Bienvenue à la 80e réunion du Comité permanent des finances de la Chambre des communes.
Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement et à la motion adoptée le mardi 7 mars 2023, le Comité se réunit pour discuter de l'état actuel des finances vertes.
La réunion d'aujourd'hui a lieu dans un format hybride, conformément à l'ordre de la Chambre du 23 juin 2022. Les membres sont présents en personne dans la salle et à distance à l'aide de l'application Zoom.
J'aimerais faire quelques observations à l'intention des témoins et des membres du Comité.
Veuillez attendre que je vous donne la parole en vous nommant avant de parler. Si vous participez par vidéoconférence, cliquez sur l'icône du microphone pour activer votre micro et désactivez‑le lorsque vous ne parlez pas.
Pour l'interprétation, ceux qui utilisent Zoom ont le choix, au bas de leur écran, entre le français, l'anglais ou le parquet. Les personnes présentes dans la salle peuvent utiliser l'oreillette et sélectionner le canal désiré.
Je vous rappelle que tous les commentaires doivent être adressés à la présidence. J'invite les membres qui souhaitent prendre la parole à lever la main. Pour les membres sur Zoom, veuillez utiliser la fonction « Lever la main ». Le greffier et moi-même allons gérer l'ordre des interventions du mieux que nous le pouvons, et nous vous remercions de votre patience et de votre compréhension à cet égard.
J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à nos témoins. Nous accueillons, à titre personnel, Eric Usher, dirigeant de l'Initiative Finance du Programme des Nations unies pour l'environnement, le PNUE. Il nous parle de Stockholm. De l'Organisation de coopération et de développement économiques, l'OCDE, nous accueillons Robert Youngman, chef d'équipe, Finance verte et investissement. M. Youngman nous parle de Paris, en France.
Vous avez maintenant l'occasion de faire une déclaration préliminaire avant que nous passions aux questions des membres.
Nous allons commencer par M. Usher.
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Merci beaucoup, monsieur le président et membres du Comité.
J'aimerais vous remercier de me donner l'occasion de vous faire part de mes observations sur la politique et la réglementation en matière de finance durable à l'échelle mondiale et de contribuer à éclairer l'étude en cours au Canada.
Veuillez noter que mes observations sont faites sur une base volontaire à titre personnel et qu'elles ne doivent pas être interprétées comme une renonciation aux privilèges et immunités des Nations unies.
Le Canada s'est engagé à faire la transition vers une économie et une société carboneutres. La Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité est essentielle à la prise de nouvelles mesures stratégiques, et je tiens à féliciter le gouvernement canadien d'avoir franchi cette étape importante.
De même, je me réjouis que le Canada reconnaisse que le secteur privé, en particulier le secteur des finances, a un rôle clé à jouer dans la réalisation du programme global des politiques de carboneutralité. La création en 2018 du Groupe d'experts sur la finance durable canadien et, en 2021, du Conseil d'action en matière de finance durable, le CAFD, sont des étapes importantes en ce sens.
De nombreuses institutions financières, y compris des banques, des assureurs et des investisseurs de premier plan au Canada, ont déjà commencé à intégrer les considérations de durabilité dans leurs activités. Par exemple, la détermination de la durabilité est une priorité clé de leur stratégie d'affaires, et elles en tiennent compte dans leurs politiques de gouvernance et de rémunération. Elles établissent des systèmes pour analyser les risques liés au climat et l'impact de leur financement, et elles ont commencé à divulguer des renseignements sur la durabilité. La plupart du temps, cela se fait sur une base volontaire, du moins jusqu'à maintenant.
Nous croyons que le moment est venu de prendre des mesures pour mettre en œuvre un cadre de réglementation propice et efficace afin de favoriser la transition du Canada vers une économie et une société plus durables. Lorsque nous pensons à une réglementation financière efficace, nous pensons qu'il en faut le moins possible, mais autant que nécessaire.
Le secteur privé a besoin d'une marge de manœuvre pour innover, mais je crois que le leadership volontaire de l'industrie et les mesures réglementaires du gouvernement doivent vraiment aller de pair. Chacun doit entraîner l'autre vers l'adoption du marché et vers l'apprentissage, ainsi que vers une ambition et une innovation toujours croissantes. Il existe un certain nombre de tendances et d'évolutions dans la politique de finance durable à l'échelle mondiale dont les pays peuvent s'inspirer pour réaliser ces ambitions.
Premièrement, des cadres obligatoires de divulgation de la durabilité des entreprises sont mis en œuvre dans de nombreuses administrations, en accordant une attention accrue à la couverture non seulement des risques à court terme des externalités environnementales et sociales sur la valeur opérationnelle, mais aussi de l'impact de l'entreprise sur les gens et sur la planète. Des effets négatifs importants sur la société finissent par devenir des risques importants pour l'entreprise en soi, et ils doivent être bien compris, gérés et divulgués.
Deuxièmement, les banques centrales et les autorités de contrôle émettent des attentes prudentielles quant à la façon dont les institutions financières doivent gérer et divulguer les risques climatiques et environnementaux au sens large. Bon nombre d'entre elles effectuent des analyses exploratoires de scénarios et des simulations de crise aux risques climatiques. Certaines assument un rôle plus vaste pour ce qui est de favoriser la transition générale de l'économie réelle.
Au‑delà de l'accent mis sur le climat, j'observe un intérêt accru, de la part des organes de réglementation, envers les chaînes d'approvisionnement, par exemple, les exigences de diligence raisonnable concernant les droits de la personne et les pratiques de travail des enfants.
En outre, de plus en plus de systèmes de classification et de taxonomies sont mis au point dans de nombreuses administrations.
Compte tenu de ces tendances, j'aimerais terminer en vous faisant part de quelques réflexions sur les mesures réglementaires qui pourraient favoriser la transition du Canada vers la durabilité. Le Canada a commencé à mettre en place certains des éléments de réglementation fondamentaux pour devenir un chef de file en matière de finance durable. Je crois que ces premières initiatives devraient maintenant être dûment mises en œuvre et élargies.
Tout d'abord, la divulgation obligatoire de la durabilité est nécessaire dans l'ensemble de l'économie. Je me réjouis du caractère ambitieux et de l'orientation des récentes lignes directrices du Bureau du surintendant des institutions financières, le BSIF, sur la gestion des risques climatiques pour les institutions financières. En même temps, j'encourage les organismes de réglementation à étendre ces exigences à l'ensemble de l'économie et aux sociétés non financières, car c'est la seule façon d'assurer une saine transparence dans l'ensemble de l'économie. Je crois comprendre que les Autorités canadiennes en valeurs mobilières, les ACVM, envisagent activement de telles obligations de divulgation, et j'encourage fortement l'adoption de règles le plus tôt possible, conformément aux pratiques exemplaires internationales, comme le cadre élaboré par le Conseil des normes internationales d'information sur la durabilité, ou ISSB. Au fil du temps, les entreprises devraient être tenues d'établir des cibles climatiques claires et de divulguer publiquement leurs plans de transition.
Deuxièmement, nous devons élargir les mesures réglementaires au‑delà du climat. Ce serait une étape importante pour intensifier la prise en compte réglementaire des risques et des répercussions sur la stabilité des risques environnementaux plus vastes, comme la perte de biodiversité, l'érosion des sols, la pollution et d'autres facteurs. J'encourage vraiment le Canada — qui était le pays-hôte lorsque le Cadre mondial de la biodiversité de Kunming à Montréal a été adopté à la fin de l'année dernière — à devenir un chef de file dans ce domaine.
Troisièmement, la taxonomie sur la façon de favoriser la transition.
Le Canada est une économie riche en ressources, et la capacité de ses secteurs d'attirer les capitaux nécessaires à la transition vers des modèles d'affaires durables sera essentielle. La taxonomie de la transition du Canada, qui aide les entreprises et les institutions financières à déterminer les activités économiques durables, sera cruciale.
J'accueille favorablement le récent rapport du groupe d'experts techniques sur la taxonomie et je recommande fortement de prioriser la finalisation de la taxonomie en étroite collaboration avec l'industrie. En m'appuyant sur cette taxonomie, je salue le Plan de réduction des émissions pour 2030 annoncé l'an dernier, qui vise à élaborer des cheminements sectoriels pour que le Canada atteigne ses cibles de réduction des émissions.
Enfin, et ce dernier point sous-tend le tout, j'estime que le Canada devrait continuer de participer activement aux forums internationaux pertinents, en travaillant à l'harmonisation des mesures de durabilité et à l'amélioration de l'interopérabilité des cadres.
Je vous remercie de votre attention.
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C'est tout à fait possible.
Merci.
La définition de ce qui est déjà durable a toujours été au cœur des initiatives de finance durable. Cette approche est critiquée par certaines entreprises et par certains participants aux marchés financiers, car elle est insuffisante pour faciliter la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans l'ensemble de l'économie qui est nécessaire pour atteindre l'objectif de température de l'Accord de Paris.
La finance de transition est axée sur le processus dynamique vers la durabilité, plutôt que sur une évaluation ponctuelle de ce qui est déjà durable. Cette approche inclusive crée une marge de manœuvre qui permet de financer la décarbonation des industries les plus polluantes et les plus difficiles à décarboner à l'heure actuelle. D'autre part, la finance de transition entraîne le risque que l'intégrité environnementale soit sacrifiée au profit de l'inclusivité et que l'écoblanchiment soit ainsi facilité, une préoccupation croissante des intervenants et des organismes de réglementation.
Le document « OECD Guidance on Transition Finance » fournit une analyse et une cartographie exhaustives des initiatives existantes. Il cerne les principaux défis que doivent relever les acteurs du marché et les décideurs politiques pour accroître la finance de transition. Dans le contexte de ce document, la finance de transition désigne les ressources déployées ou constituées par des entreprises pour mettre en œuvre leur transition vers la carboneutralité conformément à l'objectif de température de l'Accord de Paris et en se fondant sur des plans crédibles de transition d'entreprise en matière climatique. Le document d'orientation présente 10 éléments de plans d'entreprise crédibles et met en évidence les domaines où une plus grande transparence est nécessaire. Ce faisant, il peut aider les acteurs du marché à effectuer des transactions financières de transition en tout respect de l'intégrité environnementale, les entreprises à élaborer leurs plans de transition et les décideurs à mettre au point des cadres stratégiques robustes pour les plans de transition.
L'accent mis sur les plans de transition dans le document se trouve également ailleurs, y compris dans le cadre de la finance de transition du groupe de travail sur la finance durable du G20, les principes de la finance de transition de la plateforme internationale sur la finance durable, et le cadre de divulgation du groupe de travail sur les plans de transition du Royaume-Uni. Les cadres existants partagent plusieurs éléments communs, qu'ils couvrent à divers degrés de détail, de caractère normatif et de rigueur. Ces éléments comprennent l'établissement d'objectifs de carboneutralité et d'objectifs provisoires, l'utilisation de mesures et d'indicateurs de rendement clés, l'utilisation de crédits et de compensations de carbone, la cohérence interne avec le plan d'affaires d'une entreprise, des directives sur la gouvernance et la responsabilisation, ainsi que des questions entourant la transparence et la vérification. Le document d'orientation s'appuie sur tous ces cadres et initiatives existants pour présenter des éléments de plans crédibles de transition climatique des entreprises.
Je vais abréger un peu ma présentation pour ne pas dépasser les cinq minutes, monsieur le président. Je suis désolé de ne pas observer la « couverture » initiale.
Il convient de souligner que le cheminement vers des plans de transition crédibles ne fait que commencer. Dans un récent rapport, le Carbon Disclosure Project, ou CDP, a constaté qu'en 2022, 22 % des organisations ayant répondu au questionnaire sur les changements climatiques ont indiqué qu'elles avaient déjà élaboré un plan de transition adapté au climat. Cependant, seulement 81 de ces organisations — soit moins de 1 % de l'échantillon complet — ont fourni suffisamment de détails sur les indicateurs clés. De plus, seulement 9 % de l'échantillon complet ont déclaré que leur plan de transition était accessible au public. Nous en sommes au tout début du processus.
Le document d'orientation a été élaboré en consultation avec un groupe de réflexion informel composé de décideurs intéressés, dont la Banque du Canada, le département du Trésor des États-Unis et des représentants de plusieurs autres pays. En plus d'être examiné par les comités stratégiques compétents de l'OCDE, il a également été présenté comme contribution au groupe de travail du G20 sur la finance durable. Il a également éclairé l'élaboration d'autres initiatives et cadres pertinents de la finance de transition.
Merci beaucoup de m'avoir écouté. Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions.
Je remercie les témoins de leur présence. Nous leur sommes très reconnaissants du temps qu'ils nous ont consacré aujourd'hui.
Même si nous n'avons pas aimé la « couverture excessive », c'est beaucoup mieux qu'une « couverture insuffisante », ce que nous avons aussi déjà vu sur Zoom.
Des voix: Oh, oh!
M. Philip Lawrence: Une pointe d'humour pour bien commencer.
J'espère, monsieur Youngman — monsieur Usher, vous pouvez aussi intervenir — que la transition vers la carboneutralité prendra peut-être de nombreuses formes différentes.
Je suis très optimiste au sujet de l'énergie propre au Canada. Nous savons que l'Union européenne a reconnu le gaz naturel comme un carburant vert dans sa taxonomie. L'Union reconnaît — et ce sont, à mon avis, des faits avérés — que le gaz naturel injectera moins de la moitié de la quantité de carbone dans l'atmosphère que le charbon ou d'autres technologies. Le gaz naturel est aussi souvent nécessaire dans un mélange énergétique, pour pomper l'énergie. Lorsque le vent ne souffle pas pour les éoliennes ou que le soleil ne brille pas pour l'énergie solaire, le gaz naturel vient souvent à la rescousse comme source d'énergie complémentaire.
Lorsque nous créons des instruments financiers, tenons-nous compte du fait que le gaz naturel peut faire partie de la solution, surtout compte tenu des pressions géopolitiques que l'Europe a subies, étant aussi dépendante du gaz naturel? J'espère que nous appuierons l'énergie propre au Canada et que nous ne la définancerons pas aveuglément.
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Je vous remercie de la question.
La question du gaz a été soulevée dans le contexte de l'Union européenne, et elle est certes pertinente dans le contexte géopolitique actuel.
La question de savoir si son utilisation est compatible avec une limite de 1,5 ° est peut-être pertinente ici. Ce que nous disent l'Agence internationale de l'énergie, l'AIE, et le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, le GIEC, c'est que, pour atteindre la carboneutralité d'ici 2050, il ne peut y avoir d'exploration supplémentaire des combustibles fossiles. L'infrastructure actuelle et prévue pour les combustibles fossiles, sans réduction supplémentaire, nous ferait dépasser la limite de 1,5 ° si elle est utilisée jusqu'à la fin de sa durée de vie. La poursuite de l'installation d'une infrastructure de combustibles fossiles sans restriction entraînera un verrouillage carbone. Par « sans réduction », je veux dire... La « réduction » désigne essentiellement des interventions qui réduisent considérablement les GES en les capturant à 90 % ou plus.
Dans ce contexte, les plans de transition qui reposent sur des investissements dans l'exploration, la vente ou la distribution de nouveaux combustibles fossiles ne sont probablement pas compatibles avec l'objectif de température de l'Accord de Paris et pourraient mener à un verrouillage carbone. Cependant, dans le contexte de l'élaboration des plans de transition, il y a lieu de se demander si, au cours de sa durée de vie, l'infrastructure peut être utilisée pour des substituts plus écologiques, c'est‑à‑dire, des gazoducs utilisés à l'avenir pour l'ammoniac ou l'hydrogène vert.
Ce sont quelques-unes des considérations à l'étude. Par exemple, dans le document « OECD Guidance on Transition Finance », la transparence des plans futurs visant à éviter le verrouillage carbone est importante, afin de donner confiance à la communauté financière, qui cherche à rester cohérente, de son côté, avec la limite de 1,5 °, donc...
Les orientations sur la finance de transition examinent différentes approches, et il en existe un large éventail à l'échelle des pays. Certains gouvernements utilisent des taxonomies; d'autres fournissent des feuilles de route technologiques.
Il est vrai qu'au cours de la dernière année, il y a eu beaucoup d'activité sur la finance de transition. Je tiens à vous assurer que, dans le cadre de ce processus, l'OCDE a tout d'abord contribué à des processus pertinents, comme celui du groupe de travail du G20 sur la finance durable. L'organisation a proposé des principes en matière de finance de transition. Nous avons contribué à la plateforme internationale sur la finance durable, organisée par la Commission européenne. Des principes ont été énoncés. Nous constatons une convergence importante entre ces instruments. De plus, il convient de mentionner le groupe de travail sur les plans de transition du Royaume-Uni.
Le document d'orientation reconnaît un facteur commun à tous ces éléments, qu'il s'agisse des normes de déclaration de la durabilité des entreprises, des taxonomies ou d'autres approches. Il s'agit du point central d'un plan de transition d'entreprise crédible. On y trouve 10 éléments différents de ce qui constitue un plan de transition crédible qui, lorsqu'on fait des comparaisons, correspond beaucoup à beaucoup d'autres recommandations.
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Merci, monsieur le président.
Monsieur Youngman, je ne voudrais pas que vous jugiez la façon dont j'utilise mon temps de loisir, mais, hier soir, je suis allé sur le site Web de l'Association des banquiers canadiens. J'ai essayé d'y trouver les dernières initiatives mises en place par nos grandes institutions financières pour opérer la transition. Je dois admettre que j'ai eu beaucoup de difficulté à les trouver sur leur site Web. Cela ne semble pas être une de leurs priorités.
Par la suite, j'ai répété l'exercice sur le site Web du Bureau d'assurance du Canada. On peut voir que les initiatives de transition verte sont très saillantes, très évidentes, bien annoncées. Cela laisse entendre qu'en matière de transition, à bien des égards, les assureurs ont pris de l'avance sur les autres institutions financières.
Mon hypothèse, c'est que, aujourd'hui, les assureurs font face à des conséquences financières directes et immédiates liées aux changements climatiques, notamment pour leurs actionnaires. En revanche, pour les banques, notamment les banques canadiennes, qui sont extrêmement impliquées dans le secteur pétrolier, les effets se font sentir à très long terme. Cela me laisse croire que, dans certains secteurs, comme le secteur bancaire, il faut une politique gouvernementale incluant des incitatifs financiers relatifs aux prix. Cela pourrait pousser notre secteur bancaire à entamer cette transition, de façon à ce que ces incitatifs soient aussi efficaces que l'ont été ceux du secteur de l'assurance.
Avez-vous des réflexions sur l'hypothèse que je viens d'énoncer?
Ce que vous abordez, je crois, a des liens plus larges avec les mesures incitatives pour la politique climatique et pour aider à accélérer l'investissement et l'action. Comme les portefeuilles des compagnies d'assurances sont touchés par les répercussions physiques du climat, ces compagnies ont, comme vous le dites, cet incitatif naturel à commencer à tenir compte des risques.
De plus, de nombreux pays exigent la divulgation des risques liés au climat.
Je suis heureux que vous ayez parlé d'incitatifs, car nous constatons, dans le cadre de nos travaux sur la tarification du carbone à l'OCDE, que, de façon générale, le niveau de tarification du carbone nécessaire pour atteindre les cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre est insuffisant. Bien sûr, les pays utilisent de nombreuses politiques différentes pour y arriver, mais en général, il faut être plus ambitieux.
Dans le domaine de la finance de transition, ce serait tout à fait nouveau. La question des incitatifs qui existent pour que les entreprises des secteurs à forte intensité d'émissions élaborent des plans de transition crédibles et fassent réellement ces investissements et obtiennent du financement est, à mon avis, une question très pertinente pour les décideurs et une lacune qui existe actuellement.
Je vais peut-être commencer par quelques observations.
Il me semble — et nous venons d'en parler — que dans le secteur de l'assurance, par exemple, on commence à ressentir les effets financiers des changements climatiques. Ce secteur a tout intérêt à essayer de protéger ses profits contre les dommages potentiels des changements climatiques. Je pense que de nombreuses compagnies d'assurances qui sont assez grandes vont obtenir l'information dont elles ont besoin des sociétés dans lesquelles elles envisagent d'investir afin de pouvoir prendre leurs propres décisions sur ce qui est logique pour elles et ce qui ne l'est pas.
Je pense que l'astuce ici consiste à déterminer comment procéder de façon transparente, de façon à diriger l'investissement de ces institutions financières dans un plan crédible de lutte contre les changements climatiques et, en fin de compte, de façon que les Canadiens puissent l'assimiler. Je pense que beaucoup de Canadiens, lorsqu'ils pensent à leur propre épargne-retraite, veulent être en mesure de gérer leur propre argent et leurs propres ressources et ont ainsi l'impression de contribuer à ce qu'ils considèrent comme la solution.
Je veux commencer à partir de cette perspective. Si je suis un Canadien moyen qui a un peu d'épargne et qui pense à sa retraite, je veux investir d'une façon qui, selon moi, contribue à une partie de la solution climatique. Quels sont les éléments qui doivent être en place et qui ne le sont pas actuellement pour me donner l'assurance que je ne suis pas victime d'une opération d'écoblanchiment et que, quand je pense que mes investissements contribuent à la réduction de nos émissions de carbone et l'atteinte de nos cibles climatiques, ils y contribuent effectivement?
À votre avis, quels sont les éléments qui manquent, que ce soit dans le contexte propre au Canada ou à l'échelle internationale, pour que je puisse compter sur un régime dans lequel je puisse avoir confiance, comme beaucoup de Canadiens font confiance à l'Agence canadienne d'inspection des aliments, par exemple? Habituellement, les Canadiens ne font pas leurs propres recherches lorsqu'ils vont à l'épicerie pour s'assurer que leurs aliments sont salubres, parce qu'il y a un régime en place auquel ils font confiance.
Que faut‑il faire pour que les Canadiens puissent investir leur argent dans des solutions climatiques?
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Je pense que ce que vous énoncez correspond évidemment à ce dont nous avons besoin dans toutes les administrations. Les bénéficiaires et les clients doivent savoir, lorsqu'ils achètent un service et lorsqu'ils investissent dans une activité, qu'ils peuvent le faire avec confiance.
Je pense que les marchés financiers en développement... Il y a 500 ans, il y avait un moine en Italie qui était assis dans une caverne et qui dessinait essentiellement ce qui est devenu la profession comptable. Cela a pris 500 ans, et nous devons encore admettre de temps à autre qu'ils se trompent.
Je pense que le monde de la durabilité, du climat et des critères ESG est beaucoup plus nouveau, et il ne détient certainement pas la réponse aujourd'hui. Je pense que beaucoup de travail a été accompli. Il faut y apporter beaucoup d'améliorations, et je pense, comme l'a dit plus tôt Mme Chatel, qu'il y a beaucoup de cadres concurrents.
Je pense que le fait que le Conseil des normes internationales d'information sur la durabilité, l'ISSB, et, si je comprends bien, le Conseil canadien des normes d'information sur la durabilité, le CSSB, au Canada pour mettre en œuvre... est un moyen important de fusionner les cadres. L'important, c'est que lorsque quelqu'un fournit du financement, qu'il s'agisse d'une banque ou d'un investisseur, il devrait commencer à être en mesure de divulguer à quoi sert ce financement et quelles sont ses répercussions sur les émissions et ainsi de suite.
Une fois que les conseils ont une meilleure compréhension de la situation, ils la divulguent aux marchés, et nous assistons à un marché fonctionnel. Tant que les marchés sont crédibles, l'information est transmise aux investisseurs, aux décideurs et aux clients pour qu'ils sachent essentiellement dans quoi ils investissent ou ce qu'ils achètent. Ce n'est pas si différent sur les marchés financiers que sur les textiles, pour tous les aspects de... Les consommateurs veulent savoir ce qu'ils achètent. Lorsque vous achetez une boîte de soupe, vous voulez savoir ce qu'il y a dans la soupe, alors vous avez besoin de la liste des ingrédients.
On est encore en train de perfectionner le processus. Il n'est pas parfait, mais nous constatons un important afflux d'efforts pour essayer de trouver une solution. Il y aura des ratés, et il y aura une partie de cette notion d'écoblanchiment, mais dans l'ensemble, avec une bonne surveillance de la part des organismes de réglementation du marché, nous croyons qu'il y a de bonnes chances que le secteur financier joue un rôle important dans la mise en œuvre de cette solution nécessaire.
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C'est un défi de taille, alors je pense qu'il y a beaucoup d'analyses détaillées. Hier, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, le GIEC, a publié son rapport de synthèse AR6 et une série de messages, notamment que nous n'arrêtons pas les changements climatiques. Une partie du message nous informe que des solutions sont disponibles et, dans bien des cas, financièrement viables. Dans le secteur de l'énergie en particulier, il y a suffisamment de solutions pour aider à décarboner la gamme de technologies nécessaires au cours d'une transition.
Il y a différentes évaluations, et cela revient souvent à une évaluation des répercussions sur le secteur.
L'un des grands signaux de réveil, c'est qu'il y a un constructeur de véhicules électriques au sud de la frontière qui vaut plus que le reste de l'industrie. Il y a diverses raisons à cela, mais cela a été un signal de réveil pour de nombreuses industries, c'est‑à‑dire qu'on se rend compte que les industries changent et qu'il faut rester toujours à l'avant-garde de ces changements.
Pour ce qui est de l'interprétation de ces signaux, les opinions diffèrent. Ce que nous constatons généralement, c'est que les grandes industries, en particulier, sont très conscientes de ces questions et y portent une attention particulière, de même que leurs financiers.
Très brièvement, les changements climatiques constituent une crise critique, mais nous devons reconnaître qu'il y a d'autres crises, souvent liées entre elles. Un aspect de la lutte contre les changements climatiques est... On estime que le tiers des moyens d'atténuer les émissions seront pris sur la base de ce que nous appelons des « solutions axées sur la nature ». Il s'agit essentiellement d'une meilleure gestion de la biodiversité. Le Cadre mondial de la biodiversité de Kunming à Montréal — nous l'appelons « le moment de Paris pour la biodiversité » — met l'accent sur la biodiversité dans la nature. C'est un point de départ important. Il y a beaucoup de travail à faire.
Dans le secteur des finances, nous constatons une sensibilisation accrue. Il y a un nouveau cadre de divulgation appelé le « Groupe de travail sur la divulgation financière liée à la nature », qui fournira de l'information et informera le Conseil des normes internationales d’information sur la durabilité sur la façon dont les entreprises — y compris les banques et d'autres acteurs financiers — commencent à divulguer les risques liés à la nature dans leurs portefeuilles.
Cela peut exiger l'adoption d'un large éventail de mesures. Nous devons reconnaître que la question de la nature est très complexe. Lorsque vous commencez à ventiler les données, vous devez comprendre quelles sont les répercussions sur, disons, la mortalité des pollinisateurs, si vous faites beaucoup de prêts aux entreprises agricoles. Cela a‑t‑il une incidence sur vos emprunteurs? Auraient-ils de la difficulté à vous rembourser? Vous devez commencer à comprendre ces problèmes de perte de nature.
C'est une recommandation essentielle.
Pour ce qui est de la taxonomie, je me reporterais surtout à ce que Robert Youngman a mentionné. Dans le contexte canadien, ce n'est pas tant une question de savoir ce qui est vert, mais plutôt de déterminer en quoi consiste l'écologisation, ou ce que l'on entend par transition. C'est une question cruciale pour une économie à forte intensité de ressources comme celle du Canada. Nous devons reconnaître qu'il n'y aura pas une seule taxonomie de transition à l'échelle mondiale. Il faudra qu'elle soit propre à la région et qu'elle dépende fortement de... Le secteur financier voudra voir des cheminements de transition pour chaque secteur et comprendre comment les taxonomies l'aident à affecter des capitaux à une industrie qui n'est pas verte aujourd'hui, mais qui a le potentiel de le devenir au fil du temps, grâce à certains types d'investissements. La taxonomie sera essentielle.
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Merci, monsieur le président.
Monsieur Youngman, je partage votre crainte et celles de certaines personnes ici présentes aujourd'hui au sujet de projets néfastes pour les objectifs de l'Accord de Paris, qui visent à s'implanter sur la base de l'écoblanchiment.
J'ai en tête plusieurs projets canadiens, notamment celui de l'expansion de l'oléoduc Trans Mountain, payé à même les fonds publics canadiens à hauteur de 30 milliards de dollars.
Je pense aussi aux investissements dans de nouveaux puits de sables bitumineux, ainsi qu'au projet d'exploitation de Bay du Nord, qui a été approuvé, sinon encouragé, par le gouvernement actuel et qui permettra la production de 1 milliard de nouveaux barils de pétrole.
On parle de finance verte, et je me pose des questions.
Quels investisseurs vont vouloir fournir des efforts et prendre au sérieux les normes canadiennes si le gouvernement canadien lui-même donne le pire des exemples au regard même de sa propre taxonomie ou encore de la taxonomie qui vient de lui être suggérée par le Conseil d’action en matière de finance durable, comité qu'il a lui-même mis sur pied? Ne trouvez-vous pas que cela finit par manquer de crédibilité?
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En effet, je vais donc la poser de nouveau plus brièvement. Je vais ensuite ajouter une deuxième question.
La première question est la suivante: quel rôle le budget carbone joue-t‑il dans la certitude pour les investisseurs et pour attirer des investisseurs dans un pays donné?
Pour passer à ma deuxième question, parfois à cette table et parfois à d'autres tables auxquelles je siège ici, ce dont nous avons beaucoup entendu parler de la part d'un certain nombre d'industries — qu'il s'agisse de la construction automobile, de l'industrie aérospatiale ou de l'industrie de l'électricité et de la production, transmission et distribution d'électricité — c'est que le Canada ne fait pas de planification industrielle et qu'il ne semble pas y avoir d'orientation cohérente en ce qui concerne les investissements gouvernementaux, la réglementation gouvernementale et la situation de l'industrie, et que l'industrie a davantage besoin d'un cadre pour être en mesure d'attirer des investissements privés.
Dans quelle mesure pensez-vous que la planification de la décarbonation et le respect de nos engagements de Paris pourraient créer des tables, pas seulement où nous parlons de décarbonation et comment atteindre les objectifs de réduction d'émissions, mais où il faut adopter une approche stratégique plus cohérente à l'égard de certaines industries, ce qui facilitera l'attraction de plus d'investissements, plutôt que le discours que nous entendons parfois, à savoir que toute intervention gouvernementale dissuadera simplement les investisseurs du secteur privé de participer.
Je laisse à l'un ou l'autre des témoins le soin de répondre à l'une ou l'autre des questions.
Je vois que M. Usher a levé la main.
Je dirais que le budget carbone est en quelque sorte ce qu'on obtient à la fin de l'examen. En ce qui concerne les investisseurs ou les acteurs financiers, pour eux, le budget carbone est... Je ne veux pas parler de « note de passage-échec », mais c'est un chiffre global. Ce qu'ils recherchent vraiment au niveau sectoriel, ce sont des plans de transition crédibles. Ils comprennent que le défi de l'industrie de l'aviation sera plus difficile que, disons, celui du secteur de l'électricité, et que celui de l'industrie sidérurgique sera différent de celui de l'industrie du ciment.
Quant à ce à quoi ils s'attendront, ils diront pour l'industrie sidérurgique, par exemple, qu'ils veulent voir un plan qui va décarboner le tout, qui est concurrentiel à l'échelle mondiale, mais crédible, et qui inclura des incitatifs politiques et des innovations technologiques, et ils voudront savoir quel rôle le gouvernement peut jouer dans ce cheminement, accroître le risque de ceux qui prennent du retard et attirer des capitaux vers ceux qui sont en avance. Ce qu'ils recherchent vraiment chez un gouvernement, c'est la création de cheminements crédibles.
Pour répondre à votre question au sujet d'une politique industrielle de planification de la transition, nous croyons que c'est important. Bien sûr, chaque pays planifie de différentes façons, mais il s'agit certes d'un nouveau type de politique que les investisseurs recherchent, parce qu'ils craignent que s'il n'y a pas de plan crédible, ce dans quoi ils investissent aujourd'hui, l'an prochain ou dans la prochaine décennie, pourrait être dépassé en raison de changements dans l'innovation ou dans les cadres stratégiques.
J'aimerais revenir sur la question de mon collègue du Bloc concernant le leadership du Canada.
Soyons clairs. Ce n'est pas que je ne crois pas que le Canada devrait jouer un rôle de chef de file, au contraire. Je trouve simplement qu'il est un peu difficile de suivre cette logique.
La logique est la suivante, je crois. Si le Canada, en tant que pays riche en ressources, décide de freiner fortement la croissance, de rendre la transition très difficile pour notre économie et d'atteindre la carboneutralité à une vitesse vertigineuse, les autres pays du monde se diront que si le Canada y est arrivé, ils peuvent le faire eux aussi.
Examinons certains des pays qui figurent en tête de liste des émissions, ceux qui figureront vraiment sur la liste. La Chine se classe au premier rang avec 27 ou 30 % des émissions mondiales totales. Êtes-vous en train de dire aux Canadiens que la République populaire de Chine va regarder le Canada et l'imiter en détruisant son économie à une vitesse vertigineuse pour atteindre la carboneutralité et ainsi suivre son exemple?
Mieux encore, la Fédération de Russie est un autre des pires émetteurs au monde. Êtes-vous en train de me dire honnêtement que Vladimir Poutine, qui mène une guerre non provoquée, inutile et illégale contre l'Ukraine et qui n'a absolument aucun respect pour les normes internationales, va se dire que si le Canada a réussi à réduire ses émissions de 5 % cette année, la Russie réduira aussi les siennes pour atteindre la carboneutralité?
Dans quel monde cela a‑t‑il du sens, messieurs? Est‑ce bien ce que vous dites aux Canadiens?
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Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins d'être là.
Je vous suis vraiment reconnaissant de votre présence et des connaissances que vous apportez au débat et à l'étude très importante que nous menons. Je suis heureux de participer ponctuellement aux travaux du Comité et de prendre part aux échanges avec vous. Ce que vous nous avez apporté jusqu'ici constitue déjà un témoignage exceptionnel.
Un sujet revient souvent dans ces échanges: la capacité du Canada de soutenir la concurrence mondiale dans un contexte en rapide évolution où de nombreux pays intègrent très rapidement la finance durable. Non sans de bonnes raisons, nous convenons tous que nous devons nous donner de plus hautes ambitions en ce domaine, et je sais que vous en êtes convaincu.
Les décideurs que nous sommes doivent chercher les moyens de proposer un cadre réglementaire prévisible que tous les acteurs du marché, jusqu'au grand public, jugent propice à leur participation et qui leur inspire confiance.
J'ai quelques questions à vous poser. Le Conseil d'action en matière de finance durable, qui a élaboré la feuille de route de la taxonomie de la finance verte et de transition, a proposé entre autres choses un modèle de gouvernance à trois niveaux qui permet la poursuite de l'évolution de la taxonomie.
Monsieur Youngman, y a‑t‑il à l'étranger d'autres modèles de gouvernance qui prévoient une évolution de la taxonomie? S'agit‑il d'une pratique exemplaire?
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Merci, monsieur le président.
Permettez-moi de revenir à M. Youngman et à sa déclaration liminaire. Je vais lire quelque chose rapidement. C'est par rapport à une industrie de ma région. En fait, c'est de l'ensemble du pays qu'il s'agit.
Vous avez dit : « Le financement de transition est axé sur le processus dynamique vers la durabilité, plutôt que sur une évaluation ponctuelle de ce qui est déjà durable. Cette approche inclusive crée une marge de manœuvre qui permet de financer la décarbonation des industries les plus polluantes et les plus difficiles à décarboner à l'heure actuelle. »
Voici ce qui me préoccupe dans une certaine mesure, monsieur Youngman. Par exemple, les Producteurs laitiers du Canada sont venus à Ottawa cette semaine. Ils disent avoir réduit l'empreinte carbone du lait de 25 % au cours des 20 dernières années. Ce que je crains, c'est qu'on ne leur en attribue pas le mérite.
Est‑ce à cela que vous faites allusion dans votre deuxième paragraphe?
Monsieur Youngman, je vous ai parlé, tout à l'heure, de projets extrêmement polluants financés par le gouvernement du Canada, dont l'extension d'un oléoduc au coût de 30 milliards de dollars en fonds publics, évidemment. Vous nous avez dit que le Canada avait fait des efforts pour développer une taxonomie de la finance verte et que la pandémie avait retardé certains des efforts au Canada.
J'en conviens, mais l'Union européenne, en pleine pandémie, a déployé un programme: le pacte vert pour l’Europe. À la fin de 2022, on en était à 4,11 milliards d'euros pour 61 projets dans huit pays membres.
Connaissez-vous cette initiative?
Revenons aux propos de M. Lawrence et de M. Morantz. À les entendre, tout semble plutôt simple. D'une part, si d'autres grands acteurs internationaux ne respectent pas leurs propres engagements en matière de climat, il ne sert à rien que le Canada le fasse. D'autre part, à les entendre, il semble que nous allons exclure toutes sortes d'investissements qui ont déjà été faits et d'éléments où le travail a déjà été fait.
Bien sûr, ce n'est pas ce dont on parle généralement. Il est plutôt question des investissements futurs et de l'avenir de l'économie canadienne. Il y a deux conversations qui se déroulent en même temps et qui sont évidemment liées.
Déjà, le monde de l'assurance prend conscience des répercussions financières et économiques très réelles des changements climatiques sur ses activités et veut les atténuer. Les assureurs ne sont pas motivés par l'altruisme. Ils servent leur propre intérêt — c'est normal —, mais ils veulent agir. Ils recherchent des investissements, et d'autres acteurs financiers commencent à envisager des investissements qui aideront à atténuer les conséquences financières et économiques des changements climatiques.
Il s'agit donc de créer les conditions qui permettront au Canada de disputer à la concurrence les capitaux étrangers destinés à l'investissement que les grands acteurs du marché cherchent à réaliser. En fait, c'est une façon de diversifier l'investissement étranger direct au Canada et d'anticiper ce qui va se produire.
Est‑ce une conception crédible de la conjoncture actuelle, par rapport à une autre conception selon laquelle nous détruirions l'économie canadienne sans raison valable, puisque nous n'atteindrons jamais nos objectifs de toute façon? Selon vous, quelle est la description la plus crédible de l'économie?
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Oui, je pense qu'il s'agit là d'un problème parallèle. L'écoblanchiment est préoccupant et c'est pourquoi il est important d'avoir un cadre de réglementation efficace pour empêcher cette pratique.
Concernant l'étude que vous avez mentionnée, elle porte davantage sur les coûts économiques de la transition. Il y aura des répercussions sur des secteurs particuliers. Il est donc important de parler de « transition équitable » et c'est pourquoi le gouvernement doit jouer un rôle de premier plan pour faire en sorte que la formation et le recyclage professionnels permettent aux collectivités de faire la transition requise.
Il n'est pas du tout question des critères ESG. Pour nous, le monde ESG n'est pas parfait; il a ses propres défis à relever, comme nous le constatons. Le principe d'une gestion prudente et d'une prise en compte des risques, qui fait partie des critères ESG, est de plus en plus considéré comme étant essentiel. Prenons l'exemple de la société Pacific Gas and Electric. C'est la plus grande faillite liée aux changements climatiques, parce que ses dirigeants n'ont pas porté attention aux coûts engendrés par les feux de forêt et les épisodes de chaleur extrême. Nous le constatons aussi au Canada.
Tout est une question de gestion prudente des risques; c'est ce qui nous permet de créer de la prospérité économique, en assurant une gestion efficace tout au long de cette transition.
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Oh là là! Je pensais avoir plus de temps pour me préparer, monsieur le président.
Je vais poursuivre dans la même veine que M. Chambers. J'ai beaucoup de respect pour mon collègue, mais je suis un peu surprise par ses questions.
Je vous assure que si nous ne faisons pas tout ce que nous pouvons pour atteindre la carboneutralité, grâce à un bon cadre de réglementation efficace, une gestion prudente des risques et d'autres moyens dont nous avons parlé aujourd'hui, nous nous retrouverons dans une situation beaucoup plus grave. Les coûts seront beaucoup plus élevés. Nous sommes tous des décideurs ici. Si nous faisons l'autruche en disant que cela va coûter très cher, que nous ne sommes pas tout à fait certains d'y arriver parce que cela semble trop compliqué, que ce sera difficile parce que ce n'est pas une trajectoire linéaire et qu'il est donc préférable de ne rien faire, c'est insensé.
Les changements climatiques sont amorcés. Avez-vous pris connaissance du rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat qui vient tout juste de paraître hier? Il ne tire pas seulement une sonnette d'alarme, mais de très nombreuses sonnettes d'alarme. Les experts disent que nous ne sommes pas engagés dans une trajectoire qui nous permettra de limiter la hausse de la température à 1,5 °C.
Il est urgent que nous cessions de nous demander si le coût sera de 2 billions de dollars ou beaucoup plus. Si nous n'agissons pas de manière responsable pour faire tout ce que nous pouvons en adoptant de bonnes politiques pour obliger nos partenaires du secteur public à faire une gestion efficace des risques dans le cadre d'un bon régime de réglementation, le prix à payer sera inacceptable. Voilà pourquoi nous avons entrepris cette étude.
J'essaie de me rappeler la question que je voulais poser, monsieur le président, parce que ce que je viens juste d'entendre me paraît insensé. Je le répète, j'ai un grand respect pour mes collègues d'en face.
Il a récemment été question, au Canada, de l'importance de l'hydrogène vert. J'aimerais bien qu'on m'explique pourquoi le Canada doit continuer d'investir dans cette source d'énergie.
J'invite donc M. Youngman et M. Usher à nous en parler.
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Merci, monsieur le président.
Je vais continuer dans la même veine que mon collègue M. Chambers ainsi que ma collègue libérale.
Ma question s'adresse à M. Usher.
On parle des coûts de la transition. J'ai l'impression que la transition est hautement technologique, qu'elle est très gourmande en investissements, en capitaux et en ingénierie et qu'elle se caractérise par une extrêmement haute valeur ajoutée. En parlant des emplois verts, il a été dit tout à l'heure que ce sont des emplois lucratifs parce qu'ils font appel à beaucoup de technologie.
J'ai l'impression que, de temps à autre, on mélange coûts et investissements.
Si c'est une entreprise privée qui met l'argent pour la transition et que ça fait des emplois lucratifs, tout à coup, cela devient un investissement. Par contre, si le gouvernement s'efforce de faire exactement la même chose, on parle alors des coûts, du contribuable, etc. Effectivement, quiconque connaissant le moindrement l'économie sait que l'investissement mène à du capital, mène à une transition et mène aussi à de la croissance économique au bout du compte. L'économie verte fera partie de cette croissance économique.
D'abord, j'aimerais savoir s'il est commun, pour vous, d'avoir affaire à des gens qui considèrent que l'investissement constitue une dépense ou un coût, comme c'est le cas aujourd'hui.
Ma deuxième question est la suivante. Selon vous, en adoptant le point de vue que la transition est très coûteuse, ne risquons-nous pas de passer à côté d'une des révolutions industrielles les plus importantes de l'histoire de l'humanité?
En d'autres termes, ne croyez-vous pas que si nous ne nous lançons pas dans cette révolution le plus rapidement possible, les innovations, les emplois et la technologie vont être créés ailleurs et que, à un moment donné, nous devrons les importer?
Ma dernière question s'adresse à M. Youngman, de l'OCDE.
J'ai regardé ce qui s'est fait en Europe au cours des trois ou quatre dernières années. J'ai trouvé la Révision du système de quotas d'émission; la Révision du règlement sur la répartition de l'effort pour les secteurs qui sont hors quotas; et la Révision du règlement sur l’utilisation des terres, le changement d’affectation des terres et la foresterie. Tout cela a été fait récemment. J'ai trouvé une révision des normes concernant les émissions de CO2 des voitures et des camionnettes; la révision des normes sur les énergies renouvelables; la révision de la directive sur l'efficacité énergétique en Europe; la refonte de la taxation de l'énergie; la révision du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, élément sur lequel le Canada accuse beaucoup de retard; la révision des normes sur les carburants durables pour l'aviation; et la révision de la directive sur la performance énergétique des bâtiments. J'arrête là l'énumération, car le temps va me manquer.
Ce sont là de nombreuses avancées qui ont été faites ces dernières années et par rapport auxquelles le Canada a pris, me semble-t-il, un peu de retard. Évidemment, la cause n'est pas perdue et il y a peut-être moyen de progresser en ce domaine.
Je vous pose la question suivante. L'Europe est-elle un exemple à suivre en matière de réglementation, de normalisation, mais aussi de capacité à rapidement, au fil du temps, rajuster sa réglementation lorsque l'environnement économique change?
Serait-ce un modèle à suivre?
Un pays comme le Canada, qui a souvent de la difficulté à faire de grands pas, devrait-il être plus flexible et agir plus rapidement?
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Merci beaucoup, monsieur le président.
J'étais justement en train de me dire que les propos de certains collègues conservateurs ici présents évoquent parfois l'image de ce cordonnier du XIXe siècle qui refusait d'investir dans la machinerie. Il est facile de mesurer le succès de cette stratégie lorsqu'on essaie de trouver un cordonnier le long de la rue Sparks.
M. Jean‑Denis Garon: Oh, oh!
M. Daniel Blaikie: Je pense que nous devons composer avec une certaine réalité économique. C'est à nous, en notre qualité de décideurs, qu'il revient de placer le Canada en bonne position pour affronter ce qui s'en vient, que nous le voulions ou non.
Tout à l'heure, M. Lawrence a demandé des chiffres sur la productivité du travail dans l'économie verte. Juste pour que nous puissions comparer des pommes avec des pommes quand nous recevrons la réponse que M. Youngman a promis de nous envoyer, j'ai pensé qu'il pourrait être utile de réfléchir à la nature de cette mesure.
Je me demande... Je pense que nous avons besoin de temps pour cela, n'est‑ce pas? La productivité du travail se mesure en fonction du PIB. Évidemment, le prix des produits est pris en compte dans ce calcul. Je pense donc que nous devons tenir compte du moment où nous calculons la productivité des travailleurs du secteur de l'énergie fossile. Cela peut varier, parce que, comme nous le savons, le prix du pétrole et du gaz fluctue énormément. Nous devons donc avoir une idée de la période au cours de laquelle la productivité du travail est comparée.
Il faut également noter que, dans la mesure où la productivité est mesurée en fonction du PIB, il importe que l'industrie concernée soit en activité depuis de nombreuses décennies, qu'elle soit bien établie, qu'elle ait accès à des capitaux privés provenant du secteur et qu'elle ait toujours bénéficié d'investissements publics massifs, non seulement dans les années 1970, mais aussi récemment qu'il y a trois ans. À ce jour, le gouvernement fédéral a investi plus de 30 milliards de dollars dans l'industrie pétrolière et gazière. Tous ces chiffres entrent en ligne de compte dans ce calcul de la productivité du travail. J'espère que les chiffres que nous obtiendrons sur la productivité des « travailleurs verts », comme on les appelle, tiendront compte de ces importantes différences historiques et industrielles.
J'aimerais ensuite revenir à la question de la planification industrielle. Depuis de nombreuses années, certainement depuis le début des années 1990, il semble exister une sorte de sagesse populaire au Canada — une sagesse que le NPD s'est fait un plaisir de contester et que je conteste moi-même volontiers — qui veut que moins le gouvernement intervient dans l'économie, mieux c'est. C'est ce que veulent les acteurs du secteur privé. En fait, nous entendons souvent dire, autour de cette table, à quel point le secteur privé, en cette période d'incertitude et de changement, souhaite que le gouvernement établisse un cadre pour les aider à prendre des décisions en matière d'investissements. Nous parlons beaucoup de la certitude des investisseurs à l'égard de l'évaluation environnementale de certains projets, comme les pipelines — et les conservateurs disent qu'il est important qu'il y ait une certitude — mais en fait, c'est exactement ce que demande l'industrie pour pouvoir investir dans cette économie émergente.
Après avoir fermé les yeux et les oreilles pendant 30 ans et prétendu que nos concurrents internationaux ne s'étaient pas dotés de stratégies industrielles, comment le Canada peut‑il commencer à remplir ses promesses? Comment le Canada peut‑il commencer à mettre en place l'infrastructure dont il a besoin pour rattraper ses alliés et ses concurrents économiques, que ce soit l'Union européenne ou les États-Unis, qui adoptent manifestement une approche stratégique à l'égard de cette nouvelle économie énergétique?