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INDU Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de l'industrie et de la technologie


NUMÉRO 129 
l
1re SESSION 
l
44e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 10 juin 2024

[Enregistrement électronique]

(1100)

[Traduction]

    Soyez les bienvenus. Je déclare la séance ouverte. Ceci est la 129e réunion du Comité permanent de l'industrie et de la technologie de la Chambre des communes.
    Je suis votre président suppléant pour les deux prochaines réunions. Une façon de me faire taire, c'est de me mettre au poste de président.
    Des députés: Oh, oh!
    Le vice-président (M. Rick Perkins): Conformément au Règlement, la réunion d'aujourd'hui se déroule en format hybride.
    Conformément à l'ordre de renvoi du mercredi 7 février, le Comité poursuit son étude du projet de loi C‑352, Loi modifiant la Loi sur la concurrence et la Loi sur le Tribunal de la concurrence.
    Je ne vais pas lire tout ce qui se dit au sujet des oreillettes, mais j'encourage tout le monde, s'ils ne les utilisent pas, à poser leur oreillette près de l'autocollant qui se trouve devant vous afin d'éviter l'effet Larsen et les blessures subséquentes aux oreilles des interprètes. La collaboration de chacun est fort appréciée.
    Sur ce, je vais souhaiter la bienvenue à nos témoins. J'en profite aussi pour féliciter notre greffière, qui est devenue grand-mère hier, encore une fois.
    Ce n'est pas encore une fois. C'est la première fois.
    C'est la première fois. C'est encore plus important.
    Pour ce qui est de nos témoins d'aujourd'hui, nous recevons Edward Iacobucci, qui est professeur et titulaire de la Chaire de la Bourse de Toronto en marchés de capitaux à la Faculté de droit de mon alma mater, l'Université de Toronto. Nous recevons Jennifer Quaid, qui est professeure agrégée et vice-doyenne à la recherche, Section de droit civil, à la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa. Avec nous par vidéoconférence, nous entendrons Thomas Ross, qui est professeur émérite à la Sauder School of Business de la University of British Columbia. Nous avons aussi Keldon Bester, directeur exécutif du Projet canadien anti-monopole, ainsi que le directeur exécutif d'OpenMedia, M. Matthew Hatfield.
    Merci à tous d'être là.
    Tous les tests de son ont été effectués, et tous les témoins qui comparaissent à distance semblent s'être branchés avec succès.
    Je cède la parole à notre premier témoin, M. Iacobucci, pour cinq minutes.
    Comme tout le monde ici le sait, certaines des propositions contenues dans le projet de loi ont déjà force de loi et d'autres versions de ces propositions sont présentes dans d'autres projets de loi. J'ai quelques réserves au sujet de certaines des dispositions déjà adoptées. Je terminerai peut-être par quelques observations, mais mon exposé va surtout porter sur les éléments qui, selon moi, sont encore en jeu dans ce projet de loi.
    On propose notamment de définir les sanctions financières associées à la constitution de cartels ou de complots dont il est question à l'article 45. Ainsi, une entreprise reconnue coupable de fixation des prix serait passible d'une amende pouvant aller jusqu'à 10 % de ses recettes mondiales. Mon approche générale de la réforme du droit de la concurrence au cours des deux dernières années a été de soutenir les mesures qui améliorent l'application de la loi, ce qui signifie qu'elle accueille favorablement une application plus stricte des lois de bonne tenue. J'ai applaudi lorsque le gouvernement a augmenté le budget du bureau. Je me suis réjoui de l'élargissement des droits d'action privés, y compris, et c'est important, de la possibilité de dommages-intérêts pour les plaignants privés. L'augmentation des sanctions administratives pécuniaires a également été, à mon avis, une évolution positive. L'augmentation des sanctions financières et des dommages-intérêts ainsi que la dissuasion accrue des comportements anticoncurrentiels, en général, amélioreront l'application du droit de la concurrence.
     Dans ce domaine en particulier, lorsqu'il s'agit de cartels de fixation des prix — et d'infractions de ce genre, qui sont assez difficiles à détecter —, je suis partisan de sanctions strictes. À cet égard, j'ai donc tendance à appuyer le projet de loi C‑352. La définition des sanctions semble pousser dans le sens d'une plus grande sévérité que par le passé. Il autorise des sanctions sévères pour ce type de conduite, et c'est quelque chose que j'appuie.
     En ce qui concerne le deuxième sujet que je souhaite aborder, je suis un peu moins favorable à ce que contient le projet de loi. Il s'agit de l'accent qui est mis sur les structures de marché dans l'évaluation des fusions. À mon avis, ce n'est pas une bonne idée d'inscrire dans la loi des seuils de parts de marché pour évaluer les fusions. Il y a deux raisons fondamentales pour lesquelles je suis réticent à appuyer ce genre d'initiative.
    Premièrement, les parts de marché sont inévitablement imprécises et ne sont pas toujours étroitement liées aux résultats de la concurrence. En ce qui concerne le premier point, il ne s'agit pas de dire que les marchés ont une sorte de vérité objective qui permet aux analystes de balayer la poussière et de voir les contours d'un marché. Il s'agit plutôt d'une heuristique empirique qui permet de saisir grossièrement les sources de la concurrence. Dans le cas d'une fusion, il s'agit des sources de concurrence des parties à la fusion. Il existe souvent d'autres définitions du marché, tout à fait défendables, qui peuvent conduire à des calculs de parts de marché très différents. Il y a inévitablement une sorte d'arbitraire dans la définition du marché et, par conséquent, dans l'établissement des parts de marché.
     Comment mesurer la production? Mesurons-nous les recettes? Mesurons-nous les unités vendues? Mesurons-nous la capacité? Lorsque l'on mesure la production, en fonction de quelle période doit‑on le faire: l'année dernière, la semaine dernière, trois mois ou la dernière décennie? Il est important de savoir à quel point deux produits doivent être proches les uns des autres pour être inclus dans le même marché. Le Coca-Cola et le Pepsi, le Coca-Cola et le soda au gingembre, ou le Coca-Cola et la bière font-ils partie du même marché? Il n'y a pas de bonne réponse à ces questions. C'est une affaire de jugement. Les réponses peuvent même varier d'un cas à l'autre.
     Deuxièmement, la définition du marché ne tient pas entièrement compte de la différenciation des produits à l'intérieur du marché. Deux entreprises peuvent avoir des produits très similaires et se livrer une concurrence très vive sur un marché, tandis que deux autres entreprises peuvent être définies sur le même marché, mais leurs produits sont différenciés d'une manière qui suggère qu'elles ne se livrent pas une concurrence aussi vive. La nature binaire de la définition du marché — dedans ou dehors — peut à tout le moins être un peu trompeuse. Il n'y a pas de façon correcte de définir le marché. Il n'y a donc pas de façon correcte de définir les parts de marché.
    En outre, si l'on met de côté le désordre des définitions de marché et des parts de marché, une structure concentrée, sur le plan conceptuel, n'implique pas nécessairement une déficience sur le plan concurrentiel. Le lien de causalité, par exemple, peut aller dans l'autre sens. La concurrence peut être intense, en particulier sur un marché où il existe des économies d'échelle. Une concurrence intense peut éliminer les fournisseurs les plus faibles et conduire à une plus grande concentration. Ce n'est pas que la concentration diminue la concurrence, c'est que la concurrence peut diminuer la concentration. Les parts de marché existantes ne permettent pas de prédire l'avenir. Les barrières à l'entrée peuvent être très faibles, par exemple. Un marché concentré ne pose pas nécessairement de problèmes de concurrence. Une entreprise peut avoir une part de marché importante aujourd'hui, mais un produit relativement faible face à l'innovation, ce qui fait qu'on peut s'attendre à la voir perdre de son importance au fil du temps.
(1105)
    Pour toutes ces raisons, je pense que la structure du marché, comme je l'ai dit précédemment, est une heuristique utile pour évaluer les fusions. C'est un bon outil pour évaluer les fusions. J'appuie ce que le bureau a toujours fait. Il a publié des lignes directrices qui s'appuient en partie sur les parts de marché, simplement pour donner au public une idée de l'approche probable qu'il appliquera à l'égard d'une fusion donnée. Toutefois, le fait d'inscrire les parts de marché dans la loi confère à ces dernières une sorte de signification juridique, voire une signification juridique essentielle — en tout cas, c'est ce que fait le projet de loi C‑352 — qui, à mon avis, n'a pas lieu d'être.
    Je conclurai mon intervention en évoquant deux éléments du projet de loi C‑352 qui ont déjà été adoptés et sur lesquels j'ai quelques réserves. Le premier consiste à qualifier les prix excessifs et injustes d'actes anticoncurrentiels. Cela me préoccupe. Tout d'abord, des prix élevés ne nuisent pas à la concurrence. Ils ne sont pas anticoncurrentiels en soi. Deuxièmement, il sera très difficile de savoir ce que signifie « excessif » et « injuste ».
    L'autre préoccupation que j'ai, c'est qu'en conséquence de notre jurisprudence, le dernier amendement statutaire visant à supprimer le test de concurrence pour conclure à un abus fasse en sorte qu'on interceptera peut-être un comportement qui est nuisible aux concurrents, mais bon pour la concurrence et pour les consommateurs. Je crains que ces changements ne fassent en sorte que l'abus devienne un peu trop facile à établir.
    Je vais m'arrêter là. Je vous remercie de votre attention.
(1110)
    Merci beaucoup.
    Au tour maintenant de la professeure Quaid.

[Français]

     Témoigner devant vous me fait toujours plaisir, surtout lorsqu'il est question du droit de la concurrence.
    Toutefois, je ne vous cacherai pas que j'ai été surprise d'apprendre que le Comité avait décidé d'étudier le projet de loi C‑352, déposé par M. Jagmeet Singh en septembre 2023, puisque la plupart des dispositions de ce projet de loi ont été intégrées, d'une manière ou d'une autre, aux projets de loi déposés par le gouvernement, soit le projet de loi C‑56 et le projet de loi C‑59.
    C'est pour cette raison, et pour mieux comprendre ses préoccupations, que j'ai écouté attentivement le témoignage fait par M. Singh devant ce comité, le 3 juin dernier. Il semble que trois aspects de la Loi sur la concurrence le préoccupent, puisqu'il fait trois propositions principales.
    D'abord, les articles 3 et 4 du projet de loi viendraient modifier la peine imposée à ceux qui sont condamnés en vertu de l'article 45 de la Loi. Ensuite, les articles 8 et 9, dont mon collègue le professeur Iacobucci vient de discuter amplement, au sujet des présomptions dites « structurelles » liées à une part de marché. Enfin, la troisième proposition, et la moins importante, est celle d'ajouter, au moyen des articles 7 et 10 du projet de loi, des dispositions aux articles 90.1 et 93 de la Loi qui reprennent le libellé de l'exception prévue dans les cas de gains en efficience pour qu'il se retrouve plutôt dans la disposition principale sur les facteurs à considérer dans l'évaluation des effets anticoncurrentiels.
    Dans cette allocution, je m'attarderai brièvement aux aspects positifs de ces modifications et je clorai avec deux remarques de nature générale sur le processus de réforme de la concurrence.

[Traduction]

    En ce qui concerne les articles 3 et 4, je dois avouer que je suis perplexe. En 2022, la Loi sur la concurrence a été modifiée afin de supprimer le plafond de 25 millions de dollars fixé pour les amendes en vertu de l'article 45. Cela a permis de rendre l'article 45 conforme à l'article 47, qui est la disposition relative au truquage d'offres. Cela garantit que les tribunaux disposent d'une flexibilité maximale pour fixer des amendes à des niveaux proportionnels à la gravité de l'infraction et au caractère répréhensible de la conduite.
     Je rappelle que M. Singh souhaite réimposer une limite supérieure aux amendes. L'ancien plafond de 25 millions de dollars serait rétabli, mais le paragraphe 45(2) proposé autoriserait une autre pénalité évolutive fondée sur le triple de la valeur de l'avantage tiré ou, si cela ne peut être calculé, jusqu'à 10 % du chiffre d'affaires annuel mondial pour l'individu concerné. L'objectif est de faire comprendre aux tribunaux qu'il est important d'imposer un montant d'amende suffisamment élevé pour avoir un impact sur le contrevenant.
    Bien que je comprenne les intentions de M. Singh, les modifications qu'il propose ne produiront pas le résultat qu'il recherche, et risquent même de s'avérer contre-productives. En réalité, la proposition de M. Singh est fondée sur une compréhension erronée de la détermination des sanctions pénales au Canada, en particulier de l'objectif des peines maximales et de la manière dont les amendes sont calculées dans les cas de crimes économiques impliquant des organisations commerciales. J'ai effectué de nombreuses recherches dans ce domaine et je suis donc prête à répondre à vos questions à ce sujet. Je vous invite à rejeter l'article 3.
    Quant à l'article 4, je n'y vois pas d'objection, mais je tiens à rappeler que la disposition de l'article 49 sur les institutions financières n'a jamais été appliquée. Je me demande d'ailleurs pourquoi on ne pourrait pas simplement prévoir une amende à la discrétion du tribunal, étant donné la taille des institutions financières, toutes proportions gardées, plutôt que d'imposer un montant maximum de 25 millions de dollars.
    En ce qui concerne les articles 7 et 10, je tiens à faire valoir plusieurs points principaux. Je suis d'accord avec le commissaire pour dire que la réactivation de l'ancienne formulation de la défense fondée sur les gains d'efficacité peut indirectement réintroduire dans la loi certaines des interprétations juridiques qui accompagnaient cette défense, comme l'insistance indue, à mon avis, sur la quantification, et une préférence judiciaire pour une norme de surplus total lors de l'évaluation du caractère pro-concurrentiel des gains d'efficacité. Néanmoins, je ne suis pas d'accord avec le commissaire pour affirmer que le fait de s'appuyer sur la clause omnibus inscrite au paragraphe 93(h), soit le meilleur moyen de garantir qu'à l'avenir, la manière dont nous évaluons les effets pro-concurrentiels et les fusions évolue d'une manière cohérente avec les attentes créées par l'abrogation de la défense fondée sur les gains d'efficience. Je pense qu'il s'agit là d'un exemple où les orientations en matière d'application seront fondamentales.
    En ce qui a trait aux articles 8 et 9, votre comité a le privilège d'entendre aujourd'hui l'avis de deux éminents économistes, le professeur Iacobucci et le professeur Ross. Ces deux experts sont mieux placés que moi pour expliquer les limites posées par l'utilisation des seules données sur les parts de marché comme indicateurs de l'emprise du marché. Je me contenterai d'abonder dans le même sens que mon collègue de l'Université de Montréal, M. Pierre Larouche, qui a comparu devant vous la semaine dernière. En gros, l'analyse des parts de marché n'est pas suffisante pour dresser un portrait complet de la situation, et les experts ont même tendance à surestimer ou sous-estimer l'emprise du marché. Le projet de loi C-59 se base par ailleurs sur certaines présomptions structurelles, et prend compte d'autres mesures que la seule analyse des parts de marché.
    Cela m'amène à mes deux derniers points principaux.
    D'abord, le débat sur les articles 8 et 9 souligne un problème plus profond, que le professeur Larouche a déjà évoqué. Je n'aurai pas le temps d'entrer dans les détails aujourd'hui, mais en ce qui concerne le débat sur les mesures à inclure dans le projet de loi, je pense qu'elles sont secondaires par rapport à d'autres enjeux majeurs. La manière dont le projet de loi est conçu pose un réel problème. Je dois avouer que je suis quelque peu déçue que ce processus de réforme n'ait pas donné l'occasion d'aborder certains principes généraux de base. Au lieu d'élaborer un projet de loi cohérent et rationnel, les législateurs ont tendance à se perdre dans une multitude de détails et de propositions qui partent dans tous les sens. Malheureusement, la cohérence et l'essentiel semblent avoir été escamotés.
    Mon dernier point principal, c'est que je garde espoir, bien que cela n'arrivera pas cette fois‑ci... Nous n'avons toujours pas répondu à une question pourtant fondamentale: comment faciliter et promouvoir la concurrence? Cette question n'a pas été suffisamment abordée, alors qu'elle nous permet de clarifier nos choix, nos priorités, et nos solutions potentielles. Les débats portant sur l'objet du projet de loi ont pris fin avec la consultation de Wetston. Le professeur Iacobucci a d'ailleurs écrit des articles intéressants à ce sujet. Il n'y a pas eu d'accord sur ce point, et je pense que c'est une occasion perdue.
    Je m'arrêterai là, et c'est avec plaisir que je répondrai à vos questions dans les deux langues officielles.
(1115)

[Français]

    Merci beaucoup.

[Traduction]

    Monsieur Ross, si vous êtes prêt à prendre la parole, vous disposez de cinq minutes. Vous pouvez y aller.
     Je tiens d'abord à remercier le Comité de m'avoir invité pour discuter d'un sujet qui me tient à cœur, à savoir la politique canadienne en matière de concurrence.
    Je suis économiste et professeur émérite à la Sauder School of Business. J'ai à la fois étudié, travaillé, enseigné et fait de la recherche dans le domaine des politiques de concurrence depuis une bonne quarantaine d'années. J'ai été pendant un an titulaire de la chaire T.D. MacDonald d’économie industrielle au Bureau de la concurrence, avec lequel je travaille de manière intermittente depuis lors.
     C'est une période très excitante pour participer à la politique canadienne en matière de concurrence. Je n'ai pas souvenir d'une période comparable, à l'exception peut-être du milieu des années 1980, lors de l'adoption de la Loi sur la concurrence. Nous étions prêts à envisager tant de changements différents. Il y a beaucoup d'éléments que j'apprécie dans ce qui s'est passé, et d'autres qui me font réfléchir et me posent problème.
    Dans cette présentation, je vais me concentrer sur quelques thèmes principaux. Je compte poursuivre dans la même veine que mes collègues, les professeurs Iacobucci et Quaid. À titre d'économiste, j'espère apporter un éclairage quelque peu différent aux enjeux qui nous occupent aujourd'hui.
    Je souhaite aborder deux domaines en particulier. Pour ce faire, je vais utiliser les mêmes termes que ceux employés par le professeur Iacobucci, car ces termes me paraissent tout à fait pertinents pour les enjeux dont nous sommes saisis. Je voudrais commencer par les présomptions structurelles des articles 8 et 9. Je compte également aborder le sujet sensible des fusions.
     J'aime l'idée de fournir aux parties qui fusionnent des orientations basées sur la structure du marché, mais comme le professeur Iacobucci, je pense qu'elles ont leur place dans des lignes directrices. Les inscrire dans la loi leur confère du poids et suggère une fausse précision qui, selon moi, pourrait s'avérer contre-productive. Cela risque de transformer, en cas de litige, un différend qui devrait porter sur les conséquences de la concurrence en un débat sur la définition même du marché.
     Les économistes se retirent même un peu de l'exercice de définition du marché parce qu'ils se rendent compte, pour les raisons invoquées par le professeur Iacobucci, qu'il est très désordonné et très imprécis, et nous ne pensons pas qu'il faille trop s'y fier. Si l'on veut mesurer les parts de marché ou la concentration, il faut commencer par bien définir le marché: quels sont les intrants? Quelles sont les limites? Comment mesurer les parts de marché? Le professeur Iacobucci a fait un excellent travail pour répondre à ces questions. Je souhaite d'ailleurs que des questions de ce type figurent parmi les lignes directrices.
    Je souhaite formuler deux recommandations à ce sujet. La première recommandation serait de les inclure dans les lignes directrices et non dans le projet de loi. Si elles figurent dans les lignes directrices, toutes les présomptions devraient, à mon avis, être réfutables. Le projet de loi C‑352, qui vise à supprimer la possibilité de réfutation pour les fusions supérieures à 60 %, est problématique à mon avis. Il y aura des fusions où l'on invoquera la part supérieure à 60 %, et le tribunal ne pourra même pas utiliser son pouvoir discrétionnaire, d'après ma lecture de cette clause.
     Il existe de nombreuses circonstances dans lesquelles une fusion à hauteur de 60 % pourrait être favorable à l'efficacité et profiter au consommateur. On peut penser à une situation dans laquelle une grande entreprise achète une petite entreprise qui était sur le point de fermer ses portes, une entreprise en faillite, ou à la fusion de deux entreprises dont les activités ne se chevauchent pas, comme dans l'exemple donné par le professeur Iacobucci. On ne s'attend pas à ce que cela ait un impact sur la concurrence. Si je comprends bien, cela pourrait même empêcher une grande entreprise de céder certains de ses actifs et de ses activités parce qu'il y aurait toujours un chevauchement de 60 %, même si elle réduit en fait sa taille. C'est sujet à interprétation, je suppose, mais pour ces raisons, je demeure particulièrement préoccupé par les présomptions structurelles que contient ce projet de loi.
    L'autre domaine que je voulais mentionner, et que la professeure Quaid a également souligné, est celui des gains d'efficacité en tant que facteur. Là encore, je me concentrerai principalement sur les fusions, bien que cette question soit également abordée dans le domaine de la collaboration entre concurrents.
    J'ai toujours été favorable à ce que les gains d'efficacité soient pris en compte dans l'examen des fusions. Je suis un peu déçu qu'elle ait été retirée, mais je reconnais les défis qu'elle a posés. Cependant, j'aimerais vraiment que les gains d'efficacité soient encore reconnus dans la loi. C'est pourquoi je suis ravi que le projet de loi C‑352 en fasse un facteur. Toutefois, je suis également d'accord avec la professeure Quaid, et avec le commissaire dans une certaine mesure, sur le fait que l'ancien libellé de l'article 93 contient des segments quelque peu problématiques, comme celui‑ci: « […] ces gains surpasseront et neutraliseront les effets de l’empêchement ou de la diminution de la concurrence […] ». Cela pourrait faire resurgir plusieurs problèmes liés aux anciens mécanismes de protection.
(1120)
     Je préfère que les gains d'efficacité soient reconnus d'une manière ou d'une autre. Je crains que s'ils ne sont pas mentionnés quelque part, les tribunaux pensent que le Parlement n'a pas pris en compte les gains d'efficacité. Les tribunaux pourraient se demander quel poids ils devraient accorder aux gains d'efficacité. Nous sommes conscients que les gains d'efficacité constituent l'une des principales motivations et l'un des principaux effets de nombreuses fusions. Lorsqu'ils se concrétisent, les gains d'efficacité améliorent à la fois la situation des consommateurs et de l'entreprise. J'applaudis le fait que le projet de loi C‑352 reconnaisse toujours les gains d'efficacité, mais nous souhaitons réfléchir à la manière dont ils le font.
     Je m'en tiendrai là pour mes remarques préliminaires, mais j'ai bien hâte de discuter d'autres éléments du projet de loi.
     Je vous remercie.
     Merci beaucoup pour votre présentation, monsieur Ross.
    Notre prochain intervenant est M. Bester, directeur exécutif du Projet canadien anti-monopole.
    Monsieur Bester, vous pouvez y aller, je vous prie.
    Je remercie le Comité de m'avoir invité à prendre la parole aujourd'hui.
     Je m'appelle Keldon Bester et je suis le directeur exécutif du Projet canadien anti-monopole, un groupe de réflexion qui se consacre à la question du pouvoir des monopoles et à la construction d'une économie plus démocratique au Canada.
     Nous apprécions l'occasion qui nous est donnée de nous présenter devant le Comité pour discuter des amendements à la Loi sur la concurrence contenus dans le projet de loi C‑352. Après quatre décennies de lois proconsolidation, le Canada s'apprête à renouveler de manière considérable sa politique de concurrence. Avec l'adoption du projet de loi C‑56 l'année dernière, du projet de loi C‑59 à l'étude au Sénat, ainsi que du projet de loi C‑352 étudié par le Comité, le gouvernement et, en fait, tous les partis ont apporté des améliorations indispensables à la législation canadienne en matière de concurrence.
    Le Canada est en passe d'adopter une position plus ferme à l'égard des prises de contrôle préjudiciables, des abus de pouvoir des entreprises et des pratiques visant à tromper les consommateurs. Comme l'a expliqué la professeure Quaid, ces changements doivent être considérés comme la première étape d'un rééquilibrage des relations entre les sociétés dominantes et les consommateurs, les travailleurs et les entrepreneurs canadiens. Le travail d'amélioration de la concurrence au Canada ne fait que commencer, et je souhaite profiter de l'occasion pour mettre l'accent sur certains mécanismes susceptibles de faciliter cette transition.
     S'il est important de mettre en place des lois solides, il est tout aussi essentiel de les appliquer avec efficacité au profit des clients et des consommateurs canadiens. Le Bureau de la concurrence se sert des pouvoirs que lui confère le projet de loi C‑56 pour enquêter sur l'utilisation des contrôles de propriété dans le secteur de l'alimentation. Tout comme l'étude de marché récemment lancée dans le secteur du transport aérien, qui résulte également du projet de loi C‑56, cette enquête est un premier signe que le Bureau de la concurrence comprend que ses efforts doivent être concentrés là où la concurrence est la plus importante pour les Canadiens. Ces efforts soulèvent un point important pour l'avenir de la législation canadienne en matière de concurrence: la nécessité d'une résolution rapide des problèmes de concurrence et d'une plus grande transparence dans le travail effectué par le Bureau de la concurrence.
    Nos lois, même renforcées, ne seront d'aucune utilité pour les consommateurs canadiens si elles ne s'attaquent pas rapidement aux types de pratiques qui nuisent à la concurrence. Aujourd'hui, les enquêtes en matière de droit de la concurrence s'étalent sur plusieurs années. Par exemple, l'enquête en cours sur les pratiques de Google sur le marché de la publicité numérique a été élargie après quatre ans, sans qu'aucun échéancier n'ait été fixé pour sa conclusion. Pour les organismes de presse qui dépendent d'un marché concurrentiel de la publicité numérique, un délai de quatre années supplémentaires risque de s'avérer trop long.
    Lorsque les enquêtes se transforment en litiges, la population canadienne peut s'attendre à attendre encore trois à sept ans pour que les pratiques susceptibles de nuire à la concurrence soient enfin résolues. Si les contrôles de propriété affaiblissent effectivement la concurrence dans le secteur de l'alimentation, les Canadiens ne devraient pas avoir à attendre jusqu'à 10 ans pour obtenir davantage de concurrence sur un marché aussi essentiel.
    Par conséquent, le Comité devrait examiner les moyens de réformer les processus d'enquête et de contentieux afin d'accélérer la résolution des affaires de concurrence. Une première étape consisterait à renforcer les pouvoirs de collecte d'informations du Bureau de la concurrence en lui conférant des pouvoirs plus proches de ceux du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada ou des commissions provinciales des valeurs mobilières. Si une enquête débouche sur un litige, il conviendrait de renforcer la capacité à empêcher les parties d'adopter un comportement potentiellement problématique pendant la durée du litige. Enfin, pour une résolution rapide des cas litigieux, la procédure de litige devrait être rationalisée et le rôle futur du Tribunal de la concurrence devrait faire l'objet d'une étude.
     En plus d'une résolution plus rapide des problèmes de concurrence, la population canadienne mérite également une plus grande transparence des activités d'un Bureau de la concurrence renforcé. En équilibrant les besoins de confidentialité et de responsabilité, les Canadiens ne devraient pas être laissés dans l'ignorance des enquêtes actuellement menées par le Bureau de la concurrence. Un pas positif dans cette direction serait l'abrogation de la formulation. En effet, le Bureau de la concurrence est tenu de mener ses enquêtes en privé, ce qui introduit une ambiguïté par rapport aux exigences de confidentialité de la Loi sur la concurrence. Bien que la transparence demeure entre les mains du Bureau de la concurrence, il s'agirait d'un signal important envoyé aux Canadiens pour leur indiquer qu'une plus grande transparence est souhaitée et d'un premier pas vers un Bureau de la concurrence plus ouvert à l'égard de la population canadienne.
    Les travaux menés par le Comité ont abouti à un droit sur la concurrence mieux outillé pour promouvoir la concurrence et protéger la population canadienne. La prochaine étape nécessaire est de réfléchir à l'amélioration des systèmes responsables de l'application de cette loi.
    Je vous remercie de votre temps, et je serai heureux de répondre à vos questions.
(1125)
    Merci beaucoup, monsieur Bester. Vous avez même pris un peu moins de temps que prévu.
     Je vais maintenant céder la parole à notre dernier intervenant, M. Hatfield, directeur exécutif d'OpenMedia.
    Bonjour. Je m'appelle Matt Hatfield, et je suis le directeur exécutif d'Open Media, un groupe communautaire non partisan canadien, composé de près de 270 000 personnes qui œuvrent en faveur d'un service Internet ouvert, abordable et exempt de surveillance. Je me joins à vous depuis le territoire non cédé des nations Sto:lo, Tsleil-Waututh, Squamish et Musqueam.
    J'avoue que je suis désavantagé sur le plan de l'analyse textuelle par rapport aux autres membres de mon groupe de témoins que nous venons d'entendre. Je ne suis ni économiste ni avocat. Considérez-moi comme un représentant des Canadiens ordinaires dans la salle, qui vous rappelle pourquoi tout cela est important. Dans cette optique, je suis très heureux de constater que votre comité poursuit son travail de renforcement de nos lois sur la concurrence en étudiant le projet de loi C‑352. Les projets de loi C‑56 et C‑59 ont donné un bon coup d'envoi pour rétablir la concurrence dans notre pays, mais à eux seuls, ils ne suffisent pas à rééquilibrer nos lois pour qu'elles servent vraiment les Canadiens en premier lieu.
    Les Canadiens ne croient pas que nos lois sur la concurrence les servent. L'année dernière, nous avons commandé un sondage de Mainstreet Research qui a révélé que près de 70 % des Canadiens croient que nos lois sur la concurrence sont conçues pour servir les intérêts des oligopoles plutôt que ceux des Canadiens ordinaires. Cette conclusion n'était pas partisane. Des majorités de Canadiens qui votent pour chaque parti estiment que nos lois servent les intérêts des grandes entreprises avant les leurs. Pas moins de 92 % des Canadiens estiment que la très forte concentration du marché canadien dans de nombreux secteurs est l'un des principaux moteurs de nos prix à la consommation très élevés. Là encore, la différence entre les partisans des divers partis était très faible.
    Dans le domaine des télécommunications, qui est la spécialité d'OpenMedia, nous disposons de dizaines d'années de données probantes recueillies dans l'ensemble du pays qui démontrent que les prix suivent le nombre de concurrents qui existent dans un marché. Les prix baissent lorsqu'il y a un troisième ou un quatrième fournisseur, et ils montent en flèche lorsqu'une entreprise quitte le marché. En bref, quels que soient les gens que vous représentez au sein de votre comité, les électeurs de vos circonscriptions attendent de vous que vous réformiez en profondeur les règles du jeu au Canada afin d'accroître la concurrence entre les entreprises et de traiter les consommateurs canadiens avec plus d'équité.
    En appuyant le projet de loi C‑352, vous démontrerez votre engagement en faveur d'une meilleure concurrence sur le marché. Le fait d'imposer aux grandes entreprises la responsabilité de démontrer que leur fusion n'est pas susceptible de nuire à la concurrence, d'accorder au Bureau de la concurrence des pouvoirs accrus pour lui permettre d'étudier ce qui ne va pas dans un secteur et de recommander des moyens de l'améliorer, et de prévoir des sanctions plus importantes en cas de violation de la Loi sur la concurrence et des périodes plus longues pour annuler les fusions préjudiciables sont autant de propositions intelligentes et proportionnelles qui, selon nous, amélioreront sensiblement la concurrence au Canada d'une manière que les Canadiens ordinaires ressentiront dans leur vie de tous les jours.
    Le renforcement des présomptions contre les fusions dans les secteurs déjà trop concentrés, en particulier, sera un outil très puissant contre des transactions telles que le rachat de Shaw par Rogers, que votre comité a condamné et qui a été rapidement suivi par des hausses de prix pour de nombreux consommateurs de téléphonie mobile de Rogers. Grâce à l'adoption du projet de loi C‑352, la Loi sur la concurrence continuera d'offrir aux grandes entreprises de nombreuses possibilités de défendre et de mener à bien des fusions et des rachats qui sont dans l'intérêt du public.
    Lorsque j'ai rédigé ma déclaration préliminaire, je m'attendais à ce que certains témoins vous disent que cette série d'amendements mettrait certaines des plus grandes entreprises du Canada sur la défensive lorsqu'elles envisagent de fusionner, car elles seraient incertaines de la réussite d'une stratégie de fusion et d'acquisition, et je sais que certains l'ont fait. C'est une bonne chose. Elles devraient être sur la défensive pour une fois. Il est beaucoup plus sain pour notre économie et pour les consommateurs canadiens que des entreprises se surpassent en se livrant à une concurrence vigoureuse sur le marché, plutôt que de résoudre leurs problèmes de concurrence en finançant des rachats et des fusions et en en tirant des bénéfices monopolistiques. OpenMedia estime qu'il serait bon que le Bureau de la concurrence et le Tribunal de la concurrence bénéficient d'une certaine marge de manœuvre pour examiner différents modèles de définition des marchés, par exemple, afin de faire mieux respecter la Loi sur la concurrence.
    Pendant des décennies, nous nous en sommes tenus à une vision très étroite de la manière de définir les marchés et de repérer les problèmes de concurrence. Cela nous a très mal servis. De nombreuses démocraties se sont trompées sur la concurrence au cours des quarante dernières années, en supposant que la concurrence se maintenait essentiellement d'elle-même et que les perturbations émaneraient toujours des chefs de file du marché. Toutefois, cela ne s'est pas produit. La concurrence est très puissante, mais elle a besoin qu'un organisme de réglementation intervienne activement pour l'aider à se maintenir, en particulier dans les secteurs où les coûts d'investissement sont naturellement élevés, comme les secteurs des télécommunications et de la haute technologie. Depuis de nombreuses décennies, le Canada possède les lois sur la concurrence les plus faibles de l'OCDE, et les Canadiens en paient le prix proportionnellement. Des télécommunications à l'alimentation en passant par le logement, le Canada est un chef de file mondial en matière de coûts des produits de consommation, mais il est loin de l'être en ce qui concerne la qualité des produits et services ce que nous recevons ou les revenus que nous devons débourser pour les obtenir.
    Nous estimons que les amendements du projet de loi C‑352 qui n'ont pas encore été adoptés sont modestes et proportionnels aux problèmes de concurrence qu'affronte le Canada. Si les amendements qui restent vous semblent audacieux, je vous encourage à faire preuve d'audace. L'ampleur des problèmes rencontrés au Canada n'appelle pas de petites réformes marginales. Près de 24 000 Canadiens ont approuvé la charte anti-monopole d'OpenMedia, qui demande à notre gouvernement de bloquer de façon permanente la formation de grands oligopoles au Canada. La forte présomption contre les fusions prévue par le projet de loi C‑352 serait un outil puissant pour atteindre cet objectif. Au nom de notre communauté, je vous demande d'appuyer le projet de loi et de l'adopter.
    Je répondrai volontiers à vos questions.
(1130)
    Je remercie M. Hatfield et tous les autres témoins.
    Nous allons maintenant amorcer la première série de questions, et nous allons commencer par donner la parole au député Williams pendant six minutes.
    Merci, monsieur le président. Vous faites un excellent travail jusqu'à maintenant.
    Je remercie également les membres de notre groupe exceptionnel de spécialistes de la concurrence. C'est un plaisir d'accueillir tout le monde à notre séance du Comité.
    Madame Quaid, vous avez demandé pourquoi nous faisons cela. C'est une très bonne question. Je crois qu'à l'heure actuelle, les Canadiens comprennent qu'il y a peu de concurrence au Canada. Nous avons passé les dernières réunions à parler précisément de ce que les Canadiens observent à la suite des fusions qui ont été approuvées. Ce gouvernement a approuvé le fusionnement de HSBC et RBC, de WestJet et Sunwing, et de Rogers et Shaw. Ces fusions n'avaient pas grand-chose à voir avec la loi.
    Bien entendu, la fusion de Rogers et Shaw a été soumise au tribunal. Notre groupe a déclaré qu'il ne voulait pas que cette fusion ait lieu, car nous estimions qu'elle nuirait à la concurrence. Le tribunal a quand même approuvé la fusion, mais le gouvernement aurait pu la rejeter. De même, le NPD aurait pu s'opposer au gouvernement — avec qui il a conclu un accord d'approvisionnement — en la rejetant, mais cela ne s'est pas produit.
     Monsieur Hatfield, cela fait maintenant plus d'un an que cette fusion a eu lieu, et le gouvernement prétend que les prix ont chuté. Selon le point de vue d'OpenMedia, les prix et les factures que les Canadiens paient ont-ils baissé?
    Globalement, non. Ce à quoi le gouvernement fait allusion lorsqu'il parle de cela, c'est au fait que les plafonds de données de nombreux Canadiens ont augmenté. Cependant, si vous passez de 10 à 20 gigaoctets et que le gouvernement considère que les prix que vous payez ont été réduits de moitié, ce n'est pas une façon équitable d'examiner votre facture. La plupart des factures ont très peu baissé, voire pas du tout.
    Le fait que les forfaits Internet par câble utilisés par de nombreuses personnes aient baissé de quelques dollars au cours des deux ou trois dernières années est un argument clé, mais dans de nombreux pays similaires, comme le Royaume‑Uni et les États‑Unis, ils ont baissé de moitié environ. Même si une très légère réduction des tarifs a été enregistrée au Canada, nous sommes de plus en plus à la traîne par rapport à nos concurrents internationaux.
(1135)
    Si nous examinons les chiffres, nous constatons que le revenu moyen par utilisateur, ou RMPU, de Rogers a augmenté au fil des ans. Cela montre que l'entreprise gagne beaucoup plus d'argent qu'auparavant et que la concurrence est importante.
    Madame Quaid, vous avez tout à fait raison. Vous avez réfléchi à des modifications possibles, et je vais vous permettre de nous en dire davantage à propos de certains amendements que vous apporteriez au projet de loi en ce qui concerne l'article 3 et d'autres dispositions. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet, s'il vous plaît?
    J'essaierai de le faire aussi efficacement que possible, et je vous remercie de votre question.
    J'aimerais vraiment que l'article 3 reste conforme à ce qui a été fait dans le projet de loi C‑19. Je prépare en ce moment un mémoire un peu plus détaillé à ce sujet, et je suis désolée qu'il ne soit pas prêt pour l'instant. S'il y a lieu, d'autres directives pourraient être données par d'autres moyens, mais je suis très réticente à l'idée de revenir à une limite pour les amendes, car malheureusement, les sanctions maximales ne déterminent pas les sanctions minimales.
    La semaine dernière, au cours de nombreuses discussions, les intervenants ont semblé traiter cette sanction maximale comme une sorte de sanction minimale, ce qui n'est pas le cas. Croyez-moi, vous ne voulez pas qu'une sanction minimale obligatoire soit imposée parce que cette disposition s'applique aux personnes physiques et morales, et vous déclencherez immédiatement une contestation fondée sur la Charte, même si la réussite de cette contestation est une tout autre question. Je crois qu'il est préférable d'accorder aux tribunaux une marge de manœuvre maximale. S'il existe des méthodes préférées de calcul des amendes ou de dimensionnement de ce qui constituerait une punition appropriée, ces éléments peuvent être réunis et abordés dans le cadre d'un cours de formation des juges.
    Le bureau pourrait même développer davantage ses programmes d'immunité et de clémence. L'affaire Canada Bread a suscité de nombreuses discussions à cet égard. Je n'ai pas le temps d'aborder les détails de cette affaire en ce moment, mais ce qu'il faut savoir au sujet des sanctions imposées aux entreprises, c'est qu'il s'agit de règlements négociés dans le cadre du Programme d'immunité et du Programme de clémence. Le premier arrivé bénéficie de l'immunité et les suivants de la clémence. Même s'il y avait une amende maximale et que vous commenciez par imposer l'amende maximale, ce qui s'est passé dans le cas de Canada Bread, une réduction de 30 % serait toujours accordée parce que cela fait partie du Programme de clémence.
    Les gens parlent de 10 % des recettes, mais c'est la sanction maximale et les tribunaux n'imposent jamais la sanction maximale, en particulier lorsqu'il s'agit d'une première infraction, ce qui est le cas des entreprises la plupart du temps, et surtout lorsque d'autres facteurs entrent en ligne de compte, comme la coopération. Nous avons besoin de la coopération des participants à un cartel pour faire avancer ces enquêtes. Il est illusoire d'imaginer que ces sanctions maximales seront imposées. Nous devons dimensionner nos attentes différemment. Et cela ne veut pas dire que les tribunaux ne bénéficieraient pas d'une aide pour trouver la bonne façon de calculer le bon type d'amende.
    Je vais laisser les présomptions structurelles aux économistes. Je serais plutôt d'accord pour dire qu'il est utile de fournir des directives sur les seuils, mais que ces seuils ne devraient pas figurer dans la loi. C'est là mon point de vue à cet égard. Cela fait partie de la question plus large de la pertinence d'énoncer des principes dans la loi et de décrire les aspects opérationnels dans des lignes directrices.
     L'autre aspect concerne la défense des gains d'efficacité, mais je ne veux pas vraiment en parler de cette manière. Il s'agit de la reconnaissance des avantages de la concurrence. On a tort de penser que les avantages de la concurrence ne devraient pas être explicitement reconnus dans la loi. J'estime simplement qu'il n'est pas souhaitable de reprendre l'ancienne formulation.
    Je vais revenir à ma question principale, à savoir que nous n'avons pas réfléchi à ce que nous faisons. Pour donner un contexte à la manière dont vous allez évaluer les avantages de la concurrence, je précise que vous devez vous demander à quoi vous comparerez les avantages de la concurrence. Dans le passé, l'interprétation de la défense des gains d'efficacité s'appuyait sur un modèle fondé sur le surplus total, selon lequel la seule chose qui nous intéresse est de savoir si le gâteau est plus gros; nous ne nous soucions pas de savoir qui obtient quelle part du gâteau. Si vous souhaitez ajouter à cela une préoccupation à l'égard des consommateurs — comme un modèle fondé sur un genre de surplus du consommateur —, il faudra peut-être être plus explicite à ce sujet dans les lignes directrices. Toutefois, je ne mentionnerais pas cette préoccupation dans la loi.
    Les tribunaux étoffent les idées de ce genre lorsqu'ils interprètent le libellé de la loi. Nous pouvons anticiper cela en réfléchissant aux aspects des effets proconcurrentiels que nous voulons voir reconnus et au moment où ils sont importants. Je crois également que les gains d'efficacité et les autres effets sont plus complexes que la simple...
    J'ai une brève question à vous poser.
    Vous avez mentionné par le passé que le gouvernement actuel avait promis de remanier complètement la loi. Je crois que vous avez déclaré qu'il était censé s'agir de la version 2.0 de la loi en entier.
    Quand cela a-t-il été promis? Quand vous a-t-on dit que ce remaniement aurait lieu, et dans quelle mesure ce remaniement a-t-il été retardé?
    Personne ne m'a fait de promesses particulières. Je suis une universitaire.
    Lors de la première annonce, j'avais espéré qu'il y aurait une phase 1 et une phase 2. La phase 1 consistait à mettre en oeuvre le projet de loi C-19. Nous nous attendions tous à ce qu'il s'agisse surtout de légères modifications. Avant que les détails ne soient annoncés, j'espérais que, grâce aux consultations annoncées, nous allions prendre du recul et nous interroger sur ce que nous faisions. Sommes-nous en train de moderniser la loi? Dès que j'ai vu le document de consultation, j'ai réalisé que nous ne modifiions ni la structure de base de la loi ni les objectifs de la concurrence, ce qui importe encore plus.
    À mon avis, l'optimisme était plus grand, après la consultation de M. Wetston, qui était beaucoup plus officieuse et qui comptait beaucoup moins de participants. C'était comme si tout était possible. Tout le monde s'est dit: « Voyons ce que nous voulons pour le XXIe siècle ». Au moment de la consultation, l'examen de la disposition d'objet et de la structure de base de la loi avait déjà été retiré de la liste des sujets de discussion. Personnellement, j'ai trouvé cela dommage.
(1140)
    Je vous remercie de votre réponse.
    Je vous remercie, député Williams.
     Le député Turnbull procédera à la prochaine intervention.
    Vous disposez de six minutes, monsieur.
    Madame Quaid, je vais commencer par vous interroger. Je vous suis reconnaissant de votre déclaration préliminaire et surtout du fait que vous avez souligné les éléments du projet de loi C-352 qui se chevauchent et qui restent des questions que nous pouvons examiner. Je commence cette conversation en mentionnant que, grâce aux projets de loi C-56, C-59 et C-19, nous avons, dans une certaine mesure, procédé à des cycles de réforme de la Loi sur la concurrence. Nous avons eu de nombreux débats à ce sujet. Je crois que d'excellentes avancées ont été réalisées à cet égard.
    Tous les membres du groupe d'experts d'aujourd'hui ont peut-être des opinions différentes à propos de différents aspects de la question, et je comprends que la communauté juridique ne soit pas toujours d'accord. Les hommes politiques ne le sont pas non plus. Je pense qu'il est important de débattre de la question.
    Je voudrais m'attarder sur vos observations, car j'ai trouvé qu'elles présentaient une structure utile. Vous avez examiné les articles 3 et 4 comme un tout, bien qu'ils soient différents. Je pense que vous avez indiqué que vous n'étiez pas sûre qu'ils allaient nous permettre d'obtenir le résultat escompté.
    Pourriez-vous expliquer quel était, à votre avis, le résultat escompté selon les paroles que M. Singh a prononcées au cours de sa comparution? Ensuite, pourriez-vous expliquer précisément pourquoi les deux modifications que l'on propose d'apporter à ces articles ne nous permettraient pas d'obtenir le résultat escompté?
    Je vais commencer par dire que je ne peux pas me mettre dans la tête de M. Singh. J'ai écouté ce qu'il a dit, et c'est mon interprétation de ses propos. Corrigez-moi si je les ai mal interprétés.
    J'ai compris que ce qu'il aimerait, c'est une plus grande responsabilisation sous la forme d'amendes plus élevées, qui seraient plus étroitement liées à la capacité de payer, essentiellement. Pour une entreprise multimilliardaire, une amende de 25 millions de dollars n'aura pas une incidence financière suffisante. Je comprends ce que cela signifie. M. Singh était très préoccupé par la sanction imposée dans le règlement négocié par Canada Bread. Je pourrais l'utiliser comme exemple.
    Un élément auquel nous devons faire très attention, c'est que les changements apportés au droit criminel qui le rendent plus sévère ou qui en modifient la substance ne sont que prospectifs. Le changement prévu dans le projet de loi C‑19 pour que les amendes soient imposées à la discrétion du tribunal s'applique aux cartels ou aux complots créés après le 23 juin 2023. La plupart des cartels ne sont pas découverts sur‑le‑champ. Le cartel du pain — c'est une leçon sur le délai qu'il faut pour que les dispositions entrent en vigueur — impliquait des chefs d'accusation en 2007 et en 2010. Les amendes applicables étaient celles imposées en 2007, qui s'élevaient à 10 millions de dollars. En 2010, les nouvelles dispositions ont été intégrées; les amendes se sont donc élevées à 25 millions de dollars.
    Le tribunal a opté pour le montant maximal, et c'était très surprenant. Il a appliqué le maximum dans ces cas, et je pense qu'il voulait indiquer qu'il était prêt à imposer les montants les plus élevés. Cependant, normalement, les tribunaux ne prennent pas les peines maximales comme point de départ. Ce n'est pas ainsi qu'on détermine une peine. La détermination de la peine part du principe que la peine doit être proportionnelle à la gravité et à la culpabilité.
    Nous pouvons convenir que le complot, à l'article 45, vise une conduite moralement répréhensible. L'un des rôles des sanctions — et à ce sujet, je suis d'accord avec M. Singh, mais je ne pense pas que le pouvoir discrétionnaire du tribunal posait problème; je pense que c'est un meilleur signal — est de refléter la gravité. Ce n'est pas une mesure exacte, mais une infraction passible d'une peine maximale d'emprisonnement de 14 ans laisse suggérer une grande gravité. Il n'y a pas beaucoup d'autres dispositions du Code criminel qui sont de nature économique et qui prévoient ce genre de peine; il s'agit donc d'une peine très sévère.
    Il est irréaliste de s'attendre à ce que l'application des principes de détermination de la peine aboutisse à des sanctions se rapprochant de 10 % des recettes annuelles. Ce n'est pas ainsi que cela fonctionne. Mes recherches montrent que, lorsque les tribunaux appliquent les facteurs de détermination de la peine adaptés aux organisations commerciales à l'article 718.21, les résultats sont extrêmement disparates. Ils ne les appliquent pas de façon uniforme comme circonstances aggravantes ou atténuantes. En fin de compte, on n'obtient pas nécessairement les résultats souhaités.
    Voici la solution. Si on veut vraiment que les tribunaux soient plus rigoureux, qu'ils appliquent des sanctions adaptées à la réalité, il faut donner plus de contenu que ce qu'on peut donner dans une loi. La loi sera trop simple, et elle ne donnera pas assez de détails. Dans ce contexte, vous n'obtiendrez pas les résultats que vous souhaitez. Il faudra de la formation judiciaire et beaucoup plus de structure.
    Le dernier élément que je dirai, c'est que le Canada n'emploie pas de lignes directrices pour la détermination des peines. Je ne pense pas qu'une modification à la Loi sur la concurrence va changer la politique de détermination de la peine au Canada. Si on veut changer le droit criminel, il faut commencer par le Code criminel. Je sais qu'il est question de la Loi sur la concurrence, mais lorsqu'on a recours au droit pénal pour une infraction extrêmement grave, on ne peut pas s'éloigner de la structure du droit pénal.
    Je suis désolée de cette longue réponse.
(1145)
    Je vous remercie de cette réponse très détaillée.
    Je vais passer aux présomptions structurelles et poser une question à ce sujet à MM. Iacobucci et Ross. Je trouve qu'ils ont formulé de très bons commentaires.
    Je sais que le projet de loi C‑56 a abrogé les exceptions relatives aux gains en efficience. Cependant, le tribunal peut toujours tenir compte de tous les facteurs qu'il juge pertinents pendant les examens des fusions. Essentiellement, il peut encore tenir compte des gains en efficience. Je pense que vous avez dit tous les deux qu'il serait problématique de réintroduire dans la loi des éléments liés à l'efficience.
    Ai‑je mal compris, monsieur Iacobucci?
    Je n'avais pas l'intention de parler du traitement des gains en efficience dans le projet de loi C‑352. Je pense que c'est M. Ross qui en a parlé. Cependant, je pourrais peut-être commencer par ce commentaire, rapidement. Je partage les préoccupations au sujet du libellé concernant le facteur des gains en efficience qui reproduit la défense axée sur les gains en efficience. Cela pourrait entraîner des problèmes, surtout compte tenu de l'affaire Tervita, que vous connaissez tous. Je souscris à cette idée.
    Je suis moins préoccupé — et c'est peut-être là où vous voulez en venir — par la question de savoir si l'efficience est explicitement mentionnée comme facteur à l'article 93, en partie parce qu'il s'agit d'une considération tout à fait différente. Toutes les autres considérations prévues à l'article 93 concernent le type de conditions concurrentielles sur le marché. Vous pourriez avoir, comme le suggère l'ancienne défense fondée sur les gains en efficience, une fusion qui est à la fois efficiente — elle produit des gains en efficience — et très anticoncurrentielle. Ces facteurs vont dans des directions différentes. C'est différent du nombre de concurrents: plus il y en a, plus on a tendance à penser qu'il y a de la concurrence, toutes choses étant égales par ailleurs. L'introduction de l'efficience comme facteur, c'est un peu comme mettre un poisson hors de l'eau ou le fait de faire passer un chameau par le trou d'une aiguille — choisissez la métaphore tordue de votre choix. Cela ne concorde pas vraiment dans le contexte.
    Pour revenir à votre question, monsieur Turnbull, les gains en efficience seront mentionnés, en ce sens que les parties qui fusionnent ont besoin d'une théorie pour justifier leur fusion sur le plan stratégique, sur le plan tactique. Elles diront qu'elles veulent fusionner, non pas pour des raisons de concurrence, mais pour réaliser des gains en efficience. Je ne suis pas certain que le Tribunal doit prendre ce facteur en considération. Il incombe au Bureau de démontrer que c'est anticoncurrentiel.
    Je m'en tiendrai à ce commentaire. Je pense que les gains en efficience pourraient créer de la confusion. C'est l'impression que j'ai.
    Je vous aurais ensuite donné la parole, monsieur Ross, mais mon temps est écoulé.
    Vous pourrez peut-être l'écouter au prochain tour.

[Français]

     Merci.
    Monsieur Garon, vous avez la parole pour six minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Permettez-moi de prendre quelques secondes pour saluer et remercier l'ensemble des témoins d'être ici aujourd'hui pour participer à cette analyse fort intéressante.
    Je vais commencer par vous, monsieur Ross. J'aimerais parler du seuil de 60 % lié à la part de marché combinée. Il m'apparaît qu'en forçant les autorités de la concurrence à empêcher une fusion ou une acquisition dont il résulterait une part de marché combinée de 60 % ou plus, en réalité, on retirerait des outils au Bureau de la concurrence pour faire une vraie évaluation des effets économiques d'une fusion ou d'une acquisition, par exemple.
    La semaine dernière, j'ai demandé à M. Singh s'il avait des exemples de fusions ou d'acquisitions qui avaient mené à une part de marché combinée de plus de 60 % et qui avaient été préjudiciables aux consommateurs. De toute évidence, M. Singh avait mal travaillé son projet de loi, puisqu'il n'avait aucun exemple à me fournir.
    Pour ma part, je me pose des questions, notamment au sujet des biens inemployés. Il existe des actifs pour lesquels on peut permettre des fusions et des acquisitions pour qu'il y ait finalement un seul acteur dans un marché, sans quoi il n'y en aurait probablement aucun, parce qu'on a besoin d'atteindre une économie d'échelle. Je sais que c'est déjà arrivé dans le cas des cinémas, par exemple.
    Par ailleurs, j'ai soulevé la question des quasi-monopoles régionaux. On peut penser aux épiceries ou aux quincailleries dans les régions éloignées, qui ne peuvent survivre que si elles n'ont aucun concurrent. C'est ce qu'on appelle un monopole naturel.
    D'autre part, je me demande comment on définit les parts de marché. Le Canada est un pays qui va d'un océan à l'autre et à l'autre. Certaines compagnies sont régionales, tandis que d'autres sont pancanadiennes.
    Je me demande donc si, et je vous pose la question, ultimement, en empêchant des fusions et des acquisitions dont il résulterait une part de marché combinée de 60 % ou plus, ne pourrait-on pas causer des effets préjudiciables aux consommateurs et, particulièrement, à ceux des communautés éloignées?
(1150)

[Traduction]

    Je souscris à tout ce que vous avez dit.
    Pour des raisons que M. Iacobucci a exposées dans sa déclaration préliminaire, il est très compliqué de définir un marché. Des gens raisonnables peuvent ne pas s'entendre sur la façon de définir un marché, et une fois qu'on a une définition, on obtient des réponses différentes au sujet des parts de marché et de la concentration.
    Si une fusion a lieu, ce qui devrait vous préoccuper, comme vous l'avez laissé entendre, ce sont les répercussions de cette fusion. Comment se portera le marché après la fusion par rapport à ce qu'il aurait été sans la fusion? On obtient ces renseignements seulement en étudiant la fusion et son incidence sur la concurrence. Une règle stricte selon laquelle on ne peut pas fusionner à partir d'une certaine taille et d'une certaine part de marché risque de bloquer des fusions qui pourraient être très efficientes.
    Vous avez parlé de petits marchés géographiques. C'est une préoccupation. Parfois, lorsqu'on utilise l'expression « monopole naturel, » on a tendance à penser aux grandes entreprises qui dominent leurs industries. Autrefois, on pensait aux entreprises d'électricité et à la seule entreprise de télécommunications qu'on avait. On les considérait comme des monopoles naturels. Cependant, dans les faits, il y a beaucoup de monopoles naturels dans les petits marchés. Ces marchés ne sont tout simplement pas assez grands pour soutenir plus de joueurs. Vous pourriez commencer par des parts de marché très importantes. Vous devriez donc permettre au Bureau et au Tribunal d'utiliser leur pouvoir discrétionnaire et vous devriez donner au Tribunal le pouvoir de prendre des décisions à ce sujet plutôt que de l'obliger à émettre une ordonnance...

[Français]

    Permettez-moi une question complémentaire à ce sujet. En fait, je vais poser ma question à Mme Quaid.
    Il me semble qu'ailleurs dans le monde, on a tendance à établir un cadre dans lequel les autorités de la concurrence peuvent travailler, en déterminant leurs propres outils pour éviter des conséquences inattendues de critères très rigides, comme on a tendance à le faire dans le cadre canadien. C'est un a priori ou une impression que j'ai, mais il me semble que, dans le cadre canadien, on a tendance à toujours ajouter des critères très rigides, ce qui fait que, finalement, le Bureau de la concurrence est moins efficace dans ses analyses. Il peut se munir de moins de nouveaux outils qui apparaissent dans la littérature scientifique, ce qui ouvre la porte à de nombreux et très longs litiges dans lesquels, en vertu de cette multitude de critères, les entreprises ont finalement toujours une cause devant le tribunal. Les autorités de la concurrence finissent toujours par gagner au détriment du consommateur, après de très longs délais.
    Ai-je raison de dire qu'on va constamment dans la mauvaise direction, en utilisant une approche selon laquelle le Parlement sait tout et que les autorités de la concurrence doivent s'y conformer?
    Je vais essayer de répondre brièvement à cette question, parce que je sais que vous n'avez pas beaucoup de temps.
    A priori, il y a aussi une approche établissant un lien entre le cadre législatif et le cadre d'application de la loi. J'ai assurément une vision qui est inspirée de ma formation en tant que civiliste. Nous commençons par mettre en œuvre des principes cohérents. Par la suite, il peut y avoir des règles plus détaillées, mais il y a, en quelque sorte, une organisation structurelle des règles.
    Je pense qu'au départ, quand on a créé la loi, en 1986, on avait une idée en tête et un fil conducteur. On peut être d'accord ou en désaccord, mais je pense qu'au fil des années, on a simplement ajouté des choses, surtout des détails. Ce style de rédaction est assez typique des pays de common law. Au lieu d'énoncer le principe général, on a peur, alors on fait des listes.
    Le problème est que, par la suite, les listes influencent la façon dont on interprète la disposition générale.
(1155)
    J'ajouterai que les listes vieillissent mal.
     C'est exact.
    Je veux ajouter un commentaire sur un sujet qui suscite ma déception, et je sais que je vais taper sur ce clou plusieurs fois. Je dirais, a fortiori, que ma déception vient du fait qu'on n'a pas commencé par se demander de quoi on avait besoin pour favoriser une économie compétitive à la lumière des réalités du XXIe siècle. Il aurait fallu tenir cette discussion.
    Il y a une foule de petites références aux travailleurs et au travail, par exemple, mais on ne s'est pas demandé si cela devrait faire partie des objectifs de la loi. Peut-être que ce n'est pas le cas, mais on ne s'est pas posé la question. On ajoute de petites choses ici et là, et, à mon avis, cela rend plus difficile une interprétation cohérente de la loi.
    J'ai tendance à croire qu'on aurait un meilleur arrimage entre les principes et l'opérationnalisation, si on pouvait séparer ces deux éléments, mais c'est un rêve de professeur. Je sais que cela ne se produira pas.
    Merci, monsieur Garon.

[Traduction]

    Le prochain député à poser des questions est M. Masse, qui dispose de six minutes.
    Merci, monsieur le président. Je suis heureux de vous voir.
    Je pense qu'il y a un malentendu ou un manque de compréhension quant à la procédure entourant un projet de loi d'initiative parlementaire et à la portée qu'il peut avoir. C'est ainsi que nous en sommes arrivés là. Essentiellement, les projets de loi C‑19, C‑56 et C‑59 étaient des mesures législatives du gouvernement qui comportaient divers changements. L'ironie est que certains des changements que nous avons essayé d'apporter dans la première série de projets de loi sont finalement inclus dans le projet de loi C‑59 — 15 ans plus tard. Cependant, de nombreux témoins de diverses organisations ont comparu ici et se sont prononcés contre ces changements, bien franchement. Si vous consultez le hansard et les bleus, vous constaterez qu'il y a un tollé public constant en faveur de l'amélioration des lois sur la concurrence, mais le milieu universitaire et le secteur privé ne s'entendent pas sur la façon de procéder. Voilà le défi.
    Ce projet de loi fait partie de ce qu'un député peut accomplir après avoir été sélectionné par un système de loterie, mais les questions législatives sont circonscrites. Un tel projet de loi ne peut entraîner un financement ou des impôts accrus, ou toutes sortes d'autres conséquences. De plus, nous nous retrouvons avec un projet de loi qui, plus tard, a été éclipsé par un autre texte de loi, qui reprend certaines des idées de ce projet de loi. Nous voilà ici aujourd'hui en train d'essayer de déterminer si nous voulons continuer à renforcer les lois sur la concurrence pour les Canadiens. C'est l'occasion pour nous d'amender certaines parties du projet de loi afin d'apporter des améliorations que le Bureau de la concurrence, le commissaire et bien d'autres continuent de préconiser.
    Ma première question, monsieur Hatfield, porte sur ce que vous entendez de la part du public. Si nous ne profitons pas de l'occasion pour au moins apporter certaines améliorations à la Loi sur la concurrence, pensez-vous que les Canadiens seront déçus? Bien que certains aient dit que nous avons besoin d'un processus plus exhaustif — même le commissaire du Bureau de la concurrence l'a mentionné —, nous avons encore des outils à notre disposition en ce moment. La session parlementaire tire à sa fin, et le fait d'avoir choisi un projet de loi assez haut dans le Feuilleton pour essayer de le faire adopter en cinq ans, si nous tenons aussi longtemps... J'aimerais savoir ce que vos discussions avec la population peuvent nous apprendre sur la confiance du public à l'égard d'organisations comme le Bureau de la concurrence.
    Je pense que beaucoup de citoyens ne connaissent pas le Bureau de la concurrence, car il a eu très peu d'occasions de remporter des victoires qui lui ont attiré l'attention du public. Beaucoup de gens savent qu'il s'est opposé à la fusion entre Roger et Shaw, en vain.
    Les lois sur la concurrence ont grandement entravé la capacité du Bureau de fonctionner. À la fin du processus pour le projet de loi C‑59, mais aussi avec certaines des idées du projet de loi C‑352, il serait sain de voir une certaine souplesse d'interprétation et une certaine marge de manœuvre pour que le Bureau puisse prendre des mesures, comme l'évaluation des définitions des marchés d'une façon qui, selon lui, est la plus valable pour les consommateurs canadiens.
    Pour ce qui est de la question du seuil dont nous venons de discuter, elle pourrait figurer dans le texte de loi ou nous pourrions l'amender pour établir un principe qui encadrerait les lignes directrices sur ce seuil. Cependant, je pense qu'il y a un effet signataire selon lequel il vaut mieux avoir des arguments très solides si on pense réaliser une fusion au‑dessus d'un seuil de 60 %, ce qu'un examen par les pairs peut accomplir. Je crains moins que les petites entreprises et les petites villes soient touchées par ces situations, parce que le Bureau pourrait simplement examiner le marché de différentes façons pour s'assurer qu'il ne nuit pas aux consommateurs dans ces circonstances très particulières.
(1200)
    Monsieur Bester, pouvez-vous nous parler du seuil bien délimité de 60 % pour les fusions et de l'enjeu entourant les présomptions structurelles? Superior Propane en est un exemple, mais il y en a d'autres, surtout dans l'industrie des télécommunications, comme nous l'avons vu. Vous pourriez peut-être nous éclairer sur la nécessité, à tout le moins, d'aller dans une direction moins défensive. Dans l'affaire Rogers-Shaw, le Tribunal de la concurrence a demandé au commissaire de la concurrence de verser des dommages-intérêts à Rogers, ce qui a coûté des millions de dollars aux Canadiens, après que la compagnie s'est battue pour obtenir la fusion, à laquelle beaucoup d'entre nous s'opposaient. C'était plutôt une prise de contrôle, en fait. Vous pourriez peut-être nous éclairer à ce sujet.
    Vous soulevez un bon point. Les présomptions structurelles sont une réponse au parti pris contre les interventions et contre le blocage des fusions par le Bureau, qui persistent depuis 40 ans, depuis l'arrivée de la Loi sur la concurrence. Pour faire une analyse, sur les huit fusions contestées par le Bureau, sept se sont traduites par des parts de marché supérieures à 60 % et quatre d'entre elles par des quasi-monopoles ou de réels monopoles. Seulement deux d'entre elles prévoyaient un quelconque recours, et aucune d'entre elles n'a été bloquée. Nous pensons que la présomption structurelle renforce la position du Bureau lorsqu'il décide de contester une fusion, et qu'elle ne lui impose pas de contrainte.
    Il est important de noter que le Bureau n'approuve pas les fusions; il prend la décision de contester ou non une fusion. Les présomptions structurelles — les 30 %, qui vont jusqu'à 60 % dans les cas extrêmes — sont une façon de rééquilibrer l'emprise du Bureau lorsqu'il cherche à contester une fusion. Encore une fois, c'est en réponse aux quatre décennies de parti pris en faveur de la consolidation. C'est particulièrement évident dans la défense fondée sur les gains en efficience, qui a été supprimée dans le projet de loi C‑56.
    C'est un peu un changement de philosophie, je suppose, en ce sens qu'on délaisse le mode réactionnaire pour faire passer l'intérêt public en premier. Vous pouvez me dire si c'est une analyse erronée, mais c'est la direction que j'entrevois. Le Bureau de la concurrence semble toujours être en mode réactionnaire, plutôt que d'établir un précédent pour les attentes que nous devrions avoir sur le marché canadien pour protéger les consommateurs.
    Je vois cela comme un recul par rapport à la croyance voulant qu'une plus grande consolidation soit la voie à suivre pour progresser sur le plan économique et procurer des avantages aux Canadiens. Nous menons cette expérience depuis maintenant 40 ans, et je pense que dans un certain nombre de marchés, nous ne sommes pas satisfaits des résultats. S'il y a un changement de philosophie, je pense qu'il faut changer de cap.
    Merci.
    Monsieur le président, me reste‑t‑il du temps? Je peux attendre mon prochain tour.
    Vous avez un peu dépassé votre temps, mais ce n'est pas grave.
    Cela met fin à la première série de questions.
    Nous allons commencer le deuxième tour avec M. Généreux.

[Français]

     Monsieur Généreux, vous avez la parole pour cinq minutes.
    J'aimerais aussi remercier tous les témoins.
    Je vais rendre à César ce qui appartient à César. Ce matin, j'ai décidé de demander une chose à mon adjointe, Mme Aya El Farouk. D'ailleurs, elle est ici, juste derrière moi. Elle est une nouvelle Canadienne et a étudié à l'Université d'Ottawa. Hier, elle a reçu son diplôme de maîtrise en criminologie. Je préviens chacun d'entre vous: ne venez pas me la prendre.
    J'en profite pour la remercier de son travail, et je remercie aussi tous les adjoints, tous partis confondus. Nous ne soulignons jamais, ou à peu près jamais, l'effort et le travail qu'ils font pour nous aider à nous préparer en vue de nos réunions, entre autres.
    J'ai demandé à mon adjointe de préparer les questions qui suivent.
    Madame Quaid, vous avez exprimé votre déception au sujet des lois sur la concurrence et des manquements du gouvernement quant à leur modernisation. Des changements législatifs qui semblent toujours insuffisants peuvent-ils régler les problèmes de concurrence auxquels sont confrontés les Canadiens?
    Voici des questions qui s'adressent à l'ensemble des témoins. L'encadrement législatif, à lui seul, suffit-il à ce sujet? Le gouvernement peut-il faire autre chose afin de créer et de promouvoir la concurrence au Canada?
    Madame Quaid, ces questions s'adressent à vous, mais j'invite l'ensemble des témoins à y répondre également, s'ils le désirent.
     Je vous remercie de votre question. Elle touche au cœur du problème et, par ailleurs, elle est très bien formulée. J'en félicite Mme El Farouk.
    Dans mes autres domaines d'expertise, j'ai déjà écrit que, justement, le fait de croire qu'une réforme législative se termine par l'adoption d'une loi, c'est voir cela à l'envers. En fait, une réforme commence par l'adoption d'une loi, mais elle doit être accompagnée des appuis nécessaires pour s'assurer que son opérationnalisation, son interprétation et son application seront respectueuses de ce qui a motivé la réforme.
    Je pense qu'ici, nous sommes en présence d'une grande volonté d'entreprendre une réforme de la Loi sur la concurrence. Cependant, je m'interroge sur les moyens qu'on a pris. Je vais dire ceci pour la dernière fois: à mon avis, on aurait dû commencer par se demander ce que nous voulons accomplir. Avons-nous vraiment une loi assez souple et conçue pour s'adapter aux besoins de l'avenir dans un monde qui change rapidement? L'économie et la nature de la société humaine changent à un rythme beaucoup plus important qu'avant. C'est ma perception.
    D'autre part, et c'est plus pragmatique, il faut s'assurer que les autorités sont investies du pouvoir d'appliquer la Loi, ce qui inclut, bien sûr, le Bureau de la concurrence, mais également le Service des poursuites pénales du Canada, qui assure l'application des dispositions pénales. Ce n'est pas le Bureau de la concurrence qui applique ces dispositions. Il faut s'assurer qu'on a les ressources sur le plan institutionnel pour les prises de décisions. Bien sûr, c'est une question qui relève du Tribunal de la concurrence. Sauf le respect que j'ai pour les membres qui siègent à ce tribunal, je déclare que ce n'est pas un tribunal fonctionnel, et j'aimerais voir quelque chose de différent, à savoir un tribunal qui a plus d'expertise et qui est plus rapide.
    Toutefois, cela ne signifie pas seulement qu'on va exiger d'être plus rapide. Il faut aussi avoir des dispositions qui allègent la tâche, notamment lorsqu'il s'agit du renversement du fardeau de la preuve. Même si je ne suis pas d'accord pour qu'on ne se fie qu'aux parts de marché, je trouve que cela représente une avancée quand on dit à la partie qui détient les informations de fournir la preuve. Je pense qu'à ce chapitre, ce sont de bonnes réflexions.
    Enfin, il ne faut pas oublier le fait qu'un changement de culture est aussi nécessaire. Le commissaire de la concurrence parle beaucoup de la nécessité d'avoir une mentalité de concurrence au sein du gouvernement. Je dirais qu'au-delà de cela, il faut veiller à la concurrence, car cela fait partie de la politique économique du pays. Il faut donc avoir une approche transversale. On a créé récemment le Forum canadien des organismes de réglementation numérique, qui réunit le Bureau de la concurrence, le Commissariat à la protection de la vie privée et le Conseil de radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, ou CRTC. Cela va toucher les données et l'intelligence artificielle, et d'autres questions, si vous arrivez à compléter votre étude. On ne peut pas s'arrêter là. Je pense qu'il faut être attentif à ce qui viendra par la suite. La Loi, c'est un début. Je m'arrêterai ici.
(1205)
     J'invite d'autres témoins à prendre la parole, s'ils le veulent.
     Monsieur Iacobucci, vouliez-vous ajouter des commentaires?
    Merci.

[Traduction]

    Je serais heureux d'ajouter quelques mots à ce sujet. Je suis d’accord avec Mme Quaid. Je veux aussi revenir sur ce que le commissaire vous a dit.
    Même si ce processus de réforme est ambitieux en raison du nombre de changements qui sont proposés — dont bon nombre sont positifs —, il se peut que nous rations une occasion. Comme l'a dit Mme Quaid, nous n'avons pas vraiment revu les objectifs que nous essayons d'atteindre avec ce projet de loi, ce qui pourrait donner l'impression que nos efforts sont un peu embrouillés et déconnectés les uns des autres. Nous n'avons pas non plus beaucoup pensé aux organisations. Je pense que Mme Quaid y a fait allusion. Avons-nous le bon système, ou devrions-nous passer — comme d'autres administrations l'ont fait — à une structure administrative qui ressemble davantage à une commission, où les décisions peuvent être rendues plus rapidement?
    Comme le commissaire l'a dit lui-même, si nous voulons vraiment favoriser la concurrence au Canada, nous avons besoin d'une « approche pangouvernementale. » Je sais que le commissaire l'a dit au Comité. Il faut que tous les ordres de gouvernement mettent la main à la pâte pour changer la façon dont nous réglementons, contrôlons et protégeons certaines industries et certains secteurs.
    Il a mentionné l'Australian Productivity Commission. Une entité de ce genre pourrait être très positive. L'idée a déjà été proposée pour le Canada, mais n'a jamais été concrétisée. L'enjeu va au‑delà de la politique sur la concurrence. La Loi sur la concurrence, le Bureau de la concurrence et le Tribunal ne s'occupent que d'une grande partie de la concurrence au Canada, et non de la totalité. Je suis donc d'accord avec le commissaire pour dire que nous avons besoin d'une approche pangouvernementale.
     C'est ce que j'allais dire, mais M. Ross l'a mieux exprimé.
    Je pense au rôle des restrictions relatives à la propriété, des obstacles réglementaires à l'entrée et au commerce intérieur. Le libre-échange a été ce qu'il y avait de mieux pour la concurrence au Canada, mais nous ne l'avons pas à l'échelle nationale. Il y a la gestion de l'offre. Beaucoup de choses minent la concurrence dans ce pays.
    Je dirai ceci. Ce qui a été audacieux et cohérent dans l'approche du gouvernement pour réformer la loi a été de rendre son application plus stricte. Un certain nombre de choses sont allées dans le même sens. D'autres éléments auraient pu rendre la réforme encore plus cohérente, soit, mais ce serait une erreur que de sous-estimer les changements dans la manière dont les choses vont être appliquées. Je crois que ces changements ont été cohérents et positifs.
    L'ensemble du gouvernement est la voie à suivre.
(1210)
    Je vous remercie.
     Monsieur Gaheer, vous disposez de cinq minutes.
    Je vous remercie, monsieur le président et je remercie tous les témoins de comparaître devant le Comité.
     Monsieur Iacobucci, mes questions s'adressent à vous.
     Dans vos notes d'allocution, vous avez mentionné que les cartels de fixation des prix sont difficiles à repérer. Je crois que c'est M. Hatfield qui parlait du Canadien moyen, soit un Canadien qui n'est peut-être ni un économiste ni un avocat spécialisé dans le droit de la concurrence. Dans son esprit, si quelques entreprises offrent des produits à un prix très semblable et augmentent leurs produits à peu près au même rythme, cela suffit pour lui faire pressentir qu'une fixation des prix est peut-être en cours. Pourquoi n'est-ce pas si simple?
    Ce n'est pas si simple.
     On peut le pressentir, mais dans des marchés où la concurrence est vive, on s'attend à ce que les prix évoluent parallèlement les uns par rapport aux autres. Si je baisse mon prix et que je veux augmenter ma part de marché, les autres joueurs vont réagir. Les concurrents réagiront à cette baisse de prix en l'imitant afin de ne pas perdre de parts de marché.
     La concurrence a pour effet de rapprocher les prix des coûts. Il peut arriver que les coûts changent tous en même temps et, s'ils changent tous de la même manière, les mouvements de prix sur les marchés concurrentiels seront semblables. L'observation de comportements parallèles ne suffit pas pour conclure qu'il y a fixation des prix.
    L'autre élément qui complexifie les choses, c'est que les gens d'affaires peuvent comprendre que la concurrence peut être imparfaite. Ils peuvent se dire qu'ils ne veulent pas aller trop loin en qui concerne les prix. Ils pourraient se permettre d'être un peu plus audacieux à cet égard, mais ils craignent qu'une autre entreprise sur le marché réagisse et s'ajuste en fonction de la baisse de prix. Alors, aucune des deux entreprises ne sera en avance sur l'autre. On parle parfois de « parallélisme conscient ». Il ne s'agit pas de collusion, ni de fixation des prix, ni d'entente. Ils agissent tous dans leur propre intérêt économique, mais on ne parle pas de concurrence parfaite.
     Il y a différentes possibilités qui font qu'il est difficile de déduire, lorsqu'on observe un comportement parallèle, qu'il y a accord de fixation des prix.
     Nous savons que selon le projet de loi C‑352, le Tribunal de la concurrence devra rendre une ordonnance pour dissoudre un fusionnement ou interdire sa réalisation s'il conclut que la part de marché combinée atteindrait de 30 à 60 %, ou renverser le fardeau de sorte que les parties concernées devront prouver que le fusionnement n'aura pas pour effet d'empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence.
     Dans votre déclaration préliminaire, vous avez longuement expliqué que les parts de marché ou la concentration du marché ne posent pas nécessairement de problèmes de concurrence. Voulez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?
    Je pense qu'il y a une contradiction. Il existe ce que l'on appelle le modèle structure-comportement-rendement. Un certain type de structure mènera à un certain type de comportement concurrentiel, qui conduira à de mauvais résultats. Si le marché est concentré, il y a moins de concurrence et les résultats sont mauvais.
     Je pense qu'au fil des ans, les économistes se sont rendu compte que, parfois, une forte concurrence entraîne une plus grande concentration de la structure du marché. Si la concurrence est vraiment forte, les entreprises les moins performantes disparaissent. On peut alors se dire que le marché est concentré, qu'il ne peut pas être aussi concurrentiel, alors qu'en fait, c'est la concurrence qui a mené à la concentration du marché.
     La direction n'est pas toujours la même. Un marché concentré constitue une raison d'examiner de plus près une fusion, c'est certain. Cependant, il ne faut pas penser simplement que tout va dans le même sens.
    Si le projet de loi est principalement axé sur les parts de marché, considérez-vous que c'est une erreur fondamentale?
     Je pense que le fait d'inclure les parts de marché dans la loi est une erreur. Si le bureau, les organismes chargés de l'application de la loi et le tribunal considèrent sérieusement les parts de marché comme un indicateur possible de problèmes, ou même un indicateur révélateur de problèmes, dans le cadre de l'examen de fusions, ce n'est pas un problème, mais je ne voudrais pas que cela figure dans la loi.
(1215)
    J'aimerais demander aux autres témoins s'ils pensent que l'ajout de parts de marché dans le projet de loi est une erreur.
    Je vais intervenir rapidement pour dire que j'en ai parlé. Pour les mêmes raisons que M. Iacobucci, je pense que les parts de marché sont des indicateurs très faibles du pouvoir de marché. Elles sont utiles. Elles ont leur place dans des lignes directrices, mais pas dans la loi. Je vais en rester là.
     Je suis d'accord avec mes collègues du domaine de l'économie sur ce point. Je pense que nous devons être prudents. Ce n'est pas que les parts de marché ne constituent pas des renseignements utiles. Quant à tout ce qu'a dit M. Ross, c'est‑à‑dire qu'il est difficile de déterminer à quel terrain de jeu on a affaire, qui y est malmené et où se situe le problème, il s'agit d'une question importante. Je ne sous-estime pas cet aspect. Cependant, je pense que si l'on tente d'inscrire ces règles fixes dans la loi, il est plus difficile pour le tribunal d'effectuer une analyse nuancée et élaborée. On est tenté de croire que le renversement du fardeau de la preuve sera pratique, mais nous devons être très prudents avant d'inscrire ces éléments dans la loi, étant donné qu'elle n'a pas été souvent modifiée dans le passé. Ce serait vraiment dangereux.
    Il y a d'autres éléments dans la loi où la somme, par exemple, est déterminée par des règlements. C'est le seuil pour le préavis de fusionnement. Je ne sais pas si c'est nécessairement la bonne approche parce que je ne pense pas que la part de marché soit le bon indicateur, mais de cette façon, on pourrait couper la poire en deux.
    Une expression bien française.
    Je peux peut-être apporter un élément divergent. Les mesures de la part de marché et de la concentration du marché sont imparfaites, mais lorsqu'il est question de la tâche complexe d'appliquer la Loi sur la concurrence, nous devons trouver un équilibre entre les données dont nous disposons et l'analyse que nous pouvons faire rapidement et les réalités du marché. C'est le cas même avec la loi actuelle. Même si ce sont des indicateurs imparfaits, les parts de marché et la concentration du marché nous disent souvent où nous devrions concentrer nos ressources en matière d'application de la loi.
    Par ailleurs, les lignes directrices ne jouent pas le même rôle au Canada que dans d'autres pays. Notre loi a un caractère beaucoup plus directif. Je pense qu'inclure des statistiques sur les parts de marché dans les lignes directrices serait très peu efficace.
     Monsieur Hatfield, voulez-vous ajouter quelque chose?
    Oui.
    Allez‑y, monsieur Hatfield. C'est vous qui aurez le dernier mot à ce sujet.
    Il est extrêmement utile de renverser le fardeau de la preuve dans ce genre de situation. Nous sommes dans une situation où, d'une certaine manière, les règles sont écrites de telle sorte que la banque perd toujours, la banque étant dans ce cas le Bureau de la concurrence. Dans de nombreux cas, il a été si facile pour les entreprises de répondre aux arguments du Bureau. Nous devons les obliger à démontrer que ce qu'elles proposent ne nuira pas aux consommateurs canadiens, faute de quoi ces transactions leur causeront bien d'autres préjudices à l'avenir.
     Merci beaucoup.
    Monsieur Garon, vous disposez de deux minutes et demie.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Je vais prendre une seconde pour dire à la professeure Quaid que de penser en français, c'est fantastique. Il faut continuer à le faire, surtout à Ottawa.
    Je m'adresse maintenant à M. Iacobucci.
    Nous avons parlé du concept de présomption structurelle. D'après ce que j'en comprends, certaines autorités de la concurrence peuvent avoir une présomption défavorable aux fusions et aux acquisitions. Ainsi, dans leur esprit, les compagnies qui veulent se fusionner peuvent avoir tort par défaut.
    Ce concept serait opérationnalisé de façon différente dans plusieurs endroits. Par exemple, aux États‑Unis, on considère souvent que les autorités de la concurrence ont une présomption favorable aux consommateurs, mais on n'impose pas de critère quantifié, quantifiable et très rigide pour l'opérationnaliser. Par conséquent, le commissaire, ou l'équivalent du commissaire, a plus de latitude, les autorités ont moins à se justifier et leurs décisions sont moins susceptibles d'être contestées en cours et rejetées.
    Au Canada, y a-t-il moyen de faire en sorte que la présomption structurelle soit défavorable aux fusions et aux acquisitions afin qu'il soit plus facile de protéger le consommateur, tout en n'imposant pas un critère de 65, 60, 58 ou 57 %, ce qui est trop rigide pour le commissaire?

[Traduction]

    Je vais répondre à votre question.
    C'est une question importante. Tout d'abord, on nous dit que parfois, comme l'a mentionné M. Bester, pour certaines des fusions contestées, les choses ne se sont pas passées comme le souhaitait le commissaire. C'est vrai, et je pense qu'il y a des décisions que je désapprouve, mais il est important de comprendre que le Bureau a beaucoup de pouvoir informel lorsqu'il s'agit de fusions, parce que le nombre d'entreprises qui sont prêtes à recourir à la justice pour résoudre un différend est relativement faible. Les fusions doivent souvent être réalisées rapidement, ce qui donne beaucoup de poids au Bureau, et de nombreux cas de fusions ont été réglés de manière informelle au fil des ans. Beaucoup plus de cas sont réglés de manière informelle que de manière formelle. Si l'on pense que nous avons besoin de la présomption structurelle pour donner plus de poids au Bureau, on risque de passer à côté d'un aspect important de la question, à savoir que le Bureau a assez de poids pour pouvoir dire « attendez, nous pouvons porter l'affaire devant le tribunal et négocier une entente ». Je pense qu'il s'agit là d'un premier élément important.
    Quant à l'autre point que vous soulevez, qui est un bon point, il est arrivé — et je pense, par exemple, à l'affaire Tervita — que les tribunaux n'aient pas suffisamment tenu compte de l'importance de la concurrence. Mme Quaid a parlé de la formation des juges. Il s'agit peut-être de quelque chose comme cela. M. Bester et Mme Quaid ont parlé d'une possible réforme institutionnelle pour faire en sorte que les juges comprennent bien l'importance de la concurrence.
    Ce ne sont là que deux des autres façons dont nous pourrions réfléchir à l'importance de la concurrence sans adopter des déclencheurs numériques.
(1220)
    Merci, monsieur Garon.
    Nous passons maintenant au député Masse, qui dispose de deux minutes et demie.
    Je pense que M. Hatfield veut intervenir, alors je vais commencer par vous, monsieur Hatfield, si vous voulez répondre.
     Je voulais seulement ajouter qu'OpenMedia ne pense pas que l'établissement de conditions fonctionne bien. Dans le cas de l'entente entre Rogers et Shaw, de nombreuses conditions ont été imposées par le gouvernement et il n'y avait pas de condition particulière pour l'augmentation des prix. Rogers a commencé à augmenter ses prix presque immédiatement.
    On pourrait dire qu'il faut augmenter le nombre de conditions. Il y aurait moyen de régler le problème, mais il s'avère facile pour les entreprises de trouver une solution de rechange aux conditions que le Bureau ou le gouvernement leur a imposées. Il n'y a pas de meilleur moyen de prévenir les effets néfastes sur la concurrence que d'empêcher une fusion.
    Monsieur Hatfield, je ne connais pas d'organisations qui suivent les fusions 5 à 10 ans plus tard. Même lorsque des conditions sont imposées, je ne sais pas si des recherches sur la consommation ou d'autres types d'études permettent de faire une analyse à plus long terme de l'élimination de la concurrence et de ses effets. Nous le voyons tout de suite dans le cas de Shaw et Rogers, mais peut-être pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet. Y a‑t‑il quelque chose qui nous échappe dans le cadre d'un suivi ultérieur à long terme?
    Presque personne, y compris le Bureau, n'a les ressources qu'il faut pour faire ce genre de suivi et c'est un énorme problème. Cinq ans, c'est assez long pour des conditions; bien souvent, c'est plus court. Dans de nombreux cas, les entreprises se disent que les cinq années sont le prix à payer pour conclure une entente, mais qu'après cela, elles feront ce qu'elles voudront.
    Il ne me reste qu'une minute.
    Rapidement, monsieur Ross, aussi imparfait que soit ce processus, c'est ce dont nous sommes saisis. Il s'agit d'un projet de loi d'initiative parlementaire. Nous pouvons prétendre tout ce que nous voulons. Nous voulions que le gouvernement fasse quelque chose de différent en adoptant une approche plus globale, mais nous n'avons que deux réunions de comité et des amendements seront proposés. Se plaindre de notre démocratie n'aide pas vraiment les consommateurs, car aussi défaillant que soit le système, il est préférable à l'autre option, à mon avis.
    Concernant ce que vous avez dit à propos des lignes directrices, dans le peu de temps dont je dispose, pourriez-vous expliquer à nouveau pourquoi, à votre avis, des lignes directrices seraient une meilleure option? Il s'agit au moins d'une proposition quant à ce que nous pouvons contrôler. Je ne peux pas contrôler les autres choses, mais je peux contrôler ce qui se trouve devant moi.
    Je vous remercie.
    C'est toute une industrie aujourd'hui quand on pense aux organismes de la concurrence dans le monde. Après l'entrée en vigueur d'une loi, ils doivent présenter une série de lignes directrices pour expliquer aux entreprises comment l'autorité prévoit mettre la loi en œuvre jusqu'à ce que les tribunaux lui disent de faire quelque chose de différent. Les lignes directrices peuvent être extrêmement utiles pour — les avocats dans le groupe devraient peut-être en parler — les clients qui se demandent si leur comportement est approprié et si une fusion est acceptable. Les lignes directrices présentent un avantage. On peut constamment les mettre à jour avec de nouveaux éléments d'information et de nouvelles techniques pour, par exemple, évaluer les effets des fusions au fur et à mesure. Il est possible de les intégrer dans de nouvelles lignes directrices. Si nous introduisons dans la loi quelque chose d'aussi confus qu'une définition de marché et les parts de marché associées à la concentration, étant donné que nous savons à quel point c'est confus, je préférerais les intégrer dans des lignes directrices où elles n'ont pas tout à fait le même poids.
     Dans une affaire, on ne gagnera ou ne perdra pas en fonction de ce que les parts de marché sont ou de ce qu'elles devraient être selon une ligne directrice. Toutefois, les lignes directrices éclairent beaucoup les entreprises qui s'adressent au Bureau pour savoir si une situation particulière va l'inquiéter, ce qui peut mener à des discussions. Ensuite, en cas de litige, l'accent peut être mis sur les effets attendus de la transaction.
    J'espère que cela vous est utile.
(1225)
    Merci beaucoup, monsieur Masse.
    Nous passons au député Vis, qui dispose de cinq minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie nos excellents témoins.
     J'aimerais réitérer les commentaires du député Généreux au sujet du personnel. L'année a été très longue au comité de l'industrie, mais nous avons accompli beaucoup de travail pour les Canadiens. Je tiens à remercier tous les membres du personnel pour les efforts soutenus qu'ils ont déployés, particulièrement dans le cadre de l'étude sur le projet de loi C‑27.
    Je vais poser une question ouverte aux témoins aujourd'hui.
    Les projets de loi C‑56, C‑352 et C‑59 ont fait l'objet d'excellentes discussions, mais lorsque nous présentons ces mesures au sein de nos collectivités et de nos circonscriptions, la principale question que l'on me pose — et que l'on pose, j'en suis sûr, à presque tous les politiciens au Canada — est de savoir à quel moment les prix des produits d'épicerie baisseront.
    Avec les projets de loi C‑56, C‑352 et C‑59, en avons-nous fait assez pour que les prix baissent et que les Canadiens vivent mieux de leur salaire chaque mois?
    Je vais intervenir rapidement.
    Les projets de loi C‑59, C‑56, C‑352 et C‑19 sont tous des investissements très judicieux pour l'avenir du droit de la concurrence au Canada. Ils ne constituent pas une solution miracle. Nous n'allons pas, soudainement, voir la concurrence augmenter demain. Cependant, dans le secteur de l'épicerie et dans d'autres types de marchés — et je mentionnerai encore une fois l'enquête du Bureau de la concurrence sur les contrôles de propriété dans le secteur de l'épicerie et l'étude de marché sur les compagnies aériennes —, il s'agit d'améliorations fondamentales qui porteront leurs fruits pour les générations à venir.
    Monsieur Ross, vous aviez levé la main.
    Oui, merci.
    J'appuie les dernières observations. Je pense que nous avons pris de très bonnes mesures. Il est difficile de savoir ce qui est à l'origine de la hausse des prix à l'épicerie. Vous avez entendu toutes les histoires à propos des perturbations de la chaîne d'approvisionnement. Vous savez aussi que des gens soulignent le fait que les prix ont augmenté partout dans le monde. On ne sait pas vraiment ce qui a causé la hausse des prix au Canada. Cependant, l'une des grandes contributions — une chose que j'aime au sujet du projet de loi C‑352, en fait — concerne le pouvoir accru en matière d'études de marché, une chose que bon nombre d'entre nous réclament depuis un certain temps, je crois. Cela nous permettra de mieux comprendre certaines industries et certaines pratiques qui pourraient être contre-productives.
     Par ailleurs, je mentionnerai un point qui a été soulevé précédemment. Ces types d'études peuvent également être rétrospectives en ce sens qu'elles peuvent servir à examiner des décisions antérieures relatives aux fusions qui ont eu lieu et les effets des fusions qui ont été autorisées soit par le Bureau, soit par le tribunal s'il y a eu contestation. On peut utiliser le pouvoir élargi concernant les études de marché pour présenter un grand nombre de nouveaux renseignements quant à la question de savoir quels marchés sont concurrentiels au Canada et lesquels ne le sont pas et, dans ces derniers cas, quelles sont les entraves.
    J'aimerais poursuivre là‑dessus. En octobre, le Bureau de la concurrence a publié un rapport sur l'état général de la concurrence au Canada et il a conclu que l'intensité concurrentielle avait diminué considérablement de 2000 à 2020.
    À votre avis, compte tenu de votre expertise — pour que mes électeurs le sachent —, dans quels secteurs de l'économie canadienne la réduction de l'intensité concurrentielle a‑t‑elle été la plus importante au cours de cette période?
     C'est une question difficile. Vous avez remarqué que même le Bureau, dans son rapport, n'a pas vraiment segmenté les industries.
(1230)
    Exactement.
    C'était une décision délibérée de sa part. Je n'ai aucune information privilégiée à ce sujet. Je n'en ai pas vraiment fait l'étude.
    Nous sommes nombreux à essayer de digérer le contenu du rapport. Il s'agit d'un document très instructif et utile, mais on n'en est qu'au début d'une discussion sur la concentration et le rendement du marché au Canada. On y a montré certains effets qu'a une augmentation de la concentration, et peut-être une augmentation des marges. Or, selon d'autres études qui ont été menées ailleurs dans le monde, lorsque les marges augmentent, c'est souvent parce que les coûts ont baissé, et non parce que les prix ont augmenté.
     Nous avons encore beaucoup de travail à faire au Canada pour savoir où se situent les vrais problèmes. Ceux qui nous sautent toujours aux yeux sont ceux des industries réglementées et protégées.
    J'ai une autre question très rapide.
    Juste un instant, monsieur Vis. Je vois que M. Hatfield a levé la main, et j'aimerais lui donner la parole.
    Combien de temps me reste‑t‑il, monsieur le président?
    Vous aurez le temps de poser une dernière question.
    D'accord.
    Monsieur Hatfield, allez‑y, je vous prie.
    Je tiens à appuyer le commentaire de M. Ross selon lequel les pouvoirs du Bureau en matière d'études de marché sont très importants. Je ne vois pas très bien jusqu'où il pourra aller avec ce qu'il a aujourd'hui. Il passe d'un organisme qui a parfois empêché une certaine diminution de la concurrence à un organisme qui s'appuie davantage sur son mandat de promotion et d'intensification de la concurrence.
    La capacité de réaliser une étude de marché, puis de recommander des changements et d'interdire certaines pratiques anticoncurrentielles et nuisibles aux consommateurs est très importante. La commission devrait réexaminer la question dans quelques années pour évaluer la situation et déterminer si d'autres changements sont nécessaires. Le Canada n'est pas en mesure de modifier la taille des entreprises internationales de technologie. Nous avons besoin d'une étude et d'une réponse beaucoup plus rapides au sujet de leurs activités, car ce processus prend actuellement cinq ou sept ans, ce qui est trop long.
    Je vous remercie.
    Je pense que j'ai terminé, monsieur le président. Je vous remercie.
    Je vous remercie.
    Monsieur Van Bynen, vous avez cinq minutes.
    Je vous remercie, monsieur le président.
    Je suis certainement reconnaissant aux témoins d'aujourd'hui de l'étendue et de la richesse de leurs connaissances. Je trouve les notions présentées très intéressantes.
    Ma première question s'adresse à M. Iacobucci.
    Je crois que vous avez défini la question de la part de marché de telle sorte qu'il ne s'agit pas tant de la définir que de parler de pouvoir de marché. Quels sont les défis à relever pour tenter d'établir qu'il est préférable de définir le pouvoir de marché plutôt que la part de marché?
    Il pourrait y avoir différentes façons de répondre à cette question en fonction d'un point soulevé par Mme Quaid, à savoir ce qui nous préoccupe dans le cadre de la Loi sur la concurrence. C'est une préoccupation que j'ai également soulevée. Ce n'est pas tout à fait clair. Permettez-moi donc de commencer par ce point.
    Le pouvoir de marché, tel que le conçoivent la plupart des économistes, est la capacité d'agir indépendamment des concurrents dans une large mesure. C'est la possibilité d'augmenter ses prix au‑dessus du coût marginal d'une manière préjudiciable aux consommateurs, car les consommateurs qui seraient prêts à acheter un produit à un prix concurrentiel sont exclus du marché et ils subissent donc une perte. À mon avis, du moins si l'on y réfléchit d'un point de vue économique, c'est la préoccupation qui se trouve au cœur de la Loi sur la concurrence. Nous craignons que les gens ne puissent pas participer aux marchés parce que certaines entreprises exercent un contrôle et peuvent agir indépendamment de leurs concurrents. Les concurrents ne font pas baisser les prix d'une manière qui discipline ces entreprises, de sorte qu'elles peuvent agir comme bon leur semble.
    Il se peut que le pouvoir de marché ne soit pas présent même avec une large part de marché, par exemple s'il existe une menace importante d'entrée sur le marché. Si l'entrée est très facile et qu'une entreprise augmente ses prix, elle attirera des concurrents sur ce marché. Il y a donc une sorte de discipline qui s'exerce dans ce cas, même si une entreprise détient une part de marché importante à ce moment‑là. Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres.
    Un autre exemple serait lorsqu'une entreprise a une part de marché importante, mais que son produit n'est pas aussi bon qu'un produit qui vient d'être inventé. La part de marché de l'entreprise est élevée pour le moment, mais elle diminuera avec le temps, car l'entreprise est soumise à la discipline exercée par ses concurrents, ce qui l'empêche d'exploiter les consommateurs.
    La part de marché peut certainement être un indicateur de pouvoir de marché, mais comme l'a dit M. Ross, je crois, c'est un indicateur très faible. D'autres éléments entrent en ligne de compte.
    Madame Quaid, avez-vous un commentaire à faire à ce sujet?
    M. Iacobucci a donné une excellente explication de la façon dont les économistes comprennent le pouvoir de marché. J'aimerais toutefois apporter certaines nuances.
    L'économie actuelle, qui a été transformée à jamais non seulement par la numérisation, mais aussi par l'adoption de pratiques axées sur la technologie et les données dans la façon dont les affaires sont menées, présente certains défis pour ceux d'entre nous qui souhaitent comprendre où se trouve le pouvoir de marché et comment il s'exerce. En effet, il se présente sous d'autres formes que celles auxquelles nous sommes habitués.
    D'autres ont souligné — ce n'est pas mon idée, mais je vais l'expliquer — que nous voyons maintenant des secteurs de l'économie caractérisés par la présence d'écosystèmes économiques dominés par une ou deux entreprises, et souvent par une seule entreprise. Puisque ces entreprises contrôlent les secteurs adjacents, elles sont en mesure de dicter les conditions de participation au marché. C'est ce que nous appelons un écosystème. Ces entreprises contrôlent l'accès à ces écosystèmes et elles en dictent les règles. Il ne s'agit pas nécessairement des entreprises milliardaires que nous connaissons tous.
    L'un des cas intéressants que l'on trouve aux États-Unis est celui de Live Nation et de Ticketmaster. Cela montre que nous pouvons faire face à certains défis liés à l'utilisation de ces notions dans le cadre de l'évolution de l'économie. Cela ne veut pas dire que ces notions ne sont pas pertinentes. Cela signifie simplement que nous devons être attentifs aux nouvelles façons dont elles peuvent se présenter. De nouveaux outils pourraient être nécessaires pour comprendre la situation et nous assurer que nous ciblons les domaines où le pouvoir de marché représente un problème, et que nous n'étouffons pas les activités qui devraient se produire et qui pourraient radicalement changer l'économie de manière positive.
     Nous n'avons pas de boule de cristal. Il y a toujours une marge d'erreur. C'est l'autre chose qu'il est important de garder à l'esprit. L'économie évolue et change très rapidement, et nous devons donc rester à l'affût.
(1235)
    Lors de sa comparution devant le Comité le 3 juin dernier, Jagmeet Singh, le parrain du projet de loi, a mentionné que le projet de loi s'inspirait des pratiques de concurrence en vigueur au sein d'instances internationales telles que l'Union européenne et l'Australie.
    La politique relative à la concurrence ratifiée par le Parlement européen interdit tout accord anticoncurrentiel en vertu de l'article 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Quelles sont les similitudes entre le projet de loi C‑352 et la politique relative à la concurrence de l'Union européenne? Les mesures prises par d'autres instances sont-elles considérées comme étant aussi strictes que celles prévues dans le projet de loi C‑352?
    J'aimerais d'abord entendre la réponse de M. Bester.
    J'admets que je connais mieux les lois canadiennes et américaines que les lois européennes.
    Une chose qu'il faut retenir, c'est que l'approche européenne, du moins en ce qui concerne les cas d'abus de position dominante — ce qui comprend les prix excessifs et déloyaux —, est beaucoup plus stricte que l'approche déjà adoptée par le Canada. Il y a peut-être un alignement théorique, mais les détails et la structure du droit européen sont différents. Le droit européen est beaucoup plus dépouillé et moins directif. Il s'appuie sur des pays tels que l'Allemagne pour mettre en œuvre leurs propres politiques en matière de droit de la concurrence.
    Il est très difficile de comparer directement ces approches. S'il existe un lien philosophique, cette approche plus stricte dans les cas d'abus de position dominante s'y conforme davantage.
    Je vous remercie, monsieur Van Bynen.
    La parole est maintenant à M. Williams. Il a cinq minutes.
    Je vous remercie, monsieur le président.
    J'aimerais revenir sur certains changements qui ont déjà été apportés et sur d'autres que nous envisageons dans le cadre du projet de loi. Le projet de loi C‑56 confère au ministre de nouveaux pouvoirs en matière d'études de marché. Monsieur Bester, je ne sais pas si vous êtes au courant, mais une lettre a été envoyée. Le Bureau de la concurrence allait étudier la concurrence entre les compagnies aériennes, ce qui était une excellente nouvelle pour tout le monde. Mais ensuite, une lettre a été envoyée par le ministre de l'Industrie dans laquelle on dit que, même si c'était une bonne chose, l'étude devrait se concentrer sur la concurrence intérieure et ne pas s'occuper des aéroports. Notre comité a déjà exprimé des inquiétudes selon lesquelles le fait de donner tous ces pouvoirs au ministre pourrait être une mauvaise idée, et c'est ce que nous constatons aujourd'hui.
    Les représentants du Bureau de la concurrence ont comparu devant le Comité l'autre jour, et je leur ai posé une question. Je n'ai pas obtenu de réponse directe pendant la réunion, mais après les délibérations, ils m'ont confirmé que les mandats doivent être établis avec le ministre de l'Industrie. Le ministre devrait‑il dicter les aspects examinés par le Bureau dans un domaine aussi important que la concurrence entre les compagnies aériennes?
    C'est une bonne question.
    Dans le projet de loi C‑56, nous avons fait valoir qu'il fallait donner au commissaire le pouvoir de réaliser des études de marché en toute indépendance. Je pense que cette étude de marché sur les transporteurs aériens sera une bonne première mise à l'épreuve de cette indépendance.
    Le projet de loi C‑56 a été modifié pour permettre au Bureau d'avoir les coudées plus franches. Nous avons un équilibre entre la surveillance du Bureau de la concurrence par les élus et l'indépendance du commissaire. Il est important de mettre l'accent sur l'indépendance du commissaire, et l'étude de marché pour les compagnies aériennes en est une première mise à l'épreuve.
    Monsieur Ross, j'aimerais avoir votre avis. Je m'écarte un peu de la question que nous examinons, mais il s'agit de l'avenir du Bureau de la concurrence.
    Je m'intéresse aux fusions mondiales et à l'interdépendance des marchés. C'est ainsi que nous considérons les géants de la technologie et leur émergence, les sociétés pharmaceutiques, le secteur de l'automobile, le secteur financier et le commerce de détail. À l'avenir, en fonction de l'évolution de l'économie mondiale, nous devrons probablement nous pencher sur les fusions mondiales et sur la manière dont nous les gérons, non seulement dans le cadre de notre propre Loi sur la concurrence, mais aussi en collaboration avec d'autres instances.
    Puisque cette question sera probablement soulevée plus tard, comment pouvons-nous adapter la Loi sur la concurrence pour qu'elle vise les pratiques transfrontalières anticoncurrentielles, afin d'assurer la coordination avec les organismes de réglementation internationaux?
(1240)
    C'est une question très importante, qui se pose probablement depuis quelques décennies. On reconnaît maintenant que les fusions internationales posent des défis considérables aux organismes nationaux responsables de la concurrence, surtout au sein des petites instances. Il se peut que les États-Unis ou l'Europe aient suffisamment de poids pour traiter les fusions comme ils le souhaitent. Toutefois, un organisme plus petit comme le Bureau de la concurrence du Canada se doit de coopérer.
    Je ne suis pas un expert en matière de mécanismes de coopération. Je sais que la loi les autorise à coopérer, mais il y a parfois des limites à la mesure dans laquelle ils peuvent coopérer et échanger des renseignements. Il est évident que les questions pénales sont plus délicates que les examens des fusions. Je peux vous dire que tous les organismes internationaux que je connais sont très conscients de la nécessité de travailler en coordination.
    Le commissaire souhaitait que des changements soient apportés à notre examen des fusions pour, entre autres raisons, aligner notre système sur celui des Américains, afin que nous n'approuvions pas des fusions que les Américains souhaitent bloquer. Il arrive que l'on souhaite compter sur les autres pour agir, mais il faut faire entendre sa propre voix dans ces situations. Je pense que cela devrait nous préoccuper.
    Monsieur Williams, je pense que M. Iacobucci aimerait faire un commentaire à ce sujet.
    Je pense que c'est une excellente question et je tenais donc à ajouter mon grain de sel.
    Dans certains cas, la coopération peut être utile, mais dans d'autres cas, à mon avis, il faut se poser une question très importante lorsqu'il s'agit de l'activité économique mondiale, soit la question de savoir si certains pays ont leurs propres mesures correctives qui pourraient être appliquées. L'Europe a adopté sa propre approche pour les cas d'abus et elle a tendance à être beaucoup plus agressive que le Canada. Elle permet par exemple d'imposer des amendes de plusieurs milliards d'euros qui sont versés à l'Europe. Cela n'interfère pas avec ce qu'ils font ailleurs. De même, dans le cas des fusions, il y a parfois un dessaisissement local. Si un pays s'y oppose et qu'un autre ne s'y oppose pas, on peut peut-être ordonner un dessaisissement dans le pays concerné et, selon la perception, cela réglera le problème de concurrence dans ce pays.
    Vous avez soulevé un problème critique, et je ne sais pas s'il y a une solution facile ou même une solution quelconque. Il s'agit d'une fusion mondiale qui a un impact dans le monde entier et à laquelle on ne peut pas appliquer une mesure corrective propre au pays concerné. C'est un véritable problème. On peut coopérer, mais que se passe‑t‑il si l'Europe et les États-Unis ne sont pas d'accord, comme c'est souvent le cas? Il suffit qu'une seule personne refuse une fusion pour que la fusion ne puisse pas avoir lieu.
    Je pense que vous avez cerné un problème très important. Il y a plusieurs nuances, selon le contexte.
    Madame Quaid, d'un point de vue juridique, une mesure corrective pourrait consister à conclure des accords officiels, par exemple, avec la FTC et l'Union européenne au sujet de ces questions. Dans ce cas, devons-nous envisager des dispositions qui tiennent compte de l'impact mondial des fusions et des pratiques anticoncurrentielles comme un phénomène mondial? Nous savons que nous devons examiner la loi dans son ensemble. Sans entrer dans les détails, cette recommandation est-elle nécessaire lorsque nous révisons la loi dans son ensemble?
    Je suis tout à fait d'accord avec MM. Iacobucci et Ross lorsqu'ils disent qu'il s'agit d'un domaine important et que, de plus en plus, lorsqu'on considère la taille de certaines multinationales et combinaisons d'entreprises, cela entraîne une composante mondiale dont il faut être en mesure de tenir compte.
    Je ne sais pas si j'ai une solution magique à proposer, si ce n'est que le Bureau de la concurrence participe fréquemment aux efforts de coopération et de collaboration. Au‑delà des cas individuels, le Bureau fait partie du Réseau international de la concurrence. Il collabore par l'entremise de l'OCDE et d'autres mécanismes. Un ensemble d'autorités a récemment publié deux rapports — je ne pense pas qu'il y ait un troisième rapport — sur les réalités des marchés numériques et il compare les pratiques utilisées. Il ne s'agit pas seulement d'une enquête, mais aussi d'une discussion plus vaste sur la localisation des problèmes et les techniques que nous pouvons utiliser, car cela pourrait permettre d'éviter d'emblée certains problèmes d'alignement qui pourraient survenir plus tard.
    Je comprends parfaitement le point de vue de M. Iacobucci. Le problème, c'est que chaque pays est pointilleux au sujet de certaines choses en particulier. L'une des raisons pour lesquelles il faut avoir notre propre politique intérieure — et je pense que M. Ross a raison sur ce point —, c'est qu'il faut déterminer d'emblée les choses auxquelles nous ne pouvons pas renoncer. Quelles sont les choses tellement importantes pour notre nation que, même si d'autres affirment qu'ils n'y accordent pas autant d'importance, nous allons les défendre? Je ne peux pas faire cette liste pour vous, mais c'est une chose importante qu'il ne faut pas oublier de demander. Lorsque nous nous opposons à des fusions, à quoi portons-nous attention? Cela peut être très précis.
    En ce qui concerne les outils, il existe des mesures correctives structurelles et des mesures correctives comportementales. Les mesures correctives comportementales présentent des risques, car il faut les surveiller. Je dirais que dans ce cas— et je m'arrêterai après ceci —, vous devez vous assurer que votre bureau dispose des ressources suffisantes et d'un mandat ferme et autonome.
    Pour ajouter mon grain de sel à la question à laquelle je n'ai pas eu l'occasion de répondre, je crois qu'une plus grande séparation entre le Bureau et ISDE représenterait une mesure très positive. En règle générale, je n'aime pas l'interférence politique dans l'application des lois en matière de concurrence.
(1245)
    Merci beaucoup.
    Monsieur Williams, c'est la fin de votre tour.
    Pour la prochaine série de questions, Mme Bradford a cinq minutes à sa disposition.
    Merci, monsieur le président.
    Merci aux témoins. C'est une discussion fascinante.
    Je suis une invitée aujourd'hui, et je vais donc adopter le point de vue du consommateur. Ce sera peut-être correct puisque nous nous penchons sur la protection des consommateurs contre des prix plus élevés.
    Je vais poser ma question à M. Hatfield. À votre avis, dans quelle mesure le projet de loi C‑352 s'attaque‑t‑il aux coûts et protège‑t‑il les choix des consommateurs, en particulier dans les épiceries?
    Allez‑y, monsieur Bester.
    La question est-elle pour M. Hatfield ou pour moi?
    Je suis désolée; je veux vous entendre tous les deux, donc peu importe qui commence.
    J'aimerais savoir ce que vous en pensez tous les deux.
    La principale contribution du projet de loi C‑352 porte sur la défense des consommateurs, ce qui demeure important. Lorsqu'on remonte 20 ou 30 ans en arrière, on constate un regroupement constant des entreprises dans le secteur de l'alimentation au détail, surtout dans les collectivités éloignées.
    L'application de la loi en matière de fusions, pour le meilleur ou le pire, vise vraiment à défendre vigoureusement les consommateurs. Le projet de loi C‑352 répond à la question de savoir si nous allons mettre fin au regroupement de ces entreprises. La réponse est oui, dans cette mesure législative. Il faut donc maintenant se demander comment stimuler la concurrence et l'expansion, peut-être à l'aide de choses que nous voyons, comme je l'ai déjà mentionné, dans l'enquête sur les contrôles de propriété et en débloquant la concurrence dans le marché actuel.
    Avant de retourner à M. Hatfield, j'ai une deuxième question pour vous. Quels amendements ou mesures pourrions-nous proposer pour mieux répondre aux besoins des gens qui vivent au Canada?
    Je vais revenir à ma déclaration liminaire. Nous devrions maintenant nous concentrer, et cela outrepasse peut-être la portée de cette discussion, sur la façon de faire fonctionner plus rapidement, plus efficacement et de manière plus transparente les rouages de la Loi sur la concurrence. Le renforcement des pouvoirs de collecte de renseignements du Bureau de la concurrence et le changement des exigences en matière de transparence pourraient accélérer le processus de résolution des problèmes de concurrence d'une façon ou d'une autre. Nous allons peut-être constater qu'il n'y a pas de problème, mais nous pourrons le constater plus rapidement. Nous pourrons alors renforcer la confiance des Canadiens parce qu'ils vont mieux comprendre la situation et ce que le gouvernement fait pour eux.
    Monsieur Hatfield, je reviens à vous. Selon vous, dans quelle mesure le projet de loi C‑352 s'attaque‑t‑il aux coûts et protège‑t‑il les choix des consommateurs, en particulier dans les épiceries?
    À vrai dire, notre mandat se rapporte aux télécommunications et au réseau Internet. On nous force parfois à faire des commentaires sur les épiceries puisqu'il est évident dans nos collectivités que les problèmes sont présents de part et d'autre.
    Je ne veux pas outrepasser mon expertise, mais en plus de renforcer les pouvoirs du Bureau en ce qui a trait aux fusions en général, je pense que le pouvoir de réaliser des études du marché est important pour examiner ce qui se fait avec les épiceries. Nous ne pouvons pas revenir ici dans trois ou quatre ans sans savoir quelle partie des prix est attribuable au regroupement des entreprises. Nous devons faire une étude approfondie de la question.
    Pour revenir aux remarques de M. Bester, nous avons besoin d'un échéancier efficace. Comme nous l'avons vu au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications, lorsque nous reportons indéfiniment des études ou des décisions, nous ne réglons souvent pas du tout le problème. Nous ne pouvons pas attendre cinq ans pour obtenir ce genre d'études. Il faut les faire d'ici un ou deux ans.
    Monsieur Bester, M. Vis a posé des questions à M. Ross à propos de l'étude qui a été publiée sur la façon dont le manque de concurrence empire. A‑t‑on observé des tendances similaires dans d'autres pays au cours de la même période, de 2000 à 2020. Dans la négative, qu'a‑t‑on fait dans ces pays pour maintenir ou accroître l'intensité de la concurrence? Sommes-nous les seuls à subir cette situation?
    De nombreux pays sont en train de revenir 10 ou 20 ans en arrière, voire plus, et ils observent malheureusement une diminution générale du dynamisme et de l'intensité de la concurrence, en mettant beaucoup l'accent sur les marchés numériques que deux ou trois acteurs dominent. On s'intéresse de plus en plus aux questions liées au coût de la vie.
    Le Canada n'est pas le seul à faire face à ce problème. De nombreux pays examinent leur législation sur la concurrence pour contrer ce déclin, que ce soit à l'aide d'une application plus rigoureuse ou en adoptant de nouvelles lois. Nous ne sommes pas seuls.
(1250)
     Monsieur le président, combien de temps me reste‑t‑il?
    Vous avez environ 30 secondes.
    Vous en avez peut-être parlé dans votre déclaration liminaire, monsieur Iacobucci. Je me demande dans quelle mesure les modifications présentées dans le projet de loi C‑56 tiennent compte des modifications proposées dans le projet de loi C‑352.
    Il y a un chevauchement, mais je vais devoir revenir en arrière et comparer. À mon avis, l'une des difficultés dans ce processus, c'est la répétition.
    À propos de ce qui se trouve dans le projet de loi C‑56 par rapport au projet de loi C‑59, au projet de loi C‑19 et au projet de loi C‑352, il faudrait que je prenne un moment pour vous répondre. Je vais attendre et sauter mon tour.
    D'accord. Si vous avez l'occasion d'examiner cela et de fournir une réponse par écrit à la greffière, ce serait très utile.
    Bien sûr.
    Merci.
    Merci beaucoup.
    Monsieur Garon, vous avez deux minutes et demie.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Professeur Ross, vous êtes un des plus grands spécialistes canadiens en organisation industrielle, en économie de la concurrence. À cet égard, je pense que le Parlement a peut-être besoin de votre expertise.
    À la Chambre des communes, certains de nos collègues prônent deux politiques importantes pour améliorer l'abordabilité des produits d'épicerie.
    D'abord, on suggère que le gouvernement fixe les prix de certains biens d'épicerie. C'est une proposition du NPD.
    On propose également d'imposer une taxe spéciale sur les « surprofits » des grands épiciers en disant que cela va améliorer la situation pour les consommateurs.
    J'aimerais avoir votre avis professionnel sur ces deux propositions.

[Traduction]

    Je ne suis généralement pas favorable à une réglementation envahissante dans un secteur. Il y a des cas où nous pourrions avoir besoin d'une surveillance réglementaire, par exemple lorsque nous attribuons des fréquences du spectre, mais dans la plupart des industries, je préfère laisser la politique de concurrence faire le travail.
    Nous avons besoin de plus amples renseignements sur les problèmes dans le secteur de l'épicerie. Cela a beaucoup retenu l'attention parce que les prix ont sans aucun doute augmenté. Il y a beaucoup de raisons à cela, et la concurrence — ou l'absence de concurrence — n'est qu'une seule explication proposée parmi beaucoup d'autres. Cela joue peut-être un rôle, mais nous ne savons pas à quel point il est important.

[Français]

    Merci.
    J'aimerais que vous nous parliez de la taxe sur les « surprofits » des grandes chaînes d'épiceries.

[Traduction]

    Je n'aime pas l'imposition excessive des profits. Cela décourage tout simplement les investissements.
    Si le problème est que les épiciers font des profits exorbitants, nous devons chercher une solution de marché. Espérons que cela favorisera les entrées sur le marché, par exemple, et c'est possible, mais je n'aime pas l'idée de taxes spéciales pour certains secteurs.
    Monsieur Masse, vous avez deux minutes et demie.
    Merci.
    Je n'ai pas eu la chance de faire participer M. Iacobucci et Mme Quaid, et je veux donc saisir l'occasion pour savoir ce qu'ils pensent de la législation européenne. Un bon exemple est celui du Royaume-Uni, qui vient tout juste d'élargir la portée de son impôt sur les bénéfices exceptionnels. Comme l'a dit M. Ross, c'est une des stratégies employées.
    Tout ce que nous avons comme outil, et le seul recours pour M. Singh, c'est le dépôt d'un projet de loi d'initiative parlementaire, qui a été éclipsé par d'autres choses. Nous pouvons choisir d'apporter des améliorations ou tout ignorer et attendre probablement encore trois ans avant de faire la moindre chose.
    Maintenant que nous avons les projets de loi C‑19, C‑56, C‑59 et C‑352, peu importe ce que nous décidons de faire à ce sujet, où nous situons-nous par rapport à nos collègues américains et européens, selon vous, en ce qui a trait à la protection de la concurrence pour les Canadiens? J'aimerais vraiment entendre vos commentaires et votre analyse. Je sais que c'est très difficile à faire, mais je vous prie de nous donner un aperçu d'où nous en sommes.
    Je sais que vous préconisez — tout comme moi — un portrait plus global, mais c'est ce que nous avons devant nous, et pour de nombreuses raisons. Cela fait partie de notre processus démocratique d'ici à ce que nous ayons un gouvernement qui veut faire un examen complet.
(1255)
    Je vais commencer.
    Je veux souligner que je ne veux pas paraître négative. J'ai vu une occasion de procéder à une réforme en profondeur et j'exprime ma déception, mais cela ne signifie pas que nous ne faisons rien d'important et que nous perdons notre temps. Je ne voudrais pas vous donner cette impression‑là, monsieur Masse. De plus, je crois comprendre que vous pouvez donner suite à ce qui est proposé dans les différents projets de loi.
    J'ai l'impression que, de certaines façons, nous essayons d'harmoniser l'approche du Canada à celle des principaux pays comparables, soit les États-Unis, l'Union européenne, l'Australie et le Royaume-Uni. Nous ne devons toutefois jamais oublier qu'au bout du compte, il est très difficile de comparer des pays en se fiant uniquement à leurs règles. Nous avons maintenant déployé beaucoup d'efforts pour essayer de changer les règles structurelles lorsque nous pensions qu'elles représentaient un obstacle ou lorsque le commissaire en pensait autant, et je pense que beaucoup de ces changements sont bons. Nous pouvons discuter des détails une autre fois.
    La grande question portera sur l'application et l'approche globale en ce qui concerne la mise en œuvre. Ce qu'il nous faut probablement, c'est plus de ressources et peut-être repenser l'approche institutionnelle, et je ne pense donc pas que nous soyons sur un pied d'égalité avec nos pays pairs à cet égard. Cependant, nous sommes certainement en train d'harmoniser nos règles d'une manière qui est compatible, au moins, d'après ce que d'autres pays font. Ce ne sera jamais parfaitement symétrique puisque des réalités constitutionnelles, politiques et autres influencent la façon dont nos lois sont conçues.
    Merci, monsieur Masse.
    Il nous reste quelques minutes. Nous avons un autre point à l'ordre du jour à la fin, mais je sais que M. Badawey attend impatiemment de poser quelques questions, avec la permission de tout le monde.
    C'est un tour ouvert, et vous êtes le seul qui n'a pas encore pu intervenir, donc allez‑y.
    Merci, monsieur le président.
    Dans mes questions, je veux me concentrer sur les intervenants et le rendement dans le contexte de ce qui a été dit plus tôt sur l'approche pangouvernementale. En termes simples, on approfondit vraiment la question des barrières commerciales provinciales et de la gestion de l'offre. Les décisions relatives au rendement en feraient partie, tout comme les comportements parallèles. Une fois de plus, on examine en profondeur la façon dont les intervenants nuisent à la loi.
    Lorsque nous regardons les fusions et les acquisitions ainsi que leur incidence sur les consommateurs et la main-d'œuvre, moins il y a d'intervenants qui participent à la gestion de l'offre, plus les répercussions sont grandes pour les consommateurs et la main-d'œuvre. Bien entendu, au bout du compte, il existe des solutions pour encourager une concurrence accrue et atténuer les répercussions sur la main-d'œuvre.
    Je veux discuter de manière approfondie du secteur de l'épicerie. Lorsque nous l'examinons, nous constatons que les prix ont très peu augmenté au fil des ans jusqu'à ce qu'il y ait moins d'intervenants. C'est parce qu'il était préférable pour les fabricants et les grossistes de réduire la taille du marché de la distribution. Je vais vous donner un exemple, et je serai direct. Quand on prend des fabricants comme les Cargill de ce monde, Kraft et tous les gros noms, on constate qu'ils ont imposé des minimums à beaucoup de détaillants et d'entreprises familiales. Cela nous a laissé peut-être deux ou trois distributeurs — les GFS et les Sysco de ce monde —, et il devient alors impossible d'avoir plus d'intervenants. Qu'avons-nous vu au cours des 10 dernières années? Les prix ont monté en flèche.
    Pour les conservateurs et tous ceux qui donnent une analyse de la raison pour laquelle les prix ont augmenté, je mentionne que j'ai passé la majeure partie de ma vie, soit plus de 40 ans, à travailler dans le secteur de l'alimentation. Je peux vous dire que c'est ce que j'ai vu sur le terrain lorsque j'essayais de payer les employés, de répondre aux demandes des fournisseurs et de les payer lorsque le paiement des factures arrivait à échéance.
    Cela dit, monsieur Bester, j'aimerais obtenir votre avis sur la façon dont cela s'est déroulé au fil des ans et sur la manière d'en tenir compte dans ce projet de loi pour protéger les consommateurs avec un minimum de répercussions sur la main-d'œuvre.
    Vous soulevez un point extrêmement important qui n'a pas été abordé dans la discussion au cours des deux ou trois dernières années, à savoir que les problèmes liés aux fusions et à la concentration dans le système alimentaire ne sont pas juste au niveau de la vente au détail, mais aussi au niveau de la distribution et de la vente en gros, avec tous les transformateurs et tous les fournisseurs d'intrants. Vous avez mentionné Cargill, tant pour ce qui est de fournir des intrants aux producteurs primaires qu'en tant que transformateur dominant du bœuf au Canada.
    Ce qui m'encourage, c'est le pouvoir d'étude des marchés dans le projet de loi C‑352, qui est proposé par l'entremise du projet de loi C‑56. Nous devons remonter plus haut dans la chaîne et ne pas limiter notre compréhension à ce que les consommateurs voient. Depuis de nombreuses années, nous avons — et je dis que la concentration engendre la concentration — un processus qui serait très difficile à démanteler. La première étape consiste toutefois à adopter une approche plus rigoureuse par rapport à la concurrence et à comprendre que le regroupement des entreprises a actuellement un coût non seulement sur les tablettes des épiceries, mais aussi tout le long de la chaîne.
(1300)
    Monsieur Bester, lorsque nous regardons ces moteurs de l'économie et les entreprises familiales que nous voyons dans les collectivités, ou que nous avions l'habitude de voir, que ce soit un dépanneur, une quincaillerie, une épicerie ou un magasin de meubles, nous voyons que le pouvoir d'achat limité de certaines petites entreprises se traduit par une incapacité à faire croître leur marge de profits, à embaucher plus d'employés, à livrer concurrence et à survivre, pour être très franc.
    C'est ce que nous voyons actuellement dans les collectivités. Les gros joueurs, comme Walmart, ont le pouvoir d'achat nécessaire pour augmenter leur marge de profit compte tenu de la quantité de produits qu'ils peuvent acheter à tout moment. De plus, ils continuent d'obtenir les profits auxquels ils s'attendent, contrairement aux petites entreprises, celles où les gens pouvaient choisir de magasiner. La marge de profit de ces petites entreprises diminue. Elles ne savent pas si elles seront encore là demain.
    Une fois de plus, de quelle façon selon vous les différents projets de loi que nous envisageons maintenant en tiennent-ils compte?
    C'est un sujet très difficile. C'est une tâche très difficile. Je dis souvent que le regroupement des entreprises est une voie à sens unique. Une fois que le marché est concentré, c'est beaucoup plus difficile. Je me suis déjà penché là‑dessus et je serais heureux de vous transmettre ce que j'ai écrit.
    C'est lié au concept d'une concurrence loyale et à ce qui est fait pour s'éloigner d'une concurrence fondée sur l'exercice du pouvoir — vous avez parlé du pouvoir d'achat — pour plutôt offrir un produit de qualité supérieure. Je n'ai pas de réponse facile, mais la concurrence loyale est au cœur de la question.
    Vous pouvez poser une dernière question.
    Merci. C'est le dernier point que je vais aborder.
    Bien franchement, lorsqu'on approfondit la question, on constate que c'est lié à notre capacité de rendre les règles du jeu plus équitables et de faire en sorte que ces entreprises ainsi que les gens que nous appuyons ne soient pas abandonnés au fil du temps et à ce que le consommateur n'ait essentiellement pas une seule option. C'est en partie le consommateur qui va faire avancer ce dossier, mais cette mesure législative doit faire quelque chose à l'avenir pour que le consommateur ait un choix. Nous n'allons alors pas nécessairement voir les fusions et les acquisitions à partir du haut, mais plutôt à partir du bas, ce qui offre un point de vue que l'on néglige parfois, en tenant compte du « rendement » et des « intervenants ». C'est exactement ce que certains gros joueurs imposent au consommateur, au bout du compte. Il est question du pouvoir d'achat et des minimums qui doivent être établis. Les entreprises qui n'ont pas le pouvoir d'achat minimal sont laissées à elles-mêmes. Il y a alors moins d'options pour le consommateur et des répercussions sur le marché du travail.
    Merci, monsieur Badawey.
    Je remercie les experts qui sont venus témoigner. J'avais une question, mais j'ai trop attendu. Je pourrais peut-être vous parler hors ligne avant que nous partions.
    Si le Comité souhaite commencer l'étude article par article de ce projet de loi la semaine prochaine, nous devons établir une échéance pour la présentation des amendements. J'en ai parlé avec la greffière, et nous pouvons la fixer à midi jeudi pour pouvoir commencer l'étude, si les membres du Comité sont d'accord.
(1305)
    Cela me va.
    Merci à tout le monde. C'était une réunion fascinante avec d'excellents témoins. Je vous en suis très reconnaissant. Je suis certain que nous allons les revoir à l'avenir.
    La séance est levée.
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