Bienvenue à la 96e réunion du Comité permanent des finances de la Chambre des communes. Conformément à l'ordre de renvoi du mardi 2 mai 2023 et à la motion adoptée le 7 mars 2023, le Comité se réunit pour discuter de l'état actuel du financement vert, des investissements verts, du financement de la transition, ainsi que de la transparence, des normes et de la taxonomie.
La réunion d'aujourd'hui se déroule sous forme hybride, conformément à l'ordre de la Chambre du 23 juin 2022. Des députés sont présents dans la salle et d'autres participent à distance à l'aide de l'application Zoom.
J'aimerais faire quelques observations à l'intention des témoins et des membres du Comité.
Veuillez attendre que je vous nomme avant de prendre la parole. Si vous participez par vidéoconférence, cliquez sur l'icône de microphone pour activer votre micro. Veuillez mettre votre micro en sourdine lorsque vous ne parlez pas.
En ce qui concerne l'interprétation pour ceux qui sont sur Zoom, vous avez le choix, au bas de votre écran, entre le parquet, l'anglais ou le français. Ceux qui sont dans la salle peuvent utiliser leur oreillette pour sélectionner le canal souhaité.
Je vous rappelle que tous les commentaires doivent être adressés à la présidence. Les députés présents dans la salle sont priés de lever la main s'ils souhaitent prendre la parole. Les députés qui participent sur Zoom doivent utiliser la fonction « Lever la main ». Le greffier et moi-même ferons de notre mieux pour gérer l'ordre des interventions. Nous vous remercions de votre patience et de votre compréhension à cet égard.
J'aimerais souhaiter la bienvenue à nos témoins.
Parmi nous, à titre personnel, nous accueillons la présidente et directrice générale de l'University Pension Plan Ontario, Barbara Zvan.
D'Environmental Defence Canada, nous avons Julie Segal, responsable de programme en matière de finance climatique.
De Greenpeace Canada, nous accueillons Keith Stewart, stratège principal en matière d'énergie.
Pour le Conseil d'action pour la finance durable, nous accueillons sa présidente, Kathy Bardswick.
Enfin, de la RealClear Foundation, nous accueillons Rupert Darwall, agrégé supérieur.
Bienvenue à tous nos témoins. Nous allons vous permettre de présenter d'abord vos déclarations liminaires aux membres avant de passer aux questions.
Nous commencerons par Mme Barbara Zvan, s'il vous plaît.
:
Bonjour à tous. Je m'appelle Barb Zvan. Je suis présidente et cheffe de la direction de l'University Pension Plan. Je préside le groupe d'experts techniques sur la taxonomie du Conseil d'action en matière de finance durable et j'ai été membre du Groupe d'experts du Canada sur la finance durable.
J'ai déjà comparu devant ce comité pour parler de votre rapport de février 2020, « Idées canadiennes: Tirer parti de nos atouts », qui contenait 92 recommandations, dont la première était que le gouvernement « [a]dopte les recommandations du Groupe d'experts sur les finances durables qui relèvent de la compétence fédérale et soutiennent les autres juridictions et le secteur privé à faire de même ».
Les recommandations du Groupe d'experts comprenaient la création du Conseil d'action en matière de finance durable et la réunion des principales parties prenantes pour élaborer des taxonomies vertes et de transition canadiennes. Comme nous l'avons noté en 2019, sans les éléments essentiels, « l'évolution des marchés et l'investissement dans ce domaine continueront à être en retard, et la finance durable demeurera un simple complément des activités principales sur les marchés financiers ».
Aujourd'hui, je suis ici en tant que représentante du milieu de la finance pour parler du besoin urgent pour le Canada de mettre en œuvre une taxonomie verte et de transition et de l'immense risque économique de ne pas financer la transition vers un monde résilient et carboneutre.
Je commencerai par un chiffre considérable: 115 milliards de dollars. C'est l'ampleur du déficit d'investissement annuel que le Canada doit combler pour respecter ses engagements en matière de transition vers la carboneutralité, selon les données fournies par le secrétariat du Conseil d'action en matière de finance durable et confirmées dans le budget de l'année dernière.
Alors, où trouver 115 milliards de dollars chaque année? Le gouvernement ne peut combler ce besoin à lui seul. Les acteurs financiers nationaux ne peuvent pas le faire seuls. Nous devons attirer des investisseurs privés du Canada et de l'étranger, désireux de financer des projets compatibles avec les objectifs de carboneutralité.
L'intérêt et la demande sont là, comme en témoigne la croissance de produits tels que les obligations vertes, mais nous devons de toute urgence clarifier et orienter la transition du Canada afin d'accélérer le flux de capitaux pour la soutenir et, en retour, créer de nouveaux emplois bien rémunérés et faire croître l'économie canadienne.
La marche à suivre existe déjà. Dans le monde entier, plus de 30 taxonomies sont déjà en place ou en cours d'élaboration, généralement axées exclusivement sur les activités vertes, chacune étant adaptée à un pays ou à une région spécifique afin de relier les marchés mondiaux des capitaux à leur trajectoire respective vers la carboneutralité. Une taxonomie canadienne renforcerait la confiance des investisseurs et soutiendrait la croissance du marché canadien de la finance durable. C'est essentiel pour garantir que les entreprises canadiennes ont accès à une source fiable de capitaux au fil du temps afin de soutenir des plans crédibles de transition vers l'économie carboneutre et de nouvelles possibilités économiques.
Le gouvernement fédéral dispose du rapport du Conseil d'action en matière de finance durable sur la feuille de route de la taxonomie vers des instruments verts et sur la transition depuis novembre 2022. Ce rapport fournit non seulement des orientations sur la normalisation de la classification des activités vertes, une étape importante pour atténuer l'écoblanchiment, mais fait unique au Canada, il comprend également une classification de la transition qui est cruciale pour décarboniser les activités à forte intensité d'émissions et assurer la compétitivité économique du Canada dans une transition mondiale vers une économie faible en carbone.
Cette catégorie de transition comprend la décarbonisation de la production de combustibles fossiles d'une manière crédible et efficace. Sean Kidney, PDG de la Climate Bonds Initiative, une ONG internationale qui s'efforce de mobiliser des capitaux pour l'action climatique, a décrit la proposition du CAFD de créer une catégorie de transition comme un exemple pour les autres pays.
Alors que d'autres pays mettent en œuvre des cadres de mobilisation des capitaux, le Canada est laissé pour compte. Les entreprises et les investisseurs sont prêts à investir dès maintenant dans le pays ou la région qui offre non seulement les meilleurs débouchés, mais aussi la certitude que l'investissement sera harmonisé avec la transition du pays vers la carboneutralité. Le Canada ne peut pas se permettre d'être à la traîne. Il ne peut pas se permettre que d'autres régions définissent la transition sans lui ou à sa place.
Je vous remercie de votre attention et je suis impatiente de répondre à vos questions.
:
Bonjour. Je vous remercie de m'avoir invitée à comparaître.
Je m'appelle Julie Segal et je dirige un programme de politiques en matière de finance climatique à Environmental Defence Canada. Je suis l'auteure d'une feuille de route stratégique pour un système de finance durable au Canada que nous avons publiée en novembre dernier. J'ai également apporté une contribution publique essentielle au projet de taxonomie durable et à la loi sur le financement de la lutte contre le changement climatique qui est actuellement à l'étude au Sénat.
Des milliers d'entreprises, de banques et de caisses de retraite, y compris toutes les grandes banques canadiennes et environ 60 % des plus grandes entreprises mondiales, se sont engagées volontairement à atteindre la carboneutralité. Sur ce groupe, seuls 4 % ont satisfait aux exigences de base pour respecter leurs propres engagements, comme la publication d'un plan ou la fixation d'objectifs intermédiaires à court terme. Cela signifie que la majorité des groupes ne progressent pas dans la réalisation de leurs propres engagements en matière de réduction des émissions. Ils reconnaissent que l'action est importante, mais en faire la démonstration concrète.
Si les groupes ont promis de faire quelque chose d'important, mais que la majorité d'entre eux ne le font pas, la politique de financement vert devrait intervenir pour les mettre sur la bonne voie.
Par souci de cohérence avec les engagements climatiques du Canada au titre de la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité et de l'Accord de Paris mondial, il est important d'adopter des règles visant à harmoniser le secteur de la finance avec les engagements climatiques. D'autres secteurs de l'économie canadienne sont soumis à des règles de réduction des émissions. Une orientation complémentaire est nécessaire pour le secteur de la finance, au‑delà des mesures incitatives en vigueur, afin de mobiliser les investissements verts.
Les règles relatives au financement de la lutte contre le changement climatique sont également importantes pour rester au diapason de nos alliés mondiaux. Je vous invite à vous concentrer sur le Royaume-Uni et l'Union européenne, qui ont décrété l'obligation d'instaurer un système financier carboneutre et qui ont mis en place des règles permettant directement au secteur de la finance de progresser dans la mise en oeuvre des engagements climatiques. Comme les lois européennes sur la finance durable touchent déjà plus de 1 300 entreprises canadiennes, il est logique que le Canada s'aligne sur la trajectoire mondiale. Cela nécessite une politique explicite sur le financement de la lutte au changement climatique.
C'est pourquoi je suis très heureuse que le comité des finances mène cette étude. La récente motion qui a été déposée et qui stipule que le gouvernement devrait utiliser tous les outils législatifs et réglementaires à sa disposition pour harmoniser le système financier du Canada avec l'Accord de Paris est un pas dans la bonne direction. Cette motion a été déposée à la Chambre. Je suis ravie de l'appui multipartite apporté à cette motion et je félicite nombre d'entre vous et de vos collègues qui l'ont appuyée.
Je vais présenter quelques mesures stratégiques spécifiques que le Parlement peut prendre pour donner suite à cette motion.
Tout d'abord, une taxonomie de la finance durable devrait être instaurée par voie législative. Ses catégories et ses paramètres doivent être basés sur ce qui est scientifiquement nécessaire pour maintenir le réchauffement climatique à 1,5 degré. Nous souscrivons à l'étape suivante, à savoir une consultation beaucoup plus large sur la taxonomie, avec la participation d'experts du climat, y compris de la société civile. Plus important encore, nous demandons que le produit final soit converti en un règlement et qu'il soit lié à des exigences de divulgation, comme c'est le cas dans l'Union européenne.
L'établissement d'une définition de la transition est une entreprise délicate. Nous souscrivons à l'adoption d'une telle définition. Des secteurs comme l'acier et le ciment ont des émissions élevées aujourd'hui, mais ils créent des matériaux qui sont importants pour une économie à faibles émissions. Je tiens à souligner que la capture du carbone pour les activités pétrolières et gazières ne devrait pas être considérée comme une transition durable.
Deuxièmement, nous suggérons d'exiger des plans de transition climatique crédibles pour toutes les institutions financières, entreprises et sociétés d'État sous réglementation fédérale. Un plan de transition climatique crédible consiste à suivre la voie de ce qui est scientifiquement nécessaire pour limiter le réchauffement à 1,5 degré, ce qui signifie de veiller que les émissions de chaque institution atteignent leur maximum d'ici 2025 et qu'elles diminuent de moitié d'ici 2030. Telle est l'exigence d'un plan de transition climatique crédible.
La réglementation peut imposer ces exigences relatives aux plans de transition climatique crédibles à l'ensemble de l'économie canadienne. Les plans de transition des entreprises peuvent être exigés en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions. Les sociétés d'État peuvent être soumises à la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité. En ce qui concerne les institutions financières sous réglementation fédérale, nous avons eu des conversations constructives avec le Bureau du surintendant des institutions financières, le BSIF, dans le cadre d'une relation de travail continue. Nous sommes d'avis que le BSIF peut promouvoir des plans de transition climatique crédibles pour les institutions financières sous réglementation fédérale.
Le Canada a subi des pertes assurables de plus de 5 000 milliards de dollars au cours des deux dernières années. À l'avenir, plus de 100 milliards de dollars d'actifs canadiens risquent de perdre de leur valeur en raison de la lenteur des institutions financières à opérer la transition climatique.
La meilleure façon de réduire ces pertes financières liées au climat est d'atténuer le changement climatique. Exiger des plans de transition climatique crédibles dans l'ensemble du secteur financier est un moyen très important d'y parvenir. Pour construire une économie abordable pour les habitants de tout le Canada et un climat à l'abri des catastrophes telles que les incendies de forêt qui font rage dans chacune de nos provinces, il est essentiel d'avoir un système financier aligné sur le climat.
Je vous encourage tous à promulguer des politiques qui garantissent que les institutions financières sous réglementation fédérale réduisent les émissions et renforcent la résilience face au changement climatique.
:
Je vous remercie de m'offrir l'occasion de m'adresser à vous.
Je m'appelle Keith Stewart et je suis stratège principal en matière d'énergie chez Greenpeace Canada. Je suis aussi chargé de cours à l'Université de Toronto, où j'enseigne la politique énergétique et environnementale.
Bien que les finances et les taxonomies vertes puissent sembler être des domaines de politique particulièrement obscurs, ils sont incroyablement importants à l'heure actuelle. La finance est l'élément vital de l'industrie des combustibles fossiles, et lorsque ce genre d'argent et de pouvoir entre en jeu, il y a forcément de la politique. C'est ainsi que le monde fonctionne.
Dans le temps qui m'est imparti, je voudrais souligner que nous ne pouvons pas comprendre la situation actuelle de la finance verte sans tenir compte de certaines de ces politiques.
La semaine dernière, Greenpeace Canada a publié un rapport intitulé Désengagement climatique: que faire face à la « démission silencieuse » des banques canadiennes? Des exemplaires vous ont été distribués.
Lorsque j'ai commencé à travailler sur ce rapport, il était axé sur le fait que les cinq grandes banques canadiennes ne respectaient pas les critères scientifiques de l'ONU en matière de carboneutralité, et ce, malgré qu'elles soient membres de la Glasgow Financial Alliance for Net Zero, dont les critères d'adhésion ont été définis par les Nations unies. Une campagne de l'ONU, Objectif zéro, fixe des critères pour plusieurs initiatives volontaires de ce type prises par des municipalités, des entreprises, des banques et des investisseurs. Ces critères comprennent l'arrêt immédiat du financement de projets d'expansion de l'exploitation de combustibles fossiles et la réduction de moitié des émissions financées d'ici 2030.
Pour les banques canadiennes, la pente est raide. Leur soutien aux combustibles fossiles s'est en fait accru depuis la signature de l'Accord de Paris. L'an dernier, la RBC a été le plus grand bailleur de fonds des combustibles fossiles parmi les banques mondiales. Les quatre autres grandes banques se sont toutes classées parmi les 15 premières banques mondiales à cet égard. Collectivement, la part des cinq grandes banques canadiennes dans le financement des combustibles fossiles parmi les 60 plus grandes banques du monde est passée de 14 % en 2016 à plus de 20 % en 2022. En fait, nous jouons un rôle plus important qu'avant dans le financement des combustibles fossiles.
L'ONU a adopté une ligne dure contre ce qu'elle appelle l'écoblanchiment et a donné aux membres de la GFANZ jusqu'au 15 juin 2023 — soit dans deux jours — pour satisfaire aux critères de l'ONU ou risquer d'être exclus de la campagne Objectif zéro, de sorte que les banques se sont retirées discrètement.
En octobre dernier, la GFANZ a modifié ses critères d'adhésion, passant de « tous les membres de la GFANZ doivent s'aligner sur les critères de la campagne Objectif zéro » à « prendre note des avis et orientations de la campagne Objectif zéro ». Autrement dit, les grands argentiers peuvent désormais faire ce qu'ils veulent et appeler cela « Objectif zéro » sans avoir de normes globales à respecter.
Ce changement a été motivé par la menace de politiciens républicains et des gouvernements de certains États américains de poursuivre les membres de la GFANZ en vertu de la loi antitrust pour s'être entendus contre les combustibles fossiles. Pour être clair, ces politiciens n'utilisent pas les lois antitrust pour poursuivre les géants de la technologie ou les fabricants de médicaments qui abusent de leur position sur le marché, mais ils visent les banques et les gestionnaires d'investissements susceptibles de réduire les investissements dans les combustibles fossiles.
On pourrait être tenté de dire: « Ah, encore ces folles guerres culturelles américaines ». Ce serait naïf.
Lorsque le New York Times a examiné plus de 10 000 pages de documents et de courriels relatifs à la montée du mouvement anti-ESG, il a découvert que c'étaient les compagnies pétrolières, charbonnières et gazières et leurs associations industrielles qui avaient militarisé — c'est l'expression du New York Times, pas la mienne — les trésoriers des États républicains contre le désinvestissement des combustibles fossiles. Dans de nombreux cas, ce sont les mêmes organisations, comme le Heartland Institute, qui étaient au coeur des campagnes antérieures de déni du changement climatique et qui mènent aujourd'hui la charge contre les critères ESG et la finance verte.
En fait, il faut voir la campagne contre la finance verte comme la plus récente incarnation du déni du changement climatique. Il s'agit d'une campagne bien financée et orchestrée visant à défendre les intérêts et les profits de l'industrie des combustibles fossiles en retardant la transition vers les énergies propres. Nous ne devrions toutefois pas tomber dans le panneau une nouvelle fois.
J'aimerais vous faire valoir qu'en présentant les engagements volontaires envers la carboneutralité comme une collusion, le lobby des combustibles a trop présumé de ses forces. Cette attitude a mis à nu les limites de l'autorégulation de l'industrie.
Si une initiative comme celle de la GFANZ devait changer vraiment quoi que ce soit au statu quo, les membres seront poursuivis pour collusion — la moitié des compagnies d'assurances membres de la GFANZ ont quitté le navire à cause de cette crainte — et pourtant, vous ne pouvez pas être accusé de collusion pour avoir respecté des exigences réglementaires. La seule voie viable à l'heure actuelle est que les gouvernements établissent et appliquent des règles claires qui harmoniseront le financement privé avec nos engagements climatiques. Les banques n'aimeront pas ça, mais le public, oui. Selon un sondage réalisé par Greenpeace Canada, 70 % des Canadiens souscrivent à une réglementation visant à harmoniser le financement avec nos engagements climatiques.
Dans notre récent rapport, nous soulignons le travail de ma collègue, Julie Segal, d'Environmental Defence, sur la manière d'entamer ce processus dans le cadre des lois en vigueur. Nous indiquons aussi comment nous pouvons l'approfondir grâce à une loi comme celle proposée par la sénatrice Rosa Galvez.
:
Je vous remercie de m'offrir l'occasion de m'exprimer.
Je vous parle aujourd'hui en ma qualité de présidente du Conseil d'action en matière de finance durable, que je désignerai dorénavant le CAFD. J'ai près de 40 ans d'expérience dans le secteur de l'assurance nationale et internationale, où j'aide des particuliers, des entreprises et des gouvernements à évaluer et à gérer les risques. C'est dans cette optique que j'en suis venue à mesurer les défis et les occasions indéniables créés par le changement climatique.
Je vous félicite pour votre examen de l'état de la finance durable au Canada et, je l'espère, pour l'engagement qui en résultera de prendre des mesures supplémentaires lorsque cela sera justifié. Je félicite aussi le gouvernement fédéral d'avoir donné suite à une recommandation clé du rapport du Groupe d'experts sur la finance durable en créant le CAFD. Je suis convaincue que ces deux actions témoignent de notre volonté commune de concrétiser une vision pour le Canada qui définit le rôle constructif que notre pays a joué et continuera de jouer à mesure que le monde se décarbonise, tout en reconnaissant que la mise en oeuvre fructueuse de cette vision exige désormais une collaboration et des niveaux de coopération sans précédent.
Le CAFD est l'une de ces collaborations. Tout d'abord, il a officiellement réuni 25 institutions financières représentant des investisseurs, des prêteurs et des assureurs, une occasion exceptionnelle d'harmoniser les points de vue des différents sous-secteurs du système financier privé. Cela s'est révélé inestimable pour mieux comprendre et soutenir les rôles essentiels que le secteur financier privé doit jouer pour réaliser les objectifs économiques du Canada.
Ensuite, il a permis de réunir autour d'une même table les dirigeants de la finance fédérale, provinciale et territoriale, qui ont travaillé aux côtés du CAFD par l'entremise du groupe de coordination sectorielle officiel, ce qui a permis une compréhension et un soutien mutuellement bénéfiques des objectifs de l'un et de l'autre.
Par ailleurs, il a fourni de nombreuses occasions de faire participer une liste beaucoup plus large de parties prenantes, tant au Canada qu'à l'étranger, tandis que le CAFD s'emploie à s'acquitter de son mandat. Cette liste comprend l'industrie, la société civile et le milieu universitaire, en plus des activités de sensibilisation et des collaborations internationales que nous avons mises à profit.
Enfin, le travail que nous avons accompli jusqu'à présent a un impact, est fortement soutenu par une part très importante du système financier privé du Canada et mérite d'être poursuivi.
Vous avez entendu ma collègue, Barbara Zvan, dont les commentaires portaient sur un examen plus approfondi du rôle crucial des taxonomies dans les économies du monde entier et de l'importance cruciale d'établir et de mettre en œuvre une taxonomie au Canada. Vous avez aussi entendu des voix internationales qui ont lancé un appel à l'action pour que le Canada continue d'exercer son influence sur le discours mondial et la renforce à certains égards.
Dans un rapport remis au gouvernement au début de février, les équipes chargées d'autres volets du travail du CAFD ont souligné la nécessité de faire des progrès en matière de divulgation des données climatiques sur les marchés publics et privés, en s'harmonisant avec l'évolution et la situation internationales. Notre travail actuel consiste à déterminer comment augmenter le flux de capitaux privés vers les investissements de transition canadiens au moyen d'une série d'études de cas axées sur des secteurs sélectionnés et conçues pour formuler des recommandations hautement prioritaires afin d'aplanir les obstacles. Nous prévoyons de terminer ce rapport d'ici la fin de l'année.
Tout cela, et bien plus encore, est nécessaire si nous voulons renforcer la capacité du Canada en matière de finance durable et nous assurer d'attirer les niveaux accrus de capitaux nationaux et internationaux nécessaires pour continuer à prospérer au fur et à mesure que le monde se transforme. Il est vraiment gratifiant de constater la mobilisation et la contribution des membres du CAFD au cours des deux dernières années, dans le but commun d'aider le Canada à prospérer dans les années à venir. Les membres du Conseil ont fait preuve d'un grand leadership et ont consacré beaucoup de temps et de ressources aux tâches à accomplir. J'espère sincèrement que ces efforts seront récompensés par un niveau élevé et soutenu de collaboration de la part des décideurs politiques afin de faire progresser ce travail essentiel.
Je vous remercie, monsieur le président.
Le financement de la transition énergétique peut être décomposé en deux flux de capitaux: l'augmentation des immobilisations dans la production d'énergie renouvelable et les sorties de capitaux dues à la forte réduction des investissements dans le secteur du pétrole et du gaz. L'objectif de la transparence et de la divulgation des indicateurs liés au climat est en grande partie d'influencer sur ces deux flux. Comme M. Mark Carney l'a dit, ce qui est mesuré est géré et c'est pourquoi la communication de données financières liées au climat est essentielle si nous voulons parvenir à la carboneutralité.
Bien que l'afflux de capitaux dans les énergies renouvelables n'est pas conditionnel à la sortie de capitaux du secteur pétrolier et gazier, bien des gens estiment que cette sortie de capitaux est un élément clé de la transition énergétique.
Si vous me le permettez, j'aimerais limiter mes commentaires au deuxième élément, à savoir la réduction des investissements dans la production de pétrole et de gaz.
Ce point de vue a été renforcé en mai 2021 lorsque l'Agence internationale de l'énergie a publié « Net Zero by 2050: A Roadmap for the Global Energy Sector ». Selon l'énoncé principal de cette feuille de route, aucune prospection de combustibles fossiles n'est nécessaire, dans un scénario misant sur la carboneutralité, et aucun nouveau gisement de pétrole ou de gaz n'est nécessaire en dehors de ceux dont l'exploitation a déjà été approuvée.
Le moment choisi pour cet énoncé était stratégique, puisqu'il arrivait à la veille de la conférence sur le climat COP26 à Glasgow, qui avait été reportée. Si cette conférence portait sur un sujet, c'était bien sur la finance. Comme nous le savons, cette conférence a abouti à la formation de la Glasgow Financial Alliance for Net Zero. Alors qu'il était chancelier de l'Échiquier, Rishi Sunak avait expliqué que la Glasgow Financial Alliance for Net Zero a pour but de rassembler des actifs financiers d'une valeur de plus de 130 000 milliards de dollars. Il a ajouté que notre troisième action consiste donc à recâbler l'ensemble du système financier mondial en vue d'atteindre la carboneutralité.
Cela soulève une importante question philosophique ou, peut-être, idéologique, car cela implique la socialisation de l'épargne privée et l'affectation de capitaux privés à des objectifs établis dans des politiques publiques. Une façon de contourner ce problème a été de prétendre qu'il n'y a pas de conflit ou de tension entre la réalisation des objectifs des politiques publiques et le devoir des fiduciaires de maximiser les rendements ajustés au risque pour les bénéficiaires, parce que l'investissement ESG offre des rendements plus élevés. Comme le dit Wall Street, « faire de bonnes affaires en faisant une bonne action ».
Cependant, aussi beau que cela puisse paraître, cette approche est en contradiction avec la théorie moderne du portefeuille et Tim Buckley, le directeur général de Vanguard, le deuxième gestionnaire d'actifs au monde, l'a rejetée au début de l'année, en joignant le geste à la parole: Vanguard a elle aussi quitté l'initiative des gestionnaires d'actifs carboneutres, qui fait partie de la GFANZ.
Lorsque des investisseurs qui respectent les critères d'ESG adoptent le point de vue de l'Agence internationale de l'énergie, ou AIE, selon lequel il ne faut pas investir dans de nouveaux gisements de pétrole et de gaz, nous n'avons pas à trancher cette question philosophique, pour la raison que je vais expliquer maintenant.
La première chose à comprendre est que le point de vue de l'AIE sur l'absence d'investissement dans de nouveaux gisements de pétrole et de gaz découle de son hypothèse selon laquelle la supériorité des énergies renouvelables réduit la demande de pétrole et de gaz naturel. Cette hypothèse se reflète dans les prévisions de l'AIE concernant les prix bas et en baisse du pétrole et du gaz, favorables à la carboneutralité. Pour être clair, l'AIE n'a pas préconisé une voie vers la carboneutralité fondée sur la limitation de la production de pétrole et de gaz et la destruction de la demande par des augmentations de prix stratosphériques. Pourtant, les données de la feuille de route de l'AIE vers la carboneutralité démontrent l'infériorité et l'inefficacité des énergies renouvelables en tant que substituts du pétrole et du gaz.
D'ici 2030, l'AIE affirme que la transition énergétique emploiera près de 25 millions de travailleurs supplémentaires et utilisera 16,5 billions de dollars de capitaux en plus pour produire 7 % d'énergie en moins. L'inefficacité de la transition énergétique implique une chute de 33 % de la production d'énergie par employé dans le secteur de l'énergie — c'est‑à‑dire plus de terrains, de travail et de capitaux pour produire moins. C'est l'antithèse de l'économie de la croissance. En effet, la propre analyse de l'AIE contredit sa présomption de la supériorité économique des énergies renouvelables.
En 2022, dans son « World Energy Outlook », l'AIE a averti que la réduction de l'offre de pétrole et de gaz n'est pas un substitut à la réduction de la demande. Elle précise que:
La réduction des investissements dans les combustibles fossiles avant la mise en œuvre d'une politique et des investissements dans les énergies propres visant à réduire la demande d'énergie, ou en remplacement de telles mesures, ne conduirait pas aux mêmes résultats que le scénario misant sur la carboneutralité. Si l'offre devait évoluer plus rapidement que la demande, avec une baisse des investissements dans les combustibles fossiles précédant une montée en puissance des technologies énergétiques propres, cela engendrerait des prix beaucoup plus élevés, peut-être pour une période prolongée...
:
Merci, monsieur le président.
Je remercie tous les témoins de leur présence. Nous avons tenu plusieurs réunions sur la finance verte. Je dois dire que c'est très, très intéressant.
Madame Zvan, je veux vous adresser ma première question. Vous êtes la présidente et cheffe de direction de l'Ontario University Pension Plan. Sur votre site Web, on peut lire que l'objectif déclaré de votre caisse de retraite est d'investir dans des activités économiques qui contribuent de manière substantielle à la réduction des émissions de gaz à effet de serre ou à l'adaptation au changement climatique.
Je suppose que ce que j'essaie de comprendre, c'est qu'en tant que gestionnaire d'une caisse de retraite, votre objectif principal est normalement de maximiser les rendements pour les investisseurs qui en font partie. Après tout, c'est leur retraite qui en dépend. Je me demande si vous avez des données sur les activités économiques dans lesquelles vous investissez pour savoir si elles offrent ou non un rendement équivalent à celui d'actifs qui ne seraient pas définis ainsi.
:
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie les excellents témoins d'être ici avec nous aujourd'hui.
J'aimerais particulièrement vous remercier, mesdames Bardswick et Zvan, pour votre excellent travail sur la création d'une feuille de route sur la taxonomie. J'ai lu avec grand intérêt votre rapport et vos belles recommandations. Vous avez fait un travail extraordinaire, tout en tenant compte des changements qui ont lieu à cet égard sur la scène internationale. Je pense notamment au travail que fait l'Union européenne à cet égard.
J'ai bien aimé aussi ce que Mme Zvan a dit. Il y avait deux choses. Premièrement, si nous n'agissons pas maintenant, nous risquons de nous retrouver derrière les autres pays, qui pourraient définir pour nous ce qu'est la finance de transition, ce que nous ne voulons pas. Nous voulons avoir notre mot à dire là-dessus. Il y a des changements qui s'en viennent. Cette année, l'Union européenne a mis en vigueur ses normes sur la finance durable et la finance verte. Le G20, comme vous le savez, a sa propre feuille de route. Vous avez mentionné 30 pays.
Parmi vos 10 recommandations, quelles sont celles que le gouvernement canadien devrait mettre en œuvre cette année ou le plus tôt possible?
Ensuite, quels obstacles voyez-vous à leur mise en œuvre?
:
Dans le rapport, nous avons défini la phase suivante. Si vous prenez les travaux que nous avons effectués, il s'agissait en fait de créer une feuille de route. Nous n'avons pas créé le matériel nécessaire à l'élaboration de la taxonomie et les détails.
Il y a deux parties à cela. La première consiste à mettre en place la structure de gouvernance. Notre recommandation est d'élargir la représentation au sein de cette structure de gouvernance pour qu'elle provienne majoritairement des pouvoirs publics et minoritairement du secteur de la finance, de la société civile et des titulaires de droits autochtones. C'est essentiel pour que la surveillance de la taxonomie soit crédible et reconnue à l'échelle internationale.
La deuxième consiste à désigner les gardiens, qui sont en réalité les créateurs de la taxonomie. Il doit s'agir de personnes ayant des connaissances sur le climat et l'environnement qui peuvent aussi travailler avec des groupes d'experts techniques qui mettent à contribution l'industrie, le secteur financier, afin de régler les détails. Sans ces détails, sans la clarté et la cohérence qu'ils apportent, il serait impossible d'attirer des capitaux là où nous en avons besoin. Le Canada est confronté à une transition particulièrement difficile et, sans clarté, nous n'obtiendrons pas les capitaux des marchés internationaux.
Ce serait les deux priorités immédiates.
:
Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins.
Je vais adresser ma première question à Mme Zvan.
D'abord, bonjour, madame Zvan. Je me suis intéressé à votre feuille de route sur la taxonomie.
Dans les documents préliminaires qui ont été publiés et transmis au Comité, il est question de ce que vous qualifiez d'activités de transition. Par exemple, on envisagerait de réduire l'intensité des émissions de gaz à effet de serre, ou GES, par baril de pétrole, notamment au moyen de la capture du carbone. Ainsi, les petites centrales nucléaires modulaires pourraient produire davantage de pétrole en produisant moins d'émissions par baril, ce qui serait considéré comme une activité de transition.
Or, si on diminue de 10 % les émissions de GES par baril et qu'on augmente la production de pétrole de 30 %, on augmente en fait nos émissions de GES, il me semble, sauf erreur, vu que les cibles canadiennes sont établies en émissions totales. En fait, la planète en a peu à faire des émissions par baril, puisqu'il s'agit d'émissions totales.
Ce type de taxonomie ne pourrait-il pas s'apparenter à de l'écoblanchiment, dans la mesure où on pourrait laisser croire au public qu'on est en transition alors qu'en réalisé, on augmente passablement nos émissions de GES?
:
Je vous remercie de votre question.
Je vais peut-être donner un peu plus de détails sur la catégorie de transition. Il s'agit de reconnaître que nous devons nous attaquer aux activités à forte émission de gaz à effet de serre. Pour bénéficier de l'étiquette de transition, un projet doit remplir trois critères stricts qui sont alignés sur la science pour un scénario de 1,5 °C, soit des réductions d'émissions significatives; une durée de vie limitée alignée sur une voie vers la carboneutralité; et éviter ce que l'on appelle la dépendance excessive au carbone, ce qui empêche d'autres investissements. Tout projet favorisant l'expansion du pétrole ou du gaz par de nouveaux projets d'extraction a été considéré comme non viable en raison des multiples scénarios climatiques existants qui ne concordent pas avec cette étiquette. Les seuils de cette catégorie de transition évolueront au fil du temps, de sorte que ce qui est acceptable en 2025 ne le sera pas forcément en 2035.
Si nous prenons des éléments tels que le CUSC, la taxonomie est censée être appliquée projet par projet, et non comme un feu rouge ou vert pour toute une catégorie d'activités. Si un projet de CUSC peut remplir ces trois critères stricts établis par le gardien et approuvés par le Conseil, il sera inclus. Dans le cas contraire, il ne le sera pas.
En conséquence, je pense que cela envoie un message très clair à l'industrie et aux marchés sur ce qu'est réellement un projet de CUSC transitoire. Je pense qu'il y a un grand manque de clarté dans ce domaine, et la taxonomie peut apporter la clarté nécessaire. J'aimerais aussi souligner que dans le rapport de l'AIE, l'un des cinq principaux éléments de la réduction des émissions pour 2050 comprend le CUSC.
Je vais maintenant m'adresser à M. Stewart, de Greenpeace Canada.
On semble fonder de grands espoirs sur la capture du carbone. Il y a deux approches. Selon moi, la capture du carbone représente une espèce d'espoir lorsqu'il ne reste plus que quelques tonnes métriques extrêmement difficiles à éliminer en bout de piste. Il y a aussi une autre approche, qui semble être l'approche canadienne: on se dit que la capture du carbone est une politique industrielle qui va nous permettre de ne pas changer notre industrie et de ne pas procéder à la transition, tout en laissant entendre qu'on est en transition.
Je comprends toutes les nuances, et je salue vraiment le travail qui a été fait sur le plan de la taxonomie. Cependant, il me semble que l'ambiguïté entourant cette taxonomie peut renforcer l'approche canadienne, qui vise à augmenter la production en laissant croire qu'on réduit les émissions.
Êtes-vous d'avis qu'il s'agit d'une mauvaise approche?
:
Je vous remercie de votre question.
Je vais y répondre en anglais, parce que je ne connais pas tous les termes techniques français.
[Traduction]
La question de la finance de transition est d'une grande complexité. Le Canada est le seul pays à avoir établi cette catégorie. Du point de vue de Greenpeace, je crois que la question centrale est celle de savoir si les émissions sont bloquées ou non, ce qui est très difficile à définir. Une de nos craintes est que le feu vert s'allume dès qu'on parle de captage et de stockage du dioxyde de carbone, ou CSC. Si vous lisez bien, ce n'est pas ce qui est écrit, mais je crois que c'est une interprétation assez courante. Il y aura beaucoup de controverses quant à l'interprétation exacte.
Je pense que les technologies de CSC sont viables dans certains domaines. Comme l'a évoqué ma collègue, Mme Segal, des secteurs comme celui du ciment et certaines activités liées à la production d'acier — quoique les progrès technologiques soient impressionnants dans le domaine de l'acier vert — pourraient nécessiter le recours au CSC. Cela dit, j'ai l'impression que l'industrie des sables bitumineux a beaucoup trop monopolisé le débat au Canada, alors que c'est un secteur dans lequel le CSC peut au mieux réduire les émissions de 10 % au cours du cycle de vie. La question qui se pose est la suivante: le déploiement de technologies de CSC dans ce secteur permettra-t‑il vraiment d'envisager l'avenir avec optimisme?
Un des projets à l'étude est celui de Cenovus, qui propose de prolonger la durée utile de la plus importante installation d'exploitation in situ de sables bitumineux jusqu'à 2079. Cenovus a également fait une étude, dont les détails n'ont pas été publiés, sur l'utilisation de technologies de CSC dans le cadre de ce projet. À notre avis, le recours au CSC ne suffit pas pour légitimer la prolongation de la durée utile de cette installation de 2023 jusqu'à 2079 parce que les critères ne sont pas remplis.
L'utilisation du CSC peut effectivement servir de prétexte pour maintenir le statu quo. L'autre préoccupation que nous avons est qu'une étiquette verte soit apposée sur ce genre de projet. La tendance à interpréter largement les facteurs ESG parce que c'est plus payant est souvent problématique. Les gens sont prêts à exploiter tous les angles et le moindre détail pour faire des profits. C'est dans l'ordre des choses. À mes yeux, ce n'est rien de surprenant. C'est pourquoi les règles doivent être très claires.
Nous pensons que l'application à une source d'énergie qui produit autant d'émissions de carbone que le pétrole est très problématique. Au moment où le déploiement sera possible, d'autres options existeront peut-être. Il y a à peine cinq ans, personne n'aurait imaginé l'évolution fulgurante à laquelle nous avons assisté dans le domaine des véhicules électriques. C'est le jour et la nuit. Nous sommes à des années-lumière des prévisions…
Madame Segal, vous avez mentionné que la plupart des institutions financières qui ont pris l'initiative de se donner des objectifs climatiques ne font pas grand-chose dans les faits, et qu'il y aurait lieu, et même qu'il serait justifié d'édicter une réglementation publique à cet égard.
J'aimerais approfondir cette idée avec vous, en prenant un angle un peu différent. Ne pensez-vous pas que sur le plan des relations publiques… Je crois que c'est Mme Zvan qui a parlé de la certitude recherchée par les investisseurs. Ne croyez-vous pas qu'il faut commencer par les politiques? Il faut des politiques sur lesquelles les investisseurs pourront fonder leurs décisions. L'inaction justifie une intervention publique, certes, mais n'est‑il pas vrai que ces acteurs attendent cette intervention pour investir?
J'aimerais vous entendre au sujet du lien entre les engagements volontaires, l'inaction et le rôle de la réglementation publique à cet égard.
:
Oui, avec plaisir. Merci de poser cette question, monsieur Blaikie.
Si vous me le permettez, je vais ajouter un peu de précisions sur l'information que j'ai donnée. Cette information vient du projet Oxford Net Zero, mené par une équipe qui fait un suivi des engagements en matière de carboneutralité à l'échelle mondiale. C'est cette équipe qui a révélé que 4 % seulement des engagements pris par des sociétés dans le monde ont donné lieu à des mesures concrètes.
Je comprends très bien l'idée comme quoi la certitude réglementaire faciliterait les choses pour les investisseurs sur la voie inévitable de la transition verte. C'est clair quand on voit l'enthousiasme du Conseil d'action en matière de finance durable et de mes collègues ici présents qui militent pour une taxonomie de la transition verte et qui insistent sur l'importance de rassurer les investisseurs et de clarifier ce qu'est un investissement vert pour tous les acteurs du marché.
Je pense que la réglementation est essentielle notamment parce que l'amalgame changement climatique et finance est immensément complexe. L'établissement de règles globales, qui définissent ce qui constitue un investissement fiable, peut vraiment rassurer les institutions et les amener sur la bonne voie.
L'autre point important, dont mon collègue, M. Stewart, a aussi parlé concerne la préoccupation des différents organismes eu égard aux conséquences d'opter pour une direction ou une autre. La réglementation clarifierait la direction à prendre. Elle leur indiquerait qu'on attend d'eux qu'ils réduisent leurs émissions et qu'ils visent la résilience climatique, et que c'est d'ailleurs dans leur intérêt.
Du point de vue du coût d'opportunité, c'est très important si le Canada veut attirer les investissements nécessaires pour continuer de développer des industries pendant la transition verte et fournir des emplois aux Canadiens partout au pays. Nous aurons besoin d'un cadre réglementaire stable, comme celui que les gouvernements du Royaume-Uni et de l'Union européenne ont établi, pour attirer des capitaux dans les secteurs en plein essor de l'économie verte.
Madame Zvan, dans le dernier budget et dans le dernier énoncé économique de l'automne, le gouvernement a annoncé une série de crédits d'impôt à l'investissement censés encourager les investissements privés dans l'économie des nouvelles énergies. Le hic, c'est que le Canada n'a pas de taxonomie claire et définie par une loi.
Selon vous, dans quelle mesure est‑il important que le gouvernement adopte une taxonomie qui sera dûment mise en œuvre, de concert avec la réglementation et les orientations qu'il est censé publier prochainement sur les crédits d'impôt à l'investissement, pour éviter un décalage entre les critères qui seront applicables à ces crédits par rapport à la taxonomie qui serait éventuellement adoptée? Quelle est l'incidence pour les investisseurs de ne pas savoir si la taxonomie et les définitions associées aux crédits d'impôt à l'investissement concorderont avec la taxonomie verte que certains d'entre nous ici attendent avec impatience?
:
Merci de poser cette question.
Je vais commencer… Tout d'abord, une taxonomie est un outil, mais il n'est pas complet. C'est un outil qui fait partie de ce qui est absolument fondamental pour la lutte au changement climatique.
Dans la terminologie du Fonds monétaire international, on parle de divulgation des données sur l'architecture climatique. C'est une taxonomie qui doit servir de fondement à toutes les autres règles et exigences. Il a été question du Royaume-Uni et de l'Union européenne plus tôt. Elles sont établies à partir de leurs règles sur la divulgation des données et de leur taxonomie.
Sans cette clarté et sans la crédibilité que confèrent la surveillance et l'adéquation avec les connaissances scientifiques… La clarté et la cohérence attirent les capitaux. Sans ces deux éléments clés, il sera impossible d'attirer des investissements étrangers directs et les acteurs nationaux dont nous avons absolument besoin.
Je vais donner l'exemple des obligations vertes. En 2018, elles représentaient 3 % du marché obligataire. Actuellement, je crois que cette proportion a grimpé à 18 %. Il existe une demande pour ce type d'investissements et il faut en tirer parti. De toute évidence, la clarté et la cohérence sont essentielles pour assurer l'efficacité d'un programme ou d'un règlement.
:
Merci, monsieur le président.
La plupart de mes questions s'adressent à M. Darwall.
Comme le montrent les recherches universitaires, le Canada est aux prises avec une crise de productivité et de croissance économique. Depuis 10 ans, la croissance économique a stagné à 0,8 % par habitant. Elle n'avait jamais été aussi faible depuis la Grande Dépression. La raison est relativement claire et assez bien connue, même si les médias en parlent trop peu à mon avis. Je crois qu'il n'y a pas suffisamment d'investissements de capitaux. Nous n'avons pas de cadre applicable en matière d'innovation. C'est franchement décevant de voir que même si on trouve au Canada des travailleurs parmi les plus vaillants et les plus intelligents dans le monde, la productivité n'est pas au rendez-vous.
Le secteur canadien de l'énergie a une contribution 10 fois plus élevée que la moyenne au produit intérieur brut, le PIB, par habitant. Est‑ce que quelqu'un ici pourrait me dire, parce que je n'ai jamais vu ces chiffres, quelle est la contribution de l'industrie verte au PIB par habitant? Je suis à peu près certain qu'elle est beaucoup moins importante que celle du secteur de l'énergie.
Monsieur Darwall, vous avez parlé avec beaucoup d'intelligence de la différence entre réduction de l'offre et réduction de la demande. Si l'offre est réduite de manière trop importante et qu'elle est plafonnée artificiellement par la réglementation gouvernementale ou autrement, je suis sincèrement convaincu que les Canadiens les plus vulnérables écoperont. Nous subissons les effets des politiques économiques libérales depuis huit ans. La fréquentation des banques alimentaires a doublé et nous faisons face à une crise de l'abordabilité, ce qui ne s'était pas vu depuis des décennies.
Monsieur Darwall, si on fait abstraction pour l'instant de notre volonté ou non d'opérer une transition, ne pensez-vous pas que si elle n'est pas faite dans les règles de l'art et sur une période suffisamment longue, cette transition risque de nuire considérablement à notre productivité et à notre PIB par habitant, et d'aggraver une situation déjà très précaire?
D'après ses perspectives énergétiques mondiales pour 2022, l'AIE serait tout à fait d'accord avec vous sur le fait que la demande doit diminuer plus rapidement que l'offre. L'inverse entraînera une hausse des prix. C'est un problème sérieux pour toutes les économies occidentales actuellement.
L'autre certitude selon l'AIE est que la transition énergétique a un effet régressif sur la productivité. Il faudrait 25 millions de personnes de plus, et un apport de capitaux de 16,5 mille milliards de dollars.
J'entends beaucoup parler de courses à gagner et de l'Europe. Ce serait une erreur de chercher à imiter l'économie européenne. Je vous le déconseille fortement. C'est l'autre chose que je tiens à souligner.
:
Pour réitérer, encore une fois, ce que vous venez de dire, j'ai dit plus tôt que le PIB par habitant était de plus de 600 $ l'heure par travailleur. La moyenne canadienne se situe, je crois, à un peu plus de 50 $. C'est donc 10 fois plus.
La productivité, comme nous le savons, est la capacité d'un pays à fournir des services et à fabriquer des biens. C'est la valeur réelle. On peut imprimer de l'argent, mais c'est une fausse bonne solution, un moyen artificiel qui mène exactement là où nous sommes aujourd'hui.
Est‑ce que je résume bien, et n'hésitez pas à me le dire si j'ai tort, en disant que la transition, surtout si elle n'est pas faite dans les règles de l'art et si la réduction de l'offre prime sur la gestion de la demande, risque d'appauvrir le Canada?
:
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie chacun de nos témoins.
À mes yeux, cette étude est d'une très grande importance. J'aurais deux observations à formuler avant de poser mes questions.
Je suis heureuse de voir que nos collègues conservateurs se soucient de la productivité. Je serais ravie qu'ils nous proposent d'étudier ensuite la réduction des obstacles au commerce interprovincial pour stimuler la croissance économique et la productivité.
L'intervention suivante sera plutôt d'ordre général. Je suis une fervente militante pour le climat. Le sujet de la finance verte m'intéresse énormément. J'ai lu le rapport sur la durabilité dès sa publication il y a quelques années. Je dois dire toutefois que chaque fois que nous parlons de ce sujet, je dois me refamiliariser avec la terminologie.
Nous utilisons un langage qui peut être difficile à comprendre pour le commun des mortels. C'est un commentaire général. J'essaie le plus possible de trouver des façons pour que mes électeurs comprennent ce que je fais et les discussions auxquelles je prends part, mais le langage ne m'aide vraiment pas. J'essaie de comprendre ce qu'on entend par taxonomie. Est‑ce qu'il s'agit d'outils, est‑ce plus que des outils? On parle maintenant d'architecture, de trois aspects différents… C'est loin d'être facile à comprendre.
Le message que j'aurais pour nous tous est que plus nous utiliserons un vocabulaire simple, plus nous aurons de chances de rallier les gens à la cause.
Ma première question sera pour Mme Bardswick.
À titre de présidente du CAFD, vous nous avez parlé du fait qu'il rassemble 21 établissements financiers et 3 échelons de gouvernement, et qu'il mobilise des parties prenantes à l'échelle nationale et internationale. De votre point de vue, existe‑t‑il une compréhension commune de ce qui doit être fait et un accord commun entre ces parties prenantes?
:
Avant de répondre à la question, monsieur le président, j'aurais quelque chose à ajouter à la réponse donnée à la question précédente. Oui, la production du secteur canadien des sables bitumineux a augmenté de 27 % de 2014 à 2021, mais l'emploi y a reculé de 20 %. En 2022, une nouvelle baisse de 6 % du nombre d'emplois a été enregistrée dans ce secteur. J'avancerai donc qu'il n'y a pas forcément de lien direct entre la réduction de la production et la réduction des emplois puisque, apparemment, une production accrue peut aussi générer une baisse des emplois.
Je tenais à donner cette précision relativement à la question précédente.
Pour ce qui est de la question sur l'alignement, je dois dire que j'ai accepté la présidence du Conseil d'action en matière de finance durable en grande partie parce qu'il offre une occasion unique de réunir les trois sous-secteurs du système financier privé et de favoriser l'unification de ce groupe. Il faut comprendre qu'il n'y a pas nécessairement d'alignement… Historiquement, il n'y a pas vraiment eu d'alignement sur plusieurs de ces questions dans le secteur bancaire comparativement au secteur de l'investissement ou des fonds de pension, ou au secteur de l'assurance-vie, de biens et de dommages. Avant tout, nous voulions réunir ces gens autour de la même table, en même temps, pour qu'ils discutent des mêmes questions et qu'ils arrivent à s'aligner, à s'entendre et à donner leur accord avant de soumettre un rapport aux ministères responsables.
Nous collaborons aussi avec le groupe de coordination du secteur public pour nous assurer à tout le moins de comprendre les positions, les domaines d'intérêt et les priorités de ces organismes et du secteur public, et d'en tenir compte dans notre réflexion. Personne ne s'attend à un alignement total du point A au point Z, mais c'est essentiel pour nous, dès le départ, de comprendre et d'écouter tous les points de vue quand nous nous acquittons de nos mandats respectifs.
Avec le recul, je peux affirmer qu'au cours des dernières années, ce que j'ai observé et ce dont j'ai fait l'expérience, c'est que notre travail a été bonifié dans chacun de nos domaines en raison de cet effort accru de compréhension, de réflexion et d'écoute.
:
Merci, monsieur le président.
Ma question s'adresse à Mme Segal.
La difficulté qu'ont les pays à se coordonner pour agir ensemble a souvent été un catalyseur important d'inaction. On l'a vu à une certaine époque dans le domaine de l'évasion fiscale, par exemple. Les pays disaient que, s'ils agissaient, le capital irait ailleurs. Finalement, il y a eu des initiatives individuelles de la part de certains pays, lesquelles ont mené aux listes noires de l'OCDE, et ainsi de suite. On s'est rendu compte que le leadership avait une valeur. Je me demande si ce n'est pas un peu la même situation pour ce qui est des questions de finance climatique. On attend toujours que le prochain agisse et, finalement, il y a beaucoup d'inaction.
Voici donc ma question: le Canada pourrait-il jouer un rôle de chef de file plus important en matière de finance climatique?
Je sais que vous appuyez le projet de loi de la sénatrice Galvez, tout comme le Bloc québécois, d'ailleurs. J'aimerais que vous preniez le temps de nous dire quels éléments de ce projet de loi, pourraient mettre le Canada dans une posture de chef de file qui pourrait inspirer certains de nos partenaires commerciaux.
:
Je vous remercie beaucoup de votre question, monsieur Garon.
[Traduction]
C'est certainement un bon moment pour prendre le leadership en matière de politiques sur le financement de l'action climatique. J'ai mentionné d'autres pays qui se sont engagés dans cette direction, dont bon nombre comptent parmi les principaux partenaires commerciaux du Canada.
Avant tout, c'est important de reconnaître que le Canada a pris du retard sur d'autres pays relativement à l'adoption d'une réglementation sur le financement de l'action climatique. Le BSIF, le principal organe fédéral de réglementation en matière financière, a instauré il y a quelques mois la ligne directrice B‑15 pour exiger, essentiellement, la communication des données sur les émissions des grandes institutions financières fédérales. À l'annonce de cette ligne directrice, il a été reconnu que ce premier volet d'un régime réglementaire sur le financement de l'action climatique nous place de trois à cinq ans derrière d'autres pays pour ce qui est de la surveillance financière dans ce domaine.
Le BSIF a adopté une approche axée principalement sur le risque. Quels risques le changement climatique fait‑il peser sur les institutions financières? Il a été reconnu que ce premier pas, qui a été franchi au prix d'un effort considérable, nous place là où d'autres pays se trouvaient il y a trois ou cinq ans. Si le Canada veut s'imposer comme un leader dans ce dossier et attirer les capitaux nécessaires à la transition verte… Avant d'être reconnu comme un leader, le Canada a beaucoup de pain sur la planche. Mes collègues et moi avons donné seulement un aperçu de tout ce qui reste à faire.
Je souligne notamment le projet de loi sur la finance alignée sur le climat, une mesure très complète qui énonce en détail ce qui doit être fait pour aligner le système financier canadien, nos banques et nos régimes de retraite sur les engagements du Canada au titre de l'Accord de Paris. Quand elle a rédigé le projet de loi, la sénatrice Galvez…
Excusez-moi, mais est‑ce que vous m'entendez bien?
[Français]
Encore une fois, je remercie le député de sa question.
Madame Bardswick, j'aimerais revenir à quelque chose que vous avez dit. Beaucoup de Canadiens qui s'intéressent seulement au débat politique sur le secteur pétrolier et gazier pensent qu'il est impossible, comme il nous arrive de l'entendre dans certaines parties de la Chambre, de faire approuver un projet dans ce secteur au Canada et de trouver des investisseurs parce que c'est devenu trop compliqué.
Pourtant, selon ce que j'en ai compris, les banques canadiennes investiraient plus que jamais dans le pétrole et le gaz, et les activités d'extraction seraient en hausse malgré le recul de l'emploi. Est‑ce que c'est bien ce qui a été dit aujourd'hui? Voudriez-vous ajouter quelque chose sur la situation actuelle dans le secteur du pétrole et du gaz au Canada?
:
J'ai en fait la citation qui explique pourquoi. Tesla a été exclue en raison d'un « manque de stratégie de réduction du carbone » — cela me semble un peu bizarre, car l'entreprise ne construit que des véhicules électriques — et de « codes d'éthique commerciale ».
Je crois que ce que nous voulons dire ici, c'est que le facteur ESG signifie tout un tas de choses différentes pour tout un tas de personnes différentes. Le fait est que, même au cours des deux ou trois dernières années, les fonds les plus performants dans l'espace ESG possédaient tous des sociétés pétrolières et gazières.
Si nous ne comprenons pas ce que signifie le facteur ESG et que nous l'appliquons à tout, nous n'atteindrons pas les objectifs, ce qui, je crois, est également ce que voulait dire M. Stewart.
:
Merci, monsieur le président.
Merci aux témoins d'être ici aujourd'hui. Je vous suis reconnaissant de votre leadership dans ce domaine et de votre contribution experte à cette conversation.
C'est une question qui me tient à cœur et que je veux faire avancer ardemment. Je suis heureux que mes collègues ici présents aient proposé une motion sur la tenue de cette étude en premier lieu. Je vous remercie de votre présence.
Madame Zvan, je vais commencer par vous ou Mme Bardswick, selon celle que vous jugez la mieux placée pour répondre.
Si j'ai bien compris ce que nous avons entendu aujourd'hui, les institutions financières se sont fixé des objectifs volontaires ambitieux, ce qui, je crois que nous convenons tous, est une bonne chose. Certains témoins nous ont dit aujourd'hui — et je crois que vous ne l'avez pas contesté — que certaines d'entre elles n'ont pas forcément respecté ces engagements jusqu'à présent. Ce que je trouve intéressant, c'est que le Conseil d'action en matière de finance durable et ses membres rassemblent en fait toutes les plus grandes institutions financières du Canada, pour autant que je sache. Cela semble presque incohérent.
Le fait qu'elles aient essentiellement créé cette taxonomie et travaillé en collaboration pour la mettre au point et qu'elles disent qu'elle est nécessaire et que nous devons la mettre en œuvre maintenant ne met‑il pas en évidence la nécessité d'une intervention gouvernementale?
:
Je vais d'abord répondre à cette question.
Écoutez, j'ai occupé le poste de PDG d'une grande institution financière qui a intégré des engagements de durabilité dans sa stratégie. Ce n'est pas facile. C'est un travail difficile. D'après ce que j'ai entendu autour de la table au Conseil d'action en matière de finance durable, ces organisations ont fourni des ressources très haut placées. Elles se sont engagées à travailler pendant plus de deux ans. Aucune de ces personnes haut placées n'a pris congé de son travail pour participer. Je parle de directeurs juridiques et de directeurs des risques qui sont venus à cette table. Il y a un processus d'apprentissage. Certains sont plus avancés que d'autres, mais je crois qu'il y a eu un véritable effort concerté pour contribuer à la constitution d'un écosystème financier plus robuste et plus efficace, plus percutant et plus durable dans ce pays.
Leur avenir, leur capacité en tant qu'organisations à continuer à prospérer, à gérer correctement les risques et à s'aligner sur ce qui se passe dans le monde — ce sont des acteurs mondiaux — dépendent certainement de leur capacité à adopter efficacement ce qu'ils représentent dans leurs propres stratégies.
:
Je pense que je vais donner une réponse en deux parties. Tout d'abord, une structure de gouvernance adéquate et une consultation plus large que celle du Conseil d'action en matière de financement durable sont très importantes pour la définition d'une taxonomie. Je crois que les questions soulevées par mes collègues ici sur la nécessité de veiller à ce que le produit final s'aligne sur ce qui est convenu scientifiquement plutôt que d'être biaisé par un intérêt particulier sont importantes, d'où l'importance d'une consultation plus large de la gouvernance. Cela étant dit, je vais donner des exemples internationaux sur la manière dont, à mon avis, cela pourrait être intégré dans le droit canadien.
L'introduction d'une taxonomie dans le droit canadien est très importante parce qu'il s'agit d'une initiative volontaire. Elle n'aurait pas la même crédibilité ni la même certitude pour les investisseurs au Canada et pour ceux qui cherchent à investir au Canada. Ce que d'autres pays ont fait, c'est intégrer formellement la taxonomie dans leur processus stratégique, de sorte que la définition d'une taxonomie, les catégories soulignées, soit formellement intégrée dans le règlement. C'est certainement ce que je recommanderais, à titre personnel.
Ensuite, cette structure taxonomique réglementée est liée aux rapports des institutions financières et des fonds. Cela permet de s'attaquer à ce qui est considéré comme de l'écoblanchiment, ce à quoi un fonds pourrait prétendre être aligné, à ce que d'autres personnes ont souligné comme étant une définition très fluide de l'ESG et, en fait, cela nettoie les choses parce qu'une taxonomie est introduite dans la loi.
Tout d'abord, il s'agit de réglementer une taxonomie, puis de la lier aux exigences de divulgation des groupes pour qu'ils indiquent quel pourcentage de leurs investissements est aligné sur cette taxonomie réglementée.
:
Merci beaucoup. C'est une très bonne réponse, très complète, je crois.
Madame Bardswick et madame Zvan, je reviendrai à vous deux parce que je suis intéressé par votre modèle de gouvernance à trois niveaux, qui, je crois, représente peut-être un changement par rapport à la façon dont le Conseil d'action en matière de finance durable a fonctionné jusqu'à présent. Je m'intéresse à la manière dont cela nous aide à faire évoluer la taxonomie.
Je note que, dans votre rapport sur la feuille de route, vous avez précisé que ce qui est considéré comme un investissement de transition aujourd'hui ne le sera plus nécessairement dans cinq ou dix ans. Le fait qu'il change pour nous permettre de respecter l'engagement de 1,5 °C que nous avons pris est vraiment important. Il est important pour nous d'inclure la science du climat et d'autres parties prenantes dans ces débats et, au fur et à mesure que ces débats se déroulent, prendre ensemble ces décisions. Pouvez-vous peut-être expliquer un peu plus en détail pourquoi le modèle de gouvernance que vous avez structuré est si important?
:
Les principales exigences du modèle de gouvernance sont vraiment l'intégrité de la science du 1,5 °C et la large participation, je dirais, du gouvernement fédéral et des parties prenantes provinciales, des détenteurs de droits autochtones, de la société civile et des acteurs financiers. Si l'on examine les 30 efforts de la taxonomie, on constate que le secteur gouvernemental est souvent composé de l'organe de réglementation financière ou des banques centrales, parce qu'elles sont les plus proches du secteur financier pour ce qui est du travail avec ce dernier et de sa surveillance.
Elles doivent constituer la majeure portion de la partie centrale de cette structure gouvernementale pour avoir une crédibilité à l'échelle internationale. Je crois que pour le Canada, il est impératif d'inclure les détenteurs de droits autochtones et la société civile, et les acteurs financiers doivent être présents en minorité pour aider à la mise en oeuvre pragmatique de la taxonomie.
Nous travaillons actuellement sur les détails. Nous les présenterons au Conseil d'action en matière de finance durable le 4 juillet. Ils contiendront ces éléments. Ils contiendront également trois formulaires consultatifs pour les parties prenantes, un pour les gouvernements provinciaux et territoriaux et les détenteurs de droits autochtones, un pour la société civile et enfin un pour le groupe consultatif du secteur financier, en essayant d'intégrer des groupes permanents pour apporter ces perspectives, visant également la participation au Conseil.
:
Merci, monsieur le président.
Je vais adresser mes dernières questions à M. Stewart.
Beaucoup d'encre a coulé au sujet de la transparence des banques. Certaines personnes demandent que les banques fassent des rapports publics ou, à tout le moins, au Bureau du surintendant des institutions financières, sur leurs investissements dans les hydrocarbures. Cela a été encouragé, évidemment, par les nouvelles qui entourent la RBC, qui serait un des investisseurs les plus importants, sans compter le fait que, pour obtenir ces données sur la RBC et sur d'autres banques, on a dû faire appel à des sources secondaires, indirectes et autres.
Ma question se décline en trois points et vous aurez environ une minute et demie pour y répondre. Les critiques envers les banques concernant leur transparence sont-elles justifiées? Quel rôle pourrait jouer le Bureau du surintendant des institutions financières pour améliorer cette transparence? L'approche volontaire en matière de transparence est-elle crédible?
:
Merci, monsieur le président.
Je vais commencer par prier nos témoins de m'excuser d'aborder un petit point des travaux du Comité.
Comme l'a fait M. Chambers, je vais donner avis d'une motion, mais je vais lire celle‑ci, car les autres membres du Comité ne l'ont pas encore vue. Il s'agit à mon avis d'une question qui découle de notre étude du projet de loi . J'ai assisté à de nombreuses manœuvres d'obstruction et j'ai même participé à certaines d'entre elles, mais il y avait quelque chose qui me turlupinait à propos de celle‑ci et je n'arrivais pas à mettre le doigt dessus, mais après un certain temps de réflexion, je pense avoir compris ce qui me dérangeait. J'espère que cette motion contribuera à résoudre le problème.
Elle se lit comme suit:
Que: (a) le Comité reconnaisse que (i) M. Hallan a fait obstruction dans une large mesure au projet de loi C‑47 en comité, mais qu’il n’a pas été très assidu tout au long de la procédure, (ii) M. Lawrence a rempli les fonctions que l’on attendrait d’un vice-président de comité pour l’Opposition officielle, y compris (A) assister à la plupart des séances, (B) assurer le leadership des député(es) de son parti sur le parquet du comité, (C) recevoir les propositions de représentant(es) des autres partis pour mettre fin à l’obstruction et (D) négocier avec ces représentant(es) à cette fin, et; (b) que le vice-président Hallan ne jouit plus de la confiance du Comité permanent des finances et que, par conséquent, nous procédons immédiatement à l’élection d’un nouveau vice-président issu de l’Opposition officielle.
Je considère que l'avis de cette motion a été donné. Je me réjouis d'avoir l'occasion d'en discuter longuement lorsque je la proposerai. Ce n'est pas un sujet pour aujourd'hui. Il est évident qu'il y a une clause de préavis de 48 heures, mais je ferai un suivi par écrit auprès du greffier. Nous devrions être en mesure de diffuser cette information dans les deux langues officielles d'ici la fin de la journée, monsieur le greffier.
Je remercie nos témoins d'avoir accepté cette brève incursion de la part des travaux du Comité.
Me reste‑t‑il un peu de temps, monsieur le président?
:
Monsieur le président, je voudrais rapidement me faire l'écho de ces sentiments.
Ce fut un privilège de travailler avec M. Hallan, qui est un député remarquable, un membre exceptionnel de la collectivité indo-canadienne et une personne très respectée. Je suis assez surpris de voir le député néo-démocrate de ce comité s'en prendre à lui, en sa qualité de vice-président de ce comité, pour avoir simplement fait son travail.
Sur ce, je passe la parole à M. Darwall.
Monsieur Darwall, une petite question. Vous avez utilisé une expression tout à l'heure. Vous avez parlé de la socialisation du capital privé. Je me demande si vous pourriez préciser ce que vous entendez par là.
:
Merci, monsieur Morantz.
Le capital privé est‑il destiné aux bénéficiaires, aux fiduciaires, aux gestionnaires d'investissement, aux gestionnaires de fonds de pension, etc., qui ont le devoir primordial de maximiser le rendement ajusté en fonction du risque, ou le capital privé est‑il en fait un capital semi-socialisé qui devrait être utilisé pour atteindre les objectifs de la politique publique? Telle est, me semble-t‑il, la grande question.
Je dois dire que je suis légèrement déconcerté par les propos tenus au sein de ce comité, selon lesquels nous avons besoin de ces règles pour attirer des capitaux au Canada afin de financer des investissements dans les énergies renouvelables. Si le rendement des investissements dans les énergies renouvelables est compétitif dans le monde entier, le Canada attirera des fonds. C'est ce qui s'est passé en Europe. Une grande partie de ces fonds ont été augmentés au détriment des consommateurs du Royaume-Uni, de l'Allemagne et d'autres pays où le coût de l'électricité est parmi les plus élevés au monde, mais fondamentalement, c'est une question de rendement. Si vous avez le bon rendement, vous attirerez les capitaux.
:
Eh bien, je commencerais par affirmer qu'on a fait du travail et accompli des progrès sur le plan d'une vision pour le Canada que je crois que nous, en tant qu'institutions financières, aspirerions certainement à voir comme une vision que partagent non seulement le gouvernement fédéral, mais aussi les dirigeants provinciaux, territoriaux et autochtones du pays, afin de s'assurer que l'alignement est là, parce que le temps presse et qu'aucun d'entre nous n'a de ressources excédentaires ou de temps à gaspiller.
Cela dit, dans le contexte du Conseil d'action en matière de finance durable et du mandat qui nous a été confié, et que nous croyons et soutenons, il y a ici une construction fondamentale associée à la boîte à outils pour un écosystème durable robuste. Cette boîte à outils comprend la mise en place d'un cadre de divulgation pour le pays. Elle comprend la mise en oeuvre d'une taxonomie, et je dirais que même la Russie dispose d'une taxonomie, tout comme la Chine. Il s'agit également de veiller à ce que l'on continue à améliorer les exigences en matière de données, et les bases de données publiques existantes ont un rôle à jouer. Nous avons été frappés par la quantité des données qui sont hébergées à la fois au fédéral et au provincial et qui ajouteraient de la valeur à l'exercice si elles étaient régies et plus utilisables du point de vue des institutions financières.
Je dirais que des progrès ont été accomplis, mais que nous devons nous engager à mettre en oeuvre les recommandations visant à développer cette capacité de manière beaucoup plus détaillée. Je ne dirai pas une seconde que les recommandations du CAFD doivent se suffire à elles-mêmes. Nous nous sommes également engagés à une consultation plus large et nous encourageons un engagement continu envers une consultation plus large afin d'amener les parties prenantes qui doivent être présentes à la table des négociations à agir.