne parlant qu'aux Français.
    Le gazoduc Nord Stream 2 est le point névralgique dans cette sombre situation à laquelle nous sommes confrontés. Si le flot s'arrête, ce n'est pas bon pour la Russie, l'Allemagne ou l'Ukraine.
     J'aimerais que M. Hampson ou Mme Oliker nous donnent d'autres statistiques à ce sujet. Pourriez-vous tous deux nous faire part de vos commentaires à ce sujet?
    Je n'ai pas de statistiques au bout des doigts. Je pourrais probablement en trouver et vous les fournir.
     Voici quelques éléments concernant Nord Stream 2. Il n'existe pas encore, ce qui signifie que la Russie se débrouille très bien sans lui pour alimenter l'Europe en énergie. Il fait partie du plan russe d'approvisionnement énergétique de l'Europe à long terme. Voilà pourquoi il est important, mais ne pas le lancer ne change rien en réalité. Cela ne fait que préserver le statu quo.
     L'autre élément qu'il est vraiment important de rappeler, c'est que lorsque Nord Stream 2 a été envisagé, l'idée était qu'il s'agissait d'un moyen d'éviter de transiter par l'Ukraine afin que les approvisionnements énergétiques allemands soient à l'abri des combats entre la Russie et l'Ukraine. Le fait est qu'à l'heure actuelle, la majeure partie de l'énergie allemande en provenance de Russie ne transite pas par l'Ukraine. Pendant que Nord Stream 2 était en cours de réalisation, de nombreuses autres voies ont été développées. Pour l'Allemagne, du moins, cela ne pose aucun problème. Le problème se pose davantage pour d'autres pays.
     C'est vraiment devenu une question beaucoup plus politique qu'autre chose. Cela ne veut pas dire que c'est sans importance pour la Russie; c'est assez important pour la Russie et l'Allemagne. Il y a des coûts irrécupérables. Des gens ont investi beaucoup d'argent dans ce gazoduc. Pour la Russie, il représente une grande partie de son modèle d'approvisionnement de l'Europe, mais il est aussi devenu, je dirais, plus important politiquement qu'économiquement.
(1710)
    Je vous remercie.
     Monsieur Hampson.
    La Russie comble actuellement environ 40 % des besoins de l'Allemagne en énergie à base d'hydrocarbures, soit du pétrole et du gaz. À l'origine, le gazoduc Nord Stream devait fournir quelque chose comme 55 milliards de mètres cubes de gaz à l'Allemagne. Si vous êtes un expert en énergie, vous savez ce que cela représente. Je ne me considère pas comme un expert en énergie, donc je ne peux pas vous dire ce que cela représente, mais cela semble être une énorme quantité de gaz.
    Le gazoduc pourrait toujours être mis en service plus tard. Vous pouvez suspendre les exportations et dire que vous ne les accepterez pas. C'est toujours une option, si la situation change. Cela vous donne, je pense, un important levier contre le régime de Poutine. Cela signifie qu'à court terme, il ne sera pas payé pour quoi que ce soit.
    Le président Biden et l'administration des États-Unis ont cherché d'autres sources d'énergie essentiellement pour remplacer... si quelque chose se produisait avec le gazoduc ou l'approvisionnement en gaz de la Russie.
     Dans quelle mesure cela va-t-il changer la stratégie de Vladimir Poutine, à votre avis? Il semble jouer toutes ses cartes en même temps, sans donner d'indice sur laquelle il abattra en premier. Nous allons garder à l'esprit qu'il est certain que la guerre ne profite à personne, ni maintenant ni à l'avenir.
    En ce moment, l'administration Biden cherche des contrats de GNL au Moyen-Orient, la source d'approvisionnement la plus proche, mais je peux vous parier que ces pays subissent également des pressions de la part de la Russie pour ne pas conclure de contrats potentiels, donc une forte pression s'exerce sur les Saoudiens et les autres pour rester à l'écart du jeu.
     Je pense que nous sommes tous d'accord pour dire qu'ils obtiendront du gaz, mais qu'il sera beaucoup plus cher, et ce, pour tout le monde.
    Pensez-vous qu'il est trop tard, ou qu'il commence à être un peu tard, pour essayer de trouver une source d'énergie de remplacement à ce stade?
    Non, je ne le crois pas, mais je ne pense pas que cela fera partie de l'équation dans la négociation avec Poutine s'il prévoit d'envahir à la fin de février.
    Merci beaucoup, monsieur Aboultaif.
     Le prochain créneau est celui de M. Ehsassi. Vous avez la parole pour six minutes.
    Permettez-moi tout d'abord de remercier tous les témoins pour leur témoignage incroyablement utile.
     Je m'adresserai d'abord à professeur Kimball.
     Vous avez fait allusion à des dissensions entre les Européens et les Nord-Américains en ce qui concerne les meilleurs moyens d'aider l'Ukraine. Je pense que, dans l'ensemble, les Canadiens comprennent parfaitement à quel point il est extrêmement important qu'il y ait une cohésion multilatérale pour arrêter une invasion russe.
     Comme vous le savez, notre ministre des Affaires étrangères s'est rendue en Ukraine, puis en Europe pour informer nos homologues, tout comme notre ministre de la Défense nationale. À votre avis, le Canada fait-il un bon travail de liaison entre les Européens et les États-Unis pour s'assurer que nous restions solidaires en ce qui concerne la défense de l'Ukraine?
    Je dirais qu'en général, l'un des problèmes tient au fait qu'il est avantageux pour la Russie d'essayer de discuter avec autant de parties prenantes différentes que possible pour essayer de créer de la dissension sur d'éventuelles préférences différentes par rapport aux dénouements possibles. Bien sûr, le fait qu'il y ait une fracture interne au sein de l'UE concernant le gazoduc lui-même complique la situation.
    Il y a une autre chose que nous devrions noter, du moins pour ceux qui utilisent des modèles formels pour étudier le comportement, c'est que la rhétorique de Biden, pour un démocrate qui serait généralement considéré comme un pacifiste, a été assez ferme sur cette question. Je pense que cela montre clairement qu'au moins dans son esprit...
    Cela renvoie aussi un peu au fossé intergénérationnel. Nous avons Biden et Poutine, qui représentent essentiellement la vieille garde de la Guerre froide, puis nous avons le Canada et Macron qui entrent dans la danse, représentant très bien le point de vue de la nouvelle génération, qui n'est pas nécessairement figé dans une structure bipolaire rigide.
     Nous voyons une confusion commune entre la mesure dans laquelle il est question ici de boucler la boucle, soit la Guerre froide, et la mesure dans laquelle l'Europe, en tant qu'acteur indépendant, doit intervenir et agir. Le fait que les Européens ne soient pas parvenus à créer une défense solide et indépendante signifie que l'OTAN est intervenue.
(1715)
    Je vous remercie.
    Monsieur Hampson, comme nous nous intéressons au rôle du Canada, pensez-vous que notre gouvernement a fait un travail adéquat pour s'assurer que tous les membres de l'OTAN et les autres pays qui critiquent cet effort se parlent et élaborent un plan cohérent entre eux?
    Eh bien, il ne fait aucun doute qu'à Bruxelles, il y a beaucoup de consultations en cours, et nous en faisons partie. Ce qui me préoccupe, c'est que le Groupe de Normandie, dirigé par la France et son président, mène des négociations dans le but de faire revivre les accords de Minsk I et II sous une certaine forme, comme nous l'avons entendu, des accords qui avaient été négociés sous la contrainte. Ils étaient ambigus, voir bâclés diraient certains, mais ce fut une négociation très dure.
     J'espère que notre premier ministre s'entretient avec le président français et lui dit clairement qu'il ne faut pas trahir l'Ukraine dans ces discussions, car je pense que l'Ukraine et ses dirigeants vont subir d'énormes pressions pour revenir à Minsk, et nous avons déjà entendu expliquer à quel point cela serait déstabilisant. Ce n'est pas une pilule que les dirigeants ukrainiens sont prêts à avaler, donc nous ne devrions pas en laisser aller trop. Le message devrait être: « Ne vendez pas l'Ukraine, monsieur le président ».
    Monsieur Hampson, votre témoignage était vraiment très instructif sur différents éléments dont nous devrions être conscients. Vous avez parlé de la possibilité d'une cyberguerre menée par la Russie. Sommes-nous prêts? Faisons-nous un bon travail sur ce front précis?
    Eh bien, quand vous dites « nous », l'Ukraine obtient...
    Je parle du Canada, en tant que Canadiens.
    Comme vous l'avez entendu de la part des témoins précédents, les médias sociaux et d'autres types de campagnes de désinformation battent déjà leur plein. Elles sont menées contre nous, pour nous diviser en tant que pays sur cette question, et les Russes en tirent les ficelles. C'est ce qu'ils font depuis longtemps. Je vous conseillerais de parler aux gens du CST et leur demander de les dénoncer et de le faire publiquement.
    Monsieur Ehsassi, merci beaucoup.

[Français]

     Je vais passer la parole à M. Bergeron encore une fois pour six minutes.
    Monsieur Bergeron, vous avez la parole.
    Merci infiniment, monsieur le président.
    Je tiens à remercier chaleureusement tous nos témoins d’avoir pris le temps de préparer ces présentations fort étoffées, pertinentes, intéressantes. J’ai une pensée toute particulière pour Mme Oliker, qui nous fait le plaisir de nous présenter son point de vue à partir de l’Europe à une heure un peu plus tardive que la nôtre.
    Professeur Kimball, j’aimerais commencer par vous. Je dois dire que j’ai été assez fasciné par la présentation que vous nous avez faite de la relation entre la Russie et la Chine. D’ailleurs, l’ancien premier ministre de la France Dominique de Villepin déclarait récemment que le boycottage diplomatique des puissances occidentales des jeux de Pékin avait laissé le champ libre à Xi Jinping et Vladimir Poutine pour mettre en scène leur rapprochement.
    Diriez-vous que la Chine regarde attentivement de quelle façon l’Occident pourrait réagir à une éventuelle invasion de l’Ukraine pour voir s’il n’y a pas lieu éventuellement d'agir du côté de Taïwan?
(1720)
    Je vous remercie de votre question.
    Je vais répondre en anglais, parce que je ne voudrais pas embrouiller les interprètes.
    Non, je vous en prie, répondez en français. Nous avons si peu souvent l’occasion d’entendre des témoins francophones.
    D'accord. Je vais répondre en français, cela ne me dérange pas.
    Non, pas du tout. Au contraire...
    Du côté de la Chine, d’après les données que nous avons récoltées en matière de contestations internationales ou régionales, on observe de plus en plus que la Chine a un œil toujours plus tourné vers l'échiquier international. En comparaison, la Russie tente de plus en plus de se limiter à la zone européenne. Pour ce qui est de la Chine, c’est certain que, si elle voit qu’il y a une absence d’efforts assez coordonnés entre les alliés, elle peut oser en faire encore plus à Hong Kong ou à Taïwan.
    Il faut prendre en compte que les alliés des États-Unis dans la région, comme le Japon et la Corée du Sud, ne sont pas au même niveau d’engagement que celui prévu par l’article 5 du Traité de l'Atlantique Nord. On voit qu’il y a davantage d'engagements en Europe, quand on considère la panoplie des portraits de défense et de sécurité.
    En comparaison, la Chine est dans une région où il y a moins d’acteurs et où ceux-ci ne sont pas très puissants à l'échelle internationale. Par exemple, l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est n’a pas vraiment d'identité de défense forte. Ce qui fait toute la différence, c’est que, en Europe, l’OTAN a tout de même cette identité ainsi que la capacité et la volonté d'intervenir.
    Même si l’Europe et d’autres pays veulent créer une identité de défense, c’est la volonté qui manque. Je vois qu'il n’y a pas d’acteurs en Asie qui vont émerger vraiment pour coordonner une défense ou quelque chose de mieux organisé contre la Chine. Ce que je dis, c’est que c'est vraiment un jeu de couverture de risques, qui consiste, pour ces pays, à voir quels sont les risques liés à chacun des choix qu'ils font, tout en gardant en tête la nécessité implicite de maintenir leurs relations commerciales.
     Je vous remercie infiniment, professeur Kimball.
     Le Canada ne cesse de répéter que l'alliance est unie et que, pour les alliés de l'OTAN, ce front uni est inébranlable en ce qui concerne la question de l'Ukraine.
    Or vous savez sûrement que la France et l'Allemagne, entre autres, ont un point de vue un peu différent quant à l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN. Le président Macron est allé rencontrer le président Poutine, il y a de cela quelques jours, et il a admis que la question de la « finlandisation » de l'Ukraine était sur la table.
    Croyez-vous que c'est véritablement un scénario possible et, si oui, pourrait-il être acceptable pour l'Ukraine?
    La « finlandisation » est un genre de jargon ou de mot clé, et même les Finlandais pourraient se demander ce que cela signifie.
    Essentiellement, l'idée est de savoir si l'on peut mettre en place une politique étrangère de neutralité visant une garantie de sécurité territoriale, même si l'on est voisin d'un État qui pose un grand risque et un certain défi.
    Pour ce qui est de la Finlande, les frontières sont déjà très stables alors que celles de l'Ukraine le sont moins. Cela change un peu la donne.
     Il faut faire en sorte qu'il y ait une stabilité non seulement avec la Russie, mais aussi avec la Biélorussie, sachant qu'en Biélorussie il y a des activités russes qui causent des problèmes. L'aspect de la défense territoriale naturelle est moins présent.
     De plus, l'Ukraine est située dans une région géostratégique, entre la mer Noire et la mer Méditerranée, cette région étant très importante sur le plan commercial. En Finlande, il n'y a pas ce type de corridor et ce genre de relations est plus facile.
    Le pays que j'observe beaucoup, c'est la Moldavie. C'est un pays très petit situé dans cette région et qui a une politique de neutralité. Il est intéressant d'observer comment ce pays réussit à ne pas s'attirer de problèmes alors qu'il est dans une région où les tensions sont vives.
    Je crois qu'il y a des choses à apprendre des autres États de la région, mais je ne suis pas certaine que la « finlandisation » de l'Ukraine soit acceptable, surtout du point de vue de la Russie.
    Comme je l'ai dit, la Russie voit l'Ukraine comme faisant partie de son territoire; elle considère que l'Ukraine n'est qu'une novice de la démocratie et que ses trente années d'indépendance ne représentent qu'un obstacle, un test. En revanche, sa revendication du territoire de la Crimée date de 430 ans. Selon la Russie, nous sommes un peu niais. Puisqu'elle voit l'Ukraine comme faisant partie de son territoire, il sera très difficile de l'en convaincre autrement.
(1725)
    Je vous remercie, professeur Kimball.
    Merci beaucoup, monsieur Bergeron.
    Je passe la parole à Mme McPherson pour six minutes.

[Traduction]

    Merci à tous les témoins. J'ai trouvé cette séance extrêmement instructive et très fascinante.
    Je suis désolée, mais je dois utiliser un peu de mon temps avant de revenir aux questions pour dire que, compte tenu de l'urgence de la situation à laquelle le Canada est confronté et des rapports selon lesquels d'importantes sommes d'argent américain servent actuellement à des organisateurs dont le but avoué est de créer leur propre gouvernement et de dissoudre le gouvernement actuel, je demande le consentement unanime de mes collègues pour proposer et débattre à la fin de notre réunion ma motion visant à inviter l'ambassadeur des États-Unis à comparaître ici pour répondre aux préoccupations concernant l'ingérence étrangère.
     Je veux présenter cette motion et demander le consentement unanime, si vous me le permettez.
    Y a-t-il consentement unanime, afin de ne pas trop empiéter sur le temps de Mme McPherson, chers collègues?
    Nous n'avons pas de consentement.
    C'est à vous, madame McPherson.
    Merci beaucoup.
    Je présenterai cette motion a notre prochaine réunion et nous pourrons en débattre à ce moment-là.
    En écoutant tous ces témoignages, et je commencerai par Mme Oliker, je pense que nous avons beaucoup entendu parler des dénouements potentiels et des discussions potentielles qui ont lieu. À votre avis, pouvez-vous envisager une issue diplomatique à cette crise qui serait acceptable pour l'Ukraine, la Russie et les pays de l'OTAN?
    Oui, absolument. Je pense qu'il existe une solution diplomatique à cette crise qui nous laisserait en meilleure posture qu'avant le début du renforcement de la présence militaire russe.
     La situation en Europe n'était pas stable. La frontière sécuritaire européenne et les traités qui la régissent étaient dépassés et avaient commencé à s'effondrer. Nous avons connu des renforcements de présence militaire et des incidents dangereux, sans même parler du plus récent.
    Il est crucial de reconstruire un ordre de sécurité et de mener ces négociations. Une guerre est en cours en Ukraine depuis huit ans. Il est également crucial de mettre fin à cette guerre et de trouver une solution pour l'avenir.
     Une solution diplomatique est la bonne voie à suivre et elle est nécessaire. Oui, elle est possible si tout le monde est prêt à faire des compromis. Le défi tient au fait, du moins d'après ce que nous avons vu sur papier, qu'il n'y a pas beaucoup d'ouverture aux compromis.
    Vu de l'extérieur, la question que je me pose, c'est de savoir s'il y a des indices d'un plus grand mouvement que nous ne voyons pas. Par exemple, les négociateurs de la formule de Normandie viennent de sortir de la salle de négociation après avoir passé neuf heures ensemble à Berlin.
     Avant de nous faire trop d'illusions, rappelons qu'ils ont passé huit heures ensemble il y a deux semaines à Paris et sont sortis en affirmant leur appui aux accords de Minsk et la nécessité d'un cessez-le-feu. Nous verrons s'il en sort quelque chose cette fois-ci.
    Il y a absolument une voie à suivre, une solution qui repose sur le contrôle des armements. Elle est fondée sur des garanties de la souveraineté ukrainienne, laquelle pourrait ressembler au bout du compte à une forme de neutralité, malgré les nombreux problèmes que cela pose, notamment le fait que l'Ukraine était neutre en 2014 lorsque la guerre a commencé. Sa constitution lui conférait un statut « hors bloc ». Comme professeur Kimball l'a dit, la Russie voudrait un vassal, pas un État neutre.
    Par définition, « négocier » signifie que tous doivent faire des compromis. Si tout le monde est prêt à le faire, il y a une solution.
(1730)
    Il y a là une possibilité.
    J'ai essayé de comprendre la situation. J'ai demandé à nos témoins précédents ce qu'ils pensaient de l'idée d'imposer des sanctions, de mettre en place des armes défensives et toutes ces choses... N'y a-t-il là un risque d'aggraver la situation au lieu de la désamorcer, plutôt qu'attendre trop longtemps, jusqu'à une éventuelle nouvelle incursion en Ukraine? Comment trouver cet équilibre en nous assurant de laisser autant de place que possible à la diplomatie, à la désescalade et à un règlement pacifique?
    Je l'ai dit à la Chambre des communes. Ce sont les Ukréniens qui souffriront s'il y a une guerre. Ce sont les femmes et les enfants d'Ukraine.
    Comment trouver cet équilibre, madame Oliker?
    Les armes défensives ne vont pas aggraver la situation, surtout si elles sont en fait des choses qui aident plus d'Ukrainiens à survivre. Pourquoi cela aggraverait-il la situation?
    La Russie n'y verrait-elle pas une provocation?
    Ils vont protester et se plaindre, mais non, je ne pense pas que cela aggrave la situation. De plus, les Russes vont quand même gagner la guerre, et ils le savent.
     Je pense que le problème que posent les approvisionnements d'armes, c'est qu'après, si nous parvenons à un accord, nous aurons une Ukraine beaucoup plus lourdement armée. Nous devrons voir ce que cela signifie. Franchissons ce fossé quand nous y arriverons.
     Par rapport aux sanctions et aux renforcements de la présence militaire, les sanctions sont plus efficaces comme instruments de dissuasion lorsque vous n'avez pas besoin de les imposer. Si vous commencez à les imposer, vous le faites en tant qu'instruments de rétribution. Cela fonctionne très bien pour montrer que vous êtes mécontent, mais comme nous l'avons vu au cours des huit dernières années avec la Russie, c'est moins efficace pour modifier vraiment les comportements. Il y a très peu de raisons de penser que le fait de les punir maintenant avec des sanctions plus rigoureuses va modifier leur comportement.
     Ce qui est différent, ce sont les sanctions qui visent à empêcher une situation particulière que vous ne voulez pas voir se produire. Ce sont des sanctions qui changent physiquement l'équation, comme les mesures de lutte à la corruption dans son propre pays. Elles peuvent être utiles, car elles ont un effet.
     Le renforcement de la présence militaire se poursuit. Il est en cours en ce moment même, avec l'envoi de nouvelles forces en Europe et autour de l'Europe. Je pense que c'est un avant-goût de ce qui s'en vient.
    Merci, madame McPherson.
     Chers collègues, nous en sommes à un peu plus de 17 h 30. Je suis conscient de l'intérêt potentiel de prolonger la séance d'au plus 15 minutes, mais j'aimerais le faire par consensus, car je suis conscient que certains membres doivent peut-être voyager. C'est jeudi soir.
     Je suis aussi très conscient qu'au moins une de nos témoins se trouve dans le fuseau horaire de Bruxelles. Si tout le monde est d'accord pour poursuivre jusqu'à 17 h 45, heure de l'Est, nous pourrions passer au travers des quatre premiers segments de la deuxième série de questions.
     Quelqu'un s'oppose-t-il à cette proposition? J'aimerais que nous procédions par consensus.
    Comme personne ne s'y oppose, je vais donner la parole à M. Chong pour cinq minutes.
    J'aimerais examiner l'architecture et les outils disponibles pour faire respecter l'ordre international fondé sur des règles afin de contenir les menaces provenant d'États indisciplinés. J'aimerais donc demander à M. Hampson ce qu'il pense de l'idée d'un tribunal international de lutte contre la corruption.
     Je crois que l'automne dernier, vous avez écrit une lettre d'opinion dans laquelle vous suggériez que le Canada devrait prendre l'initiative de créer un tel tribunal. J'ai deux questions à vous poser. Premièrement, quel rôle la corruption joue-t-elle dans la politique étrangère de la Russie? Deuxièmement, quel rôle un tribunal international de lutte contre la corruption pourrait-il jouer pour contrer les menaces de la Russie?
    Tout d'abord, quel rôle la corruption joue-t-elle? La corruption soutient le régime et ses dirigeants par l'entremise de leurs différents comptes outre-mer et de l'argent qu'ils ont caché dans différents comptes bancaires dans différentes parties du monde et dans différents avoirs.
    Pour revenir à la question des sanctions, nous devrions leur faire savoir que nous disposons d'outils. Si la Loi sur la réaffectation des biens bloqués était adoptée, nous pourrions l'utiliser contre eux pour confisquer ces avoirs. Cela constituerait une menace bien plus forte que le simple blocage. C'est ce qu'on appelle « bloquer et confisquer », et je dirais que le message à leur intention serait: « Si vous franchissez cette ligne, vous allez le sentir dans votre portefeuille ».
     En ce qui concerne le tribunal international de lutte contre la corruption, il s'agit de mettre en garde les dirigeants étrangers, s'ils sont poursuivis devant le tribunal, que s'ils s'aventurent hors de leur pays, ils seront traduits devant le tribunal et jugés.
    On dit souvent que les entreprises canadiennes, par exemple, pourraient s'opposer à un tel instrument, monsieur Chong, mais en réalité, je pense que vous constaterez, si vous commencez à les sonder, qu'elles y verraient un excellent moyen d'uniformiser les règles du jeu lorsqu'elles font des affaires à l'étranger, car cela avertirait les dirigeants étrangers qu'ils ne peuvent pas jouer à ce genre de jeu.
    Encore une fois, sans trop entrer dans les détails, il s'agit de deux instruments potentiels à utiliser contre des régimes corrompus comme l'administration de la Russie. Il faudra beaucoup de temps pour mettre sur pied un tribunal international de lutte contre la corruption, mais nous pouvons mettre en application la LRBB dès maintenant s'il existe une volonté politique de le faire, et je pense qu'il y a de bonnes raisons de le faire. D'autres pays pourraient bien suivre notre exemple si nous adoptions une telle loi sans tarder.
(1735)
    Nos témoins précédents ont déclaré aujourd'hui que le président Poutine valait 200 milliards de dollars. Pensez-vous que l'évaluation est exacte?
    Oui, et c'est peut-être une évaluation plutôt prudente, pour être tout à fait honnête, parce que nous ne savons pas vraiment combien d'argent il a dissimulé. Il vaut beaucoup, et c'est évidemment très important pour lui. Nous devrions les avertir, lui et ses sbires, que nous n'allons pas seulement bloquer les fonds, nous allons aussi les confisquer.
    Dans le groupe précédent, Bill Browder a laissé entendre que le gouvernement envisage la mesure suivante: identifier les 50 oligarques qui détiennent les 200 milliards de dollars d'avoirs du président Poutine, sanctionner cinq d'entre eux pour commencer et imposer une date limite pour le retrait des troupes russes de la frontière ukrainienne. Ensuite, si ce délai n'est pas respecté, sanctionner cinq autres oligarques et garder la sanction des 40 autres oligarques en réserve si la Russie devait poursuivre l'invasion de l'Ukraine. Que pensez-vous de cette stratégie?
    Je pense qu'elle peut être utile, mais il faut être prudent lorsqu'on fait des menaces qu'on n'est pas prêt à mettre à exécution et, comme vous l'avez souligné, notre pays n'a pas été particulièrement actif sur le front Magnitsky.
    Merci, monsieur Chong.
     Merci beaucoup, monsieur Hampson.
     La parole revient maintenant à M. Sarai et à Dre Fry, qui se partageront cinq minutes.
    Merci à tous les témoins. Ce groupe de témoins a été très instructif. Comme je suis un peu à court de temps, je vais essayer d'être bref.
     Madame Oliker, quel est le degré de préparation de l'Ukraine de son côté? A-t-elle une chance, ou le pays est-il vraiment dépassé par la situation?
    Le pays va perdre la guerre contre la Russie. Ses forces sont mieux préparées qu'en 2014, mais la Russie l'est aussi, et la Russie dispose simplement de plus de capacités militaires.
    Vous pensez que sans l'OTAN, les Américains et les autres, l'Ukraine n'aura aucune chance?
    L'Ukraine perdra la guerre, et aucune quantité de fournitures que nous pouvons leur donner à court terme n'y changera quoi que ce soit.
    Quelle est votre évaluation de l'engagement de l'UE? Quelles sont les chances qu'elle offre un plus grand soutien à l'Ukraine?
(1740)
    Si la Russie intensifie le conflit et lance une attaque sous quelque forme que ce soit, l'UE imposera des sanctions. Je n'ai aucun doute qu'elle prendra des mesures. Je n'ai aucun doute que Nord Stream ne sera pas mis en service. Je pense aussi que les Russes s'y attendent.
    Ils ne s'attendent pas à une intervention militaire de l'OTAN ou d'autres pays. Ils s'attendent à des sanctions. Est-ce là votre évaluation de la situation?
    Ils s'attendent exactement à ce que nous leur avons dit, à savoir des sanctions et un renforcement important de la présence militaire dans d'autres pays d'Europe.
    Merci, madame Oliker.
     Ma prochaine question s'adresse à professeur Kimball. Que pensez-vous que l'Union européenne et l'OTAN — c'est une question similaire — finiront par faire si la Russie envahit vraiment le pays? Partagez-vous l'avis de Mme Oliker?
    Bien sûr, l'Union européenne n'a pas beaucoup d'autres choix, à part l'application de sanctions comme première réponse.
     Par contre, l'OTAN pourrait choisir une option parmi plusieurs. Il y a beaucoup de risques, dans le sens où l'OTAN a déjà déployé des troupes sur le front, près de la frontière, et il y a bien sûr un risque que si la Russie entre en Ukraine, qu'elle commence à se montrer gourmande, cette gourmandise pouvant évidemment s'étendre à des endroits comme la Géorgie, où il y a aussi d'autres instabilités, ou le Kazakhstan. Ce serait un autre risque.
     L'un des problèmes est que la Russie a concentré à l'avance une grande partie de ses forces militaires à l'ouest et, de la même manière qu'elle avait profité de Sotchi pour pénétrer en Crimée après les Jeux olympiques, en guise de tremplin, elle pourrait décider de pivoter et d'aller ailleurs. Son objectif, plus ou moins, est de maintenir l'irritation à un niveau élevé et de maintenir l'OTAN dans une situation où elle préfère ne pas répliquer par la violence parce qu'elle ne veut pas donner l'impression qu'elle aggrave le conflit. Cela procure à la Russie une grande marge de manœuvre, surtout parce qu'elle peut utiliser des civils. Elle n'a pas nécessairement besoin d'avoir des soldats identifiés comme tels pour mener ces activités. Bien sûr, c'est une chose que l'OTAN et d'autres États ne font pas, parce que leurs soldats doivent porter une identification, et c'est donc un autre avantage pour la Russie.
    C'est à vous, madame Fry.
    Merci beaucoup, monsieur Sarai, d'avoir partagé votre temps. C'est très généreux de votre part, comme je sais que vous l'êtes.
    Je tiens simplement à dire que j'ai écouté toutes les questions depuis que nous nous penchons sur toute cette affaire. Je suis très active au sein de l'assemblée parlementaire de l'OSCE, et je tiens à poser une question sur Minsk à la table de l'OSCE. Minsk n'a pas vraiment donné de très bons résultats depuis 2014. L'accord a été en quelque sorte édenté en ce qui me concerne.
     Allons-nous dépendre de Minsk, et si nous décidons d'imposer des sanctions, l'Allemagne va‑t‑elle se joindre à nous? L'Allemagne s'est montrée un peu ambivalente et j'espère qu'elle va se joindre à nous, mais qu'en est‑il des nations de l'OSCE autres que l'Union européenne?
     Ma question s'adresse à Mme Oliker et professeur Kimball.
    Les accords de Minsk sont les accords en vigueur et une grande partie des sanctions déjà imposées à la Russie sont liées à leur mise en œuvre. L'abandon des accords de Minsk ouvrirait une grande boîte de Pandore. La meilleure solution consisterait à trouver un moyen de les mettre en œuvre et de trouver un terrain d'entente.
     Je suis convaincue que si la Russie attaque l'Ukraine, l'Allemagne mettra en œuvre un régime de sanctions. Je n'ai aucun doute là‑dessus.
    Merci.
    Veuillez répondre très brièvement, professeur Kimball.
    Je dirais que parce qu'il existe, nous voudrons essayer de nous appuyer sur l'accord de Minsk. Cependant, comme je l'ai dit, ce n'est certainement pas suffisant et il faut lui donner plus de mordant.
     L'un des autres problèmes tient au fait que l'OSCE compte aussi un grand nombre d'autres États ex‑soviétiques qui sont des partenaires du Partenariat pour la paix, mais qui ne cherchent pas à adhérer à l'OTAN. Cela pourrait tendre à rapprocher davantage la position de l'OSCE de celle de la Russie que si c'était l'OTAN qui négociait ou qui était à la table des négociations. Il est important de garder aussi cet élément en tête.
(1745)
    Je vous remercie.
     Je suis désolé, je dois vous interrompre. Il ne nous reste littéralement que quelques secondes.

[Français]

     Monsieur Bergeron, vous avez la parole pour deux minutes et demie.
    Merci, monsieur le président.
    De toute façon, je voulais poser ma question à professeur Kimball, qui pourra compléter sa dernière réponse.
    J'aimerais parler de l'imminence d'une nouvelle invasion de l'Ukraine par la Russie. J'ai eu la chance d'assister à une présentation d'Affaires mondiales Canada et de la Défense nationale, en avril de l'année dernière et en janvier de cette année. Je dois admettre qu'on n'a pas réussi à me convaincre que la situation sur le terrain est très différente aujourd'hui de celle d'avril dernier. Pourtant, on ne cesse de prétendre qu'il y a une invasion très imminente. J'imagine qu'on s'appuie sur des informations venant du renseignement américain pour en arriver à cette conclusion.
    Ma question est fort simple: ce renseignement américain est-il fiable? À l'inverse, a-t-on affaire à ce dont a parlé le dernier groupe de témoins, c'est-à-dire un exercice de propagande de la part des États‑Unis? Nous savons que le renseignement américain est également à l'origine des informations apparemment fiables selon lesquelles il y avait des armes de destruction massive en Irak.
    Jusqu'à quel point peut-on se fier aux informations nous venant du renseignement américain?
    Vous soulevez des idées qui sont éloignées, mais je vais essayer de répondre à votre question.
    Premièrement, les renseignements américains sont récoltés par plusieurs moyens. En 2003, on ne récoltait pas les renseignements de la même manière. Du côté des Américains, il y a eu des avancements sur le plan technologique et il y a eu des améliorations en ce qui a trait à l'organisation et à la transmission des renseignements. Nous espérons que nous recevons une bonne information; nous nous croisons les doigts.
    Pour ce qui est de l'observation des mouvements des troupes, ce sont des agents qui sont des tierces parties qui font l'observation par satellite.
    Il y a aussi la question de la perception. La Russie veut que nous croyions qu'elle fait des exercices et qu'elle a le droit indépendant et autonome de sécuriser l'intérieur de ses frontières en raison des instabilités. C'est vrai. Cependant, on fait des exercices de guerre de grande envergure. On peut se demander si ces exercices sont proportionnels au problème observé.
    On peut aussi regarder ce que font les pays voisins. Comme je l'ai déjà fait remarquer, le Danemark commence à se sentir inquiet et c'est quelque chose que le Canada devrait suivre avec intérêt. Historiquement, le Danemark n'a pas voulu se mêler aux conflits ni accepter les troupes américaines. C'est l'un des rares pays de l'OTAN qui n'accueillent aucun pays allié. Le fait que le Danemark invite les Américains à signer un accord bilatéral envoie quand même un signe assez important qu'il peut y avoir des fractures à l'OTAN.
    Merci, professeur Kimball.
    Mme McPherson a maintenant la parole pour deux minutes et demie.

[Traduction]

    C'était un témoignage fascinant, professeur Kimball. J'aimerais poursuivre sur certains points que ma collègue du Bloc a soulevés.
    Nous avons entendu aujourd'hui que la Géorgie, le Kazakhstan et maintenant le Danemark sont d'autres régions qui seraient potentiellement en danger si l'Ukraine n'était pas en mesure de préserver son intégrité territoriale en cas d'invasion. La Russie a peut-être d'autres objectifs et d'autres endroits dans sa mire.
    Professeur Kimball, pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? Pourriez-vous nous parler des implications possibles?
     C'est déjà une région où nous observons beaucoup d'instabilité. Elle est en partie historique, mais une partie de cette instabilité a également été provoquée par les actions des Américains et d'autres partenaires dans la région. L'une des raisons pour lesquelles la Turquie n'est pas très satisfaite de son statut de membre de l'OTAN, c'est que, manifestement, elle a subi de nombreuses perturbations régionales avec ce qui s'est passé en Irak et en Afghanistan.
    Nous avons déjà une grande région plus militarisée qu'elle ne l'a été depuis longtemps, ce qui crée une situation très volatile. La question se pose aussi pour des pays comme la Géorgie et le Kazakhstan, à savoir s'ils ont la résilience politique intérieure pour repousser toute sorte de... Je pense que c'est aussi là qu'il y a des faiblesses. Ces pays sont eux aussi confrontés à des défis dans ce que nous appelons le contrôle du monopole de la violence à l'intérieur du pays et la stabilisation de leurs frontières.
    Si nous risquons de créer les conditions propices à un échec potentiel dans un État aussi fragile, nous devrions nous en soucier. Sachant qu'il y a des Canadiens en Ukraine, c'est un risque pour le Canada en particulier, parce qu'il y a des citoyens canadiens sur place, mais aussi pour l'OTAN en quelque sorte. Si l'OTAN appelle, il est rare que le Canada ne réponde pas. C'est l'un des éléments au cœur de la politique étrangère canadienne. Le Canada a une position multilatérale et l'OTAN est l'un des partenaires avec lesquels il est le plus souvent en contact ces jours‑ci.
    Il y a donc un intérêt implicite pour le Canada et cet intérêt ne se résume pas à savoir si nos collègues, nos pairs, en Europe vivent de graves problèmes économiques ou sont confrontés à des pénuries d'énergie ou quelque chose du genre. Il s'agit de la menace liée à la convergence de plusieurs instabilités qui pourrait mener à une situation que nous ne voulons pas vivre.
(1750)
    Merci beaucoup, professeur Kimball et Mme McPherson.
    Chers collègues, en notre nom collectif, j'aimerais remercier les témoins du deuxième panel pour leur témoignage et leur présence.

[Français]

     Je remercie les témoins de nous avoir présenté leurs points de vue.

[Traduction]

    Faites tous attention à vous.
    Sur ce, la séance est levée jusqu'à notre prochaine réunion.
Explorateur de la publication
Explorateur de la publication
ParlVU